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Covid, Corona, le variant delta, vous en avez entendu parler ? La reine de la polémique, sa seigneurie Hydroxychloroquine, est maintenant devenue une vieille copine ! Le taux d’incidence, le confinement, la balance bénéfice-risque, ces notions n’ont plus de secret pour vous ! Pedro a mis ces ingrédients abscons dans un shaker, il a ajouté de la glace pilée à coups de crosse de kalachnikov. Puis il a agité le tout, distribué quelques baffes et bu l’ensemble sans modération.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Auteur de sept romans, fruits de sa vision décalée incarnée par son héros Pedro,
Philippe Garenne sait mêler imagination, humour, critiques de la société et aventures délirantes. Il récidive avec
Covid et Corona, une nouvelle aventure de Pedro.
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Philippe Garenne
Covid et Corona
Une nouvelle aventure de Pedro
Roman
© Lys Bleu Éditions – Philippe Garenne
ISBN : 979-10-377-4416-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie.
Jacques Prévert
Hortense et Marie-Jeanne, Éditions Du Mérite, Collection Pied du monde, 2016.
Membres émérites d’une association de malfaiteurs, Pedro et ses potes se sont entre-tués pour une sordide histoire de gros sous mal encoffrés et de cannabis parti en fumée. Pas de tune c’est la galère, plein de tune c’est l’ivresse, trop de tune c’est la gueule de bois. Le couteau et le poison eurent leur mort à dire.
Geneviève et Pedro, Éditions Du Mérite, Collection Pied du monde, 2017.
Tel Lazare en jupette, une occise de l’exercice précédent réapparut. Miracle ou hallucination ? Pedro découvrit, dans un laboratoire clandestin cubain, que le génie génétique n’était pas le génie qu’on croit. Et le nouveau président de la République, alors ? Ange ou démon ?
Pedro et Saint Expédit, Spinelle Éditions, 2018.
Li, la femme de Pedro, était en train de perdre la tête. Une seule solution, s’agenouiller et prier saint Expédit. Mauvaise idée ! Ici, Saint Expédit est le surnom d’un Réunionnais, un yab qui veut se faire la malle du pénitencier de l’île de Ré. Les filles de La Rochelle, il s’en fout un peu, ce qu’il veut, c’est jouer les filles de l’air.
Arrêt à Ré, Le Lys Bleu Éditions, 2019.
Dès que Pedro met son nez dans une embrouille, la faucheuse suit avec sa carriole de macchabées frais, d’autant plus frais que le dernier sort du congélo. Le drame se noue dans l’île de Ré, sous l’œil bovin des ânes sans culottes et des cyclistes sans sel, au sein de son sanctuaire spirituel, le collège « Les Salières ».
D’où, forcément, un Arrêt à Ré.
Le drap peau-rouge flotte sur le Midwest, Spinelle Éditions, 2020.
5 août 2019, Pedro découvre l’Amérique !
Ithanka, le jeune guerrier sioux, va le conduire à travers les embûches du Midwest car en été, sous les orages des vastes plaines du Minnesota, il pleut du whisky et des coups de putes, sans compter les ojibwés dont le scalp ne tient qu’à un cheveu.
Normal, on est aux States !
Meurtre au salon du Bois-Joli, Spinelle Éditions, 2021.
Vivant, il n’était pas beau, mort, c’est encore pire !
Pendant que Léo du Hurlevent inscrit le mot fin au bas du livre de sa vie, Pedro s’initie aux rites folkloriques zoulous. Curieusement, il s’adapte bien au tempo des danses africaines. Son enquête est menée tambour battant.
Pedro s’était coulé dans la peau de l’homme dépressif.
C’était un choix de sa part ! Judicieux ? Difficile à dire. Reposant ? Certainement.
Il avait calqué ses habitudes sur celles de son chat, Médor. Il dormait vingt heures sur vingt-quatre, mangeait de petites quantités de nourriture plusieurs fois par jour, se léchait constamment les doigts, ronronnait sous les caresses de sa femme, grognait contre ceux qui s’aventuraient sur son territoire. Décontenancés, sa femme, sa fille, ses amis essayaient de le distraire, de donner un sens à sa vie.
Mais la vie, sa vie avait-elle un sens ?
La seule entorse à son existence de gros chat d’intérieur était qu’il acceptait de mettre un caleçon le matin lorsqu’il se levait. Son ami Pipo, médecin de son état, avait changé ses croquettes habituelles pour une nourriture plus énergétique où le légume vert avait disparu, dont la viande fraîche, rouge de préférence, constituait l’essentiel.
À l’extérieur, la covid, cette espèce de maladie virale venue de Chine, ce péril jaune importé de l’Est comme Attila en son temps. Ce fléau hybride né de la copulation entre l’homme et la chauve-souris sous l’œil complice du pangolin, ce fléau donc apporté de nuit à dos d’hommes aux yeux bridés sur les terres civilisées de l’Occident porteur des valeurs universelles ou imposées comme telles. Ce minuscule virus combattu d’une main ferme par nos chercheurs défenseurs de l’ordre immuno-capitalo-démocratique continuait à faire des siennes. La première vague commencée en mars 2020 s’était brisée sur les plages de l’été avant de reprendre du poil de la bête en septembre avec la rentrée.
2021 avait été pire.
Depuis, la maladie était contenue, avec des hauts et des bas, dans l’attente d’une vaccination de masse et de l’illusoire immunité collective.
Désormais, l’humanité avançait masquée, l’œil rivé sur le moindre éternuement de son voisin et suspicieuse à l’écoute de la toux caverneuse, annonciatrice du cluster, signe ultime de la panique maladive et du déshonneur collectif. Les variants au coronavirus, ces sortes de mutants sournois venus d’Angleterre, d’Afrique du Sud, même du Brésil, du Japon et de l’Inde, ces aliens minusculement monstrueux, éclos aux quatre coins du monde, menaçaient l’équilibre instable des sociétés fracturées.
Pedro n’en avait cure. Il ne voyait pas de différence entre sa morne vie confinée et son exaltante vie déconfinée.
Ce matin-là, un matin conforme à ce qu’il était la veille et certainement identique à celui du lendemain, Pedro cherchait des parasites dans les poils de son torse et grattait le tapis avec ses ongles lorsque sa fille vint à passer. Il dressa une oreille et leva le bout de son museau.
Il lui fit un clin d’œil complice.
— Dis, ma puce, tu n’as pas vu ta mère ?
Un beau jour, notre homme, un certain Jean-Pierre Laville, avait décidé de s’appeler Pedro. Un caprice de star ? Non, simplement la lecture d’un titre de livre, La vie est un songe, de Pedro Calderón de la Barca. Où s’arrête l’illusion, où commence la réalité, l’existence n’est-elle qu’un rêve ? Le thème lui avait plu, le prénom de l’auteur aussi.
Pedro avait ramené d’un séjour à La Réunion, île française de l’océan Indien, l’amour de sa vie, Li, une jolie Chinoise, légère comme une chemise de lin, au caractère solide comme une corde de chanvre. La jeune femme était la mère d’une adorable enfant, Luan, et la fille de l’abrupte Yu, avec qui la coexistence n’avait rien eu de pacifique.
Avec quelques économies et l’héritage de ses parents, morts prématurément dans un effroyable accident de voiture, Pedro avait acheté un restaurant, Le dragon d’or, enseigne réputée de La Rochelle.
Aidé d’Avotra, le chef malgache, il avait fait fructifier le commerce avant de se la couler douce à Périgny, ville de la banlieue rochelaise où il s’était installé à son retour de l’île Bourbon. Seulement, la vie n’est pas toujours aussi simple… Enfin, pour les autres, car pour lui, l’argent plus ou moins propre coulait de source.
Comme pour de nombreux individus sur Terre, car dire tous les individus sur Terre serait faire un amalgame pernicieux, le temps passait aussi pour Pedro. Il avait franchi avec aisance le cap du demi-siècle et s’apprêtait à gravir le sommet de la soixantaine avant de s’accrocher au wagon de la décrépitude qui l’accompagnerait doucement vers la destination finale, le caveau familial.
Il avait pris des ans, un peu de poids, mais pas trop, quelques rides et des cheveux blancs de plus en plus longs car les coiffeurs, ces êtres misérables qui coupent les cheveux en quatre, étaient devenus ses ennemis personnels, comme les oculistes, du reste, ces gens qui médicalisent la paille de l’œil du voisin sans voir la poutre qui obscurcit le leur. Pas de lunettes pour Pedro ! Il préférait l’aveuglement.
Ce jour-là, il s’était levé et avait trouvé sa couche vide.
Il avait joué à l’homme inconsolable qui faisait semblant de chercher sa femme perdue de peur de la retrouver.
Dans la cuisine, personne, dans le reste de la maison, seule sa fille passée en coup de vent fouillait dans le placard de l’entrée à la recherche d’indispensables escarpins. Nullement inquiète, Luan, une paire de chaussures à la main, prenait discrètement la tangente, sachant très bien que son père lui demanderait…
— Dis donc, avant de partir, tu ne pourrais pas appeler ta mère ?
Le téléphone sonna dans la pièce d’à côté. Il était coincé entre deux coussins du canapé, à l’emplacement où Li l’avait laissé la veille, avant d’aller se coucher. Luan profita de ce léger temps mort pour se tirer après un discret « au revoir papa » énoncé suffisamment bas pour ne pas être entendu, mais suffisamment fort pour répondre à l’élémentaire courtoisie. La jeune femme était à la bourre. Elle devait rejoindre son copain, Julien1, l’homme de sa vie, croyait-elle, avant d’aller au resto Le dragon d’or, dont elle assurait maintenant seule la charge. Le soir, elle devait retrouver son père.
Curieux ! Li n’oubliait jamais son portable. Par acquit de conscience, Pedro sortit sur le pas de la porte. Dans la maison d’en face, en robe de chambre rose bonbon, Geneviève respirait le parfum des fleurs. Elle leva la tête.
— Déjà debout, Pedro ? T’es malade ?
— T’as pas vu Li ?
Non, elle n’avait pas vu Li, mais il était beaucoup trop tôt pour s’inquiéter. Du reste, pourquoi s’inquiéterait-il ? La matinée était longue, il fallait qu’il reprenne des forces pour affronter l’après-midi. Il partit se recoucher, le chat sur le ventre. Chacun veillait sur le sommeil de l’autre. Vers midi, Pedro ressentit une impression de vide. Celle de son estomac. Tout ce repos, ça donne faim ! Il avait presque oublié l’absence de sa femme, comme si rien de grave ne pouvait lui arriver.
Il inonda ses amis de coups de fil, fit le tour du quartier. Rien ! L’après-midi, toujours rien, le soir encore rien.
Julien tambourinait à la porte. Julien était un jeune sympa, désespérément lisse, parlant peu, ce qui en faisait un hôte particulièrement apprécié dans les repas de famille. Ses cheveux châtain clair, coupés courts, encadraient un visage banal qui conservait des traits poupins. Bref, un amour de gendre idéal pour celles ou ceux qui aiment ça.
Pedro, affalé dans le canapé, releva la tête.
— Entre, Julien, c’est ouvert et à l’heure qu’il est, c’est open-bar.
Dans la bouche du maître de maison, la notion « d’open-bar » s’appuyait sur un spectre horaire extrêmement large.
Julien semblait bouleversé. Sa face pâle virait au bistre et ses grands yeux bleus s’enfonçaient dans leurs orbites, au point de se fondre dans la masse grisâtre de derrière les fagots appelée cerveau par certains érudits, spécialistes en organes disparus. Trop énervé pour s’asseoir, il faisait le tour de la pièce en se tenant la tête.
— Luan a disparu !
Certains se réjouiraient de la disparition de leur femme ou compagne, Julien, non ! Après la mère, la fille. Une seule satisfaction dans cette triste situation, le sort semblait s’acharner sur les éléments féminins et cuivrés de la famille, épargnant pour l’instant les mâles blancs.
— J’ai retrouvé son sac à dos, son portable. J’ai téléphoné partout, personne ne l’a vue. J’ai fermé le restaurant, laissé Avotra près du téléphone en cas d’appel.
Julien finit par s’asseoir à côté de Pedro sur le canapé. Les deux hommes soupirèrent en se grattant le menton. Le chat Médor vint se lover entre les deux. Il ronronna sous les caresses de son humain plantigrade et néanmoins mammifère de compagnie.
— Si la mère et la fille ont disparu, on peut supposer qu’elles sont ensemble, non ?
La phrase de Pedro avait résonné comme une évidence. Julien reprit des couleurs comme si le malheur à deux était plus supportable que la lose solitaire. Il trouvait cependant que les emmerdements pleuvaient à grosses gouttes comme une mousson tropicale. D’abord, le coronavirus s’était abattu sur la planète comme, en son temps, la vérole sur le bas clergé, puis il y avait eu le confinement avec la fermeture du restaurant, puis le déconfinement et la reprise timide des affaires, ensuite le reconfinement light et toutes les mesures restrictives de l’activité humaine couvre-feu compris, et puis maintenant les deux femmes qui se faisaient la fille de l’air, en espérant qu’il ne s’agisse pas d’un accident grave, voire très grave.
L’attente était insupportable, surtout pour Julien. Pedro avait l’air beaucoup plus détendu.
Geneviève, la voisine d’en face, passa une tête à travers la fenêtre ouverte de la cuisine.
— Alors ?
Le plus difficile à gérer, pour les deux hommes, était les perpétuelles interrogations du monde alentour. « La fermer » était le concept le plus compliqué à comprendre pour ceux qui étaient animés par un sentiment humain maléfique : la curiosité mal placée suivie de sa sœur jumelle, l’accusation calomnieuse. Très utile pour dénoncer le Juif, le franc-maçon ou le chien errant au fronton des églises dans les années trente ou quarante, elle se bornait, de nos jours, à observer l’amant de la voisine sortant par la fenêtre des chiottes en fin de nuit. C’était, il fallait bien l’avouer, se complaire dans la médiocrité. Heureusement, le coronavirus avait remis à flot les guetteurs bien-pensants qui pistaient les malfaisants irrespectueux du couvre-feu. Comble de l’ignominie et de l’outrecuidance, ils pratiquaient leurs forfaits souvent sans masque. En d’autres temps, le bandit était masqué, aujourd’hui, il était nu-tête, marque du délitement d’une société honteusement permissive. Que fait la police ?
Geneviève avait décidé de ne pas la fermer. La parole était à la Geneviève ce que la graisse était au mécanicien, ou l’huile bouillante à la friture, la paire de douilles à l’électricien, l’encre à la plume, un élément indispensable et indissociable !
— Au fait, Pedro, il paraît que Tran est mort la semaine dernière ou un peu avant, peut-être. En tout cas, il est mort du coronavirus, je l’ai lu dans le journal.
Pour Geneviève, mais elle n’était pas la seule, de la page journalistique montait toujours un parfum de vérité.
Tran ?
Oui, Tran, le Réunionnais ancien amant de Li et père biologique de Luan. Il avait réapparu à La Rochelle dans une sombre histoire de pièces jaunes. Rien à voir avec la quincaillerie de la mère Chirac, mais des pièces en or plus ou moins véritable. Ce bon Pedro s’était mué en poinçonneur de métal précieux et avait mis bon ordre à l’embrouille, se payant même le luxe de cabosser Tran, afin de marquer son territoire. Comme dirait Descartes, « l’évidence est la marque de la vérité ». Luan n’avait évidemment qu’un père, lui, Pedro ! L’autre était un usurpateur, un simple spermatozoïde égaré. Plusieurs macchabées plus tard, le Chinois avait eu droit à un séjour tous frais payés dans une autre île rêvée des Français, mais plus proche que l’île Bourbon et couverte de pistes cyclables. L’île de Ré2.
Le pénitencier de Saint-Martin était sa nouvelle résidence. Il vivait pour quelques années encore dans une chambre à deux lits avec fenêtre sur cour. Son colocataire de geôle, un Colombien qui parlait à peine français, avait été embarqué pour trafic de drogue. Ils s’ignoraient l’un et l’autre. Pendant la promenade, Rico copinait avec le cartel des condamnés sud-américains, particulièrement fourni en tronches patibulaires et mines d’Incas. Sinchi Tetaclac et Mayta Aufondulac l’accompagnaient dans l’art de tourner en rond.
Tran était protégé des mauvais sévices du monde carcéral par l’argent de Saint Expédit, lui aussi réunionnais, son compagnon d’infortune dans l’aventure rochelaise. Ce dernier était un yab, petit Blanc des hauts dont la famille, après l’abrogation de l’esclavage, avait trouvé refuge dans les hauteurs de l’île, lui à Palmiste-Rouge près de Cilaos. Il avait fait fortune malhonnêtement dans l’import-export3. Saint Expédit faisait partie de ces gens sans âge, vieux alors qu’ils étaient jeunes, jeunes au bout de leur vie avec des cheveux blancs depuis l’adolescence.
Les deux hommes subissaient la lenteur du temps qui passe en pensant à leur île, celle de La Réunion ; le maloya, chant des esclaves d’Afrique de l’Est, mais aussi des malbars venus d’Inde et des ti blancs ; le rhum arrangé ou les cirques de Salazie, Mafate et Cilaos.
Ils avaient demandé un transfert pénitentiaire pour raisons familiales au centre de Saint-Denis, mais l’argent de Saint Expédit ne venait pas à bout de la lourdeur administrative enrichie par la mauvaise humeur innée du directeur interrégional, qui contrevenait ainsi aux dispositions contenues dans la loi pénitentiaire, celle du 24 novembre 2009 pour être précis. Il arguait que Tran n’avait pas de famille dans l’île Bourbon et que pour Saint Expédit, c’était pire, sa femme et ses enfants ne voulaient plus de lui. Donc les deux amis étaient condamnés à profiter des magnifiques fortifications de Vauban et du brouhaha lointain des touristes importés en long convoi routier dès le mois de juin.
Un beau matin, Tran s’était réveillé la tête dans le pâté, un peu mal à la gorge, rien de grave. Le lendemain, il avait commencé à tousser, à avoir des difficultés à respirer. Le surlendemain, il était anéanti de fatigue. Impossible de se lever, il avait des douleurs articulaires dans tout le corps, une fièvre de cheval et il crachait ses poumons. D’abord indifférent et un brin moqueur, son voisin de literie avait appelé la garde.
Depuis de longs mois, le maton de service passait une grande partie de sa vie d’homme libre à visionner les chaînes d’infos et les débats entre des médecins pas d’accord entre eux qui se crêpaient vertement le chignon sur l’autel de la science infaillible. Surinformé, surtout après la maladie du chef de l’État touché dans sa chair par le virus insensible à la hiérarchie démocratique entre le vil peuple et son dirigeant bien aimé, apeuré par la possible contagion d’un virus pandémique issu de la chauve-souris, ce vampire vecteur de nombreux fantasmes, il avait signalé la situation au médecin de garde. Dans un pénitencier, tout le monde est de garde, dans un bateau, tout le monde est sur le pont, dans un four, tout le monde est au moulin. Ce dernier avait appelé rapidement le SAMU. Aux urgences du centre hospitalier de La Rochelle, le diagnostic avait confirmé les soupçons du toubib de la prison. Comme quoi, un homme enfermé n’est pas toujours mauvais.
CORONAVIRUS.
Rapidement, le pauvre Tran avait été mis sous respirateur, puis intubé dans le service de réanimation. Il avait résisté encore quelques jours avant de céder sous les assauts de la maladie malgré l’administration, bien trop tardive, de la reine des médias et des raouts médicaux, la chloroquine.
Toujours est-il que le centre hospitalier et le centre pénitentiaire, tous deux établissements de santé, étaient bien embêtés par la présence de ce macchabée qui n’avait pas de famille… Sauf Luan, sa fille chromosomique. Le directeur de la prison avait contacté la jeune femme qui, en l’absence de volontés claires du défunt, avait opté pour l’incinération, histoire de se débarrasser définitivement de cet homme qui avait toujours refusé de la voir et de s’occuper d’elle. La fumée noire serait annonciatrice de délivrance définitive.
— Vous voulez récupérer ses affaires ?
— Surtout pas !
— Même la lettre qui vous est adressée ainsi qu’à votre mère ?
Le gardien avait sorti du panier contenant du linge sale et des chaussures usées, une enveloppe blanche où les noms de Li et de Luan étaient inscrits en lettres capitales.
— Bon, d’accord pour la lettre.
Elles avaient le papelard entre les mains. Les deux femmes et les quatre mains tournaient et retournaient la lettre sans la lire, à la fois méfiantes et curieuses, espérant peut-être des paroles de regrets, une reconnaissance tardive de sa fille, un acte d’amour. Après de longues secondes d’hésitation, elles y jetèrent un œil, puis deux, puis quatre. Pedro se tenait un peu en retrait, histoire de ne pas interférer dans une lecture qui ne le regardait pas. La lettre était datée du mois précédent.
« Yanluo Wang va s’abattre sur vous, ma pute de femme et ma salope de fille. Vous ne serez en sécurité nulle part et ce bâtard de Pedro ne pourra rien pour vous. »
Sympa, le testament ! La mère et la fille marquèrent un break, histoire de digérer les quelques mots. Elles tendirent la feuille de papier à Pedro.
— Fichtre, diantre, tudieu4, voilà qui est parlé ! C’est qui, ce Yanluo ? Un Chinois ancien copain à toi, revanchard et vengeur ?
Li fouilla dans ses souvenirs. Des souvenirs comme ceux-là n’apportaient rien de bon. Vivement Alzheimer pour retrouver une mémoire aussi vierge qu’un disque dur effacé !
— C’est le dieu de la mort, gardien des enfers. Comme toutes les divinités féroces, il n’a pas de temple en Chine, peut-être ailleurs, je n’en suis pas sûre. Il a trois assistants, la vieillesse, la maladie et la mort, bien entendu. Je n’en sais pas plus, ma mère m’en parlait parfois, surtout à la fin de sa vie. Tu vois, un mec pas fréquentable, ce Yanluo. Je n’en sais pas plus.
D’après les expériences passées, Tran n’était pas homme à menacer gratuitement, son sens du commerce lui interdisait l’absence de bénéfice. S’il avait écrit une telle lettre, c’était pour mettre sa menace à exécution et comme il était en prison, il avait dû confier la triste besogne à un complice en liberté, à moins qu’il ait projeté de s’évader, mais sans passer par la case enfer.
Les deux femmes étaient perplexes. Pedro décida alors de contacter son pote policier, le commandant Delait.
Le flic était sur un petit nuage depuis qu’il était tombé amoureux fou de la belle Séverine, employée chez un bijoutier rochelais5. Tout d’un coup, sa tête s’était débarrassée des idées négatives qui l’encombraient. Il pensait positif, même si son métier le maintenait dans un monde plutôt sombre. Une enquête abominable sur un cheval tué d’un coup de couteau par un ou une coupable, car la sauvagerie sordide n’a pas de sexe, l’amena à Périgny. Il en profita pour aller boire un verre chez Pedro. Devant le rhum, Li et Luan s’étaient emmêlé les pinceaux, histoire de faire corps face à l’adversité, les bras et les jambes, l’une contre l’autre sur le canapé.
— Il paraît que le cheval a eu une oreille coupée ?
— Ouais, et le veau de la ferme d’à côté aussi. Vous savez, cette ferme pédagogique qui a ouvert il n’y a pas longtemps à Saint-Rogatien, près de chez vous. Cette année, dans tout le pays, une quarantaine de canassons ont été mutilés ou tués. On n’a pas vraiment de piste. Les agressions ont touché toute la France, il s’agit donc de plusieurs voyous ou bandes de voyous. Des fanatiques, des fétichistes, des sectes ? Peut-être aussi les chevaux entre eux ou des attaques d’animaux sauvages.
Pedro sourit à l’évocation d’animaux sauvages, le tigre aux dents de sabre et le lion des cavernes ayant disparu depuis un certain temps de la Charente-Inférieure, mais sait-on jamais, comme dirait un complotiste de ses ennemis, pétri d’incertitudes, « on n’en a pas la preuve ».
Le policier annonça deux autres excellentes nouvelles, si l’on appelle excellentes les nouvelles qui amorcent une rupture avec un quotidien prévisible donc ennuyeux. Une oreille de Tran avait été coupée, post mortem et avant son incinération. C’était le directeur du pénitencier, seul présent à la cérémonie, qui s’en était aperçu. Li et Luan n’avaient pas voulu rendre un dernier hommage à cet homme qui ne méritait rien d’elles.
— Et ton autre excellente nouvelle ?
— Le gouvernement prépare encore une fermeture des bars et des restos à partir de vingt-deux heures. C’est bien connu, un virus devient agressif à partir de vingt-deux heures une, pas avant. Le couvre-feu n’est pas loin, c’est la prochaine étape. Le Président devrait faire une annonce à la télé lundi soir, au journal de vingt heures. C’est le préfet qui nous l’a dévoilé. Ton resto devra fermer.
En fait de surprise, ce n’en était pas vraiment une. Tout le monde savait que la progression de l’épidémie menait droit à cette décision et à bien d’autres, comme l’avenir le confirmerait.
En ce qui concernait ses investigations, Delait ne voyait pas très bien le rapport entre l’oreille droite de Tran, l’oreille gauche du cheval et celle du veau : une aversion phobique des pavillons auriculaires ? Un vieux compte à régler entre lui et l’ouïe ?