Henriette et Henri - Alain Bongard - E-Book

Henriette et Henri E-Book

Alain Bongard

0,0

Beschreibung

1940. La guerre sévit en France et en Allemagne. Pour protéger les citoyens, certaines mesures sont prises par les autorités. Henriette, enseignante à Paris, est affectée en Normandie avec ses élèves et son fils. Là-bas, elle fait la rencontre d’Henri, un jeune marin, également en déplacement à cause de la guerre. Très vite, les deux tourtereaux deviennent inséparables. Seulement, Henri est capturé par l’armée allemande. Qu’adviendra-t-il de leur amour ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Passion tardive ou enfouie, c’est depuis 2001, après sa retraite, qu’ Alain Bongard couche ses souvenirs et ses nombreuses expériences sur du papier. Généralement inspiré par ses nombreux voyages, Henriette et Henri trouve son origine ailleurs ; l'ouvrage n’est autre que la version romancée de la rencontre de ses parents en 1940.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 173

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Alain Bongard

Henriette et Henri

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alain Bongard

ISBN : 979-10-377-9239-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Les souvenirs, évoqués par mes parents, ont servi de trame de fond à ce récit.

Si les lieux sont véridiques, le déroulement de la guerre également, les détails de cette histoire sont fictifs. Mais il y a bien eu un groupe d’enfants avec leurs institutrices à Ver-sur-Mer en 1940. Les personnages sont de ma création, mais je crois qu’il y a sûrement eu dans la réalité des gens qui leur correspondent.

Chapitre I

La déclaration de guerre de la France à l’Allemagne, à la suite de l’invasion de la Pologne par l’armée allemande, entraîna la mobilisation de toute une tranche importante de la jeunesse française, et Henri en faisait partie. Il ne fut pas surpris quand deux gendarmes se présentèrent à l’imprimerie où il travaillait et lui remirent une convocation pour rejoindre l’armée. Ne l’ayant pas trouvé chez lui, car il était parti comme chaque matin de très bonne heure, ils avaient obtenu l’adresse de son atelier auprès de la concierge, et comme c’était tout près, s’y étaient rendus directement.

Il n’était pas le seul à partir. La moitié de ses collègues avait reçu la même convocation. Ils n’étaient venus à l’atelier que pour dire à leur patron qu’ils ne pourraient plus travailler, qu’ils étaient mobilisés et qu’ils devaient se rendre immédiatement dans divers centres militaires de la région parisienne.

Henri avait fait son service militaire dans la marine et avait terminé son temps aux services météorologiques de Toulon. Il s’attendait à repartir pour Toulon, mais sa convocation lui demandait de se rendre à Vincennes dans les vingt-quatre heures.

Il alla voir son patron et lui dit qu’il ne pouvait pas rester et qu’il ne rentrerait pas le lendemain. Celui-ci avait eu la visite des autres conscrits et il ne fut pas surpris.

Il y en aura d’autres dans pas longtemps, dit-il, même ceux qui sont un peu plus vieux que toi vont partir eux aussi. Je ne sais pas comment je vais pouvoir continuer à faire fonctionner mon imprimerie si tout le monde s’en va.

Il lui serra la main et lui souhaita bonne chance.

Henri passa voir son père qui avait un atelier rue des Vinaigriers, dans le quartier des imprimeurs, pas très loin de l’endroit où il travaillait.

Son père le serra dans ses bras.

Je dois partir demain, dit Henri. Je ne sais pas où je serai affecté. J’aimerais bien retourner aux services météo de Toulon, mais comme en ce moment la flotte française se met sur le pied de guerre, je ne serais pas surpris d’avoir à rejoindre un bateau, après tout je suis un marin.

Quand j’ai appris qu’on avait déclaré la guerre à l’Allemagne, lui dit son père, je me suis douté que tu serais appelé dès les premiers jours. Heureusement, ton frère est trop jeune pour partir. Je vais l’envoyer à Lyon chez son parrain. Garde ton appartement. Je continuerai à payer ton loyer. Quand tu le sauras, dis-moi où tu es affecté.

Hier, ajouta-t-il, j’ai rencontré ta femme. Elle m’a dit qu’elle avait reçu les papiers pour votre divorce. Elle ne s’y oppose pas et elle te souhaite bonne chance.

Moi, je vais rester à Paris. J’ai encore un peu de travail et je suis mieux ici qu’à la maison où je n’ai rien à faire. Dans mon atelier, il n’y a qu’un homme et il a quarante-cinq ans, donc il ne partira pas tout de suite. Il a échappé à la Première Guerre et avec un peu de chance il pourrait éviter celle-là. Le reste de mon équipe va continuer à venir travailler.

Henri embrassa Antoinette et Mélanie, les ouvrières de son père, qu’il connaissait depuis et qui lui souhaitèrent bonne chance.

Henri rentra chez lui. Après sa séparation, il était resté dans l’appartement qu’il avait loué avec sa femme. C’était un joli deux pièces dans un immeuble moderne. Il aimait bien ce quartier, près de la gare de l’Est et près de son travail. Claudette, son épouse, elle ne l’aimait pas. C’était l’une des causes de leur séparation, mais pas la seule. Elle était retournée dans sa banlieue, près de chez ses parents et du cabinet d’avocat où elle travaillait.

Ce soir, il n’avait pas envie de rester chez lui. Il sortit sa moto, vérifia qu’il lui restait un peu d’essence et partit pour Le Raincy retrouver ses copains.

Quand il arriva chez Bernard, ses parents venaient de recevoir la convocation de leur fils et l’ambiance n’était pas joyeuse. Officier de réserve, avec le grade de sous-lieutenant, il devait partir immédiatement rejoindre un régiment installé dans l’est.

Je suis mobilisé moi aussi, dit Henri, je ne sais pas encore où ils vont m’envoyer.

Moi je sais où je dois aller, dit Bernard. Mon régiment est installé à la frontière avec l’Allemagne. Je pars ce soir, mes parents me conduisent à la gare de l’Est.

Ils se souhaitèrent bonne chance. Henri se dit qu’il était bien possible que ses autres copains aient eux aussi reçu leur convocation et soient en train de préparer leur départ. Il décida qu’il valait mieux qu’il rentre chez lui. Le réservoir de sa moto était presque à sec, et il n’était pas sûr de pouvoir trouver de l’essence ce soir. Il la rangea dans le garage de l’immeuble en se demandant quand il pourrait s’en servir à nouveau.

Un des restaurants près de la gare offrait encore une choucroute acceptable et il se laissa tenter malgré le prix un peu excessif. Il se dit qu’il n’aurait peut-être plus l’occasion de faire un bon repas avant longtemps.

Le lendemain matin, il fit sa valise et se rendit au fort de Vincennes où des centaines de jeunes appelés étaient reçus comme lui.

Un bureau s’occupait uniquement des marins et ils n’étaient pas nombreux à attendre. Quand ce fut son tour, il présenta son livret militaire. Le sous-officier qui le reçut consulta ses dossiers.

Vous devez partir pour Brest immédiatement, lui dit-il, là-bas ils vous donneront votre uniforme, et ils vous diront où vous êtes affecté.

Il lui donna un bon de transport pour prendre le train pour Brest.

Il se rendit à la gare Montparnasse, présenta son bon et fut dirigé vers un train qui s’apprêtait à partir. Le train était bondé, plein de femmes et d’enfants, mais aussi de jeunes gens avec une valise qui, comme lui, allaient rejoindre le centre où ils étaient affectés.

Il dut faire une partie du voyage dans le couloir, assis sur sa valise. Après quelques heures, la moitié des passagers était descendue, Brest se trouvant être le terminus, il put finir le voyage sur une banquette de 1re classe beaucoup plus confortable.

En arrivant à Brest, il faisait nuit. Deux fusiliers marins et un sous-officier accueillaient ceux qui arrivaient. Ils vérifièrent le bon qu’on lui avait donné et son livret militaire, et lui dirent d’embarquer avec une dizaine d’autres, appelés, dans un camion qui devait l’emmener dans une caserne en dehors de la ville.

C’étaient tous des marins. Certains venaient de terminer leur service militaire et n’avaient même pas eu le temps de profiter un peu de la vie civile. Ils s’attendaient tous à retourner sur le bateau dans lequel ils étaient auparavant.

Une heure se passa avant qu’un chauffeur les emmène au port d’où partaient des navettes pour rejoindre les navires à l’ancre dans la baie. Il resta le dernier. On le conduisit dans une caserne où on examina ses papiers et on l’envoya dans un dortoir pour y passer la nuit en lui disant qu’il était trop tard pour s’occuper de lui maintenant, mais qu’il devait se présenter le lendemain dans ce même bureau.

Il n’avait pas mangé, mais rien n’était disponible et il dut se coucher le ventre vide.

Réveillé par une sonnerie de clairon, après une toilette sommaire à l’eau froide, et un déjeuner frugal, il fut dirigé vers un bureau où il présenta son livret militaire.

On lui demanda sur quel bateau il avait fait son service militaire et il répondit qu’il avait servi dans les services météorologiques d’abord à Mers el Kébir, où il avait fait ses classes, puis à Toulon où il était resté jusqu’à sa libération.

On lui dit d’aller se mettre en uniforme puis de revenir après le déjeuner pour avoir une affection.

Il retrouva son uniforme de marin et tout ce qui constituait son trousseau qu’il mit dans le gros sac qu’on lui remit. Il fit un paquet de ses vêtements civils qu’il mit dans sa valise.

La nourriture de la cantine de la caserne était plutôt bonne et abondante et ne semblait pas connaître les restrictions de Paris.

Il retourna au bureau.

L’officier l’accueillit en riant.

Tu ressembles davantage à un marin maintenant, dit-il. Comme tu n’as pratiquement pas servi sur un bateau, je ne t’affecte pas à un navire de la flotte.

Il fit une pause et feuilleta les papiers qui étaient devant lui.

J’ai quelque chose d’intéressant à te proposer. Nous avons reçu des directives pour la surveillance et l’entretien des phares. Je t’envoie en Normandie, t’occuper du phare de Ver-sur-Mer. Tu auras le grade de quartier-maître, tel que proposé par le chef du centre météo de Toulon. Ça m’arrange, car ça fait de toi la personne responsable du groupe qui sera affecté à cette tâche. Il y a actuellement du personnel civil à ce phare. Il restera, mais il sera sous ton autorité. Il continuera à s’occuper du feu toutes les nuits, tu n’auras pas à le faire. Il va recevoir des directives dans ce sens.

À Toulon, tu faisais partie des services météorologiques, ajouta-t-il. Cela aussi fait notre affaire. Tu auras également à faire des relevés que tu feras parvenir deux fois par jour aux services météorologiques de Brest. Tu emporteras, quand tu partiras, du matériel pour cela. Tu auras sous tes ordres cinq ou six marins du contingent. Tu seras leur supérieur. Fais-les travailler. Vous allez recevoir une liste de travaux à faire sur ce phare. Vous emporterez le matériel nécessaire.

Enfin, vous devrez vous débrouiller pour préparer vos repas. On vous livrera régulièrement un approvisionnement de base pour toi et ton équipe. Vous aurez aussi droit à des bons de réquisition pour ce dont vous aurez besoin. Tâche de trouver dans ton groupe un volontaire pour assurer les repas.

As-tu des questions ?

Aurons-nous des armes ?

Tu auras un revolver et vous emporterez un fusil-mitrailleur. Chaque marin arrivera avec un fusil. Mais je ne pense pas que vous aurez à vous en servir.

Quand est-ce que je pars ?

Attends qu’on ait prévenu l’actuel gardien du phare et qu’on ait réuni le matériel nécessaire. Il est bien possible que tu partes d’ici en même temps que les appelés qui seront avec toi. Attends mon signal. En attendant, tu es en quartier libre. Tu peux t’installer dans une des chambres réservées aux sous-officiers. Viens ici chaque matin pour recevoir tes tâches pour la journée. Pour l’instant, tu n’as rien de prévu. Visite Brest et ne te fais pas arrêter par la police militaire.

Il s’installa dans l’une des chambres qu’on lui avait proposées, mit sur son uniforme ses galons de quartier-maître et sortit de la caserne. Un bus l’emmena au centre-ville. Il était déjà venu à Brest, mais ne connaissait pas bien la ville. Tout semblait normal. Les cafés de la rue de Siam étaient pleins de marins. Les gens déambulaient comme si la guerre ne les concernait pas.

Quand la nuit tomba sur la ville, les consignes de black-out n’étaient pas appliquées, et même si les rues n’étaient pas très éclairées, ce n’était pas la noirceur.

Il trouva un petit restaurant où il put manger du crabe et des huîtres avant de rentrer à la caserne.

Les jours suivants, il n’eut rien de particulier à faire. Chaque matin, après le déjeuner, il se présentait au bureau du commandement et on lui disait de revenir le lendemain. Dans la cour, les jeunes appelés faisaient de l’exercice et apprenaient à obéir aux ordres, mais lui en était dispensé.

Cela dura deux semaines.

Un matin, l’officier responsable lui dit qu’il devait rencontrer les six marins qui partiraient avec lui. Dans la cour, après l’appel, il nomma six noms et leur dit de se présenter au bureau.

C’étaient des gamins qui venaient de terminer leurs classes et qui avaient commencé leur service militaire en juillet. C’était tous des Bretons. On leur annonça qu’ils étaient chargés de remettre en état le phare de Ver-sur-Mer, en Normandie. Ils avaient quatre jours de permission pour bonne conduite et à leur retour ils partiraient sous la direction du quartier-maître Bonard.

Pour lui, cela faisait quatre jours de plus à passer à Brest.

Il avait suivi à la radio, la courte guerre de Pologne et la capitulation de celle-ci, mais rien d’autre ne semblait se passer. De temps en temps, il pouvait voir dans le ciel des avions anglais qui les survolaient, mais c’était tout.

Quatre jours plus tard, les six matelots étaient de retour. Ils s’appelaient Yann Legoff, Louis Le Bouler, Yves Moisan, Tristan Le Priol, Tanguy Jego et Jean-Marie Le Bihan. Ils étaient tous bretons, tous fils de pêcheurs, mais pas tous originaires de la même région de Bretagne. Yves et Tanguy communiquaient entre eux en breton, mais les autres ne les comprenaient pas. Ils étaient un peu étonnés que leur quartier-maître soit un Parisien, mais ils l’acceptèrent facilement surtout quand il leur dit que sa mère était bretonne. Un camion allait les emmener à Ver-sur-Mer. Il fallait le charger avec de la peinture et du ciment. Il avait été prévu de faire un arrêt à Rennes pour prendre le matériel pour faire les relevés météorologiques et une nouvelle radio à onde courte pour communiquer avec Brest.

Avant de partir, l’officier qu’Henri avait rencontré en arrivant lui donna les directives prévues pour leur installation au phare de Ver-sur-Mer et lui remit une magnifique paire de jumelles de marine.

Première tâche, dit-il, vous allez repeindre le phare. Une sorte de camouflage. Vous recevrez un modèle de ce qu’on attend et vous emporterez la peinture nécessaire. Deuxième tâche, vous construirez autour du phare des défenses, qui le rendrait plus difficile à prendre et vous permettrait de résister s’il était attaqué. Troisième tâche, surveillez les déplacements des personnes étrangères à la localité où vous êtes installés. On a parlé d’une cinquième colonne qui espionne nos côtes et qui pourrait prendre possession du phare. Vous installez un poste de guet sur la route qui mène à Vers-sur-Mer. Quatrième tâche, fit-il en riant, ne prenez pas trop au sérieux les trois premières tâches, mais restez en contact radio avec nous en permanence au cas où ce serait nécessaire. Commencez quand même votre peinture de camouflage, cela occupera vos hommes.

Sept heures plus tard, ils arrivèrent à Ver-sur-Mer et s’installèrent dans le phare. Les gardiens habituels, Paul Blanchet et Jean Chevalier les attendaient. C’étaient deux hommes de plus de soixante ans, originaires de la région. Ils se relayaient depuis plus de trente ans pour faire fonctionner le phare. Paul avait eu son heure de gloire quand il avait accueilli le commandant Byrd et l’équipage de l’América, un avion qui, en 1927, voulait traverser l’Atlantique depuis New York en créant la première liaison postale entre les États-Unis et la France. L’avion avait fait un amerrissage forcé devant Ver-sur-Mer après une traversée mouvementée de l’Atlantique et une arrivée en pleine tempête.

Henri leur rappela qu’ils étaient toujours en charge du phare et que lui et ses hommes n’avaient pas à s’occuper du fonctionnement du feu, sauf s’il recevait des directives dans ce sens. Cependant, ils allaient s’y installer et ils devaient quitter les lieux. Ils laissèrent la place aux jeunes marins et s’installèrent dans le village dont ils devinrent des habitués permanents du bistro local.

Ils devaient quand même venir au phare tous les soirs pour l’allumer, rester en haut toute la nuit pour surveiller son bon fonctionnement et l’éteindre tous les matins.

On installa la radio et on vérifia que la liaison avec Brest fonctionnait bien. Henri distribua les tâches. Yves se porta volontaire pour préparer les repas ; il travaillait déjà dans un restaurant de Lorient. Cela le dispensa de la corvée de peinture et de la garde de jour, mais pas du temps d’écoute de la radio ni de la garde de nuit qu’il prendrait de neuf heures à minuit tous les jours. Les autres devaient monter la garde à tour de rôle, de jour comme de nuit. La garde se faisait dans le phare et il fallait monter jusqu’en haut pour relever celui qu’il remplaçait. Henri qui se réveillait tôt annonça qu’il assurerait le tour de garde de six heures du matin. Son grade aurait pu le dispenser de le faire. Son initiative fut appréciée de ses matelots.

Les six Bretons s’installèrent dans la grande salle qui servit de dortoir et de salle commune, et Henri occupa la chambre du gardien.

Il ne jugea pas nécessaire de poster quelqu’un sur la route qui menait au village, mais il organisa la patrouille d’intervention armée, qui pouvait aller contrôler des personnes étrangères si celui qui était de garde en signalait l’arrivée.

Le camion, qui les avait amenés, revint le lendemain avec l’approvisionnement nécessaire pour une semaine. Yves alla voir le boulanger du village et échangea la farine qu’on lui avait apportée pour du pain frais qui leur sera livré tous les deux jours.

Et la vie s’organisa comme ça. Henri avait dispensé les six Bretons de l’appeler par son grade et son nom de famille et tout le monde s’appelait par son prénom et se tutoyait, mais personne ne discutait les directives qu’Henri donnait, ni les tâches, ni le tableau des tours de garde qu’ils devaient faire, en haut du phare, la nuit en compagnie du gardien.

On fit un peu de peinture et on construisit un muret autour du bâtiment et cela termina les travaux prévus. Après quelques jours, ils furent bien connus du village, mais on les évitait un peu. On leur permit de jouer au foot avec les garçons, mais les filles qu’ils auraient bien aimé rencontrer restaient dans leur maison, surveillées par leur mère.

Au phare, une génératrice au mazout fournissait l’électricité pour son éclairage et surtout pour le feu et la rotation des lentilles qui tournaient toute la nuit. C’était la responsabilité de monsieur Blanchet et de monsieur Chevalier qui passaient la nuit dans le phare et qui rentraient chez eux le matin.

Henri n’avait pas à intervenir dans leurs activités, sauf si cela ne fonctionnait pas convenablement ou s’il en recevait l’ordre.

*

La guerre ne progressait pas et semblait les avoir oubliés.

*

À Noël, Henri permit à la moitié de ses matelots de rentrer chez eux pour quelques jours, et à leur retour aux trois autres de faire la même chose.

Il aurait bien aimé passer Noël chez ses parents, mais il jugea qu’il valait mieux qu’il reste au phare.

Le maire du village l’invita à déjeuner chez lui le jour de Noël. Ce fut très agréable et très familial.

Le 31 décembre, ils étaient tous au phare pour fêter le jour de l’an avec lui. Yves avait rapporté des gâteaux bretons et préparé un repas spécial bien arrosé. Dans la salle commune, le poêle diffusait une bonne chaleur. Ils avaient invité pour la circonstance Paul et Jean, les deux gardiens du phare, qui se relayaient pour surveiller son fonctionnement. Ils avaient apporté pour terminer le repas, le calvados local qui fut bien apprécié et déclencha des chansons grivoises reprises par tous les marins.

À minuit, tout le monde se souhaita la bonne année et on fit le vœu que la guerre finisse le plus tôt possible.

Yann avait remplacé Yves pour la garde. Henri, qui ne voulait pas gâcher la fête à la fin du repas, monta en haut du phare pour le remplacer. Enroulé dans une couverture, il attendit le lever du soleil. Il ne faisait pas chaud. Toute la France gelait et ici il ne faisait pas plus qu’un ou deux degrés. Il eut une pensée pour tous ces gens privés de chauffage, tous ces soldats, loin de chez eux en train de geler par des températures extrêmement basses.

Il trouvait qu’ils étaient privilégiés et avaient bien de la chance.

*