Kazuko - Alain Bongard - E-Book

Kazuko E-Book

Alain Bongard

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Beschreibung

Kazuko fait suite à Sayonara. Jean, un Canadien récemment éprouvé par une expérience douloureuse, se rend au Japon pour rencontrer Kazuko. Yumiko, une amie commune, orchestre ce rendez-vous en vue d'un mariage qui permettra à Kazuko de s’exiler au Canada. Ce voyage sera-t-il la clé de Jean vers sa reconstruction ? Au-delà des apparences, quelles vérités obscures se cachent derrière le besoin pressant de Kazuko de quitter son pays natal ?

À PROPOS DE L'AUTEUR 

S’inspirant de ses nombreux périples, particulièrement au Japon, Alain Bongard immortalise, par l’écriture, les souvenirs et les expériences riches vécus lors de ces voyages. Il est l'auteur de deux romans, Henriette et Henri et Sayonara, parus respectivement en 2022 et 2024 chez Le Lys Bleu Éditions..

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Alain Bongard

Kazuko

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alain Bongard

ISBN : 979-10-422-3836-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Romans

‒ Henriette et Henri, Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;

‒ Sayonara, Le Lys Bleu Éditions, 2023.

Chapitre I

En se réveillant ce matin-là, Kazuko réalisa que l’avion de Jean, l’ami canadien de Yumiko qu’elle devait recevoir, allait atterrir dans la soirée. Heureusement, elle ne lui avait pas demandé de l’accueillir à l’aéroport de Narita, car elle avait encore mille choses à penser, mille choses à préparer, mille choses à faire. Comme son avion atterrissait tard, il avait été convenu qu’il descendrait dans un hôtel en ville et l’appellerait le lendemain matin.

Les difficultés qu’elle rencontrait ces jours-ci lui faisaient peur. Quitter le Japon lui semblait la bonne solution. La proposition de Yumiko d’épouser ce Canadien arrivait tout à fait au bon moment. Elle lui offrait l’opportunité de quitter le Japon et de s’installer dans un autre pays. Elle pourrait émigrer au Canada comme Yumiko l’avait fait quelques années auparavant, et obtenir son visa en épousant son visiteur. Elle avait très peu d’informations sur lui, mais Yumiko lui avait écrit qu’il était ouvert à la possibilité de l’épouser et de l’accueillir au Canada, ce qui faisait tout à fait son affaire. Montréal était une ville agréable. Elle y avait déjà passé quelques semaines pendant lesquelles elle avait fait la connaissance de Yumiko quelques années auparavant. Si cet homme lui plaisait, elle pourrait vivre avec lui quelques semaines, au moins le temps nécessaire pour légaliser sa présence au Canada. Cela lui donnerait également le temps de démarrer un nouveau business et de voler de ses propres ailes.

Sa vie avait toujours été une longue aventure provenant de sa révolte permanente du modèle imposé par ses parents. Kazuko n’était pas du tout la petite fille japonaise modèle telle qu’on imagine. Indisciplinée à l’école à Sendai où elle vivait avec ses parents, ils l’avaient envoyée finir ses études en pension à Tokyo. Elle en était partie dès qu’elle avait pu et avait vécu par la suite une vie assez dissolue en travaillant comme entraîneuse dans différents bars. Elle avait collectionné les amants dont elle se débarrassait après des liaisons assez courtes. Elle avait vécu comme cela pendant quelques années. Avec le temps, ses liaisons duraient un peu plus longtemps et finalement elle était devenue la maîtresse de l’un d’entre eux, un gentil garçon d’origine coréenne, qui l’avait sortie de son travail d’entraîneuse et l’avait installée dans un appartement confortable où il venait régulièrement la voir et subvenait à ses besoins. Quand elle était tombée enceinte, il lui avait proposé de l’épouser. Elle avait accepté. Cela avait permis une demi-réconciliation avec ses parents qui avaient accepté de participer à la cérémonie du mariage, malgré leurs préjugés. Elle avait été très bien acceptée par la famille de son mari, et avait commencé à lier de solides liens d’amitié avec le grand-père de son mari et chef de famille, monsieur Choi.

Cela avait duré deux ans. Mais cette vie de femme au foyer ne lui convenait pas et au grand dam de ses parents, elle avait divorcé. Elle voulait être libre et leur avait demandé de s’occuper de son enfant. Ils avaient accepté, contraints et forcés, mais aussi pour que l’enfant ne soit pas recueilli par la famille coréenne.

Elle avait repris sa vie d’aventure, travaillant comme entraîneuse dans différents bars. Un jour, un client violent l’avait agressée. Elle s’était défendue et l’avait blessé assez grièvement. Arrêtée par la police, elle avait été libérée sur l’intervention de monsieur Choi qui avait tout arrangé. Il avait organisé son départ pour la France où elle avait été reçue comme étudiante. Il l’avait inscrite dans plusieurs écoles et par respect pour son protecteur, elle avait suivi les cours où il l’avait inscrite, y trouvant même un certain plaisir. Elle avait en particulier suivi des cours de cuisine et de dessin de mode, et s’était découvert un certain talent dans ces domaines.

Au bout d’un an, elle dut rentrer au Japon. Monsieur Choi, qui avait payé toutes ses dépenses en France, continua à s’occuper d’elle. Il lui trouva cet appartement à Roppongi. Elle travailla comme entraîneuse pendant un petit moment, mais elle eut l’idée de cette entreprise d’uniformes et en parla alors à monsieur Choi. Il trouva l’idée excellente et l’aida à l’organiser. Il lui trouva les contacts nécessaires et les clients. Ce fut un succès immédiat grâce à son aide. Son entreprise grossit rapidement et elle gérait maintenant une petite affaire prospère qui employait une dizaine d’employés à qui elle fournissait du travail régulièrement. Elle aimait beaucoup ce rôle de patron et un de ses grands plaisirs était d’entrer dans l’atelier et d’entendre le salut respectueux des gens qui travaillaient là.

Elle créait des uniformes pour toutes sortes de commerce, mais surtout pour des restaurants. Elle faisait un dessin en suivant les recommandations de ses clients. Dessiner ces uniformes était une activité qui l’avait amusée au début et qui maintenant l’ennuyait profondément. Elle préférait s’occuper de la gestion de son entreprise. Même si elle était capable de le faire, elle avait préféré confier ce travail à une styliste qui travaillait dans le petit atelier de haute couture et qui lui fournissait rapidement des croquis, généralement très satisfaisants. Dans cet atelier, une fois le croquis accepté, les deux couturières de l’atelier créaient le premier exemplaire que Kazuko présentait à ses clients. Ils lui demandaient parfois de petites modifications, mais c’était rare. Elle envoyait sa commande détaillée et précise à un atelier en Corée où les couturières locales n’avaient aucun mal à reproduire cet uniforme dans toutes les tailles demandées. Elles le faisaient rapidement, et à un prix modique. Parfois, il s’agissait d’une petite commande pour seulement quelques employés, et parfois, c’était une grosse commande avec plusieurs modèles différents. Le même modèle était renouvelé régulièrement. Même s’ils étaient de bonne qualité, les uniformes s’usaient assez rapidement, et la plupart des patrons tenaient à ce que leurs employés soient impeccables, ce qui entraînait des remplacements fréquents. Souvent, Kazuko proposait à ses clients de nouveaux uniformes. La plupart du temps, ils acceptaient. En effet, ce changement était une bonne opération, déclenchant toujours un chiffre d’affaires plus important. Les changer tous, d’un seul coup, était pour elle un revenu supplémentaire appréciable.

À un moment, monsieur Choi lui proposa d’ajouter l’importation illégale de produits qu’elle aurait à distribuer à certains de ses clients et qui pourrait lui rapporter gros. Elle accepta quand il lui dit que ce n’était pas de la drogue. Les profits de son commerce d’uniformes se complétaient donc par les gains issus de l’importation clandestine de marchandises venues de Corée qu’elle distribuait à quelques-uns des restaurants pour lesquels elle confectionnait des uniformes. C’était la partie la plus lucrative de son commerce, mais aussi celle qui lui donnait le plus de travail et qui pimentait son existence. Un certain risque ne lui déplaisait pas. Les uniformes lui étaient livrés dans de grosses caisses qui pouvaient en contenir une vingtaine. En plus des uniformes, quelques caisses contenaient des petites boîtes blanches qu’elle devait récupérer à leur arrivée, en s’assurant que les clients les reçoivent discrètement. La plupart du temps, elle les leur apportait elle-même. Elles avaient toujours la même forme, la même taille et le même poids. Ces petites boîtes valaient assez cher et généralement, les clients les lui payaient quelques jours après les avoir reçues. Elle allait manger chez eux et en partant, le patron lui remettait l’enveloppe contenant le paiement attendu. Au début, les uniformes avaient constitué pour ces restaurants la façade qui justifiait les rapports entretenus avec elle. Comme leur chiffre d’affaires s’était amélioré depuis qu’ils avaient adopté l’utilisation de ces uniformes, et qu’un bon bénéfice se dégageait de la vente du contenu des petites boîtes apportées par Kazuko, elle ne rencontrait aucune difficulté à garder sa clientèle et à faire renouveler les uniformes quand elle le leur proposait.

Récemment, un certain nombre de complications inquiétantes avaient surgi et Kazuko devait trouver une solution à chacune d’elles. Quelques jours auparavant, les services des douanes, accompagnés de la police, étaient venus dans l’atelier qu’elle dirigeait pour inspecter les boîtes d’uniformes provenant de Corée. Ils étaient revenus le lendemain avec des chiens qui avaient reniflé partout et seul le hasard avait fait qu’ils n’avaient rien trouvé. Mais elle était sûre qu’ils reviendraient. Cela ne lui plaisait pas du tout. Elle était persuadée que ces petites boîtes étaient la cause de cette intrusion dans son atelier, et même si cette activité était très lucrative, trop de gens étaient impliqués pour qu’elle se sente à l’abri. Elle n’avait pas envie de passer les prochaines années en prison. Comme si un seul problème ne suffisait pas, elle avait eu récemment du mal à se faire payer par certains de ses clients, des propriétaires de restaurant, ce qui était nouveau et surprenant. Il était possible qu’ils n’aient pas eu le temps de négocier le contenu des suppléments venus de Corée, mais elle se doutait qu’il y avait autre chose. Certains lui avaient parlé de yakusas1 qui voulaient contrôler leur commerce, ce qui rendait tout plus difficile. Ils attendaient qu’elle fasse quelque chose avec l’aide de ses protecteurs.

Elle ne voyait pas d’autre solution à long terme à ces deux problèmes que de tout abandonner et quitter le Japon.

Son séjour en France, quelques années auparavant, lui avait bien plu et elle avait très envie de partir à nouveau. Elle n’avait pas pu y rester à cause de son visa. Elle savait maintenant que la meilleure solution pour s’installer dans les pays qui lui plaisaient était de se marier avec l’un de ses ressortissants. Si elle voulait démarrer quelque chose ailleurs, après son départ du Japon, il lui fallait ramasser tout l’argent qu’on lui devait.

Elle se prépara rapidement et sortit déjeuner dans un petit restaurant près de la maison. C’était un endroit discret, dans une ruelle derrière chez elle. Il était tout petit et n’était fréquenté que par quelques habitués. La foule qui traînait dans les rues de Roppongi2 ne recherchait pas ce genre de restaurant et préférait les endroits à la mode ou les clubs privés qui pullulaient dans ce quartier. Elle y prenait toujours ses déjeuners. Il appartenait à monsieur Choi qui l’avait acheté un peu pour elle. Tadashi, qui s’en occupait, était devenu avec le temps un ami et un confident. Il était le seul employé du restaurant. Il y faisait tout, y compris la cuisine. Il vivait et dormait à l’arrière du restaurant qui restait ouvert tous les jours. Il faisait une bonne cuisine et savait préparer pour Kazuko ce qu’elle lui demandait. Elle y prenait surtout ses déjeuners, très japonais, très traditionnels, à base de riz, de soupe, de poisson, de condiments et de petites prunes salées. C’était aussi, en quelque sorte, son bureau. Elle y donnait souvent rendez-vous et y avait fait installer une deuxième ligne de téléphone d’où elle passait la plupart de ses appels. Ses relations d’affaires ne connaissaient pas son numéro de téléphone à la maison et appelaient toujours au restaurant où Tadashi faisait office de secrétaire.

Son déjeuner pris, elle prépara avec soin ses rendez-vous de la journée. Elle était pressée et avait besoin de quelqu’un pour l’aider à récupérer l’argent qu’on lui devait ; quelqu’un qui mette un peu de pression sur les propriétaires qui se faisaient tirer l’oreille. Elle espérait que Taro, qui avait été son amant à son retour de France, et avec qui elle couchait encore occasionnellement, pourrait donner les ordres nécessaires pour que tout se passe bien. Il possédait plusieurs bars dans Tokyo et était à la tête d’une petite bande qui protégeait un certain nombre de commerces. Elle décida de l’appeler pour lui demander de l’aide. Elle connaissait tous les endroits où il pouvait être, mais elle dut passer plusieurs appels avant de le joindre chez sa maîtresse officielle. Heureusement, elle n’avait pas eu à téléphoner chez lui où il n’était presque jamais. Il lui donna rendez-vous dans la soirée dans un bar qui lui appartenait à Shinjuku. Se retrouver dans un bar avait l’avantage pour elle de ne pas devoir subir ses assauts potentiels comme cela arrivait bien souvent. Ce n’était pas que c’était désagréable en soi, mais Taro n’était pas très doué et avait tendance à la laisser sur sa faim alors qu’elle devait lui faire croire qu’il était non seulement son seul amant, mais en plus, un amant magnifique, ce qui n’était pas le cas.

Elle appela ensuite Daisuke, son employé et homme de confiance, qui devait assurer la livraison d’uniformes reçus quelques jours auparavant. Elle avait récupéré les petits suppléments que ses correspondants coréens avaient placés dans une des boîtes et il pouvait donc procéder à présent à leur distribution. Elle n’avait jamais su ce que contenaient ces boîtes et ne voulait pas le savoir.

Elle appela Yumiko à Montréal. Elle savait que cette dernière ne se couchait pas de bonne heure et que malgré le décalage horaire, elle ne la réveillerait pas. Yumiko lui confirma que Jean était parti la veille et qu’il arriverait dans la soirée. Elle avait envie de lui demander si c’était un bon amant, mais une sorte de pudeur la retint. Elle se dit qu’elle verrait bien par elle-même. Elles discutèrent un bon moment, évoquant leurs projets respectifs. Kazuko lui promit de ne pas trop faire souffrir Jean pendant son séjour, et elle comprit que Yumiko avait une certaine affection pour cet homme.

Elle appela finalement monsieur Choi. C’était son ex-beau-père, un vieux monsieur d’origine coréenne, mais né au Japon. Il avait travaillé pendant longtemps avec les Américains et il devait avoir eu un passé assez tumultueux. Il était immensément riche et avait toutes sortes d’entreprises, la plupart légales et bien en place, qui assuraient un lien entre la Corée et toutes sortes d’autres pays, dont le Japon. Il préférait vivre au Japon où il était né et faisait partie d’une communauté pour laquelle il s’investissait beaucoup. Sa famille était immense et presque tous travaillaient pour lui.

Il s’était tissé entre elle et monsieur Choi, des liens d’amitié dont elle ne comprenait pas les causes, mais qui s’étaient avérés d’une très grande utilité après son divorce. Il l’avait toujours aidée et guidée pendant toutes ces années.

Les choses se compliquaient et elle devait lui expliquer la situation, et obtenir son approbation pour son départ. Son avis et ses conseils étaient très importants et elle n’aurait jamais voulu s’en passer. Sa secrétaire lui proposa de le rencontrer le lendemain à midi dans l’un de ses restaurants, ce qu’elle accepta en se disant qu’il lui faudrait trouver une solution pour se débarrasser de son Canadien de temps en temps. La secrétaire la rappela pour lui dire que la voiture de monsieur Choi serait devant chez elle le lendemain à midi pour l’amener au restaurant. Elle demanda à Tadashi de lui livrer un repas à l’appartement vers midi et quelques bières puis rentra chez elle.

À midi, le livreur lui apporta son dîner et deux bouteilles de bière qu’elle plaça dans le réfrigérateur. Elle passa le reste de la journée à mettre de l’ordre dans l’appartement, fit deux lessives, et fit couler le bain avant de sortir afin qu’il soit prêt à son retour. Elle savait qu’elle en aurait bien besoin.

Elle appela un taxi pour se rendre chez Taro. À cette heure-ci, il y avait vraiment trop de monde dans le métro. La circulation était intense et bien que ce ne soit pas très loin de chez elle, cela lui prit une bonne heure pour arriver. Le bar était déjà bien rempli, tous des habitués, des petits hommes d’affaires qui allaient y passer la soirée à parler aux serveuses plutôt que de rentrer chez eux. Taro était dans le fond de la salle, deux filles plus jeunes et plus jolies que les serveuses, lui tenaient compagnie. Kazuko devina qu’il avait déjà pas mal bu et se demanda si cela n’allait pas nuire à leur entretien. Elle savait que s’il lui demandait d’aller dans son bureau, elle devrait le suivre pour une brève étreinte, et cela ne la tentait vraiment pas aujourd’hui. Il chassa les deux filles quand il la vit arriver et lui fit signe de venir s’asseoir à côté de lui. On lui apporta un verre et il lui versa un peu de whisky, mais après y avoir légèrement trempé les lèvres, elle n’y toucha plus. Cela prenait toujours très longtemps avant d’aborder les sujets sérieux et cette fois-ci ne fit pas exception. Elle dut écouter toutes ses récriminations sur ses employés, sa femme, sa maîtresse, avant de pouvoir lui parler de ce qui l’amenait. Il ne fallait pas qu’elle lui parle de ses projets de départ, mais plutôt du mal qu’elle avait à se faire payer. Il comprit tout de suite ce qu’elle attendait de lui et aussi ce qu’il pourrait en tirer. Il lui proposa la participation de ses hommes de main avec les payeurs récalcitrants et du même coup connaîtrait les coordonnées d’un certain nombre de futures victimes qu’il pourrait rançonner plus tard.

Jusque-là, elle avait presque toujours évité de lui donner ce genre de renseignements. Il savait, cela s’était déjà produit dans le passé, qu’elle comprenait que les relations avec ses clients deviendraient beaucoup plus difficiles après son intervention, mais il présumait qu’elle était suffisamment en difficulté pour faire appel à lui. Il lui parla d’un groupe de yakusas qui voulait étendre son territoire et rançonnait beaucoup de restaurants. Peut-être que les problèmes venaient d’eux. Une fois les adresses des restaurants des clients de Kazuko obtenues, il pourrait vérifier s’ils étaient une de leurs cibles, il pourrait ainsi intervenir. Généralement, un accord tacite permettait de ne pas empiéter sur le territoire contrôlé par les uns ou les autres, mais il n’était pas sûr d’avoir un statut suffisant pour leur tenir tête. Il n’était pas un yakusa, seulement un petit voyou local. Il ne savait pas exactement dans quel genre de commerce illégal Kazuko était impliquée. Elle n’avait jamais voulu en parler. Mais il se doutait bien qu’il y avait quelque chose d’autre, car sinon, elle n’aurait pas besoin de son aide aussi régulièrement. L’idée d’étendre ses activités ne lui déplaisait pas. Ils se mirent d’accord rapidement. Il lui donna le numéro de téléphone d’un de ses hommes de main à qui elle devait expliquer ce qu’il aurait à faire. Il lui expliqua qu’il attendait quelqu’un et qu’il valait mieux qu’elle parte maintenant, ce qu’elle fit avec plaisir, très contente de ne pas avoir à payer en nature ce service dont elle avait besoin.

Elle avait le temps de passer chez un de ses clients à Shinjuku, justement un de ceux avec lesquels elle avait du mal à se faire payer. Le restaurant était plein, mais on lui trouva facilement une place au comptoir. Elle constata que les cuisiniers qui préparaient la nourriture portaient tous le nouvel uniforme qui venait de leur être livré. Elle n’avait pas très faim et se contenta de quelques bouchées de tempura qu’on prépara devant elle. C’était la grande spécialité du restaurant et aussi le plat le plus cher. Le patron vint la rejoindre, lui demanda si tout allait bien. Ils échangèrent quelques phrases de politesse puis il retourna à sa caisse. Quand elle quitta le restaurant, il l’accompagna jusqu’à la porte et lui glissa une enveloppe pleine de billets. Au moins celui-là n’aurait pas la visite des hommes de main de Taro. Rentrée chez elle, elle vérifia que l’eau du bain était toujours chaude. Elle remit le chauffage en marche pendant qu’elle faisait sa toilette puis se plongea avec délice dans le bain où elle resta un long moment.

Le lendemain, elle allait à nouveau parler français. Cela l’amusait beaucoup. Elle espérait que ce Canadien serait aussi bon amant que ceux qu’elle avait connus en France, et qui sait, peut-être qu’ils pourraient rentrer au Canada ensemble.

Chapitre II

Il faisait encore nuit quand la sonnerie du téléphone la réveilla. Ce n’était pas son visiteur canadien, mais son amie Naoko, installée à Los Angeles depuis quelques années. Elle lui demanda de but en blanc si elle cherchait toujours quelqu’un pour l’épouser, afin de lui permettre d’émigrer aux États-Unis. Naoko avait pris des habitudes américaines et ne s’encombrait pas des formules de politesse ni des détours chers aux Japonais quand ils téléphonaient. Elle ne s’inquiétait ni de leur santé ni des affaires de ses interlocuteurs. Elle allait généralement droit au but. Si elle demandait le temps qu’il faisait, c’était généralement parce qu’elle prévoyait de venir incessamment au Japon. Sa vie était un tourbillon incessant dans laquelle elle entraînait ceux qui la côtoyaient. Déjà, l’an passé, Naoko avait débarqué à Tokyo, presque sans prévenir, en lui téléphonant de l’aéroport. Heureusement, elle avait pris une chambre à l’hôtel près de chez elle et n’était pas restée dans son petit appartement. Pendant une semaine, ce ne furent que sorties, shopping, restaurants et boîtes de nuit.

Quand Kazuko avait fait sa connaissance, Naoko travaillait pour une société américaine à Tokyo. Elle se plaignait de passer trop de temps au travail et de ne pas pouvoir faire ce qu’elle aimait : sortir, s’amuser, faire les magasins. Sa compagnie lui avait proposé un emploi à Los Angeles, ce qu’elle avait accepté avec plaisir. En espérant la faire revenir au Japon, sa famille avait arrangé son mariage avec un homme d’affaires en poste à Los Angeles. Ils s’étaient rencontrés et ils s’étaient plu. Le mariage avait eu lieu au Japon et le voyage de noces à Hawaï. Pour elle, c’était parfait, car elle avait pu quitter son travail qui ne l’intéressait plus et abandonner son petit appartement pour une très belle maison dans Bel Air. Elle avait une Mercedes dans le garage et beaucoup d’argent sur son compte. Mais c’était une situation provisoire. Un jour ou l’autre, son mari pouvait être nommé ailleurs, peut-être au Japon, peut-être n’importe où dans le monde. Elle savait qu’il obéirait sans discuter et se rendrait à son nouveau poste, même si cela ne lui plaisait pas. Si cela venait à se produire, le suivrait-elle ? C’était sa grande préoccupation et le sujet principal de leurs discussions, notamment lors de ces quelques jours passés à Tokyo. L’idée de revenir vivre à Tokyo ou à Osaka, ou pire encore dans une ville d’Indonésie ou de Malaisie, ne l’enchantait guère. Elle aimait beaucoup la vie confortable qu’elle menait à Los Angeles. Son mari était souvent absent, elle ne le voyait que quelques jours par mois et il lui laissait une grande liberté pour faire tout ce qu’elle voulait. De plus, c’était un homme agréable, un bon amant. Pendant les quelques jours qu’ils passaient chez lui, ils faisaient toutes sortes d’activités et de sorties ensemble. Leurs nuits étaient agitées, ce qu’elle aimait bien.

Naoko commença à lui parler d’un homme assez âgé, très riche, veuf depuis peu, qu’elle avait rencontré dans une soirée organisée par le temple bouddhiste dont elle faisait partie. Il voulait se remarier et avait un faible pour les femmes japonaises. La perspective d’avoir à choisir entre le Canada et les États-Unis amusait beaucoup Kazuko. Elle n’hésita pas longtemps. Les États-Unis lui plaisaient autant que le Canada. Elle était sûre de pouvoir y continuer certaines de ses activités. Elle répondit à Naoko qu’elle était intéressée. Naoko se mit à lui donner plein de détails, mais Kazuko l’interrompit et lui demanda de lui écrire et de tout lui expliquer en joignant une photo. Naoko lui promit de le faire et ajouta qu’elle serait très contente de l’avoir comme voisine.

L’appel terminé, elle n’avait plus sommeil. Elle avait encore une longue journée devant elle. Il fallait maintenant qu’elle se prépare à recevoir son Canadien. Elle ressortit la photo que lui avait envoyée Yumiko. Elle se dit que c’était un bel homme et qu’elle allait pouvoir avoir du bon temps avec lui. Elle allait faire avec lui la tournée des restaurants qu’elle avait prévue pour ramasser de l’argent qu’on lui devait, et cela aura l’air très naturel. Les propositions de Yumiko et de Naoko arrivaient au bon moment. Elle fit un peu de toilette, se parfuma un peu plus que d’habitude et sortit déjeuner.

« S’il est bien élevé, pensa-t-elle, il ne devrait pas téléphoner avant neuf heures. »

Elle prit le temps de déjeuner. Il n’y avait pas de nouveau message et elle n’avait personne à appeler. Elle rentra avant neuf heures et assise dans son fauteuil, attendit son appel. Ce fut bref. Elle lui demanda en français le nom de son hôtel et toujours en français, lui annonça qu’elle venait le chercher. Elle appela un taxi, plaça le double des clés sur la table, sortit une paire de pantoufles neuves, jeta un coup d’œil sur l’appartement pour voir si tout était en ordre et sortit. Le taxi était déjà devant la porte. Le chauffeur connaissait le business hôtel où Jean était descendu, et elle n’eut pas à lui expliquer le chemin pour y parvenir. Une fois arrivée, elle lui demanda d’attendre et entra dans l’hôtel. Il était là, assis dans l’entrée, un peu gauche, un peu intimidé. Elle se dirigea vers lui et réflexe ou habitude, ils prononcèrent les phrases conventionnelles en japonais avant de revenir au français.

« Dépêchons-nous, dit-elle en français, le taxi attend. »