Jean et Kazuko - Tome 1 - Alain Bongard - E-Book

Jean et Kazuko - Tome 1 E-Book

Alain Bongard

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Beschreibung

Dévasté par une tragédie personnelle, Jean part pour le Japon avec l’intention de mettre fin à ses jours. Au détour d’une rencontre inattendue, il croise le chemin de Kazuko, une femme dont les rêves de mariage se sont effondrés avec leur séparation. Deux âmes brisées qui, sans le savoir, sont liées par un même désir : retrouver un sens à leur vie. De retour au Québec, Jean semble renaître de ses cendres, et de nouvelles activités viennent lui redonner le goût de vivre. Kazuko de son côté organise sa vie de façon satisfaisante. Leurs destins sont-ils réellement dissociés, ou un lien invisible continue-t-il à les unir dans l’ombre ? "Jean et Kazuko" est un récit bouleversant où chaque page vous plonge dans les méandres de la résilience, du renouveau et du pouvoir inattendu du destin.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

S’inspirant de ses nombreux périples, particulièrement au Japon, Alain Bongard immortalise, par l’écriture, les souvenirs et les expériences riches vécus lors de ces voyages. Il est l’auteur de trois romans, "Henriette et Henri", "Sayonara" et "Kazuko", parus respectivement en 2022, 2023 et 2024 chez Le Lys Bleu Éditions.

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Seitenzahl: 592

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Alain Bongard

Jean et Kazuko

Tome I

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alain Bongard

ISBN : 979-10-422-4774-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Henriette et Henri, Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;

Sayonara, Le Lys Bleu Éditions, 2023 ;

Kazuko, Le Lys Bleu Éditions, 2024.

Chapitre I

Jean revient du Japon où il a passé quelques semaines et où il a failli épouser Kazuko, une jeune Japonaise qui voulait, grâce à ce mariage, quitter le Japon. Celle-ci doit partir et sur les conseils de son mentor, monsieur Choi, elle doit rompre avec Jean. Elle va liquider tout ce qu’elle a au Japon et se résout à aller vivre à Los Angeles avec un Américain que son amie Naoko lui a présenté.

Jean poursuit son voyage et, après quelques visites, décide de rentrer au Québec.

***

À Los Angeles, comme les formalités de douanes avaient été faites à Hawaï, Jean put se rendre directement au carrousel pour reprendre sa valise. Il prit un chariot et se dirigea vers le comptoir d’Air Canada qui était assez loin. En passant devant un carrousel, il vit une silhouette qu’il connaissait. Kazuko était là. Elle se tourna et le vit. Il s’arrêta, ne sachant pas comment réagir ni très bien quoi faire. Un porteur saisit les trois valises de Kazuko et se dirigea vers le bureau des douanes. Elle le suivit et disparut. Jean poursuivit son chemin troublé par cette rencontre.

Kazuko passa la douane et retrouva Peter qui, tout heureux, la serra dans ses bras. D’avoir revu Jean, l’avait profondément troublée. Elle se demandait s’il y avait une signification particulière à cette extraordinaire coïncidence. Peter parlait sans arrêt. Elle le suivit. Une nouvelle vie commençait.

***

Jean embarqua dans le vol d’Air Canada qui était direct de Los Angeles à Montréal. À part les facéties des plus jeunes joueurs d’un club de hockey qui voulaient fêter une victoire à laquelle ils n’avaient pas participé, il ne se passa rien de marquant pendant ce vol. L’avion était encore à moitié vide et il put s’allonger et dormir un peu.

À Dorval, pour le douanier, il inventa qu’il revenait d’un voyage d’agrément réussi au Japon, qu’il ne rapportait que de petits souvenirs et il put poursuivre sa route. Il y avait peu de monde autour des carrousels et il put récupérer rapidement sa valise.

Marcel et Atsuko l’attendaient à la sortie et faisaient de grands gestes dans sa direction de derrière la vitre. Il était assez content de les voir même s’il ne s’y attendait pas. Il jugea que c’était le deuxième des signes qu’il attendait après avoir revu brièvement Kazuko à Los Angeles, mais il ne savait vraiment pas comment les interpréter. Il serra Marcel sur son cœur et salua Atsuko en se penchant très bas. Elle lui rendit son salut, les yeux baissés en se penchant encore plus bas. Elle avait mis, pour cette occasion, un joli kimono uni qui lui allait très bien.

Marcel les entraîna vers un petit bar désert du 1er étage. Il lui raconta comment il avait pu suivre ses dernières journées au Japon et prévoir son arrivée à Dorval, grâce à l’amitié de quelques personnes qui travaillaient chez Air Canada. Il lui demanda de raconter son voyage. Jean s’empressa de le faire en japonais. Marcel était éberlué. De temps en temps, il revenait au français, mais retournait rapidement au japonais. Dans l’ensemble, Marcel comprenait tout ce qu’il disait, mais il n’en revenait pas qu’en si peu de temps, il soit arrivé à une telle maîtrise de cette langue. Il y avait même, quelques expressions, que Jean utilisait et qu’il ne comprenait pas. Atsuko approuvait en silence avec un sourire amical.

Il leur parla de tous les lieux qu’il avait pu visiter et de cette merveilleuse chaîne de rencontres qu’il avait pu faire malgré sa timidité naturelle. Il leur dit à quel point il avait aimé tout ce qu’il avait fait, vu, essayé et goûté. Il leur parla de Kazuko, de ce qu’il avait vécu avec elle, et de l’incompréhension qu’il avait de leur rupture.

Aimerais-tu retourner au Japon ? lui demanda Atsuko.

Il sentait bien qu’après ce qu’il venait de dire, il aurait dû répondre oui, tout de suite. Mais rien n’était simple. Le cinq décembre (date prévue pour son suicide) n’était pas passé et il ne fallait pas qu’il fasse de projets qu’il ne tiendrait pas. Il fit une réponse évasive qui n’était ni un oui ni un non.

Marcel travaillait comme cameraman avec deux équipes américaines, mais ce n’étaient que des remplacements occasionnels et il n’avait pas la première responsabilité. Atsuko avait été engagée pour un petit rôle dans l’un des films, mais cela devait se terminer bientôt. Ils lui confièrent qu’ils rêvaient tous les deux de retourner au Japon, même pour un bref séjour.

La classe de japonais avec Toyoko sensei a continué après ton départ, dit Marcel, mais c’est presque fini. Nous avons prévu d’aller manger ensemble après le prochain cours. Ce sera un souper d’adieu pour plusieurs d’entre nous. Veux-tu venir ?

J’avais prévu de passer au cours demain. Je resterai avec vous pour ce souper.

Marcel lui offrit l’hospitalité. Il n’avait pas envie de retrouver sa maison et cette offre fut la bienvenue. Il pouvait y aller le lendemain. En partant, Jean avait laissé ses clés à Marcel et lui avait proposé d’utiliser sa voiture s’il en avait l’usage, mais elle était restée dans le garage. Marcel était allé la chercher la veille et ils l’avaient utilisée pour venir à l’aéroport. Il en avait profité pour augmenter le chauffage et rebrancher l’eau chaude. Il avait également apporté un manteau que Jean apprécia en sortant, car dehors il ne faisait pas chaud.

Chez Marcel, La soirée se passa agréablement à parler du Japon. Ils avaient encore plein de questions pour ce qu’il avait fait et vu à Tokyo. Jean restait évasif sur ses projets, car le seul qu’il avait pour l’instant, il ne pouvait pas en parler.

À neuf heures, le décalage horaire aidant, il ne parvenait plus à rester éveillé et il les quitta pour aller se coucher. Le futon dans la chambre d’amis était tout à fait japonais.

Le lendemain matin, après un déjeuner rapide qu’ils prirent avec Jean, Marcel et Atsuko se préparèrent à partir travailler. Il ne faisait pas beau, il faisait même froid.

Marcel lui dit avant de sortir :

On t’attend au cours de japonais ce soir. J’ai hâte de voir leur tête quand tu leur raconteras ton voyage.

Jean retrouva avec plaisir sa petite voiture et décida de rentrer chez lui. Il retrouva le chemin, presque automatiquement. Rien n’avait changé. Un peu de neige sur le bord de la route témoignait des dernières petites chutes des jours précédents qui n’étaient pas restées au sol. Cela ne lui plaisait pas trop de retrouver sa maison, mais il ne pouvait pas rester chez Marcel. Et puis sa grande décision finale n’était toujours pas prise.

Dans la maison, il faisait une température agréable. Il prit le temps de se changer, vida sa valise, mit de côté les petits cadeaux qu’il avait ramenés pour les apporter au cours. Un peu gêné, il hésita à appeler Yumiko et il se dit qu’il appellerait plus tard, quand madame Ono et Aiko seraient rentrés du Japon.

Il se sentait étranger dans cette maison et il se réfugia dans son bureau avec le courrier accumulé derrière sa porte pendant son absence. Il fit le tri des lettres reçues, élimina tout ce qui n’était pas intéressant, régla quelques factures et mit de côté quelques lettres personnelles de parents éloignés d’Hélène qu’il prévoyait lui faire parvenir. Il fut un peu surpris par une lettre venant du Japon. C’était Keiko, la jeune fille avec qui il avait visité le pavillon d’or à Kyoto, qui lui souhaitait un bon retour au Québec et qui lui disait qu’elle espérait le revoir s’il revenait au Japon. Il se dit qu’il devrait faire développer les photos qu’il avait prises pendant son voyage et lui envoyer la photo où ils étaient devant le Pavillon d’or.

Le relevé de la banque indiquait que le compte commun avec Hélène était pratiquement vide, qu’elle avait fait de nombreux retraits, ce qu’elle avait parfaitement le droit de faire. Il y avait aussi une convocation pour une séance de conciliation avec Hélène et la date était passée. Le processus du divorce suivait son cours et devait aboutir dans pas longtemps. Il y avait également une lettre de l’avocat d’Hélène lui confirmant qu’Hélène réclamait la valeur de la moitié de la maison, mais qu’elle ne voulait rien d’autre. Jean l’appela pour lui confirmer qu’il ne s’opposait ni divorce ni aux demandes d’Hélène. Il lui demanda s’il voulait se charger de la vente de la maison, ce que l’autre accepta. Il lui confirma que le jugement du divorce devait avoir lieu ces jours-ci et qu’il lui ferait parvenir une copie du jugement définitif.

Il écrivit une petite lettre à Hélène lui signalant son retour, son accord pour les termes du divorce, l’épuisement du compte courant commun qu’il ne fallait plus utiliser et qu’il fallait fermer, et la mise en vente de la maison par son avocat. Il ajouta qu’elle pouvait passer pour récupérer tout ce qu’elle voulait dans la maison, sauf ce qui était dans son bureau. S’il n’était pas là quand elle viendrait, elle pouvait trouver les clés à la place habituelle, et s’il était encore là, il sortirait et lui laisserait la place.

En route pour le cours de japonais, il posta sa lettre et déposa chez un photographe les films des photos prises au Japon afin d’envoyer à Keiko la photo prise au Pavillon d’or.

Il arriva au cours un peu avant tout le monde. Toyoko était dans sa classe. Il la salua en japonais en s’inclinant bien bas. Elle répondit à son salut puis se leva et vint l’embrasser. Elle lui donna des nouvelles du cours qui était sur le point de se terminer : les deux nouveaux avaient trouvé le niveau trop difficile et étaient retournés dans le cours intermédiaire où ils se sentaient plus à l’aise, John était sur le point de partir en voyage, Dominique avait créé son agence de voyages et ne venait plus. Paul avait eu enfin sa nomination à l’ambassade du Canada à Tokyo et devait partir incessamment. Mais ce soir, ils devaient venir tous les trois ; ils avaient prévu souper ensemble et elle espérait bien qu’il se joigne à eux. Il lui demanda des nouvelles de madame Kato et ils parlèrent d’elle pendant un moment.

Marcel arriva sur ces entrefaites et les autres suivirent. Ils accueillirent le retour de Jean avec beaucoup de chaleur. Malicieusement, Marcel lui dit :

Raconte-nous ton voyage comme tu l’as raconté à Atsuko.

À part les salutations, il n’avait pas parlé en japonais avec Toyoko. Il se lança. Il décrivit tout ce qu’il avait vu à Tokyo et à Kyoto. Toyoko avait en grand sourire en l’écoutant parler, et les autres en restaient stupéfaits. Les questions fusèrent et il put répondre facilement. Toyoko expliqua quelques-unes des formes verbales qu’il avait utilisées, et il s’aperçut qu’il les utilisait sans trop connaître les règles de grammaire qu’elles sous-entendaient. On parla de la nourriture, de la boisson, du comportement des gens dans la rue, de la propreté permanente partout au Japon, des rencontres intéressantes qu’il avait pu faire. Tout le cours y passa. Toyoko l’interrompait de temps en temps pour expliquer certaines structures qu’il utilisait et qu’ils n’avaient pas étudiées avec elle auparavant.

John annonça que c’était son dernier cours, car il partait en voyage. Paul partait pour Tokyo dans quelques jours et lui non plus ne pensait pas revenir, car il était très occupé à tout organiser. Dominique confirma qu’elle n’aurait plus le temps de venir et qu’elle était là pour dire au revoir à tout le monde. Il ne restait plus qu’une semaine de cours et Toyoko demanda en riant à Marcel et à Georges s’ils avaient l’intention de venir. Elle continuerait d’être là puisqu’elle avait le cours des intermédiaires avant eux, mais qu’elle partirait si elle ne voyait personne. Ils lui promirent d’être là et Jean dit qu’il pensait aussi venir.

Le cours terminé, ils prirent la route du restaurant japonais où ils étaient allés quelques fois. Jean distribua les petits cadeaux qu’il avait rapportés et les questions reprirent de plus belle. Paul avait plein de questions sur Tokyo et Jean lui raconta un peu ce qu’il avait vécu. Il reprenait l’appartement de celui qu’il remplaçait qui était malheureusement à Yokohama. Jean lui suggéra d’adopter les horaires et les habitudes japonaises et de ne pas essayer de rentrer chez lui à six heures du soir. Cela le laissa songeur.

Marcel lui parla des tournages qu’il faisait à Montréal. C’était satisfaisant, mais l’envie de retourner au Japon le tenaillait de plus en plus. À écouter Jean, cela lui donnait la nostalgie du temps passé à Tokyo.

Dominique lui demanda ce qu’il prévoyait faire dans les jours à venir et il lui répondit qu’il ne savait pas trop.

J’ai commencé mon agence de voyages et j’ai déjà des clients, lui dit-elle, mais ce sera une agence pas comme les autres, enfin je ne crois pas. Je fais du sur-mesure et je travaille en fonction des moyens de ceux qui me contactent. Et si tu n’as rien de prévu pour le mois de décembre, j’aurais une proposition à te faire.

Il lui répondit qu’il n’avait rien décidé pour le mois de décembre, mais qu’il avait une décision à prendre, sans lui dire laquelle. Elle lui donna sa carte d’affaires et lui proposa de le rencontrer à son bureau le lendemain. Il accepta et lui dit qu’il l’appellerait pour lui fixer l’heure où il prévoyait venir.

Le souper continua dans la bonne humeur. On leva son verre assez souvent. Au moment du départ, il y avait beaucoup d’émotion dans l’air. Ils se promirent de donner des nouvelles. Ils essayèrent de se quitter à la japonaise, mais Toyoko la première prit tout le monde dans ses bras.

Jean ramena Marcel chez lui, refusa le dernier verre et rentra directement.

Le lendemain matin, un peu intrigué par la proposition de Dominique, et n’ayant rien d’autre à faire ce jour-là, il l’appela pour lui dire qu’il pensait venir la voir dans l’après-midi. Elle lui donna l’adresse de son bureau et ils convinrent de se voir à trois heures.

Situé dans un immeuble à bureaux de ville St-Laurent, son local était très simple et ne se composait que de deux pièces : une première pièce servait à recevoir les visiteurs et une autre pièce lui servait à la fois de bureau et de pièce de recherche dans laquelle elle avait installé un fax et du matériel électronique dernier cri.

Elle lui fit faire un rapide tour du propriétaire et ils s’installèrent dans son bureau. Elle lui expliqua comment elle comptait fonctionner.

J’ai travaillé pendant plusieurs années dans des agences de voyages. Je me suis aperçue que les voyages organisés que nous proposions à nos clients ne correspondaient pas vraiment à ce qu’ils désiraient. Parfois, ils renonçaient à leur voyage parce que cela n’entrait pas dans leur budget ou leurs désirs, mais souvent ils s’embarquaient dans ce que nous leur proposions et une fois sur deux ils revenaient déçus et un peu fâchés d’avoir dépensé autant d’argent pour quelque chose de décevant.

Pendant toutes ces années, je me suis fait un très grand nombre de contacts avec des gens qui travaillent dans l’industrie du voyage, ici et un peu partout dans le monde, et certains sont devenus des amis.

J’ai fait, continua-t-elle, les démarches nécessaires et je suis maintenant agent de voyages, je peux prendre toutes les réservations et organiser des circuits. Mais je veux travailler différemment de ce que font les autres agences de voyages. Je veux faire du sur-mesure pour n’importe quel nombre de participants. Cela peut s’adresser à des gens pas très en moyens, ou au contraire à des gens fortunés. J’ai contacté un peu partout des agences locales qui jusqu’à maintenant proposaient des voyages que les agences pour lesquelles je travaillais offraient dans leur publicité, et ils sont tous d’accord pour créer avec moi pour mes clients des voyages sur mesure. Ils me procurent tout ce que je leur demande : déplacements, logements, activités, encadrements, guides, mais toujours selon mes spécifications. J’ai fait installer ici tout le matériel nécessaire pour pouvoir correspondre avec eux en direct.

As-tu déjà des voyages organisés ? demanda Jean.

J’ai déjà organisé deux voyages en Inde qui se sont très bien passés et j’ai un groupe d’étudiants qui part demain pour trois semaines au Népal.

Je travaille actuellement sur une dizaine de projets de voyage en Inde, au Vietnam, au Népal et au Japon. C’est pour ce dernier que j’aurais besoin de toi. J’ai d’ailleurs beaucoup de demandes pour le Japon, je pense que ce sera un filon à exploiter régulièrement.

Comment fonctionnes-tu ? demanda Jean.

Un de mes correspondants me réfère un groupe de quelques personnes qui ont un projet de voyage dans l’un des pays qui m’intéressent. Principalement en Asie. Je ne fais pas de publicité. Je ne prévois travailler qu’avec des gens qui m’ont été référés. Je ne travaille que de cette manière. En fonction de leur budget, j’établis avec eux un programme, un itinéraire et je contacte une agence locale en qui j’ai confiance et qui me prépare le circuit selon les exigences de mes clients. À moins de circonstances exceptionnelles, le prix qu’elle me propose correspond à peu près à ce que je leur ai suggéré. Je prends un pourcentage raisonnable sur le prix fixé et l’agence locale me remet également un petit pourcentage de ce qu’elle touche si le voyage se fait. De mon côté, je verse quelque chose au correspondant qui m’a référé ce voyage. Je n’ai rien inventé et les grosses agences de voyages peuvent faire la même chose, mais ils n’y tiennent pas vraiment, ils préfèrent vendre des circuits déjà prévus et préparés qui leur rapportent un profit intéressant sans avoir à trop se donner de mal. Je suis extrêmement rapide et je peux créer en très peu de temps un projet complexe dans la gamme de prix de mes clients.

J’ai été très impressionné par ton niveau de japonais, c’est extraordinaire les progrès que tu as faits en quelques semaines. J’ai plusieurs demandes pour le Japon dont une qui est pour tout de suite, départ la semaine prochaine, avec un homme d’affaires qui veut exporter ce qu’il fabrique et qui aimerait rencontrer des hommes d’affaires japonais pour ses produits. J’ai tout organisé pour son voyage, les rendez-vous sont pris, les hôtels réservés. Après Tokyo, il va à Hiroshima en avion puis d’Hiroshima à Osaka en train. Il repartira d’Osaka pour rentrer au Québec. Tout est déjà prêt, mais il ne parle pas japonais et son anglais est très rudimentaire. Je pensais engager quelqu’un là-bas, mais maintenant je pense que tu ferais mieux l’affaire. C’est un voyage d’environ une semaine à Tokyo, Osaka et Hiroshima. Ton voyage sera entièrement payé et tu toucheras cinq cents dollars par jour. Cela t’intéresse-t-il ?

Jean attendait un autre signe du destin et cela lui sembla évident que c’en était un. Il allait être occupé et au Japon le cinq décembre, la date anniversaire du suicide de Sophie et la date où il prévoyait mettre fin à ses jours.

Il lui dit qu’il était d’accord.

Je prends ton billet d’avion. C’est le même vol que celui que tu as déjà pris. Montréal-Los Angeles avec Air Canada et Los Angeles-Tokyo avec Singapour Airlines. Lui, il voyagera en première classe, je ne peux pas t’offrir la même chose, mais tu seras très bien en classe économique. Pas de problème. Cependant pour le train, tu prendras les sièges en première classe pour vous deux, car vous aurez peut-être à bavarder entre chaque visite. Tu auras à faire les réservations pour les sièges, je crois que tu sais comment faire.

Dominique poursuivit :

J’ai aussi un couple de clients âgés qui viennent de faire un gros héritage inattendu. Ils ont toujours rêvé, tous les deux, d’aller au Japon et ils veulent y passer quelques jours, mais ils veulent être accompagnés par quelqu’un qui parle japonais et qui les aidera pour tous les détails quotidiens du voyage. Je leur ai dit que je pourrais leur trouver un guide qui parle français, mais ils tiennent à avoir un accompagnateur. J’avais pensé y aller moi-même, mais d’une part je ne parle pas encore couramment japonais, et d’autre part je suis seule ici et j’ai relativement beaucoup de travail et de projets en cours. Alors je te propose de les accompagner. Ils ne voyageront qu’en hôtel cinq étoiles. Mon agence japonaise réglera tout dans le moindre détail, mais tu serviras d’intermédiaire avec elle, car ils ne parlent pas très bien anglais et les gens de mon agence japonaise ne parlent pas français Au cas où il serait nécessaire de faire des changements ou des ajustements tu serais très utile. Viendrais-tu avec moi les rencontrer ?

Je n’ai rien de spécial à faire. Téléphone-moi, nous y irons ensemble. J’ai toujours ma voiture, je passerai te prendre.

Nous pourrons voir avec eux les détails de leur circuit. Je t’appelle quand j’aurai pris rendez-vous.

Elle lui montra les autres voyages qu’elle prévoyait organiser, lui expliqua comment elle arrivait à finaliser les projets qui parfois n’étaient au départ qu’une idée ou qu’un simple désir exprimé qu’elle concrétisait. Certains projets prévoyaient un départ dans les semaines qui suivaient d’autres plus tard. Les plus fréquents impliquaient de petits groupes d’amis. La plupart avec des budgets raisonnables, certains avec de tout petits budgets. Elle avait des propositions et des suggestions pour chacun d’eux et cela allait de l’hôtel cinq étoiles à l’auberge de jeunesse, des transports en commun locaux aux bus privés.

Elle lui confia qu’elle connaissait maintenant plusieurs agences créées récemment sur le même modèle que la sienne, au Canada, mais aussi en Europe et qu’elle avait avec elles de bons échanges. Elle se spécialisait dans les voyages en Asie et quelques-uns de ses clients lui avaient été référés par une de ces agences. Par contre elle n’était intéressée ni par les croisières ni par les voyages en Europe et elle référait les personnes intéressées par ce genre de voyage qui s’adressaient à elle à une de ces agences.

Jean admirait l’enthousiasme et la détermination de Dominique.

Au moment de partir, il lui dit :

J’ai l’impression que tu n’auras plus le temps d’aller au cours de japonais. Je ne suis pas sûr moi-même d’y aller maintenant que j’ai plein de choses à faire. J’attends ton appel pour rencontrer tes clients.

Rentré chez lui, il appela Marcel et lui raconta la proposition que Dominique lui avait faite. Celui-ci lui proposa de venir souper le lendemain pour qu’il puisse lui raconter tout ce qui lui arrivait et Jean accepta.

Un peu plus tard, un agent d’immeuble référé par l’avocat d’Hélène, l’appela et lui proposa de passer le lendemain matin pour visiter la maison et fixer un prix de vente. Jean lui dit qu’il serait là et qu’il pouvait passer. Toutes ces démarches pour la vente de la maison l’ennuyaient profondément, mais il fallait bien le faire.

Il ressortit acheter de quoi se faire un sandwich et de quoi déjeuner le lendemain matin puis il rentra. La nuit était déjà tombée et la rue brillait des premières décorations de Noël. Cela lui rappela la tristesse du Noël de l’année précédente, mais il se sentait différent. Peut-être cette nouvelle activité allait tout changer.

Il appela Toyoko et il lui expliqua qu’il devait accompagner un homme d’affaires québécois et qu’ils allaient rencontrer des hommes d’affaires japonais et s’il avait le vocabulaire nécessaire en anglais, il ne connaissait rien en japonais. Elle lui proposa de venir au prochain cours et de voir avec lui ce qu’il aurait besoin de savoir.

Le lendemain matin l’agent d’immeuble arriva de bonne heure. Il fit le tour de la maison, inspecta l’extérieur et l’intérieur et évalua le prix qu’il fallait en demander.

— Les taux d’intérêt sont actuellement un peu élevés, dit-il, mais votre maison est en très bon état et elle devrait se vendre rapidement.

Jean ne discuta pas le prix proposé, mais il lui demanda de revenir plus tard, car il fallait l’accord de sa femme pour signer les papiers.

Le téléphone sonna. À sa grande surprise, il entendit la voix d’Hélène à qui il n’avait pas parlé depuis Boston. Elle venait de recevoir sa lettre et voulait passer avec son père pour voir ce qu’elle pourrait récupérer dans la maison. Il réussit à lui répondre sans émotion et lui proposa de passer vers deux heures ce qu’elle accepta. Il appela l’agent d’immeuble et lui demanda de passer vers deux heures pour signer les papiers.

Hélène arriva en début d’après-midi en compagnie de son père et de l’agent d’immeuble. Elle avait beaucoup changé. Elle paraissait faible et amaigrie. Ils s’embrassèrent et son père lui serra la main.

Ils signèrent les papiers pour la vente et l’agent d’immeuble s’en alla.

— J’ai fait un peu de rangement avant de partir au Japon, lui dit-il, mais je n’ai touché à rien qui t’appartienne. Tu peux prendre tout ce que tu veux, je veux seulement récupérer mon linge et ce qui est dans mon bureau.

Elle tournait dans la maison un peu désemparée en pleurnichant un peu, soutenue par son père. Elle pleura en trouvant les souvenirs de Sophie que Jean avait regroupés et mis dans une grosse boîte. Elle remercia Jean qui ne savait pas très bien pourquoi et ne chercha pas à comprendre.

— Je repars dans huit jours, lui dit-il, et je serai absent environ deux semaines. Tu as les clés, tu peux venir et retirer tout ce que tu veux.

Son père lui dit :

— Nous reviendrons pendant ton absence et elle prendra ce qu’elle voudra. Nous donnerons le reste à l’Armée du Salut, à part ton bureau et tes affaires personnelles. Cela te convient-il ?

Jean approuva. Ils partirent, le père soutenant sa fille. Jean regarda l’auto qui s’en allait et se dit qu’une page était définitivement tournée et que finalement il s’en sortait mieux qu’elle.

Après leur départ, il resta un long moment en réflexion, étonné de ce qui lui arrivait. Il ne savait pas si l’idée du suicide qu’il prévoyait faire était définitivement écartée, mais il sentait que d’une part la tristesse qui l’avait anéanti tous ces derniers mois, n’était plus aussi oppressante, et comparé à ce qu’Hélène semblait encore vivre, beaucoup plus supportable, et que d’autre part, il y avait ce sursis providentiel qu’il avait bien l’intention de vivre, quitte à revenir à ses intentions premières s’il le fallait.

Il fut interrompu dans ses réflexions par l’appel de Dominique qui lui donna rendez-vous le lendemain vers deux heures chez ses clients qui habitaient à Laval. Il nota l’adresse et lui proposa de passer la prendre et d’y aller ensemble. Elle lui donna rendez-vous au métro Henri Bourassa, leur maison étant de l’autre côté du pont.

Il arriva de bonne heure chez Marcel qui l’avait invité à souper la veille. Il avait apporté la bouteille de saké achetée à Kyoto et Atsuko admira la boîte en bois qui contenait la bouteille et qui était en elle-même une œuvre d’art.

— Nous allons y faire honneur, déclara-t-elle, je vais la mettre au bain-marie et nous la boirons avec mon souper.

Ils venaient de recevoir l’estampe qu’il leur avait envoyée de Kyoto et ils se confondaient en remerciements. Ils cherchèrent ensemble où la placer quand elle aura été encadrée puis ils s’installèrent dans le salon, Atsuko et Marcel sur leurs talons et Jean en tailleur.

Il leur raconta comment il avait trouvé ce saké dans cette petite boutique dans le marché Nishiki pendant une journée assez bien remplie et ils parlèrent de la différence entre Tokyo et Kyoto. Atsuko était originaire de Tokyo et trouvait la vie de Kyoto trop calme, trop provinciale. Marcel ne connaissait pas Kyoto.

— Tu n’es pas resté très longtemps à Kyoto, dit-il, mais j’ai l’impression que c’est la ville que tu as préférée, n’est-ce pas ?
— Pas vraiment, répondit Jean, mais les quatre jours que j’y ai passés ont été très agréables. C’est beaucoup plus calme que Tokyo et elle contient une multitude d’endroits à voir et à visiter, ce qui en fait une ville très attrayante, mais à Tokyo il y a aussi malgré tout beaucoup à voir et à faire.

Atsuko avait préparé un sukiyaki et elle arriva avec tout le nécessaire pour le faire sur un petit réchaud qu’elle plaça devant eux. Marcel alla chercher le saké et les petites coupes pour le boire et ils trinquèrent.

Elle leur donna un bol de riz et quelques minutes plus tard c’était prêt. Elle donna le signal pour commencer à manger. Jean prit une fine tranche de viande et dit « Itadakimasu » comme il se doit.

Pendant le repas Jean leur parla brièvement de son divorce, ce dont il n’avait jamais parlé auparavant, et de la vente de sa maison qui allait l’obliger à se trouver un autre logement quand la maison sera vendue. Il réalisa qu’il évoquait un projet d’avenir, même vague, et cela le troubla un peu, mais sans en laisser rien paraître. Il retrouvait le goût du saké, et cela lui rappela des souvenirs troublants.

Marcel lui proposa :

Ici, nous sommes locataires. Nous aimons le quartier. Il y a un triplex à vendre sur la même rue, avec trois logements comme celui-ci. Et ce n’est vraiment pas cher. J’ai un ami, François Gagné, qui serait intéressé à l’acheter avec moi. Nous cherchons un troisième partenaire, comme tu vends ta maison, cela pourrait t’intéresser. Qu’en penses-tu ?

Jean voulait faire plaisir à son ami, mais n’entrevoyait pas de projets dans l’avenir, sûrement pas d’acheter un appartement.

Je ne sais pas, je vais y penser.

Il faudra te décider rapidement. Nous avons déjà fait une offre d’achat et cela devrait se conclure début janvier. Nous aurions les trois logements pour soixante-quinze mille dollars. La banque nous prête un peu plus que la moitié, tu n’aurais pas plus que dix ou douze mille dollars à investir.

L’un des appartements est libre, ajouta-t-il, tu pourrais t’y installer tout de suite. Nous, nous ne déménagerons qu’en juin.

Il était vrai que l’idée était attrayante. Faire des projets d’avenir maintenant lui semblait prématuré, mais cela ne l’engageait pas trop et effectivement il allait avoir besoin de se loger dès que la maison sera vendue.

J’ai changé d’avis, dit-il. Si l’appartement est libre et que je peux l’occuper tout de suite, cela fait mon affaire. Vous pouvez ajouter mon nom à l’offre d’achat. Je dois trouver à me loger très bientôt.

Marcel le félicita de sa décision.

— Nous finaliserons les documents dès demain, dit-il. Cela devrait aller assez vite.

Les évènements se précipitant, il avait beaucoup de choses à leur raconter. Il leur parla de la proposition de Dominique et du prochain retour au Japon qui en découlait.

Atsuko lui annonça qu’ils avaient reçu une invitation de ses parents et qu’ils partaient au début du mois de décembre pour passer un mois au Japon. L’hiver arrivant, les tournages dans Montréal semblaient suspendus jusqu’au printemps et ils n’avaient plus rien à faire ici. Elle était très heureuse de revoir ses parents et encore plus de cette apparente réconciliation avec eux. Marcel pensait en profiter pour aller voir les producteurs japonais en espérant trouver quelque chose là-bas. Il y avait peut-être des chances pour qu’ils soient en même temps au Japon et ils espéraient bien le voir quand il serait à Tokyo.

La conversation revint sur les projets de Dominique et plus particulièrement sur ce voyage inattendu. Il leur expliqua le circuit prévu avec ses deux personnes et son rôle d’accompagnateur qu’il aura à préciser quand il les aura rencontrés. Il ne savait pas grand-chose sur ce qu’il allait faire et voir avec eux. Comme ils voulaient passer au moins une nuit dans un ryokan, Atsuko lui en conseilla un très chic à Kyoto et un autre très spécial à Miyajima.

Ils finirent la bouteille de saké en parlant du Japon et de toutes les choses à faire à Tokyo. Jean promit d’aller au prochain cours de japonais pour ne pas laisser seuls Marcel et George.

De retour chez lui, il reprit ses notes et il étudia pendant un bon moment avant d’aller se coucher dans le lit qu’il avait installé dans son bureau. Cette maison lui était maintenant étrangère et il avait hâte d’en partir.

Le lendemain, il retrouva Dominique devant le métro Henri-Bourassa et ils se rendirent ensemble chez ses clients, monsieur et madame Boisclair.

Pendant le court trajet qui les conduisait chez eux, Dominique lui expliqua :

— Ils habitent dans cette petite maison depuis toujours. Je crois qu’ils l’ont achetée un peu après leur mariage il y a cinquante ans. Il a travaillé comme employé à l’entretien pour la ville, avec un petit salaire, et cet héritage inattendu avec lequel ils veulent faire ce voyage a été pour eux toute une surprise. Ils vont nous expliquer tout ça et nous dire exactement ce qu’ils veulent faire.

Ils les attendaient et les reçurent simplement. Jean, en les voyant, se dit qu’ils devaient avoir plus de soixante-dix ans et qu’il allait falloir les ménager pendant le voyage.

Madame Boisclair les installa au salon et apporta le thé.

— Appelez-moi Thérèse et mon mari, Pierre, leur dit-elle. Vous devez vous demander pourquoi de vieilles personnes comme nous veulent aller au Japon, mais nous allons vous l’expliquer.
— Nous avons les mêmes voisins depuis très longtemps, commença monsieur Boisclair, ils sont arrivés il y a trente-cinq ans. C’était un couple d’émigrants japonais avec deux enfants qui arrivaient des États-Unis où ils avaient été gardés dans une sorte de camp avec d’autres personnes d’origine japonaise.
— La maman était enceinte quand ils sont arrivés, poursuivit madame Boisclair. Quand la petite fille est née, c’était le plus adorable des bébés. Au printemps suivant, elle m’a demandé si je pouvais la garder avec sa sœur qui n’avait pas encore commencé l’école, car elle voulait aller travailler avec son mari qui était jardinier et s’occupait de l’entretien de plusieurs grosses maisons. J’ai accepté contre une toute petite rétribution, pour la forme. Nous avons vite fait connaissance et nous sommes devenues des amies. Les enfants à notre contact ont appris le français et moi qui n’ai jamais pu avoir d’enfants j’étais ravie de pouvoir m’occuper d’eux. Ils étaient si gentils, si faciles à vivre et si respectueux que ce n’était pas difficile. Ils n’étaient pas très affectueux, mais j’ai compris que cela ne faisait pas partie de leurs valeurs. Longtemps après, en constatant leur fidélité et leur reconnaissance, j’ai compris que l’affection pouvait se manifester de façons différentes. Ils nous appelaient Ojisan et Obasan ce qui veut dire oncle et tante et nous considéraient comme de leur famille.

Monsieur Boisclair continua :

— C’est moi qui ai appris aux enfants à patiner sur la patinoire de l’école. Quand il neigeait, je n’ai jamais eu à dégager notre entrée. Monsieur Sato arrivait le matin avec son fils et sans que je leur demande, c’était fait. Très tôt, l’aîné a quitté l’école pour travailler avec son père et sa mère les accompagnait. L’hiver ils travaillaient dans des serres et dès qu’il faisait beau dans les jardins de la région montréalaise. Ils nous apportaient régulièrement des paniers de légumes dont nous apprécions la qualité et la fraîcheur. Monsieur Sato avait fait derrière chez lui un petit jardin où poussaient des légumes et des herbes que nous ne connaissions pas.

Elle continua :

— J’ai gardé les enfants dès que leur maman est retournée au travail. Les plus vieux venaient chez nous en revenant de l’école et faisaient leurs devoirs assis à même le sol sur la petite table du salon. Souvent le dimanche, nous allions dîner chez eux. Nous avons appris à manger avec des baguettes et découvert bien des plats que nous ne connaissions pas. L’été, ils partaient tôt le matin et rentraient tard le soir et les enfants passaient la journée avec moi. On ne s’ennuyait pas. On partait faire des pique-niques au bord de la rivière qui était beaucoup moins polluée que maintenant et les enfants pêchaient et généralement réussissaient à attraper quelques poissons qu’ils ramenaient vivants dans un seau d’eau qu’ils devaient porter à deux. En rentrant à la maison, madame Sato avait encore la force de les préparer de toutes sortes de façon.

Monsieur Boisclair poursuivit :

— Les aînés se sont mariés et ont quitté la maison. Seule la plus jeune, Hiroko, est restée avec eux. Le papa est mort il y a deux ans et sa femme est restée avec sa fille qui travaille comme infirmière et qui s’occupe bien de sa mère. Ma femme va les voir tous les jours. Je leur ai proposé de venir avec nous pour ce voyage, mais elle a refusé. La mère parce qu’elle n’a plus la force et qu’elle ne voit presque plus et sa fille parce qu’elle ne veut pas la laisser seule. Mais quand je leur ai parlé de notre projet, cela les a rendues très heureuses et elles sont très intéressées de voir ce que nous ferons.
— Nous n’avons pas appris beaucoup de japonais avec eux, peut-être une dizaine de mots. J’ai appris plus d’anglais avec Yoko et son mari qui parlaient cette langue quand ils sont arrivés. Ils ont appris le français avec nous et surtout avec les enfants qui sont allés à l’école en français. Avec Yoko, nous parlons un drôle de charabia avec plein de mots anglais et quelques mots de japonais, toujours les mêmes.

Jean leur demanda :

— Pendant cette visite avez-vous des envies spécifiques, des endroits que vous voulez visiter, des choses à faire ?
— Nous ne sommes plus très jeunes et mon mari a maintenant du mal à marcher pendant longtemps, répondit madame Boisclair. Nous ne voulons pas faire la grande tournée touristique proposée par toutes les agences de voyages. Nous aimerions rencontrer des gens, vivre les choses dont nous parlaient nos amis, aller dans les Onsen, dormir quelques fois dans des auberges japonaises, éviter tout ce qui est fatigant où les vivre en petite quantité. Nous ne sommes pas intéressés par les grandes villes, sauf peut-être Kyoto. Madame Sato était originaire d’un petit village près de Takayama et nous aimerions le découvrir et lui ramener des photos. Ce sera notre grand voyage, et vraisemblablement nous n’en ferons pas d’autres. On voudrait que ce soit bien, même très bien. Nous ne regardons pas à la dépense, nous n’avions jamais espéré avoir cet argent et il y en a plus que nous avons besoin. Nous n’avons pas fixé la durée. Nous rentrerons quand nous en aurons assez. Cela vous intéresse-t-il toujours de vous occuper de nous ?
— Bien sûr, répondit Dominique. Nous allons vous préparer un programme sur mesure, le moins fatigant possible. Jean vous accompagnera pendant le voyage. Il parle assez bien japonais et il vous aidera et réglera tous les détails du voyage. Nous prendrons un billet d’avion ouvert qui vous permettra de rentrer quand vous le désirerez. Nous ferons des étapes de deux ou trois jours.
— Quand voulez-vous partir ?
— Nous aimerions bien voir les cerisiers en fleurs. C’est, je crois, en mars ou en avril. Qu’en pensez-vous ?
— C’est une très bonne idée, répondit Dominique, nous en tiendrons compte dans notre préparation. Vous prendrez le train pour les grandes distances et des taxis le reste du temps. Vous n’aurez pas à transporter vos bagages qui voyageront sans vous. Nous organiserons quelques rencontres avec des familles pour que vous ayez une bonne idée de la vie japonaise. Il faudra aller à Kyoto, pour admirer les cerisiers en fleurs et voir les gens pique-niquer sous les arbres. Jean sera avec vous tout le temps et réglera tous les détails.
— Je vous reviens dans pas longtemps avec un itinéraire approximatif, ajouta-t-elle et quand j’aurai votre accord, je vous préparerai avec mon agence japonaise les détails des choses à faire en tenant compte qu’il ne faut pas que ce voyage soit trop fatigant.

Quand ils prirent congé, le vieux couple les accompagna jusqu’à la porte du jardin. Jean les salua en se penchant comme il l’aurait fait au Japon et naturellement ils lui répondirent de la même façon.

De retour dans la voiture, Dominique lui demanda d’appeler le client avec lequel il partait au Japon. Elle lui donna son numéro de téléphone chez lui et à son travail.

— Il s’appelle Pierre Ryan, dit-elle. Malgré son nom irlandais, c’est un francophone. Il ne parle pas japonais et son anglais n’est pas très bon. Tâche de le rencontrer avant votre départ.
— Je vais l’appeler avant d’aller voir Toyoko, viens-tu ce soir ?
— J’aurais aimé, mais j’ai trop de travail. Tu diras bonjour à tout le gang pour moi.

Elle lui demanda de la laisser au métro afin de retourner à son bureau.

Jean avait prévu d’aller au cours de japonais et il y arriva un peu en avance. Il appela Pierre Ryan avec le téléphone situé dans le couloir à côté de la classe de japonais. Il habitait Westmount, mais il lui donna rendez-vous pour le lendemain matin à Terrebonne là où se trouvait l’usine, les entreprises Paul Ryan et Fils inc., où ses machines étaient construites.

Toyoko terminait le cours intermédiaire. La porte était ouverte et il put entendre parler les étudiants. Le niveau n’était pas mauvais, mais l’atmosphère était tout à fait différente de ce qu’avait été leur classe.

Le cours se termina par un salut très japonais et les étudiants sortirent de la classe. Ceux qui avaient partagé son cours saluèrent Jean, mais ne s’attardèrent pas. Il s’approcha de Toyoko et après les salutations d’usage il lui exposa le problème que lui posait son voyage.

— Tu n’as pas à te préoccuper du niveau de langue, dit-elle, tant que vous êtes en discussions professionnelles. Cependant, si vous sortez dans un bar par exemple, là, il pourrait y avoir un petit problème à comprendre ce qu’ils disent, mais eux te comprendront toujours. Je vais te préparer une série de termes propres au commerce et aux machines. Demande à ton client de t’expliquer en quoi consistent à la fois ses machines et également le genre d’accord qu’il veut obtenir.
— Je crois que les discussions se feront en anglais, poursuivit-elle, mais il serait bon que tu comprennes ce qu’ils se diront entre eux ou du moins qu’ils croient que tu comprends. Téléphone-moi demain soir. On tâchera de se voir avant ton départ.

Marcel, Georges et Paul arrivèrent sur ses entrefaites. Ils saluèrent Jean chaleureusement. Il leur raconta ce qui lui arrivait et son prochain départ. Marcel annonça que lui aussi partait pour le Japon. Paul les invita à le voir à Yokohama. Il avait déjà ses cartes de visite et il en donna une à tout le monde.

— J’espère, dit-il, que vous trouverez un petit moment pour venir me voir.
— Vous aurez tous les trois l’occasion de rencontrer des interlocuteurs avec qui vous aurez à mener une entrevue. Les Japonais préfèrent arriver à plusieurs et leurs façons de fonctionner sont tout à fait différentes des façons nord-américaines.
— Je vais essayer de vous préparer à ce genre de situation.

Elle passa d’abord beaucoup de temps à préciser avec eux toutes les formules de politesse, les présentations, les arrivées et les départs. Elle recréa les conditions et les circonstances qui pouvaient se passer dans une rencontre.

— On commence toujours par les salutations, les présentations et les échanges de cartes de visite, c’est important de ne pas rater cette introduction à la rencontre. Si de nouveaux interlocuteurs s’ajoutent, il faut recommencer avec eux. Tu exposes le motif de ta visite. Fais-le en détail, car personne ne t’interrompra ni ne t’interrogera. Il est bon d’avoir un complice ou un partenaire qui reprend la parole après toi, car sinon au cas où personne ne pose de questions ou n’intervient pas, la discussion est close. Nous allons essayer avec comme simulacre une proposition d’échange d’étudiants avec le Japon. Jean fera la proposition, George sera son acolyte et Paul et Marcel ceux qu’il faut convaincre.

La première partie qui semblait la plus facile fut reprise plusieurs fois. Puis Jean fit une présentation rapide d’un projet qui prévoyait un échange d’étudiants entre l’Université de Montréal et une université japonaise et Paul et Marcel, jouant le jeu selon les instructions de Toyoko, ne répondirent que par des réponses polies. Georges ajouta quelques informations supplémentaires et n’obtint pas plus de participation des deux autres.

Toyoko intervint :

— C’est exactement ce qui arrive quand vos interlocuteurs n’ont pas le pouvoir de décision et ne sont avec vous que pour entendre ce que vous avez à présenter. Sans une bonne préparation de la rencontre, même avec des arguments de qualité, vous ne parviendrez pas à une quelconque décision dans cette première rencontre. À votre avis en quoi consisterait la préparation nécessaire quels sont les arguments qui seraient convaincants ?
— Je crois, dit Marcel, qu’il faut savoir quelles sont les responsabilités des interlocuteurs et si cette université japonaise est prête à participer à des échanges.
— Tout à fait, reprit Toyoko, sinon vous n’aurez que des réponses polies qui ne feront pas progresser votre projet. Mais vous n’aurez jamais de réponses négatives. Personne ne vous dira cela ne nous intéresse pas.

Ils recommencèrent plusieurs fois, changeant les situations et échangeant les rôles. Jean était le seul à parvenir à s’exprimer facilement, les autres avaient besoin qu’elle les aide à exprimer ce qu’ils avaient à dire. Comme l’exercice ne portait que sur une première rencontre, Toyoko élimina les réponses trop directes et trop positives. Cependant, dans la dernière simulation, elle ajouta une personne responsable parmi les interlocuteurs et lui fit poser des questions. Elle élimina toutes les questions qui auraient pu engager l’université japonaise à prendre un engagement.

— Si dans le groupe il y a une personne avec un certain degré de responsabilité, dit-elle, elle pourrait se renseigner sur des questions pratiques, des questions de responsabilité. Si elle prévoit une autre rencontre, c’est qu’elle a un très haut niveau de décision, mais en général cela n’arrivera pas et elle dira qu’on fera une réponse par écrit indiquant le niveau d’intérêt de l’université pour le projet qui leur a été proposé. Rien ne se règle en une rencontre.

L’exercice laissa Jean et Marcel assez découragés.

John et Dominique avaient déjà fait leurs adieux et avec le départ de Marcel, de Paul et de Jean, il ne restait plus que George pour participer aux cours suivants. Il proposa d’y mettre fin. Toyoko approuva en riant.

Le lendemain Jean se rendit à Terrebonne. Pierre l’attendait dans le bureau de la compagnie. La rencontre fut cordiale et ils passèrent directement au tutoiement. Il lui expliqua que son père était ce qu’on appelle au Québec un patenteux. Au départ, simple ouvrier dans une forge, il avait inventé une multitude de machines qui permettaient une certaine automatisation dans la fabrication de toutes sortes de produits. Il avait breveté ses créations qu’il améliorait sans cesse, et cela lui avait rapporté une petite fortune. Son père créait les machines, et les construisait avec son fils aîné. Lui, il se chargeait de la commercialisation des créations de son père. Ils avaient acheté ensemble cette petite usine où travaillait une douzaine d’ouvriers.

Son entreprise était bien connue des manufactures québécoises et bon nombre d’entre elles fonctionnaient avec des machines de sa création. Chaque fois que l’une d’entre elles prévoyait créer un nouveau produit, elle faisait appel à eux et en un temps record ils pouvaient proposer sur plan la machine qui accomplirait le travail et par la suite ils pouvaient la construire et l’installer.

— Ce qui est extraordinaire dans le talent de mon père, lui confia Pierre, c’est qu’il est capable de créer des machines pour toutes sortes d’usages et dans toutes sortes de domaines, de l’alimentaire à la mécanique. Quand on lui propose un projet, il s’investit totalement et avec l’aide de mon frère il construit le prototype. Je me charge de le faire breveter. Presque toujours, les clients sont satisfaits et ils font construire leur machine chez nous.
— Qu’est-ce que tu vas proposer aux Japonais ? lui demanda Jean
— La plupart des machines fonctionnent en plusieurs temps. Cela crée une chaîne. Le premier temps peut être une machine qui existe déjà. Elle est souvent indispensable pour créer le deuxième temps qui est beaucoup plus spécifique et correspond à ce que nous créons à la demande de notre client. Il y a souvent un troisième temps qui concerne la finition, l’emballage du produit recherché.

Jean approuvait sans vraiment comprendre ce que pouvaient être ces machines.

— Nous avons une vingtaine de machines du premier temps qui sont brevetées et que nous aimerions commercialiser à l’étranger. Certaines sont déjà fabriquées aux États-Unis par des partenaires commerciaux avec des contrats d’exclusivité. J’ai fait faire des recherches au Japon et il m’a semblé qu’il y avait un potentiel intéressant pour faire construire sous licence certaines de ces machines par un partenaire japonais. Il y avait également une possibilité de commande pour la création de machines du deuxième et même du troisième temps par la suite.
— Nous étudions le marché japonais depuis un an. Il y a là-bas une tendance importante à automatiser les chaînes de fabrication et diminuer le nombre d’ouvriers impliqués. Avec l’aide de la délégation du Québec au Japon, nous avons invité un certain nombre d’hommes d’affaires et d’industriels japonais que nous allons rencontrer pour leur proposer un partenariat pour la création et la production de ces machines. Je leur ai fait parvenir de la documentation sur les chaînes qui fonctionnent à l’aide de nos machines. Un certain nombre d’entre eux ont accepté notre invitation et viendront nous rencontrer quand nous serons au Japon. Nous n’avons pas des attentes immenses, mais cela pourrait être une belle aventure et une belle expansion pour notre société.
— Je cherche différents contacts, poursuivit-il, des clients pour acheter les machines que nous avons créées. Nous avons étudié ce que produisent les compagnies que nous rencontrerons et je sais que certaines de nos créations seraient adaptables à leur production avec un profit certain. Je cherche également de jeunes entrepreneurs qui deviendraient des associés qui produiraient ces machines à partir de nos plans et en assureraient la diffusion.

Dans le bureau, il sortit toute la documentation et les plans des machines qu’il avait envoyés aux Japonais. Ils avaient été traduits en anglais et Jean trouva les traductions satisfaisantes. Il demanda d’en emporter un certain nombre afin d’étudier le vocabulaire qui s’y attachait.

— Dominique m’a appelé ce matin, lui dit Pierre, elle a nos billets d’avion, nous prendrons l’avion pour aller à Hiroshima et le train pour aller à Osaka. Nos hôtels sont réservés.

Il ajouta en riant :

— C’est un voyage d’affaires et je n’ai pas le temps de faire du tourisme alors ne te crois pas obligé de me faire faire des visites ni de passer les soirées à l’extérieur.
— Ce seront peut-être vos correspondants japonais qui se croiront obligés de s’occuper de tes soirées et tu ne pourras pas refuser, répondit Jean.
— As-tu une idée de la façon dont je dois m’habiller ?
— À Tokyo en décembre c’est l’hiver. Habille-toi comme chez nous. Les Japonais seront généralement en costume, chemise blanche et cravate. Fais comme eux. Il peut y avoir de la neige. Prends des caoutchoucs pour tes chaussures. Prends autant de bagages que tu veux. Nous avons prévu une compagnie qui s’occupera de transporter nos bagages d’un hôtel à l’autre. Prévois un petit sac ou un attaché-case pour les documents que tu emporteras dans le train.
— Nous nous retrouvons dans quatre jours à Dorval. L’avion d’Air Canada part de bonne heure.
— Je sais, j’ai pris ce vol il y a six semaines. Nous avons une longue escale à Los Angeles et le vol suivant est un très long vol de nuit. À l’aéroport nous prendrons une limousine qui nous conduira à l’hôtel. Dominique ne m’a pas encore donné le détail du programme, à quelle heure est ton premier rendez-vous ?
— Dix heures, mais je crois que toutes les rencontres de Tokyo se passeront dans mon hôtel. Une le matin, et une l’après-midi, les deux jours. Je n’ai pas mélangé les gens. Il n’y aura à chaque rencontre que les représentants d’une seule compagnie, parfois une grosse, parfois une petite. Pour Tokyo j’ai reçu le nom des personnes qui me rencontreront et leur nombre varie de trois à quinze. Ça va être très intéressant. Je ne parle pas japonais et mon anglais n’est pas très bon. Dominique m’a dit que tu parles les deux. Je compte sur toi. Il est presque certain que tu auras à dire en anglais ou en japonais ce que je te dirai en français. J’aimerais que mes interlocuteurs ne sachent pas que mon anglais est approximatif. Si je ne comprends pas ce qu’ils me disent, je te demanderai de traduire. Ce sera automatique s’ils parlent en japonais.
— As-tu fait des cartes de visite ?
— Oui, j’en ai fait faire pour cette occasion.

Il en donna une à Jean qui constata avec satisfaction qu’elles étaient en japonais à l’endos.

— Tu sais, dit Jean, que dans les présentations, l’échange des cartes de visite est essentiel. Les tiennes sont très bien. Demande à ton imprimeur de m’en faire une boîte avec mon nom et une responsabilité comme directeur du marketing, ça fait bien. Je te quitte, on se retrouve à Dorval.

Jean repartit avec une pile de documents à étudier. Il s’arrêta au bureau de Dominique qui elle aussi lui avait préparé une grosse enveloppe de documents et d’instructions. Avec l’aide de son agence japonaise, elle avait planifié la visite dans les moindres détails : les hôtels et les réservations de salles, les correspondants dans chaque ville, le transport des bagages. Le retour qui se fera en avion depuis Osaka avec une escale à Tokyo. Deux jours à Tokyo, deux jours à Hiroshima et deux jours à Osaka.

Il rentra chez lui pour étudier les documents que Pierre lui avait confiés. Il prépara une liste de termes qu’il pourrait avoir à connaître et appela Toyoko. C’est son mari qui répondit. Elle avait encore un cours dans l’après-midi et elle devait rentrer vers cinq heures. Elle l’invitait à passer chez eux vers six heures et il lui donna son adresse pas très loin de l’université.

Il téléphona à Marcel pour lui annoncer la date de son départ. Ils arrivaient à Tokyo un peu après lui. Ils logeraient chez les parents d’Atsuko en arrivant, mais ils n’étaient pas certains de passer le mois chez eux. Il lui donna leur numéro de téléphone.

— Appelle-moi, lui dit Marcel, je te dirai ce que nous aurons prévu. Nous serons très contents de te voir.

Sur sa lancée il téléphona à Paul pour lui annoncer son retour au Japon. Paul lui conseilla de l’appeler au travail, quand il sera à Tokyo, car il n’était pas sûr de s’installer tout de suite à Yokohama.

Il arriva chez Toyoko vers six heures. Il lui montra la liste de termes qu’il avait préparée. Il y en avait quelques-uns qu’elle ne connaissait pas et elle dut faire appel à son mari, Masaki, qui était ingénieur et qui était né au Japon. Il en connaissait plusieurs. Elle les écrivit en katakana pour qu’il puisse les prononcer correctement. Elle répéta avec lui tout le cérémonial des présentations.

— Tâche de savoir, lui dit-elle, l’importance de chacun. Il ne faut pas traiter un simple subalterne de la même façon qu’un important directeur. L’âge doit te servir pour déterminer qui est important et qui ne l’est pas. Assure-toi que tu as des cartes de visite qui te donnent un rôle important, comme directeur du marketing ou quelque chose comme ça, même si c’est un mensonge. Au moment de l’échange des cartes, assure-toi de savoir qui est qui. Eux aussi ont tendance à donner des titres ronflants à des gens qui n’ont aucune responsabilité.
— Rappelle à ton client, ajouta-t-elle, qu’au Japon les décisions ne se prennent pas rapidement et qu’il ne doit pas s’attendre à une conclusion quelconque au cours de sa visite.

Elle avait préparé un petit souper et elle l’invita à rester avec eux. Il en profita pour lui raconter en détail toutes les choses, toutes les rencontres et les découvertes qu’il avait faites pendant son séjour.

— Hier, j’ai parlé avec ma sœur au téléphone, lui dit-elle. Le défilé de mode auquel elle a participé a été une réussite et elle était très contente. Elle m’a annoncé que Kazuko a vendu son entreprise à son employé et a quitté le Japon.

Il ne lui dit pas qu’il l’avait vue à Los Angeles, cet épisode était encore très flou dans son esprit et il n’était pas sûr de l’avoir réellement vécu.

— J’ai parlé également avec Yumiko. Sa mère et sa fille venaient de revenir du Japon. Je lui ai dit que toi tu repartais là-bas. Elles aimeraient te voir avant ton départ.

Le repas se termina avec la traditionnelle tasse de thé vert puis Jean prit congé en saluant respectueusement ses hôtes.

Rentré chez lui, il appela Yumiko. Il était un peu inquiet de sa réaction. Elle lui proposa de venir souper chez elle le lendemain. Elle ajouta que sa mère et Aiko seraient très heureuses de le voir, et qu’elle-même aurait des questions à lui poser sur l’échec de sa relation avec Kazuko. C’est ce qu’il redoutait, mais il lui promit de venir.

Il passa encore un moment à étudier les mots que Toyoko lui avait donnés en essayant de les placer dans des phrases puis il alla se coucher. Il eut du mal à s’endormir, bousculé par toutes les choses qui lui arrivaient depuis son retour. Curieusement, la visite d’Hélène et les derniers évènements dissipaient toute la tristesse et le vide qu’il avait ressenti même quelques jours plus tôt. Il se sentait débordé par cet afflux de choses à faire. Dans sa vie antérieure, il n’avait jamais connu ça.

Il lui restait à comprendre pourquoi Sophie s’était enlevé la vie, mais cela était devenu secondaire. Il put enfin se dire qu’elle n’était plus une petite fille et que sa décision lui appartenait même s’il pensait qu’il aurait pu y faire quelque chose.

Réveillé de bonne heure, il se fit un café et étudia attentivement tout ce que Toyoko lui avait préparé. Il écrivit les phrases dont il croyait avoir besoin afin de vérifier avec elle si elles étaient correctes. Dehors, quelques flocons de neige annonçaient l’hiver qui s’apprêtait à arriver.

Le téléphone sonna, c’était Dominique.

— J’ai préparé un itinéraire pour les Boisclair. J’aimerais que tu le voies. Si tu es libre cet après-midi nous pourrions aller le leur montrer. Je profiterai de ta voiture, ce serait bien pratique.

Jean n’avait rien de prévu et il n’allait chez Yumiko qu’en fin d’après-midi. Il accepta.

— Je passe te prendre. On pourrait se retrouver à deux heures au métro Henri-Bourassa, comme la dernière fois, proposa-t-il.

Elle approuva et le remercia.

Il retourna à son étude. Il eut avec Toyoko qui n’avait pas de cours ce jour-là un long échange au téléphone. Il lui proposa les phrases qu’il avait préparées.

— Tes phrases sont grammaticalement correctes, dit-elle, même si ce n’est pas comme ça qu’un Japonais s’exprimerait. Mais ils comprendront. N’utilise que des phrases courtes quitte à les ajouter les unes après les autres. Encore une fois, ce n’est pas comme ça qu’un Japonais s’exprimerait, mais tu es un Gaijin et l’important c’est qu’ils te comprennent. Par contre, méfie-toi quand ils te parleront, car eux risquent de te faire de longues phrases et tu auras peut-être du mal à trouver l’essentiel de ce qu’ils disent. Pour t’en assurer, n’hésite pas à leur faire confirmer ce que tu penses avoir compris par une question. Mon mari me dit qu’au Japon, dans certains domaines en particulier celui de l’industrie, ils communiquent souvent en anglais. Tu as souvent rencontré ces mots anglais japonisés, qu’il faut prononcer pour trouver leur origine comme le mot milk qui donne en japonais miruku.

Jean la remercia.

— N’hésite pas à m’appeler quand tu seras là-bas, ajouta-t-elle. Je te souhaite un bon voyage, fais attention, il peut faire froid à Tokyo en décembre.

Il écrivit une lettre à Keiko. Il lui disait qu’il allait passer quelques jours au Japon, mais comme Kyoto ne faisait pas partie de son circuit, il ne pensait pas pouvoir la rencontrer.

Il mit dans la voiture le joli éventail acheté à Kyoto afin de l’offrir à Yumiko, puis il passa au centre d’achat acheter une bouteille de Beaujolais et prendre les photos qu’il avait données à développer. La photo avec Keiko au Pavillon d’or à Kyoto n’était pas mal. Elle avait un joli sourire. Il la glissa dans l’enveloppe.