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Freddy Binas, petit dur à la vue étroite, enfermé dans les codes de sa cité, est piégé par sa violence intérieure qui reflète ses douleurs. Arrogant et sur la défensive, il ne connaît pas d’autres lois en dehors celles qu’il a élaborées, pas à pas, dans les couloirs de sa peur. Freddy envisage pour la première fois de voyager. Il choisit le Maroc, réputé pour sa culture de cannabis. Le risque est son ami depuis longtemps, ils se côtoient et se sont apprivoisés. Son projet, devenir un caïd. Rien ne va se passer comme il l’entendait. Une autre vie, indépendante de sa volonté, va parader devant lui. De découverte en découverte, il pourrait devenir Marocain de cœur. Saura-t-il choisir le bon chemin ? Que fera-t-il de son bréviaire des quartiers ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Autodidacte depuis l’âge de 16 ans,
Pascal Viriot apprend la musique et choisit la guitare basse comme instrument. Parallèlement, il lit beaucoup de poésie et voyage avec la lecture. Ces deux passions, qui ont nourri sa vie et qui ne l’ont jamais quitté, sont parfaitement illustrées dans ses productions littéraires.
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Pascal Viriot
Joueurs d’oud
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pascal Viriot
ISBN :979-10-377-5900-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Peu importe d’où tu viens, c’est le chemin que tu fais qui est important.
Au nom de ma loi, je connais bien cette boule au ventre, un peu acide, et cette violence qui l’accompagne que je m’inflige pour ne pas souffrir. À mes côtés, elle forge ma résistance et c’est la main sur l’abdomen que je soulage les crampes brûlantes qui me font souffrir et plient mon corps par petites secousses de l’intérieur. J’ai souvent faim et ces douleurs je les mets aux ordres !
Coucher !
Pas bouger !
Sage !
Je ne veux plus pleurer. Je veux m’endurcir. Je ne veux plus rester seul avec mes yeux rougis, mouillés. Je veux ignorer la solitude de ces moments douloureux. Grandir ce n’est pas si difficile ?
Il faut de la volonté, rien de plus. Alors j’agis, je décide avec autorité, je ne veux rien éprouver, surtout, ne rien sentir. Car à quoi bon gémir, à quoi bon pleurnicher quand il n’y a pas l’espoir d’une embrassade salutaire au bout du couloir ?
C’est vrai, ça ne sent pas bon la solitude ! Je peux dire que ça empeste, ça empoisonne, ça vous dévisse la raison.
Après avoir vérifié que je suis bien seul, assis sur les marches, il m’arrive parfois de crier très fort dans l’escalier de ma tour pour tromper ce désert de béton qui m’entoure. Mes cris me donnent l’illusion d’une présence. Soudain, je ne suis plus seul car j’entends l’écho qui se moque en dévalant tous les étages un à un avec cette voix qui me ressemble.
Alors je crie plus fort que lui avant d’entendre les répétitions de mes cris qui me ridiculisent à nouveau. Les retours de ma voix sont nombreux et se perdent dans l’escalier comme un chien battu la queue entre les jambes, ils disparaissent. Alors, dans un deuxième souffle, je recommence et, la tête entre mes mains, je constate que personne ne m’a entendu.
Ouf !
Je me sens mieux, ça m’a fait du bien de m’époumoner. Je n’ai pas le remède ni le baume pour adoucir les émotions qui me traversent dans ces moments difficiles que je ne sais pas gérer. Je crie dans l’escalier et pour un moment, un instant seulement, ça me répare. Un peu de peine s’expulse avec mes hurlements.
Je m’allège d’un peu de souffrance mais il m’en reste encore. Une autre séance sera nécessaire.
Beaucoup d’adultes autour de moi partagent ma déroute et devant ce vide commun un peu trop envahissant, ils boivent et me proposent l’exemple d’une vie figée, un peu rouillée, grinçante, comme un exemple à prix cassé.
Le regard triste, ils s’affichent sans surprise, un peu froissés de l’intérieur. Ils sont comme une fin de série que personne ne veut et qui reste au fond du panier.
J’ai peur de leur ressembler, je cherche un autre chemin que je ne trouve pas. J’attends un déclic qui ne vient pas !
Je me demande souvent dans quelle direction une histoire nouvelle pourrait venir.
Où aller pour la rencontrer ?
Qui me donnera un indice pour oublier mes cris dans cet escalier ?
Je ne veux pas faire comme tout le monde. Je ne veux pas vendre de la drogue et m’enrichir trop vite. Cet excès de vitesse me fait peur, un accident est vite arrivé. J’ai vu mes anciens amis brasser de l’argent et perdre la santé au rythme des billets qu’ils comptaient, beaucoup y ont perdu la vie. D’autres ont troqué leur raison pour quelque temps et ne l’ont jamais retrouvée. Elle est partie, je ne sais quand elle reviendra.
Ils ont brûlé leur destin en allumant un feu intérieur dévastateur et l’infortune de cette chaleur artificielle qu’ils trouvaient agréable a fini par les détruire. Un à un, seul, en carence, manquant de tout, transis et tremblants dans l’oubli ne cherchant plus rien. Vaincus !
Je ne veux pas serrer les dents et tourner la tête à droite, puis à gauche en me mettant sur une ligne de départ toujours prêt à m’enfuir pour éviter la police. Je ne veux pas de cette inquiétude. Je ne veux pas de la crainte des règlements de comptes à ne plus savoir :
Qui est qui ?
Ou qui est avec qui ?
Je ne veux pas être prêt au pire scénario de légitime défense. Je ne veux pas de ce fardeau qui a fait tomber tant d’amis, emportés par la violence, ils ne se sont jamais relevés de leur tempête intérieure. Tous ces grands dinosaures effrayants dans ma cité se sont effacés, balayés de l’intérieur, mortellement empoisonnés par leur dangereuse inconscience. À trop se moquer de la vie, la vie a fini par se moquer d’eux. J’ai peur de leur ressembler, une mutation sournoise commence à s’installer en moi.
Je veux rester un inconnu, celui que personne ne reconnaîtra dans les pages des faits divers de la presse locale. Pas de photos de moi dans les premières pages des quotidiens de bas étage.
Je ne veux pas non plus être le minable, le bouc émissaire de tous ces pauvres bougres violents que je croise chaque jour en rentrant chez moi. Je ne veux pas être celui que l’on gifle et terrorise pour lui voler quatre sous quotidiens. Je cherche en vain un exemple à suivre dans la meute des aînés que je côtoie, mais je n’en trouve aucun sur le chemin qui mène à mon appartement.
Il y en a pas un qui me donne une piste de bien être, tous ces aînés sont les véhicules de désespoirs multiples. Chaque récit de leur vie est une avalanche, une crue majeure d’un fleuve qui se repend, un incendie ravageur. Je sais que certains petits cadors sont capables d’être nocifs et je m’en méfie, je les regarde comme on regarde le poison, je m’éloigne du serpent venimeux.
Attention danger !
Je ne suis pas celui qui prend des coups sans les rendre et il me faut souvent intimider pour être tranquille. Je montre les crocs et je fais très mal pour avoir la paix. J’ai appris à être dangereux. Oui, je suis allé au bout de ma cruauté pour entrer dans la meute. Je connais les insultes qui font mal et je les scande debout sur mes deux pieds. Comme une mauvaise herbe, je m’enracine dans ce terreau.
Aucune thérapie n’a eu raison de mon entêtement à pousser comme bon me semble. Je refuse tous les soins. Je suis un voyou, une petite frappe. Toutes mes pensées et toutes mes actions piquent et vous dérangent car elles sont urticantes. Aujourd’hui, je ne suis plus inquiété. On me connaît, on me reconnaît. Je fais comme je peux pour calmer ma peur, je m’entraîne à la terreur.
Ma réputation est mon laissez-passer.
Je suis un homme ! C’est ce que je me dis, c’est aussi ce qu’on me dit. J’entends autour de moi les discussions et réflexions sur les qualités du mâle résistant à toutes épreuves, le dur, le vrai, le tatoué ! Celui qui n’a aucune indulgence et qui est sans pitié. Résistant dans la mise à l’ombre et réservant sa fièvre pour une recette de mauvaises herbes.
Bien sûr, la case prison est une plus-value dans ce petit monde. Il faut savoir évoluer sans voir le soleil ! Sorti de ce châtiment lorsque tu as fini ta peine, le bouche-à-oreille t’aidera et te donnera du galon.
Tu as enfin quelque chose à raconter.
Souffrir en silence est une règle que je commence à comprendre. Silence et solitude commencent par la même lettre. Ne pas trop parler, éviter la compagnie pour ne pas être sollicité, ne pas être inquiété par un projet dangereux, trop dangereux. Je m’y applique. Je dois être dur pour être considéré. Les rois du vice et les carambouilleurs doivent me craindre. On doit se méfier de moi.
La frappe, c’est mon assurance tous risques, mon laissez-passer. C’est pour cela que je ne suis pas attentif à la douleur des autres. Ma force de nuisance je la consolide tous les jours, c’est un entraînement, une révision quotidienne, un entretien pour ne pas être embarqué dans un mauvais coup. Les rois du vice et de la frappe font partie de moi. Je les ai adoptés.
Toujours être prêt pour démotiver d’éventuels agresseurs. C’est un exercice à la dissuasion. Des durs, des tatoués, autour de moi il y en a beaucoup. Tous signent leur abattement avec une empreinte de violence particulière, c’est une estampille qu’ils gravent sur leur corps, une signature, une grimace, chacun la sienne. C’est le sceau du désespoir.
Tous cherchent et trouvent une monstruosité qu’ils cultivent pour qu’on se souvienne de quel bois il se chauffe. C’est un bouquet, une trace, un frisson empli d’effroi qu’ils s’appliquent à distribuer. La férocité a une odeur particulière, elle avertit. Elle annonce une infection qui ne dit pas son nom, c’est un relent de peur qui donne de la fièvre.
Lorsque je rentre à la maison, dans mon indicible cité honorée de tous les abandons, cité fantôme, je ne croise personne.
La peur du vide ?
Oui, ça existe !
Tout le monde a peur !
Des illusions traînent dans les couloirs et font du bruit. Elles se cognent dans les murs et cherchent la sortie. Tous les habitants ont leur avis sur ce sujet, tout le monde a vu quelque chose ou a cru voire. Tout le monde se souvient d’avoir pleuré dans les allées de ce village abandonné. Chacun a ses conceptions sur le fait divers du jour. Blasés, ils connaissent tous les gros titres de la mauvaise presse.
C’est facile dans ce décor d’avoir des hallucinations, un appartement sur quatre est déserté. Les envahisseurs sont là ! Tout est dévasté. Une ombre en cache une autre.
Personne ne sait qui il croise. Tout le monde se cache. C’est une zone de non-droit, un délavé d’inquiétudes.
Les séducteurs, les beaux gosses ne sont plus de cette cité depuis longtemps car les hommes sont tous alcoolisés et n’ont plus la tête à la bagatelle. Ils rotent et ronflent pendant la sieste la bouche ouverte, les gencives rougies par l’alcool. Les dents abîmées ils vomissent leur accablement. Tous leurs espoirs sont anesthésiés.
La jeunesse, en rupture, vit dangereusement cette déchirure et trouve des paradis à petits prix. Elle suit leurs aînés et la ruine est devenue un signe de reconnaissance. C’est un effondrement mis en avant, pour être aperçu. C’est le badge de l’errance. Chacun mène sa barque en aveugle sans savoir où elle va. Certains courent plus vite que d’autres et vont directement en enfer sans billet retour. C’est comme un grand saut ! Un échec répété ! Au bout de trois essais, ils se disqualifient.
Ils flânent et divaguent dans les allées grisâtres, perdus, ils se sentent surpuissants. Je les croise parfois et ils me peinent. Ils ont dans le regard une obscurité très profonde qui me donne le vertige.
« Coucher ! Pas bouger ! Chut ! Laisse-les passer. Ne les regarde pas ! »
C’est ce que je me dis lorsque je marche à leurs côtés quand le sort me fait les rencontrer.
Et dans ces moments-là, j’aimerais me coucher sur le sable et écouter le vent. Être ailleurs. Mais où est donc la plage ?
Je vois bien qu’ils se souviennent à peine de moi. Ils me flairent et cherchent à savoir qui je suis. Cela leur est difficile car leurs neurones titubent un à un. Pourtant, gamins, nous jouions ensemble. Nous étions de bons copains, nous salissions nos habits tout propres dans le même bac à sable.
Aujourd’hui, ils grimacent sans savoir pourquoi. La grimace est une sorte de peinture de guerre. C’est une façon de vivre. Puis ils me proposent un produit extraordinaire dont ils me vantent la puissance onirique.
Je ne sais pas pourquoi ils se mettent à rire et l’un deux commence à vomir. Celui qui rit, rit encore plus fort de celui qui vomit et celui qui vomit, vomit davantage.
Je les observe avec le regard le plus neutre possible afin qu’ils ne décèlent aucun sentiment, aucune pensée qu’ils pourraient mal interpréter. Puis l’un d’eux prend la parole en me montrant un produit dans sa main, vite refermée, et levant son poing avec le produit dedans.
« Tout comme Ulysse, voyage garanti ! Ah ! Ah ! Ah ! » me dit-il en se tenant le ventre avant de faire quelques grimaces causées par des douleurs passagères. Je prétexte un manque d’argent pour justifier mon refus.
C’est une minable Odyssée pour ces trois jeunes hommes qui ne savent plus où habiter, nulle part où aller, pas de maison à l’horizon. Je sais qu’ils dorment dans les caves.
Mais la puissance de leur produit ?
La beauté du voyage annoncé, je le constate dans l’évanouissement de leur cœur d’enfants. C’est une attestation de naufrage. Ils sont toujours prêts à vendre le meilleur d’eux même pour quelques grammes d’un fameux fruit défendu. Ils ont déjà tout perdu et rien ne les entrave.
Ils ne cherchent plus, ne s’intéressent plus. Ils pensent avoir trouvé le moyen de combler le vide qui leur appartient. C’est le venin du serpent !
La solution pour toutes les opérations en cours dans leur vie quotidienne.
Je vois sur leur visage hébété le goûte à goûte de leur poison ils en ont les larmes aux yeux. J’aperçois leur santé qui s’enfuit par tous les pores de leur peau car ils transpirent et ils ont froid.
Ils se détruisent devant moi sans le savoir. Ils ne veulent rien entendre. Jeunes, ils se sentent puissants et se croient tout permis jusqu’à faire tomber leur couronne printanière du haut de leur vingtième année. Ils la piétinent en ricanant. Ils bafouent leur bel âge.
Ajournés momentanément de toutes souffrances, ils se régalent en public de leurs actes sans valeur, bons à rien, ils vacillent, ils trébuchent et tout le monde rit doucement en attendant leur chute.
Le pouvoir merveilleux de leur came, je le constate dans le trébuchement de leur pas et dans les tremblements de leurs mains. Ils s’entichent de ces petits frissonnements qu’ils ne peuvent dissimuler. Tralala, ils se croient heureux et rient pour se tromper eux-mêmes. Du haut de leur ricanement, ils regardent le monde avec mépris. Leur joie m’effraie. Parfois, ils se grattent longtemps avant de bredouiller une phrase incompréhensible. Ils sont embarqués et n’écoutent même pas ma réponse. À quoi bon ? Ils ne se rappellent pas de m’avoir questionné. Ils sont interpellés par un monde touffu dans lequel ils s’engouffrent à grands pas. J’entends leur rire stupide et diabolique s’éloigner et se perdre, résonnant dans une autre direction.
Ils toussent bruyamment avant de cracher. Nos chemins divergent et les bougres s’évanouissent, vaille que vaille, au bout de la rue.
Je reprends mon souffle. J’avale ma salive. La distance qui nous sépare est bénéfique, c’est physique. Je me détends, je respire beaucoup mieux depuis qu’ils ne sont plus à mes côtés. J’ai sauvé la face. Ils s’en souviendront peut-être ? J’ai mal pour eux car je les ai connus vifs et joyeux bambins. Certains étaient même jolis garçons et j’enviais leur succès auprès des filles. Maintenant, ils me font peur.
Encore quelques mètres et je serais à la maison.
J’attends l’ascenseur qui ne vient pas, il m’emmènera au huitième étage. Il ne va pas assez vite. Je m’accroche à la poignée solide de la porte en fer. Je donne un coup de pied dans la porte pour prévenir de mon attente au rez-de-chaussée. L’ascenseur est peut-être en panne ? Je ne lis plus les insultes et insanités qui sont écrites sur les murs. Je brouille mon cerveau lorsque je passe devant car tous les couloirs sont graffés grossièrement de la même façon.
J’ai besoin de repos comme à chaque fois que je traverse ma cité car mes amis d’enfance sont devenus imprévisibles et cruels. Ils me font peur. Ce sont de petits prédateurs en quête de sensations fortes. Ils se perdent et ne voient pas dans l’état qu’ils se mettent. Ils sont dangereux. C’est inquiétant. Je les vois se détruire et, rapidement, la violence les défigure.
Je ne peux parler de tout cela à qui que ce soit sans avoir l’impression de les dénoncer, de les trahir car toutes les anecdotes les concernant sont à classer dans les faits divers des journaux quotidiens.
D’ailleurs, où sont les oreilles qui pourraient écouter ce que j’ai à dire ?
Qui prêterait une attention à toutes ces mauvaises histoires dont j’ai été le témoin ?
Qui veut entendre les annales de la barbarie moderne ? Qui veut connaître les dernières anecdotes des vaux rien de mon quartier ?
Personne ! Je ne vois pas.
Alors je me mets sur mon balcon et je regarde le toit rouge des maisons tout autour. Je m’assois et je commence un petit voyage. Je passe d’un toit à un autre. Ils sont identiques mais je leur trouve des différences. Je compte les tuiles. Je me projette dans les jardins individuels qui entourent la cité et je joue avec les balançoires que j’entrevois à côté des potagers. C’est illusoire.
Sur mon balcon bien calé dans un fauteuil de plage, je sors de ma poche du tabac, des feuilles à rouler et du haschich. Je surmonte toutes mes peurs en fumant et en essayant de faire des ronds avec la fumée.
C’est pas facile de faire des ronds !
Il y a une technique à comprendre. Il faut faire un o avec ses lèvres et envoyer la fumée sèchement, mais doucement pas trop fort en regardant le résultat s’envoler. C’est un petit bonheur qui ne dure qu’un court moment. Une petite victoire qui s’envole et se déchire sous vos yeux.
Je ne veux plus pleurer. Je ne veux plus rester seul avec mes yeux rougis. Je veux ignorer la solitude de ces moments douloureux que je vis parfois. Alors je fume sur mon balcon. Quelques enfants jouent sur la pelouse, ils creusent des trous dans la terre, ils s’amusent avec des billes que j’imagine de toutes les couleurs. Les enfants finissent toujours par se battre pour gagner. Je souris car je reconnais mon école, les jeux de billes et les combats de coqs. Mes premiers vols de petits soldats et mes tricheries de mauvais joueurs, ce fut déjà l’apprentissage de la débrouille.
Au loin j’aperçois une femme, petite, le dos voûté marchant doucement sur le chemin dans ma direction. Un panier vide à la main, je sais qu’il est vide. Il est toujours vide. Il ne doit pas être lourd pourtant elle avance comme si, à petits pas, lentement elle se dirige vers le hall vingt-quatre de la tour huit. Elle me paraît fatiguée car elle est courbée. Elle est toujours un peu pliée du matin au soir.
Je la sais courageuse et généreuse aussi. Je crois qu’il faut ces qualités pour vivre à mes côtés. Ses pas sont une lutte, une lutte physique et psychologique elle avance à son rythme.
La marche dans cette allée ?
C’est sa victoire !
Seule contre tous, personne ne la regarde mais tout le monde la connaît. Du haut de mon balcon, j’ai de la tendresse pour cette femme. Mes yeux se réjouissent de la voir avancer. Son silence est pesant, elle regarde le sol et n’attend plus grand-chose. Courageuse elle avance petit à petit, elle s’approche de la porte du hall 24 de la tour 8. J’aurais pu me lever et crier :
« Maman ! »
Mais je ne l’ai pas fait.
J’aurais pu me lever, descendre et l’attendre en lui ouvrant la porte de la maison mais je ne l’ai pas fait. J’aurais pu l’embrasser et lui demander :
« Bonjour Maman, comment tu vas ? »
Je ne l’ai pas fait. Enfin j’aurais pu lui préparer un bon café et partager cette boisson en m’inquiétant de sa journée. Rien de tout cela n’a été fait. Nous n’avons plus grand-chose à partager, ni dans l’assiette ni dans la tasse de café, les mots nous manquent et notre tableau de chasse est cruellement vide. Elle ne dira jamais qu’elle a faim si je n’ai pas mangé avant. Petit à petit notre vie s’est altérée.
Plus de conversation entre nous, ventre affamé n’a pas d’oreilles. Les grains noirs qu’ils nous restent à moudre sont les grains de la colère, pas facile de faire du pain avec ce genre de semis.
D’ailleurs je ne me souviens pas qu’il y ait eu un dialogue entre nous ?
Ou alors il y a longtemps. Nos regards ne se croisent plus, la douleur nous fait perdre la mémoire.
À quoi ça sert de mettre un miroir en face d’un miroir ?
Nous nous ressemblons tant.
Notre souffrance est identique, on la connaît, on manque de tout et on le sait ! Nous sommes effrayés par la vie que nous menons. Nos peurs s’entremêlent et nous partageons chaque jour le nœud à l’estomac, nous avons les mains moites d’une humidité fébrile. La respiration de Judith me renseigne, je la sais vivante, en mode économique, ne demandant rien ou très peu. Ne cherchant pas la communication.
Mon souffle l’instruit sur mon état de vie.
Est-il chaud ?
Est-il froid ?
Est-il lent ?
Est-il rapide ?
La journée sera-t-elle estivale ou va-t-il geler entre nous ?
Quel temps va-t-il faire ?
Je sais que je fais la pluie ou le beau temps à la maison. On se devine en un clin d’œil. Pourtant Judith m’échappe quand elle rêve ou quand elle médite. Je ne connais pas la différence.
Notre appartement est partagé, elle a sa chaise dans le salon et j’ai mon balcon c’est une frontière interne. Respectée et reconnue entre nous. Nous sommes devenus deux fauves qui se sentent et se reconnaissent du même clan. Nous ne mangeons pas de viande elle est trop cher, c’est la seule différence entre les félins et nous. Nous ne chassons pas ensemble, elle travaille et je ne fais rien. Je lui vole parfois de petits gains. Elle mange après moi si je lui laisse quelque chose dans l’assiette et elle ne s’en plaint jamais. Chétive elle mange très peu.
La mouise et la poisse sur notre pain grillé quotidien en guise de dessert, c’est notre tarte à la crème présente au menu chaque jour.
Trop de misère nous sépare, il nous reste la souffrance à dépecer pour le dîner. C’est un os à ronger. Elle de voir en moi un fils brutal qui lui fait peur et moi d’être toujours désagréable en maudissant mon père absent.
Où est-il ?
À qui ressemble-t-il ?
Les pleurs de ma mère tous les voisins les ont entendus. Certains dimanches lorsqu’elle ne travaille pas il lui arrive de sangloter. Lorsqu’elle commence à pleurer, cela peut durer une journée. Je ne sais pas quoi faire et cela me rend fou, je lui demande d’arrêter mais rien n’y fait, elle continue.
D’autres me disent que ça lui fait bien ?
À l’étage cela s’entend, en dessous, au-dessus et sur les côtés. Les murs ne sont pas épais. Alors je la prends dans mes bras pour qu’elle se calme un peu mais elle n’a pas envie de se calmer et elle pleure encore plus fort. Après chaque respiration elle continue. Ses yeux sont rouges et elle a du mal à respirer parfois.
Je suis perdu. Je suis furieux. Je ne sais plus, c’est la panique ! Je cherche en vain quelque chose qui pourrait la consoler puis je me mets à pleurer à ses côtés en la serrant dans mes bras en espérant la consoler juste un instant. Juste un instant seulement.
Je sais que les voisins nous entendent, notre misère est découverte et cela me rend fou. Je suis furieux de ces oreilles indiscrètes, invisibles témoins de notre détresse. À l’étage les jérémiades de maman sont amplifiées par le petit hall qui sépare chaque appartement. Ses gémissements s’immiscent dessous les portes des voisins et s’invitent jusque dans leur salon. Le voisinage tourne le verrou des portes et ça fait du bruit dans le couloir.
J’entends le bruit de leur serrure se fermer sur mes cris pleins de fièvre et de fureur. Enragé je fais trembler le voisinage qui s’éteint doucement. Tout le monde sait tout et personne ne bouge.
Pas un bruit, pas un murmure, la jungle est calme, silencieuse. Cette vacance humaine m’est insupportable. Ce vide me happe. Ce mutisme me rend furieux car je soupçonne des oreilles partout dans ce silence anormal.
Les voisins savent que je peux les mettre aux ordres et que rien ne m’arrête. Alors ils se taisent quand Judith sanglote.
J’ai déjà, dans le passé, montré de quoi j’étais capable. Je suis un petit roi tyrannique et je dispose du pouvoir absolu.
Je suis un pauvre hère, un misérable, je côtoie la mort et j’en prends des leçons que je fais réciter aux autres. Je donne aussi des avertissements à qui se met en travers de mon chemin. J’explose et fais apparaître une blessure quand cela me semble opportun. Ma signature c’est l’imprévisible, le déroutant, l’inquiétude, l’inattendue. Les gens fragiles me craignent les autres me respectent. Je vis dans le désordre et ma tête est un orage permanent. Le ciel de mes pensées est toujours couvert et menaçant. Je suis toujours en colère.
Comme le putois je fais fuir. Je suis de plus en plus seul, sans ami. Sans personne à qui sourire. À l’école je n’ai rien appris pourtant je suis stratège et intelligent, je comprends vite, je suis alerte. J’ai des facilités quand je m’intéresse. Les coins sombres et les coups bas sont mes matières préférées, je suis un peu sournois. Je ne suis jamais traître.
Je ne sais pas vraiment qui je suis.
À l’école de ma cité, les statuts sont le vice et la cruauté. Pas besoin de texte pour fixer l’ensemble de règles qui garantiraient notre paix sociale. Notre loi ou plutôt son absence nous unit ou nous tient à distance les uns des autres.
Être implacable et féroce me donne un permis de séjour longue durée dans cette triste communauté. C’est une cité sombre et morose et je ne sais pas pourquoi je l’aime.
Les portes claquent et les claques volent à qui veut les prendre. Attention, les gens ne traînent pas, ne batifolent pas, de peur de se faire apostropher ils se dépêchent de rentrer à la maison. Seuls quelques enfants courent et jouent dans les allées, ils jouent à la guerre ou aux bandits. Ils tirent pour de faux avant de viser pour de vrai.
Ici pas le temps de s’aimer tout le monde se craint. On se salue de loin en levant la main en oubliant de discuter. Surtout ne rien dire !
L’irruption inopportune, d’une tête brûlée pourrait avoir des oreilles pour entendre et une main pour châtier. La population qui reste est vive à décamper.
Il y a aussi celui que l’on surnomme « Tout fou ». On le sait prêt à tout. C’est un indicateur protégé par la police tout le monde est au courant.
Il passe ses journées sur le parking à réparer sa voiture. Il bricole son moteur ou fait semblant et sous le capot de sa voiture rien ne lui échappe. Il croit qu’il contrôle tout !
Je ne suis pas une brute mais je dois le faire croire pour me protéger. C’est vital pour notre sécurité Judith et moi. Je dois apprendre à faire mal et convaincre les prédateurs de passer leur chemin.
Il me semble parfois que quelqu’un m’attend quelque part.
Homme ou femme ?
Dans quelle ville, dans quel pays ?
De quelle couleur ?
Professeur, artiste ou homme de foi, je ne sais pas !
Peut-être tout simplement quelqu’un qui vit comme un homme.
J’en rêve souvent en fumant mes cigarettes de haschisch sur mon balcon. C’est un moment de repos. Tout est possible en imagination ! J’imagine un personnage instruit, un adulte ayant un savoir-vivre à partager, m’éduquant par son attitude et me donnant un mode d’emploi pour triompher de toutes mes épreuves. Enfin quelqu’un qui m’apprendrait à vivre, un héros qui aurait gagné des victoires. Puis tout cela me fait bâiller. Je ferme les yeux, je somnole préférant ne rien approfondir.
Dans cette cité je ne fais qu’apprendre à me défendre.
Je m’endurcis.
Je m’isole.
Je me rends incalculable.
Heureusement de temps en temps je rêve. Je me donne rendez-vous dans un autre monde, une autre vie pourquoi pas ? J’attends la présence d’un petit génie qui sortirait de mes bouffées de haschisch. C’est pour cela que je fais des ronds avec la fumée. Je place ma langue à l’arrière de ma gorge, je forme un o avec ma bouche et j’envoie de petites quantités de fumée sans bouger mes lèvres.
C’est une invitation. Peut-être un s o s ?
De petits lutins pourraient-ils sortir de cette fumée ?
Je les imagine et me fais une fiction, mon balcon se transforme en un petit théâtre.
J’espère en vain une vie nouvelle qui m’enchanterait en me livrant quelques recettes pour me nourrir et pour grandir. J’imagine un guide ou un parent éloigné, nouvellement arrivé qui me donnerait des conseils.
Que sais-je ?
Assurément il serait apparu pour m’aider à découvrir le héros que je rêve d’être…
Les effets du haschich me projettent souvent dans une belle histoire de ce genre. J’aime rêver assis sur mon petit balcon. Je souffle et je rallume ma cigarette trop pleine de haschisch, éteinte entre mes doigts.
La porte s’ouvre. Elle grince, ce crissement remplace une alarme. Je le connais bien. C’est Maman qui entre fatiguer et qui cherche sa chaise pour s’asseoir. Elle pose son sac dans l’entrée et se dirige vers une petite chaise en paille avec un coussin jaune très plat. La chaise est bien calée contre le mur en face d’un petit bahut blanc laqué. C’est sa halte, son abri, son bonheur. À cet emplacement ma mère est intouchable, elle est heureuse. Enveloppée dans une sensation de bien-être elle met sa petite couronne de quiétude, son visage se détend doucement et je n’ose la déranger. Une douce impression de sagesse émane de sa binette.
Elle me fait envie parfois car j’ai le sentiment qu’elle a trouvé quelque chose qui la rend heureuse, pourtant lorsque je m’assois sur sa chaise en son absence, simplement pour comprendre ce qu’elle peut ressentir. Je n’éprouve rien, je la trouve à peine confortable. Son coussin est trop fin il ne sert à rien.
Elle ne m’a jamais rien dit en me regardant fumer sur le balcon, je ne l’ai jamais dérangé lorsqu’elle rêve à je ne sais quoi assise sur son tapis de paille, bien installée sur son trône elle est heureuse comme une touriste.
Elle voyage.
Parfois elle regarde des magazines. Il lui arrive souvent de s’endormir la tête en arrière contre le mur, la bouche ouverte, son journal à la main. À cet instant je crois qu’elle est peut-être dans la lune. Je n’ose pas la ramener sur terre.
C’est son coin ! Son paradis ! C’est son bled ! Son soleil, son voyage, sa joie de vivre.
Pourtant elle ne fait que s’asseoir et croiser les mains sur ses genoux ?
Bien caler elle ne bouge plus avec dans le regard toute la tendresse d’une maman brisée, privée de la faculté d’espérer, détruite par ce qu’elle a de plus précieux :
— La folie de son fiston et l’absence de l’homme de sa vie : Mon père !
L’un la terrorise, c’est moi ! Et l’autre nous vampirise tous les deux par son absence. C’est lui !
Mon père est une illusion, un mirage, une tromperie, il provoque le vide. C’est notre fantôme commun.
Où est-il ?
Que fait-il ?
Comment est-il ?
A-t-il vraiment existé ?
Assurément ! Car je ne suis pas né d’un claquement de doigts ni tombé d’un nuage. Ma mère s’appelle Judith et jamais ne m’en a parlé.
Cet homme n’est d’aucune conversation. Nous l’avons englouti dans le silence, sans un mot pour le définir, pour l’appeler, pour l’engueuler. L’absence de mon vieux fait du bruit dans la maison. Nous croyons l’entendre sans le voir il est notre fantôme tellement il nous manque, on le cherche, sans un mot.
Nous aurions aimé avoir un capitaine à la maison. Mais que nenni, maman et moi subissons la disette de l’amour.
Donc :
L’autorité c’est moi, je fais ce que je veux ! Ni dieu, ni naître j’ai vu cette phrase inscrite sur un mur de la cité.
Nous mourons chaque jour un peu plus dans ce néant affectif. Maman pleure de temps en temps et moi je suis capable du pire car j’aime le vertige. J’aime l’ivresse, j’aime le risque. J’aime tout ce qui peut voiler ma solitude.
Je nargue les divinités avec mon arrogance d’enfant. Je les défie. Je me crois immortel. Je détale sur les toits des gratte-ciel et je fais des acrobaties pour voir si Dieu existe.
Je cours, je saute, je tourbillonne, j’interpelle le monde.
« Seigneur êtes-vous là ? »
Il ne me répond pas !
La prochaine fois, je marcherai avec mes mains sur les toits de la tour dix-huit. En position inversée il se fera peut-être connaître ? Le tout puissant ? Le père ?
Je n’aime pas les remontrances. La soupe je me la fais tout seul ! Le premier qui m’interpelle a le droit à mes représailles. Je me crois exceptionnel. Je suis un petit roi sans couronne.
Mon filet de sécurité anti-chutes c’est ma bêtise car je pense que je peux tout me permettre du haut de mon perchoir. Il m’arrive aussi de me pendre au balcon de ma chambre juste avec mes deux mains, pour voir si je tombe, c’est quitte ou double comme au poker. Judith n’en a jamais rien su. Ma stupidité fait de grands trous dans mes méninges pourtant je me crois solide. Seul sur mes deux pieds je cherche à provoquer le monde qui m’entoure et qui me fait mal car je n’y comprends rien.
Je ne sais pas comment fonctionne ce train qui chaque matin emmène tout le monde. Chacun court après sa locomotive et vaque à ses occupations tout le monde est occupé à bien commencer sa journée. Ce train je ne le prends pas ! Je n’ai pas de sacoche, pas même une valise à la main. Je ne possède pas de billet pour aller quelque part. Personne ne me regarde tout le monde court les yeux rivés sur sa montre. Je regarde ce quai de gare, seul, pas très rassuré car je sais que le prochain départ ne me concerne pas. Les quais de gare me montrent du doigt car je suis l’unique, le seul qui reste à quai et mes pas font du bruit. Je les entends encore.
Mon ennui me hante et devient encombrant. Je ne vois toujours que les feux arrière du dernier wagon qui s’éloigne. J’ai l’impression que la terre tourne et pas moi. Je m’en sens exclu. Tout le monde est affairé et beaucoup ont des projets, voire des objectifs. Moi je suis devant une page blanche et rien ne se dessine à l’horizon. J’attends que les choses changent et viennent un peu vers moi. J’attends peut-être un peu trop. Je n’ai pas d’idées pour écrire mon histoire, un stylo pour quoi faire ?
Où est le pouvoir de l’écriture ?
Je reste à ne savoir que faire. Je me dis que c’est peut-être cela la vraie richesse « avoir du temps ». Laisser cette page blanche surtout ne pas la tourner. Ne pas essayer d’y inscrire de la nouveauté. Pourquoi ouvrir le livre de mon courage et surtout que décider ? Je ne sais pas.
Ma vie est un livre à une page, toujours la même car rien ne change. Rien ne vaut la peine de rien. Pourtant, de tout ce temps libre où rien ne m’oblige, j’ai enfin trouvé un passe-temps qui me convient car il me transporte autre part. Et si je devais écrire sur ma page blanche ?
Je décrirais cette rencontre dans le petit livre de ma vie. Cela serait mon premier chapitre. Mon échappée belle ! Les percussions corporelles occupent ma vie de temps en temps !
Je n’ai besoin de rien et je peux en faire partout. Mon corps est suffisant. Il est mon instrument de musique. Il me propose une multitude de sonorités différentes que je m’applique à découvrir puis j’y ajoute ma voix.
Je découvre une partie de mon âme car dans ces moments je suis quelqu’un d’autre qui revient de loin. Je fais apparaître le diamant de mon imagination. C’est une brillance qui m’appartient. Je m’isole, c’est important et je commence sur un rythme très simple que je fais tourner en boucle. En général je m’inspire des breaks de batterie de certaines chansons populaires. Très vite je suis emporté et je m’invente mon hip-hop. Dans ces moments je ne suis plus violent, au-dessus des nuages de mon quotidien je goûte à un bonheur provisoire. Je sais qu’il ne va pas durer mais quand il est là je le savoure.
Je m’amuse beaucoup pendant ces épisodes improvisés. Je ne cherche pas quelqu’un pour m’accompagner car ce sont des moments que j’ai du mal à partager. J’ai peur de la critique. C’est mon secret, ma boîte à bijoux. C’est aussi une pause dans une partition de violence.
La plupart du temps je trouve mes valeurs dans les défis de l’imprudence et ses acrobaties dangereuses. J’impressionne, je fais peur et ça me plaît, on parle de moi comme étant une personne imprévisible dont il faut se méfier. Cette crainte est une majoration de l’idée que l’on se fait de moi.
J’aime ce rôle qui me valorise, enfin c’est ce que je me dis ! J’aime dérouter. Il le faut pour écarter le danger !
Les gens se détournent ce n’est pas comme cela que je trouverais un complice pour chanter sur mes percussions. D’une façon ou d’une autre je fais fuir. Je n’arrive pas à sortir de cette solitude vertigineuse. La musique n’est pas encore assez présente ce n’est qu’un moment éphémère, une joie inventée, une étincelle que je ne suis pas capable de partager. Pourtant je crois qu’elle est faite pour ça.
Je finirais peut être emprisonné entre quatre murs à vouloir défier les lois comme on défit son père. À père inexistant loi nulle et non avenue oblige. Je cherche en vain ma place d’homme dans cette cité aux quatre tours j’ai failli dire aux quatre murs.
Tous mes copains ont fait un bivouac en prison pour goûter à une discipline qui leur manquait à la maison. Certains me disent avec un air instruit qu’ils ont compris la leçon. D’autres ont apprécié le séjour aimeraient bien y retourner. Ils nous expliquent la recette d’un bon séjour et nous disent que tout est dans la patiente.
Attendre le jour de la relaxe est une certaine forme de sagesse à les entendre. Ils nous disent qu’être à l’affût du jour de sa libération est un objectif. Emprisonnés ils connaissent bien les règles et suivent le mode d’emploi.
Il n’est pas compliqué et ils n’ont pas le choix ! C’est ça qui les rassure, ils se laissent porter et toutes leurs journées sont fléchées. C’est un jeu simple, très simple ou toutes les autorités leur sont confisquées. Ils ne décident de rien.
De retour parmi nous, en société tout leur paraît complexe.
Il faut se bouger !
Oui !
Mais dans quel sens ?
Et pour quoi faire ?
Ils trébuchent et se cognent à chaque pas en cherchant les quatre murs du pénitencier qu’ils viennent de quitter. Ils ne le trouvent pas !
Libres ils doivent eux même définir ce qui sera leurs limites. Ce n’est pas facile, le choix les perturbe. Désorientés ils ne savent pas où aller. Le temps leur donne du souci car ils ne savent pas quoi en faire, c’est compliqué !
Tout le monde s’affaire, chacun vaque à ses occupations. Mal orientés, ils vadrouillent sans objectif.
Sortis de prison, ahuris par l’univers carcéral ils ne cessent de critiquer cette société dont ils font partie. Ils sont spectateurs d’un monde où ils refusent tous les rôles.
Ils ne veulent pas être acteurs. Ils aiment une route grossièrement fléchée avec un sens unique.
C’est très simple ?
Oui ils aiment la facilité et redoutent les efforts. Incarcérés, effacés, enlevés du décor ils restent présents dans les esprits, menaçants, toujours inquiétants. Le souvenir de ses individus continue d’alarmer.
Pourquoi dialoguer quand il suffit d’exiger, de menacer, d’ordonner, de contraindre ?
Lorsqu’ils sont libres, ils sont intéressés mais pas courageux. Ils aiment la futilité. Le seul scénario qu’ils connaissent, c’est la mauvaise pioche ! Expert dans le rôle de malchanceux ils ne cherchent plus rien. Blessés, accidentés par un monde qui les montres du doigt ils s’arrangent pour commettre un délit afin de retrouver un cadre qui les rassure. Les quatre murs d’une cellule deviennent petit à petit leur maison principale et nous les perdons de vue. Ils n’existent plus que dans les conversations des gens qui les ont aimés et qui les regrettent. Certain les attendent encore.
J’ai peur de prendre le même chemin car ils en sont tous revenus encore plus dingues.
Dans la cité ?
Ils sont tous caïds mais toujours absents, incarcérés, bouclés on ne se souvient que de leurs ombres menaçantes. Ils hantent certains cauchemars.
C’est un système parallèle. Six mois de prison c’est le certificat, un an d’isolement, claquemurés c’est pour avoir le baccalauréat. La licence c’est deux ans d’emprisonnement après le « Bac », beaucoup plus pour les doctorants qui peuvent choisir d’affiner leur cruauté et devenir très dangereux.
Certains ont goûté à la cellule disciplinaire et ils ont des choses à raconter lorsqu’ils réapparaissent en société. Ils sont écoutés avec attention. Ce sont des baroudeurs de la peur ! Souvent la cruauté les accompagne car ils ne raisonnent qu’autour de guet-apens. Experts en tromperies de tous genres.
Chez nous la prison est un diplôme et je ne suis pas encore assez distingué. Je trouve que je suis bien assez bousillé comme ça. Je resterais un petit joueur cela me va très bien.
Aller dans le trou ?
Pour quoi faire ?
Ma pauvre mère se trouverait seule, elle ne sait pas écrire, je n’aurais pas de courrier, inutile d’ajouter de la misère à la misère. Je suis beaucoup mieux sur mon balcon à regarder passer les mouettes. Je sais qu’il n’y en a pas mais je fais comme si.
Une fois passé de l’autre côté, embastillé par la justice.
Comment vivrait-elle mon absence ?
Comment ferait-elle pour ne pas pleurer devant le regard des autres ?
À quoi ressemblerait sa vie sans moi ?
Quel serait le parfum de la maison sans l’odeur du chanvre venant de mon balcon ?
Enfin ! Ce scénario est impossible.
Nous sommes deux sous ce même toit et nous faisons ce que nous pouvons. Parfois nous ne faisons qu’un et je vois dans ses yeux que ça la rend heureuse. C’est un moment de paix, rare, mais il existe !
Je ne veux pas ajouter de la honte à sa misère en étant derrière les barreaux. Je ne veux pas la faire pleurer, pas comme ça. Pas toute seule, pas sans moi. Pourra-t-elle sortir de notre appartement sans se courber un peu plus sous le poids de ce nouveau fardeau ?
Mais non ! La prison n’est pas pour moi. Ni pour Judith !
Nous n’avons pas besoin de cette nouvelle épreuve qui pourrait briser notre lien si fragile. Judith et moi, on se débrouille, elle a sa chaise et j’ai le balcon.
Mais ? Je pense tout haut ? Cela m’échappe parfois, c’est plus fort que moi. Souvent quand je fume, j’imagine, je parle à voix haute ça me rassure. Je me fais un film vu que la télé ne fonctionne pas. Nous n’avons qu’un petit poste, c’est le poste à maman qu’elle écoute en rêvant. C’est ma petite maman toute fragilisée par la vie que je lui mène.
J’ai envie de lui dire :
« Maman, je ne peux pas me passer de ta présence, pas encore, pas tout de suite, je suis un petit enfant.
Un sale gosse ?
Oui !
Détestable ?
Parfois ?
Souvent.
De plus en plus.
Oui ! »
Il nous reste encore de furtifs sentiments quand nos regards se croisent, si rares et si précieux parfois scintillant de tendresse. Je ne peux pas m’en passer. Inhabituels et inestimables ils apaisent notre cahot en un instant. Ce sont de petits moments de magie où notre vie s’éclaire et se guérit.
Là est notre fortune qu’on utilise avec parcimonie.
Je connais tous les coins de la cité, c’est un peu une extension de ma maison. Il y existe des endroits où je peux être seul. Caché de la vue de tous. Oh, de toute façon ici personne ne s’intéresse à personne.