Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
De Paris - New York - Tokyo - Moscou, Pamela Druckerman lève le voile sur l'infidélitéÀ l’heure de la mondialisation, qu’en est-il du « cinq à sept », ce légendaire rendez-vous des époux volages ? De Paris à Shenzhen, de Moscou à Chicago, de Tokyo à Johannesbourg, Pamela Druckerman est allée à la rencontre de psychologues, de sexologues, de conseillers conjugaux et de couples infidèles, pour comparer les entorses à la monogamie et établir un palmarès international de l’adultère.Un essai sociologique édifiant !CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE- "Une enquête inédite sur la pratique de l’adultère dans le monde [..] La journaliste américaine Pamela Druckerman a délaissé quelques années l’univers économique et financier pour s’intéresser au tabou de l’infidélité. Et jette un regard circonstancié – celui d’une américaine exilée à Paris - et nuancé sur une pratique façonnée par nos sociétés." (Metronews.com)EXTRAITBienvenue en AmériqueVoici April, et deux ou trois choses que je sais d’elle. Son aventure a pris fin il y a bientôt deux ans. En vingt ans de mariage, c’était le seul coup de canif dans le contrat. Depuis, elle a été mutée et ne travaille plus dans le même bureau que son ancien amant. D’après elle, ça n’était pas une histoire d’amour mais une simple passade, pimentée d’e-mails torrides (du genre « J’ai trop envie de glisser ma main dans ta culotte ») et de rencontres furtives dans des parkings ou des chambres d’hôtel. C’est arrivé à un moment où son couple était en crise : April et son mari Kevin venaient de perdre toutes leurs économies à la bourse et de déposer le bilan d’une entreprise à leurs deux noms. Quand Kevin découvrit cette liaison, elle était déjà terminée.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 416
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
« Ce que souligne aussi L’Art d’être infidèle, ce sont les mutations que vivent nos sociétés. Des femmes japonaises qui demandent le divorce ou préfèrent être seules que mal accompagnées. Ironie du sort, les Chinois, eux, revendiquent l’amour avec un grand A pour aller voir ailleurs. Et quand l’Empire du milieu prend la tangente, les vies parallèles, elles, se multiplient. « En Chine, l’émergence d’une classe moyenne aisée a favorisé les relations extraconjugales. Aujourd’hui, un Chinois de la classe moyenne peut entretenir deux femmes en parallèle : son foyer d’un côté et sa maitresse de l’autre. » C’est le retour des concubines sous couvert d’épanouissement sexuel. On n’en dira pas plus, la suite est dans le livre, à dévorer avec délectation. »
Marine Dumeurger, Le Courrier de Russie.
« Les Français sont de plus en plus infidèles. » Pamela Druckerman sait de quoi elle parle. Pendant trois ans, cette journaliste américaine installée en France a étudié l’adultère dans le monde […]. »
Hélène Fresnel, Psychologies.
« Une enquête inédite sur la pratique de l’adultère dans le monde…[..] La journaliste américaine Pamela Druckerman a délaissé quelques années l’univers économique et financier pour s’intéresser au tabou de l’infidélité. Et jette un regard circonstancié – celui d’une américaine exilée à Paris - et nuancé sur une pratique façonnée par nos sociétés. »
Metronews.com
Pour Simon, à qui je dois tout. Pour Esther et Al.
“Sometimes it’s hard to be a woman
Giving all your love to just one man
You’ll have bad times
And he’ll have good times
Doing things that you don’t understand.”
Tammy WYNETTE, Stand by Your Man
[Pas toujours facile d’être femme
Et de n’aimer qu’un seul homme
Tu traverseras des mauvaises passes
Il en connaîtra des bonnes
Même si la situation te dépasse.]
Le livre que vous avez entre les mains parle d’adultère. Vous êtes Américain et vous vous interrompez dès la première page ? Je ne vous en voudrai pas. Les statistiques montrent que l’adultère suscite davantage de réprobation aux États-Unis que dans n’importe quel autre pays du monde (excepté l’Irlande et les Philippines). La plupart des Américains avec qui j’ai abordé cette question m’ont regardée sidérés : venaient-ils d’être démasqués, ou n’étais-je pas en train de leur faire des avances ? Certains se sont alors lancés dans de longues apologies de la monogamie. D’autres, à la simple évocation de l’infidélité, sont passés aux aveux.
J’ai commencé à me pencher sérieusement sur ce thème alors que j’étais correspondante du Wall Street Journal en Amérique Latine. Pour la première fois de ma vie, je fus continuellement abordée par des hommes mariés qui souhaitaient faire l’amour avec moi. Comme plusieurs de mes amies avaient reçu des avances similaires, je me rendis à l’évidence : je n’étais pas soudain devenue irrésistible. Et même si ces « prétendants » étaient parfois séduisants, leurs propositions m’écœuraient. Que faisaient-ils de leurs devoirs conjugaux ? D’ailleurs, leurs œillades m’offensaient : avais-je l’air désespérée au point que l’on me destine à rester « la femme d’à côté » ? J’étais à l’époque célibataire, je venais d’avoir 30 ans, et je pouvais au moins prétendre à une demande en mariage.
À l’occasion d’une de ces rencontres, je décidai, au lieu de repousser mon séducteur, d’en discuter avec lui. J’avais face à moi le gérant argentin d’une usine de viande bovine, qui m’avait conviée à un dîner dans des intentions manifestement romantiques. Je lui exposai, entre la poire et le fromage, les raisons pour lesquelles je me sentais insultée par son invitation à l’adultère. Il manqua de s’étrangler. Il rétorqua qu’il ne voyait pas ce que sa femme venait faire là-dedans, dans la mesure où cette affaire ne nous concernait que tous les deux. Et que loin de chercher à m’insulter, il prétendait « m’offrir le plaisir suprême ».
Je déclinai son offre, mais cette conversation ne m’en a pas moins fait réfléchir. Moi qui m’imaginais être une femme moderne et libérée, ces hommes avaient pourtant réveillé en moi une fibre moralisatrice dont j’ignorais jusqu’alors être pourvue. D’où venait-elle ? Le simple fait d’avoir été élevée en Amérique m’aurait-il lestée d’un bagage puritain m’interdisant de goûter au « plaisir suprême » ?
Bien qu’encore novice en la matière, je commençais pourtant à soupçonner que la façon qu’ont les gens de tromper – ou pas – leur conjoint pouvait révéler bien des choses sur eux. En Argentine, par exemple, où la corruption est un secret de polichinelle, l’élite peut y céder sans aucune honte. Des politiciens à revenus censément modestes habitent de somptueuses demeures au centre-ville. Dans les magazines s’étalent les photos de la fille d’un ex-président en train de faire chauffer sa carte bleue dans les boutiques de Miami. En tant que correspondante, j’avais moi-même couvert la dévaluation du peso entraînée par les malversations financières. Si les Argentins se plaignaient de la corruption, bon nombre d’entre eux semblaient disposés à lui trouver des excuses, et ils n’auraient d’ailleurs pas hésité à en profiter s’ils avaient pu. Tromper leur femme relevait de la même logique : la fidélité, c’est bien beau, mais seuls les imbéciles ne saisissent pas leur chance.
Tout cela me laissait perplexe, et j’étais curieuse d’en apprendre davantage à propos des pratiques de l’infidélité qui avaient cours de par le monde. Mais, à mesure que j’avançais dans ma petite enquête, je me rendis compte à quel point il était difficile de les mettre au jour, en Amérique comme ailleurs. Mis à part quelques lieux communs présentant les Français comme de fines braguettes (ce qu’ils ne sont pas), ou des récits d’anthropologues sur les tribus exotiques (avec de tels strings, qui pourrait se vanter de rester fidèle ?), fort peu d’études ont été consacrées à ce sujet. Et moins encore à l’adultère tel qu’il est pratiqué dans les classes moyennes. On n’avait même pas vérifié si la radicale hostilité affichée par les Américains envers l’infidélité les amenait à moins tromper leurs épouses que les ressortissants d’autres pays plus permissifs.
Pour savoir comment les gens gèrent leur adultère à travers le monde, il suffisait d’aller à leur rencontre et de leur poser la question. C’est ce que j’ai fait. J’ai parcouru une vingtaine de villes dans dix pays différents. Au fil de mes voyages, j’ai épluché les petites annonces de rencontres, les forums de discussion, les articles de presse sur le sujet, j’ai interviewé des historiens, des psychologues, des sexologues. Dès que je pouvais mettre la main sur des travaux universitaires s’y rapportant, je les ai utilisés.
Et, bien évidemment, j’ai aussi interviewé des dizaines d’époux adultérins ainsi que leurs partenaires. Pour ne pas me laisser déborder par mon échantillon, et pour que celui-ci reste représentatif de mes lecteurs, j’ai surtout mené des conversations avec des citadins appartenant à la moyenne bourgeoisie. À ma grande surprise, face à une parfaite inconnue débarquant avec son magnétophone et promettant de changer les noms (ce que j’ai fait, ainsi que quelques signes identifiables), dans le monde entier mes interlocuteurs ont accepté de confier leurs secrets sexuels. À peine étais-je arrivée dans une ville que j’étais déjà obligée de refuser des candidats. La plupart des interviewés en escomptaient un bénéfice. Les Anglais, habitués à la surenchère des tabloïds, exigeaient d’être payés cash (bien sûr je refusais). À Moscou, un psychologue avait fait traîner notre déjeuner trois longues heures, alors que depuis longtemps il n’avait plus rien à me dire, juste pour pouvoir remplir encore son assiette au buffet ouzbek à volonté. Avant de partir, il a exhumé deux sacs en papier tout froissés de sa poche, et les a bourrés de cookies.
Plusieurs personnes se sont ouvertes à moi parce que je leur avais été recommandée par des amis. Certaines femmes cherchaient une confidente, et un Chinois a même pris notre entretien pour un rendez-vous galant. À Londres, un banquier marié, qui rencontrait des femmes sur Internet, voulait absolument se vanter de ses conquêtes mais avait peur que même ses amis les plus proches ne le comprennent pas. Plusieurs Français, jusque-là muets sur leurs aventures, avaient tout simplement besoin d’un prétexte pour perfectionner leur anglais.
En Amérique, les choses se passèrent tout autrement. La quasi-totalité des gens que j’ai interviewés ont témoigné dans l’idée de porter assistance à autrui. J’ai entendu toutes sortes d’Américains formuler le même souhait, quel que soit leur milieu social ou leurs opinions politiques : depuis le producteur de télévision du New Jersey jusqu’au revendeur texan de software. Une ménagère d’Atlanta peinait à concevoir le genre littéraire auquel appartiendrait mon livre : développement personnel ou roman à l’eau de rose ? Elle ne voyait pas bien quels autres types d’ouvrages pouvaient exister, et elle se demandait si j’avais prévu d’inclure en annexe une liste de numéros de téléphone utiles ou de sites Internet. Personne ne m’a fait ce genre de remarque en dehors des États-Unis : jamais il n’est venu à l’esprit de quiconque qu’en parlant de leurs liaisons extraconjugales ils faisaient œuvre d’utilité publique.
Les gens que j’ai rencontrés m’ont eux aussi posé beaucoup de questions, dont voici les plus fréquentes : « Alors, dans quel pays on trompe le plus ? » et « Pourquoi avez-vous choisi ce sujet ? ». Pour la première question, je vous renvoie au chapitre 2. Pour la deuxième, disons que c’est personnel. J’étais intriguée par les pratiques de l’infidélité que j’avais entraperçues en vivant dans différents pays, et je cherchais à comprendre les idées complexes et souvent contradictoires que l’Amérique se fait sur l’adultère. Enfin, après six années au Wall Street Journal, j’avais envie d’écrire sur quelque chose qui n’avait rien à voir avec l’argent (de ce point de vue, l’adultère allait s’avérer un mauvais choix).
À partir du moment où je me suis lancée dans l’étude de l’infidélité, du jour au lendemain j’ai eu l’impression que tous les films et tous les romans que j’avais sous les yeux ne parlaient que de ça. Et de fait, si l’on écarte les relations extraconjugales, que reste-t-il de la littérature occidentale ? L’adultère n’infiltre pas uniquement la mentalité américaine. Tous les gens que j’ai rencontrés, quel que soit leur pays d’origine, avaient un avis bien arrêté sur la question, et ils se faisaient même un plaisir de me raconter les frasques de leur patron, de leurs amis et de leurs parents. (Certains de ces récits figurent dans les pages qui suivent.) Sous la paisible surface de la monogamie quotidienne, je sentais bouillonner tout un univers de mensonges. La seule à rester imperturbable, c’était ma vieille grand-mère de 90 ans, qui avait su préserver les bonnes manières de la Caroline du Sud. Quand ses amies l’interrogeaient sur le livre que j’étais alors en train d’écrire, elle se contentait de répondre évasivement : « Ça parle d’amour. »
D’emblée on note des variations entre les différentes langues pour désigner les aventures clandestines. De même que, dans l’argot américain, on dit qu’on a quelqu’un « sous le coude », les locutions consacrées foisonnent dans le monde entier. Les Suédois et les Russes « tournent à gauche », les Israéliens « mangent à la table d’à côté » (cette expression est censée être particulièrement osée), et les Japonais « prennent la tangente ». Les Irlandais filent la métaphore sportive pour « faire du hors-jeu », tandis que les Anglais vont « jouer sur un autre terrain ». Chez les Hollandais, l’adultère est une expédition qui « mène bizarre » ou, plus allusivement encore, il s’agit de « pincer le chat dans le noir ». Les Français, eux, s’écartent carrément du droit chemin pour « aller voir ailleurs ».
Certaines expressions tendent à minimiser la gravité de l’adultère. Comment prendre ombrage de cette « parenthèse enchantée », selon la formule indonésienne désignant une liaison qui ne menace le mariage d’aucun des deux partis ? Quant aux « sex friends » japonais, ils pourraient aussi bien évoquer des personnages de dessins animés. Tous les euphémismes ne sont pourtant pas aussi anodins. Pendant la Révolution culturelle chinoise, quiconque était accusé d’avoir un « mode de vie problématique » s’exposait à perdre son travail et à subir l’opprobre public.
D’autres formules sont plus explicites. Ainsi, en Afrique du Sud, un séducteur est un « coureur », terme suggérant aussi bien ses prouesses sportives que les poursuites de sa légitime. (Une fois attrapé, il pourra toujours prétendre que l’autre femme ne faisait que « passer par là ».) Un Chinois soucieux de satisfaire à la fois son épouse et sa maîtresse s’efforce de « mener deux barques en même temps » et, dans le cas d’un Taïwanais, on l’excusera au motif qu’il est « un gros navet blanc avec un cœur coloré ». Si votre femme vous trompe à Tel-Aviv, les voisins haussent les épaules : « Même attachée, une jument a besoin de manger. »
Ce sont souvent les conjoints malheureux qui se voient gratifiés des qualificatifs les plus imagés. Les Polonais en font « une baudruche », tandis que les Chinois les affublent d’un « chapeau vert ». Dans plusieurs autres langues, le mari trompé est traité de « cocu », en référence au coucou qui pond ses œufs dans le nid d’autres oiseaux. En roumain, en arabe et dans au moins huit autres langues, il se voit attribuer des « cornes ». (En France, on accompagne cette formule d’un petit mouvement des index au-dessus de la tête.) Ce serait là une réminiscence de la vieille coutume qui consistait à castrer un coq puis, comme pour signifier sa perte de virilité, à lui greffer les ergots sur la tête, où ils repoussent sous forme de cornes. Allez comprendre… Les Américains eux aussi connaissent cette expression, mais la mode favorise plutôt la formule moralisatrice « époux trahi », laissant entendre qu’il y a bien là un crime et une victime.
Le monde est vaste. Je me suis mise en route vers des régions où j’avais des amis, dont je parlais la langue, et où j’avais l’intuition que je pourrais glaner des anecdotes intéressantes. J’ai fait l’impasse sur certains grands pays. Que les Indiens et les Brésiliens ne m’en tiennent pas rigueur : ils seront les prochains sur ma liste. Certes, j’ai consulté des experts et confronté mes observations aux statistiques, mais mon échantillon d’adultères est loin de répondre à des critères scientifiques. Il est composé sur un mode bizarre, subjectif, et aléatoire. Après une série de désistements à Hong Kong, j’étais tellement désespérée que j’ai abordé un homme attablé au Starbucks avec une femme beaucoup plus jeune que lui. Ils n’étaient pas amants, mais ils ont été tellement intrigués par mon projet qu’ils ont accepté de me présenter à des amis, dont certains témoignages sont cités au chapitre 10.
Ce livre ne prétend pas demander si nous sommes génétiquement programmés pour commettre un adultère, ou si l’infidélité présente des avantages en termes d’évolution de l’espèce. Je pars du principe que, partout dans le monde, les gens ont plus ou moins les mêmes pulsions biologiques. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment les différentes cultures les canalisent.
Dans cette perspective, je définis le trompeur comme une personne qui se trouve engagée dans une relation monogame mais qui, en parallèle, entretient des relations sexuelles avec quelqu’un d’autre. Et j’inclus les fellations. En fait, pratiquement tout ce qu’on s’efforce de cacher à son partenaire entre en ligne de compte, que ce soit un simple rendez-vous galant ou la grande culbute. Il n’est d’ailleurs pas forcément nécessaire d’être marié : dans les pays européens, où le mariage est en perte de vitesse, les gens se content de vivre en concubinage, de faire des enfants ensemble et de se promettre la fidélité. Aux États-Unis, où les concubins se sentent moins astreints à la fidélité et n’ont pas vraiment le statut de couple, je me suis adressée de préférence à des couples qui avaient la bague au doigt. Si vous espériez trouver ici des informations sur l’échangisme, n’allez pas plus loin. Chez les couples échangistes, les relations sexuelles ont beau être extraconjugales, elles ne sont pas secrètes.
Si j’emploie souvent les mots « tromper » ou « infidèle », ce n’est pas que je sois bornée. Mais quand on consacre un livre entier à l’adultère, on dispose forcément d’un nombre limité de formulations. Après quelques chapitres, vous vous estimerez heureux que je vous aie épargné les formules du genre « accouplements extradyadiques » ou « relations parallèles », pour reprendre un chaste euphémisme finlandais.
Il existe une forme d’hypocondrie, dite « syndrome du carabin », dans laquelle les étudiants en médecine qui dissèquent une tumeur quelconque finissent par se convaincre qu’ils en sont eux-mêmes atteints. « Il suffit d’être capable de localiser l’appendice pour qu’aussitôt les plus banales sensations dans cette partie du corps se transforment en symptômes alarmants », fait observer un scientifique.
Enquêter sur l’adultère provoque une réaction similaire. Passez toute une journée à potasser le sujet et vous verrez que, quand votre mari revient avec une heure de retard de son « entraînement de foot » ou ne décroche pas son portable pendant un voyage d’affaires, vous vous laisserez aller vous aussi à des élucubrations suspectes. Pauvre gars, qu’il essaye seulement de prouver qu’il n’a rien à se reprocher ! L’appendicite est bien plus facile à diagnostiquer.
Mon mari lui aussi s’est fait du souci à mon sujet, peut-être pas sans raison. Fréquenter des époux infidèles, c’est un peu comme fréquenter des fumeurs : on finit par avoir envie d’en griller une. Certes, il m’est arrivé de recevoir quelques propositions. Mais cette satanée mauvaise conscience américaine, dont vous n’avez pas fini d’entendre parler, m’a fait passer à côté de belles occasions.
Voici April, et deux ou trois choses que je sais d’elle. Son aventure a pris fin il y a bientôt deux ans. En vingt ans de mariage, c’était le seul coup de canif dans le contrat. Depuis, elle a été mutée et ne travaille plus dans le même bureau que son ancien amant. D’après elle, ça n’était pas une histoire d’amour mais une simple passade, pimentée d’e-mails torrides (du genre « J’ai trop envie de glisser ma main dans ta culotte ») et de rencontres furtives dans des parkings ou des chambres d’hôtel. C’est arrivé à un moment où son couple était en crise : April et son mari Kevin venaient de perdre toutes leurs économies à la bourse et de déposer le bilan d’une entreprise à leurs deux noms. Quand Kevin découvrit cette liaison, elle était déjà terminée.
Pourtant, deux ans après, l’infidélité d’April continue de hanter leur mariage. À 62 ans, Kevin en est encore tout secoué. Il est persuadé que ce n’est pas la première fois que sa femme l’a trompé et, qu’à 48 ans, ce n’est sans doute pas la dernière.
On voit mal comment elle pourrait en trouver l’occasion. En guise de représailles, Kevin lui a imposé une sorte de burqa mentale. April ne sort de la maison que pour aller au bureau ou se promener sous la surveillance de son mari. Elle n’a plus le droit de voir ses amis et, si elle a le malheur de s’attarder quelques minutes en rentrant du travail, Kevin laisse des messages de plus en plus menaçants sur son portable. Même quand elle revient à l’heure, Kevin la soumet à un interrogatoire systématique pour savoir à qui elle a parlé au cours de la journée. Il fouille son sac, vérifie ses factures de téléphone et appuie au hasard sur la touche de rappel pour savoir qui elle vient d’appeler. Il lui est même arrivé de cacher un magnétophone dans sa voiture pour enregistrer ses éventuelles conversations téléphoniques sur le chemin du bureau.
« Je ne suis plus la même qu’avant. Je n’ose plus parler à personne. Kevin risquerait de croire que je couche à droite et à gauche », dit April. Depuis que Kevin a découvert son aventure, elle a pris 30 kg et son taux de cholestérol a atteint la zone à risques des maladies cardio-vasculaires. Mais dès qu’elle enfourche son vélo d’appartement, Kevin devient soupçonneux et lui fait des remarques : « On sait ce qui s’est passé la dernière fois que tu as perdu du poids… » Du coup, elle reste prostrée sur son canapé.
Quand ils sont ensemble, c’est-à-dire presque en permanence, Kevin et April passent leur temps à se faire des psychodrames. Kevin a réussi à reconstituer dans les moindres détails tous les rendez-vous d’April avec son amant. Il se documente sur l’adultère à l’aide d’ouvrages de psychologie et participe toutes les semaines à un groupe de soutien. Pour lui, « une relation doit être fondée sur la transparence absolue, sans aucun secret ». Récemment, après avoir fait l’aller-retour en voiture jusqu’à Nashville pour assister à un séminaire sur les liaisons extraconjugales, il est revenu avec la ferme conviction que l’infidélité était héréditaire et que, malgré ses dénégations, April avait forcément des parents adultères. Une précision : l’amant d’April était noir (Kevin et April sont blancs), ce qui n’a pas arrangé la situation.
Ma première rencontre avec Kevin et April a eu lieu dans un restaurant près de chez eux, dans une banlieue pavillonnaire de Memphis. Bien que la moitié des habitants de la région soient noirs, leur quartier est presque exclusivement blanc. Les voitures qui circulent dans les larges avenues bordées d’arbres portent sur leurs pare-brise des autocollants « Bébé à bord » et « Je crois aux miracles ». Les résidents ont des revenus plus de deux fois supérieurs au salaire moyen du Tennessee. April est potelée, elle a des taches de rousseur et de longs cheveux blonds. Kevin, lui, a une bonne bouille et la voix d’un présentateur radio. Je venais à peine de m’asseoir qu’April était déjà en train d’arroser de larmes son rôti de porc purée, tandis que Kevin se mettait à débiter pour la énième fois la liste des péchés de sa femme.
Apparemment, je les avais cueillis juste au bon moment. « On ne pleure plus autant qu’avant, c’est grâce aux antidépresseurs », me confie Kevin. Ils envisagent le divorce. Pourtant, j’ai comme l’impression que cette liaison a donné une raison d’être à leur couple, qui battait déjà de l’aile. Il fallait les entendre, on aurait dit qu’ils évoquaient le bon vieux temps :
« Tu te souviens du jour où j’ai déchiré ta photo en mille morceaux ? », demande Kevin à April. « Je suis monté à l’étage, je me suis assis par terre, j’ai attrapé un portrait d’elle et je me suis défoulé dessus. »
Sur la scène du crime, au deuxième étage, Kevin entrepose sa collection de maquettes d’avions. Un jour, il est resté prostré là des heures avec son revolver plaqué sur la tempe, pendant qu’April le suppliait de ne pas faire de bêtise.
Les réactions d’April et Kevin peuvent sembler un peu excessives, mais, à bien des égards, leur expérience est typiquement américaine. Deux ans de traumatisme après une infidélité, c’est assez commun. Et, comme bien d’autres de ses compatriotes, April a du mal à se considérer désormais comme une « femme adultère ». Elle a eu une éducation religieuse et elle se vit comme une « madame tout le monde ». « Je crois que je n’étais plus vraiment moi-même. J’étais devenue quelqu’un d’autre », dit-elle. « Je n’aurais jamais imaginé que j’étais du genre à avoir une aventure. »
Depuis les années 1970, les Américains se montrent plus tolérants en matière de sexe. Ils ont progressivement accepté l’homosexualité, le concubinage, le divorce et la procréation hors mariage. La plupart des Américains ont leur premier rapport sexuel avant 17 ans, mais ils ne se marient que vers 26, ce qui leur laisse environ neuf années d’activité amoureuse en tant que célibataires.
Comment se fait-il donc que les Américains soient devenus plus stricts concernant les relations extraconjugales ? En 1973, 70 % d’entre eux considéraient que les aventures adultères étaient « toujours mauvaises ». En 2004, ils étaient 82 %, et la plupart des autres trouvaient qu’elles l’étaient « presque toujours ». Dans un sondage Gallup réalisé en 2006, les Américains estimaient qu’en termes d’éthique, l’adultère était plus condamnable que la polygamie et le clonage.
Beaucoup de sujets divisent les Américains mais, bizarrement, quand il s’agit d’adultère, ils parlent d’une seule voix. Kevin et April votent républicain, ils vivent dans la Bible Belt, région des États-Unis connue pour son rigorisme religieux. Mais, à les entendre parler d’adultère, on pourrait tout aussi bien avoir affaire à des progressistes de New York, le revolver en plus. Face à l’infidélité, même les Américains qui ne pratiquent aucune religion croient entendre résonner les trompettes du jugement dernier.
« Quand on trompe sa femme, on se sent forcément coupable. On fait du mal à tout le monde, y compris à soi-même », affirme une femme libérée de 32 ans travaillant dans la mode, qui vit dans un loft à Manhattan, entourée d’amis qui pensent comme elle. « C’est malhonnête, et la malhonnêteté vous entraîne dans une spirale. On a beau jouer au plus malin, ça finit par vous consumer. »
Aux États-Unis, j’ai entendu plusieurs adultères me dire, comme April, qu’ils n’étaient pourtant pas du genre à tromper leur conjoint. Qui pourrait leur en vouloir pour cette petite faille dans leur logique ? La véhémence avec laquelle les Américains condamnent les relations extraconjugales est telle que les époux infidèles ne sont pas considérés comme des gens ordinaires qui auraient commis une incartade ; ce sont des pécheurs, à mettre au ban de la société. C’est une chose que d’avoir le béguin pour un collègue de travail, c’en est une autre d’être stigmatisé comme adultère.
Dans certains milieux, comme le terrain de sport ou le cabinet d’avocats, l’infidélité est tolérée, voire encouragée. Les libéraux semblent les mieux disposés à en plaisanter ou à remettre en question la viabilité de la monogamie. Mais l’opprobre jeté sur l’adultère est tel qu’il est difficile de rester indifférent, surtout quand il s’agit d’un de vos proches.
Dans un café de l’Upper West Side où il habite à Manhattan, je rencontre un homme d’affaires qui m’assure être toujours resté fidèle à sa femme tout au long de ses vingt ans de mariage. Bien sûr, il a pu avoir des tentations, mais apparemment ça lui donne des cas de conscience. Parmi ses amis haut placés, l’infidélité est tellement rare qu’« elle est vécue comme une exception, une anomalie, une crise ». On réfléchit à deux fois avant de mettre en danger le double salaire de son couple, et on redoute « ce que les enfants vont penser de moi ».
Les quelques personnes de son entourage à avoir des aventures en ont beaucoup. Elles s’abandonnent à des appétits sexuels débridés, ce qui à ses yeux est révélateur de troubles de la personnalité. « On connaît tous des gens comme ça, des gens qui d’une certaine façon s’écartent de l’ordre établi. Il ne s’agit pas tellement de sexe : c’est plutôt une question d’excentricité, de mise en scène », remarque-t-il. L’infidélité suggère par ailleurs un lien douteux avec les classes inférieures de la société américaine, qui n’ont ni les moyens ni la discipline nécessaires pour prendre leur destin en main. Risquer de leur ressembler d’une façon ou d’une autre serait préjudiciable à son standing : « Je ne voudrais pas être considéré comme un mari infidèle. Ça ne serait pas bon pour mon image. »
La monogamie rehausse le statut social des Américains. Elle indique qu’ils sont de bons parents, d’honnêtes employés, des commerçants dignes de confiance, et qu’ils partagent les valeurs de la société décente. Une femme de médecin à Miami m’a avoué qu’au fond, ça ne la dérangerait pas vraiment que son mari couche avec une autre. Au mieux, ça l’exempterait de ses devoirs conjugaux hebdomadaires. En revanche, elle serait traumatisée par ce que la pratique de l’adultère dirait sur son mari. Il est considéré par tous comme un monogame résolu et satisfait. S’il la trompait, on penserait qu’il roule tout le monde dans la farine, et qu’il n’est pas celui qu’on croyait.
Les anecdotes sur l’adultère en Amérique sont souvent des leçons de morale et aboutissent, après une brève incartade, à un retour dans le périmètre sécurisé de la monogamie. Exemple : Betsy, rédactrice de More, un magazine pour femmes de plus de quarante ans, s’entiche de son ostéopathe et éprouve aussitôt de la culpabilité à imaginer nu un autre homme que son mari. Pourtant, elle se rend compte que ses copines elles aussi ont des toquades de ce genre. Il est même arrivé qu’une de ses amies photographe tombe dans les bras de son garçon de piscine. Mais elle l’a « vite regretté. Ce petit fantasme m’avait entraînée trop loin. J’étais en train de faire n’importe quoi. Personne ne l’a jamais su, mais j’ai eu honte de moi », raconte l’amie en question.
Les chroniques de conseillers conjugaux dans la presse et les forums de discussion sur Internet ressassent le même scénario. Dans l’un d’eux, une divorcée raconte qu’elle sort avec un homme merveilleux, mais qu’à l’occasion d’une virée entre copines elle s’est laissée offrir un verre par un autre homme. « À la fin de la soirée, j’avais pas mal bu, et je crois que je l’ai embrassé. C’était juste un petit bécot, et encore. À vrai dire je m’en souviens à peine. Mais maintenant je suis catastrophée et dégoûtée. Ce n’était tout simplement pas moi, et je sais que jamais, au grand jamais, ça ne se reproduira. Dois-je en parler à mon compagnon ? Comment surmonter cet épisode ? J’ai l’impression que je ne suis plus digne de lui. Je vous en prie, dites-moi quoi faire. »
J’aurais pu croire que c’était là une réaction normale face à l’adultère, si je n’avais pas su que, dans d’autres pays, les gens gèrent la situation de façon tout à fait différente. La plupart d’entre eux trouvent nos méthodes bizarres. Nos paniques, nos menaces rituelles de divorce, notre foi dans le pouvoir rédempteur des conseillers conjugaux, et même notre principe selon lequel l’honnêteté est la pierre angulaire du couple, tout cela les laisse perplexes. Ils s’amusent tout particulièrement du numéro de Docteur Jekyll et Mister Hyde que les Américains ont mis au point après qu’un mari adultère transformé en gourou a publié ses Mémoires pour apprendre à ses semblables comment « survivre » à des crises extraconjugales. Mais ce ne sont pas seulement les conséquences des liaisons qui sont différentes. En dehors des États-Unis, les gens ont leurs propres idées sur le choix d’un amant, les obligations mutuelles de l’un et l’autre parti, et même sur l’issue à donner à toute l’affaire.
On pourrait croire que l’adultère est un royaume affranchi des lois, dans lequel on s’engage en son âme et conscience. Et pourtant, même les relations extraconjugales sont soumises à des règles, qui nous sont inculquées par des aveux et des rumeurs. Ces récits partagés définissent la « normalité » et jalonnent les longues années de mariage. Certes, nul ne peut respecter ces règles à la lettre. Il arrive même que certains dévient de leur objectif. Mais le fait est que tout le monde les connaît et sait à quoi s’en tenir.
« Il suffit que les gens me racontent quelques épisodes de leur vie, je n’ai pas besoin d’en entendre davantage », dit Peggy Vaughan, une Californienne qui a monté une cellule d’assistance téléphonique pour personnes ayant découvert l’infidélité de leur conjoint. « Je ne veux pas savoir le pourquoi ni le comment : quels que soient les détails, les conséquences émotionnelles ne sont que trop prévisibles. Je devine la suite de l’histoire. »
D’après le scénario américain, le mari trompeur est censé révéler à sa maîtresse qu’il est malheureux avec sa femme. En d’autres termes, qu’il n’est pas un parfait salaud, mais une âme sensible en manque d’amour. En Chine, cependant, j’ai découvert qu’il n’était pas inhabituel que les hommes mariés fassent l’éloge de leur femme auprès de leurs maîtresses, pour prouver qu’ils respectent la gent féminine et qu’ils ont fixé des bornes à leur liaison.
Dans le reste du monde, on peut aussi jouer sur ce registre sentimental. Mais chaque culture adapte son propre scénario, nous enseignant ainsi quelles émotions convoquer selon les circonstances. Une épouse japonaise est restée bouche bée quand je lui ai demandé si elle culpabilisait d’avoir un amant. J’ai dû répéter ma question plusieurs fois. Il ne lui était même pas venu à l’idée de se sentir coupable, dans la mesure où elle remplissait scrupuleusement ses devoirs envers sa famille. Un Français à qui j’ai demandé si le but de sa psychothérapie était de mettre de l’ordre dans sa double vie s’est senti pris de court. En fait, il avait arrêté d’aller voir son psy peu de temps après avoir rencontré sa maîtresse, puisqu’il venait enfin de trouver le bonheur.
Évidemment, il y a des motifs universels. Même dans les pays réputés tolérants envers l’adultère, qui n’aurait pas le cœur brisé en apprenant que son conjoint le trompe ? Mais, dans le détail, on constate beaucoup de variantes. En dehors des États-Unis, le principe de « la grande discussion », cette règle courtoise en vigueur en Amérique qui veut qu’une relation ne soit pas monogame tant que l’un et l’autre parti n’ont pas explicitement convenu qu’elle l’était, est incompréhensible. Les étrangers n’en reviennent pas d’apprendre que les Américains continuent de mettre à jour leurs profils sur les sites de rencontre, bien après avoir entamé une relation, et ce jusqu’à ce que les deux partis aient décidé de franchir le pas de la monogamie. « Ne vous imaginez pas avoir l’exclusivité tant que vous n’en avez pas discuté », prévient le webmestre d’un site de rencontres. Et si vous abordez enfin le sujet, « sachez présenter votre requête en termes modérés, montrant que vous êtes ouvert au dialogue ».
En effet, rares sont les cultures qui connaissent le flirt « à l’américaine », cette période d’expérimentation où il est permis de jongler avec plusieurs liaisons balbutiantes. Aux États-Unis, la saison de parade pluri-amoureuse tend à se prolonger plus longtemps que partout ailleurs. Et si les gens d’autres pays reconnaissent bien sûr franchir des étapes dans leurs relations amoureuses, ils n’ont pas pour habitude d’en discuter ouvertement. Dans un de ses livres, Bernard-Henri Lévy raconte que, dans une file d’attente à l’aéroport de Washington, il a surpris la conversation d’un jeune couple qui essayait de déterminer s’ils en étaient encore au stade du flirt ou s’il était temps de définir de nouveaux paramètres. Il constate que c’est là « une manière très peu française de transformer la relation amoureuse en une entité séparée, vivant sa vie propre à côté des deux amoureux ».
Même après « la grande discussion », les jeunes Américains continuent à coucher à droite et à gauche (bien plus que pendant le mariage). Ils voient défiler des dizaines de candidats potentiels sur une période de dix à vingt ans. Quand enfin un homme et une femme arrêtent leur choix et décident de se marier, c’est comme s’ils avaient franchi la ligne d’arrivée. De l’autre côté de cette ligne, les règles de la fidélité ne sont plus les mêmes. Si l’on peut tolérer quelques passades pendant la saison des premiers ébats, les jeunes mariés sont censés faire preuve d’archi-monogamie. Les femmes se disent : « S’il m’aimait vraiment, il ne pourrait même pas bander à la vue d’un autre corps, d’une autre paire de seins. » « Il suffit que leur mari pose les yeux sur une autre fille à la table d’à côté, pour que les femmes piquent une crise d’hystérie », constate Diane Sollee, gérante d’une organisation de défense du mariage à Washington. « Nous les Américains, nous sommes tellement romantiques… Pour nous, la moindre entorse à la carte du Tendre est un motif de divorce. »
Soumis à une telle vigilance et une telle culpabilisation, comment les Américains pourraient-ils bien réussir à tromper leur femme ? La réponse, c’est que les normes en vigueur sont diverses. Officiellement, la règle veut que l’adultère soit un mal absolu. C’est du moins ce que les gens disent aux sondeurs. Mais, officieusement, les conjoints adultères suivent un tout autre code. Comme le fait remarquer le sociologue James Farrer, chaque culture s’accorde pour valider certaines configurations dans lesquelles il est permis d’être infidèle.
Aux États-Unis, l’épanouissement dans le couple est bien plus qu’un idéal. Il est revendiqué comme un droit. Un trader du New Jersey, qui commençait à se lasser de sa deuxième femme et envisageait de la quitter pour s’installer avec sa maîtresse, m’a lancé un regard larmoyant en expliquant : « J’ai besoin d’être heureux. » La quête du bonheur ou de l’amour fou est une ritournelle que les Américains ressassent pour justifier leurs liaisons et apaiser leur conscience.
Pour être infidèle, il ne suffit pas de se draper dans sa mauvaise foi. Il faut d’abord avoir l’occasion de passer à l’acte. Est-ce que les hommes et les femmes ont le droit de nouer des amitiés et de rester en tête à tête ? Est-ce que les maris et les femmes sont censés passer tous leurs loisirs ensemble ? Est-ce qu’il est facile de trouver une baby-sitter ? Est-ce que la maison est assez grande ? Au cours de mon voyage à Moscou, un psychologue familial me fait remarquer que la plupart des Russes habitent des clapiers à lapin, parents et enfants dormant tous ensemble dans une pièce, et grands-parents juste de l’autre côté de la cloison. « Vous imaginez si c’est pratique pour un couple de faire l’amour… Dans ces conditions, mieux vaut prendre un amant que d’entendre les grands-parents taper contre le mur », conclut-il.
Les thérapeutes américains sont quant à eux confrontés à un tout autre problème : la découverte d’une liaison devient parfois le point de focalisation d’un mariage pendant des années. Ils considèrent cette crise adultérine prolongée, pendant laquelle tout le reste passe à l’arrière-plan, comme un phénomène courant.
Certains ne s’en sortent même jamais. Il y a vingt-cinq ans, Neil a reçu un coup de téléphone l’informant que sa femme était à l’hôpital. Elle avait été tabassée par son patron, dans ce qui semblait être une querelle d’amoureux. Neil, qui approchait alors de la quarantaine et était vice-président d’une organisation caritative à Baltimore, soupçonnait depuis longtemps qu’il y avait quelque chose entre eux. En voyant ses doutes confirmés, il a sombré dans un état qu’il qualifie de « catatonique », et dont il prétend ne pas s’être remis. Je rencontre Neil, aujourd’hui 64 ans, sur le parvis d’une église dans la banlieue de Memphis. Il est encore assez bel homme, grand, élégant, à la mâchoire carrée. Il est fan de basket-ball et aime jouer avec ses petits-enfants. Mais à mesure qu’il me raconte les détails de son histoire, il perd toute dignité et ses traits patriciens s’effondrent. Ce chef de famille modèle se décompose littéralement sous mes yeux.
« Pas un jour ne passe, vous entendez, pas un jour, sans que je pense à cette histoire. Et je n’y pense pas en l’air. Non. C’est comme un mal de dos insidieux et lancinant. Ça ne s’en va jamais. » Neil ne comprend pas comment la douleur provoquée par la liaison de sa femme a pu durer aussi longtemps. C’est un homme intelligent. Il a surmonté bien d’autres épreuves dans sa vie. Je trouve cela étrange, moi aussi. Certes, cette situation doit être angoissante, humiliante, effrayante. Mais j’ai rencontré plusieurs autres Américains qui, à l’instar de Neil, m’ont laissé entendre qu’ils n’étaient pas simplement tristes et blessés. C’est leur vision du monde tout entière qui s’est écroulée. « On est dépossédé de son propre passé », dit une de ces « épouses trahies ». « On n’arrive plus à distinguer la vérité et le mensonge. »
L’Association Américaine pour le Mariage et la Thérapie Familiale nous met en garde : « Les réactions de l’époux trahi ressemblent aux symptômes de stress post-traumatique des victimes de catastrophes. » Ceux qui essayent de décrire leur dépression ont recours à des métaphores d’une extrême violence. Une quadragénaire qui vit près de Seattle prétend que « les images du 11 septembre [lui] ont rappelé ce [qu’elle avait] ressenti alors. Un effondrement total ». Une autre, qui témoigne sur un site Internet pour époux délaissés, compare la découverte de la liaison de son mari avec le tsunami qui s’est abattu sur l’Asie en 2004, faisant des centaines de milliers de victimes.
« Beaucoup de femmes ont l’impression de perdre complètement les pédales », écrit Jo Ann Lederman, une conseillère conjugale de Miami, dans sa chronique. « Il faut s’attendre à des lésions dans le système nerveux et les capacités cognitives. » Lederman rapporte qu’une patiente lui aurait dit : « Je me sens encore plus mal que quand notre enfant est mort. À l’époque, je savais que les médecins avaient fait tout leur possible. Jamais je n’aurais imaginé que mon mari, mon meilleur ami, deviendrait mon bourreau. »
La monogamie est inscrite dans le patrimoine génétique des États-Unis. Les puritains qui fondèrent les colonies américaines au XVIIe siècle administraient des châtiments exemplaires aux adultères, avec des flagellations et même des exécutions en règle sur la place publique. Ils les obligeaient aussi à porter la lettre A, pour « adultère », sur le revers leur habit, comme le firent les juges de Hester Prynne dans le roman de Nathaniel Hawthorne La Lettre écarlate. Les puritains se fondaient sur la définition biblique de l’adultère, qui pointe du doigt les femmes mariées ou fiancées et leurs amants. Les maris volages, eux, étaient accusés du crime plus bénin de « fornication ».
Quand au XVIIIe siècle les colons américains s’insurgèrent contre l’Angleterre, celle-ci légitima sa domination en faisant valoir que les deux peuples étaient comme parents et enfants. Cette analogie fut perçue comme un anathème par les colons, qui préféraient quant à eux une relation consentante à l’Angleterre, du type de celle qui lie mari et femme.
Avec la Déclaration d’indépendance, les dirigeants américains prirent à nouveau le mariage comme métaphore de la manière dont la nouvelle république devait se gouverner elle-même. L’historienne Nancy Cott l’a remarquablement bien décrit dans son ouvrage Public Vows : A History of Marriage and the Nation (Vœux gouvernementaux : une histoire du mariage et de la nation). D’après elle, les pères fondateurs voyaient dans le mariage un symbole de la liberté politique. Dans les deux cas, chaque parti s’engage volontairement à assumer des obligations envers l’autre, et chacun tire bénéfice de cette relation. Certes, les fondateurs n’évoquaient pas l’union conjugale à la légère. Le seul modèle convenable à leurs yeux était celui du mari et de la femme qui se vouent une fidélité exclusive jusqu’à ce que mort les sépare.
Ce n’était pas là une simple métaphore : les pères fondateurs étaient convaincus que les couples mariés faisaient les meilleurs citoyens. Pendant la période coloniale, où les monarques britanniques cédaient à leurs caprices, le comportement individuel ne constituait pas un enjeu très important. Mais dans la nouvelle démocratie représentative, les mœurs des Américains étaient censées façonner le caractère de l’État. La force, la survie même du pays dépendaient de la moralité de ses citoyens. La théorie prétendait que des hommes corrompus ne pouvaient élire que des représentants qui le seraient aussi.
Les pères fondateurs encouragèrent également le mariage dans l’espoir d’établir une société policée dont les membres se tiendraient à carreau. Ils attendaient des femmes qu’elles domptent les pulsions désordonnées de leurs maris, tandis que les hommes emploieraient leur meilleur jugement pour aider leurs épouses à se comporter de façon raisonnable. Les philosophes politiques de cette époque écrivaient que l’hymen inciterait les gens à œuvrer de façon désintéressée pour le bien commun. Cette idée était relayée par les gazettes, qui chantaient les vertus de la fidélité. La famille présidentielle se distinguait comme l’archétype du parfait foyer américain.
Les premiers législateurs ne laissèrent rien au hasard. Si les Américains ne voulaient pas se marier, il leur fallait faire une croix sur le sexe. Les gouverneurs des différents États, chargés de contrôler l’observance des lois matrimoniales, proscrivaient pratiquement toute forme de relation sexuelle en dehors du mariage, notamment la fornication, la sodomie et l’adultère. « Conversation coupable » (coucher avec la femme d’un autre), « séduction » (convaincre une femme de quitter son mari) et « aliénation d’affection » (enlever l’affection à son propriétaire légitime, autrement dit l’époux) représentaient des délits passibles d’amendes. Il s’agissait là de crimes lésant le mari, puisque légalement le corps de sa femme était censé lui appartenir. Au cas où on aurait malgré tout pu être tenté par des relations sexuelles extraconjugales, Nancy Cott rappelle qu’au XIXe siècle la plupart des États interdirent l’avortement et que le gouvernement fédéral déclara illégal l’envoi de lettres à teneur « immorale », c’est-à-dire divulguant des informations sur la contraception.
Au tournant du XXe siècle, les femmes finirent pourtant par se lasser de la pudibonderie victorienne. Les moyens de contraception étaient désormais à la portée de tous, les suffragettes réclamaient le droit de vote, Freud venait de découvrir la pulsion sexuelle. Les femmes, libérées de leur corset, commençaient à entrevoir que le bonheur conjugal passait aussi par une sexualité épanouie.
Les tribunaux, garants des intérêts de la nation, ne voyaient pas cela d’un bon œil. Certains États firent de l’adultère un crime passible de 5 ans de prison et s’acharnèrent à le poursuivre. Mais ils ne pouvaient pas faire barrage à l’évolution de la société. Les femmes obtinrent le droit de vote en 1920, et la plupart des lois qui faisaient d’elles la propriété de leur mari furent abrogées.
Tout au long du XXe siècle, le gouvernement allait desserrer son emprise sur la vie privée. En 1960, la Commission alimentaire et pharmaceutique approuva la mise en vente de la pilule contraceptive. En 1973, la Cour suprême abrogea les interdits fédéraux sur le divorce. Et entre 1969 et le milieu des années 1980 – dans ce qui allait sans doute être l’étape cruciale –, tous les États adoptèrent le divorce par consentement mutuel. Les gens allaient désormais pouvoir mettre fin à leur couple simplement parce qu’ils n’étaient pas heureux. De plus en plus de femmes gagnaient leur vie et pouvaient se permettre de quitter leur mari pour des fautes telles que l’adultère, sur lesquelles les générations précédentes auraient fermé les yeux. Les statistiques nationales de divorce grimpèrent de 2,6 pour 1 000 en 1967 à 5,3 pour 1 000 en 1979 (elles ont rechuté depuis). La décision d’avoir ou non des enfants et de rester ou non marié relevait désormais d’un choix individuel, dans lequel l’État n’avait plus son mot à dire.
À mesure que les individus prenaient le contrôle de la procréation et du mariage, l’adultère s’est vu investi d’une nouvelle valeur symbolique. Il n’était plus perçu comme un phénomène propre à déterminer le destin de la nation, mais affectant la cellule familiale et l’intimité. Pour autant, les Américains ne devenaient pas laxistes. Ils allaient au contraire se montrer encore plus stricts envers l’adultère. Et continuer à y voir le premier jalon d’une longue route de crimes et de nuisances. Seulement, au lieu d’affecter la vie politique, ces nuisances concernaient désormais la vie domestique. On assistait à la privatisation de l’adultère. La plupart des lois fédérales avaient été abrogées, et celles qui restaient n’étaient plus que des reliques culturelles.
L’infidélité comme pente glissante vers le chaos personnel est un motif récurrent des films hollywoodiens. Quand le personnage principal se met à tromper sa femme, le public s’attend à voir quelqu’un mourir (pas nécessairement le mari volage) en guise de punition cosmique contre le démon de l’infidélité. Unfaithul (Infidèle), remake d’un film français sorti en salles en 2002, raconte ainsi l’histoire d’une femme au foyer qui noue une liaison avec un homme rencontré par hasard dans la rue (c’est une héroïne : elle n’aurait pas cherché délibérément un amant). Dans une scène ajoutée à l’intention du public américain, ses amies font des commentaires sur le beau Français sexy qui se tient au comptoir du bar, sans se douter que l’héroïne couche avec lui : elles sont prêtes à « s’allonger tout de suite », et un flirt avec lui serait au moins aussi distrayant qu’un cours de poterie.
Mais une des filles joue les trouble-fête : « Ça commence comme ça, mais bientôt ça dérape, quelqu’un l’apprend, ou l’un des deux tombe vraiment amoureux, et ça finit dans les larmes. Ça finit toujours dans les larmes. »
De fait, le mari de notre héroïne, homme d’affaires et père exemplaire, ne tarde pas à découvrir le pot aux roses et tue l’amant français. Mari et femme se réconcilient, mais on comprend qu’ils redouteront pour toujours d’être démasqués, ou que peut-être ils céderont au besoin de tout avouer. D’une manière ou d’une autre, cette aventure sans lendemain aura gâché leur vie paisible et confortable.
Le même message circule dans les chat-rooms sur Internet. Quand une femme avoue être tentée de coucher avec un homme marié avec lequel elle a déjà noué des liens affectifs, une flopée de gens la prévient qu’en cédant à ce plaisir passager, c’est toute son existence qu’elle risque de fiche en l’air.
« Tu es sûre de vouloir t’engager dans une double vie ? Tu as bien pesé le pour et le contre ? Essaie de te projeter dans un, deux, cinq ou dix ans. Une liaison risque de t’affecter pour le restant de tes jours… Je ne le souhaiterais pas à mon pire ennemi. » Un autre lui écrit : « Je te recommande vivement de rompre tout contact avec cette personne et de t’épargner, ainsi qu’à ta famille, des mois voire des années d’enfer. »
En 1998, les États-Unis virent le scénario adultère se déployer à travers le plus grand forum de discussion de tous les temps : le procès en destitution du président Bill Clinton. Les adversaires républicains de Clinton avaient pris la précaution de préciser qu’ils ne le jugeaient pas pour ses frasques avec Monica Lewinsky, la jeune stagiaire de la Maison Blanche. Le crime dont ils l’accusaient, c’était d’avoir enfreint à cette occasion un autre interdit moral : le mensonge. Pour appuyer cette accusation, le procureur indépendant établit le « rapport Starr », 445 pages détaillant par le menu une dizaine de rencontres entre Clinton et Lewinsky, depuis la première fois qu’il l’avait draguée en novembre 1995, jusqu’à leurs fameux ébats dans le couloir du Bureau ovale.
Le casting et l’intrigue du rapport Starr sont calqués sur le scénario américain de l’adultère. Lewinsky dans le rôle de la maîtresse qui espère supplanter l’épouse légitime, et Clinton dans le rôle du mari qui entretient cette illusion afin de continuer à profiter de ses faveurs. D’après le rapport, « le Président Clinton avait laissé entendre à Mademoiselle Lewinsky qu’il n’était pas sûr de rester marié après son départ de la Maison Blanche. En substance, il aurait dit : “Qui sait ce qui se passera d’ici quatre ans quand j’arriverai à la fin de mon mandat ?” » Le rapport Starr reprend la vieille rengaine de la maîtresse abandonnée. Une confidente de Lewinsky fait valoir que, « si elle avait tout inventé, elle m’aurait raconté qu’il lui téléphonait à tout bout de champ, qu’il était aux petits soins, qu’il ne pouvait pas se passer d’elle… Bref, elle aurait enjolivé. Elle ne m’aurait pas dit qu’il lui avait promis de l’appeler mais qu’elle avait passé tout le week-end à attendre à côté du téléphone, et qu’il ne s’était pas manifesté pendant deux semaines ».