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Bertrand de Castella, reporter-photographe, revient du Guatemala où sa femme et sa fille avaient été kidnappées par des guérilléros. Malheureusement, après l’assassinat de son épouse, il se retrouve seul avec sa fille Julie. Un matin, la petite fait la connaissance devant l’ascenseur de Diane Lacroix, la jolie voisine qui habite dans l’appartement d’à côté, et de sa petite chienne. C’est un coup de foudre entre la petite fille et la douce Nouchka, adorable petite boule de poils, favorisant ainsi la rencontre de Bertrand et Diane. Cette ancienne journaliste va-t-elle percer à jour le mystère de cet homme ? La petite Julie semble traumatisée par sa captivité. Que cache-t-elle ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Pour
Danielle Lebée, l’amour est un moteur, un vecteur qui donne du sens à la vie.
Dans L’enfant d’à côté, elle le décrit sous toutes ses formes : tendresse, amitié et passion, tout en insistant sur les tourments et les obstacles qui en découlent.
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Danielle Lebée
L’enfant d’à côté
Roman
© Lys Bleu Éditions – Danielle Lebée
ISBN : 979-10-377-8291-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma fille, avec tout mon amour
Je sentis sur ma joue le museau humide de Nouchka, j’avais beau faire semblant de dormir, je savais bien que je ne trompais pas ma petite boule de poils à quatre pattes. J’aurais bien aimé paresser encore un peu, mais le radio-réveil dans quelques instants allait se mettre en route pour m’annoncer, par la voix de ce journaliste encore plus matinal que moi, quelques catastrophes survenues à mon insu pendant mon sommeil. De quoi déprimer dès le premier instant d’un nouveau jour, à peine la première paupière ouverte. Que s’était-il passé dans ce vaste monde pendant que je dormais du sommeil du juste ? Quelle guérilla s’était-elle déclarée et dans quel lointain pays ? Quel volcan s’était réveillé ? Quelle route ou autoroute avait-elle été mortelle ? Quelle catastrophe naturelle ? Quelles intempéries dévastatrices ? Qui avait tué qui et pourquoi ?
« Vous écoutez “Radio-Normandie”. Bonjour et bonne journée à tous, il est très exactement 6 heures, nous vous présentons notre flash d’informations. »
Je coupai le son immédiatement pour rester encore quelques minutes dans cette minuscule bulle intemporelle suspendue entre l’éveil et la réalité du monde. Nous ne savons pas de quoi sera fait ce jour nouveau ni ce qu’il nous réserve. Le jour se lève, la lumière apparaît par strates sur l’horizon de cette nouvelle aube.
Comme de bons petits soldats, nous allons tous vers ce qui fait notre quotidien, mais dans ce tout petit espace-temps de l’éveil et le moment où l’on n’a pas encore accroché nos sacs à dos de contraintes et d’obligations, dans cet interstice se glisse une toute petite lueur d’espoir.
Une journée qui commence, c’est ouvrir le champ de tous les possibles. Tout ce que nous pourrions faire et que nous ferons peut-être… ou pas.
Nouchka me sauta d’un bond sur le ventre, prise directe avec la réalité du monde
« J’y vais, j’y vais… ma belle. »
J’enfilai tant bien que mal mes tennis, passai en vitesse un jean et un pull. Nouchka traversa le couloir à la vitesse de l’éclair, la laisse dans la gueule, les oreilles en arrière et se campa devant la porte d’entrée.
J’avais toujours des scrupules à appeler l’ascenseur si tôt, même si les voisins étaient habitués pour la plupart d’entre eux et si certains étaient déjà réveillés, soit pour partir au travail soit pour préparer les enfants pour l’école. C’était un vieil appareil plutôt bruyant, ses roulements tremblaient à la montée comme à la descente et les portes grinçaient en s’ouvrant et en se fermant. Son seul avantage résidait dans la grandeur de la cabine, ce qui n’était pas négligeable pour les locataires qui emménageaient ou déménageaient. On pouvait y entrer une salle à manger entière. C’était une antiquité, bruyant certes, mais jamais en panne. Ma chienne s’engouffra dans la cage et tourna en rond sur elle-même comme une toupie jusqu’à ce que la porte de l’ascenseur s’ouvre sur le hall d’entrée, dont la porte était déjà grande ouverte. C’était l’heure du ramassage des poubelles et la gardienne s’activait à sortir les containers.
Je lui ôtai la laisse dès que nous fûmes dehors. Elle connaissait son parcours, avait ses repères, je la laissais aller librement. L’herbe des bas-côtés de l’allée qui menait au collège Claude Bernard était humide de rosée. Elle partait comme une flèche, tout droit devant elle et stoppait net devant les grilles du collège. Puis elle revenait le nez dans l’herbe, furetant de-ci de-là, s’arrêtait, reniflait ou se mettait à courir après les oiseaux qui s’envolaient des branches des grands peupliers qui bordaient l’allée.
En ce petit matin d’avril, il faisait frisquet, le jour se levait sur une aurore pâle, le ciel se pommelait de petits nuages blancs. J’avais un instant perdu des yeux ma boule de poils. Je la vis surgir de derrière un buisson et courir dans ma direction en jappant joyeusement. C’était le signal, nous pouvions rentrer.
L’ascenseur stoppa à notre étage, elle en descendit la première. Elle aurait très bien pu descendre seule pour peu qu’on lui appelle l’ascenseur à l’aller et au retour.
Ce jour-là pourtant, alors que d’habitude elle s’asseyait sagement sur le tapis devant notre porte en attendant que j’ouvre, elle alla droit à la porte d’à côté, reniflant, se couchant de tout son long devant la porte, comme si elle essayait de voir ou d’entendre quelque chose.
Quelques jours plus tôt, de nouveaux locataires s’étaient installés. Je regrettais les derniers occupants, madame et monsieur Delavalle, un charmant couple de retraités, discrets et sympathiques qui avaient pris ma chienne en amitié. Lui en particulier qui avait toujours dans sa poche quelques douceurs contre une caresse. Il avait donc droit à des assauts affectueux de ma malicieuse boule de poils. Comme ils étaient tous les deux perclus de rhumatismes, j’avais pris l’habitude à chaque fois que j’allais faire mes courses au supermarché de leur ramener leurs packs d’eau minérale, moyennant quoi, j’avais un bouquet de fleurs fraîches tous les vendredis lorsqu’ils allaient au marché. On échangeait des livres, des revues, je leur ramenais des pâtisseries du salon de thé. Ils avaient un fils unique, célibataire, professeur d’histoire de l’art qui dispensait ses cours à l’université de Rouen et qui venait d’être muté à Aix-en-Provence. Il avait acheté un joli mas bien trop grand pour lui tout seul, ils étaient les bienvenus à demeure, leur avait-il proposé. Ils n’avaient pas hésité longtemps à rejoindre leur fils et faire chauffer leurs vieux os au soleil.
L’appartement libre avait fait l’objet de quelques visites, dont une qui m’avait déplu. Un matin alors que je fermais la porte du mien pour partir au salon, j’avais vu sortir de celui d’à côté un ostrogot baraqué comme un rugbyman, engoncé dans une canadienne kaki, casquette de base-ball sur la tête, lunettes noires et barbe de 3 jours. Une allure guère engageante, mais un bonjour franc et amical d’une voix douce qui ne cadrait pas avec l’allure du bonhomme, ainsi qu’une caresse à ma chienne. J’avais perdu au change en matière de voisinage.
« Nouchka, appelais-je à voix basse, espèce de curieuse, viens ici tout de suite. On rentre. »
Elle ne bougea pas d’un pouce et je dus la gronder et la tirer par le collier pour la faire entrer dans l’appartement.
Son attitude ne cessa de m’intriguer. Alors que son habitude était de me suivre pas à pas pendant les préparatifs du petit-déjeuner auquel elle participait largement, elle resta allongée le long de la porte d’entrée toujours reniflant, sourde à toutes mes sollicitations tendres ou sévères.
Je finis par renoncer et pris seule mon petit-déjeuner, me disant qu’elle ne manquerait pas d’investir la salle de bain lorsque j’irai prendre ma douche.
Décidément, ce n’était pas un jour comme les autres.
Non seulement elle ne vint pas me rejoindre dans la salle de bain, pas plus que dans la chambre où elle avait l’habitude de se coucher sur la moquette pendant que je refaisais le lit et que je m’habillais.
Mais qu’elle ne fut pas ma surprise lorsque je pris la laisse qui donnait le signal du départ de voir ma chienne refuser catégoriquement de me suivre.
Je devais m’absenter toute la journée et je ne la laissais jamais seule.
Alors que j’allais me résoudre à la prendre de gré ou de force dans mes bras, j’entendis la porte de l’appartement d’à côté s’ouvrir et ma chienne se lever d’un bond, prête à partir.
Devant l’ascenseur se tenait une fillette d’environ 7 ou 8 ans. Un visage long et mince couleur ambre, des yeux frangés de longs cils noirs, des cheveux de jais coiffés en deux tresses bien sages qui effleuraient ses joues. Elle portait un pantalon de toile bleu marine, un anorak rouge et des tennis blancs.
Ma chienne se crut autoriser à lui manifester la bienvenue à sa manière en lui apposant sans façon ses deux pattes sur les épaules pour mieux lui lécher le visage.
Elle ne faisait jamais ça à personne, pas même à moi.
Alors que j’allais gronder cette impertinente, la petite fille s’agenouilla et les voilà toutes deux se congratulant à tu et à toi.
Je me présentais à l’enfant :
— Bonjour, je m’appelle Diane Lacroix, elle, c’est Nouchka, et toi ? Comment t’appelles-tu ?
— Julie.
— Julie comment ?
— Julie… c’est tout.
Comme l’ascenseur s’ouvrit, je l’invitais à y monter.
— Eh bien, en route, Julie c’est tout.
Elle rit d’un rire clair et cristallin et comme pour se faire pardonner elle crut bon d’ajouter.
— Papa ne veut pas que je dise mon nom à des inconnus.
Je fis mine d’être extrêmement impressionnée et je chuchotais tout bas :
— Je vois, ton papa est quelqu’un de très important ou de très connu, ou alors… attends un peu… il est espion… genre agent 007.
Cette fois, elle éclata de rire et me lança.
— Que t’es bête ! puis mettant sa main devant sa bouche comme font les enfants qui ont dit des bêtises, elle dit toujours en riant :
— Pardon… Pardon… Pardon.
Je ris à mon tour. Nous étions arrivées en bas de l’immeuble et Nouchka tirait sur sa laisse en direction de la voiture garée sur le parking.
Ayant remarqué le cartable qu’elle portait sur son dos, je lui proposais de l’amener jusqu’à son école.
— Papa m’a bien recommandé de ne monter en voiture avec personne, de prendre mon bus et de rentrer le soir sans traîner.
— Ton papa a raison mon ange, d’ailleurs tu ne me connais pas.
Elle s’excusa comme à regret de ne pouvoir répondre à mon invitation et je compris au regard qu’elle posait sur ma chienne qu’elle se privait d’un plaisir évident de rester un peu en compagnie de ma boule de poils.
Elle me fit un petit signe de la main, caressa longuement la tête de Nouchka et partit en direction de l’arrêt du bus qui se trouvait au coin de la rue. Petite silhouette trotte-menu.
Ma chienne grimpa sur la banquette arrière comme à son habitude, se nicha le museau dans mon vieux foulard et nous partîmes.
Il était 8 heures lorsque je franchis la porte du salon de thé que je tenais avec Emilie, mon amie et associée.
Nouchka jappa de plaisir, courut faire la fête à Emilie et gagna bien vite son panier devant la vitrine où elle satisfaisait sa curiosité tout le long du jour. Le salon, c’était sa deuxième maison, et Emilie, sa nounou.
Elle était arrivée dans ma vie d’une manière tout à fait inattendue. Nous venions juste d’ouvrir notre salon de thé. Ce jour-là, il pleuvait fort, une de ces averses de printemps brutale et brève. Une dame âgée avait poussé la porte du salon et était restée plantée là. Elle tenait un chien en laisse aussi trempé qu’elle. C’était un genre de cavalier King Charles, qui me fit penser à un épagneul breton miniature, comme mon Lascar, même pelage, mêmes yeux couleur noisette et pétillants. La pauvre dame en détresse climatique n’osait plus faire un pas. Emilie s’était précipitée pour lui ôter le parapluie des mains, l’aider à se débarrasser de son imperméable dégoulinant, puis l’avait invitée à s’asseoir. Nous étions installées depuis peu de temps, et une cliente, c’était sacré, avec ou sans chien.
« Je suis désolée, mais Câline va se coucher à mes pieds, elle ne dérangera pas. »
Comme de fait, docile et obéissante, Câline s’était glissée sous la table et s’était fait oublier. La dame nous commanda un thé avec un nuage de lait et deux tranches de cake dont la moitié disparaissait mystérieusement sous la table.
L’averse avait donné l’idée à d’autres naufragés de venir se réfugier dans notre home accueillant, et en l’espace de 10 minutes, le salon fut plein.
Câline revint avec sa gentille maîtresse, elle était devenue notre mascotte.
Puis un jour, madame Catala, tel était le nom de la maîtresse de Câline, arriva seule.
— Où est Câline ? demandais-je.
Alors, madame Catala sortit une pochette de son sac à main et en extirpa deux photos. Câline avec sa portée de petits chiots, tous en train de téter. Autant de chiots que de mamelles, sauf un plus petit que les autres et qui les regardait.
— Ben lui alors ? Pourquoi il ne participe pas au festin ? demandais-je en riant.
— Parce que Câline n’a pas assez de mamelles pour tous ses petits et celle-là n’est pas une vorace, elle ne se jette pas sur sa maman comme les autres. Du coup, je l’élève au biberon. Ils sont déjà tous adoptés sauf elle.
— C’est une fille ?
— Adorable et espiègle. Je n’ai pas encore trouvé preneur pour une adoption, je vais mettre des affichettes. Vous accepteriez d’en mettre une sur votre vitrine ?
Emilie répondit sans hésiter :
— Avec plaisir, n’est-ce pas Diane ?
— Je crois que ce ne sera pas nécessaire, madame Catala, celle-là, elle est pour moi.
— Vrai ?
— Aussi vrai que le ciel a ouvert ses vannes aujourd’hui.
Il pleuvait à verse depuis le matin.
Dès que je la pris dans mes bras le jour où notre cliente nous l’amena au salon, pour une adoption en bonne et due forme, vaccinée, vermifugée, elle et moi, ce fût un amour immédiat et réciproque.
Il y eut bien quelques chaussons de grignotés et deux ou trois coussins d’éventrés, comme les humains, il faut bien que jeunesse se passe. Elle s’ennuie, décréta Emilie, emmène-la au salon.
— Je ne sais pas si c’est bien conseillé.
— Juste un peu d’éducation et tu verras que tout se passera bien.
Il n’y eut aucune éducation à faire. Emilie avait acheté un panier douillet et rembourré qu’elle avait placé devant la vitrine, puis deux gamelles dans l’atelier, une pour l’eau et l’autre pour ses croquettes. Elle aussi était tombée en amour.
Emilie et moi, nous nous étions rencontrées toutes les deux à un moment de notre existence où nous étions lasses, chacune de notre côté, de la vie que nous menions.
En fait, nous avions le même dentiste et nos horaires respectifs faisaient que nous nous retrouvions chaque samedi matin dans la salle d’attente du docteur Petit. Comme disait Emilie : « La trouille, ça crée des liens ».
Elle était assistante sociale et pratiquait son métier comme un sacerdoce. Mais elle supportait de plus en plus mal de vivre chaque jour en plongeant dans la misère humaine, dans la détresse. Même si son lot quotidien n’était pas forcément des enfants martyrs ou des femmes battues. Mais elle voyait trop de familles se déchirer, d’enfants tiraillés par des parents divorcés, des jeunes désœuvrés en rupture familiale et scolaire qui tombaient dans la délinquance. Les solutions existaient certes, mais là encore elle se heurtait à la lourdeur administrative. Bref, elle était usée. La perte de son mari et le départ de sa fille unique pour les États-Unis en raison de son cursus universitaire l’avaient anéantie et elle ne trouvait plus suffisamment en elle de ressources nécessaires pour apaiser les souffrances d’autrui. C’était devenu trop lourd à gérer.
Quant à moi, j’étais journaliste de presse. Je travaillais pour « L’ÉVEIL », un quotidien régional. J’avais ma petite notoriété. On me recherchait ou on me fuyait, c’était selon. Je courais la ville et la campagne, les vernissages et les inaugurations, je couvrais les fêtes de villages comme les visites ministérielles, les catastrophes en tous genres, les incendies comme les accidents de la route. J’avais un ulcère à l’estomac à force de manger n’importe quoi à n’importe quelle heure, ou de ne pas manger du tout. Les hommes qui me plaisaient n’étaient jamais libres, ceux qui me recherchaient me donnaient envie de rentrer dans les ordres. Le désert sentimental et le stress professionnel étaient mon lot quotidien. J’étais invitée partout par de faux amis et de vrais ennemis, j’avais des relations dans toutes les couches de la société de cette si jolie petite ville, mais j’étais seule, lasse, triste, bref en pleine déprime. La vie venait de me malmener. Les deux dernières années avaient été les plus douloureuses de ma jeune existence. D’abord, la perte de ma mère emportée par un cancer du sein. Le vide qu’elle avait laissé était immense et mon père dépérissait de son absence jour après jour. Mais ni mon amour ni ma sollicitude n’avaient réussi à le retenir, et son cœur, déjà fragile, s’est arrêté de battre, sans bruit ni plainte. Ils étaient un couple fusionnel, amoureux de la nature, infatigables promeneurs. Ils connaissaient toutes les forêts alentour, les chemins de randonnée. Pas vraiment sportifs, juste contemplatifs. Mon père était garde forestier, passionné par son métier, amoureux des arbres dont il connaissait toutes les essences. Lorsque j’étais petite, par tous les temps ou presque, chaque dimanche après-midi, nous allions faire de grandes balades sur les chemins forestiers, guidés par le professionnel de la famille, notre chien Lascar, un bel épagneul breton au pelage blanc et roux et aux yeux pleins de malice, ne savait plus où donner de la tête, il courait à en perdre haleine, disparaissant dans les hautes fougères, glissant l’automne sur le tapis de feuilles mortes, ivre de liberté. Ma mère, institutrice, m’avait donné, dès mon plus jeune âge, le goût de la lecture. Le soir, pour m’endormir, elle me lisait des poésies qu’elle avait écrites dans la journée rien que pour moi. Une enfance heureuse, une adolescence vécue avec quelques rébellions. Des soirées entre copains et copines souvent alcoolisées au-delà du raisonnable, et quand elles étaient refusées, des cris et des claquements de portes. Des yeux trop maquillés, des piercings, des cigarettes au goût spécial, des amours tumultueux. Puis du jour au lendemain, je suis devenue adulte. Très exactement le jour où le diagnostic fatal de la petite boule sous le sein gauche de maman nous est tombé dessus. Alors, à nous trois, nous avons combattu. Les périodes de rémission étaient des parenthèses de pur bonheur. Mon père l’emmenait au théâtre, en voyage, quand elle était en forme, nous faisions des après-midi shoping, nous avons fêté mes 18 ans, puis mes 20 ans, mon entrée au concours de journalisme et même la parution de mon premier article. Puis le mal a eu raison d’elle et nous l’a ravie. Je nous revois avec mon père, accrochés l’un à l’autre comme hébétés devant cet affreux trou dans le petit cimetière du village ou quatre hommes en costume noir descendaient doucement le cercueil à l’aide de cordes et j’avais l’impression que ce trou béant avalait tout ce qui fut mon enfance, mon passé, mon présent et mon futur. À la maison, Lascar la cherchait partout, mon père s’enfermait dans son bureau des heures entières, oubliant de boire, de manger et même de se laver. Puis il y eut une première alerte alors qu’il était en inspection à cheval dans la forêt pour surveiller des installations de camping sauvage l’été qui suivit sa mort. Il est tombé et ce sont des promeneurs qui ont appelé les secours. J’ai eu peur, une peur panique. J’ai fermé à clé la porte de mon appartement et je suis revenue vivre à la maison. Nous avons repris nos balades, Lascar courait moins vite, mais il trottinait le nez au ras du sol, attentif à des odeurs que seule sa truffe décelait. Le dimanche, nous cuisinions de concert. Le soir, si je ne rentrais pas trop tard, nous regardions un film à la télé en faisant la dînette au salon. À nouveau il souriait et avait repris goût à son travail. Puis un jour, le téléphone a sonné au journal, car on n’arrivait pas à me joindre. J’étais en interview avec le maire de la commune. Le directeur de l’ÉVEIL a appelé le cabinet du maire. Ce dernier a mis son chauffeur à ma disposition et je suis arrivée en trombe à l’hôpital. Trop tard. À nouveau le cimetière, cette fois j’avais envie de me laisser tomber dans ce trou pour les rejoindre tous les deux. Je ne voyais personne et pourtant les allées du cimetière étaient noires de monde. J’ai vidé la maison qu’il fallait restituer, car mon père occupait un logement de fonction. Une jolie petite maison aux abords de la forêt domaniale. J’ai loué un garage pour y entasser les meubles ainsi que les cartons contenant toutes leurs affaires et bibelots. Pris Lascar dans mes bras et réintégré mon appartement. Puis un jour, ce fut au tour de Lascar de m’abandonner. Je ressentis un vide abyssal. Mais la vie allait me faire un cadeau, ce jour-là, dans la salle d’attente de mon dentiste.
Nous n’étions plus que toutes les deux à attendre de passer à la torture. Nous décidâmes de déjeuner ensemble pour faire plus ample connaissance. Elle me raconta sa vie et moi la mienne, nous avions quitté le restaurant et marché longtemps le long des quais de la seine jusqu’à un banc où nous avons vidé nos sacs de chagrin.
C’est au cours de cette journée que notre vie prit un virage à 180° que nous n’avons jamais regretté.
***
De notre amitié mutuelle étaient nés des projets et comme nous n’engagions que nous-mêmes dans l’aventure, nous nous sommes lancées dans l’ouverture de ce salon de thé. Cela fait maintenant cinq ans qu’il est ouvert et que pour rien au monde nous ne retournerions à nos anciennes vies.
— Salut Milie, déjà les mains dans la farine, tu nous fais quoi aujourd’hui ?
— Tartes au citron meringuées, tartes aux pommes. J’ai également préparé des madeleines nature et au chocolat. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais hier nous avons manqué de cake et de tuiles aux amandes, j’ai donc fait un cake aux fruits et deux fournées de tuiles.
— J’ai remarqué, dis-je. Un peu étonnant d’ailleurs cette affluence un jeudi après-midi, non ? bon je vais m’attaquer au repassage des nappes. Avant de venir, j’ai fait un tour au marché aux fleurs. On voit que le printemps arrive, j’ai acheté de jolis narcisses et des anémones pour décorer les tables.
Emilie me rejoignit dans l’office, un petit sourire en coin sur les lèvres. Comme d’habitude, elle était superbe, ses cheveux gris coupés court lui donnaient une allure de jeune fille, les rides aux coins des yeux lui allaient bien, elle était légèrement maquillée et portait un joli tailleur beige qui, pour l’instant, disparaissait totalement sous le grand tablier blanc qui la protégeait.
— L’affluence d’hier, ma grande, c’est tout simplement qu’à deux pas d’ici, dans la rue Jean Moulin, à la galerie Garnier, il y a une exposition de photos.
— Ah ! Quel genre de photos ?
— Aucune idée ! Mais apparemment le genre qui attire du monde.
Mon instinct de journaliste reprenant le dessus, je lui répondis :
— J’irai jeter un coup d’œil à cette exposition.
Son sourire s’élargit :
— Je savais bien que j’allais éveiller ta curiosité.
Je n’avais pas tout à fait abandonné le journal. De temps en temps, j’écrivais une chronique ou un billet d’humeur que je signais d’un pseudo, histoire de ne pas perdre la main et de garder le contact avec le directeur devenu un ami et mes collègues qui m’avaient tant soutenue durant ces deux dernières années.
Elle retourna à la fabrication de sa pâtisserie. En fait, ma curiosité était en éveil depuis ce matin où j’avais croisé ma si jolie petite voisine. Petit tanagra exotique.
Mes occupations finirent par me faire oublier ma rencontre matinale. Il était presque midi, les nappes bleues et les surnappes jaunes étaient impeccables, les narcisses et les anémones étaient du plus bel effet dans des vases hauts et étroits en porcelaine blanche. Emilie avait disposé toutes les pâtisseries sur le comptoir. Bien que nous nous soyons promis de ne pas verser dans la restauration, nous avions quand même ajouté à notre carte quelques mets salés pour le midi, comme des quiches lorraines, des friands maisons, des tartes aux poireaux ou à l’oignon, des canapés au saumon ou au roquefort, l’hiver et l’été, quelques salades rafraîchissantes. Ce qui nous avait attiré toutes les petites secrétaires, vendeuses, apprenties coiffeuses qui travaillaient dans les magasins du quartier. L’après-midi, nous avions surtout des dames seules, des mamans avec leur progéniture, des amoureux à la sortie du cinéma, des retraités avec leurs petits-enfants et même quelques vieux messieurs gourmands, autant de nos douceurs que des jolies femmes qui passaient dans la rue.
Nous savourions aussi cet avantage non négligeable de tirer le rideau de fer le soir vers 19 heures. Ce qui nous permettait de profiter de nos soirées. Emilie était une lève-tôt qui aimait voir poindre l’aurore et ne se couchait jamais au-delà de 22 heures. Moi en revanche, j’aimais profiter de ma soirée et j’étais capable de dévorer la moitié d’un livre après le film du soir, cependant, le matin, j’avais un peu de mal à m’extraire de dessous ma couette.
C’était donc moi qui rangeais le magasin et la cuisine tous les soirs. Je faisais la caisse et je préparais les commandes pour le lendemain. Emilie rentrait tranquillement se reposer. En revanche, dès 6 heures, elle était en cuisine pour préparer la pâtisserie du jour. Les clients disaient de nous « vous faites un duo de choc et de charme ». Je n’étais pas loin de le penser également.
Il était presque 21 heures lorsque je regagnais mon appartement. J’avais relevé mon courrier dans la boîte aux lettres du hall d’entrée et laissé ma petite chienne courir dans les allées du parc. Après une journée entière au salon, elle avait besoin de piquer un sprint et de se libérer, même si Emilie avait institué un rituel de sortie avant le coup de feu de midi et en milieu d’après-midi. Elle lui mettait sa laisse et la promenait le long des quais de la seine où elle aimait se détendre et respirer un peu. Quand elle oubliait, Nouchka se rappelait à elle en allant se frotter dans ses jambes. Je pris une douche, enfilai mon peignoir et je m’affalai sur le canapé pour prendre connaissance du courrier. À part quelques prospectus et un relevé de banque que j’ouvris avec circonspection comme un colis suspect, mon compte en banque frôlant parfois le rouge me donnait des palpitations cardiaques. J’avais placé toutes mes économies dans notre petit commerce et nous ne nous versions pas encore de salaire conséquent. Mais bon, un rapide coup d’œil vers le bas du document dont la somme était en solde créditeur calma mon angoisse, puis mon regard fut attiré par une enveloppe longue, blanche et non affranchie. Une lettre déposée par quelqu’un de toute évidence. L’écriture m’était inconnue. Je l’ouvris sans hâte. Je sortis une carte postale représentant un paysage luxuriant, une cascade éclaboussant une végétation exotique. Large écriture qui prenait toute la place. Je lus :
Madame,