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Comédie: Par son étourderie ou sa maladresse, Lélie fait échouer onze machinations successives que son serviteur Mascarille, fourbum imperator, a imaginées pour lui assurer la possession de Célie, une jeune esclave que le vieux Trufaldin garde chez lui sans savoir que c'est sa propre fille.
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Seitenzahl: 96
Veröffentlichungsjahr: 2020
Molière
Lélie, fils de Pandolfe.
Célie, esclave de Trufaldin.
Mascarille, valet de Lélie.
Hippolyte, fille d’Anselme.
Anselme, vieillard.
Trufaldin, vieillard.
Pandolfe, vieillard.
Léandre, fils de famille.
Andrès, cru égyptien.
Ergaste, valet.
Un courrier.
Deux troupes de masques.
La scène est à Messine.
Lélie
Hé bien ! Léandre, hé bien ! il faudra contester :
Nous verrons de nous deux qui pourra l’emporter,
Qui dans nos soins communs pour ce jeune miracle,
Aux vœux de son rival portera plus d’obstacle.
Préparez vos efforts, et vous défendez bien,
Sûr que de mon côté je n’épargnerai rien.
Lélie
Hé bien ! Léandre, hé bien ! il faudra contester :
Nous verrons de nous deux qui pourra l’emporter,
Qui dans nos soins communs pour ce jeune miracle,
Aux vœux de son rival portera plus d’obstacle.
Préparez vos efforts, et vous défendez bien,
Sûr que de mon côté je n’épargnerai rien.
Lélie, Mascarille
Lélie
Ah ! Mascarille.
Mascarille
Quoi ?
Lélie
Voici bien des affaires ;
J’ai dans ma passion toutes choses contraires :
Léandre aime Célie, et par un trait fatal,
Malgré mon changement, est toujours mon rival.
Mascarille
Léandre aime Célie !
Lélie
Il l’adore, te dis-je.
Mascarille
Tant pis.
Lélie
Hé ! oui, tant pis, c’est là ce qui m’afflige.
Toutefois aurais tort de me désespérer ;
Puisque j’ai ton secours, je puis me rassurer :
Je sais que ton esprit, en intrigues fertile,
N’a jamais rien trouvé qui lui fût difficile,
Qu’on te peut appeler le roi des serviteurs,
Et qu’en toute la terre…
Mascarille
Hé ! trêve de douceurs.
Quand nous faisons besoin, nous autres misérables,
Nous sommes les chéris et les incomparables ;
Et dans un autre temps, dès le moindre courroux,
Nous sommes les coquins, qu’il faut rouer de coups.
Lélie
Ma foi, tu me fais tort avec cette invective.
Mais enfin discourons un peu de ma captive ;
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments
Ont rien d’impénétrable à des traits si charmants :
Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage,
Je vois pour sa naissance un noble témoignage,
Et je crois que le Ciel dedans un rang si bas
Cache son origine, et ne l’en tire pas.
Mascarille
Vous êtes romanesque avecque vos chimères.
Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires ?
C’est, Monsieur, votre père, au moins à ce qu’il dit ;
Vous savez que sa bile assez souvent s’aigrit,
Qu’il peste contre vous d’une belle manière,
Quand vos déportements lui blessent la visière.
Il est avec Anselme en parole pour vous
Que de son Hippolyte on vous fera l’époux,
S’imaginant que c’est dans le seul mariage
Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage ;
Et s’il vient à savoir que, rebutant son choix,
D’un objet inconnu vous recevez les lois,
Que de ce fol amour la fatale puissance
Vous soustrait au devoir de votre obéissance,
Dieu sait quelle tempête alors éclatera,
Et de quels beaux sermons on vous régalera.
Lélie
Ah ! trêve, je vous prie, à votre rhétorique.
Mascarille
Mais vous, trêve plutôt à votre politique :
Elle n’est pas fort bonne, et vous devriez tâcher…
Lélie
Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon à me fâcher ?
Que chez moi les avis ont de tristes salaires ?
Qu’un valet conseiller y fait mal ses affaires ?
Mascarille
Il se met en courroux ! Tout ce que j’en ai dit
Était rien que pour rire et vous sonder l’esprit :
D’un censeur de plaisirs ai-je fort l’encolure,
Et Mascarille est-il ennemi de nature ?
Vous savez le contraire, et qu’il est très-certain
Qu’on ne peut me taxer que d’être trop humain.
Moquez-vous des sermons d’un vieux barbon de père,
Poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire.
Ma foi, j’en suis d’avis, que ces penards chagrins
Nous viennent étourdir de leurs contes badins,
Et vertueux par force, espèrent par envie
Ôter aux jeunes gens les plaisirs de la vie !
Vous savez mon talent : je m’offre à vous servir.
Lélie
Ah ! c’est par ces discours que tu peux me ravir.
Au reste, mon amour, quand je l’ai fait paraître,
N’a point été mal vu des yeux qui l’ont fait naître ;
Mais Léandre à l’instant vient de me déclarer
Qu’à me ravir Célie il se va préparer.
C’est pourquoi dépêchons, et cherche dans ta tête
Les moyens les plus prompts d’en faire ma conquête ;
Trouve ruses, détours, fourbes, inventions,
Pour frustrer un rival de ses prétentions.
Mascarille
Laissez-moi quelque temps rêver à cette affaire.
Que pourrais inventer pour ce coup nécessaire ?
Lélie
Hé bien ! le stratagème ?
Mascarille
Ah ! comme vous courez !
Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.
J’ai trouvé votre fait : il faut… Non, je m’abuse.
Mais si vous alliez…
Lélie
Où ?
Mascarille
C’est une faible ruse.
J’en songeais une.
Lélie
Et quelle ?
Mascarille
Elle n’irait pas bien.
Mais ne pourriez-vous pas… ?
Lélie
Quoi ?
Mascarille
Vous ne pourriez rien.
Parlez avec Anselme.
Lélie
Et que lui puis-je dire ?
Mascarille
Il est vrai, c’est tomber d’un mal dedans un pire.
Il faut pourtant l’avoir. Allez chez Trufaldin.
Lélie
Que faire ?
Mascarille
Je ne sais.
Lélie
C’en est trop, à la fin ;
Et tu me mets à bout par ces contes frivoles.
Mascarille
Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,
Nous n’aurions pas besoin maintenant de rêver
À chercher les biais que nous devons trouver,
Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,
Empêcher qu’un rival vous prévienne et vous brave.
De ces égyptiens qui la mirent ici
Trufaldin, qui la garde, est en quelque souci ;
Et trouvant son argent, qu’ils lui font trop attendre,
Je sais bien qu’il serait très-ravi de la vendre ;
Car enfin en vrai ladre il a toujours vécu :
Il se ferait fesser pour moins d’un quart d’écu,
Et l’argent est le Dieu que sur tout il révère ;
Mais le mal, c’est…
Lélie
Quoi ? c’est ?
Mascarille
Que Monsieur votre père
Est un autre vilain qui ne vous laisse pas,
Comme vous voudriez bien, manier ses ducats ;
Qu’il n’est point de ressort qui pour votre ressource
Pût faire maintenant ouvrir la moindre bourse.
Mais tâchons de parler à Célie un moment.
Pour savoir là-dessus quel est son sentiment.
La fenêtre est ici.
Lélie
Mais Trufaldin pour elle
Fait de nuit et de jour exacte sentinelle :
Prends garde.
Mascarille
Dans ce coin demeurons en repos.
Oh bonheur ! la voilà qui paraît à propos.
Lélie, Célie, Mascarille
Lélie
Ah ! que le Ciel m’oblige en offrant à ma vue
Les célestes attraits dont vous êtes pourvue !
Et quelque mal cuisant que m’aient causé vos yeux,
Que je prends de plaisir à les voir en ces lieux !
Célie
Mon cœur, qu’avec raison votre discours étonne,
N’entend pas que mes yeux fassent mal à personne ;
Et si dans quelque chose ils vous ont outragé,
Je puis vous assurer que c’est sans mon congé.
Lélie
Ah ! leurs coups sont trop beaux pour me faire une injure ;
Je mets toute ma gloire à chérir ma blessure,
Et…
Mascarille
Vous le prenez là d’un ton un peu trop haut :
Ce style maintenant n’est pas ce qu’il nous faut.
Profitons mieux du temps, et sachons vite d’elle
Ce que…
Trufaldin, dans la maison.
Célie !
Mascarille
Hé bien !
Lélie
Oh ! rencontre cruelle !
Ce malheureux vieillard devait-il nous troubler ?
Mascarille
Allez, retirez-vous, je saurai lui parler.
Trufaldin, Célie, Mascarille, etLélie, retiré dans un coin.
Trufaldin, à Célie.
Que faites-vous dehors ? et quel soin vous talonne,
Vous à qui je défends de parler à personne ?
Célie
Autrefois j’ai connu cet honnête garçon,
Et vous n’avez pas lieu d’en prendre aucun soupçon.
Mascarille
Est-ce là le seigneur Trufaldin ?
Célie
Oui, lui-même.
Mascarille
Monsieur, je suis tout vôtre, et ma joie est extrême
De pouvoir saluer en toute humilité
Un homme dont le nom est partout si vanté.
Trufaldin
Très-humble serviteur.
Mascarille
J’incommode peut-être ;
Mais je l’ai vue ailleurs, où m’ayant fait connaître
Les grands talents qu’elle a pour savoir l’avenir,
Je voulais sur un point un peu l’entretenir.
Trufaldin
Quoi ? te mêlerais-tu d’un peu de diablerie ?
Célie
Non, tout ce que je sais n’est que blanche magie.
Mascarille
Voici donc ce que c’est. Le maître que je sers
Languit pour un objet qui le tient dans ses fers.
Il aurait bien voulu du feu qui le dévore
Pouvoir entretenir la beauté qu’il adore ;
Mais un dragon veillant sur ce rare trésor
N’a pu, quoi qu’il ait fait, le lui permettre encor,
Et ce qui plus le gêne et le rend misérable,
Il vient de découvrir un rival redoutable :
Si bien que pour savoir si ses soins amoureux
Ont sujet d’espérer quelque succès heureux,
Je viens vous consulter, sûr que de votre bouche
Je puis apprendre au vrai le secret qui nous touche.
Célie
Sous quel astre ton maître a-t-il reçu le jour ?
Mascarille
Sous un astre à jamais ne changer son amour.
Célie
Sans me nommer l’objet pour qui son cœur soupire,
La science que j’ai m’en peut assez instruire.
Cette fille a du cœur, et dans l’adversité
Elle sait conserver une noble fierté ;
Elle n’est pas d’humeur à trop faire connaître
Les secrets sentiments qu’en son cœur on fait naître ;
Mais je les sais comme elle, et d’un esprit plus doux
Je vais en peu de mots vous les découvrir tous.
Mascarille
Oh ! merveilleux pouvoir de la vertu magique !
Célie
Si ton maître en ce point de constance se pique,
Et que la vertu seule anime son dessein,
Qu’il n’appréhende pas de soupirer en vain :
Il a lieu d’espérer, et le fort qu’il veut prendre
N’est pas sourd aux traités, et voudra bien se rendre.
Mascarille
C’est beaucoup, mais ce fort dépend d’un gouverneur
Difficile à gagner.
Célie
C’est là tout le malheur.
Mascarille
Au diable le fâcheux qui toujours nous éclaire.
Célie
Je vais vous enseigner ce que vous devez faire.
Lélie, les joignant.
Cessez, ô Trufaldin, de vous inquiéter :
C’est par mon ordre seul qu’il vous vient visiter,
Et je vous l’envoyais, ce serviteur fidèle,
Vous offrir mon service, et vous parler pour elle,