La filière d’Arradon - Chaix d’Est-Ange - E-Book

La filière d’Arradon E-Book

Chaix d’Est-Ange

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Beschreibung

Le lieutenant Alban, confronté à différentes vilaines affaires laissées...

Le lieutenant Alban, de la Brigade criminelle de Vannes, n’est pas gâté. Son supérieur, le divisionnaire Cazaubon, vient de partir pour le Japon, lui laissant sur les bras différentes vilaines affaires. C’est le moment choisi par Marie Lafitte pour demander de l’aide ; un clochard lui a remis un sac plein de drogue au port de Saint-Goustan, alors qu’elle promenait le chien de ses amis Vogelweith, des médecins luxembourgeois installés à Auray. Petit à petit, toute la brigade s’investit dans l’enquête, qui conduit à Vannes, Auray et Arradon, où l’on assomme à tour de bras dans de grandes propriétés isolées, et jusqu’à Luxembourg où habite le sulfureux docteur Hatzfeld.

Suivez Marie Lafitte dans le premier tome de ses enquêtes haletantes, de Vannes à Auray en passant par Arradon ou le Luxembourg, où l’on assomme à tour de bras dans de grandes propriétés isolées.

EXTRAIT

Tournebise n’oublia pas de demander, pour le pansement qu’elle avait à la joue. C’était le médecin des urgences qui l’avait posé, après avoir enlevé celui qu’elle avait déjà. On ne sait jamais… La peau avait éclaté en deux endroits. Ce n’était pas infecté. Le Dr Colomban avait donné la permission aux Vogelweith de l’emmener chez eux en fin de matinée. Elle et son mari étaient bien médecins? Mais il ne s’agissait pas de la fatiguer avec des interrogatoires sans fin… D’ailleurs, je vous préviens, elle ne se rappelle pas bien ce qui lui est arrivé. Ce serait très dangereux de la brusquer, ajouta-t-il d’un air sévère. Il m’énerva, avec ses airs pontifiants. Quand nous arrivâmes à la chambre, elle était encore méchamment vaseuse. Par la porte entrouverte, nous observâmes les allées et venues des infirmières. On lui apporta d’abord un thermomètre, puis un plateau de petit déjeuner. Je vous jure qu’elle poussa un véritable cri de terreur en voyant l’infirmière s’approcher de son lit avec le thermomètre. Mais l’infirmière n’eut pas l’air étonné du tout. Elle souriait avec indulgence, comme si elle était habituée aux malades dérangés mentalement. Elle arrangea les oreillers, puis dit d’un ton brusque à Marie de se redresser dans son lit pour le petit déjeuner.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une carrière d’ingénieur de recherche au CNRS à Paris, Chaix d'Est-Ange se consacre aujourd’hui à l’écriture de romans et de nouvelles policières. Le Pays de Vannes est, depuis de nombreuses années, son lieu favori de détente, l’hiver. C’est aussi le cadre choisi pour ce premier roman.

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…à Norbert et Andrée.

I

Sans elle, l’histoire que je vais vous conter, on n’en aurait peut-être jamais vu le bout. Sûr que c’est une tête. Mais une compliquée. Il en est bien débarrassé, notre divisionnaire.

Débarrassé… Il n’y a jamais eu aucun… embarras. Elle, c’est le genre distant. Princesse de Clèves de mes deux !

Quand je l’accompagnai à Lann-Bihoué, il me dit, au moment de quitter Vannes :

— Alban, je te confie la maison.

Il avait l’air mélancolique.

On s’entend bien avec lui, malgré ses manies. Un méticuleux. On aurait aimé, avec Tournebise, Le Fichant et les autres, être crasseux, rigolards, je ne sais pas moi, porter une queue de cheval, des boucles d’oreilles. D’un côté, au moins. Un peu comme dans Navarro. Sauf que Navarro, c’est pour amuser la galerie…

Boulevard Nominoé, nous sommes proprets, élégants même. La risée de nos collègues du Morbihan. Même Le Fichant, qui a du mal à s’habiller, avec ses deux mètres, se débrouille. Une fois, Tournebise s’est pointé à une réunion avec des bottes façon David Lansky. Le lendemain, on avait droit à une note de service. Des fois que Le Fichant en trouve à sa taille…

Quand je dis qu’il est bien débarrassé, je sais ce que je dis. J’ai connu une toupie de cet acabit. Une prof de Français-Latin-Grec à Hélène-Boucher à Paris. Mais au moins, elle était de ma taille.

Marie Lafitte mesure à peine un mètre cinquante, toute habillée. Je ne vous demande pas ce que ça doit faire à poil…

Mon avis, c’est qu’elle lui a tapé dans l’œil, au commissaire. En tout cas, il n’est plus le même depuis l’affaire où elle était apparue comme témoin, il y a dix-huit mois. Elle nous l’a abîmé.

Une femme mariée, fidèle.

De toutes façons, notre divisionnaire ne rigole pas avec les principes. Moquez-vous, mais l’éthique professionnelle, ça a un sens, chez lui.

Pourtant, il sait s’amuser, quand il veut. On lui a connu de ces nanas… Mais jamais pour longtemps. Enfin, connu… Supposé. C’est un discret.

Au fond, il n’y en a que pour sa fille. Quand on y pense, c’est comme dans Navarro… Sauf que la fille de notre commissaire Cazaubon est mariée, maintenant, et qu’elle n’en a peut-être plus rien à faire, de son vieux. Ça s’est vu.

Bref, il s’en va au Japon. Un stage de deux mois, aux stups de Tokyo. Une fois déjà, il s’était tiré à New-York, au Bureau des Narcotiques. Il nous a dit, avant de partir : « Les Stups nous gonflent, vous êtes bien d’accord ? Quand je reviendrai, ils l’auront dans le cul ». Il ne parle pas comme ça, le commissaire, c’est pas son genre, mais c’est ce qu’on a compris.

Il a raison. Comme pour l’informatique. Nous sommes maintenant le commissariat le mieux équipé. Modem, réseau et le toutim… C’est quand même plus facile quand on cherche dans les fichiers, même les plus vérolés. Moi qui vous parle, avec un ordinateur, je suis capable de trouver les cinq mecs qui ont pu avoir l’intention de commettre le hold-up de la rue Passe-la-monnaie-ou-je-te-flingue. Après, c’est pas dur, je trouve les deux qui ont eu la possibilité. Il n’y a plus qu’à en éliminer un.

La machine fait elle-même les déductions. Ou les inductions… Ou les abductions… Qu’est-ce que vous dites de ça ? Vous avez entendu parler d’intelligence artificielle ? Tous ceux qui ont fait la demande ont pu avoir un ordinateur portable. Un peu défraîchies, les bécanes, mais du solide. On les trimballe partout. Je sais bien que l’espace Schengen, c’est de la frime. Avec leur base de données de merde… Mais ça s’arrangera peut-être.

En rentrant de Lann-Bihoué, je m’installai dans le bureau du divisionnaire. Les autres avaient l’air goguenard. Il faudra bien qu’ils s’y fassent. Qui est-ce qui allait avoir les emmerdements, je vous le demande ?

J’avais à peine posé mon cul sur le fauteuil norvégien du commissaire qu’il se mit à en pleuvoir, comme si les vaches volaient.

D’abord le Dr Armagnac, le médecin légiste. Un ami d’enfance du commissaire. Le genre truculent, celui-là. Il avait l’air agité. A ne pas croire.

— Alban ! Il est déjà parti ?

— Son avion vient de décoller. Qu’est-ce qui se passe ?

— Tu le savais, toi, que Jean-Edmond Lafitte a eu un accident de voiture ?

— Mais non. Vous voulez dire qu’il est… ?

— Oui. Mort sur le coup. Il y a un an. C’est un collègue biologiste de la Fac de Rennes qui vient de me l’apprendre.

— Vous voulez prévenir le commissaire ?

Il hésita longuement, puis dit :

— Il sera toujours temps… Ou bien tu crois qu’il était au courant depuis longtemps ?

— Mais je ne sais pas, moi ! C’est vous qui êtes son pote. Et puis, elle, ce n’est pas du…

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Parlez-en à sa fille.

— Tu as raison. Je vais téléphoner à Rosine.

Le Fichant arriva ensuite, complètement déballé. L’affaire de l’atelier clandestin suivait, en principe, son cours. L’employeur, un Roumain, gardien d’un immeuble bourgeois de la rue Aristide-Briand, avait été arrêté. Il avait entassé quatre familles dans la chaufferie. Les machines à coudre travaillaient jour et nuit. Il y avait eu des plaintes dans l’immeuble à cause du bruit. L’ennui, c’était que le Roumain avait l’air bien protégé. On avait été obligé de le relâcher. Qui avait payé l’avocat et la caution ? Et qu’allait-on faire des familles ? Huit mômes, au total…

Un passant avait trouvé un cadavre de jeune fille, près du Jardin de la Préfecture. Tournebise chipotait au téléphone avec nos collègues de la gendarmerie, pour déterminer qui allait prendre l’affaire en mains. Le cadavre avait, apparemment, un pied dans notre secteur, et Tournebise ne voulait pas lâcher le morceau, le bougre.

Je me disais que j’avais déjà bien gagné mon grand bureau, mon Pentium, ma bibliothèque perso, et mon bigophone à pédales, quand la directrice de l’école de la rue de la Cohue téléphona. Un père de famille, un divorcé, s’était barricadé avec son fils dans la classe des petits, et menaçait tout le monde avec un flingue…

A la fin de la journée, j’en avais ma claque, d’être divisionnaire intérimaire.

Vers 22 heures, je rentrai chez moi. Bogart me fit la tête. Merde, je n’avais plus que la boîte de Cat-Cat achetée par erreur… J’allais avoir droit à une comédie. Je redescendis. Quelquefois, Ibrahim est ouvert jusqu’à minuit… Mais s’il n’avait pas de boulettes américaines, j’étais cuit.

Ibrahim en avait. Il me dit avec un sourire en coin :

— C’est madame Sarah qui m’a dit, pour les boulettes. Dans le quartier, on préfère la viande hachée. Ou alors les croquettes Fish.

Je lui trouvai l’air snob. Un comble.

Sarah, au téléphone, dit que c’était trop tard. Philippe allait rentrer d’une minute à l’autre…

Les voisins du dessous avaient mis un disque de Gainsbourg.

« Je suis venu te dire que je m’en vais… »

Ça m’a foutu le bourdon.

Il avait peut-être raison, le commissaire, pour les femmes mariées. Noli me tangere.

Mais Sarah, ce n’était pas la même chose…

Je finis par m’endormir, Bogart contre mon ventre.

Le lendemain soir, quand je quittai le commissariat presque désert, la tête farcie, je trouvai Marie Lafitte assise sur un banc près de la cage. Le nouveau, à l’entrée, l’avait empêchée de monter.

— Vous avez demandé qu’on ne vous dérange pas, me dit-il. Elle a voulu attendre.

— Madame Lafitte ! On va aller dans mon bureau. Pourquoi venez-vous si tard ? Vous auriez pu prendre rendez-vous, dis-je d’un air sévère.

Il ne s’agissait pas de se laisser attendrir.

Elle expliqua qu’elle avait eu des réunions toute la journée, à son Institut de l’Agence Nationale de la Recherche, boulevard de la Paix. La veille, on lui avait dit au téléphone que le commissaire Cazaubon était parti pour deux mois. Elle avait mis du temps à se décider… Et puis, comme son bureau était tout près, elle avait fini par…

Elle s’excusa. Elle n’avait pas changé, depuis dix-huit mois. A trente et un ans, elle avait toujours ce look pas possible, ces cheveux blond-cendré interminables, frisés, annelés, ondulés, tout ce que vous voudrez. De longs cils noirs et épais, comme s’ils étaient en… plastique. Un teint… transparent. Comme du lait… écrémé.

Le bout des cils recourbé, ça, c’était bidon. Il y a des appareils exprès. C’est bien pour la journée. Mais le soir après la douche… La cata… A décourager un bouc. Je le sais. Parce qu’avant Sarah, je sortais avec une coiffeuse. Arlette. Elle s’y connaissait un brin. Une casquette de cycliste, qu’elle mettait pour se doucher.

« Madame Lafitte est probablement d’origine irlandaise », nous avait dit le commissaire d’un ton sec, après l’avoir interrogée, la première fois. On aurait dit qu’il voulait prévenir les commentaires pernicieux…

Je regardai ses mains minuscules. Ses ongles courts, ovales, bombés, étaient légèrement rosés. Pas de vernis. Là aussi, je m’y connais. Eh bien, ils avaient l’air peints !

Elle portait toujours son alliance.

— J’ai appris seulement hier, pour votre mari, dis-je. Je vous fais toutes mes condoléances. Mes collègues…

— Merci, Lieutenant.

Elle s’assit en face de moi. C’est alors que je remarquai ses yeux. J’avais toujours pensé qu’elle avait des loupiotes à la Bogart. En plus grands et en moins arrondis. La même expression. Bogart, on ne sait jamais s’il est sérieux, en train de méditer un coup fumant, ou s’il veut jouer. Mais là… Marie Lafitte avait les yeux de quelqu’un qui a vu l’enfer. Elle tenait sûrement une déprime carabinée.

— Vous vouliez me voir ?

— Lieutenant, vous allez trouver que je vous dérange pour rien, sûrement.

— Dites toujours.

Elle expliqua qu’elle s’était installée au début de la semaine dans la maison de ses amis Vogelweith, à Saint-Goustan, à Auray. Elle avait un congé de trois semaines, à partir de ce soir, et ils l’avaient invitée chez eux, pour qu’elle ne soit pas seule. Malheureusement, ils avaient été brusquement rappelés l’avant-veille à Luxembourg, la mère de Jochen Vogelweith étant très malade. Elle avait accepté de rester à Auray, pour garder le chien et la maison.

— Ils sont médecins, Lieutenant. Ils ont installé leurs deux cabinets de consultation au rez-de-chaussée. Il y a forcément des médicaments à voler. Et la maison, qui date du début du siècle, est pleine d’objets anciens.

— Vous voulez que je demande des rondes, pour vous rassurer ?

— Oh ! Non, merci, Lieutenant. Voyez-vous, je vais souvent avec le chien sur la promenade du Loch, à Saint-Goustan… Hier matin… Je voudrais vous demander votre avis sur ce qui m’est arrivé…

Elle raconta sa salade en hésitant. Elle était arrivée au petit pont à l’entrée du port. Il était à peu près 6 heures 30 du matin. Je haussai le sourcil.

Comme pour s’excuser, elle dit :

— Jochen et Lisa ne veulent pas que je sorte plus tôt. Happy s’y habituerait…

Il y avait de la brume. Le clochard qu’elle avait déjà rencontré la veille était assis sur le parapet en pierre. Elle avait eu l’impression qu’il l’attendait. C’était bien le même homme mal vêtu, au teint gris, à l’air triste… Elle avait hésité, prête à rebrousser chemin. L’homme s’était levé, avait regardé autour de lui d’un air furtif, puis lui avait tendu le sac couleur bordeaux qu’il avait à la main.

— Prenez-le. Le docteur saura quoi faire, avait-il dit.

Il avait ensuite marmonné quelque chose qu’elle n’avait pas bien compris. Comme elle reculait, en un clin d’œil, il avait pris sa main, l’avait refermée sur l’anse du sac, avait disparu dans la brume, en direction du quai.

Elle était restée sur place un moment, indécise et mal à l’aise. Le chien sautait autour du sac avec enthousiasme. Le sac était assez lourd. Finalement, elle l’avait rapporté à la maison. Elle avait d’abord pensé qu’il attendrait bien le retour de ses amis.

— Et après ? dis-je d’un ton rude.

— Eh bien… Je l’ai posé par terre en arrivant. Happy n’a pas cessé de tourner autour.

— Vous avez regardé à l’intérieur ?

— Non. Je me suis demandé si ce n’était pas… Vous savez, Happy aime la viande…

— Et alors ?

— Lieutenant, je n’ai pas eu le courage d’ouvrir ce sac, dit-elle d’un ton piteux. Je me suis imaginé… Finalement, je l’ai mis dans le grand réfrigérateur du sous-sol, en attendant Jochen et Lisa. Je n’ai pas osé le mettre au congélateur parce qu’il aurait fallu que je sorte tout du sac. Les tiroirs sont…

Elle venait me déranger pour un sac ! Avec de la barbaque dedans !

Je lui tendis le téléphone :

— Appelez vos amis, Madame Lafitte. Ainsi vous serez rassurée. Ils sont sûrement au courant.

— Lieutenant, je ne veux pas les appeler. Leur mère est peut-être mourante.

Se levant brusquement, elle murmura d’une voix presque inaudible :

— Excusez-moi de vous avoir retardé. Mais quelquefois, quand on est seul, on se fait des idées bizarres… Vous ne trouvez pas ?

Comment savait-elle que j’étais parfois seul à en crever, imaginant Sarah et Philippe… Je vous passe les détails.

Qu’auriez-vous fait à ma place ? J’ai téléphoné à Sarah pour retarder notre dîner.

Dans la voiture, j’étais encore furieux contre Marie Lafitte. Elle ne disait rien. Quand on arriva à Auray, elle m’indiqua le chemin de la maison.

C’était une grande maison, très haute, avec une tour carrée et élancée à un angle. Sur le côté, adossé à la tour, un perron monumental montait vers la porte d’entrée, surmontée d’une verrière multicolore.

Tout cela dominait Saint-Goustan, où l’on devait pouvoir descendre par les rampes du Loch ! Purée de moine ! Et il y avait un grand jardin muraillé… Ça me botte, moi, les jardins… Sarah aussi.

— Oh, Lieutenant ! Comme vous êtes gentil d’être venu ! dit brusquement Marie Lafitte. Asseyez-vous, je vous en prie. Je vais chercher le sac.

Pendant qu’elle descendait à la cave, Happy me flairait avec minutie. Un boxer, vous savez, ces chiens qui ont une gueule d’homme triste qui aurait mis son nez dans le charbon. Je n’aime pas les boxers.

Quand elle remonta, nous étions en train de tirer, chacun d’un côté, sur une vieille peta que le clébard avait apportée.

Elle dit sans sourire :

— Excusez-le, il n’a que dix mois.

— Madame Lafitte, qu’avez-vous fait de votre chien ?

Pasadena Murdoch ! Ça, c’était un mignon. L’air malin, farceur… Des yeux de chouette, une queue en panache. Un jour, comme un con, j’avais demandé à Marie Lafitte de quelle race il était. Elle avait répondu que c’était un border collie. Elle avait ajouté gravement que par la taille, le nez, et la couleur, Murdoch tenait aussi du papillon, par les oreilles, de l’épagneul. Les yeux, en particulier, n’étaient pas réglementaires.

Le commissaire, qui avait entendu, s’était poilé comme un bossu. Quand elle prenait cet air sérieux, il se marrait toujours. Même moi, je le lui aurais bien piqué, son Murdoch…

— Lieutenant, dit-elle, il est mort dans l’accident. Avec Jean-Edmond. Je n’ai pas eu le droit de les mettre ensemble, au cimetière.

Elle me flanqua le blues.

C’est moi qui ouvris le sac. Sous un foulard de femme et quelques vieux canards tout froissés, c’était plein de sachets de poudre blanche…

Je vous avais dit que c’était une emmerdeuse.

Elle vit les sachets, se leva, ouvrit la bouche, tomba raide sur le tapis… Happy se précipita pour lui lécher la figure. Elle ne bougeait pas.

Je finis par dégoter de l’eau. Je lui en jetai une potée au visage.

Quand elle se réveilla, elle dit, comme dans les films les plus culs :

— Qu’est-ce qui est arrivé, Lieutenant ?

— Vous vous êtes trouvée mal, Madame Lafitte. Ça va maintenant ?

— Oui, je crois.

J’allai chercher le whisky du docteur. Dans le coffret à liqueurs. Je l’avais repéré tout de suite en entrant. Celui-là, c’était pas du bidon. En bois clair incrusté de motifs fleuris. Plein de flacons et de verres en cristal taillé, chacun dans son compartiment capitonné.

Je lui administrai une bonne dose de whisky. Avec des glaçons et du Perrier. S’agissait pas que je la saoule.

Après, elle avait presque les joues roses.

On aurait dit qu’elle ne savait pas comment me remercier. Elle se leva, alla dans la cuisine, revint avec une grande coupe à pied. Mazette ! De la porcelaine autrichienne ! C’était des allumettes au fromage.

— Lieutenant ! Goûtez ! Je les ai faites hier, dit-elle d’un air positivement engageant.

J’avais la dent. C’était fondant. Meilleur que les amuse-gueules d’Ibrahim, je vous jure.

Elle dit tout d’un coup :

— A votre avis, pourquoi ce sac intéresse-t-il tant Happy ?

Je tendis au chien un des sachets. Il le flaira avec une indifférence totale.

— Vous êtes sûr qu’il n’y a rien d’autre au fond du sac, Lieutenant ?

— Vous pensez à quoi ? A une tête coupée ? dis-je en rigolant carrément.

Elle rougit jusqu’à la racine des cheveux. Mais elle ne dit rien.

J’emportai la came. Elle promit de venir boulevard Nominoé pour signer une déposition.

Marie Lafitte avait gagné au cocotier, c’est le cas de le dire. Quatre kilos de cocaïne. De la bonne. Quand elle arriva le lendemain matin à 8 heures 30 boulevard Nominoé, accrochée à la laisse de son énorme clebs, elle fit un tabac.

Je descendais l’escalier au moment où elle parlementait avec le nouveau, qui secouait la tête en montrant le chien du doigt. Intraitable, le mec. Je ralentis, pour voir comment elle allait s’en tirer.

Le Fichant sortit de son antre. Quand il vit Marie Lafitte, il vola vers elle, littéralement. Et bla, bla, bla… Il s’accroupit pour caresser le clebs. Après, une jeune auxiliaire la reconnut. Et re-belote. Quant à Tournebise, il en eut son sifflet de chipoteur coupé net. Il lâcha le téléphone de saisissement, se précipita.

Que vouliez-vous que je fisse ? Je descendis lentement les dernières marches pour accueillir la dame avec un sourire faux jeton. Et voilà le travail !

Quand on demanda à Marie Lafitte un signalement détaillé de l’homme qui lui avait remis le sac, elle dit que c’était un grand maigre, avec des cheveux blancs.

Les yeux ? Elle resta un moment sans répondre, la tête un peu penchée sur le côté. Puis elle dit :

— Ils devaient être bleus. Oui, myosotis. Je me souviens qu’il m’a rappelé un instant… mon père.

Elle demanda ensuite si cet homme aurait des ennuis, expliqua qu’elle avait eu de la sympathie pour lui, qu’il avait l’air inoffensif. Juste un pauvre homme perdu, ajouta-t-elle. Et d’ailleurs, s’il lui avait remis le sac, c’était pour qu’elle le confie au Dr Vogelweith. Il pensait sûrement que le Dr Vogelweith irait à la police à sa place.

Je n’en revenais pas. Marie Lafitte, c’est pas le genre expansif.

Le Fichant dit, avec un sourire carrément nuche :

— Cet homme est peut-être un grand coquin. Mais avec vous pour avocat, il s’en tirera, c’est sûr !

De quoi je me mêle ?

Après l’examen en laboratoire, le sac et son contenu révélèrent, en plus de mes empreintes, et de celles de madame Lafitte, née Marie, Charlotte, Iselle, Adélaïde Ligier de Clairefontaine, trois séries d’empreintes digitales plus ou moins distinctes, inconnues dans les fichiers.

II

Elle avait soulevé un de ces lièvres, Marie Lafitte ! Le major Kertanguy, à Auray, n’eut pas l’air de nous prendre au sérieux. Sa ville, c’était pas vraiment un coin à came. Bien sûr, il y en avait un peu. On surveillait les abord de Saint-Goustan, des écoles, des cours privés…

Ça m’a piqué au vif. Quand Kertanguy dit qu’il n’avait personne pour s’occuper de la merde que nous avions déterrée, je pris les affaires en main.

On décida de rechercher activement le clochard de Marie, tout en faisant une enquête sur les Vogelweith, leurs habitudes, leurs fréquentations. Il fallait être discret, m’avait dit Kertanguy, comme si j’étais né de la dernière pluie. Il avait insisté.

Il craignait d’avoir à tracasser les Vogelweith, qui avaient une réputation irréprochable. Le milieu médical… Il s’était déjà fait taper sur les doigts, malgré son succès, quand il avait résolu l’affaire de la vente des médicaments périmés à des pays en voie de développement. C’était un médecin de Rennes, respecté lui aussi, cofondateur d’une organisation humanitaire, qui avait été inculpé en même temps que d’autres personnalités du monde médical…

Ensuite, la nuit même du jour où Marie était venue boulevard Nominoé avec son clebs, on a eu droit au cirque.

Pour être honnête, je dois dire c’est plutôt elle qui y a eu droit. J’ai beau me dire que tout ça a été la faute de Guillou, je ne suis pas trop fier de moi.

En fin d’après-midi, elle m’avait appelé, en plein milieu d’une réunion avec nos potes de la gendarmerie, pour l’histoire du Jardin de la Préfecture.

Je n’ai pas été gracieux, j’aime mieux vous dire. Le fond de ma pensée, c’était qu’elle se faisait suer. Elle dirige un centre d’informatique à l’Agence Nationale de la Recherche à Vannes. D’après ce que j’ai compris, ce n’est pas de la tarte. Se trouvant en congé, les bras ballants, en proie à un spleen carabiné dans cette grande baraque vide, elle devait avoir besoin qu’on l’écoute.

Je dois dire qu’elle est toujours aussi polie qu’une duchesse. Vous me direz que je ne connais pas beaucoup de duchesses. Qu’est-ce que vous en savez ?

— Lieutenant, me dit-elle, je voulais vous remercier encore d’être venu hier soir.

— C’est normal, Madame Lafitte.

— Est-ce que vous avez trois minutes ?

— Pas plus. Mais allez-y.

— Lisa et Jochen Vogelweith ont depuis quelque temps une femme de ménage, Eléna. Je ne l’ai jamais vue parce qu’elle était en congé quand je suis arrivée à Auray. Elle n’est pas venue ce matin comme il était prévu. Et puis, dans la matinée, j’ai eu un coup de téléphone. J’avais les carnets de rendez-vous de Jochen et Lisa sur la table. Vous comprenez, j’ai demandé à mes amis des instructions précises, pour le cas où des malades appelleraient en leur absence. Mais ce n’était pas un client. J’ai mal compris ce qu’on me disait. C’était une voix d’homme. J’ai cru reconnaître des mots portugais. Quelque chose comme : “Eléna ne peut pas vir… Est-ce qu’elle a esquecime do saco ?” J’ai dit : “Le docteur Vogelweith est absent. Pouvez-vous rappeler la semaine prochaine ?” On a raccroché sans répondre.

— Pourquoi me parlez-vous de tout ça ? dis-je, aussi avenant qu’un porc-épic.

— Et bien, cela veut dire : “Eléna ne peut pas venir. Est-ce qu’elle a oublié son sac ?” Alors j’ai pensé que cela avait peut-être un rapport avec le sac de Saint-Goustan…

— Ah !

— Et puis, j’ai pensé à une autre chose, Lieutenant.

— Il va falloir que je raccroche.

— Ah !… Vous me rappellerez, peut-être, quand vous serez moins… ?

— Certainement. Au revoir, Madame Lafitte.

Après la réunion, qui se prolongea, j’étais en retard pour le rendez-vous chez le juge d’instruction. Et puis, je devais passer au labo.

Bref, une fois de plus, j’étais chez moi à une heure pas possible.

Sarah était là, assise dans la cuisine, en train de grignoter du fromage. Bogart trônait sur la table. Tout en mâchonnant, ils lisaient ensemble mon dernier numéro de Chasseur d’Images. Bogart avait son cul sur la page de gauche.

— Minou, dit Sarah, tu n’as pas oublié le dîner d’anniversaire de Jean et Nanette ?

Elle portait une robe rouge sans bretelles. Courte, vaporeuse, brillante. Ses cheveux noirs étaient relevés, sauf une petite mèche derrière une oreille. Je plongeai aussi sec dans son décolleté. Elle protesta, mais je voyais bien que c’était pas franc. Bref, nous arrivâmes au dîner au moment du dessert.

Après, on décida tous d’aller au Garage, une boîte qui venait d’être entièrement réinstallée, avec musique techno et le toutim.

A quatre heures du matin, je dormais comme un bébé quand le téléphone me troua le tympan.

C’était Guillou. Il m’expliqua qu’il avait pris son service à 22 heures. Marie Lafitte avait appelé.

— Merde, dis-je. Qu’est-ce que c’était ?

— Eléna est peut-être en danger.

— C’est tout ?

— Mais attend… Elle a téléphoné une deuxième fois. Vers minuit. On venait de la menacer au téléphone.

— La menacer de quoi ?

— D’entrer dans la propriété pour récupérer le sac.

— Mais quel con ! Tu avais bien mes coordonnées ? J’ai laissé un message avant d’aller au Garage !

Monsieur n’avait pas vu le message tout de suite. Monsieur n’avait pas téléphoné à la gendarmerie d’Auray. Pourquoi ? Heu… Madame Lafitte avait eu une voix calme, au téléphone. Alors…

Après avoir demandé à Guillou de prévenir la gendarmerie d’Auray, j’essayai d’appeler la maison des Vogelweith. Des clous ! Le téléphone était mort. Je bigophonai Tournebise. Nous fonçâmes dans la nuit.

Quand nous arrivâmes devant la maison, la voiture des hommes de Kertanguy était là. Il y avait deux gendarmes au salon. Marie disait :

— Il faut m’excuser. Je n’avais pas mis l’alarme. Je sais la mettre, mais…

Assise au bord d’un fauteuil, elle tenait serrée contre elle une de ces pétoires ! Aussi grande qu’elle. Comme on n’en voit plus que dans les westerns. Ou alors carrément un chassepot.

Je m’avançai, lui retirai le chassepot, et le posai dans un coin.

— Ah ! Lieutenant Alban ! Lieutenant Tournebise ! Ah !… Je suis désolée pour tout ça.

— Qu’est-ce qui est arrivé ?

Il était environ 23 heures. Elle était descendue quelques minutes au jardin avec Happy, avait vérifié la fermeture de la grille, de la porte d’entrée, baissé le chauffage. Elle n’avait pas branché l’alarme, craignant de faire une fausse manœuvre et de réveiller tout le voisinage avec la sirène.

Elle s’était couchée et avait sombré immédiatement dans un sommeil de plomb.

Quand le téléphone sonna, elle crut qu’elle dormait depuis une éternité. Elle s’aperçut qu’elle n’avait plongé que dix minutes…

La voix de son interlocuteur lui parut vaguement familière. Il ne se présenta pas. Il réclama le sac avec des menaces très claires. Il lui ferait la peau si elle n’allait pas tout de suite le déposer devant la grille d’entrée… Il raccrocha sans lui laisser le temps de répondre.

Tournebise l’interrompit :

— Vous n’avez pas eu peur, Madame Lafitte ? Vous auriez pu aller vous réfugier chez des voisins…

Non, elle n’avait pas eu peur. Elle avait, depuis de longs mois, l’habitude d’être seule dans sa maison de Lamothe-Saint-Léonard, près de Locminé. Et puis, elle avait complètement oublié que l’alarme était débranchée.

Et Jochen lui avait expliqué que la maison, pendant sa restauration, avait été conçue comme un véritable fortin. Si quelqu’un pénétrait dans le jardin en sautant la grille, des lumières éblouissantes s’allumaient. Si l’on approchait de la porte d’entrée, il suffisait d’avoir un pied sur la première marche du perron pour qu’une sirène se déclenche. Il était presque impossible d’escalader les murs jusqu’aux fenêtres, à cause de rangées de piques en hérisson disposées à quatre mètres du sol. Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient gardées par des grilles épaisses, solidement scellées.

La porte d’entrée avait une serrure multiple extrêmement sophistiquée. La haute verrière colorée au-dessus de la porte était constituée d’une vitre armée, sur laquelle on avait rapporté un à un les morceaux du vitrail d’origine.

Ce coup de téléphone l’avait agacée.