Ratissage dans le Golfe - Chaix d’Est-Ange - E-Book

Ratissage dans le Golfe E-Book

Chaix d’Est-Ange

0,0

Beschreibung

Marie Lafitte espérait pouvoir profiter de vacances reposantes dans sa maison de Lamothe-Saint-Léonard, et puis...

Vous avez déjà essayé, vous autres, de vous retirer chez vous en Bretagne pour des vacances calmes et solitaires ? Sans visites, sans coups de fil ? Vous pourriez réfléchir à l’avenir, écouter de la musique, repeindre une pièce… Ça vous changerait de la Côte,
non ? C’était exactement le projet de Marie Lafitte, en congé dans sa maison de Lamothe-Saint-Léonard, au milieu des jardins. Elle aurait mieux fait de choisir le Club Med. Un cambriolage, un cadavre, et tous ces voisins qui sonnent à sa porte, sans compter le petit garçon d’à côté avec son chat, le jardinier, les gendarmes, un commissaire obstiné…

Retrouvez Marie Lafitte dans le troisième tome de ses enquêtes passionnantes et suivez pas à pas ses investigations ! Un cambriolage, un cadavre, et des voisins envahissants... Arrivera-t-elle à démêler tout cela ?

EXTRAIT

« Et tu n’oses même pas demander à monsieur Chassagne de venir vérifier que les lés sont tous du même bain. Il te conseillerait peut-être d’arracher ceux qui sont posés. Tu ne veux pas revenir en arrière. C’est ça qui te fait peur. Mais tu ne veux pas aller en avant non plus… En réalité, tu as encore le temps de reposer tout le papier avant la fin de la semaine… L’article, tu sais déjà ce que tu vas dire, tu peux l’écrire en une nuit, t’as déjà fait ça cent fois… T’es pas obligée d’expliquer en long et en large la logique modale. Les archéologues s’en fichent…»
Elle resta longtemps à ruminer ses torts, ses échecs.
« Quand Jean-Edmond était là, se disait-elle, il ne te faisait pas de reproches…Ça te suffisait. Tout ça, c’est fini. »
Finalement, elle se leva, ouvrit la porte d’entrée, s’avança sur le chemin devant la maison, sa lampe de poche à la main. C’était désert.
Le camion du service du nettoiement ne passera pas avant deux bonnes heures, tu vas défaire le sac poubelle et tout regarder tranquillement. Tu vas bien les trouver, ces foutues étiquettes…
Elle vida la moitié du sac sur le gazon, éparpilla, farfouilla, décolla les lambeaux, tria un à un tous les morceaux de papier. Elle trouva deux étiquettes de Brico-Murs, chiffonnées mais lisibles, les fourra triomphalement dans sa poche.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une carrière d'ingénieur de recherche au CNRS à Paris, Chaix d'Est-Ange se consacre aujourd'hui à l'écriture de romans policiers. Le Pays de Vannes est, depuis de nombreuses années, son lieu favori de détente, l'hiver. C'est aussi le cadre choisi pour ce troisième roman. Elle est décédée en 2011.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 249

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Jean-Marie qui, le premier, a aimé cette histoire et m’a aidée à l’écrire.

Oui, on aura honte des térébinthes qui font vos délices, Vous rougirez des jardins que vous avez choisis…

Isaïe, 1, 23.

Il fait noir quand l’assassin se lève…

PROLOGUE

C’est notre divisionnaire, le commissaire Cazaubon, qui m’a demandé d’écrire cette histoire. Lui n’avait pas le temps. Je n’ai pas pu refuser. Il n’avait pas le temps, d’accord, mais il avait surtout la tête à l’envers, oui ! C’est de ma faute et de celle de mon collègue Tournebise. Nous avions invité Marie Lafitte au pot organisé au commissariat, boulevard Nominoé à Vannes, pour fêter le retour de Tokyo du commissaire. Il était aussi sec retombé amoureux de la toupie.

Le docteur Armagnac, notre médecin légiste, un ami d’enfance du commissaire, était vaguement inquiet. Il me dit un jour :

— Je voudrais pour lui quelqu’un de plus… chaleureux, de moins compliqué. Comme était sa femme Rose. Si tu l’avais connue, Alban…

Tournebise l’interrompit sans ménagement. Il se tourna vers moi et demanda :

— Tu vois pas qu’elle tombe amoureuse de son banquier ? C’est ça qui me tracasse ! S’il faut lui en trouver une autre, au commissaire, je démissionne !

Il avait raison de se faire du mouron.

Marie Lafitte s’était retirée chez elle, à Lamothe-Saint-Léonard, un village près de Locminé, pour y passer des vacances solitaires.

Elle et son mari Jean-Edmond avaient emménagé là, à peu près deux ans plus tôt, ayant soi-disant trouvé la maison idéale. Pas trop grande, pas trop petite, en bon état, avec un grand jardin.

Six mois après leur installation, Jean-Edmond était mort dans un accident.

Depuis, elle vivait au jour le jour, ne voyant personne, réfugiée dans son travail.

Elle pensait se construire un nouveau plan de vie pendant son congé. Comme ça, ex nihilo, en regardant pousser ses camélias. Elle avait à l’idée, j’imagine, que, lorsque tout serait prêt, mûri, correct, elle pourrait regarder autour d’elle. Pas avant.

Le banquier dont parlait Tournebise – un type vraiment classe, Alban, m’avait-il dit d’un ton pénétré – c’était Erwan Morzadec, un voisin de Marie Lafitte. Il était directeur de la Banque Celte à Vannes.

Tournebise le connaissait parce qu’il était venu quelque temps plus tôt au commissariat pour signaler la disparition d’un de ses employés, William Le Guen. Un homme sans famille dont personne n’avait de nouvelles depuis trois mois.

Banquier ou pas, dans cette partie de Lamothe-Saint-Léonard où les maisons ne sont séparées que par des jardins mal clos, les liens se nouent naturellement. Je t’aperçois un matin en train de peindre une fenêtre. Et je te cause quand tu passes à bicyclette devant chez moi, et tu me prêtes ton ordinateur, et je t’invite à déjeuner, et tu vas voir ma vieille mère à l’hôpital…

Le commissaire Cazaubon, dans tout ça, en était réduit, entre deux enquêtes à Vannes et autres lieux, à entasser des messages sur le répondeur téléphonique de la toupie, laquelle toupie répondait quand ça lui chantait…

À nous entendre, vous pourriez croire que nous, les hommes d’action, l’élite de la police de Vannes, ne sommes que de vieilles pipelettes entremetteuses. Vous ne vous en souciez sûrement pas, vous, des affaires de cœur de votre chef. Eh bien ! Ça veut dire que vous n’avez pas deux sous de jugeote ! Un chef amoureux d’une dame qui ne répond pas, c’est l’horreur pour toute l’équipe. Il faut faire quelque chose.

Tournebise avait décidé qu’on dérangerait Marie Lafitte de son nirvana autant qu’on pourrait. C’était d’autant plus facile que le commissaire Cazaubon avait des rapports fréquents avec l’adjudant-chef Perrault de la gendarmerie de Locminé. Or, l’adjudant-chef connaissait bien Marie Lafitte.

Pour commencer, Tournebise avait appris, probablement en écoutant à la porte du bureau du commissaire, que notre chef avait réservé deux billets pour un concert de Mozart à Vannes.

— C’est sûrement pour y emmener Marie Lafitte, me dit-il, triomphant.

Il faut vous dire que Marie, je m’en étais aperçu moi-même, est une fondue de Mozart. Ce qui est curieux pour quelqu’un qui n’a aucune notion de musique. Elle m’a dit une fois, d’un air vaguement embarrassé, qu’elle aimait Mozart parce que c’était toujours pareil. Bach aussi, la musique baroque, le raï éventuellement… Quand j’étais enfant, mon père me racontait des histoires et me chantait des chansons, a-t-elle ajouté. Elles étaient toujours pareilles. Il ne fallait pas changer un seul mot… C’est pour ça, je crois…

Ô vous, les musiciens éclairés, avez-vous jamais entendu une absurdité pareille ?

— Pourquoi toujours essayer de trouver des raisons à son plaisir ? lui ai-je dit, choqué.

— Vous pensez que ce sont des raisons à quatre sous, lieutenant ? a-t-elle demandé alors d’un air innocent.

Je me suis bien gardé de répondre. Avec elle, même dans les cas les plus évidents, je ne suis jamais sûr d’avoir le dessus.

Tournebise me regardait avec impatience.

— Elle n’acceptera jamais de sortir de son trou ! dis-je. Et si c’était pour quelqu’un d’autre, la deuxième place de concert ?

— On va voir !

Ça a été vite vu. Marie Lafitte, un beau soir, appela le commissariat. Nous entendîmes notre collègue Guillou qui était de permanence, dire poliment :

— Il vaudrait mieux téléphoner dans une demi-heure, madame Lafitte.

Tournebise se précipita, je le suivis. Il saisit le téléphone, me tendit l’écouteur :

— Allô ! Tournebise à l’appareil !

— Bonsoir, lieutenant ! Je voulais parler au commissaire Cazaubon, mais…

— Il n’est pas là. Je vais prendre votre message si vous voulez.

— Heu…

— Excusez-moi, j’ai mal entendu.

— Mais je n’ai rien dit !

— Ah bon !

— Lieutenant, pouvez-vous lui dire que c’est très aimable de m’avoir invitée pour jeudi, mais que…

Au même instant, le commissaire fit irruption dans l’entrée, ruisselant de pluie.

— Ah ! Le voilà ! Je vous le passe…

Le commissaire s’approcha. Tournebise ajouta, en parlant fort :

— C’est madame Lafitte. Elle dit que c’est entendu pour jeudi.

Après, c’était dans la poche. Le commissaire a donné ses instructions à la toupie, pour le rendez-vous. Elle n’a pas pipé.

I

La nuit du lundi au mardi, me dit Marie Lafitte bien plus tard, avait été affreuse, à cause du vent.

Chaque fois qu’elle se réveillait, le bouleau craquait un peu plus, du côté de la cabane. Il allait tomber, elle en était sûre, mais elle n’avait pas l’énergie de se lever, elle était comme paralysée dans son lit. Ses voisins lui avaient bien dit que l’arbre était malade, qu’il fallait le faire abattre.

Mais si elle demandait au jardinier de faire ça, tout seul, il risquait un accident. Ce serait elle la responsable de sa mort. Que deviendraient sa femme et ses enfants ?

Une image de madame Paul, désemparée, marmoréenne, serrant les deux petits contre elle, l’avait bouleversée. Niobé… Non… Léto, celle qui avait deux enfants…* Ça ressemblait à une Pietà aussi… Mais il n’y avait pas de Jean pour consoler, pour tenir la main…

En attendant l’accident, elle avait vu monsieur Paul. Ses yeux pâles avaient une lueur bizarre derrière ses lunettes de jeune cadre de chez IBM. Il pinçait les lèvres, son visage aux traits mous prenait une consistance inattendue. Il exigeait ce travail.

À l’aube, Marie était allée voir le bouleau. Elle n’avait pas trouvé de branche cassée. Il n’y avait plus de vent.

Perchée sur un escabeau, elle décapait maintenant la fenêtre de la chambre qui donnait sur le rond-point. Il était à peine 8 heures du matin, mais il y avait déjà du mouvement. Habituellement, elle partait à 6 heures 30 pour l’Institut, boulevard de La Paix à Vannes. Comme ça, elle évitait les embouteillages.

Elle fut toute étonnée d’apercevoir monsieur Héricourt en train d’ouvrir la porte de son garage, son attaché-case à la main. Elle connaissait juste le nom de ces voisins-là, arrivés récemment et qui avaient quatre enfants. Elle s’était parfois demandé si monsieur Héricourt existait. Le soir, quand elle rentrait de son travail, à la nuit tombée, le rond-point était le plus souvent désert.

Quand elle restait travailler chez elle, elle ne voyait rien, n’entendait rien. Son bureau, comme la salle de séjour et l’ancien bureau de Jean-Edmond, donnaient sur le jardin, à l’arrière de la maison, et avec l’ordinateur qui bourdonnait, il lui était arrivé de ne pas entendre la sonnette de la porte d’entrée. Maud, son amie qui venait souvent de Locminé la voir, lui en avait fait le reproche. Ne pouvait-elle pas changer la sonnette ? Installer un carillon plus fort ?

Elle vit monsieur Chassagne, son voisin d’à côté, et lui fit un signe de la main.

Lui, était bien réel. Avec sa femme, tous les deux retraités, ils l’avaient en quelque sorte maintenue à la surface, après la mort de Jean-Edmond. Ils lui disaient : « C’est le moment de planter les bulbes. » Ou bien : « Il faudrait arroser l’herbe de la Pampa. » Ou encore : « Le Viburnum Carlesi a besoin d’être taillé. » Elle faisait tout ce qu’ils lui disaient, comme une automate, même si elle n’en avait pas le courage, même si ça ne l’intéressait pas.

Il s’approcha. Elle ouvrit la fenêtre.

— Madame Lafitte ! Vous n’allez pas partir ce matin ?

— Je voudrais retapisser la chambre, dit Marie. J’ai quelques jours de vacances. Alors, j’ai pensé…

— Si vous avez besoin d’un coup de main, vous m’appelez. N’est-ce pas ? dit monsieur Chassagne. Je vais mettre du produit anti-mousse sur ma pelouse.

Il s’éloigna.

Elle avait peut-être eu tort de se lancer dans ces travaux. Jean-Edmond avait choisi le papier de la chambre quand ils avaient quitté Locminé pour s’installer à Lamothe-Saint-Léonard. La couleur était à peine fanée. Changer la décoration dans leur maison… c’était une trahison, au fond.

Et puis, lui, quand il posait un papier, il prenait des mesures, traçait à l’avance des traits sur les lés pour que les angles tombent pile.

Elle reprit son chalumeau. « Lafitte, ce qui est dit est dit… »

Elle avait eu du mal, la veille, à sortir les meubles de la chambre. Elle était en train de faire glisser le matelas dans son bureau quand le jardinier était brusquement apparu à la porte-fenêtre, vers l’arrière. Elle avait sursauté. Il faudrait qu’elle lui dise de sonner à la porte d’entrée, de ne pas passer par le jardin.

« Lafitte, tu as tes nerfs, maintenant… »

Il avait tout déménagé en trois minutes, avait admiré son ordinateur. « Ma femme veut se mettre à Word », avait-il dit d’un air assuré. Marie s’était crue obligée d’allumer l’ordinateur pour lui montrer quelle version elle avait installée. Elle s’était vite aperçu qu’il ne savait pas ce que c’était, un traitement de texte. Dos et Windows ne lui disaient rien. Formater une disquette, encore moins. À tout hasard, elle avait proposé de recevoir sa femme pour une première initiation. Après, il avait demandé combien ça coûtait, un ordinateur comme ça. Lui-même désirait faire sa comptabilité sur ordinateur, pour économiser les honoraires du comptable.

Ça avait tué Marie. Elle savait qu’il avait du mal à rembourser les traites de sa camionnette d’occasion. Avec de jeunes enfants et une femme sans travail… Et s’il fallait initier deux débutants aux joies de Word ou d’Excel… Du coup, elle était allée voir Cornély, le petit garagiste de Lamothe, qui lui avait montré son logiciel de comptabilité, son imprimante, lui avait donné le prix de l’installation qu’il avait lui-même conçue. Il avait proposé de recevoir le jardinier pour lui montrer à quel point “Compta” était facile d’emploi. Cornély, ce n’était pas n’importe qui…

Elle soupira. Si elle devait absolument s’occuper d’autrui, elle aurait préféré que ce ne soit pas de monsieur Paul. Il lui avait été recommandé par leur ancien jardinier, Alfredo, quand il l’avait lâchée pour prendre un travail de gardien dans une résidence à côté. Jean-Edmond et elle-même aimaient bien Alfredo. Il prenait des décisions, savait tout faire. Comme Murdoch se faufilait à travers la haie quand il pourchassait le chat des voisins du fond, il avait mis un grillage solide partout. C’est lui qui avait installé la petite porte du jardin qui donnait sur la pelouse à l’avant de la maison. Une porte qu’il avait récupérée dans les poubelles à leur intention et peinte en vert.

Alfredo avait dit qu’il fallait encourager les jeunes artisans comme monsieur Paul. Marie n’avait pas protesté.

Qu’est-ce qu’elle allait dire au commissaire Cazaubon ? Il avait laissé un message sur le répondeur. Voulait-elle venir au concert, jeudi soir, à Vannes ? Il avait deux places. Des concertos de Mozart. Il la raccompagnerait à Lamothe après le concert.

C’était pour la remercier, sûrement. Avec un électronicien de son équipe de l’Agence Nationale de la Recherche, Marie était allée au commissariat du boulevard Nominoé à Vannes pour remettre en état le Pentium du commissaire qui était tombé en quenouille en l’absence de son propriétaire. Avant, il y avait eu cette sombre histoire de drogue**… Elle avait aidé le lieutenant Alban comme elle avait pu…

Curieux ! Le commissaire se rappelait qu’elle aimait Mozart…

Elle avait fait sa connaissance pendant l’affaire Garnier***, bien avant la mort de Jean-Edmond, quand ils habitaient encore à Locminé. Ils s’étaient revus une fois à un colloque. Et puis, il y avait eu ce pot, quelque temps auparavant, boulevard Nominoé. Le commissariat fêtait le retour de son chef, après une absence de deux mois. Un stage aux Stups de Tokyo. Le lieutenant Alban l’avait invitée au pot. Elle avait refusé. Mais le lieutenant Tournebise l’avait un peu bousculée. Elle s’était laissé faire…

« C’est ça, tu es molle, Lafitte… Moins déprimée que molle… » Résultat, il fallait maintenant qu’elle décide, pour jeudi. Jeudi… Elle serait en plein dans la peinture… On s’en mettait partout. Sous les ongles, dans les cheveux. L’odeur ne partait pas avant des jours et des jours. Marie avait décidé qu’elle ne quitterait pas sa tenue de travail pendant tout son congé. Qu’elle ne verrait personne d’autre que les Chassagne et le facteur. Jusqu’à ce que la chambre soit terminée, les meubles remis en place. Qu’elle s’acharnerait. Qu’elle se prouverait qu’elle n’était pas devenue une loque. Retapisser et repeindre une pièce, c’était un aussi bon moyen qu’un autre de…

On sonna à la porte.

C’était le facteur, avec un gros paquet de livres.

— Vous avez appris, pour madame Morzadec ? dit-il.

— Non.

— Elle a été cambriolée. On lui a donné un coup sur la tête. Elle est à la clinique des Rainettes.

Madame Morzadec, une femme âgée, habitait avec son fils dans une grosse maison tout près du rond-point. Marie ne la connaissait pas très bien, mais monsieur Paul avait dit que la maison était pleine de beaux meubles et de bibelots précieux. Madame Morzadec et son fils avaient poliment écrit à Marie, au moment de la mort de Jean-Edmond.

Elle remonta, en soupirant, sur son escabeau.

Dans l’après-midi, la fenêtre était débarrassée de la plus grosse partie de sa peinture. Il fallait encore poncer, mettre de l’enduit de lissage, reponcer… La ponceuse électrique était lourde et mal commode pour atteindre les angles. Au bout de deux heures, Marie, épuisée, décida d’aller à bicyclette chercher du pain à Lamothe. Histoire de s’aérer un peu. Elle ne s’était pas encore décidée, pour jeudi soir. Elle tournait en rond.

Le fils de madame Morzadec était sur sa pelouse devant la maison. Elle freina, descendit de vélo.

— Je suis désolée de ce qui vous est arrivé, dit-elle. Comment va votre maman ?

— Elle a reçu un sale coup. Le médecin veut la garder en observation.

— Est-ce qu’elle est très abattue ?

— Elle s’agite, plutôt. C’est ce qui m’inquiète. Si vous avez une minute, je vais vous montrer les dégâts…

Marie se laissa conduire dans la maison.

Le rez-de-chaussée était ravagé. On avait enfoncé les volets de la porte-fenêtre à l’arrière. Une vitre était en miettes. Le ou les voleurs avaient emporté tous les bibelots, précieux ou non, l’argenterie et des bijoux qui étaient dans la chambre de madame Morzadec. Le linge de maison avait disparu du placard situé sous l’escalier.

— Je suis rentré vers minuit d’une réunion de travail à Vannes, dit monsieur Morzadec. J’ai trouvé maman par terre, au premier étage, sans connaissance. Elle ne se rappelle rien, sauf un bruit de vitre cassée…

— Aviez-vous dit à quelqu’un que vous alliez rentrer tard ? ne put s’empêcher de demander Marie.

— Oui. À nos voisins. Pour le cas où ma mère aurait eu un ennui. Mais les Lemaître, au numéro 10, avaient une réception. Ils n’ont rien entendu. De l’autre côté, les Chambon ont une maison à rez-de-chaussée comme la vôtre. La salle de séjour est du côté opposé à la chambre de maman qui est au premier étage. Ils regardaient la télévision, alors…

En repartant sur sa bicyclette, Marie se demanda pourquoi monsieur Morzadec avait éprouvé le besoin de lui raconter ses malheurs, de lui montrer les dégâts.

Que pouvait-elle faire pour ces gens ? Et pourquoi n’avait-il pas plutôt demandé au voisin d’en face de surveiller la maison en son absence ?

Elle essaya de se rappeler qui habitait la maison d’en face, à côté de celle des Héricourt. N’était-ce pas monsieur Laurent, cet homme bizarre qui creusait des tranchées dans son jardin, soi-disant des bassins pour élever des poissons ? Tous les voisins se plaignaient parce que la pelouse devant sa maison était perpétuellement encombrée de madriers, de sacs de ciment, de pierres qu’il ramassait çà et là. Un groupe de résidents était venu en délégation le voir pour protester. Ils avaient raconté partout que la maison était pleine de matériaux de construction et que son propriétaire en était réduit à coucher dans un coin de la salle de séjour. C’était la deuxième maison du village qu’il remplissait ainsi. Sa femme et ses enfants étaient partis vivre ailleurs.

Peut-être les Morzadec n’étaient-ils pas en bons termes avec lui…

Erwan Morzadec avait glissé dans la conversation que sa mère n’avait pas beaucoup de visites, à la clinique, qu’elle s’y ennuyait déjà comme un rat mort… Mais il ne pouvait pas savoir que Marie était en congé… Quand on travaille, ce n’est pas facile d’aller faire des politesses… À moins qu’il ne l’ait aperçue en train de gratter la peinture, à la fenêtre de la chambre…

Elle n’avait pas envie de nouer des relations. Déjà du vivant de Jean-Edmond… C’était lui le plus sociable des deux. Elle recevait avec plaisir, mais il ne fallait pas lui demander d’entraîner les gens autour de sa table, de jouer les boute-en-train ou je ne sais quoi…

À la boulangerie, elle se dit quand même qu’elle irait à la clinique des Rainettes. Les visites aux malades, c’est sacré. Et madame Morzadec la prendrait comme elle était, odeur de peinture comprise… Elle décida de faire un cake. Une recette anglaise où elle remplaçait la graisse de bœuf par du beurre salé. Madame Morzadec ne mangerait peut-être pas le gâteau, mais elle le donnerait à son fils. C’était nourrissant. Un homme seul risque de mourir de faim, c’est connu.

Et le commissaire Cazaubon ? « Lafitte, tu dois répondre ce soir… »

En rentrant, ayant acheté des fruits confits, des raisins secs, du rhum et beaucoup de beurre salé, Marie fit le gâteau, le mit au four, puis appela le commissariat du boulevard Nominoé. Elle ne savait pas encore ce qu’elle allait dire, mais la moindre des politesses était de répondre vite. Un commissaire divisionnaire, ça n’a pas de temps à perdre.

Au téléphone, elle dut parler d’abord au lieutenant Guillou, aimable, mais tellement lent… Ensuite, avec le lieutenant Tournebise, elle eut une brève conversation qui la mit mal à l’aise. Sans savoir pourquoi, elle avait l’impression qu’il voulait la rouler dans la farine.

Quant au commissaire, après avoir dit : « Bonsoir, madame Lafitte ! », il lui précisa sans préambule qu’il l’attendrait jeudi à 19 heures 45 pile dans la brasserie près du théâtre. « Les bus ont parfois du retard », dit Marie mollement. « Vous ne viendrez pas de l’Institut ? » demanda le commissaire. « Je suis en congé », dit Marie. « Cela ne vous ennuie pas de venir exprès à Vannes ? » dit-il. « Mais non », dit encore Marie.

La voix du commissaire… Basse… Autoritaire… Elle était trop fatiguée pour protester. Elle alla surveiller son gâteau dans la cuisine en se traitant de tous les noms.

Après un dîner rapide, elle se remit au travail dans la chambre. Heureusement, il s’agissait de passer l’enduit de lissage sur le bois de la fenêtre. Un plaisir.

Mais elle n’avait plus d’énergie.

Vers minuit, l’enduit terminé, elle alla dans la cuisine nettoyer ses pinceaux. Ses gestes étaient lents. Puis elle retourna dans la chambre. Avant de fermer les volets, elle resta un moment à la fenêtre malgré l’humidité glaciale, un peu hébétée par la fatigue, l’esprit vide.

Le lampadaire du rond-point était noyé dans la brume ; la lune, voilée par un nuage. Elle distinguait à peine le contour des arbres sur la pelouse centrale. Inutile d’attendre le hérisson, Lafitte… Tu ne le verrais même pas… Et puis, le nuage devant la lune se déplaça. Une silhouette apparut dans le jardin de monsieur Laurent. L’homme, chargé d’un sac, tourna la tête vers elle, puis s’éloigna précipitamment dans la rue, du côté opposé au rond-point.

Elle ferma les volets en bâillant.

Le lendemain était un mercredi. Marie s’était levée très tôt pour finir la fenêtre dans la matinée puisqu’elle devait aller rendre visite à madame Morzadec dans l’après-midi. Mais le travail à la lumière électrique était moins facile. Et puis le jour commença à poindre. Elle avait fini de poncer l’enduit de la fenêtre quand elle vit monsieur Héricourt sortir avec ses quatre enfants. Il ouvrit le garage. Ils prirent tous leur vélo et se dirigèrent vers le sentier, le long de la haie de Marie. Le père fit un bonjour de la main. Elle hocha la tête avec un sourire. Elle les trouvait attendrissants, tous à la queue leu leu, avec leurs bonnets de laine. Le père avait donc pris sa matinée pour s’occuper de ses enfants…

Marie s’attaqua au lessivage du plafond. Tout en lessivant, elle commença à penser à l’article qu’elle devait écrire pour la revue Archéologues et Ordinateurs. On lui avait demandé quelque chose sur l’intelligence artificielle et ses usages possibles en archéologie. Et si elle décrivait son expérience d’apprentissage automatique appliqué à la céramique Kerma ? Oui, mais les archéologues n’ont qu’une idée vague de l’apprentissage automatique… Il valait mieux réserver ce sujet aux informaticiens… D’autre part, les informaticiens qui font de l’intelligence artificielle crachent sur les applications en vraie grandeur… Ils préfèrent les beaux systèmes, formellement sans reproche, détachés de tout contexte merdique. Ils font des applications sur des exemples d’école. Ça la mettait en rogne, chaque fois qu’elle assistait à un colloque sur les sciences cognitives. Elle, elle avait été obligée de trafiquer certains paramètres du système Palantin pour arriver à classer les foutus tessons du professeur Donati. Elle ne s’en cachait pas. Mais elle se ferait descendre en flammes, si elle présentait ça, par exemple, au Bulletin d’Intelligence Artificielle…

Elle pourrait peut-être parler aux archéologues du nouveau système expert sur la reconnaissance des mottes médiévales… C’était plus pédagogique… Oui, mais les archéologues sont si susceptibles. Mottexpert arrivait à des conclusions qui ne collaient pas totalement avec les théories du moment… Et pour le contrer, l’automate, il faudrait qu’ils se lèvent tôt, les archéologues… Qu’ils apportent des faits nouveaux… C’est pour ça, d’ailleurs, qu’elle avait fait cette application… Pour qu’ils crachent au bassinet…

À midi, monsieur Chassagne vint lui apporter une table à encoller le papier. Après sa visite, elle déclara forfait et s’écroula dans la cuisine, écœurée par la lessive au pin.

Ces trucs-là, ça sent bon tant que c’est dans le paquet, mais après…

Quand elle partit en voiture pour la clinique des Rainettes, son gâteau empaqueté à côté d’elle, Marie supputait qu’elle pourrait être rentrée à temps pour donner une première couche de peinture à la fenêtre, à la lumière du jour.

Madame Morzadec lui parut très faible quand elle entra dans la chambre. Cadavérique. Elle était couchée sur le dos, les yeux au plafond. « Peut-être ne va-t-elle pas me reconnaître », pensa Marie.

— C’est votre voisine du 21, Marie Lafitte, dit-elle, parlant fort.

— Oh ! Je sais ! Quelle chance pour moi que vous soyez en vacances ! J’ai si peu de visites. Mon fils est très occupé. Il a un poste de directeur à la Banque Celte à Vannes.

— Vous n’avez pas d’autre enfant, madame Morzadec ?

— Non. Mais Erwan est si gentil…

— Je vous ai fait un gâteau, dit Marie.

La vieille dame la remercia chaleureusement, disant qu’Erwan était gourmand, qu’il aimait bien les petits plats. Elles parlèrent de recettes de cuisine. Madame Morzadec demanda ensuite à Marie de bien vouloir aller voir son fils quand il serait rentré, pour qu’il apporte à sa mère son ouvrage de tricot. Il devait passer à la clinique vers 20 heures. C’est qu’elle commençait à s’ennuyer. Sa tête, ça allait bien, mais le médecin voulait encore la garder à cause de la vilaine plaie à la hanche qu’elle s’était faite en tombant.

— Vous n’avez pas vu vos agresseurs ? demanda Marie.

La vieille dame n’avait rien vu, mais elle avait réussi à arracher une poignée de cheveux à un des hommes.

— Ah ! Vous l’avez donnée aux gendarmes ?

— Madame Lafitte ! Regardez dans mon tiroir !

Le tiroir de la table de chevet révéla un mouchoir roulé. Marie le développa avec précaution. Il contenait une dizaine de cheveux châtains épais.

— Il faut porter ça à la gendarmerie, dit Marie. Vous en avez parlé à votre fils ?

— Non. Je préfère que vous les emportiez, dit madame Morzadec d’un air buté. Erwan et moi, nous avons lu les comptes rendus de l’histoire d’Arradon dans les journaux. C’est vous la plus forte.

Ayant encore essayé de persuader la vieille dame que l’enquête était du ressort de la gendarmerie de Locminé, Marie repartit avec le mouchoir dans son sac.

Dans la voiture, elle balançait entre deux solutions : aller à la gendarmerie de Locminé avec le mouchoir ou bien attendre le soir pour avertir monsieur Morzadec. Dans le second cas, elle était pratiquement obligée d’aller lui porter le mouchoir, pour qu’il aille immédiatement à Locminé. Cette idée ne lui plaisait pas. Et on aurait pu l’accuser de faire perdre un temps précieux aux enquêteurs…

Finalement, elle se dirigea vers la gendarmerie.

Il était à peu près 16 heures quand elle passa devant la petite école de Lamothe. Elle aperçut un enfant assis par terre au bord du trottoir. Il pleurait. Elle reconnut le plus petit des Héricourt.

Elle arrêta sa voiture et descendit.

— Que fais-tu là tout seul ?

— Les autres sont partis. Ils marchent trop vite. Ils font toujours ça…

— Mais c’est mercredi. Il n’y avait pas d’école, n’est-ce pas ?

— C’est le centre aéré, le mercredi, quand papa et maman ne sont pas là, dit le petit garçon.

— Personne ne va venir te chercher ?

— Non.

— Tu sais qui je suis ?

— T’habites à côté de chez nous. Monsieur Chassa a dit à maman que t’avais un gentil chien, avant. Il était comment ?

— Pas très grand, avec une queue en panache. Est-ce que tu veux que je te ramène à la maison ?

— Oui… Pourquoi t’es triste ? C’est à cause du chien ? Et pourquoi t’as pas de monsieur ? Maman dit que…

— Je ne suis pas triste ! dit Marie fermement. Allons, viens.

Les enfants Héricourt étaient livrés à eux-mêmes quand elle arriva. Il y avait un beau chahut. Elle ne voulut pas les laisser seuls. Dans la cuisine, elle distribua du pain et du chocolat, trouva du lait, posa des questions sur les devoirs à faire pour le lendemain. Les enfants étaient muets de stupéfaction. Elle en profita pour envoyer les trois plus grands dans la salle à manger avec leurs livres et leurs cahiers. Elle s’assit au bout de la table pour surveiller les aînés, le plus petit sur ses genoux.

Elle ne pensait plus à la poignée de cheveux, dans son sac.

Quand on sonna à la porte, l’aîné dit en soupirant :

— Maman a encore oublié ses clés.

« Et si j’étais partie au soleil, comme tout le monde, par le Club Med », se dit Marie en rentrant chez elle… « Je pourrais encore… J’ai tout mon temps. Ils font des prix, en ce moment… Ah ! Non ! Il y a jeudi soir… »

* Note d’Alban : Ça c’est bien une embrouille à la Marie Lafitte ! Je sais bien qu’elle n’était pas tout à fait dans son état normal, mais confondre Niobé et Léto… Dans la mythologie grecque, Niobé, femme du roi de Thèbes, avait sept fils et sept filles. Elle se moqua de Léto qui n’avait que deux enfants. Les deux mômes voulurent venger leur mère et tuèrent à coups de flèche tous les enfants de Niobé. Stupéfiée par la douleur (dixit le Larousse), Niobé se transforma en rocher.

** Voir La Filière d’Arradon, 1999, même éditeur.

*** Voir La petite dame de Locminé, 2001, même éditeur.