Coup de barre à Étel - Chaix d’Est-Ange - E-Book

Coup de barre à Étel E-Book

Chaix d’Est-Ange

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Beschreibung

Comment Marie Lafitte a-t-elle pu se fourrer dans un guêpier pareil ?

Moi, capitaine Alban, de la Brigade Criminelle de Vannes, je ne comprends pas aujourd’hui comment Marie Lafitte a pu se fourrer dans un guêpier pareil. Avril s’annonçait bien pour elle. Des amis lui avaient prêté une maison pas loin d’Étel pour ses vacances. Son mari, notre commissaire divisionnaire Cazaubon, avait promis de la rejoindre là-bas. Le soleil brillait sur la rivière du Sach, les jonquilles se poussaient du col, les voisins étaient charmants… Le directeur de son Institut lui avait bien demandé de faire quelques cours dans une école d’Étel. Mais rien de tuant à vrai dire… Et puis il y a eu l’enlèvement de Lola et la disparition de Joëlle, la nièce de ses amis. Marie est repartie sur le sentier de la guerre. De Belz à Plouhinec, du Moulin de Bignac à Étel, Marie qui espérait tant jouer les touristes, est devenue, petit à petit, la cible d’une association de criminels bien organisés.

En s'intéressant d'un peu trop près à la disparition de Lola et à l'enlèvement de Joëlle, Marie est devenue la cible d'une association de criminels bien organisés ! Plongez dans le 7e tome des enquêtes de Marie Lafitte au cœur de la Bretagne : de Belz à Plouhinec, du Moulin de Bignac à Étel.

EXTRAIT

La terre était molle et mouillée. Marie conduisait à tours de roues. Les bêtes l’accompagnèrent interminablement. Et puis brusquement, au milieu de l’allée qui menait à la route, elles disparurent en direction de la maison, peut-être rappelées par le sifflet du gourou.
Marie n’était pas encore arrivée à la route quand un phare venant en face l’aveugla. L’allée était étroite, la pluie tombait à seaux. Elle stoppa dans une ornière, se demandant si elle pourrait repartir.
L’autre voiture s’était arrêtée aussi, en plein milieu de l’allée. Un des phares était éteint. Un homme sortit, s’approcha de la voiture de Marie, braqua une lampe dans ses yeux, lui fit signe de baisser la vitre du conducteur. Elle la baissa de quelques centimètres.
— Mais c’est madame Lafitte ! dit-il.
Elle reconnut la voix de Titouan Calvez, le professeur d’informatique. Il était penché très près. Dans l’obscurité, elle s’imagina que ses yeux avaient une lueur bizarre.
Ça ne la rassura pas.
— Bonsoir, Monsieur Calvez ! dit-elle bravement.
— Monsieur Calvez ! Allons !… Titouan, pour vous, Marie !
Elle resta muette. Il reprit :
— Que faites-vous ici ?
— J’étais venue pour la cueillette des… pommes de terre.
— À cette heure-ci ? Allons donc ! Et les pommes de terre, ce n’est pas encore la saison ! N’importe lequel de vos élèves saurait ça !
— Il est tard, je dois partir ! dit Marie fermement. Alors, si vous voulez bien ranger votre voiture sur le côté…
— Pas si vite ! Qu’est-ce que vous êtes allée raconter aux Lecanuet ?
— Je ne sais pas de quoi vous parlez.
— Les Lecanuet sont venus se plaindre au directeur de l’école qu’on avait enlevé un de leurs lapins et que vous l’aviez retrouvé dans la cour de l’usine !
— Ils ont dit vrai ! Et je crois que c’est vous qui avez enlevé leur lapin, sale brute ! dit-elle, saisie d’une brusque illumination.
Sans laisser à Titouan le temps de réagir, elle démarra brusquement, obliquant vers le champ de salades.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une carrière d'ingénieur de recherche au CNRS à Paris, Chaix d'Est-Ange se consacre aujourd'hui à l'écriture de romans policiers. Le Pays de Vannes est, depuis de nombreuses années, son lieu favori de détente, l'hiver. C'est aussi le cadre choisi pour ce roman. Elle est décédée en 2011.

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Couverture

Page de titre

PRINCIPAUX OUVRAGES CONSULTÉS

Les sectes

. Thomas Lardeur, Presses de la Renaissance, Paris, 2004.

Les sectes en Bretagne

. Renaud Marhic et Alain Kerlidou, Terre de Brume, Rennes, 1996, seconde édition.

Sectes et Science : la grande manipulation

, page 46 dans

Sciences et Avenir

, septembre 2005.

Les dérives soucoupistes

. Interview de Cyril Le Tallec par Michel Lefebvre, page 66 dans :

Le Monde 2

, 11 février 2006.

ABC de graphologie

. Michel Moracchini, Éditions Grangier, Paris, 2003.

Ria d'Étel, balades et découvertes

. G. L. Monfort. Rennes, 2005.

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Jean-Marie

PROLOGUE

Encore aujourd’hui, je ne comprends pas comment Marie Lafitte a pu se fourrer dans un guêpier pareil. Peut-être son sens du devoir… À l’Institut des Sciences Mérovéennes de Vannes au sein duquel elle dirige un laboratoire d’informatique, on lui avait demandé de faire des cours dans une école d’Étel juste au moment où elle allait prendre quelques jours de vacances. Elle aurait été en droit de refuser. Eh bien, elle y est allée.

Pourtant, elle déteste enseigner. Transmettre des connaissances, ce n’est pas neutre, selon elle. On manipule les élèves… Du coup, elle se remet en question à chaque cours. C’est insupportable…

Moi, capitaine Alban, de la Brigade Criminelle de Vannes, je trouve qu’elle exagère. J’ai toujours été un cancre, l’image du prof ne m’a guère marqué. Mais il faut bien tenter d’éduquer ceux qui viennent après nous, non ?

Quoi qu’il en soit, Marie s’était installée au Moulin de Bignac dans la maison de ses amis Chassagne, tout près de l’école où elle devait enseigner. Le soleil brillait sur la rivière du Sach, les voisins étaient charmants, notre commissaire divisionnaire Cazaubon, l’époux de la belle, avait promis de la rejoindre dès qu’il pourrait… Bref, avril ne s’annonçait pas mal du tout…

Le premier cours à Étel s’était bien passé.

Et puis il y a eu l’enlèvement de Lola et la disparition de Joëlle Chassagne…

Bon gré, mal gré, voilà Marie partie sur le sentier de la guerre…

Qu’est-ce que je viens faire là-dedans ? L’adjudant Mahé, de la gendarmerie d’Étel, m’avait demandé de l’aider dans une affaire de meurtre. La victime, un collègue de Marie, était de Vannes.

Au cours de notre enquête, quand Marie m’a téléphoné, j’ai bien compris qu’elle avait des soucis. Des soupçons aussi. Je les ai balayés d’un revers de main. J’avais les miens. J’ai eu tort, c’était grave.

I

En rentrant chez elle à Lamothe-Saint-Léonard près de Locminé, un vendredi soir, Marie trouva dans sa boîte à lettres un billet de ses voisins d’à côté, Henri et Marguerite Chassagne.

« Vendredi, 18 heures.

Ma chère Marie, nous avons attendu jusqu’à la dernière minute pour vous voir avant notre départ pour Paris.

Nous voulions vous suggérer de passer vos quelques jours de vacances à Mortefontaine, dans notre longère près d’Étel.

Je vous en ai souvent parlé, vous savez que ce n’est pas très confortable. Mais en cette saison, vous aurez déjà beaucoup de soleil et, pour le commissaire, c’est tout près de Vannes, s’il est, par hasard, appelé en urgence. Nous pensons que cela vous fera du bien à tous les deux de changer d’air… Pardonnez-nous, cette idée ne nous est venue qu’aujourd’hui ! Et je n’ai pas pu vous joindre de la journée, ni l’un ni l’autre.

Ci-joint un plan pour vous rendre à la maison, les clés et des indications concernant la salle de séjour (il faut enlever les volets intérieurs, c’est assez compliqué).

On entre par la cuisine. Se servir des deux clés moyennes (serrures à cylindre). La petite clé ronde est celle de notre malle personnelle dans la grange (il faut y puiser tasses à café, rallonges électriques, le bon couteau d’Henri etc.), l’autre, celle de la boîte aux lettres. La clé du cadenas de la grange est accrochée à la poutre dans la cuisine (ficelle verte).

Des indications sont affichées sur le tableau en liège de la cuisine : mise en marche du chauffage, compteur d’eau, d’électricité, place des objets, adresses diverses etc. N’oubliez pas d’apporter vos draps et vos serviettes surtout. Il ne faut pas hésiter à faire appel aux voisins, les Lecanuet, si quelque chose va de travers. Je les ai avertis de votre arrivée probable (numéro de téléphone sur la carte ci-jointe).

Je vous embrasse, avec toutes les bonnes pensées d’Henri pour vous deux.

Marguerite

PS (griffonné) : Le taxi est arrivé ! Bonnes vacances, de toutes façons. »

Marie soupira. L’écriture de Marguerite… Elle avait eu du mal à déchiffrer certains mots. Elle ne trouva pas le numéro de téléphone des Lecanuet dans l’enveloppe. Il n’y avait que deux clés. Un carton portant une adresse inconnue à Vannes tomba sur la moquette.

Elle finit par remettre tout dans l’enveloppe, pour préparer en vitesse la viande et les carottes de Mathilde, la petite chienne.

Marie avait lu dans certains traités canins qu’un chien doit être tenu à sa place dans la maison, en particulier qu’il ne doit jamais prendre ses repas avant son maître. Si elle acceptait la première proposition, elle trouvait la seconde absolument révoltante. Pour elle, les maîtres, doués de raison, ont les moyens de supporter un peu de retard avant de satisfaire leur faim. Mais un animal… L’idée que le confort ou la vie d’un être vivant – quel qu’il soit – dépendait uniquement de son bon vouloir la mettait mal à l’aise. Elle aurait presque préféré qu’il existe des lois, universelles ou locales, qui dictent clairement au plus fort la conduite à tenir vis-à-vis des plus faibles. Celles qui étaient écrites ou connues étaient toutes abusives. L’esclavage existe encore…

Pour en revenir aux animaux, quand il s’agissait de tuer une énorme araignée venue se rafraîchir au fond de l’évier, Marie, bien qu’à moitié terrorisée par la bête, se raidissait pour la noyer. « Lafitte, c’est elle ou toi ! Alors, vas-y ! »

L’état de légitime défense, même quelque peu usurpé, lui semblait vaguement préférable à l’arbitraire le plus total. Après l’exécution, elle ne manquait pas de se traiter d’hypocrite.

Ayant donné à Mathilde son dîner, au lieu de préparer vivement le repas du soir pour elle et son mari, elle s’assit dans la cuisine pour contempler la petite chienne. Mathilde mangeait lentement, avec des manières de chat qui fait le délicat mais, petit à petit, tout disparaissait. À la fin, Mathilde lécha l’assiette vide avec minutie, puis sauta sur les genoux de Marie.

Marie resta là un moment à réfléchir en essayant mollement d’empêcher Mathilde de lui mordiller l’oreille. Elle avait la tête encore pleine des complications de la journée de travail qui venait de s’écouler et le billet de Marguerite l’avait quelque peu décervelée. Bref, elle avait du mal à imaginer les jours à venir.

Des vacances… Elle n’était pas sûre encore que son mari soit en mesure de lâcher pour quelques jours les enquêtes en cours à la Brigade Criminelle de Vannes. Elle-même avait un article à écrire pour la revue Apprentissage Automatique. Elle avait emporté toute sa documentation avec elle.

« C’est toujours la même farine, Lafitte », ruminait-elle… « Le commissaire a besoin de changement, tu le sais très bien… Si tu commences à gratter du papier, il ne se décidera pas à partir. Et vous n’irez pas au théâtre ni voir des expositions si vous décidez de rester à Lamothe… Il y aura toujours quelqu’un qui téléphonera pour une urgence… Et dis-toi bien que ton article peut attendre… »

La “longère ruineuse d’Étel”, comme disait Marguerite, elle en avait entendu parler bien des fois. Henri en avait hérité avec ses frères et sœurs.

Il en parlait avec une sorte d’irritation. « L’indivision », avait-il coutume de dire, « est une calamité. Les frères et sœurs, ça va encore, mais les beaux-frères et belles-sœurs, c’est une autre paire de manches… Les neveux et nièces, n’en parlons pas ! »

Tous deux se plaisaient beaucoup à Mortefontaine, et Marie adorait les entendre raconter leurs aventures rustiques.

Marguerite, qui était une fine cuisinière, disait qu’elle redoutait de recevoir Yvonne Lecanuet à dîner parce que cette dernière, étant agricultrice, avait sous la main les meilleurs produits de la terre. Au milieu de l’hiver, Yvonne servait des haricots verts succulents qu’elle mettait en bocaux l’été, des gratins d’asperges au jambon… Sans parler des canards, des poules et pintades qui couraient dans les champs. Yvonne Lecanuet et son confit de canard…

Marie finit par se lever pour préparer le dîner. Ce fut vite fait. Des filets de cabillaud au four arrosés de vin blanc, couverts de crème, d’échalotes, de tomates. « Le riz, je le ferai cuire quand le commissaire arrivera », se dit-elle en allant dans son bureau chercher un annuaire du téléphone.

Elle cherchait le numéro de madame Lecanuet quand le téléphone sonna.

C’était son mari, le commissaire Cazaubon.

Il avait été appelé brusquement à Paris. Au téléphone, il la persuada d’aller à Mortefontaine pour se changer les idées. Il la rejoindrait un peu plus tard, parole de commissaire, pour ce qu’elle vaut.

— Faites-le pour moi, j’ai tellement de regret de gâcher vos vacances… ajouta-t-il. J’espérais vous emmener dans les îles, mais…

— Quelles îles ? demanda Marie.

— Je pensais à l’île Maurice. Les agences font des prix en ce moment.

Elle rit.

— Nous pourrons toujours aller à Saint-Cado à pied. Il paraît que Mortefontaine n’est pas loin.

Après cette conversation, elle était mi-figue, mi-raisin. Aller seule à Mortefontaine, se retrouver dans une campagne inconnue…

Tout en dînant, elle pensait au sac de voyage du commissaire. Il en gardait toujours un au bureau, pour les urgences. Exceptionnellement, parce qu’il était pressé, c’était elle qui l’avait préparé un mois auparavant. Façon madame Maigret, elle se demandait si elle n’avait pas oublié d’y mettre le pyjama bleu de son mari, quand le téléphone sonna encore.

Marie alla répondre à contrecœur. Elle subodorait une nouvelle contrariété.

Elle avait raison. C’était le professeur Lecourtois, le nouveau directeur de l’Institut des Sciences Mérovéennes de Vannes où elle-même dirigeait un laboratoire de recherche en informatique.

Tout en l’écoutant, Marie fulminait. Comment osait-t-il appeler à la maison à 9 heures du soir ?

— Marie, j’ai un service à vous demander. Vous savez que nous avons établi une collaboration avec plusieurs écoles d’ingénieurs…

— Oui. J’ai déjà reçu des stagiaires au labo.

— Ah ! Oui ! Eh bien, Yann Bellec, votre collègue qui assurait un enseignement à l’École d’Électronique d’Étel, a disparu.

— Comment, disparu ?

— Sa femme m’a appelé aujourd’hui. Elle a prévenu la police. Son mari n’est pas revenu de l’école hier soir jeudi, n’a pas téléphoné, n’a prévenu personne.

— Est-ce qu’il était dans son état normal ?

— D’après sa femme, oui. Préoccupé, parce que les élèves sont durs. Certains suivent mal. Mais c’est la routine… Et Yann aimait bien le contact avec les jeunes. En attendant, pourriez-vous assurer quelques cours à sa place la semaine prochaine ?

— Je n’ai rien de prêt. Et mon mari…

— Marie ! Le commissaire Cazaubon vient de partir pour Paris. Je l’ai vu sur le quai de la gare en allant accompagner mon fils. Vous prendrez vos vacances plus tard. Et vous pouvez très bien refaire vos séminaires sur les systèmes experts. Ces applications intéresseront beaucoup les étudiants. En outre, ils ne connaissent rien à l’apprentissage automatique. Vous allez les initier.

— Heu…

Monsieur le Directeur poursuivit ensuite sur sa lancée sans que Marie ait le temps de protester. « Il ne manque pas d’arguments, le cochon », pensa-t-elle, quand il lui parla de la qualité des séminaires qu’elle dirigeait une partie de l’année à l’institut, de sa popularité auprès des étudiants qui les fréquentaient, de l’argent supplémentaire qu’elle allait gagner à Étel sans se donner de mal, de l’importance de ces enseignements pour la notoriété de l’institut… Pour ses finances aussi…

Quand elle raccrocha, elle s’était laissé embobiner.

II

La veille, un jeudi, Joëlle Chassagne, bouche bée, écoutait cet homme qui lui disait qu’elle n’était qu’une parmi d’autres à chercher un emploi dans la publicité.

« Un peu d’informatique, un peu d’arts graphiques… C’est pire que si vous n’aviez que votre bac », disait-il. « Parce que vous vous faites des illusions. Vous m’avez montré ces travaux… Des maquettes dont personne ne voudrait, avec ces couleurs ternes, ces contours mous… Retournez dans votre école de je ne sais quoi à Bordeaux… D’ailleurs, Vannes n’a pas besoin de gens dans la publicité. Le marché est saturé. Je ne sais pas pourquoi Henri vous a conseillé de venir ici… »

Elle le regarda. C’était Jérôme, le beau-frère de son oncle Henri, qu’elle appelait “mon oncle”. Un homme trapu, complètement chauve, aux yeux très brillants, au nez busqué, qu’elle connaissait à peine. Tout en saisissant le téléphone, il se leva de son énorme fauteuil comme pour lui signifier son congé. Pendant qu’il téléphonait, elle ramassa maladroitement son dossier qu’il avait éparpillé sur le bureau. Sa plus belle affiche pour laquelle elle avait reçu le premier Prix des Arts Graphiques de la Chambre de Commerce de la Gironde, tomba sous le bureau. Elle dut se mettre à quatre pattes pour la ramasser. Quand elle se releva, il lui sembla que son oncle avait l’air narquois.

— Faites mes amitiés à Henri et Marguerite. C’est eux qui vous logent, n’est-ce pas ? C’est une chance. J’espère qu’ils vous ont payé votre billet de train. C’était vraiment un coup d’épée dans l’eau, ce voyage… Elle ne répondit rien. Elle était incapable de parler. Dans le couloir, elle éclata en sanglots.

Sur le palier, toute à son chagrin, elle se heurta à une femme d’un certain âge qui sortait du bureau d’en face. Elle avait de longs cheveux noirs et lisses.

— Je vois que ça ne va pas fort, ma pauvre enfant ! dit la dame. Venez vous reposer une seconde !

Elle entraîna doucement Joëlle à l’intérieur du bureau, la fit asseoir, lui apporta du thé…

*

Quand Joëlle sortit de l’immense bâtiment où l’oncle Jérôme dirigeait PubliData, une agence de publicité, l’air frais la remit un peu d’aplomb. Elle marcha un long moment avant de prendre le bus pour Lamothe-Saint-Léonard.

Elle réfléchissait maintenant plus calmement.

Avait-elle eu raison de lâcher l’École d’Arts Graphiques deux ans auparavant quand le petit était arrivé ? Elle était sûre, à cette époque, que son compagnon ne les laisserait pas tomber, elle et leur fils. Elle avait confiance en lui. Les choses s’étaient dégradées par la suite, sans qu’elle s’en aperçoive… Et puis il avait trouvé un travail d’ingénieur à Tahiti. Un travail bien payé. Il était parti. Oh ! Il se souciait de l’enfant, il l’avait invité chez lui pour les vacances, mais il n’envoyait pas d’argent de manière régulière. Il n’imaginait pas les difficultés qu’elle avait à payer une nourrice pendant qu’elle suivait une formation accélérée en informatique. Cette formation était nécessaire, puisqu’on travaille maintenant sur ordinateur dans les agences de publicité…

Dans le bus, Joëlle regarda les adresses et les dépliants que lui avait donnés la dame aux longs cheveux noirs, dans le bureau en face de PubliData. C’était une association qui avait pour mission d’aider les personnes en difficulté. Ils proposaient des stages de formation.

Dans certains cas, ils hébergeaient les stagiaires qui vivaient là comme dans une famille. C’était tentant. Ne plus être seule avec son fils…

Quand elle arriva à Lamothe, son oncle et sa tante faisaient leurs préparatifs pour leur voyage à Paris.

Ils lâchèrent tout pour l’accueillir.

— Alors, ma puce, comment ça s’est passé avec Jérôme ? demanda l’oncle Henri.

Elle bredouilla des paroles confuses et éclata à nouveau en sanglots.

Marguerite l’entraîna vers le canapé.

— Voyons ! Voyons ! Tu es fatiguée. On va dîner et tu te coucheras tôt.

— Qu’a dit Jérôme ? demanda Henri.

D’un ton morne, Joëlle raconta son entretien à PubliData.

Henri était stupéfait.

— Ça ne se passera pas comme ça ! dit-il. Marguerite le regarda avec reproche.

— Henri ! Tu m’avais dit que Jérôme aimait aider les jeunes ! Qu’il y avait toujours des jeunes autour de lui ! Qu’il les orientait dans leurs études ! Tous tes neveux et nièces ne jurent que par lui. Sinon je n’aurais pas conseillé à Joëlle de venir le consulter à Vannes !

— Ne vous faites pas de souci ! dit Joëlle en reniflant. Je m’en remettrai. Je vais peut-être accepter le poste de secrétaire à mi-temps qu’on m’a proposé, pendant que je finis mon cours d’informatique.

— Mais ce n’est pas ce que tu voulais faire ! dit Henri. Tu dessines si bien !

— Je continuerai à chercher, ne vous en faites pas, oncle Henri ! Ça m’a donné chaud au cœur de passer un peu de temps avec vous. Et tous ces cadeaux que vous m’avez faits… Je suis habillée pour longtemps. Le petit aussi.

Après le dîner, Joëlle, épuisée, alla se coucher. Marguerite rangeait la cuisine. Henri tournait autour d’elle en bougonnant.

— Comment expliques-tu cette histoire ? dit-elle brusquement. Même si Joëlle n’est pas l’artiste que nous croyons… Il aurait pu la traiter plus gentiment. Il sait très bien qu’elle élève seule son fils, qu’elle est courageuse…

— Je ne me l’explique pas. Il était peut-être mal luné. Ou alors…

— Ou alors quoi ?

— C’est peut-être un camouflet à notre intention.

— Pourquoi ?

— Il veut nous démontrer son pouvoir.

— Je ne comprends pas.

— Nous l’avons empêché de faire ses quatre volontés à Mortefontaine. Quand je dis “nous”, c’est surtout le père de Joëlle. Il y a une semaine, mon frère a interdit à Jérôme de faire des travaux dans la grange de Mortefontaine pour y installer une salle de séminaires !

— Henri ! Tu ne m’en as pas parlé !

— Ce n’est pas la peine que tu sois mêlée à ces histoires de famille.

Henri se baissa brusquement pour ramasser un carton par terre. Il lut :

« Exokarma

Association d’artistes indépendants

30, Rue de la République – 56680 Plouhinec »

— Marguerite, c’est toi qui as laissé tomber cette carte ? demanda-t-il.

— Montre-moi.

Après avoir regardé, Marguerite secoua la tête :

— Ça doit être à Joëlle.

Henri posa le carton près du téléphone.

— Il ne faut pas oublier de le lui remettre demain matin, dit-il. Tu y penseras ?

III

Le samedi matin, Marie se réveilla donc seule.

« Étel ou pas, tu n’étais pas obligée d’accepter », se disait-elle en s’étirant dans son lit. « Maintenant, tu vas devoir aller à Vannes à l’institut chercher toute ta docu’, téléphoner au directeur de l’école à Étel, aux Lecanuet pour qu’ils ouvrent la maison des Chassagne. Si c’est ça les vacances… »

Après, elle pensa à Agathe, la femme de Yann Bellec, qui travaillait à l’institut et qu’elle rencontrait souvent à la cafétéria.

Prise de remords, elle lui téléphona.

Agathe Bellec était manifestement au bord d’une dépression nerveuse. Elle se sentait coupable. De quoi ? Eh bien, son mari n’était sûrement pas satisfait de la vie qu’il menait avec elle, puisqu’il était parti… Oui, il était préoccupé… Avait-il dit ce qui le tracassait ? Non, pas vraiment, mais Agathe était sûre que c’était de sa faute à elle. En tout cas, Yann ne s’était pas plaint des étudiants d’Étel… Ce qu’il avait fait mercredi soir ? Après le dîner, il avait passé un long coup de fil au professeur Lecourtois, directeur de l’Institut des Sciences Mérovéennes. Et puis il avait tourné en rond dans son bureau jusqu’à minuit… Le jeudi matin, il était parti tôt, disant qu’il devait passer à Vannes à l’institut avant d’aller à Étel. « C’est la dernière fois que je l’ai vu… », dit Agathe en éclatant en sanglots.

Marie essaya de réconforter la jeune femme, se raclant la cervelle pour trouver des arguments qui arrachent Agathe à son sentiment de culpabilité. Mais dans un cas pareil, la marge de manœuvre est mince. Ou bien le bonhomme avait effectivement voulu quitter un mode de vie qui lui paraissait détestable, ou bien il avait été victime d’un accident… L’alternative n’était pas réjouissante.

C’est donc un peu tristement que Marie commença les préparatifs de son départ, donna ses coups de fil et ferma la maison.

*

Quand elle quitta l’Institut des Sciences Mérovéennes de Vannes, sa petite voiture était chargée d’un ordinateur portable, de volumineuses notes de cours, de transparents pour les exposés, de crayons à transparents, ainsi que de diverses bibles de l’intelligence artificielle. Le tout coincé au milieu des draps, des serviettes de toilette et des torchons pour l’installation à Mortefontaine.

Elle fulminait encore. Dans les couloirs de l’institut presque désert, elle avait rencontré le professeur Lecourtois, le nouveau directeur, qui lui avait fait ses recommandations de dernière minute avec un air jovial qu’elle avait trouvé totalement déplacé. Elle n’avait pas pu prévenir les Lecanuet de son arrivée, n’ayant pas trouvé leur numéro de téléphone dans l’annuaire ni sur Internet, et se sentait en état d’infériorité sur tous les plans. « Si le commissaire t’avait accompagnée », se disait-elle, « il se serait débrouillé pour te faire rire de tes malheurs. Seule, tu n’y arrives pas, pauvre débile… »

À Auray, elle prit la route départementale 22 jusqu’à Belz, tourna sur la gauche pour Étel. Elle arriva au pont du Sach. Alors qu’elle aurait dû tourner à droite avant le pont, elle le franchit distraitement, continua jusqu’à Étel. Elle ne s’aperçut de son erreur qu’une fois arrivée sur la place de la mairie. Le soleil brillait. Elle rangea la voiture sur l’esplanade qui domine la rivière d’Étel, s’étira, sortit sa carte. « La route de Bignac… Voyons, voyons… Ah ! Mais c’est dans la commune de Belz… Il faut revenir sur tes pas et tourner à gauche après le pont du Sach. Tu aurais pu faire attention, quand même… »

Et puis elle eut envie de voir le point de vue sur la rivière, sortit de la voiture avec Mathilde, s’avança sur l’esplanade. Mais elle ne voyait qu’un peu de l’embouchure, très loin, et le plan d’eau aménagé sur la rive gauche. Elle se dirigea vers la mairie qui avait une large terrasse au premier étage, se demandant si on lui permettrait d’y monter. À l’intérieur de la mairie, c’était une véritable ruche. Des touristes étrangers demandaient des plans, des dépliants, des adresses, un ouvrier en bleu de travail avait besoin d’une fiche d’état civil, une jeune fille lourdement voilée se faisait aider pour remplir des papiers. Elle était là, hésitant à déranger quelqu’un, quand une jeune femme souriante lui demanda ce qu’elle voulait. La terrasse ? Mais oui, pas de problème ! Le maire n’est pas là, on n’aura pas à le déranger. Vous comprenez, il faut passer par son bureau…

Le bureau du maire, au premier étage, était une pièce très agréable, teck et acier brossé, avec une baie vitrée donnant accès à la terrasse. Marie, suivie de Mathilde, le traversa avec précaution, tout intimidée, et posa enfin le pied sur la terrasse ensoleillée.

Loin en contrebas, elle découvrit la rivière grise, large et bouillonnante, un peu effrayante. Des vagues couvertes d’écume blanche comme de la neige soulignaient l’entrée de l’estuaire et ses remous mortels.*

Des étendues de sable roux, immenses et sans arbres, entouraient l’embouchure, comme un désert plongeant dans la mer. Sur la rive en face, le sémaphore veillait sur l’entrée des bateaux.

Marie resta un moment à contempler le lointain, rêvant à des promenades sans fin sur les dunes en compagnie du commissaire et de Mathilde. Quand elle revint sur terre, un peu éblouie par tant de soleil, il était plus de 16 heures.

Elle décida de faire un tour en voiture dans Étel avant de revenir vers la route de Bignac, histoire de repérer l’École d’Électronique où elle devait remplacer Yann Bellec.

Elle s’engagea avec précaution dans la rue de la Libération. C’était une rue semi-piétonne, très animée en ce samedi. Au bout de la rue, elle tourna à droite, s’arrêta sur la place des Thoniers. Elle entra dans le Syndicat d’Initiative, demanda des dépliants touristiques, repartit vers le Nord, longeant les quais. « Tu joues les touristes, Lafitte, mais tu vas être vissée sur ton ordinateur à préparer tes cours. Tu ne verras rien du tout… », ruminait-elle en tournant dans l’avenue Louis Bougo.

Elle se rappelait que l’école se trouvait Square Jules Guillemin, lequel donnait dans la rue Brizeux. D’après le plan, cette rue était une longue impasse qui aboutissait au Sach** au nord de la ville. Mais où était la rue Brizeux ? Elle ralentit, tourna dans la rue Émile Saint-James, s’arrêta devant le lycée professionnel, repartit, aperçut la pancarte de l’École Maritime Aquacole. Mais d’École d’Électronique, point. Après avoir scruté plusieurs rues latérales, elle continua son chemin et se retrouva au rond-point à l’entrée d’Étel. C’était là.

La rue Brizeux partait du rond-point et avait une direction à peu près parallèle au Sach. Vers le bout, les maisons s’éclaircissaient. Elle s’arrêta près d’un court de tennis attenant à un terrain vague, sortit sa carte, marcha avec Mathilde jusqu’au bord du Sach. En regardant la carte, elle s’aperçut, à son grand étonnement, que la route du moulin de Bignac suivait la rive d’en face. « Mais alors, tu pourrais aller à tes cours en bateau en dix minutes !… Oui, mais tu n’as jamais manœuvré un bateau de ta vie… Tu te couvrirais de pipi de chat… »