La villa Valardier - Marie Noëlle Gaumy - E-Book

La villa Valardier E-Book

Marie Noëlle Gaumy

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Beschreibung

Urgent ! Cherche personne de confiance pour gardiennage de villa.
Localisation : Bretagne-Sud
CDD 6 mois renouvelable
Profil l : personne discrète, courtoise et fiable.
Dany, au tournant de sa vie, décide de répondre à l’annonce. Que risque-t-elle ? Rien… à condition de ne pas remuer de vieux secrets…

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Marie Noëlle Gaumy

La villa Valardier

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marie Noëlle Gaumy

ISBN : 979-10-377-4922-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

« Pardon, madame ! »

— Hein ? Qu’est-ce que vous dites ? Parlez plus fort, je ne vous entends pas.

— Bonjour, madame. Je voudrais me rendre à la villa de M. et Mme Valardier, cria Dany en s’efforçant de parler assez fort et en articulant bien pour que la vieille femme à la coiffe traditionnelle l’entende.

— Oh, la villa Valardier ! Ce n’est pas compliqué. Vous devez continuer tout droit, comme si vous vouliez sortir du village et prendre la dernière rue à gauche, celle qui va à leur ferme aux huîtres. Là, vous ne pourrez pas la manquer, c’est la première maison à droite, la propriété fait l’angle. C’est une grande bâtisse entourée d’arbres. Mais j’crois que Gwenaëlle et Derick sont absents en ce moment. Vous verrez bien ! C’n’est pas loin, il suffit de suivre la rue principale. Ils ont dû partir, je n’ai pas vu Gwen à la boulangerie depuis deux ou trois jours. Ils ont dû partir, c’est sûr ! Ou bien, elle est souffrante… parce que je la vois tous les jours au village d’habitude, à la boulangerie ou à l’épicerie, ça, c’est sûr…

— Merci bien, je ne vous dérange pas plus, je vais trouver. Merci, au revoir !

Dany remonta sa vitre et reprit sa progression au milieu des maisons basses en pierres blanches. Dans son rétroviseur, elle voyait la vieille Bretonne toujours au bord du trottoir, gesticulant et dodelinant de la tête.

« Pauvre grand-mère, elle ne doit pas rencontrer beaucoup de monde à qui parler dans ce bled. C’est d’un triste ici, et en plus il ne fait pas beau, le ciel est gris et menaçant. Oui, bon. C’est la Bretagne, qu’espérais-je ? »

Après avoir traversé le bourg, elle aperçut à gauche le panneau qui indiquait la fameuse ferme ostréicole. Face à elle, elle entrevit une grande maison à moitié cachée derrière un mur en pierre envahi par le lierre. Le domaine occupait effectivement l’angle. Au téléphone, son interlocutrice lui avait dit de longer le mur d’enceinte et de prendre un chemin pour accéder à l’entrée pour les voitures. « À droite de la petite route départementale, à dix mètres du carrefour », avait-elle précisé. Elle lui avait aussi déclaré que « la grande porte en fer donnant sur la route ne servait plus depuis longtemps, c’était l’ouverture qu’utilisaient autrefois les clients du cabinet médical de son beau-père ».

Dany s’inquiéta de l’ampleur du parc et commença à douter de ses capacités à rester seule dans une si grande propriété. Elle fait partie du bourg certes, mais elle se trouve quelque peu à l’écart des autres maisons, retranchée derrière ses fortifications. Allait-elle avoir la capacité de gérer le domaine et la solitude qui va avec ? À Lyon, elle était seule là aussi depuis plus d’un an, mais sa voisine de palier se trouvait qu’à cinq mètres et elle vibrait sans vraiment le vouloir aux sons de son immeuble et aux clameurs de la ville. Elle pouvait, si l’envie lui en venait, partir se promener au milieu d’une foule d’anonymes ou rejoindre un groupe d’amis et discuter avec eux devant un verre. Quelle idée a-t-elle eu de débarquer ici ? Quelle lubie l’a prise ? Vouloir changer de vie, était-ce bien nécessaire ? Voulait-elle retrouver ses racines ? Revivre comme vivaient ses grands-parents, au milieu de la campagne ? Et pourquoi si loin de Lyon ? Pour la mer ? Pour l’exotisme ? Pour s’éloigner le plus possible de la ville du bonheur perdu ?

Le chemin démarrait là, à sa droite. D’un côté, il longeait le mur de pierre et de l’autre, un grand terrain vague ou plutôt un marécage. Ce dernier était à moitié cultivé, l’autre partie était constituée de grandes flaques d’eau au milieu desquelles apparaissaient de longues tiges jaunâtres.

Dany avança prudemment, l’allée était envahie en son centre par des herbes qui touchaient le châssis de sa petite automobile italienne. Le bord gauche ne semblait pas trop fiable. L’autre côté, le long du mur du domaine, l’épaisse masse herbeuse devait cacher de nombreux pièges pour les pneus de la Punto.

« Ce n’est pas le moment de crever !

Voilà l’entrée. Ouah ! Pas mal la baraque. Qu’est-ce que je fais ? Je rentre ou je ne rentre pas ? Ils ont laissé le portail grand ouvert, ils doivent m’attendre.

Donc, il faut foncer ma petite Dany. Courage, ma belle ! »

Après son moment d’hésitation, Dany pénétra dans une cour gravillonnée et se gara près d’un perron. De là, elle put contempler à loisir la propriété.

La grande bâtisse cossue, bien proportionnée est bâtie en pierres blanches comme les autres maisons du village, mais elle s’élevait sur deux étages. Les volets en bois avaient dû être peints en gris bleu, il leur en restait quelques traces.

« Une rénovation ne leur ferait pas de mal. La porte d’entrée a elle aussi bien besoin d’unepetite réfection. »

Un rapide coup d’œil à droite puis à gauche, lui fit entrevoir un parc en friche et un jardin en partie délaissé. Sous un appentis, elle aperçut un pick-up recouvert d’une bâche poussiéreuse.

« Ben, pépère ! Il y a du boulot sur la planche. Qu’est-ce qu’ils foutent les vieux ? Ce sont des manchots ? Ils se sont peut-être cassé le col du fémur tous les deux. Ou alors, ce sont de vieux radins qui ne veulent pas payer quelqu’un pour entretenir leurs biens. »

Ces réflexions la firent sourire. Devait-elle s’attendre à rencontrer un « oncle Picsou » ? Un homoncule dormant à côté d’un sac rempli de pièces d’or qui s’amuse à les compter dès son réveil. Quant à la femme, était-elle une vieille sorcière tout habillée de noir, avec une grosse pustule sur un grand nez crochu et des poils au menton ? Détenait-elle un horrible balai dans une main recouverte de verrues et… exhibait-elle sur la tête, une coiffe amidonnée identique à celle que portait la grand-mère qu’elle venait de croiser ?

« Oui, pourquoi pas ! Je suis en Bretagne et la forêt de Brocéliande ne doit pas être très loin. »

Elle sortit de la voiture avec une sérieuse envie de rire et une curieuse impression de commettre un délit d’outrage. Pourquoi offenser ces personnes qu’elle ne connaît pas ? Le sourire aux lèvres, elle grimpa les marches du perron et se retrouva devant la porte d’entrée. Elle sonna deux coups rapides puis un long conformément aux instructions données la veille au téléphone. Une minute plus tard, elle entendit des bruits de pas, quelqu’un descendait un escalier en bois. Pourvu qu’elle n’éclate pas de rire en voyant la vieille mégère ou le nain radin.

Quand la porte s’ouvrit apparut une grande femme souriante, aux cheveux blancs savamment noués en un petit chignon, habillée d’un tailleur gris chiné, paré d’un collier de perles assorti aux bouches d’oreilles. Rien dans cette vision ne correspondait à la personne imaginée quelques secondes plutôt.

— Bonjour, je suis Danielle Louvier. Je vous ai appelé hier au soir.

— Bonjour, madame Louvier ! Nous vous attendions. Nous vous remercions pour votre ponctualité. Mon mari et moi avions peur que notre proposition ne puisse retenir votre approbation. Mais entrez ! Installez-vous dans le salon. Je vais aider mon mari à descendre ces escaliers et nous vous rejoignons. Depuis son accident, il est un peu handicapé et je n’aime pas le voir seul dans ces marches, vous comprenez !

Obéissante, Dany pénétra dans une vaste pièce accueillante. Le salon est meublé dans un style très breton. Le buffet et la table, imposant tous les deux, ont les montants et les pieds torsadés, ils sont en bois foncé. Une agréable odeur de cire plane dans l’atmosphère. Le canapé de cuir marron est recouvert d’un plaid où sont représentés de jolis chats aux yeux verts. Les fauteuils ont eux aussi leurs couvertures mais ces dernières sont unies, sans chatons. Elle prit place sur la pointe des fesses dans l’un d’entre eux, face à la porte d’entrée de la pièce. À côté d’elle se trouve une petite table basse sur laquelle est posée une corbeille en osier remplie de pelotes de laine rose, un début d’ouvrage est enveloppé dans une serviette de table rouge.

— Je suis en train de tricoter un pull pour ma petite fille Leslie, déclara l’hôtesse en entrant dans le salon.

— Je souriais, car ma maman mettait aussi son tricot en cours dans une serviette, répliqua Dany, gênée d’avoir été surprise dans son indiscrétion.

— C’est pratique, nous pouvons déplacer notre ouvrage avec la pelote sans risque de tout perdre ! Je vous présente Derick, mon mari.

— Bonjour, monsieur ! Je suis Danielle Louvier, se présenta-t-elle en se levant et s’approchant de l’homme tout aussi grand et élégant que sa femme, malgré sa démarche saccadée.

— Restez assise, mademoiselle ou… madame peut-être, excusez-moi si je me trompe !

— Madame, bien que je vive seule depuis un an.

— Eh bien, bonjour, madame Louvier ! Ne vous dérangez pas, petite ! Je vais m’installer dans mon voltaire préféré, son assise est plus ferme et elle me convient mieux que celle du canapé ou de ces fauteuils. C’est surtout plus facile pour me relever ! Gwenaëlle, peux-tu nous servir du café ou préférez-vous autre chose, madame Louvier ?

— Cela me convient parfaitement. Celui de l’hôtel n’était pas excellent ce matin !

— Ah ! Vous êtes descendu dans quel hôtel ?

— Un B&B à la sortie de l’autoroute. Ce n’est pas un quatre étoiles, mais lorsqu’il s’agit de dormir quelques heures, c’est largement suffisant.

— De mon temps, on en trouvait de bons, pas trop chers et très corrects. Maintenant, il faut qu’il y ait des piscines, des hammams, des spas, ou je ne sais quelles installations ! Tout cela pour satisfaire la clientèle qu’ils disent ! C’est plutôt pour leur faire cracher plus de pognon ! Si encore les services correspondaient aux offres… Ce n’est pas souvent le cas !

— Les hôteliers sont soumis à des réglementations de plus en plus sévères. Ils doivent aussi veiller à leur rentabilité. Le B&B ne propose, par exemple, aucun gardien de nuit. J’ai pris ma chambre grâce au distributeur automatique installé à côté de la porte d’entrée.

— Oh, je sais ce que c’est la rentabilité ! Ah, mais, avec les 35 heures par semaine, et les charges qui ne font qu’augmenter, eh bien, les patrons suppriment les emplois, ou ils mettent la clef sous la porte ! Il y aurait du boulot pourtant… Et puis, les gens à l’heure actuelle, ils ne veulent plus travailler, ils touchent plus en restant chez eux qu’en allant au travail. Et avec toutes ces taxes que notre gouvernement nous sort, ils ponctionnent beaucoup trop les entreprises ces technocrates ! Comment voulez-vous que les petits commerces et les petits artisans s’en sortent ? Ils ne peuvent plus embaucher personne, cela leur coûte trop cher ! 35 heures, vous pensez ! Moi, de mon temps on ne regardait pas nos montres, on effectuait notre boulot et quand on avait fini on rentrait chez nous. Nous ne regardions pas l’horloge comme maintenant !

— Tu sais Derick, susurra Mme Valardier, interrompant son mari dans sa litanie de contestations et de lamentations, je crois que les gens d’aujourd’hui ont un peu raison de se limiter. Regarde où cela t’a mené !

— Il faut un juste milieu, tempéra Dany.

— Oui, mais si j’avais regardé ma montre, Yorick et Clodi ne posséderaient pas ce qu’ils ont maintenant ! Et que seraient-ils devenus ? Hein ? Ils auraient été pointés à l’ANPE ou Pôle… je ne sais quoi, comme leurs petits camarades !

— Yorick et Clodi sont nos deux garçons, précisa Mme Valardier. L’aîné a repris la ferme ostréicole familiale qui venait de mon père et l’a transformée presque en usine. Quant à Clodi, il travaille sur les cargos et vient très rarement à la maison. Il navigue le plus souvent à l’autre bout du monde.

— Celui-là, c’est un globe-trotter ! Il ne se trouve jamais à la même place et de plus, c’est un coureur de jupons… Il aurait pu rester avec son frère, il y avait assez de travail pour eux deux !

— Excellent, votre café Mme Valardier, déclara Dany pour combler le silence pesant qui s’était installé subitement.

— Prenez un morceau de cake ! Mon épouse est très bonne pâtissière ! Servez-vous !

— Hier au téléphone, vous me proposiez de passer quelques jours avec vous pour me montrer le travail à exécuter. En avez-vous discuté ?

— C’est-à-dire… que mon mari et moi, nous pensions confier la villa à un couple. L’homme se serait chargé des extérieurs et son épouse de l’entretien proprement dit de la maison. Alors, bien sûr, nous ne vous reprochons rien, mais vous êtes seule et nous avons peur que l’ampleur de la tâche effraye une jeune femme comme vous.

— Je suis seule depuis plus d’un an et je me débrouille très bien dans pas mal de domaines. J’ai entièrement rénové mon appartement de Lyon par exemple. En plus, j’aime beaucoup jardiner ou bricoler. Naturellement, en ville, il est guère possible de travailler la terre, mais quand j’allais chez mes parents, le jardin et les ateliers de mon père étaient mes terrains de jeux. Quant à mon grand-père qui était un excellent maçon, il m’emmenait souvent sur ses chantiers et il me montrait ses réalisations, et la façon de procéder pour y arriver. Il n’y a que le tricot et la couture qui ne m’attirent pas, ce sont des activités trop statiques pour moi. Prenez-moi à l’essai avant votre départ ! Vous aurez le temps de juger mon travail. Quant à moi, je pourrai prendre note de vos souhaits. Et si je ne vous conviens pas… Nous en resterons là.

— On pourrait effectivement prévoir une période d’essai, suggéra le maître de maison en sortant une pipe de sa poche de veste et cherchant dans celles de son pantalon peut-être son gratte-pipe ou son tabac.

— Je vous ai amené mes références et le dernier certificat de travail, si vous souhaitez en prendre connaissance.

— Oui, c’est bien et si vous voulez, Gwenn va vous faire visiter les lieux pendant que je vais jeter un œil sur ces documents.

***

La visite de la villa dura une bonne heure. Chaque pièce, chaque objet, possédait son histoire et l’hôtesse se faisait un devoir d’expliquer, de faire découvrir son antre et de le partager.

Dany comprit très vite que la femme qu’elle avait à ses côtés était surtout et avant tout une mère, une épouse dévouée, une maîtresse de maison hors pair, prête à se sacrifier pour sa famille.

— Alors, comment trouvez-vous la maison ? Au fil des ans, nous avons amassé beaucoup de meubles, de bibelots, et de choses inutiles. J’ai du mal à m’en séparer et je passe mon temps à les astiquer, les déplacer, leur trouver un nouvel emplacement, les ranger à nouveau, les ressortir. Ils représentent tellement de souvenirs !

— Je trouve cette demeure très accueillante et pleine de charme.

— Je vais vous montrer les extérieurs. Ne soyez pas gênée, si vous trouvez que nous vous en demandons beaucoup trop, vous pouvez me le dire, je n’en serais pas fâchée. Nous pourrions éventuellement faire appel à un voisin pour le jardin. Habituellement, nous quémandons M. Le Baster, mais il perd ses forces en vieillissant le pauvre ! Il doit avoir presque quatre-vingts ans maintenant et il boite de plus en plus. Il a eu une jambe en partie paralysée à la suite de la poliomyélite qu’il a contractée quand il avait à peine cinq ans. Les gens d’ici l’ont toujours surnommé le Boiteux. C’est un ours cet homme, quand il vient il ne dit pas un mot, mais il travaille très bien !

Les deux femmes se retrouvèrent dans la cour, elles explorèrent le parc puis les dépendances. Dany découvrit le jardin, à moitié en friche, la roseraie avec son espace de détente, les remises et les différents ateliers dont l’un devait être affecté aux travaux de menuiserie et l’autre, à ceux de mécanique avec au fond contre le mur, une forge. Elle apprit que le chef de famille avait été un grand bricoleur en dehors de son entreprise d’élevage d’huîtres.

— Je vois que votre mari possède beaucoup de matériels.

— Mon mari ne s’arrêtait jamais, son accident était à prévoir ! Et maintenant, il s’aigrit de jour en jour, ça le rend malade de s’apercevoir que tout ceci reste à l’abandon, de constater que ses outils se couvrent de poussière. Il en devient dépressif et presque agressif. Quant au potager, c’est moi qui m’en occupais. M. Le Baster venait bêcher ou passer le motoculteur et puis moi, je l’entretenais. Je ne peux plus me baisser comme avant, je perds souvent l’équilibre. Je serais enchantée si vous acceptiez notre offre. Je ne vous connais que depuis une ou deux heures, mais vous me plaisez beaucoup, Madame Louvier. Puis-je vous appeler Danielle ?

— Dany, si vous voulez. Je crois sincèrement que je vais me plaire ici. J’ai l’impression de me revoir chez mes grands-parents. Je me sens bien dans cette maison, ce jardin, ces fleurs, ces ateliers… Vous croyez que votre mari me laisserait remettre la forge en marche ? J’aurais certainement besoin de quelques cours de remise à niveau et de nombreux conseils… mais ce serait tellement agréable !

— J’admire votre enthousiasme ! Derick se fera un plaisir de vous montrer ce dont vous aurez besoin !

— Évidemment, j’effectuerai ce qu’il faut dans la maison, la poussière, les carreaux, tout, sauf comme je vous le disais précédemment, la couture et le tricot !

— Tant mieux, je n’avais pas l’intention de vous laisser finir le pull de ma petite fille, clama en riant Mme Valardier. Rentrons, je n’aime pas laisser Derick seul trop longtemps. Je suis enchantée de vous avoir rencontrée, Dany !

— Il en est de même pour moi, madame Valardier !

— Appelez-moi Gwen, laissez « madame Valardier » de côté. Vous pensez pouvoir vous en sortir ?

— Pourquoi pas, je tente le défi ! Enfin, si vous le voulez bien !

Les deux femmes entrèrent dans le salon. Le maître de maison était attablé au milieu de nombreux papiers où trônaient les attestations de Dany. L’homme était en train de compléter d’une écriture raffinée et régulière une liasse de feuilles. La pipe non allumée avait atterri sur le rebord d’un gros cendrier en verre.

— Alors, que pensez-vous de la tâche qui vous attend ?

— Si vous n’exigez pas la perfection, M. Valardier, je pense que je vais pouvoir y arriver.

— Pourtant vous n’êtes pas du métier ! D’après vos papiers et certificats, vous exerciez dans la finance jusqu’à présent. J’ai vu que vous aviez été responsable d’une grosse agence bancaire sur notre belle ville de Lyon ! On ne peut pas dire qu’il y a beaucoup de rapport avec notre proposition ! Qu’est-ce qu’il vous a fait changer de cap ?

— Vincent, mon mari, était comme moi, responsable d’une agence dans la même banque. Nous nous sommes rencontrés d’ailleurs au cours de notre période de formation. Il a été tué lors d’un braquage au cours duquel les voleurs ont emporté avec eux plusieurs millions d’euros. À la suite de cet évènement, la réaction du directeur m’a profondément perturbée. J’ai essayé de tenir quelque temps puis j’ai finalement abandonné, trop écœurée par les accusations et son indifférence. Ce qui l’intéresse, ce monsieur, c’est le profit ! Aucune considération pour les employés et tout juste pour les clients !

— Donc retour aux sources. Vous êtes une femme courageuse, c’est bien, j’admire cette qualité. J’ai préparé un contrat de travail, en double exemplaire. Tenez, voici le vôtre, je vous laisse le consulter. Si vous voulez me poser des questions, s’il y a des choses que vous voulez modifier, nous pouvons en parler !

Les époux Valardier et Dany discutèrent longuement des conditions de travail, de la rémunération, des compensations. Après avoir finalisé un accord satisfaisant les deux parties, ils décidèrent finalement que le contrat pouvait prendre effet pour une période d’essai, dès le lendemain.

Elle se vit attribuer une chambre au 1er étage, au-dessus de la cuisine, celle dont la fenêtre donne sur l’entrée de la propriété, le jardin et le grand terrain marécageux aux abords du village. Cette pièce l’avait attirée lors de la visite, était-ce la couleur bleu-pastel du papier peint ? Le bois rouge de la commode et de l’imposante armoire avec son immense miroir ? Était-ce le couvre-lit en patchwork ? La décoration très discrète ? Ou tout simplement parce que c’était la plus petite des chambres de la maison et malgré tout très lumineuse.

— Gwen, je suis très émue que vous me proposiez cette chambre, je la trouve tellement coquette !

— J’avais remarqué lors de la visite que vous l’aviez tout de suite appréciée. Et en plus, c’est la seule que je puisse vous libérer rapidement. Ce sera donc la vôtre le temps que vous resterez chez nous.

— Je vous remercie beaucoup, je ne sais que vous dire, je suis très touchée par votre gentillesse à tous les deux. J’avais une certaine appréhension lorsque je suis arrivée, mais je me sens beaucoup mieux maintenant, prête à affronter mon défi.

2

À la mairie du bourg, tout semble calme. Anne-Marie Martin, la secrétaire, tape tranquillement sur son clavier d’ordinateur. Depuis son arrivée à huit heures trente, aucun appel téléphonique, aucune visite n’avait interrompu son travail. Il est onze heures, le facteur ne devrait pas tarder, pensa-t-elle, d’ailleurs elle entend le bruit de la porte d’entrée du rez-de-chaussée qui vient de se refermer.

— Bonjour, monsieur le maire. Je ne vous attendais pas aujourd’hui ! s’étonna-t-elle en voyant entrer Yann Queffec.

— Bonjour, Mme Martin. Quoi de neuf ce matin ? Tenez, voici le courrier, j’ai rencontré le facteur au pied des escaliers du hall.

— Je n’ai rien eu de nouveau ce matin, monsieur Queffec ! Ah si ! Il y a une dame qui a répondu à l’annonce de M. et Mme Valardier. Il y avait plusieurs réponses, mais M. Ducros a retenu la candidature de Mme Louvier Danielle, elle lui a paru digne de confiance. Cette femme vit seule. Elle a perdu son mari il y a un an. Elle doit avoir une quarantaine d’années. Ses deux enfants n’habitent plus avec elle, l’aîné travaille sur Paris dans l’administration et sa fille est hôtesse de l’air à Air France. Elle devait prendre contact avec M. Valardier ces jours-ci. C’est M. Ducros qui m’a demandé de vous en informer.

— C’est bien Mme Martin ! Mais je ne vois pas pourquoi c’est la mairie qui s’occupe de ça ! Nous n’avons pas à jouer le rôle d’une agence de recrutement pour nos citoyens. Et M. Ducros n’est pas une assistante sociale à ce que je sache ! Il est adjoint au maire, point.

— C’est que Mme Valardier s’est longtemps occupée de la mairie autrefois et M. Ducros a pensé que l’on pouvait…

— Oui, oui ! Ducros… il ferait mieux de…

Il laissa sa phrase en suspens, se retournant vivement, il disparut dans l’antre de son bureau après avoir bruyamment fermé la porte derrière lui.

Interloquée par la réaction du maire, Anne-Marie mit quelques secondes avant de reprendre le cours tranquille de son travail. Elle connaissait l’animosité que Queffec avait envers les Valardier et à l’égard de Ducros, pourtant ce dernier était son premier adjoint. Ce qu’elle ignorait c’était le pourquoi ! Ce n’était pas une question politique puisque lui et André Ducros représentaient tous les deux la droite conservatrice ; des affaires de famille certainement !

***

Comme dans la plupart des villages de France, il y a un bar-café et ce lieu est généralement pris d’assaut dès que sonne l’heure de l’apéro. Il y a les clients qui se retrouvent au zinc par le hasard d’une rencontre et ceux que l’on rencontre là, comme par hasard ! Tous font face à leur ballon de vin blanc ou leur demi de bière discutant et refaisant le monde dans un brouhaha étourdissant.

Au comptoir, les hommes parlent de plus en plus fort au fur et à mesure des tournées qui s’accumulent. Dans le coin au fond de la salle, deux tables ont été assiégées par une autre clientèle, tout aussi bruyante. Ce sont les jeunes du collège voisin s’esclaffant autour de leur téléphone portable et de leurs jeux électroniques.

À côté de ce tintamarre, le long de la petite baie vitrée, quelques tables sont occupées par les employés plus calmes de l’agence bancaire et ceux des services de la poste qui viennent prendre leur déjeuner de midi.

Un peu à l’écart, M. Ducros, l’adjoint au maire, est attablé en compagnie de son ami, le brigadier-chef Manec, et du jeune clerc de notaire, M. Jallard. Ces trois-là se sont rencontrés lors du dernier tournoi de boules que le comité des fêtes de la commune avait organisé. Ils se connaissaient de vue depuis longtemps, mais cet après-midi-là leur avait permis de constater qu’ils pouvaient s’intéresser à des sujets similaires malgré leur différence d’âge et leur fonction. En plus, ils avaient gagné le concours ! L’adjoint au maire dépassait les soixante-dix ans, alors que le gendarme en comptait à peine cinquante et le jeune employé notarial affichait fièrement ses vingt-six printemps.

— À propos, Ducros, il paraît que Valardier va se faire réopérer ? demanda Manec. 

— Oui, ils doivent partir début octobre. Je leur ai trouvé quelqu’un pour garder leur villa, une Lyonnaise. Apparemment, elle n’a pas l’air désagréable d’après Derick. C’est une veuve d’une quarantaine d’années.

— J’espère qu’elle n’a pas besoin de beaucoup d’argent, celle-là !

— Pourquoi ? demanda le jeune clerc. Les Valardier n’aiment pas sortir leur argent ?

— Tu le demanderas à ton patron !

— Manec, vous êtes mauvaise langue ! Et de mauvaise foi ! On ne peut pas reprocher à Derick de retenir ses sous, c’est un économiste hors pair ! Et un bon patron, ses employés ne s’en sont jamais plaints !

— Peut-être, il s’est surtout montré très généreux avec ses maîtresses ! La pauvre Gwen… elle n’a pas été toujours bien considérée par son mari… Et son frère, le Marc ? Qu’est-ce que vous en dites ? Vous en parlez de la même manière ? Lui aussi, vous le considérez comme une personne charitable ? Cette espèce de Don Juan de pacotille ! Vous avez oublié les deux filles, celle qui a été retrouvée étranglée et violée, et l’autre demoiselle qui a disparu ! Et comme par hasard, le beau Marc Valardier se trouvait dans les parages à chaque fois.

— Ce sont de vieilles histoires, pourquoi les ressortez-vous ?

— Vous l’avez toujours défendu, Ducros ! Je n’arrive pas à vous comprendre !

— Moi non plus je ne vous comprends pas, Manec ! Oubliez un peu ! C’est du passé ! Ça fait, quoi ? Trente, quarante ans ? Et puis entre-nous, vos collègues de l’époque n’ont jamais pu prouver son implication. Laissez ce pauvre Marc en paix ! D’ailleurs, est-ce que la belle demoiselle Leclerc, celle qui a disparu à l’époque, n’est pas partie de son plein gré avec un petit-ami, celui de Quimper par exemple ? Et est-ce que les bijoux tant réclamés par la famille Leclerc ont même existé ?

— Que s’est-il passé il y a trente ans ? J’aime bien les vieilles histoires, vous me les racontez, brigadier ? Dans les campagnes, ça prend généralement des proportions exagérées et j’adore ça !

Ducros, gêné, regarda le brigadier et se tourna vers le jeune Patrick.

— Tu sais petit, il y a des choses qu’il vaut mieux laisser dormir.

— Oui, d’accord… reprit le brigadier, l’enquête qui avait été réalisée en 69, présente quelques anomalies à mon sens. Tiens, le témoin par exemple, celui qui a accusé Valardier, je suis persuadé qu’il n’a pas tout dit, ou alors, il manque une partie de sa déposition dans le dossier ! N’empêche…

— Vous voyez bien que vous accusez Marc Valardier sans raison.

— Personne ne me l’enlèvera de la tête Ducros, c’est lui ! Il a été interrogé dans les deux affaires…

— Et il laisse les preuves chez lui, c’est ça ! Les gendarmes n’ont rien trouvé de précis. Quant à avoir caché les effets personnels de la disparue dans sa chambre, je n’y crois pas, quelqu’un les y a mis intentionnellement. Il était intelligent Marc, il n’aurait jamais laissé autant d’indices derrière lui s’il avait été impliqué !

— Alors ! Vous me racontez l’histoire ? insista le jeune clerc.

— Les bijoux, en cherchant bien, on devrait les trouver dans leur cave aux Valardier ! reprit Manec sans répondre aux relances de leur jeune compère.

— Brigadier ! Les gendarmes y sont allés à plusieurs reprises, ils ont fouillé dans toutes les dépendances, ils ont même retourné la terre du parc, ils n’ont rien trouvé ! À part leur bobine de ficelle, que tous les gens du coin possèdent d’ailleurs chez eux !

— Et pourquoi votre Marc s’est-il suicidé en prison, alors ? S’il n’avait rien eu à se reprocher ! Pff ! Bon, ce n’est pas tout, madame Manec va encore rouspéter si je ne rentre pas avant treize heures !

— C’est bien connu, brigadier-chef, ceux qui commandent au boulot, se font tout petit dès qu’ils rentrent chez eux !

— Attends gamin ! Tu verras quand tu seras marié. Ris maintenant, tu riras moins après !

Manec se leva, laissa quelques pièces sur la table et se dirigea vers la sortie tout en saluant le tenancier du bar d’un signe de la main et remettant son képi de l’autre.

— Je ne voudrais pas de Thérèse Manec chez moi. Quelle femme désagréable !

— Je ne la connais pas, je ne peux vous confirmer votre point de vue.

— Oh, tu as dû la rencontrer à maintes reprises, c’est une grande excitée et avec son maquillage, on peut la repérer à des dizaines de kilomètres ! Mais, comme elle n’a pas ton âge, tu ne t’en es pas soucié.

— Il a l’air d’en vouloir aux Valardier, le brigadier !

— Il n’y a pas que lui malheureusement. Marc Valardier était vraiment un bel homme, il avait beaucoup de succès auprès des femmes, même avec les mariées, et la plupart des maris trompés ne l’appréciaient pas, comme tu peux le comprendre !

— Que s’est-il passé ?

— Cela doit remonter aux années 68 ou 69. Il y a eu deux faits divers en quelques mois d’intervalle. Pour une petite ville comme la nôtre, c’est exceptionnel ! Tout le monde en parlait et il se disait tout et n’importe quoi ! Tout d’abord, il y a eu la découverte d’un corps dénudé d’une fille près de la propriété Valardier, dans le marais, en début d’année. Elle avait été violée, étranglée et laissée sur place. Et puis l’autre affaire concerne une fille Leclerc. Marc la fréquentait malgré la différence d’âge, elle devait avoir sept ans de moins que lui. C’était une belle nana et un sacré énergumène ! Le genre de fille qui « n’a pas froid aux yeux » si tu vois ce que je veux dire. Elle a disparu ainsi que soi-disant tous les bijoux de la famille Leclerc. Un témoin aurait aperçu Marc. D’après lui, le soir de la disparition, il aurait escaladé le portail de la propriété des Leclerc et en repartant, il portait un sac à la main. Sa déclaration étayait ce qu’il aurait vu avec beaucoup de détails, autant sur le bonhomme que sur ce qu’il transportait et l’objet correspondait en tous points aux descriptions données par la famille Leclerc.

— Et le Marc n’a pas contesté ? Et si les bijoux ont disparu en même temps, c’est que la fille est partie avec ! Vous ne croyez pas ?

— C’est bien ce que nous avons pensé. Mais les gendarmes, quand ils ont fouillé la villa des Valardier, ont retrouvé un mouchoir avec les initiales HL. La fille Leclerc se prénommait Hélène. Il était taché de sang. Ils ont découvert également un bracelet en or. Les parents auraient reconnu la gourmette de leur fille et puis évidemment le sac. Cela a été suffisant pour inculper le pauvre Marc. De plus, au cours de la perquisition, ils sont tombés sur une pelote de ficelle, de même type de fibre que celle retrouvée sur le corps de l’autre nana, la morte du marais. Ils ont arrêté Marc, l’ont accusé du meurtre de la petite Théalier, de l’enlèvement et du meurtre présumé de la belle Leclerc, et l’ont mis en garde à vue. Que s’est-il passé à la prison ? On n’a rien su. Simplement, un matin, ils l’ont retrouvé sans vie, il s’était pendu aux barreaux de la fenêtre de sa cellule.

— Et l’enquête a été abandonnée ?

— L’avocat des Valardier a réussi à obtenir un non-lieu pour la disparition de la belle Hélène. J’ignore les résultats de l’enquête sur le dossier de la morte.

— Marc en serait l’auteur à votre avis ?

— Jamais de la vie ! Marc était vraiment un gars serviable, il détenait une très bonne réputation à la brigade des pompiers dont il faisait partie en tant que volontaire. Il aimait courtiser les femmes certes, il sautait sur toutes les occasions pour draguer, mais jamais il ne leur aurait fait de mal ! Il était vraiment bien ce garçon.

***

3

Au domaine Valardier, la période d’essai se déroulait sans encombre, la satisfaction se lisait aussi bien dans les yeux de Dany que dans ceux des propriétaires des lieux. La nouvelle gardienne s’était tout d’abord intéressée aux travaux domestiques en compagnie de Gwen puis elle s’était enrichie des conseils avisés de Derick dans les différents ateliers de la propriété.

Ensemble, les deux femmes avaient ensuite commencé à redonner un aspect plus ordonné au jardin. Les allées avaient été nettoyées, les rosiers s’étaient vus soulagés de leurs bois morts et d’une bonne partie de leurs drageons. Le potager resplendissait dans sa nudité. Il paraissait irréel à côté du reste de la propriété qui derrière la haie d’arbustes, ne représentait qu’un immense taillis où s’enchevêtraient ronces, orties et fougères sous des arbres étranglés par des lierres grimpants. Au fond de cette mini forêt, il y avait une maisonnette enfouie sous la végétation et sous les ramifications d’une vieille vigne sauvage. Et pas très loin de cette bâtisse, il y avait dans le mur de clôture cachée par les buissons, une porte en bois qui de toute évidence, n’avait pas été ouverte depuis des décennies. Mais ni Derick ni Gwenn ne lui avait donné de consignes et ils agissaient en ignorant purement et simplement ce coin de leur propriété. Dany n’osait pas poser de questions.

Les jours passèrent et les époux Valardier lui laissèrent enfin les clefs du domaine. Elle en devenait la seule occupante et la maîtresse incontestée. Seul Yorick, le fils aîné, pouvait passer à n’importe quel moment. Il pouvait séjourner avec son épouse Célie et leur fille Leslie pendant les vacances scolaires par exemple, ou lors de week-ends prolongés comme cela c’était déjà présenté en septembre et octobre. Le reste du temps, Dany demeurait seule dans cette villa, libre d’établir son ordre du jour, de remplir son emploi du temps et de fixer ses objectifs tout en respectant son cahier des charges.

Elle explora à nouveau le parc et répertoria les travaux restants à effectuer, ceux qu’elle pouvait réaliser et les autres. Le mur d’enceinte était par endroit en très mauvais état et même partiellement démoli. Elle repensa alors à son grand-père. Elle le revoyait en train de lui montrer comment l’on montait un mur et de lui expliquer avec beaucoup de patience, les différentes méthodes. Il aurait exulté face à ce mur de pierre, et surtout avec elle à ses côtés. Elle sentit son cœur se serrer, il lui manquait son papy Gabi. Comme tous ces êtres d’ailleurs qu’elle avait aimés et qui étaient partis pour toujours, ses parents morts dans un accident de voiture et Vincent qui lui, avait été abattu sur son lieu de travail.

« Pourquoi êtes-vous partis, tous ? Et toi, Vincent, pourquoi t’ont-ils tué ? Tu me manques, Vince. Tu as été le plus beau rayon de soleil de ma vie. Jamais je ne t’oublierai. ».

Le tintement d’une cloche d’église la sortit de ses sombres pensées. Elle regarda autour d’elle et poursuivit son inspection, essayant de laisser de côté ses blessures et de ravaler les larmes qui commençaient à poindre.

En escaladant les éboulis, elle se retrouva de l’autre côté du mur, le long du marais. En le longeant, elle arriva vers le bord de la route principale. Là aussi, il y avait des ronces et des arbustes qui s’agrippaient au mur d’enceinte. Les employés municipaux avaient nettoyé le petit fossé, mais avaient laissé le reste à la charge du propriétaire de la clôture.

En face du domaine, de l’autre côté de la route, une jolie haie d’hortensias bleus délimitait le jardin d’une petite maison qui longeait la rue. Une femme en tablier fleuri secouait des tapis sur le trottoir. Dany répondit à son salut par un sourire et un signe de la main, un peu gênée d’être apparue ainsi au milieu des pierres et de la végétation.

Derrière les vitres de la maison, elle aperçut une femme aux cheveux blancs. Elle portait de grosses lunettes. Elle était assise, les yeux penchés sur un ouvrage ou un livre, ou alors, elle était endormie laissant tomber sa tête sur sa poitrine.

Sur la gauche le long de la route, il y avait d’autres maisons, elles paraissaient inoccupées. À droite, le village tout en longueur s’étalait de chaque côté de sa rue principale.

***

Les jours passèrent sans qu’elle s’en aperçoive. La remise en état du mur d’enceinte lui prenait une bonne partie de son temps et de son attention. Elle se sentait bien dans cette propriété.

— Allo ! Dany ? Je peux venir passer les vacances avec toi ? 

— Mais qui m’appelle ? Qui veut venir avec moi ? Je ne reconnais pas cette petite voix, serait-ce Mlle Leslie ?

— Oui, c’est moi ! Je peux venir ?

— Bien sûr ! Tu peux venir quand tu veux ! Tes parents t’accompagnent ?

— Je te passe ma maman ! Merci, Dany.

— Bonjour, Dany. Excusez Leslie, d’abord parce qu’elle vous tutoie et ensuite parce qu’elle s’invite toute seule. J’ai eu le malheur de lui dire qu’il faudrait téléphoner avant de prendre une décision, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde !

— Elle peut venir si elle veut. Quant à me tutoyer, je lui ai donné mon autorisation le week-end où vous êtes passés ! Quand pensez-vous venir ? Je prépare vos chambres pour la fin de semaine ?

— Oui, pourquoi pas ? Je n’en ai pas parlé à Yorick. Prendre des jours de repos avant le rush des fêtes de fin d’année, ce serait bien. Je vous rappellerai ce soir pour vous le dire.

Leslie et ses parents débarquèrent quatre jours plus tard.

La maison avait fait l’objet de soin tout particulier. Dany avait veillé à dépoussiérer les meubles, aspirer les parquets et tapis, aérer les chambres et préparer les lits. Le salon, lui aussi, avait repris vie. Elle ne s’y rendait pratiquement jamais, elle préférait passer ses journées dehors, dans le parc et ses soirées dans les ateliers. Depuis le départ de M. et Mme Valardier, la télévision n’avait pas été allumée, la cheminée n’avait pas été mise en chauffe et aucun ménage n’avait été fait dans cette pièce.

— Bonjour, Célie ! Vous avez bien dormi ?

— Oui. Bonjour, Dany. Il n’y a aucun bruit ici, c’est très agréable. Aucun son, à part les ronflements de mon cher et tendre mari !

— B’jour, Dany ! T’as pensé à mes céréales ? claironna une petite voix en entrant dans la cuisine.

— Allons, Leslie ! Sois polie ! Dany n’est pas au domaine pour être à ton service, tout de même !

— J’ai pensé à tes céréales, Leslie. Tu les trouveras dans le placard à droite. La dernière fois que vous êtes venus, j’ai essayé de noter vos goûts à tous les trois, concéda-t-elle en se tournant vers la jeune Mme Valardier.

— Merci, Dany, c’est gentil de votre part.

La fillette s’était précipitée sur le paquet tout neuf et s’en servit un bol avec un peu de lait. Une fois le récipient vidé de son contenu, elle s’empressa de le déposer dans l’évier et de sortir de la maison pour rejoindre le chien de la famille. Ils réapparurent quelques minutes plus tard dans la cour. Leslie traînait une ficelle derrière elle et le boxer jappait et courait après ce leurre improvisé.

— Arrête de faire aboyer ce chien ! s’écria son père par la fenêtre de la cuisine. Fais-le courir plus loin, mais surveille-le, qu’il n’aille pas pourchasser les ragondins du marais et surtout qu’il n’aille pas sur la route !

Il referma la fenêtre et se retourna vers les femmes.

— Bonjour, mesdames ! J’ai passé une excellente nuit.

— C’est très calme ici, répondit Dany. Que voulez-vous ? Du café ? Du thé ?

— Je vais prendre du café. Mais ne vous dérangez pas, je vais me servir. Alors, qu’avez-vous réalisé de nouveau depuis la dernière fois que nous nous sommes rencontrés ? J’ai aperçu le jardin hier au soir quand nous sommes arrivés, mais il faisait nuit. Il avait l’air impeccable !

— J’ai essayé de planter quelques légumes d’hiver, mais j’ai peur que nous soyons trop avancés dans la saison.