Surtout, ne dis rien ! - Marie Noëlle Gaumy - E-Book

Surtout, ne dis rien ! E-Book

Marie Noëlle Gaumy

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Beschreibung

Annie, retraitée depuis peu, décide de quitter son Auvergne natale pour démarrer une nouvelle vie. Elle veut surtout fuir son passé, oublier tous les appels téléphoniques et les menaces incessantes dont elle est victime. Elle ne veut plus que son pouvoir de médium lui gâche la vie. Ce n’est qu’un problème de volonté, se dit-elle. Il suffit de répéter sans cesse la maxime : si tu vois, si tu entends, ne dis rien, surtout, ne dis rien !
Pourra-t-elle respecter cette résolution face à la ténacité du Commissaire Loverini ?

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Marie Noëlle Gaumy

Surtout, ne dis rien !

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marie Noëlle Gaumy

ISBN : 979-10-377-2508-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

Assise face à l’océan, son regard se perd dans les méandres de l’eau. Une légère brise lui caresse le visage faisant virevolter ses cheveux devant ses yeux. Elle s’abandonne au va-et-vient des vagues et laisse ses pensées divaguer au gré du vent.

Ici, personne ne la connaît. Personne ne la hait. Personne ne la traque. Elle se sent bien.

Aucune vision désagréable n’est venue la perturber depuis qu’elle séjourne sur cette côte bretonne. Son nouveau téléphone ne lui envoie pas de mails haineux ou proclamant vengeance. Tout cela fait partie du passé.

Maintenant, c’est décidé, si elle perçoit, ne serait-ce qu’un gémissement dans le coffre d’une voiture comme à Collioure, ou si elle voit un cadavre dans un sac enfoui sous cinquante centimètres de terre au milieu d’un bois, elle ne dira rien ! Rien. Ainsi, elle ne sera plus la cible de moqueries et de suspicions de la part des policiers ni de représailles de la part des assassins et de leurs familles.

Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. Surtout ne rien dire !

Oui, surtout ne dis rien !

Telle est la maxime qu’elle a décidé d’adopter.

***

La marée va bientôt atteindre son plus haut niveau de la mi-journée. Son siège de granit sur lequel elle a pris place va inexorablement disparaître sous cette masse liquide. Déjà, l’écume laiteuse avance vers elle et vient mourir à ses pieds. La plage ne sera plus qu’un bandeau de sable, bordée d’une frange mouvante envahie d’algues vertes arrachées du fond des abysses où de jeunes crabes insouciants vont trouver refuge et servir de repas à quelques goélands ou mouettes affamés. Annie regarde le ballet incessant de ces grands oiseaux de mer qui plongent sans arrêt sur cette manne à un rythme rapide et impitoyable.

Il fait bon en ce mois d’octobre. La grève est pourtant déserte. Seules deux jeunes femmes, de l’eau jusqu’à la taille, marchent en longeant la plage dans un sens puis reviennent à leur point de départ tout en discutant et pagayant avec leurs bras. En haut de la digue, un groupe de joggeurs apparaît. Ils descendent les marches et se retrouvent près de l’eau en un rien de temps. Le trio passe devant elle en petites foulées. Ils sont athlétiques et bronzés dans leur tenue de sport dernier cri. Un chien de couleur crème galope fièrement à leurs pieds. Tous les quatre s’évanouissent rapidement à l’autre bout de la plage au milieu des rochers, abandonnant derrière eux pour quelques instants encore, leurs empreintes dans le sable humide.

Légèrement engourdie, Annie se lève et reprend sa marche matinale, l’ultime sport qu’elle pratique depuis qu’elle est à la retraite. Elle n’a jamais aimé les activités sportives hormis bien sûr les cours de gymnastique hebdomadaires avec ses anciennes collègues. Ces moments, où se mêlaient petits sauts, élongations, fléchissements, roulades et fous rires, n’étaient pas très sérieux et évoquaient plus de l’amusement que de vraies séances de sport. Ces rendez-vous des jeudis soir lui ont permis, cependant, de préserver sa silhouette plutôt bien conservée pour son âge.

Cela fait une semaine qu’elle parcourt sans relâche les annonces immobilières à la recherche d’un nid douillet, avec vue sur la mer, proche des commerces et d’un coût abordable. Elle a déjà visité plusieurs maisons mais aucune d’entre elles ne l’a séduite. Pour certaines villas, le coût des travaux de rénovation dépassait largement son budget, et pour d’autres, leur isolement ou au contraire leur imbrication dans un agglomérat de vieux bâtiments les faisaient paraître, à ses yeux, lugubres ou effrayantes.

Elle regarde avec envie les villas accrochées à la falaise. Celles qui longent les quais du vieux port sont plaisantes aussi, ou bien celles au bord de la route qui contourne les criques avoisinantes. La petite dont la façade est ambrée par exemple, celle avec la véranda au premier étage, la remplirait de bonheur. Elle se verrait bien s’y installer, mettre son bureau et son ordinateur dans cet espace pour profiter de la vue tout en s’abritant du vent et de la pluie.

Toute à ses pensées, elle délaisse le sable fin et grimpe les quelques marches qui mènent au spacieux trottoir bitumé où plusieurs bancs invitent les promeneurs à une halte reposante et contemplative. Peu de véhicules circulent en cette saison. Tout le village est entré en hibernation. Seuls les deux restaurants, la boulangerie et le bar-tabac sont ouverts et vivotent doucement derrière leur vitrine. Les autres boutiques, celles de prêt-à-porter et de souvenirs en tout genre, ont baissé leur rideau de fer délaissant lâchement leur devant de porte aux aléas climatiques ou aux rares passants comme elle.

L’hôtel dans lequel elle est descendue se trouve le long de la rue principale, légèrement en retrait, face à l’océan. Sa chambre, au troisième et dernier étage, est agrémentée d’un balcon. Elle dispose également d’une kitchenette, ce qui rend son séjour extrêmement agréable. Cependant, l’établissement doit fermer pour rénovation le 10 novembre prochain. Il lui reste moins de trois semaines pour trouver un autre pied-à-terre temporaire ou, en croisant les doigts, définitif.

En montant les marches du perron, un éclat lumineux provenant des hauteurs du village attire son attention. Ce sont les vitres d’une maison qui renvoient la douce lumière orangée des rayons du soleil levant. Délaissant sa contemplation, elle se présente devant les portes coulissantes et pénètre dans le hall de l’Atlantic où le sympathique réceptionniste, cinquante ans bien tassés, lui sourit en la voyant entrer.

— Bonjour, Gabriel ! Je ne vous avais pas vu ce matin.

— Bonjour, madame Stozy. Il fait bon aujourd’hui ! Pourvu que notre soleil ne nous abandonne pas !

— C’est très agréable de se promener au bord de l’eau avec un temps aussi clément !

— On vous a réclamé pendant votre absence. C’était monsieur Guetton, l’agent immobilier. Il m’a demandé de vous remettre ce pli.

— Ah ! Merci.

— Si j’avais su que vous vous promeniez sur la plage, je le lui aurais dit, il avait l’air contrarié de ne pas vous avoir trouvée.

— Ne vous inquiétez pas ! Je devais de toute manière aller le voir aujourd’hui, peut-être me donne-t-il un autre rendez-vous.

Annie ouvrit l’enveloppe que le réceptionniste lui avait remise et déplia la feuille. Tout en lisant le mot, elle se dirigea vers l’ascenseur.

Le dernier étage de l’hôtel respire la sérénité. Elle doit être la seule cliente en cette saison à fouler ce tapis molletonné rouge foncé, parsemé de feuilles stylisées vert clair, et à passer le long de ces murs ornés de multiples tableaux, des marines pour la plupart. Elle s’enfonce plus loin dans le couloir. Tout respire le confort et la tranquillité. Elle est sereine dans cet hôtel.

Porte 309. Annie pénètre dans son mini appartement. D’après l’employée de service chargée de l’entretien, les propriétaires avaient fait abattre une cloison entre deux chambres pour réaliser cet espace de vie. Le studio propose à droite, près d’une baie vitrée, un coin détente avec deux fauteuils en tissu rouge. À gauche se trouve la mini cuisine en forme de fer à cheval avec, dans le retour, une table-bar et ses deux tabourets. Derrière une demi-cloison en verre on découvre le grand lit. Tout a l’air récent ici, que veulent-ils rénover ?

Annie troqua son survêtement blanc et ses baskets, contre un tailleur-pantalon beige à carreaux et une paire de mocassins noirs à talon plat. L’agent immobilier lui avait écrit qu’il voulait lui présenter plusieurs biens, elle devait donc s’attendre à parcourir un bon nombre de kilomètres et à monter une certaine quantité de marches. L’homme qu’elle avait aperçu dans les couloirs de l’agence il y a deux jours avait l’air sportif et il ne devait donc pas craindre d’arpenter toute la ville à pied !

Après un dernier regard dans le miroir de la salle de bain, une dernière retouche à sa frange en vue de cacher sa vilaine cicatrice au-dessus de la tempe, trophée de l’accident de Collioure, elle peut enfin sortir de sa tanière.

L’agence immobilière se situe à deux rues de l’hôtel. Au bout de trois minutes de marche, elle arrive devant la porte d’entrée. La vitrine est constellée d’affiches, d’annonces de maisons ou d’appartements à vendre ou à louer. Elle n’a pas le temps de lire et franchit le seuil d’un pas décidé.

— Bonjour, madame ! Puis-je vous renseigner ?

— Bonjour, mademoiselle ! Monsieur Guetton m’a demandé de passer à l’agence. Je suis madame Stozy Annie.

— Ah ! Madame Stozy ! J’ai essayé de vous joindre au téléphone, mais en vain… Nous avons dû nous tromper lorsque nous avons relevé votre numéro. Attendez, j’ai sur mes notes, le 07 81…

— Ne cherchez pas, c’est ma faute ! Je n’avais pas pris mon téléphone, sans aucun doute. Je l’oublie constamment, d’ailleurs vous voyez, je l’ai encore oublié ! Je ne m’en sers pratiquement jamais et la plupart du temps, il est éteint ou déchargé.

— Vous avez de la chance de pouvoir vous en passer ! Moi, je l’ai continuellement sur moi, je l’utilise pour tout, pour mes achats, mes photos, j’envoie des mails à longueur de journée, je ne sais pas comment je ferais si je ne l’avais pas !

— Vous, les jeunes, vous êtes nés avec un portable dans les mains.

— C’est une question d’habitude ! Je vais aller prévenir monsieur Guetton de votre présence. En attendant, voulez-vous un café, un thé ?

— Non, merci pour votre offre, je viens de déjeuner.

Annie s’installa sagement dans la salle d’attente aménagée face à la réception. L’agence est très lumineuse et accueillante. À droite des sièges, à côté de l’immense plante verte, se trouvent une fontaine à eau et sa discrète poubelle. À gauche, une petite table basse referme l’espace, elle est couverte de magazines et de brochures diverses.

— Madame Stozy, bonjour ! Hervé Guetton. Je suis passé à votre hôtel ce matin où je pensais vous trouver ! clama un homme souriant qui venait vers elle la main tendue.

— Bonjour, monsieur Guetton. Je suis désolée, avec le soleil qui pointait à l’horizon, j’ai eu envie d’aller marcher sur la plage pour prendre quelques photos.

— Vous avez bien fait ! L’hôtel se trouve sur mon passage, cela ne m’a pas gêné de vous laisser ce mot. Si vous voulez, dans un premier temps, je vais vous montrer sur le plan de la ville les emplacements des biens que je peux actuellement vous proposer. Nous allons nous installer dans mon bureau. Suivez-moi, madame Stozy !

Obéissante, Annie emboîta les pas de l’agent.

Il est grand, svelte et possède une démarche dynamique et très élégante à la fois. Il n’y a rien à dire, c’est un bel homme. Les quelques rides d’expression autour des yeux, les cheveux châtains coupés très courts et parsemés de fils d’or sur les tempes trahissent la quarantaine passée mais il n’en demeure pas moins un quadragénaire très séduisant ! Il porte une chemisette blanche, un pantalon de toile gris clair sur des tennis gris foncé. Après avoir ouvert la porte de son bureau, il l’invita à entrer avec un sourire des plus charmeurs.

— Installez-vous, madame Stozy ! Je reviens, j’ai oublié mon dossier sur le bureau de mon épouse.

Voilà, c’est dit ! Il est marié et bosse avec madame, au cas où tu aurais eu des idées ! Bien qu’à ton âge, des idées de drague soient à classer parmi les rêves les plus farfelus ou voir parmi les fantasmes, ma pauvre vieille ! Arrête de regarder ces bons hommes ! Inutile d’insister ! Tu cherches un logement avec vue sur la mer, un petit jardin éventuellement, proche des commerces, de gentils voisins… mais pas un mec ! De plus, qu’en ferais-tu ? Depuis six ans maintenant que tu vis seule, tu y es habituée ! T’es trop âgée pour te trouver un autre compagnon… ou alors regarde ceux parmi tes conscrits au moins ! Un, comme ton Lionnel, ton cher disparu, doux, calme, compréhensif, attentionné… un ami qui ne te rejettera pas si par malheur, tu as encore tes affreuses visions.

— Voilà ! reprit l’agent alors qu’il s’installait vivement derrière son bureau. Bon, compte tenu des critères que vous avez donnés à Sophie, j’ai sélectionné trois appartements et deux maisons. Tous ces biens se trouvent à peu près dans le même secteur sauf la maison bleue qui se situe légèrement plus loin et… bon, vous verrez sur place !

L’agent déplia sa carte sur le bureau et lui indiqua l’emplacement des différents sites retenus, bien entendu sur le papier, tous touchaient ou se trouvaient près du bord de mer.

— Tous les appartements que nous allons visiter ce matin peuvent être occupés immédiatement ! Vous recherchez un logement absolument dans le village ?

— Le coin me plaît, je me sens bien. En plus, les promoteurs ne l’ont pas encore dénaturé par des constructions pour vacanciers.

— Malheureusement, quelques projets immobiliers font grincer les dents de certains mais, pour l’instant, ils n’en sont qu’aux discussions et projections. Ce que je voulais savoir c’était si vous vouliez absolument trouver sur la ville elle-même ou si je pouvais prospecter en dehors.

— Vue sur la mer, sur les vagues qui viennent mourir sur le sable et qui frappent les rochers, sur les bateaux qui partent affronter l’océan ou qui en reviennent !

— Vue sur la mer. C’est le critère principal ?

— Oui. Euh… le budget demeure également un poste important, il est un peu limité !

— J’entends bien ! Bon, pour aujourd’hui, je vous montre ma sélection. On y va ?

— C’est parti, je vous suis, monsieur Guetton.

Ils marchèrent côte à côte à un bon rythme. Elle avait bien fait d’opter pour des chaussures plates, à l’allure à laquelle ils remontaient la grande rue, des talons lui auraient déclenché un mal de dos insupportable ! Avec les années qui passent, le corps ne répond plus de la même façon aux tortures qu’on lui fait subir.

— Je marche trop vite ? Je ralentis un peu si vous voulez !

— Ça va, j’arrive à vous suivre. J’étais justement en train de me dire que j’avais fait le bon choix en prenant mes vieux mocassins.

— Oui, très bon choix en effet ! dit-il en riant après avoir jeté un très rapide coup d’œil sur lesdites chaussures. Voilà, nous arrivons au premier appartement. C’est dans cette rue à 100 mètres de la mer, dans cet immeuble des années 60. Le bâtiment a subi d’importants travaux de rénovation, l’entrée est sécurisée par un code d’accès et un nouvel ascenseur a remplacé l’ancien, il y a deux ans de cela. Tout est propre comme vous pouvez le voir. Nous allons au 3e, l’appartement est un deux-pièces avec balcon.

— L’entrée sécurisée, le hall, l’ascenseur… jusque-là, ça va ! Cependant, je doute un peu que l’on puisse avoir une vue sur la mer de l’appartement.

— Directe ? Euh… L’océan est à 100 mètres !

— Ce que je voudrais c’est pouvoir installer un bureau vers une baie vitrée ou une porte-fenêtre, face à la mer… mon inspiration est démultipliée quand je peux m’évader quelques minutes devant un paysage agréable, tel un coucher de soleil par exemple. Une baie vitrée face à un tel panorama, ce serait le rêve pour moi !

— Bon. Que décidons-nous ? Nous entrons ?

— Bien sûr, nous sommes devant la porte !

— Voilà… Après ce petit hall d’entrée, vous avez ici à votre droite la salle d’eau, ensuite c’est la chambre à coucher avec son placard mural, là c’est la pièce à vivre et enfin la cuisine et son balcon.

— C’est petit et tout est à relooker ! Le balcon est accessible que par la cuisine et en plus, il est minuscule !

— Bien ! Pas de problèmes madame Stozy ! C’était le premier bien de ma liste ! dit doucement l’agent ayant compris que les locaux ne correspondaient pas aux attentes de sa cliente.

— L’immeuble est impeccable mais l’appartement a besoin de rénovations ! Les papiers datent des années de la construction ! Non, désolée, il ne me plaît pas du tout !

— Pas de soucis. Nous allons poursuivre nos visites, reprit l’agent en refermant la porte. Ensemble, ils rejoignirent la rue principale et poursuivirent toujours d’un bon pas leur quête.

— Vous me dites que vous voulez mettre votre bureau face à la mer, quelle activité exercez-vous ?

— J’écris des romans. Enfin, j’ai réussi à faire publier quelques romans policiers dont l’un a eu du succès et l’éditeur me demande d’écrire une suite avec les mêmes personnages. Le premier livre aurait séduit de nombreux lecteurs qui attendent avec impatience, selon lui, les nouvelles aventures de mon héroïne !

— Je n’avais pas ce détail sur ma fiche ! J’en prends note. Nous arrivons à notre prochain arrêt. C’est dans cette rue. Face à l’immeuble, le petit parc que vous apercevez sur votre gauche permet d’avoir une vue dégagée sur la mer.

— Effectivement !

— C’est au-dessus de ce bar-restaurant, au 3e. Nous entrons par cette porte. Pardon, je passe devant vous.

— Je suppose que c’est le restaurateur qui dépose ses casiers et ses bonbonnes de bières vides dans ce couloir. Il est déjà étroit et sombre !

— Deuxième mauvais point de la journée ! dit l’agent en souriant sans aucune animosité.

— Excusez-moi, je suis très peureuse.

— À partir du 1er étage, les escaliers sont mieux éclairés. Le gérant du bar occupe l’appartement du 1er, le second est celui de sa mère si je ne me trompe pas, ou l’inverse !

— Le troisième lui appartient également ?

— Oui. C’est un homme tout à fait charmant ainsi que son épouse d’ailleurs. Voilà, si vous voulez bien entrer !

— Ouah, c’est vieillot ! marmonna Annie en découvrant le mini couloir d’entrée de l’appartement.

— Les pièces sont plus grandes ici. La cuisine, le salon, la chambre et la salle d’eau, il fait en tout 65 m². C’est très grand pour un F2.

— On aperçoit effectivement la mer à travers les arbres. Cela doit être bruyant les soirs avec le bar en dessous !

— L’appartement a été mis aux normes, chauffage individuel au gaz, double vitrage qui atténue toutes nuisances sonores et diminue les perditions de chaleur. Très peu de charges au niveau de la copropriété.

— Non, désolée. Il ne me convient pas. J’aurais trop peur la nuit si je rentre tard. Et puis je ne me sens pas bien dans ces locaux.

— Je comprends, pas de problème Mme Stozy !

En sortant de l’immeuble, un individu au visage rouge et bouffi les interpella. Apparemment, il venait de quitter le bar et semblait déjà ivre à 10 heures du matin !

— B’jour, ma p’tite dame ! Z'avez pas une pièce ou deux ? Hé ! M’sieur ? 1 € ou 2 lança l’homme d’une voix rauque.

— Désolé, mon brave ! Nous n’avons pas de monnaie sur nous ! dit l’agent immobilier tout en s’interposant entre l’ivrogne et sa cliente, tel un garde du corps protégeant une star.

— Et vous auriez voulu que j’habite ici ? lui murmura Annie.

— C’est Albert, il ne ferait pas de mal à une mouche, mais quand il est ivre, il est un peu agaçant.

— Peut-être ! J’ai horreur de ces personnages et en plus il ne doit pas être seul dans son cas par ici.

Laissant l’homme éméché derrière eux, toujours agrippé à son lampadaire et la main tendue dans leur direction, l’agent entraîna Annie vers la rue principale. Trois cents mètres plus loin, ils entrèrent dans un nouveau bâtiment : la résidence des Flots Bleus.

— Cet immeuble date de 2005. Nous nous rendons au second étage. Comme vous pouvez le noter, il est doté d’un ascenseur et une personne est chargée de l’entretien des parties communes. Bonjour, madame Le Guillou ! Vous allez bien aujourd’hui ?

— Messieurs-dames, bonjour ! Si vous prenez les escaliers, faites attention, je viens juste de les laver, ce ne doit pas être encore sec !

— Nous allons prendre l’ascenseur, alors !

— C’est gentil à vous. Bonne journée messieurs-dames !

— Bonne journée à vous aussi !

L’ascenseur étroit sent le désinfectant et ses portes s’ouvrent et se referment avec une lenteur énervante.

— Les charges ici sont plus élevées.

— C’est un deux-pièces ?

— Euh… oui, d’après ma fiche. Je ne le connais pas encore ! On vient juste de nous le confier. C’est un F2 avec balcon, chauffage individuel au gaz, place de parking, bon état général.

L’ascenseur poussif s’arrêta enfin et ils découvrirent un couloir sombre et interminable, sans charme. Après une hésitation, l’agent se dirigea à droite et stoppa devant la dernière porte.

— C’est ici !

— Combien y a-t-il d’appartements dans cette résidence ?

— Au total, je l’ignore. Au 1er, on compte une dizaine de studios qui sont occupés principalement par des célibataires ou restent fermés en basse saison et loués l’été aux vacanciers. À notre étage, la plupart des logements sont des F3 et des F2, au-dessus ce sont de grands F4, et au quatrième, la surface du bâtiment est occupée par trois logements seulement, avec de grands espaces arborés… Eux, c’est sûr, ils doivent avoir une vue sur la mer exceptionnelle ! Mais ils ne sont pas à vendre, du moins dans mon agence !

— Ils ne doivent pas non plus répondre à mes critères ! Et puis, avec une telle superficie, je me sentirais obligée de faire venir du monde pour combler l’espace et pour éviter de m’ennuyer. Et aussi, de prendre des employés de maison pour le ménage, dit-elle en riant. Ils doivent être immenses ces locaux !

— Oui, en effet. Voilà, j’ai trouvé la bonne clef ! Comme je vous l’ai déjà dit, je ne connais pas ce bien, je vais le découvrir en même temps que vous. Si vous voulez entrer.

— C’est vraiment un F2 ?

— Oui, selon la description de ma collègue, il a une cuisine entièrement équipée : exact, murmura l’agent après avoir vérifié. En bon état : oui, mais un peu ancien comme équipement ! Ensuite, un salon-salle à manger avec une porte-fenêtre donnant sur un balcon : exact, en plein courant d’air cependant !

— Elle est petite la cuisine, on ne peut même pas mettre une table ! Et elle est tout en longueur ! C’est la salle à manger ? Ils auraient pu refaire les papiers ! Et la vue sur la mer ? Vous devez vous dire que je suis un peu ennuyeuse ?

— Je préfère que ma cliente soit franche comme vous, mais effectivement, vous êtes… comment dire…

— Chiante ?

— Non ! répondit l’agent en éclatant de rire. Ce n’est absolument pas le terme que je cherchais. Je vous trouve très sympathique et je pense comprendre ce que vous souhaitez. Déterminée ! Voilà, c’est le mot que je voulais : vous êtes très déterminée. En fait, vous recherchez un lieu de vie simple, confortable, sécurisé, dans un endroit calme, et ayant une vue directe sur la mer pour pouvoir travailler face à elle.

— C’est bien ce que je vous disais « je suis chiante ».

— Non, vous savez ce que vous voulez ! Maintenant que je vous connais mieux, je vais poursuivre mes investigations et vous trouver la maison ou l’appartement idéal, déclara l’agent en souriant.

— Vous avez vu ? Le balcon donne sur l’immeuble voisin. Peut-être que si le voisin ouvrait sa vitre, dans le reflet on pourrait voir la mer !

— Vous êtes dure avec moi ! Mais effectivement, vous avez raison, nous devons nous pencher un peu pour l’apercevoir notre bel océan ! Bon, nous refermons les portes et volets, et nous allons à la découverte du prochain bien !

— Je suis désolée, monsieur Guetton, je comprends qu’avec mon budget, vous ne pouvez pas me proposer la maison ou l’appartement de mes rêves.

— Ne perdez pas espoir ! La prochaine visite va vous remonter le moral, bien que… j’aie un doute. Lorsque je suis allé vérifier le bien, il n’était pas très présentable. J’espère que le tuteur du propriétaire a fait ce qu’il m’avait promis. C’est-à-dire nettoyer et évacuer les meubles les plus vieux. Mais la situation de la maison, puisque c’est une maisonnette avec jardin privatif que nous allons explorer, va certainement compenser ce désagrément. Elle se trouve au bout de cette rue montante, dans un petit quartier assez sympathique.

— C’est une maison ? demanda-t-elle, un peu émoustillée par la présentation et la situation du bien.

— Tout à fait. La superficie est de 80 m² habitables, sur deux niveaux. Son propriétaire est en maison de retraite et ne pourra certainement plus revenir chez lui. Il n’a aucun héritier à ma connaissance. Ce pourrait être un bon plan ! Le tuteur ne parle que de la louer pour le moment. Il laisse les trois premiers mois sans loyers pour effectuer des travaux de peinture ou pose de papier peint si le locataire le juge nécessaire.

— Vous l’avez déjà proposée ?

— Vous êtes la première ! Je possède ce bien en agence que depuis une quinzaine de jours. Nous devons grimper jusqu’à la place du Calvaire. L’entrée principale se situe sur cette dernière, quant à l’arrière de la maison, son jardinet longe le chemin des Falaises. Vous connaissez ?

— C’est le chemin de randonnée qui suit toute la côte bretonne ?

— Exact ! Autrefois, ce chemin arrivait ici sur la grande plage par le petit sentier que l’on aperçoit sous les premières maisons, mais la falaise s’est effondrée à un endroit lors d’une tempête et un bout de chemin a disparu, on a dû barricader ce tronçon. Les promeneurs doivent passer par cette rue maintenant pour rejoindre la plage et reprendre ensuite l’autre partie du chemin des douaniers.

— Donc si je comprends bien, je devrais vérifier l’état de la falaise avant d’acheter, si l’achat est possible bien sûr !

— Bien vu ! Je n’y avais pas pensé !

— En été, le chemin côtier doit être très fréquenté, non ?

— Il est prisé tout au long de l’année, en été par les touristes et en hiver par les joggeurs, dont je fais partie !

— Vous êtes un adepte de la course à pied ?

— Dès que je peux.

— Pourtant avec votre métier, vous ne restez pas assis à longueur de journée derrière un bureau !

— Je suis un sportif invétéré.

— Oui, c’est ce que je constate ! Moi, je suis anéantie. Je n’ai pas l’habitude de faire de la marche aussi rapide et de plus en côte !

— Désolé, vous auriez dû me le dire que je marchais trop vite ! Je vais ralentir, de toute façon, nous arrivons. Vous verrez le chemin des Falaises est très agréable, les services de la mairie l’ont réaménagé il y a trois ans. De nombreux bancs sont mis à la disposition des marcheurs tout au long du parcours. Il est très plaisant ! Ah flûte ! J’ai oublié les travaux, nous allons devoir passer par la porte du jardin à l’arrière de la maison. Décidément ! L’entrée principale est normalement ce portillon que vous voyez là, de l’autre côté de la tranchée. Ils mettent les fils électriques sous terre en ce moment.

— On aperçoit une courette devant la maison, et derrière il y a aussi un espace vert ?

— Effectivement. Comment la trouvez-vous extérieurement ?

— Mignonne, plaisante. Le quartier est sympa. Je vois une petite supérette là-bas et puis d’autres commerces, on dirait.

— Oui, dans la petite rue en face, on trouve un bar, une boulangerie, un coiffeur, je crois. Venez, nous allons passer par cette ruelle pour accéder à notre entrée secondaire.

— Vous connaissez le propriétaire ?

— Oui. Il avait été mon prof de mathématiques au lycée. Il vivait seul et reclus dans cette maison depuis quatre décennies au moins, jusqu’au jour où le facteur, la seule personne qui devait lui parler d’ailleurs, l’a retrouvé inconscient dans son réduit à bois. Il est resté hospitalisé quelque temps et maintenant il est dans une résidence médicalisée. Aux dernières nouvelles, il est à moitié paralysé et aurait en plus la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, je ne sais plus. Cela fait deux ans que la maison est inoccupée.

Annie suivit l’agent dans l’allée bordée de chaque côté par de hauts murs. Ils arrivèrent sur le fameux chemin des Falaises, tournèrent à droite et s’arrêtèrent devant un vieux portail partiellement rouillé.

— Voilà, nous sommes arrivés. Je vous préviens, les mauvaises herbes ont envahi le pauvre jardin ! Vous voyez là-bas, à 30 mètres d’ici, c’est à cet endroit que la falaise s’est écroulée. En dessous, il y avait une sorte de grotte, on y allait souvent quand on était môme. Que de bons souvenirs dans cette caverne, nous nous prenions pour de grands explorateurs à l’époque ! C’est elle qui s’est en partie effondrée.

L’agent montrait l’autre côté du chemin où une barrière, formée de gros blocs de pierre, empêchait tout passage et derrière ce barrage, on apercevait un fossé. Le terminus de cette partie de chemin côtier était donc juste là, presque au coin du jardin de la maison !

— Il y a longtemps ?

— En 99. Depuis, la Mairie fait faire des contrôles très souvent, consolide ce qu’elle peut… Bon, je n’arrive pas à ouvrir ce portail ! Ah, voilà ! Je passe devant vous pour faire la trace.

— Pas très accueillant le jardin, effectivement !

— Le propriétaire ne jardinait pas beaucoup quand il vivait ici, alors maintenant qu’il n’y a plus personne, il est à l’abandon, c’est un peu normal !

— Il n’a pas trouvé de locataire depuis deux ans ?

— Le vieux, enfin je veux dire monsieur Verger, ne voulait absolument personne dans cette maison !

— Et il a changé d’avis ?

— Je suppose qu’il n’a plus la possibilité de s’y opposer, et le tuteur est bien obligé de trouver les fonds pour pouvoir payer les frais de la résidence médicalisée, il lui manquerait déjà plus de trois mille euros pour clôturer le dernier trimestre.

— Il a besoin d’un sérieux désherbage et… Vous avez entendu ? dit Annie soudainement… Trois mille euros, c’est le montant du loyer ? reprit-elle tout en restant aux aguets.

— Pardon ? Non, plusieurs milliers d’euros, c’est ce qu’il doit trouver, je suppose, pour honorer…

— Là ! Vous avez entendu ? Vous n’entendez pas ? On dirait des appels au secours ? Annie qui avait interrompu l’agent d’un signe de la main, s’était à nouveau arrêtée attentive aux moindres sons.

— Non, je n’entends rien !

— On dirait une gamine qui appelle au secours !

— Je n’entends rien, je vous assure ! L’agent se rapprocha d’elle et se concentra sur les bruits des alentours. Non, sincèrement, je n’entends rien. Vous dites des appels au secours ?

— Oui. On dirait que ça vient d’une cave ou d’un endroit enterré.

— Non, à part le bruit des vagues, je n’entends pas d’appels au secours. Des caves par ici, il ne doit pas y en avoir des tonnes ! Les maisons sont construites sur la falaise et c’est en partie du granit, donc pour creuser dans ce genre de matériau, ce n’est pas trop facile. Il existe bien quelques trous que les gens ont aménagés, mais…

— Pourtant, on dirait bien une gamine qui demande à son père de la laisser sortir… vous n’entendez vraiment rien ? Je ne rêve pas ! Pincez-moi le bras, s’il vous plaît !

— Je n’entends rien, non. Vous pincez ? Euh… Oui, si vous voulez, donnez-moi votre main !

— Je sens votre poigne donc je suis bien réveillée !

L’agent et Annie restèrent un instant sans bouger et sans parler, au milieu du jardinet, essayant de se concentrer, écoutant le moindre souffle, le moindre piaillement.

— Là, j’entends une voiture qui passe… ça, c’est une mouette…

— J’ai entendu la voiture, la mouette… là, c’est un chien qui aboie au loin… Je ne perçois plus les appels cependant.

— Ce doit être le vent dans les arbres qui vous a joué un tour !

— Non, le vent ne zozote pas et il ne demande pas à son père de sortir ! murmura Annie intriguée.

— Qu’est-ce que vous avez entendu exactement ? demanda l’agent soudain inquiet.

— Papa ! Lèze-moi zortir… au zecours ! Ze veut zortir ! Z’ai peur ! Papa ! Ze ferais ze que tu voudras ! Enfin, quelque chose comme ça ! Et puis elle semblait pleurer. Cela venait de là-bas, du fond du jardin… c’étaient à la fois des plaintes et des pleurs étouffés.

Guetton à son tour bouleversé par ces dernières révélations s’aventura dans les grandes herbes et se dirigea vers le lieu que sa cliente lui avait indiqué. Il ne trouva que la table ronde en ciment posée sur son promontoire en béton. Il ne vit aucune autre construction. Il jeta un œil dans la propriété voisine à travers les arbustes, il aperçut une pelouse parfaitement tondue avec quelques rosiers et une rangée d’hortensias non encore fanés. La maison était fermée, le soubassement ne présentait pas de lucarne. Il s’en retourna auprès d’Annie, ému, il ne savait comment réagir. Elle était restée figée au milieu des herbes, aux abois.

— Je n’ai vu aucune entrée de cave.

— C’est peut-être dans les maisons voisines. Je n’entends plus rien maintenant, le père a dû lever la punition. Je suis désolée ! J’en ai eu la chair de poule ! Bon, nous visitons cette maison ? Vous devez vous dire que je suis folle.

— Je ne pense pas du tout cela, mais je vous avoue que c’est assez troublant ce que vous m’avez dit ! Oui, nous allons poursuivre notre visite sinon à midi, nous serons encore là, plantés au milieu de ce jardin, reprit-il avec plus d’entrain. Voilà, nous sommes arrivés dans la courette de devant, le réduit à bois est ici, il sert également de zone de stockage pour les poubelles.

— Sympa comme entrée !

— Les escaliers du perron et les pierres qui entourent les ouvertures sont typiques de la région. En Bretagne, on utilise beaucoup le granit, par ici il est bleu ou gris, plus haut sur la côte vers Trégastel et Perros-Guirec, les pierres sont plus rosées.

Tout en parlant, l’agent ouvrit la lourde porte en bois de l’entrée. Il entra, actionna un interrupteur, mais le couloir resta dans le noir.

— Attendez-moi là, madame Stozy. J’ouvre les volets et nous pourrons visiter les lieux en toute sécurité !

Pendant que Guetton parcourait les pièces, Annie attendit patiemment sur la dernière marche du perron, toujours perturbée par les appels qu’elle avait entendus.

Ma pauvre Annie, voilà que ça recommence ! Est-ce encore l’une de tes hallucinations ou est-ce la réalité ?

Non, ces plaintes semblaient bien réelles.

Pourtant l’agent n’a rien entendu.

— Vous pouvez venir ! cria l’agent du fond du salon où il ouvrait la fenêtre en grand. Cette maison comporte au rez-de-chaussée une cuisine, une grande salle à manger avec cheminée, une buanderie et un coin toilette. À l’étage se trouvent deux chambres, une salle de bain, un débarras, continuait-il sans se soucier de savoir si sa cliente était venue le rejoindre ou pas.

En pénétrant dans le couloir de l’entrée, une étrange odeur vint assaillir les narines d’Annie. Elle reconnut les relents d’humidité, de renfermé, de vieux meubles, de poussière, mais surtout une odeur répugnante, celle de cadavre, similaire à celle de la morgue où l’on avait déposé le corps de son Lionnel après l’accident. Perturbée, elle n’entendit pas l’agent immobilier qui récitait toute sa litanie. Elle continua d’avancer et se figea net au pied des escaliers qui montaient à l’étage. Elle venait d’entendre des coups dans les cloisons, accompagnés de gémissements.

Non, ça continue. Non, Annie ne te laisse pas envahir par tes visions ou tes délires, ce n’est pas le lieu, ce n’est pas le moment, laisse tout ça au passé ! Ne recommence pas. Pas ici. Non, ma vieille, pas de ça. Tu es venue en Bretagne pour une nouvelle vie sans fantômes, sans apparitions, sans ces stupides voix venues d’ailleurs ! S’il te plaît Annie.

Tu ne vois rien, tu n’entends rien, tu ne dis rien !

Tu ne vois rien, tu n’entends rien, tu ne dis rien !

Tu ne vois rien, tu n’entends rien, tu….

— Ça ne va pas, madame Stozy ? Vous êtes toute pâle !

— Euh… oui… Que s’est-il passé dans cette maison ? questionna-t-elle malgré la maxime qui trottait dans sa tête deux secondes plus tôt.

— Ici ? Rien, du moins à ma connaissance. Pourquoi ?

— Cette odeur, cette ambiance…

— Elle est restée fermée pendant deux ans, elle a une odeur de renfermé en effet ! Vous voulez vous asseoir ? J’ai l’impression que vous allez vous effondrer. Entrez dans le salon, j’ai ouvert la porte-fenêtre en grand, venez respirer un peu d’air frais. Je vais aller vous chercher une chaise. Le tuteur a fait nettoyer cette pièce, heureusement, monsieur Verger y avait entassé un tas de journaux, de livres, et le canapé croulait sous le poids de vieux cartons d’emballage et en plus le pauvre sofa partait en lambeaux. La pièce est beaucoup plus agréable ainsi !

Annie fit un pas en direction des portes d’entrée du salon à la suite de l’agent, elle n’entendit pas ce qu’il débitait, elle se figea à nouveau… devant elle… était apparu la silhouette d’un homme maigre, en sueur, avec des cheveux châtains mi-longs, raides, collés à un visage anguleux et jaunâtre, il tenait une femme par le cou et la projetait violemment sur les pierres d’angles de la cheminée… la tête de la pauvre victime n’était que de la bouillie sanguinolente. Une vision presque réelle, seuls les bruits étaient absents.

— Tenez Mme Stozy, venez vous asseoir un moment sur la terrasse ! Vous tremblez, vous faites un malaise ? C’est notre marche rapide qui vous a fatiguée ? Vous auriez dû me le dire, j’aurais ralenti. Je suis désolé. Vous voulez que j’appelle un médecin ?

— Là, vers la cheminée… murmura-t-elle.

— Oui ? L’agent se tourna et examina le coin de la cheminée, mais ne remarqua rien d’anormal. Vous avez vu une souris ? reprit-il aussitôt.

— Peut-être, c’était certainement une petite souris, désolée… Je vais aller prendre l’air un moment.

Tu n’as rien vu, tu n’as rien vu… Ne dis rien ! Ne dis rien !

Hervé Guetton inspecta à nouveau autour de lui, mais à part quelques toiles d’araignées qui pendaient du plafond, il ne remarqua rien d’anormal. Décidément, cette femme l’inquiétait sérieusement et elle commençait à lui donner la trouille.

— Je vous assure, il n’y a rien eu dans cette maison à ma connaissance du moins ! Monsieur Verger y a toujours vécu, il est veuf depuis quarante ans et ne s’est jamais remarié. Il a perdu sa fille, enfin elle a disparu, c’est d’ailleurs à la suite de sa disparition que son épouse, madame Verger, s’est donné la mort en se jetant du haut de la falaise.

— Ce doit être l’odeur de renfermé qui m’a indisposée. Je suis désolée. Cela va mieux maintenant. Je vais continuer la visite en mettant mon mouchoir sur le nez.

— Je n’ai rien à vous offrir, pas même un verre d’eau ! Vous voulez que l’on remette la visite à un autre jour ?

— Non. Cela va déjà mieux. Je vous prie de bien vouloir m’excuser.

Annie poursuivit l’exploration des lieux, plus par politesse que par envie, écoutant les explications de l’agent tout en évitant de regarder en direction du salon. Pourtant en repassant devant, elle ne put s’empêcher de scruter la cheminée une nouvelle fois. Il n’y avait plus rien, les pierres étaient poussiéreuses, mais elles étaient vierges de toutes traces de sang. Au sol, il n’y avait aucun cadavre. Tout était normal. Le cœur battant, elle prit les escaliers derrière l’agent immobilier, prenant soin de ne pas toucher le mur.

Ne dis rien ! Surtout, ne dis rien ! Tu n’as rien vu, tu n’as rien entendu.

Lorsqu’ils arrivèrent sur le palier, ils furent accueillis par un couloir lugubre au revêtement de sol usé, le papier peint marron aux arabesques bizarres des murs est sale et déchiré par endroit.

La première porte qu’ouvrit l’agent leur dévoila une salle de bain. Annie la trouva étrange. La baignoire, posée sur des cales en bois, ne paraissait pas être à sa place sous la fenêtre, un meuble lui avait, semble-t-il, ravi son emplacement le long du mur carrelé. De plus, un tuyau flexible l’alimentait en eau et un autre plus gros en assurait l’évacuation, comme pour une machine à laver le linge. Les cales et ces deux éléments de plomberie rajoutés lui paraissaient saugrenus.

La chambre accolée à la pièce d’eau, d’aspect normal au premier abord, l’interpella et la rendit mal à l’aise. Son malaise s’accentua lorsque l’agent essaya d’ouvrir l’unique fenêtre. Cette dernière ne pouvait s’ouvrir entièrement, l’un des battants était bloqué par le montant du placard mural installé le long de la paroi de droite. La porte d’entrée ne pouvait elle non plus s’ouvrir complètement toujours en raison de ce même agencement. Un sommier recouvert d’un matelas taché et passablement défoncé occupait l’autre partie de la pièce, quant aux montants en fer de la tête de lit, le barreau central était strié et élimé à plusieurs endroits.

De l’autre côté du couloir, une autre porte leur dévoila une deuxième chambre, mieux équipée et plus accueillante. Les meubles en bois verni, d’un style suranné certes, étaient propres. La fenêtre, bien dégagée cette fois-ci, était pourvue de rideaux en macramé écru.

— Je suis désolée, monsieur Guetton, mais je crois que je vais être obligée de sortir. Cette maison est lugubre, il y a des craquements dans les murs et puis cette odeur qui plane, franchement, je ne me sens vraiment pas à l’aise ici.

Sans plus attendre, Annie reprit la direction de la sortie laissant le pauvre agent à ses volets et fenêtres. Il ne lui avait rien dit et l’avait regardée s’éloigner l’air un peu déconfit. À son tour, il scruta à nouveau les pièces de la maison, lui aussi avait senti cette odeur bizarre sans qu’il puisse discerner exactement ce dont il s’agissait.

Dans le jardinet, Annie ne s’attarda pas et sortit sur le chemin des Falaises rapidement. Elle alla s’asseoir sur l’un des gros blocs de pierre qui interdisaient l’accès à la partie effondrée du sentier. Elle ferma les yeux et essaya de reprendre ses esprits, de respirer doucement cet air frais et pur qui venait de la mer, vingt mètres plus bas. Cette maison avait été le théâtre d’un drame, elle en était sûre. Toutes les révélations qu’elle avait pu avoir jusqu’à présent dans sa vie s’étaient avérées exactes. Toutes, sauf celle de la gamine dans le sac en plastique noir de la forêt de La Châtre, elle n’avait pu le vérifier puisqu’elle n’en avait parlé à personne faute d’avoir osé affronter les réticences des autres, des gendarmes surtout. Aucune recherche n’avait donc pu être effectuée. Et puis ces appels dans le jardin, jamais jusqu’à maintenant elle n’avait entendu de voix aussi nettes. Pouvaient-elles provenir d’un poste de radio ou d’une télévision ? Oui, certainement. Il n’y avait pas d’autre explication.

Il faut te calmer, Annie ! Non, tu ne deviens pas folle. Reste calme. Tout va bien.

Respire cet air marin. Ce que tu sens c’est de l’iode, c’est l’air du large, c’est l’odeur de ces fleurs, de ces pins tortueux qui bordent le chemin.

Écoute ce doux murmure de la nature, c’est le souffle du vent dans les arbres, c’est le chant des vagues qui viennent frapper la falaise, c’est le gazouillis des oiseaux qui nichent aux creux des branches.

Tu es en Bretagne. Tout est calme. Tout va bien !

Non, ne crois pas en cette femme médecin de l’hôpital, ton esprit n’est pas altéré, ton accident de voiture n’a rien aggravé, tu as simplement beaucoup d’imagination et tu inventes comme pour tes romans, des histoires à dormir debout. D’ailleurs pourquoi n’écris-tu pas toute une épopée autour de ce que tu as vécu ce matin ? Tiens, c’est une excellente idée pour ton nouveau polar ! Iéliéna ton héroïne, enquête dans un château hanté en pleine campagne bretonne… Euh, non en Auvergne, il faut rester autour de Clermont-Ferrand comme le premier livre… Tu matérialises ce que tu as cru voir, d’abord par des croquis sur ton bloc comme d’habitude, et ensuite tu construis toute une histoire avec les mots dans ton cahier…

Voilà, c’est ce que tu vas faire en rentrant à l’hôtel, matérialiser les visions ! Après tu pourras en les transformant en romances fictives, les oublier comme toutes tes autres hallucinations.

Elle se sentait apaisée, son cœur avait repris un rythme normal. Elle ouvrit les yeux et contempla le paysage qui s’offrait à elle. À travers les arbres, elle pouvait apercevoir la mer étinceler sous les rayons du soleil d’automne, avec ses mouvements réguliers, ses ondes incessantes et voluptueuses. Elle entendait l’eau heurter les rochers, le cri des mouettes, le vent dans les branches.

Puis soudain, le grincement du portail du jardinet retentit, l’agent avait dû fermer toutes les portes de la maisonnette et la rejoignait enfin. Elle détourna alors son regard vers la clôture s’apprêtant à voir apparaître le bel agent immobilier. Elle se figea.

Oh, mon Dieu ! Non !

L’homme qui sortait par le portillon était celui du salon, celui aux cheveux longs, il portait toujours cette espèce de blouse grise, il avait toujours son teint jaunâtre. Il tirait derrière lui un plaid écossais rouge et bleu qui devait contenir quelque chose de lourd aux contours arrondis. Il le traîna à travers le chemin, laissant derrière le mystérieux paquet une trace dans la terre grise. Arrivé vers le bord du sentier, il souleva son fardeau et en jeta le contenu dans le vide.

— Non ! Mais qu’est-ce que vous faites ? Arrêtez ! Oh, non !

— Madame ? madame ! Vous allez bien ? madame ! Qu’y a-t-il ?

— Je… là… Il… l’a jetée par-dessus… Il…

— Tout va bien, madame. C’est mon chien. Il a jeté son bâton dans les fourrés ? C’est mon chien qui vous a fait peur ? Il n’a pas l’air…

— Non, non, au contraire… s’il n’avait pas été là, il… il venait faire moi…

— Asseyez-vous un moment. Tenez, buvez un peu, calmez-vous, tout va bien. Qu’est-ce qu’il y a eu ? demanda calmement l’homme qui généreusement lui proposa sa gourde.

— Je l’ai vu là, comme je vous vois !

— Qu’avez-vous vu ?

— L’homme en blouse grise, celui qui venait de la maison. Il a balancé une femme par la falaise… je l’ai vue, elle avait des cheveux blonds longs et frisés… et quand je me suis levée pour l’en empêcher, c’était trop tard, et alors, il s’est retourné vers moi, m’a regardée et, il venait… il venait vers moi. C’est votre chien qui l’a fait partir… Mon Dieu ! L’homme avait des petits yeux noirs rapprochés, emplis de haine.

— Je n’ai vu personne sur le chemin, vous êtes sûre ?

— Il se tenait là ! À côté du garde-corps en bois.

— Comment était cet homme ? demanda-t-il doucement. Il devait continuer à faire parler cette femme qui était, selon lui, en transe. Il devait agir comme il le fait lorsqu’il prend en charge certains de ses patients en état de choc au service des urgences de l’hôpital où il travaille.

— Il était grand, maigre, avec des cheveux gras, un peu longs et raides, son nez était fin et long et ses yeux, tout petits et noirs, il portait une blouse grise. Il est sorti du jardinet en traînant la femme dans une couverture écossaise rouge et bleu, il a d’ailleurs laissé une traînée, là dans le…

Annie s’arrêta de parler. Le chemin n’avait aucune trace, de plus il était recouvert de sable jaune et non de terre poussiéreuse grise. Elle regarda l’homme qui se trouvait devant elle accroupi à côté de son chien, il attendait bienveillant.

— Désolée, j’ai dû… faire un cauchemar tout éveillé.

— Vous avez dû vous assoupir sur ce bloc de pierre en effet, et faire un mauvais rêve, énonça-t-il calmement, pourtant la description faite par cette femme l’intriguait sérieusement.

— Oui, certainement. J’ai mal dormi la nuit dernière, c’est peut-être pour cela.

— Vous habitez loin ? Vous voulez que je vous accompagne jusque chez vous ? Ou vous voulez que j’appelle quelqu’un ?

— Non, je vous remercie. Je suis à l’hôtel l’Atlantic. Ce n’est pas très loin. Je suis désolée, vous devez me prendre pour une malade.

— Ne vous inquiétez pas de ce que j’ai pu penser, j’ai eu peur surtout ! En tout cas, mon chien vous aime bien, il reste près de vous comme s’il vous connaissait ! Allez, Fosky, on continue notre footing, on rentre à la maison ?