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À 40 ans, célibataire et sans enfants, Léa travaille depuis cinq ans dans un établissement hospitalier, s’occupant des personnes âgées. Sous l’influence de ses résidents et de son amie Nina, elle découvre progressivement comment mêler amour, humour et spiritualité grâce à des conseils, des mantras et des pensées positives. Elle chemine vers le bonheur en intégrant différentes astuces et indications dans sa vie quotidienne.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Sophie Carré, inspirée par son expérience en soins énergétiques et aiguillée par son instinct, a découvert une évidence dans Le bonheur se trouve au quatrième étage, qui constitue par ailleurs le premier acte d’une trilogie. Animée par son ouverture à l’univers, elle a réalisé son rêve de créer une lecture légère, drôle et éclairante qui reflète ce qu’elle-même apprécie en librairie.
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Sophie Carré
Le bonheur se trouve
au quatrième étage
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sophie Carré
ISBN :979-10-422-3480-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Bonheur, aujourd’hui j’ai congé et je vais pouvoir ne rien faire…
Ne rien faire, je dis ça, mais il est neuf heures trente, et en effet je bois mon thé dans mon canapé avec un livre, mes bougies habituelles sont allumées sur la cheminée où crépite déjà un feu de bois.
Ce sont mes bougeoirs fétiches, ceux qui m’ont été offerts avec amour comme celui reçu par une amie, Sarah, où il est écrit « Love » sur un fond noir.
Aaaaah l’amour, quoi de plus beau que l’amour ? … Quand on a un amoureux !
Alors j’aime mon chien, il est à mes pieds et il dort. Il est déjà sorti, rentré, et re-rentré, car il avait vu quelque chose de suspect dans le jardin, un oiseau probablement, les taupes, il ne les voit pas !
Je vais pouvoir reprendre ma lecture… après avoir préparé mon petit déjeuner bien sûr, fait ma vaisselle d’hier et mis en route une machine.
Ce serait dommage d’être à la maison et de ne pas profiter de mon temps libre pour lessiver. Juste une et puis j’arrête, même si mon panier à linge me crie qu’il y a encore à faire !
Il fait doux ce matin, enfin, je crois qu’il fait doux, car le soleil brille. Mais quand je décide de poser le premier pied nu sur l’herbe légèrement blanchâtre, histoire de renforcer mon ancrage, je me rends compte que la rosée du matin est en fait du givre, ce qui me ramène direct à la réalité, ce n’est pas le bon moment pour suivre les conseils de mon amie Nina : « Pour un bon enracinement et une meilleure connexion à l’univers, promène-toi pieds nus dans l’herbe dès que possible. »
OK, mais elle ne dit pas à quel moment de l’année ? Ni pendant combien de temps ?
Bon, eh bien tant pis, j’y suis, j’y reste, mais j’ai besoin d’un objectif de taille : je choisis le cerisier au fond du jardin, même pas peur…
La route est longue… J’accélère ma marche, je sens mon cœur battre dans mes pieds, dans les deux, ce qui me fait penser que je dois avoir deux cœurs, faudra que j’en parle à mon médecin.
Ça ne doit pas être si grave que ça, au contraire, ça me permettra d’aimer doublement !
J’y suis presque, mon chien Truc me suit avec aisance, il me nargue, j’en suis certaine, il rigole de l’intérieur, je vois sa babine droite relevée, je repère du tartre sur sa canine, un comble pour un chien.
Je prendrai rendez-vous chez le vétérinaire, bien fait !
Moi aussi j’ai le sourire aux lèvres, je suis arrivée ! Fière comme si j’avais battu haut la main David Rush, le détenteur du lancer de petit pois à 12 mètres 52, rien qu’avec son souffle, et homologué par le livre Guinness des records de 2018 !
Soit, je me colle direct à l’arbre, le prends dans mes bras, en espérant peut-être qu’il me félicite de ce record…
Juste au pied, j’ai l’impression de ressentir de la chaleur…
J’ai besoin de quelques minutes pour réaliser qu’en fait, oui, il m’offre sa chaleur, c’est subtil, mais très agréable. J’en profite, je me recharge, je me ressource, ça fait un bien fou en quelques secondes… Merci, Nina.
De là, je peux vraiment me rendre compte que les taupes ont bien bossé cette nuit, il y a des monticules de terre un peu partout, elles sont en train de ruiner mon jardin !
Il faudra que je demande conseil pour savoir comment exterminer des taupes, sans leur faire de mal, bien entendu… C’est pas gagné.
Bon, c’est pas tout ça, mais il va falloir repartir.
Après les remerciements d’usage à mon arbre pour ce bon moment, je lui tourne le dos, prête à traverser mes vingt mètres de pelouse, toujours à pieds nus bien sûr, tout en slalomant autour des buttes de terre.
Et c’est là que monte une certaine angoisse ! J’entends un voisin sortir de sa maison, il se tourne vers moi, ouvre la bouche, lève la main, mais aucun son ne sort. Il doit se demander ce que je fais là, à trottiner dans mon jardin. Et encore, il ignore que je ne porte pas de chaussures ! Peu importe, je trace ma route.
Je lève la main, entre le sourire niais et bête, j’hésite à lui répondre, mais ce sont les pieds que j’ai de glacés, pas les oreilles !
Je lui crie donc un :
Pas certaine qu’il m’ait souhaité une bonne journée finalement…
Je suis à la moitié de mon périple quand je ressens une drôle de sensation. Ce sont mes orteils qui me transmettent un message pas très poli.
Je me rapproche de la maison, mon chien me précède, toujours le sourire aux babines. Il sera privé de croquettes ce soir, faut pas exagérer ! Quel manque de respect !
Et enfin, l’apothéose, je suis arrivée, essoufflée, glacée, mais heureuse. Je m’enroule dans mon plaid, je me ressers un thé et je reprends ma lecture. Il faudra juste que je n’oublie pas de rentrer mon chien en fin de journée, finalement, il ne fait pas si froid que ça…
Ceci est une journée idéale, c’est une journée de congé, entre me reposer et corvées ménagères légères.
Sinon, dans mon catalogue, je me propose aussi des journées off, c’est-à-dire que je pars dès le matin et je vais me balader, voir une amie ou faire du shopping.
Et le top du top, c’est la possibilité d’une « journuitée » : je consacre vingt-quatre heures en déconnexion totale du monde extérieur.
Ce genre de moment n’est pas facile à réaliser, car c’est une sacrée organisation.
Il faut prévoir de faire les courses au moins la veille : penser à acheter des plats surgelés ou frais, pour tenir deux jours, mais à réchauffer au four ou au micro-ondes, c’est le max que je puisse faire.
Faire un stock de salés et de sucrés, pour pouvoir alterner les collations, ainsi que divers sodas, mais surtout pas du light hein, surtout pas !
Considérer son divan comme un squat jusqu’au lendemain, avec couette, plaid, oreiller et coussins.
On n’hésite pas à enfiler le pyjama kangourou et les pantoufles fourrées, même si elles sont roses. J’ajouterais même que ce sont des accessoires indispensables ! Personne ne va passer de toute façon, la porte est fermée à clé.
Et la dernière chose, trouver une série de la mort qui tue ! Celle qu’on a toujours rêvé de regarder d’une traite, mais être sûr d’avoir suffisamment d’épisodes pour tenir vingt-quatre heures, j’ai nommé : Grey’s Anatomy ! Vingt-cinq saisons de vingt-cinq épisodes.
J’exagère à peine, je crois, pas moyen de tomber en rade !
Je prépare le grand écran : saison un – épisode un, yeah, même pas peur, c’est parti ! Vingt-quatre heures pendant lesquelles je m’écoute : je mange, je sieste, je bois, je dors, je regarde la télé, je kiffe quoi.
Je choisis de préférence l’hiver pour faire ça, histoire de ne pas gâcher une journée de soleil. Après réflexion, en Belgique, on peut aussi trouver des journées hivernales en été !
Sinon la journée off est parfois pleine de surprise.
La dernière fois que je suis allée rendre visite à une amie, j’ai failli ne jamais revenir.
Je suis sur la route, tranquille, je pense même que je chantais, c’est dire ! Et là, venant de ma gauche, une voiture me coupe la route et me passe devant. Je crie, vite un coup d’œil à droite, je monte pieds joints sur le frein et me jette sur le trottoir d’en face.
J’ai juste eu le temps de voir que c’était un vieux monsieur, qu’il roulait un peu plus vite que la limitation à mon sens, puis ma voiture s’est arrêtée… Ouf, je n’ai touché personne, ma voiture et moi-même, nous allons bien.
Le choc probablement, je fonds en larmes et en même temps (si, si, c’est possible), je commence à hurler après ce vieux cinglé qui a failli me tuer, ce connard qui doit changer de lunettes, ce sénile à qui on doit retirer le permis !
Je prends finalement quelques minutes pour me calmer et relativiser.
Ça va, finalement, je ne suis pas mal là, le temps de reprendre mes esprits, je suis presque bien garée en fait. Ce petit arrêt va me permettre de me remettre de mes émotions, de sécher mes larmes et de récupérer un rythme cardiaque normal.
Je regarde autour de moi, et je remarque que je n’avais jamais vu cette petite vitrine devant laquelle je me trouve, un magasin très coloré où trois de jeunes artisans présentent leurs créations.
Je respire deux ou trois fois profondément, et je repense à ce vieux monsieur qui m’a coupé la route, je crois qu’il ne m’a même pas vue en fait. Peut-être était-il vraiment pressé ? Peut-être avait-il une urgence ? Peut-être a-t-il été ébloui par le soleil ?
C’est vrai finalement, j’ai été surprise, mais ces insultes étaient-elles vraiment justifiées ?
Pour cinq minutes d’énervement, ma dose de cortisol dans le sang, l’hormone naturelle du stress, a dû exploser. Il faut maintenant plusieurs heures pour que mon corps évacue ce poison, c’est malin.
Avant de reprendre la route, je décide d’aller voir cette boutique qui m’attire vraiment. Et puis, ça me calmera, ce n’est pas plus mal.
Quelle caverne d’Ali Baba, ce magasin, que des confections faites à la main, que des produits locaux, super sympa, je crois que j’ai trouvé l’endroit pour me fournir en cadeaux jusqu’à la fin de l’année. Finalement, rien n’arrive par hasard.
Chaque journée qui m’est donnée de repos, j’essaye de me coucher le soir sans regret. Que ce soit une journée productive ou pas, le plus important pour moi, c’est d’être en harmonie avec mes besoins et mes envies.
Au moment de me coucher, je suis d’office dans la gratitude pour cette merveilleuse journée, même si tout n’est pas toujours parfait, j’essaye de ne retenir que le positif.
« Bonjour, je m’appelle Léa, j’ai quarante ans et je suis célibataire depuis plusieurs années, sans enfants. »
Bon, pas certaine que cette annonce soit efficace pour rencontrer quelqu’un.
On se croirait plutôt dans une réunion des échoués de la vie. Dans quelques minutes je vais entendre crier en chœur : « Bonjouuuur Léaaaa… »
Pas possible ça, je reformule.
Je dois bannir que je suis seule depuis plusieurs années, ça fait fille incasable, trop difficile ou relativement moche.
Est-ce bien de parler des enfants dès le début ? « Léa, quarante ans, célibataire. »
Ça me prend la tête cette annonce, j’avais pourtant dit à mon amie Sonia que je n’avais – presque – besoin de personne.
La dernière histoire que j’aurais pu avoir, c’est avec un mec canon que je croise quelques fois dans diverses festivités de la région, mais nous ne nous sommes jamais parlé. Je ne sais même pas s’il connaît mon existence. Alors un après-midi où j’ai pris la confiance, je me suis décidée à lui envoyer un message sur Messenger :
« Salut Jean-André, c’est Léa, je ne sais pas si tu te souviens de moi, mais on s’est croisés quelquefois ces derniers temps et j’aimerais, si tu en as envie aussi, faire un peu plus connaissance avec toi, en allant boire un verre, par exemple.
Si par hasard, tu n’étais pas intéressé, je vais juste mourir de honte d’avoir fait le premier pas, mais je m’en remettrai… Et si tu ne te souvenais pas du tout de moi, eh bien ce message s’autodétruira dans trois…deux…un… »
Il l’a « VU », donc lu, il n’a pas répondu, mon cœur a fondu…
D’un autre côté, aurais-je assumé d’être en couple avec Jean-André ?!? Peut-être certainement pas. Que la vie est bien faite quand même ! En plus, en vrai, il n’était pas si beau que ça…
J’ai cru un jour que j’avais trouvé l’homme de ma vie, Vincent. Nous sommes restés sept ans ensemble, très bon début, milieu « réflexion » et fin « reproches » puis séparation inévitable.
J’étais probablement un peu trop jeune pour cette relation. Comme beaucoup de femmes, suivant notre éducation, nous nous rendons disponibles pour l’autre, nous donnons beaucoup, même si on ne nous le demande pas spécialement, et un jour, on finit par s’oublier. C’est nous qui avons créé ça, et nous le reprochons à l’autre.
Au lieu de m’occuper de ma moitié de relation, je me suis mêlée de ses états d’âme, car il me semblait qu’il ne s’en sortirait pas tout seul. Peut-être, mais finalement, ce n’était pas mon rôle de jouer son psy.
J’ai porté la vie pendant trois semaines et puis plus. Le choc de la nouvelle est devenu, par la suite, une libération pour moi, car je savais au fond de moi que ce gars n’était pas une belle personne, tout est bien qui finit bien.
Il s’est ensuite très vite remis en couple, j’ai croisé sa femme il y a quelques jours au supermarché, elle portait leur quatrième enfant… Elle m’a ôté d’un doute insoutenable sur le prénom : après Brandon, Dylan et Brenda, ils se désabonnent de la série Beverly Hills pour un petit Drazic vu dans Hartley cœurs à vif. Waouw, je l’ai échappé belle ! Beaucoup de courage et d’amour pour eux six !
Je n’ai jamais été dingue des enfants, je voulais laisser la nature décider pour moi, mais une chose est certaine, c’est qu’une de mes relations, que j’appellerais « Le chitard », m’a bien fait prendre conscience qu’on ne fait pas un bébé avec n’importe qui. J’avais déjà un grand enfant à la maison, deux aurait été compliqué. Finalement, j’étais l’homme de la maison ! Next !
Donc me voilà à quarante ans, célibataire et assez heureuse en fait, alors pourquoi changer ?
J’ai juste envie de rencontrer mon évidence, celui qui me reconnaîtra entre mille (ou disons entre cent, ce serait déjà pas mal), celui à qui je n’aurais pas besoin d’expliquer qui je suis, nos énergies communieraient ensemble et ce serait l’apothéose.
Oui OK, là je pousse peut-être le bouchon un peu trop loin, comme Maurice, mais faut croire aux choses dans la vie pour qu’elles se produisent, il faut y penser pour qu’elles se manifestent.
Six heures, le réveil sonne, un snooze, deux snoozes, dix-huit minutes de passées, faut que je me bouge !
Même si j’ai toujours un peu de mal de sortir de mon lit le matin, je suis toujours heureuse de retrouver mes « petits vieux », comme j’aime les appeler affectueusement.
Je travaille dans un hôpital depuis cinq ans et c’est vraiment le service que je préfère.
Ma tournée de chambre en chambre en arrivant me fait du bien, j’ai un peu de temps pour prendre des nouvelles de chaque personne et ça nous rend heureux.
Madame Verant, par exemple, pense qu’elle part en vacances chaque nuit, j’ai le récit d’une destination différente tous les matins. Comme elle est très précise sur les détails de ses voyages, je pense vraiment qu’elle y est allée au moins une fois dans sa vie. Dans ses rêves, elle est accompagnée de son mari et de sa petite fille. Son mari est décédé il y a deux ans, mais sa petite fille, Isabelle, lui rend encore visite une à deux fois par semaine, quand elle le peut. Un lien très fort les lie toutes les deux, c’est beau à voir.
Ce matin elle revient de Port El Kantaoui en Tunisie. Elle me parle de la mer Méditerranée, des petites maisons blanches le long de la côte, du port de pêche et de Sousse. On s’y croirait. Elle a perdu la plupart de ses souvenirs de jeunesse, mais pas de ses voyages, c’est hallucinant.
La chambre suivante, c’est madame Boileau. C’est un peu plus stressant de passer la voir, car cette petite dame aux lunettes rondes attend. Elle attend encore et encore. Personne ne sait vraiment si elle attend quelqu’un ou quelque chose, mais avec un petit sourire en coin, elle est persuadée que ça va arriver très bientôt.
D’ailleurs, un sac est prêt dans son armoire, il ne faut surtout pas le vider, car ça la perturbe terriblement. Ma collègue Aline a déjà essayé, juste pour rendre service, elle s’est pris la télécommande entre les deux yeux ! Trois jours d’arrêt ! Elle vise bien, madame Boileau.
Ensuite je passe saluer madame Mila Gavina Ruis, elle est d’origine espagnole, parle très bien français, mais persiste à nous parler dans sa langue maternelle, elle trouve ça drôle. Les médecins beaucoup moins.
Elle rit tout le temps, j’adore son positivisme, même quand sa santé ne va pas bien. Quelle force cette femme, à nonante et un ans, elle n’a pas eu une vie facile, si j’ai bien tout compris sur les méandres de sa vie.
Madame Rose Bergman a soixante-neuf ans, c’est la plus jeune de nos convalescentes, elle est dans notre service suite à une chute chez elle. Cette dame tricote tout le temps, quand on lui parle, quand on change sa perf et quand elle se déplace chez elle. Son chat dans les pieds suivant sa pelote de laine, a eu raison de sa jambe gauche pour les six semaines à venir.
La fin du couloir est consacrée aux hommes, ce n’est pas de tout repos non plus. Jacques et André sont en dispute, car Rose a tricoté une écharpe pour Jacques et un bonnet pour André.
Vu que André ne peut pas porter son bonnet qui gratte quand il le veut, car il fait chaud dans les chambres, il envie Jacques avec son écharpe, car il peut la mettre plus souvent, vu que Jacques fume, donc aurait l’utilité d’un bonnet pour descendre au fumoir, et vu que la chambre de Rose est plus proche d’André que de Jacques. Qui fait chavirer le plus le cœur de Rose ? Vous avez une heure.
C’est une matinée qui commence bien, même si j’ai dû intervenir deux fois en peu de temps. Les deux octogénaires de la 408 et la 410 sont sortis en même temps de leur chambre pour aller prendre leur douche. C’est pas de chance, car le couloir est limite pour contenir deux déambulateurs de front.
La serviette de la 408 s’est coincée dans le pied de la 410, ce qui lui a donné une légère avance…
Avec un regard en coin, c’est une lutte acharnée qui s’est déclarée entre ces deux-là. En huit minutes et quatre mètres plus loin, c’est finalement la chambre 410 qui est arrivée en premier, sous le regard tueur de la 408. On n’a pas fini d’en entendre parler.
En général, le temps de midi se passe relativement bien, chacun tient à son plateau-repas et est retourné en chambre dans les temps. À part un accident de dentier, rien ne peut leur faire manquer le repas.
Habituellement, quand je fais le matin, je quitte le travail vers quinze heures, et c’est au moment de mon départ que le drame est survenu :
Ma collègue a retrouvé monsieur DuponT, Jacques, tout rouge dans son lit, un cordon autour du cou.
Premier suspect : monsieur DuponD, André.
Plus de peur que de mal, Aline est intervenue à temps. Mais que s’est-il passé ? Le cordon était en fait un bout de laine appartenant à Rose. Aurait-elle essayé de se débarrasser de Jacques ? Mais ça ne tient pas debout, car elle aime être courtisée par ces deux hommes. Justement, jalousie ?
Bien sûr, tout le couloir s’est mêlé de cette histoire, chacun y est allé de son commentaire, même le Colonel Moutarde est suspecté, même si on n’a jamais retrouvé de chandelier.
C’est finalement un épisode des Feux de l’Amour dans la salle de repos qui a rétabli la paix dans le couloir. Victor Newman a mis tout le monde d’accord, même les deux DuponDT du fond.
Ce soir c’est vendredi, Nina et moi avons décidé de sortir. Mais une vraie sortie, pas juste boire un verre. Nina est ma meilleure amie, bien qu’elle soit maman de deux jeunes garçons, elle est cool.
Si je suis maman un jour, j’aimerais être comme elle. Rien n’est jamais grave, mais tout a de l’importance, suivant les différents degrés des demandes de ses enfants.
Elle est très belle, grande et rousse, un peu trop mince à mon goût, mais elle est équilibrée et mange quand elle a faim. Ce qui m’impressionne vachement, car comparé à moi, je mange quand il est l’heure : matin, midi (et demi grand max !), goûter et souper. Si je rate un repas, ne fusse que d’une demi-heure, je fais un malaise, c’est l’hypoglycémie assurée. Parfois je pense que je mange sans avoir faim, c’est bête, mais je suis réglée comme ça. Sans compter les indispensables collations de dix et de quatorze heures.
Nina a une vie bien réglée, mais quand elle sort, elle profite. Marc, son mari, le sait, il n’est pas du genre à lui téléphoner toutes les dix minutes à propos des enfants. Il gère grave.
Ils sont très amoureux et respectueux l’un de l’autre, ça redonne confiance en l’amour de les voir.
Nous avons donc décidé d’aller manger un bout dans un nouveau resto à Couvin, La Brasserie Jeanne. Il est ouvert depuis deux semaines et les échos sont déjà très bons.
Mon test dans un nouvel endroit, c’est le lapin à la bière – frites. Si le lapin est bien cuit, que la sauce est onctueuse et goûteuse, et qu’en plus, les frites sont faites maison, je valide.
Nous passons un excellent moment, mais nous ne nous éternisons pas, car le but de la soirée, c’est quand même de sortir et de rencontrer des gens.
Là je parle plus pour moi, car Nina exhibe fièrement son alliance pour qu’on ne la drague pas, ce qui ne marche pas vraiment. Moi j’étale clairement mes mains nues sur la table, mais on ne me drague pas quand même.
Un peu plus petite et quelques kilos en plus que Nina, je me trouve assez banale, mais je m’apprécie. J’aime lâcher et faire boucler mes cheveux châtains quand je sors, car ils sont attachés quand je travaille, question pratique, et de les libérer, me libère aussi, en quelque sorte.
Peu de maquillage pour marquer mes yeux noisette et vêtements sobres. Je n’aime pas vraiment me faire remarquer et j’ai horreur du vulgaire, même si je valide bien un petit décolleté à l’occasion. J’aime ma poitrine et mes rondeurs.
Plus je vieillis et plus je m’assume, j’aime de mieux en mieux la femme que je suis, ce qui me rend heureuse.
En arrivant à la soirée, j’ai fait un pacte avec Nina, promis juré, je ne rentre pas seule cette nuit. Ça fait longtemps que je n’ai plus eu un homme dans mon lit, et respirer son haleine fétide le matin, sentir notre transpiration mutuelle et avoir les yeux semi-collés par le maquillage, j’en rêve.
L’endroit est très sympa, fréquenté par des gens de notre âge, la musique me plaît en général. Il y a un petit concert ce soir, un couple franco-belge, Thousands of Poppies, musique électro-rock planante, ça va le faire.
L’ambiance est bonne, mais comme chaque fois que je me retrouve avec mon amie, ce qui n’est pas aussi souvent que nous le voudrions, nous refaisons le monde, nous rions beaucoup, nous buvons un peu et on s’échange le récit de nos vies, entre mes patients et ses enfants, quelle excellente nuit.
Comme d’habitude, la soirée passe trop vite et il est temps de rentrer, j’ai envie de retrouver mon chez moi, et elle, d’embrasser ses enfants dans leur sommeil.
Il est quand même trois heures du matin et nous devons attendre un peu dehors pour que le taxi arrive. Nous esquivons la proposition d’un dernier verre de deux poivrots qui se tombent dessus l’un l’autre, finalement je préfère rentrer seule.
Je sens que quelque chose vient de me toucher le pied par l’arrière, je sursaute et je vois une boule de poils qui roule à mes pieds.
Nina est concentrée sur son téléphone et n’a rien vu.
Nina me regarde du coin de l’œil puis on éclate de rire toutes les deux.
Je lui tends la main, il se glisse dans mon sac comme s’il avait déjà compris l’astuce. Il va falloir que je lui trouve un nom ? Après réflexion, c’est tout trouvé ! Je viens de le baptiser, je pense.
Pourvu qu’il ne fasse pas pipi dans mon sac, ou pire, ce serait une drôle d’entrée en « matière ».
Je l’avais dit que je ne rentrerais pas seule ce soir, mais honnêtement, j’avais plus misé sur un bipède que sur un quadrupède à poils !
Il a l’air de vouloir rester avec moi, on dirait qu’il me sourit. Il va bien s’entendre avec mon chien, j’en suis certaine, deux grands comiques ces deux-là.
Comme prévu, Truc a directement adopté Astuce, je trouve que c’est un nom qui lui va plutôt bien, à ce petit chat.
Je téléphone chez le vétérinaire dès demain pour le faire pucer et vacciner, ce sera officiel, j’agrandis ma famille.
Sur le chemin du retour, je repasserai dans une animalerie chercher la blinde pour mon nouveau pensionnaire, je sens que le reste du week-end va osciller entre tendresse et câlins : le bonheur.
Quand j’arrive au travail ce matin, c’est l’émoi dans le service : nous avons perdu un patient. C’est monsieur Guillot de la 413, à croire que cette chambre porte malheur.
C’est un homme assez jovial habituellement, mais qui perd la tête de temps en temps, il décroche. Nous faisons alors semblant d’entrer dans son jeu et de jouer parfois son marchand de glace préféré, son coiffeur personnel, son grand-père ou sa petite-fille, et puis ça passe, il oublie tout et revient dans notre dimension.
Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, personne ne sait, c’est toujours paniquant de perdre un patient, mais le plus important, c’est de le retrouver avant que sa famille ne vienne le voir cet après-midi.
Nous commençons alors une chasse à l’homme dans l’étage, il ne peut pas être très loin, il a oublié ses pantoufles. Les équipes s’organisent, on passe de chambre en chambre, ce qui met un peu d’animation près des différents patients, ce qui n’est pas pour leur déplaire.
Tout le monde y met son grain de condiment : un l’a vu à six heures, il se dirigeait vers les douches, un autre l’a croisé, un sifflet à la main vers les escaliers de secours.
Rose qui ne peut pas se lever, affirme qu’elle a reconnu sa démarche dans le couloir vers six heures et quart, pas de renseignements à soutirer de madame Boileau, elle attend toujours et madame Verant, notre voyageuse, affirme qu’elle l’a vu déjeuner avec des kangourous en Australie.
Soit, ce n’est pas gagné !
Finalement, c’est une heure plus tard qu’Aline va retrouver monsieur Guillot dans la salle de jeu des petits, au cinquième étage. Il joue bien sagement au train électrique, rien de plus normal pour un chef de gare.
On le ramène dans sa chambre, terminé la récréation, tout le monde est un peu triste que cette partie de cache-cache se termine finalement si vite, mais nous devons bien rétablir le calme dans le couloir. Enfin, quand je dis calme, c’est sans compter sur les chants qui sortent de la chambre 415, la toute dernière du couloir.
Nous avons mis monsieur Pinçon dans cette chambre, car suite à un AVC, il a perdu l’usage de la parole et il est en rééducation chez nous.
Mais alors, comment peut-il chanter alors qu’il ne sait plus parler ?
Ce qui est intéressant dans notre service, c’est que nous avons des patients qui ne nécessitent pas vraiment d’urgence, les médecins ont donc parfois le temps pour nous donner quelques explications sur les pathologies de nos résidents et la manière de les soigner :
« À propos de monsieur Pinçon, nous utilisons la musicothérapie pour qu’il puisse communiquer à nouveau, mais par le chant. La parole, c’est l’hémisphère gauche du cerveau, le mental, qui dans ce cas-ci, est endommagé. En revanche, le chant c’est l’hémisphère droit, qui se rapporte à la création.
Il faut aller chercher, en chantant, l’hémisphère du cerveau qui est touché.
D’ailleurs un homme qui bégaye chante parfaitement bien, et un Québécois qui chante n’a pas d’accent. CQFD. »
Depuis l’utilisation de cette méthode, monsieur Pinçon est beaucoup plus gai, et le couloir aussi d’ailleurs.
Bon, soyons honnête, ses vocalises s’apparentent plus à un violon mal accordé qu’à de l’opéra, mais c’est quand même assez sympa, ça donne le sourire à tout le monde.
Après cette journée bien chargée en émotion, j’ai envie d’une seule chose, rentrer chez moi, faire un bon feu de bois, allumer un bâton d’encens et profiter de mon canapé avec chien et chat.
À ce propos, Astuce a trouvé ses marques, il dort chaque nuit entre les pattes de Truc. J’ai téléphoné chez le vétérinaire, il me conseille de faire les premiers vaccins à deux mois, je dois donc encore attendre deux semaines environ pour que tout soit en règle.
Ce nouveau vétérinaire a l’air bien sympa, pas avare du tout en détails sur la manière de s’occuper d’un chat, le tout avec une voix qui me fait légèrement frissonner.
C’est dingue comme une personne qu’on ne voit pas, peut juste nous interpeller par sa voix.
J’ai hâte d’être au rendez-vous dans quinze jours pour pouvoir mettre un visage sur cette voix.
Ma soirée se passe comme prévu : chaleur et repos. Je me suis concocté un petit thé gingembre, citron et miel, et un bon livre conseillé par la librairie Papyrus de Chimay, la soirée s’annonce tranquille…
Normalement, car c’était sans compter sur le retour du voisin et de ses travaux. Il a hérité de la maison de l’autre côté de la route, je la trouvais très bien, cette maison, mais il a préféré y faire quelques aménagements. J’ai l’impression que cette maison passe sa vie à se faire transformer, la pauvre. Elle est passée des baies vitrées à de petites fenêtres rustiques, de la cuisine équipée moderne à une cuisinière campagnarde en fonte et le carrelage pratique a été remplacé par un plancher en bois. Soit, chacun fait comme il veut, mais si on m’avait demandé mon avis, ce qui n’est pas le cas, j’aurais pu dire que tous ces aménagements allaient faire beaucoup trop de bruit pour ma tranquillité. Entre le marteau piqueur, la disqueuse, la bétonneuse, la scie sauteuse et j’en passe, je suis sur le point de déménager. Ça fait plusieurs mois que ça dure et je n’en peux plus !
J’ai envoyé Truc se plaindre chez lui, mais il est revenu avec une tartine dans la gueule, le traître ! On ne peut même plus compter sur ses animaux pour nous soutenir !
La soirée est foutue, je vais aller me coucher, les écouteurs dans les oreilles.
Surtout que demain matin, dimanche, je dois me lever tôt, car j’ai promis à mon filleul que j’irais le voir jouer au foot. Peut-on rompre une promesse faite à un filleul ? Je ne crois pas, je n’ai jamais essayé, sous peine de me faire rayer du statut de marraine, jusqu’au prochain cadeau de Noël bien sûr.
Je me souviens exactement à quel moment j’ai accepté d’honorer ce moment de ma présence : c’était un soir en fin de repas, mon verre de rosé était vide et racontant mes exploits de footballeuse de ducasse dans mon jeune temps, je me suis emballée :
« Mais oui mon chéri, marraine va venir te voir jouer dimanche, avec plaisir », je m’en souviens comme si c’était hier. « C’est à quelle heure déjà ? »
Donc, nous sommes dimanche matin, neuf heures trente, je suis sur le bord du terrain, il fait quatre degrés et je compte instaurer une loi pour défendre ces pauvres petits, car je trouve intolérable de les faire jouer au foot à des températures sous les quinze degrés, je trouve… Et surtout, de nous obliger à les regarder ! Eux n’ont pas l’air traumatisés, en short et t-shirt, le nez rouge qui coule, le bout des doigts bleu, le dessus des oreilles gelé qui tend vers le violacé, les genoux et les coudes verts, c’est festival de couleurs quoi, un vrai arc-en-ciel. OK, chacun son trip.
Pour ma part, ayant superposé trois pulls cols roulés, je n’ai pas pu enfiler une veste par-dessus, j’ai donc opté pour la grosse écharpe en laine, celle qui rend bien les cheveux électriques, ainsi qu’une paire de gants, en laine aussi bien sûr, histoire d’être certaine d’avoir un maximum de cheveux collés sur le visage.
Quand l’arbitre a sifflé trois fois, j’ai découvert qu’il y avait une seconde mi-temps, ce qui m’a mise en dépression direct. Ça, on ne m’avait pas dit, que les petits faisaient aussi deux mi-temps. Pause d’ailleurs beaucoup trop courte, je n’ai même pas eu le temps de faire refroidir ma soupe tomate-croûtons instantanée, que ça recommençait déjà. J’ai en fait le choix entre me brûler la langue ou les doigts si je l’emporte sur le bord du terrain… Je ne pense pas qu’ils vont vraiment le voir si je rate vingt minutes de la deuxième mi-temps, si ? OK, par facilité, la prochaine fois, je prendrai une bière, je n’aurai pas le choix, si prochaine fois il y a…
En plus, ils ont perdu, il paraît.
De retour au boulot ce lundi matin, j’ai le nez qui coule, je me demande bien pourquoi…
Malgré tout, il faut être en forme aujourd’hui, car nous avons le grand dîner des pensionnaires au réfectoire. C’est le moment où tous les patients se rencontrent, même ceux qui sont immobilisés habituellement dans leur chambre.
C’est festival des chaises roulantes devant la porte du restaurant. Ils sont tous collés les uns aux autres pour essayer de passer les uns devant les autres, on dirait le départ d’un rallye. Et c’est sans compter sur les déambulateurs qui essayent de se faufiler pour gagner du terrain, impressionnant, on dirait des enfants.
Le temps d’attente pour que les portes s’ouvrent me permet d’entendre une conversation assez cocasse entre madame Verant et madame Gavina Ruis.
Madame Verant est descendue de l’avion à l’aéroport de Malaga en Espagne, elle a pris une navette directe vers Torremolinos pour engloutir une énorme assiette de tapas. Il y avait la totale : les gambas, les croquettes de fromage, les champignons farcis, les anchois, les olives, et j’en passe ; j’en ai encore l’eau à la bouche. Le plus drôle, c’est que Mila Gavina Ruis commente en même temps et en espagnol bien entendu. L’histoire ne dit pas si elles se sont comprises finalement…
Les portes s’ouvrent enfin dans un cri de soulagement, comme si leur vie en dépendait. Ça me démange quand même de leur rappeler qu’en vrai, c’est nous qui attendons debout…
Les résidents se ruent vers leur place et dans un crissement de pneus, tout le monde est rapidement installé. Il y a les noms à chaque place pour ne pas désavantager les déambulateurs quand même, ça ne serait pas juste.
Très vite, les mécontents inversent leur nom et c’est comme ça que Rose, qui a quand même laissé son tricot dans sa chambre, se retrouve entre les deux DuponDT, André et Jacques. Je sens que nous allons assister à un combat de coqs. L’un et l’autre s’étant parés de leurs plus beaux habits.
Je dois constater qu’il y a eu un effort collectif, question habillement. C’est vrai qu’habituellement, on les voit en pyjama, mais là, les familles ont été mises à contribution pour que le dîner soit assez chic. Et c’est réussi. Les hommes ont sorti la cravate ou le nœud papillon et les femmes, les dorures : bagues, boucles d’oreilles, colliers, bracelets, il y en a pour tous les goûts, et tous les poids !
Nous faisons ce repas en début d’année, car aux fêtes, la plupart du personnel est en famille, et nous trouvons plus sympa d’être tous là. Et puis organiser tout ça n’est pas une mince affaire, il faut des bras pour le service principalement, et pour effectuer les déplacements des moins mobiles.
Un apéro léger leur est servi, j’insiste sur un seul, surtout pour monsieur Guillot, que je tiens à l’œil, au cas où il s’évaderait à nouveau et se prendrait pour le cuistot !
Ensuite vient le dîner. Nous leur servons un demi-avocat crevettes grises en entrée puis au choix, un dos de cabillaud aux épinards ou un suprême de pintade aux airelles, accompagné d’un gratin dauphinois.
Il faut parfois aider à découper ou à manger, mais la plupart s’en sortent plutôt bien.
En dessert, ce sera mousse au chocolat ou panna cotta. L’une comme l’autre se retrouvera de toute façon autour de la bouche des uns et des autres, et ça fait beaucoup rire ces grands enfants.
Surtout pour les hommes ! Les femmes sont plus coquettes, je trouve, elles font plus attention. Probablement à cause de leur rouge à lèvres qu’elles ont, pour la plupart, réussi à garder pendant tout le repas. Chose que je suis incapable de faire.
Quand je prends du recul par rapport à ce groupe et que je vois tous ces yeux souriants, ces échanges et ces éclats de rire à en perdre leur dentier, ça me fait chaud au cœur, et c’est surtout dans ces moments-là que je comprends que mon job, c’est une passion et pas juste un simple travail, même si ce n’est pas facile tous les jours, je suis heureuse d’être là.
Sur le mur au fond du restaurant, il y a cette citation qui prend encore plus son sens aujourd’hui :« Il faut faire les choses pour être heureux et pas attendre d’être heureux pour faire les choses »… Gratitude à la vie.
***
C’est très rare que je sorte en semaine, car comme je me lève assez tôt et que les journées sont longues et souvent mouvementées, je préfère être en forme.
Mais ce soir c’est différent, car j’aime beaucoup ma collègue Aline, et je n’aurais pas pu lui refuser ma présence de ce soir : sa cousine Annabelle joue une pièce de théâtre et Aline m’a confié qu’il y avait peu de réservations. C’est triste pour des jeunes qui essayent de développer la culture dans la région. Je ne sais pas du tout ce qu’est une pièce baroque et je suis curieuse de le découvrir. De plus, elle m’offre la place donc difficile de refuser.
Nous arrivons au théâtre une demi-heure à l’avance pour avoir le temps de saluer Annabelle, mais elle est déjà au maquillage dans sa loge depuis une heure trente, nous dit-on. Ça doit être impressionnant comme recouvrement de façade !
Je pensais qu’on s’installerait au fond, mais Aline me tire par le bras et m’indique deux places tout devant, premier rang.
Je n’aime pas la première rangée, car dans les spectacles humoristes, c’est toujours les gens du premier rang qui sont choisis pour monter sur scène. Bien que ne sachant pas ce qu’est le théâtre baroque, je ne crois pas qu’il y ait tant d’humour que ça. C’est juste une intuition…
Je ne suis quand même pas tout à fait rassurée. Soit, nous allons nous placer seules au premier rang, « on verra bien de là », me dit-elle. Oui je n’en doute pas, si mon cou résiste durant…
En effet, baisse de lumière, le rideau s’ouvre, on doit être trente dans la salle, pas moyen de fuir, je suis coincée pour trois heures quinze minimum, s’ils ne font pas de rappels.
Soit, je suis là, profitons du moment présent, ça peut être sympa finalement.
Les visages sont recouverts de blanc et c’est vrai que les maquillages sont impressionnants.
Au moment où ils commencent à parler, je me rends compte que je ne comprends rien, ou pas grand-chose. Cette manière de « rrrrouler » les « RRR » me donne envie de rire.
« Non Léa, ce n’est pas du comique, c’est du baroque », me dit ma petite voix dans ma tête.
Discrètement, je vais dans ma poche, j’en sors mon portable, je diminue au maximum la luminosité et je décide enfin de regarder la définition de « théâtre baroque ».
Quand il y a les mots « bar » et « rock » dans un même mot, ça doit être fun, non ? Je me fais rire toute seule tellement ma blague est nulle et que ça se sent que j’essaye de me rassurer…
« Théâtre baroque : genre théâtral du dix-huitième siècle, opposé au théâtre classique, qui privilégie les émotions, les illusions et le contraste du ton. » Je n’étais déjà pas très théâtre classique…
« Caractéristiques du baroque : caractérisé par le goût du mouvement, de la dramatisation, de l’exubérance décorative, le baroque a pour but de surprendre et d’émouvoir les spectateurs. »
C’est cela, oui… En effet, je suis assez surprise. Émue, pas trop jusque-là. Allez, c’est pour faire plaisir à Annabelle que nous sommes là. Et puis, elle me l’a offerte de bon cœur cette place. Ça va aller, plus que deux heures et trente-neuf minutes, on n’est pas si mal assises que ça, tellement proches de la scène, on se croirait SUR la scène.
L’entracte se passe assez bien. Heureusement ! Comme j’ai été invitée, je décide d’offrir une bouteille de champagne à Aline, j’aurais peut-être dû juste payer ma place…
Soit, c’est aussi offert de bon cœur, et puis l’ivresse me fera peut-être comprendre la seconde partie, car j’avoue n’avoir pas tout suivi de la première. Je n’ose pas demander si nous sommes dans la bonne salle, car nous n’avons toujours pas vu jouer Annabelle.
Aline croise une connaissance à elle, un certain Clément, qu’elle me présente furtivement, et que je trouve assez intéressant physiquement, mais déjà c’est l’heure du retour vers nos sièges. Je prends le temps de m’asseoir pour scanner la salle et voir où se trouve ce Clément et s’il est accompagné. Comme la salle est clairsemée, je gagne du temps. Le veinard est tout au fond de la salle et est accompagné d’une jeune femme. C’est mort, je ne demande donc aucun détail complémentaire à Aline.
Je ne sais pas si je me suis endormie, si la deuxième partie était plus courte ou plus captivante, mais ça m’a semblé moins long. Peut-être aussi grâce à l’apparition d’Annabelle et de ses dix minutes de jeu. C’était chouette de voir la fierté dans les yeux de ma collègue, dès l’arrivée de sa cousine sur scène.
À la sortie, c’est l’euphorie entre les acteurs et leur famille. J’embrasse Aline et Annabelle vite fait, car il se fait tard et je préfère ne pas traîner.
Par chance, personne ne m’a demandé comment j’avais trouvé la pièce. Déroutant est le premier mot qui m’est venu à l’esprit, mais je ne regrette quand même pas, c’était instructif comme soirée, je peux maintenant dire que j’ai, une fois dans ma vie, assisté à une pièce de Racine. La seule probablement.
C’est toujours un bonheur de rentrer chez moi et de me faire accueillir par mes deux fauves. Astuce a déjà changé depuis son arrivée chez moi, je vois le vétérinaire dans deux jours pour ses vaccins et le faire pucer. Il sera officiellement à moi. La cohabitation entre Truc et Astuce se passe à merveille.
Aujourd’hui à dix-sept heures, c’est le moment tant attendu, je vais chez ce nouveau vétérinaire conseillé par Aline, il paraît qu’il est top. Je vais officiellement adopter Astuce et ça me réjouit.
Sa voix m’était déjà agréable au téléphone, c’est important, car j’ai besoin d’être en confiance pour mettre ce chaton entre ses mains.
Astuce se comporte merveilleusement bien dans la salle d’attente. Tranquille dans sa cage trop grande, même pas peur, je suis fière de lui.
La porte s’ouvre, je m’abaisse pour prendre mon sac et quand je me relève, j’ai le cœur qui chavire. Mon sac dans la main, c’est mon écharpe qui tombe, je sens que je rougis, mais que se passe-t-il enfin ?
Quand je me relève à nouveau, je sais que je suis toute rouge, je sens une bouffée de chaleur qui me met en nage, « déjà la ménopause ? » Oh non, pas déjà, pas d’un coup !
Je suis Clément, une connaissance d’Aline, je suis son vétérinaire. Enfin, le vétérinaire de son chien.
Il éclate de rire, ce qui me laisse un peu de temps pour retrouver mes esprits. Quelle cruche, je ne comprends pas ce qu’il se passe, mon cœur s’emballe dans ma poitrine, je sens que j’ai les mains moites, horreur ! Il me tend la main, comment esquiver, pas moyen. C’est la ménopause, c’est sûr !
Je pose la cage d’Astuce par terre ce qui me permet d’essuyer discrètement ma main sur mon pantalon en me relevant et de lui tendre en retour.
Je remarque son chouette sourire, en pleine lumière, il me paraît encore plus séduisant qu’au théâtre. On se calme, Léa, on se calme !
Clément me lance un petit sourire complice, il comprend que ce chat a de l’importance pour moi et me montre qu’il compte bien en prendre soin. Ça me plaît, et il n’y a pas que ça qui me plaît, mais je dois me calmer absolument.
Le temps de l’examen du chat en silence me permet de reprendre mes esprits. Je regarde un peu autour de moi et ce que je vois me fait sourire. Un porte-encens, un bougeoir et un petit bouddha sont posés sur un plateau en bois dans un coin. Je l’imagine faire une petite séance de méditation pendant son temps de midi, je kiffe et il le voit à mon avis.
De nouveau, il éclate de rire, il sourit tout le temps ce mec, quelle énergie positive il dégage, c’est fou, j’arrive à la ressentir, quel bonheur.
Je sors du cabinet le cœur léger, ce moment était agréable, mais je garde en tête qu’au théâtre, il était accompagné. Un mec comme ça est certainement en couple, c’est sûr.
Je prends rendez-vous pour le vendredi suivant pour le détartrage de Truc. La secrétaire m’annonce que c’est sous anesthésie totale, j’ai failli demander une anesthésie pour deux ! Ça me fait un choc, car il a un certain âge et j’ai très peur que son cœur ne tienne pas le coup. Je sais que je vais être angoissée pendant toute l’intervention. Soit, je n’y suis pas encore, une chose à la fois.
Enfin je rentre chez moi, ravie d’être vendredi soir, car la semaine a été longue. Je pensais me reposer tout ce week-end, mais Nina voudrait repeindre une chambre chez elle et comme Marc est en déplacement, c’est le week-end idéal « comme ça, il ne nous gênera pas, on pourra discuter à l’aise », me dit-elle.
C’est vrai que de passer du temps avec mon amie me fait plaisir. Et comme j’adore peindre, on va se faire un chouette trip toutes les deux et clôturer la journée avec un bon verre de vin, je vois déjà ça d’ici.
***
On démarre tôt la journée de samedi, j’arrive avec le matériel et elle a la peinture. On s’installe dans le salon pour organiser notre journée et savoir qui fait quoi.
Le plastique est placé, je vais faire les tours et Nina passera le rouleau au milieu, ça va aller assez vite, je suis contente d’être là. C’est parti !
Après quelques minutes, je n’en peux plus, j’ai trop envie de savoir certaines choses…
Nina part dans un éclat de rire qui me fait en effet réaliser le ridicule de la situation. Mais j’ai encore la carte « Aline » à jouer pour en savoir un peu plus sur lui. Vivement le travail lundi ! Jamais je n’aurais cru dire un truc pareil !
Allez, on se remet au boulot dans cette bonne humeur que je ressens souvent quand je suis avec mon amie.
Nous nous arrêtons un quart d’heure à midi pour enfiler un sandwich vite fait, histoire de terminer pas trop tard. Comme Marc n’est pas là ce soir, nous allons commander chinois, j’adore.
Au moment de s’y remettre, on sonne à la porte et Nina me crie de la chambre :