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Récit d’inspiration autobiographique,
Les bulles du bonheur raconte l’histoire d’une jeune femme franco-syrienne. Tel un funambule et pour échapper au confinement, elle va se hasarder sur le fil de ses bulles proustiennes à la recherche du temps heureux. Pourra-t-elle retrouver le bonheur perdu depuis son déracinement ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Émanant de son désir de présenter des fragments d’une Syrie méconnue,
Sanaa Khoury-Ortega propose
Les bulles du bonheur dont l’écriture lui a permis de remonter le temps et de retrouver sa terre natale.
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Sanaa Khoury-Ortega
Les bulles du bonheur
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sanaa Khoury-Ortega
ISBN : 979-10-377-5521-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon frère Georges,
mon confident et mon âme sœur,
qui est à l’origine de mon projet d’écriture.
À ma fille Marion, ma mère Joséphine,
et mes amis qui m’ont soutenue.
À la mémoire de mon père,
qui m’accompagne à chaque instant de ma vie.
Chapitre I
D’un confinement à un autre
Ce fichu confinement, un mot nouveau qu’elle doit intégrer dans son vocabulaire ! Elle doit patienter dans la file d’attente, une situation étrange s’élevant d’un passé qui lui semblait lointain.
Elle regarde alors ses mains, les examine à la recherche des cors formés par le poids lourd du seau rempli d’eau, lorsque surgit soudain une douleur lancinante. Elle entend cette voix rassurante et douce à son cœur, c’est celle de son père qui lui demande :
— Tu y arrives ?
— Oui, papa, ça va aller, la maison n’est plus trop loin, on peut s’arrêter un peu ? Elle ne voulait pas inquiéter son papa.
— On doit se dépêcher, la sirène va retentir d’une minute à l’autre pour le couvre-feu ! lui répond-il.
À peine termine-t-il sa phrase, qu’une sonnerie aiguë et terrifiante paralyse la petite fille de huit ans :
— Papa, j’ai peur !
— Pressons le pas, on a le temps, on n’est pas loin de la maison, courage ma fille !
Cette voix au pouvoir magique réconforte la petite Claire, elle a oublié la sirène pour concentrer ses efforts sur le liquide précieux que contiennent les deux seaux. Pour se procurer cette eau si nécessaire à la famille, elle avait attendu patiemment devant la citerne, inquiète face à l’immensité des récipients apportés par la foule qui se bousculait pour accéder au breuvage vital, à la source de la vie !
Certains ont remarqué la présence de la petite fille avec son père, un grand monsieur admiré de tous, ils les ont laissés passer :
— M. Khoury, tfaddal, walaw1 !
Et la voilà enfin arrivée devant le grand camion, elle ne peut pas détacher ses yeux de l’eau cristalline qui jaillit du large tuyau pour remplir ses deux seaux et les bidons de son père !
Elle sent la fraîcheur des gouttelettes pulvérisées lui rafraîchir le visage, récompense ultime du guerrier méritant qui atteint le Saint Graal !
Elle porte courageusement les sceaux qui lui entaillent la peau, sacrifice sublimé par le regard admiratif et tendre de son père. Elle est fière, oui très fière de pouvoir participer à cette mission malgré la peur qui lui tord les entrailles.
Enfin, les voilà arrivés à la maison, lorsqu’elle aperçoit sa mère faisant les cent pas sur le trottoir devant la maison.
— Pourquoi vous avez tant tardé ? Tout le monde est là, allez vite, dépêchons-nous !
La petite claire n’entend plus que les battements de son cœur comme s’il allait exploser. Elle a peur ! Elle suit son père, dépose son chargement dans la cuisine et court vers le corridor, l’abri de fortune où se sont réfugiés les voisins, son oncle et ses cousins.
Ces retrouvailles la réconfortent malgré l’obscurité des lieux. Son frère lui a gardé une place à côté de lui, elle se faufile et s’y installe lorsqu’une explosion assourdissante retentit et fait trembler les murs.
Elle hurle, ferme les yeux et sombre dans un silence oppressant. Elle ne voit plus rien et n’entend plus rien…
Terrifiée, elle ouvre les yeux, cherche du regard les vitres de la porte d’entrée et voit les croix que forment les rubans adhésifs intacts :
— Ouf, on est en sécurité ! pense-t-elle soulagée.
Il lui semble entendre les battements du cœur de son frère, il tremble et se met à pleurer. Elle le prend dans ses bras pour le rassurer, mais d’autres explosions retentissent, fendant le silence et éclairant le ciel de mille feux. Elle voit les éclairs dans les yeux effrayés de ses cousins, des voisins, de sa mère et de sa sœur.
Elle cherche les yeux de son père, un océan de tendresse et de sérénité, les seuls qui ne mentent pas. Elle y perçoit une lueur d’espoir suivie de la sirène annonçant la fin du raid2.
Elle peut enfin fermer les yeux et laisser son imagination vagabonder vers des contrées lointaines lorsqu’une voix grave l’interpelle !
Elle ouvre les yeux et voit devant elle un policier masqué. Il lui demande son autorisation de sortie, ce sésame qui lui octroie le droit de sortir. Cette demande la ramène à cette réalité terrible qu’elle n’avait jamais cru pouvoir vivre un jour en France, ce pays cher à son cœur comme elle aime le dire : le pays de Victor Hugo, de Maupassant et de tant d’autres, celui de ses rêves.
En effet, l’agent n’avait pas besoin de parler, son regard disait beaucoup de choses : la peur, la lassitude, la colère, l’incompréhension, l’empathie peut-être… Eh oui, avec ce Covid, on apprend à parler autrement, à communiquer avec les yeux, le miroir de l’âme qui ne trompe pas !
C’est là peut-être que l’humanité peut quitter un monde superficiel, bruyant, un monde de convenance pour s’insinuer au cœur de son être et redécouvrir ce beau trésor tapi au fond de chacun, son substratum, le vrai et non celui qu’elle doit montrer et afficher, même lorsqu’elle trahit complètement son essence et sa vérité profonde pour se conformer à ce que la société exige d’elle !
Mais avant de pouvoir apostasier et abdiquer ce monde de masques, il faut un long sevrage de nos habitudes sociales, d’un quotidien rassurant rempli de bruits et de vie qui bourdonne partout. Cela ne peut se faire sans douleur, d’ailleurs est-ce possible ? Cela semble dépasser tout entendement !
Claire n’oubliera jamais le premier jour du confinement : elle doit descendre la poubelle, elle sort de l’immeuble à huit heures du soir et là, le confinement devient une réalité, prend corps et se présente devant elle de la manière la plus cruelle, la plus effrontée. Elle s’arme alors de son sésame, serre l’autorisation dans sa poche et avance d’un pas sûr mais tremblant face à l’obscurité alourdie par un silence assourdissant.
Elle découvre une ville fantôme et sinistre ! Elle regarde les terrasses de restaurants qui étaient d’habitude grouillantes de monde, elles sont désormais des gouffres désespérés qui gémissent et pleurent leurs habitués.
— Où sont mes gourmands, où sont mes bons vivants ? Pourquoi je n’entends plus le tintement des verres, les pas des serveurs, le rire des enfants ?
Claire se sent paralysée face à ce paysage désertique, angoissant et oppressant ! Ce gouffre noir et taciturne commence à l’engloutir, elle s’y glisse, bâillonnée par un silence effrayant.
Soudain, elle aperçoit les lumières aux fenêtres et voilà l’ombre d’une humanité endormie, cachée et fourmillante derrière ces majestueuses façades froides et immuables. Elle la devine, elle imagine une vie foisonnante en promesse d’un déconfinement lointain.
Mais comment alors, un océan de vie, une humanité tout entière, peut-elle céder au néant, accepter de cesser d’être ?
Seule une garantie de survie a pu freiner l’effervescence de la vie. C’est justement parce que la vie tient à la vie et refuse de laisser une pandémie jeter son opprobre sur sa conservation qu’elle cède à l’impossible. Elle se terre derrière les vitres. Les percées de lumière trahissent le néant par les spectres mouvants et laissent ainsi échapper silencieusement la mélodie humaine indomptable !
Mélodie qui berce la jeune femme et la transporte loin, très loin jusqu’à retrouver la petite fille de huit ans entourée de ses proches et confinée dans cet abri loin du tumulte de la guerre qui bat son plein dehors dans la rue.
Drapée de ce sentiment de sécurité parmi les siens, ce souvenir revient à son esprit et ravive son âme d’un souffle de bonheur ! Cette bulle de bonheur est sa Madeleine de Proust3. Elle en avait un stock inépuisable !
Non, elle refuse de subir ce virus, c’est injuste, elle ne peut l’accepter !
Elle a toujours détesté l’injustice comme ce jour où elle s’était retrouvée attachée dos à dos avec sa grande sœur, pieds et mains liés car elles avaient fait une bêtise qui méritait cette punition !
Seules dans la salle de bain, assises par terre, les deux fillettes avaient trouvé le châtiment de leur maman injuste.
La petite Claire, rebelle et indomptable, avait décidé de couper la corde et l’arracher avec ses dents : elle avait mal, mais elle ne voulait pas renoncer à sa révolte…
Elle avait persisté jusqu’à libérer ses mains et ses pieds des liens qui l’attachaient à sa sœur.
Libérées, les deux fillettes s’étaient enfuies. Elles ne savaient pas où aller, elles voulaient fuguer et disséminer leur colère pour apaiser leur cœur meurtri.
Claire s’était sentie très forte ce jour-là, car elle avait brisé les chaînes de l’obéissance et libéré sa grande sœur également.
Elles avaient flâné dans le quartier et humé les roses, le jasmin enivrant, les chèvrefeuilles qui jonchaient les haies des maisons. Ce parfum délicieux embaumait et pénétrait jusqu’à la parcelle la plus infime de leur petit être pour absoudre leur âme et la revêtir de sa candeur.
Après une errance au goût délicieux de liberté, les fillettes, affamées, étaient retournées à la maison tout en redoutant la colère des parents.
Elles s’étaient alors cachées sous les escaliers et avaient assisté avec délice à la peur et l’agitation de leur maman qui les cherchait affolée :
— Aziz, où sont les filles ? Il faut les trouver !
Leur père avait fini par les retrouver, et la joie des retrouvailles remplaça la colère des parents qui les couvrirent de mille baisers. Claire savoura cette récompense ultime pour son acte héroïque.
Les lieux ne sont pas immuables, ils se métamorphosent au gré de nos peurs et de nos joies ; c’est ainsi que cet escalier, l’abri de la peur, se transforme en un trône de bonheur et de joie immense la veille de Noël, lorsque la fillette entend frapper à la porte.
Elle accourt, ouvre la porte et voit les marches couvertes et tapissées d’une exaltante verdure. Elle découvre un immense pin magnifique avec ses aiguilles vertes et brillantes en promesse d’un Noël joyeux.
Son père porte l’arbre féerique sur ses épaules, ce héros de sa vie, paraît le plus beau de tous les pères de la terre.
Il lui semble voir une farandole d’étoiles et entendre un carillon de symphonie euphorique qui secoue son âme.
Elle danse et tournoie autour de cet arbre gigantesque qui s’apprête à se vêtir de son plus bel apparat.
Le soir venu, toute la famille se réunit pour le décorer de mille et une merveilles. Et le voilà enfin prêt à accueillir le divin enfant ainsi que les cadeaux de la marmaille.
La petite Claire ne veut pas quitter ce beau sapin, elle regarde le petit oiseau en verre et l’envie de pouvoir se nicher et s’endormir dans les branches soyeuses de l’arbre festif.
Elle lui confie alors son secret, le souhait d’une jolie poupée espiègle comme elle, et accepte enfin d’aller au lit et de se coucher, la seule garantie pour une visite nocturne mystérieuse tant attendue !
Elle a du mal à s’endormir, il lui semble entendre dans son sommeil des pas s’affairer au loin. C’est père Noël, pense-t-elle, et cette délicieuse idée se charge de lui ouvrir les portes du royaume onirique, celui des rêves.
Elle s’y faufile avec délice, arpente les chemins duveteux, elle s’enfonce dans une douceur cotonneuse et laiteuse, quittant le Moi pour se ressourcer de cette source éternelle, lorsqu’elle entend une voix si douce à son oreille, celle de son père :
— Claire, bonjour ma chérie, joyeux Noël, je pense que père Noël est passé cette nuit.
La fillette ouvre les yeux et se précipite vers le salon où trône le beau sapin.
Ses yeux s’illuminent de mille feux lorsqu’elle découvre trois gros paquets déposés au pied du sapin :
— Papa, il est passé le vieux barbu, tu vois, j’étais sage et il ne m’a pas oubliée !
Elle ouvre le paquet qui porte son nom, déchire hâtivement l’emballage et pousse un cri de joie.
Elle contemple la poupée qui lui sourit et la fixe avec ses deux perles bleues. Son cœur bat la chamade, elle n’ose pas sortir l’objet de ses désirs de sa boîte.
Elle ne sait pas combien de temps elle était restée paralysée, figée-là, assise par terre, serrant très fort son cadeau.
Elle ne veut pas la lâcher mais c’est un jour de fête et il faut se préparer, mettre ses plus beaux habits pour accueillir les cousins et les cousines, les oncles et les tantes, les amis et tous ceux qui viendront leur souhaiter un joyeux Noël.
Résignée, elle dépose sa poupée sur son lit et met sa belle robe en laine avec ses belles bottes vernies.
Pour ses cheveux, elle choisit un ruban satiné bleu, tout comme la robe et les rubans de Nana, le nom qu’elle a choisi pour sa poupée.
Cette bulle de bonheur embaume une odeur délicieuse de ma’moul et ka’k al id4 – . Ces gâteaux que sa maman confectionne pour Noël.
Elle sent la tiédeur de ce liquide laiteux et divin du kebbé labaniyé, ce plat fameux composé de boulettes de boulghour farcies avec de la viande et cuites avec le yaourt. Pourrait-elle remonter le temps à travers ses papilles gustatives ?
Cette idée la heurte à la dure réalité du confinement ; il faut préparer l’autorisation de sortie, et s’armer de patience devant le magasin avant d’accéder à l’entrée.
Claire regarde les hommes et les femmes masqués avec leurs regards de défiance ; il lui semble les entendre hurler et la lapider de reproches :
— Pourquoi, tu ne portes pas de masque ? Tu es inconsciente, hein…
Elle s’écarte alors comme une pestiférée ; en effet, l’humanité ne changera pas et, autant le progrès paraisse grand et gigantesque à travers l’industrie, le numérique, l’économie, etc., autant l’instinct primaire, l’ego, ce monstre reste tapi et s’enracine au tréfonds de l’âme humaine.
Claire compatit avec le lépreux rejeté de tous ; la scène biblique s’impose alors à sa conscience : elle le voit, partage sa douleur d’être rejeté, banni des siens, ce lépreux abîmé dans sa chair !
Seule la source de Miséricorde, un cœur pur sans faille d’où jaillit l’amour éternel sans condition, est capable d’aimer jusqu’à nos tares, nos faiblesses, nos défaillances !
Ce Dieu d’amour viendra-t-il diluer les cœurs et les remplir de tolérance, de compassion ?