Une vie au parfum du jasmin - Sanaa Khoury-Ortega - E-Book

Une vie au parfum du jasmin E-Book

Sanaa Khoury-Ortega

0,0

Beschreibung

Hanté par les derniers mots de sa grand-mère Rose, « j’ai trouvé Li », Samuel se questionne sur l’identité de cette mystérieuse Li et se demande s’il connaissait vraiment Rose. Pour fuir ses doutes, il se lance dans un marathon et rencontre Sophie à Boulouris, sous un jasmin particulier, déclenchant une quête qui le mènera sur des sentiers parfumés, de ville en ville, de pays en pays, à la recherche de cette fameuse Li. Sans le savoir, il chemine en réalité vers la terre de ses racines, de ses ancêtres. "Une vie au parfum du jasmin" retrace les fragments de vie et la destinée d’une famille qui a su préserver son héritage malgré les épreuves. Une aventure palpitante, où chaque page dévoile un peu plus une vérité bouleversante : un récit inoubliable que vous ne pourrez pas quitter des yeux.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Sanaa Khoury-Ortega s’inspire d’une rencontre émouvante à Montpellier, quelques décennies auparavant, pour nous livrer une fresque méditerranéenne. "Une vie au parfum du jasmin" est, au-delà des histoires d’amour touchantes, un voyage dans le temps et un croisement de vies, destiné à reconnecter toute une diaspora à ses racines.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 274

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Sanaa Khoury-Ortega

Une vie au parfum du jasmin

Roman

© Lys Bleu Éditions – Sanaa Khoury-Ortega

ISBN : 979-10-422-4578-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mon frère Georges, le terreau de mon jasmin

À Marion

mon petit jasmin irrigué par la berceuse de mon cœur

À toutes et tous les déraciné(e)s…

Nos racines poussent dans nos cœurs avant de se mêler à celles de la terre pour bourgeonner et éclore de beaux jasmins ourlés de nos souvenirs, de nos rires et de larmes ; ils portent en eux la voix de nos ancêtres et deviennent ainsi le livre de notre vie.

Sanaa Khoury-Ortega

1

Le marathon

Il entendait les battements de son cœur qui battait à tout rompre et sentait l’asphalte brûler les semelles de ses baskets achetées la veille pour ce marathon. Il ne voulait pas s’arrêter, la phrase « je l’ai trouvée mon Titi, j’ai trouvé ma Li… » le hantait, il n’arrivait pas à l’oublier, alors il s’était lancé dans cette course ; il court vite et refuse d’écouter son corps et ses jambes qui le supplient de ralentir, il veut anéantir l’espace, braver les limites du temps et retrouver mamie Rose, sa Rose, qui n’a pas eu le temps de lui dévoiler le Secret : qu’avait-elle trouvé ? Qui est Li ?

Samuel secoue la tête et veut accélérer le rythme pour oublier, mais il n’a plus de souffle, sa vue se brouille et ne voit plus rien, il s’effondre…

— Monsieur, vous m’entendez ?

Il entend cette voix délicate et douce, mais n’arrive pas à ouvrir les yeux, tellement il est fatigué. Un parfum délicieux et enivrant l’enveloppe et pénètre jusqu’à son cœur. Il est revigoré et se sent fortifié. Il ouvre les yeux et voit une jeune femme penchée sur lui, elle le regarde avec une tendresse infinie en essayant de lui venir en aide :

— Mais qu’est-ce qui s’est passé ? lui demande-t-il.

— Tu es déshydraté, je pense. Avec cette chaleur, il faut boire, sinon vous ne pourrez pas continuer la course.

Samuel ne connaissait pas cette jolie jeune femme, mais revenant à lui, il remarque sa tenue sportive et comprend alors qu’il s’agit d’une participante au marathon :

— Vous allez prendre du retard, dit-il en reprenant ses esprits.

Sophie ne se souciait plus du marathon, elle reste auprès de Samuel et lui tend sa gourde remplie d’eau bien fraîche :

— Il faut s’hydrater, il est presque midi et il doit faire plus de trente degrés !

Samuel est ébloui par les reflets flamboyants de la jeune femme aux boucles rousses, elle le regarde avec ses yeux vert émeraude, son regard doux le réconforte et lui rappelle celui de Rose.

Sophie est aussi troublée par l’intensité du regard de Samuel, ce sportif au charme méditerranéen que la fatigue n’a pas réussi à dissimuler.

Les deux jeunes gens oublient la course et s’engouffrent dans une bulle duveteuse de bien-être, de joie indescriptible, embaumée par un parfum envoûtant :

— Quel est ton parfum ? lui demande Samuel.

— C’est drôle, j’allais te poser la même question.

C’est alors que leurs regards se tournent vers la villa devant eux et découvrent un magnifique jasmin couvrant toute la terrasse.

Sophie aide Samuel à se relever et se dirigent tous les deux vers la villa pour se réfugier à l’ombre du jasmin. Ils ferment les yeux et hument le parfum exquis qui semble venir d’un autre monde. Ils sentent leurs cœurs battre à l’unisson. Plus besoin de parler, un autre langage s’instaure et susurre à leurs âmes les paroles les plus douces. La chaleur qui les étouffait se transforme en douceur et les lieux se teintent de mille couleurs. Boulouris, la commune où se trouvent les deux sportifs, devient alors un paradis où règne une sérénité incroyable. Un sentiment de bien-être les enveloppe. Ils s’y glissent pour une minute, une heure, une éternité, le savent-ils ?

Dans cette quiétude, Samuel entend une voix chère à son cœur lui souffler les mots les plus délicieux. C’est celle de sa grand-mère partie, il y a trois mois. Il sent la douceur de sa main lui caresser la nuque et lui dire combien elle est fière de lui.

Elle lui manque ! Il n’arrive toujours pas à faire le deuil de cette femme courageuse qui l’a élevé après la mort de ses parents. Le parfum du jasmin le transporte à Damas où il avait passé ses dernières vacances avec Rose, oui elle s’appelait Rose et portait en elle toute la délicatesse de la rose de Damas, une rose très parfumée, mais tellement fragile. Il la voit, allongée sur le divan à l’ombre du jasmin et dégustant son café à la cardamome accompagné de barazek, des succulents biscuits fins au sésame et aux éclats de pistaches, une spécialité Damasienne.

Tout en elle le rassurait, son sourire malgré la douleur qui lui tordait les boyaux, sa robe fleurie qui était son refuge lorsqu’il voulait cacher ses larmes, ses yeux fermés lorsqu’elle humait les fleurs du jasmin, sa voix douce qui savait le consoler de ses chagrins, son fou rire lorsqu’il faisait des bêtises ; elle riait jusqu’aux larmes…

Perdu ainsi dans ses souvenirs, Samuel sent une larme sur son bras, il ouvre les yeux et surprend Sophie en train de pleurer. La jeune fille est gênée, elle enfouit sa tête dans le dôme parfumé et fait semblant de humer le jasmin.

Il voulait lui demander la raison de ses pleurs, la rassurer et partager avec elle le souvenir de sa grand-mère. Peut-être a-t-elle senti sa présence et sa douceur, ce qui explique son émotion ? Toutes ces questions sont restées bloquées dans sa gorge. Il a toujours été mal à l’aise face à la douleur des autres. Mais là, cette jeune femme semble partager la sienne, ou peut-être a-t-il laissé échapper quelques mots dans ses rêveries ?

Sophie essuie discrètement ses larmes, regarde sa montre, prétexte un rendez-vous avec les copines et disparaît à la vitesse d’un éclair avec un geste de la main en guise de salutation.

Samuel, encore sous l’emprise de ses souvenirs, ne trouve pas la force de l’empêcher de partir.

— Peut-être ai-je rêvé, c’était une hallucination due à l’insolation et à la fatigue ? Mais non, il voit encore les larmes sur son bras ! Donc, c’était bien réel ? Il n’a pas rêvé de cette jeune fille venue à son secours. Dommage qu’elle soit partie si vite, il aurait aimé lui demander son nom et les raisons de ses pleurs. Le fil de ses pensées est interrompu par un bruit strident, c’est le grincement du portail de la villa qui vient de s’ouvrir laissant apparaître une voiture noire sortant du garage.

Samuel s’éloigne et décide de renoncer à rejoindre les marathoniens. Il fait péniblement quelques pas pour rebrousser chemin et rentrer chez lui, mais il tombe nez à nez avec un visage ami :

— Hé, tu t’es perdu ou quoi ? lui demande Thomas, son ami d’enfance. Je suis venu pour toi et tu me lâches ? Eh bien, je ne pensais pas te trouver là ! J’étais inquiet, moi !

Samuel ne savait pas quoi répondre à son ami ni comment justifier sa présence sous le jasmin. Le croira-t-il ? Puis, elle est où cette sauveuse qui l’a aidé avant de disparaître à la vitesse de l’éclair ?

Il explique alors à son ami s’être senti mal et va jusqu’à prétexter avoir mal dormi :

— Pourtant, tu t’étais bien préparé pour ce marathon ! rétorque Thomas, étonné de la réponse de son ami. Mais Samuel est à mille lieues des préoccupations de Thomas, il veut laisser perdurer le souvenir palpable de Rose et propose à son ami d’aller manger au restaurant préféré de sa grand-mère.

— Allons chez Rose alors, acquiesce Thomas, puis il rajoute après réflexion :

— C’est donc ça qui t’a empêché de continuer la course ?

— Je ne sais pas vraiment, mais ce jasmin m’a parlé d’elle. Allons manger en sa mémoire son aïoli préféré.

Ce jour-là qui devait être consacré à la course, au sport, s’est transformé en une journée de mémoire. Chaque bouchée, chaque détail, a rappelé à Samuel sa Rose : il l’entend complimenter le chef sur la qualité du poisson, appeler le serveur pour demander une corbeille de pain. Il la voit tenir son verre de blanc et l’entend lui répéter :

— Mon Titi tu boiras toujours en ma mémoire. Je veillerai sur toi de là-haut. Tu me promets de continuer à croquer la vie à pleines dents !

Elle l’appelait ainsi en souvenir de l’oisillon qu’elle avait trouvé sous le jasmin et qu’elle avait soigné jusqu’à sa convalescence, puis un jour, elle avait laissé la cage ouverte : Titi a secoué ses petites ailes, quitté la cage et sautillé avec ses petites pattes jusqu’au salon. Elle essayait de l’attraper, il s’est posé alors sur la commode à côté du téléphone avant de s’envoler. C’est à ce moment-là que le téléphone sonne, on lui annonçait la naissance de son petit-fils, de son Samuel, son Titi.

Samuel retient ses larmes lorsqu’il entend son ami commander deux cafés. En grand amateur de café, Samuel finit toujours ses repas par un café serré à l’italienne, mais à ce moment-là, il s’agit d’un breuvage au pouvoir magique, celui de ressusciter le souvenir de sa grand-mère qui ne l’a jamais quitté depuis son décès il y a trois mois, juste après leur retour de Damas, ce voyage que mamie Rose avait qualifié de retour aux sources. Elle semblait préoccupée à chercher quelque chose, elle savait exactement où aller, elle avait refusé de séjourner dans un de ces grands hôtels qui pullulaient à Damas ; elle avait préféré réserver une suite dans une des maisons traditionnelles à Bab Touma, transformées en hôtel. Souvent, elle disparaissait le matin et revenait à l’heure du déjeuner :

— Mamie, tu étais où ? Je t’ai attendue pour déjeuner ! disait Samuel surpris de voir sa mamie disparue du bon matin.

— Mon Titi, je te dirai tout, mais pour l’instant je n’ai pas de certitude et il ne sert à rien d’évoquer un passé en haillon, il faudra raccommoder les souvenirs, retrouver les morceaux et réparer l’histoire avant de la livrer en trésor que tu garderas dans ton âme et qui pansera tes blessures.

Face à son refus, Samuel n’avait pas le choix, il avait alors fini par capituler et accepter la proposition de Rose d’aller déjeuner dans un des meilleurs restaurants traditionnels sous la pergola de jasmin pour un moment de quiétude hors du temps.

2

Souvenirs et trahison

Sophie regarde les photos de vacances. Pourtant, depuis leur séparation, elle s’était promis de ne plus jamais les sortir de la boîte enfouie au fond du placard.

Mais ce jour-là, à Boulouris, le jasmin lui a rappelé cette fameuse journée où elle se promenait au jardin des plantes avec Hugo, son fiancé, lorsqu’il s’arrête devant une plante aux petites fleurs blanches. Il lui explique alors avec fierté qu’il s’agit d’un jasmin.

— Ah non, le jasmin a un parfum très délicat. Or, cette plante ressemble plus au jasmin étoilé, le faux jasmin sans parfum.

— Tu crois tout savoir et sur tout. J’en ai marre de tes remarques.

Et voilà Hugo qui se lance dans un discours accusateur pour accabler Alice de tous les défauts. Il fait feu de tout bois et semble déterminé à mettre un terme à leur relation.

Sophie est sidérée, elle ne comprend pas ! Certes ces derniers temps, ils se disputaient beaucoup, mais elle avait mis cela sur le compte de la fatigue ; Hugo travaillait beaucoup sur son doctorat. Quant à elle, elle rentrait souvent épuisée de ses longues journées de travail au service social de la mairie. Elle aime écouter les gens et leur apporter des solutions, ça a toujours été une vocation chez elle de porter secours aux plus faibles. D’ailleurs, c’est ce sentiment altruiste qui l’avait poussée à accepter qu’Hugo démissionne de son travail pour reprendre son doctorat en agronomie.

Mais depuis quelques mois, Hugo s’absentait beaucoup et semblait souvent irrité.

— Je ne suis pas un de tes dossiers ! criait-il souvent pour répondre à Sophie qui tentait de comprendre son attitude étrange et distante, ou d’apaiser les choses entre eux.

D’ailleurs, c’est elle qui a proposé cette balade au jardin des plantes ce fameux dimanche pour faire plaisir au futur docteur en agronomie. Elle l’aime de tout son cœur et tient tellement à sauver son couple qu’elle ne compte plus les concessions et sacrifices qu’elle a dû faire depuis quelques mois.

Mais, devant ce faux jasmin, quelque chose a changé. Comment pourrait-elle acquiescer une telle confusion, elle qui a grandi à l’ombre du jasmin et du chèvrefeuille de sa grand-mère Denise ? La patience et la compréhension cèdent à la franchise et à la colère d’une femme épuisée, abandonnée et surtout blessée.

— Ça suffit maintenant ! Tu crois que je suis aveugle ? Je sais que tu me trompes depuis trois mois, mais par amour, j’ai décidé de te pardonner… je voulais te reséduire, te reconquérir, essayer de réparer ce qui n’a pas fonctionné… Mais là, stop ! Je n’ai plus envie.

Face à cette explosion de colère, Hugo reste muet, puis il balbutie quelques mots.

— En fait, je ne savais pas comment te le dire.

— En plus, tu es lâche ! Ah, j’ai compris, tu voulais me pousser à te quitter pour avoir la conscience tranquille ? Mais tu n’as pas honte ?

Sophie ne se maîtrisait plus, les mots sortaient de sa bouche tel un torrent, elle crie, hurle, puis tombe sur le banc à côté et explose en sanglots.

Elle sent une caresse sur son bras, sa colère s’apaise et pense que finalement Hugo l’aime, et veut réparer les choses. Soulagée, elle ouvre les yeux et voit une fillette qui cherche à la consoler avec une fleur du jasmin.

— Pourquoi tu pleures ? lui demande-t-elle.

— Lili, viens ici ! Désolée du dérangement ! déclare une dame qui arrive en courant. De toute évidence, il s’agit de la maman de la petite fille.

Sophie regarde le petit visage innocent qui la fixe avec deux yeux vert brillant et espiègles. Elle lui sourit et cherche autour d’elle un autre visage, mais Hugo avait disparu. C’est à ce moment-là qu’elle réalise à quel point elle vivait dans l’illusion, elle avait tellement envie d’y croire qu’elle avait occulté la vérité. C’en est fini de son couple !

Elle regarde Lili s’éloigner avec sa maman, puis elle hume le parfum de la fleur que la petite a déposée finalement sur le banc : un parfum d’insouciance à l’image de cette enfant qui sautillait avec joie en tenant la main de sa maman. Sophie s’engouffre alors dans cette bulle olfactive pour supporter cette réalité cruelle et inconcevable pour elle.

Trois mois se sont écoulés depuis, Sophie s’était plongée corps et âme dans son travail et a réussi à tourner la page. Elle s’est inscrite dans un marathon organisé par la ville à l’occasion de la journée du bien-être. Elle a retrouvé un équilibre fragile, mais durable avec son travail et ses occupations sportives jusqu’au moment où l’odeur du jasmin la ramène cruellement à ce moment fatidique où elle avait cru voir son monde s’effondrer.

Depuis une semaine, le souvenir de ce jeune sportif hante ses pensées et en devient même entêtant. L’évocation du jasmin est étroitement liée à cet inconnu qui paraissait sensible à son émotion, n’a-t-elle pas senti son désarroi derrière son regard rêveur qui semblait partager sa peine ? Pourtant, elle ne se rappelle même plus de son visage, mais seulement d’un émoi furtif parfumé à l’odeur du jasmin, celui des souvenirs, celui des âmes en peine, des réminiscences enfouies aux tréfonds de notre âme, là où seule la vérité règne, sans artifices et sans faux semblants, là où se trouve la source qui nourrit notre être.

Mais qui est ce compagnon d’émotion, cet amoureux de jasmin qui a partagé son émoi ce fameux jour du marathon raté ?

— Pourquoi tu ne viendrais pas passer quelques jours à Marseille, je te bichonnerai et te ferai oublier cet Hugo, il ne te méritait pas de toute façon ! lui répétait inlassablement sa grand-mère tous les jours lors de leurs discussions sur WhatsApp.

Bien que Sophie n’arrivait plus à entendre ces mots qui lui rappelaient sa fragilité et sa vulnérabilité, elle avait besoin de ce cocon qui l’avait tant rassurée depuis toute petite. Mais en ce moment, elle a beaucoup de dossiers à gérer et ne peut pas se permettre de s’absenter.

— Écoute mamie, en septembre, je déposerai quelques jours de congé et je viendrai me ressourcer à l’ombre du jasmin, j’en ai besoin.

Sophie a besoin de retrouver sa sérénité, sa paix. Elle ferme les yeux et pense à ce jasmin de Boulouris, à son parfum envoûtant et décide d’y aller le lendemain après sa journée de travail.

3

Retrouvailles

À peine son déjeuner terminé, Samuel se précipite de prendre congé de ses associés et quitte le restaurant à la recherche d’air frais en ce début du mois de juin. Il longe le quai au bord de mer à Santa Lucia et contemple l’eau azur tout en humant une bouffée d’air frais iodé. Une envie de liberté, ou plutôt d’insouciance s’empare de lui. Il marche et contemple les vagues qui viennent s’échouer contre le quai bétonné. Il est pris de nostalgie et voit le visage amusé de Rose, elle savait écouter la mer, elle lui déchiffrait ce que les vagues murmuraient à nos âmes :

— Mais, toi mamie qui sait tout, tu comprends ce que disent les vagues ?

— Mon Titi, seuls un cœur pur et une âme sensible peuvent comprendre le langage de la nature.

— Ohhh, il n’y a pas plus grand que ton cœur, tu comprends alors ce que disent les vagues ? insistait le petit Samuel.

Rose qui ne voulait pas décevoir son petit-fils s’amusait à déchiffrer le murmure des vagues et livrer leurs messages à son Titi. Le petit garçon se sentait le dépositaire privilégié des secrets de l’univers.

Mamie Rose s’amusait et profitait de son pouvoir magique pour attribuer aux vagues ses propres pensées : tantôt, les vagues semblaient en colère et grondaient le garçonnet pour une bêtise, tantôt, elles semblaient tendres et livraient un message de tendresse pour consoler Titi d’un petit chagrin ou d’une déception.

— Mais alors, que disent les vagues aujourd’hui mamie Rose ? se dit Samuel qui fait un effort pour retenir ses larmes.

Rose lui manque tellement qu’il se met en marche direction Boulouris à la recherche de ce jasmin aux souvenirs : c’est ainsi qu’il l’avait baptisé.

Armé de son odorat et de son sens d’orientation, Samuel arpente le chemin à la recherche de son oasis de paix, cette paix qu’il peine à retrouver depuis la mort de Rose. Un vide insatiable le ronge, creusant une entaille de plus en plus profonde dans son cœur meurtri. Néanmoins, la semaine dernière, à l’ombre du jasmin, un sentiment furtif de plénitude l’avait effleuré.

Avant de le voir, il l’a senti, puis il perçoit le dôme blanc immaculé lui tendre les bras. C’est Rose qui lui ouvre les bras. Il se lance alors vers sa cure de jouvence et se réfugie sous les branches chargées de jasmin odorant et enivrant. Samuel ferme les yeux et hume ce parfum délicat à pleins poumons, il se laisse bercer par le murmure inaudible du jasmin. Il lui semble l’entendre lui susurrer les paroles les plus douces. Soudain, un halètement attire son attention et l’arrache à sa rêverie, il lui semble sentir presque le souffle de Rose bien réel. Effrayé, il ouvre les yeux… Qu’elle est grande sa surprise de voir le visage doux et souriant de la jeune fille rencontrée la semaine dernière, sa sauveuse !

Sophie semblait aussi très surprise. Lorsqu’elle avait emprunté le chemin en direction de la villa au jasmin, loin d’elle était l’idée de pouvoir rencontrer le marathonien de la semaine dernière. Ses joues se teintent alors d’un rose vif et elle n’arrive pas à cacher son trouble :

— Ça alors ! Je ne pensais pas vous trouver ici ! entonnent d’une seule voix les deux jeunes gens, puis ils éclatent d’un rire joyeux, presque enfantin.

Une complicité tangible lie les deux blessés de la vie, ils restent plantés-là à humer joyeusement et sereinement le parfum délicat des fleurs immaculées et duveteuses, lavant ainsi leurs âmes des souillures de la vie.

— Je l’ai appelé le jasmin aux pouvoirs magiques, dit timidement Sophie.

— On dirait que tu lis dans mes pensées ! rétorque Samuel étonné.

Samuel qui avait du mal à s’ouvrir devant une femme se met alors à se confier à Sophie. Cette dernière a l’impression de le connaître depuis longtemps et oublie sa défiance vis-à-vis de la gent masculine.

— Je croyais avoir rêvé et que tu étais une sorte de fée bienveillante qui avait volé à mon secours ! avoue Samuel avec un éclat de rire.

Les deux marathoniens nostalgiques découvrent alors qu’au-delà de l’émotion partagée ce jour-là, ils avaient beaucoup de points en commun, à commencer par le jasmin, un des souvenirs de leur enfance heureuse.

— Tu sais, voir ce jasmin, c’est retrouver un peu ma Denise, confie Sophie timidement, ma grand-mère est née en Algérie et m’a toujours raconté son enfance au pays du jasmin.

— C’est incroyable, moi aussi, j’ai retrouvé ma grand-mère Rose à l’ombre de ce jasmin !

Samuel raconte à Sophie le décès de sa grand-mère et ses difficultés à faire le deuil. C’était la seule famille qui lui restait depuis la mort de ses parents dans un accident tragique. Seule Rose savait le consoler et lire en lui. Elle qui avait tant souffert de quitter son pays et ses racines pour suivre ses parents dans l’espoir d’une vie meilleure :

— Je n’ai pas pu quitter le vieux quartier de Damas sans emporter avec moi un pot du full, une variété de jasmin qu’on appelle le jasmin d’Arabie que je te montrerai un jour, lui confiait-elle.

Chaque anecdote, chaque larme, chaque rire de Rose était accompagné d’un petit jasmin.

— Tu vois mon Titi, ce jasmin est mon paradis, lui répétait-elle, il a toujours partagé ma joie. À la mort de tes parents, j’ai failli perdre la raison, mais, cette odeur délicate et vivifiante lavait mon cœur de toute sa noirceur et me ramenait chez moi. J’y ai puisé de la force.

— Il doit être magnifique alors son jasmin ? lui demande Alice.

Cette question ravive la douleur de Samuel, mais il continue ses confidences et raconte à Sophie sa déception en apprenant la vente de la maison de sa grand-mère par son oncle William qui avait besoin d’argent :

— Et pour justifier la vente précipitée, il m’avait lancé : « tu sais combien l’enterrement m’a-t-il coûté ? » mais Mamie Rose m’avait demandé de m’occuper de son jasmin ! Comment pourrais-je faire maintenant ? Voilà la question qui me hante depuis, balbutie Samuel, le regard dans le vide.

— Comment tu as fait alors ? lui demande Sophie qui semble partager complètement sa peine.

Samuel, ne pouvant retenir ses larmes, explose en sanglots et lui raconte à quel point il avait souffert en découvrant que les nouveaux propriétaires avaient arraché le jasmin et tous les autres arbres pour mettre une piscine à la place :

— Vous comprenez, les enfants ont besoin de s’amuser ! m’avaient expliqué les jeunes parents, les nouveaux propriétaires de la maison de Rose.

— Ce jour-là, j’ai eu l’impression de perdre ma Rose une deuxième fois !

Un silence consolateur s’installe, les cœurs blessés communiquaient leurs douleurs et leurs souffrances.

C’est la première fois que Samuel ouvre son cœur endeuillé et partage son chagrin. Cette jeune femme le comprend, ses mots la troublent, elle a les larmes aux yeux !

— Toi aussi tu as perdu ton Jasmin ?

— Oh non, balbutie Sophie, Dieu merci ! Mon jasmin, enfin celui de mamie Denise est à Marseille.

Samuel, intrigué, ne comprenait pas alors les larmes de la jeune femme le jour du Marathon et n’ose pas lui demander les raisons de son chagrin. Peut-être a-t-elle des pouvoirs, un de ces pouvoirs de lire dans l’âme humaine et connaître la pensée des autres ?

— Oh, j’ai pleuré de chagrin ! dit Sophie qui s’est aperçue du trouble de Samuel. Ce jasmin a un pouvoir de toucher les cœurs. C’est une longue histoire.

— Ça te dit de me la raconter autour d’un café ?

Ainsi les deux rescapés de la vie ont passé tout l’après-midi à se confier l’un à l’autre ; Samuel s’est insurgé contre Hugo, l’ex-compagnon de Sophie, l’égoïste et l’infidèle :

— Pour moi, l’amour et l’engagement sont sacrés. On ne peut pas trahir celle qu’on aime !

Ces paroles réconfortent Sophie, elle se sent apaisée, comprise enfin ! Elle croyait que ces valeurs n’existaient plus, qu’elle est vieux-jeu comme disent ses copines. Mais voilà que le jasmin la guide vers Samuel qui partage les mêmes valeurs et les mêmes passions. Ils ont l’impression de se connaître depuis longtemps.

Il leur a fallu un mois de rendez-vous sous le jasmin pour enfin avouer leurs sentiments, ils deviennent indispensables l’un à l’autre. Ils avouent leur amour réciproque sous l’ombre du jasmin complice qui semble les couvrir de ses bénédictions.

— Sophie ! je sais que c’est mamie Rose qui t’a mise sur mon chemin. J’ai envie de te la présenter, déclare un jour Samuel.

Sophie accepte volontiers d’accompagner l’élu de son cœur au cimetière pour se recueillir sur la tombe de Rose. Ils ont cherché en vain un bouquet de jasmin, mais ils n’ont pas pu en trouver. Ils ont donc acheté un grand bouquet de roses blanches et rouges, les préférées de Rose.

Les deux amoureux posent le bouquet sur la pierre tombale et se recueillent avec dévotion devant le portrait de cette femme souriante dont le visage exprime une bonté infinie :

— Voici Mamie Rose, je te présente Sophie que j’ai rencontrée sous un jasmin, dit Samuel avec une voix nouée d’émotion.

Sophie lui prend la main et la serre très fort.

— Je sais que tu me l’as envoyée. Tu vois, elle a réussi à apprivoiser mon cœur de célibataire endurci comme tu disais. Bénis-nous mamie !

À ce moment-là, une brise souffle doucement et des effluves de jasmin embaument les lieux. Les deux amoureux se regardent pétrifiés. Ils n’osent pas parler, mais ils savent que c’est Rose. Ils se regardent puis tournent leur regard vers la photo de la défunte. Elle semble leur sourire avec une tendresse infinie.

4

Un amour au parfum du jasmin

Devant le portail bleu, Samuel admire la pergola couverte du jasmin qui les accueille avec ses fleurs immaculées. Il comprend alors pourquoi Rose l’avait guidé vers Sophie.

— Ne restez pas là ! Rentrez, rentrez les enfants, il fait chaud.

Samuel lève les yeux et voit une dame ronde au visage joyeux et chaleureux. C’est certainement Denise, la grand-mère de Sophie. Il attrape les deux valises et suit cette dernière. La jeune femme se précipite vers sa mamie qui se tenait sur le perron et se jette dans ses bras. Cette effusion bouleverse Samuel et lui rappelle sa Rose, elle lui manque tellement !

Il se faufile avec joie sous l’arcade fleurie et lave son âme avec la pluie florale qui bénit les deux amoureux.

Néanmoins, une fois rentré dans la maison, Samuel ne sent plus l’odeur du jasmin, elle semble rester accrochée à son arcade.

— À la naissance de Sophie, j’ai planté ce beau jasmin pour partager avec ma petite fille un peu de notre histoire, raconte Denise.

J’ai grandi en Algérie où j’ai vécu les plus belles années de ma vie. Puis, à l’âge de dix-huit ans, mes parents ont décidé de rentrer en France. Heureusement qu’on s’est installées dans le Sud. La douceur du climat adoucit la peine et le déracinement.

Partager ainsi l’histoire de Denise fut une occasion de plus qui prouvait à Samuel que sa rencontre avec Sophie n’était pas due au hasard.

— Mais, il faut avouer que ce jasmin n’a rien à voir avec celui qu’on avait en Algérie, il embaumait tout le quartier, poursuit Denise, il était presque devenu un membre de la famille : on se réunissait sous les branches fleuries qui nous couvraient de leur ombre parfumée et partageaient nos joies et peines. Comment oublier cette journée ensoleillée, parfumée au délicat parfum du jasmin qui partageait ma joie de première communiante ?

Ce jasmin semblait tellement vivant ! Il était devenu mon confident le plus intime. Je lui ai confié mon premier chagrin d’amour et il m’a couverte de son ombre pour apaiser ma peine. Mais aussi, il savait m’enivrer de joie, comme le jour de mes dix-huit, lorsque j’ai obtenu mon baccalauréat avec mention ; ce jour-là, il me semblait que le jasmin avait déployé son parfum exquis dans tout le quartier !

Soudain, le visage de Denise s’assombrit, et les larmes perlent à la lisière de ses yeux. Elle continue avec une voix étranglée par l’émotion :

— Mais jamais je n’oublierai ce jour resté gravé dans ma mémoire et dans chaque recoin de mon âme : il était midi passé et l’on attendait papa pour déjeuner et fêter ma réussite, lorsqu’on entend soudain la sirène suivie de quelques coups de feu. Les minutes se transformèrent en une éternité, j’étais tellement inquiète, mais le jasmin m’a donné du courage avec une fleur qui est venue me caresser le visage. Je l’ai ramassée et j’ai entrepris de faire un collier de jasmin ; j’entends alors les pas de mon père sur le carrelage. Papa est enfin rentré, mais son visage portait les prémices d’un destin que je n’avais pas choisi !

— Il faut partir, on n’a pas le choix ! Il faut quitter l’Algérie !

Cette décision m’avait anéantie :

— Mais papa, on va aller où ?

— On va rentrer en France.

Cette phrase m’avait remplie d’angoisse :

— Mais papa, je ne connais personne en France ! Toutes mes amies sont ici, c’est chez moi ici ! Puis on ne peut pas quitter notre maison !

Je criais, je hurlais et j’argumentais pour convaincre mes parents de changer d’avis, en vain.

Comment oublier le dernier soir où je n’arrivais pas à dormir : Je suis sortie sur le patio pour respirer, la lune éclairait le ciel étoilé, un silence capitonné m’a enveloppée et cajolé mon âme torturée à l’idée de partir. Ce soir-là, j’ai crié ma peine et l’ai partagée avec le jasmin. Je pleurais à chaudes larmes lorsque j’ai senti de l’eau sur mon épaule : il commençait à pleuvoir, une pluie fine, mélancolique et silencieuse, parfumée au délicat parfum du jasmin, il venait me consoler et panser les plaies de mon âme.

Les confidences de Denise rappellent à Samuel le souvenir de sa Rose, elle aussi lui a raconté le déchirement de son déracinement lorsque ses parents avaient décidé de quitter la Syrie, elle avait huit ans, l’âge de l’insouciance et de l’enfance heureuse ! Mais le plus dur était de se séparer de sa grande sœur, son aînée.

Rose racontait à Samuel le souvenir des soirées passées chez sa sœur et son beau-frère, dans leur maison de Bab Touma, à l’ombre du jasmin, bercée par le ronronnement de l’eau de la fontaine au milieu du patio. Elle aimait s’endormir sur le sofa en écoutant les histoires de familles, les discours enflammés parfois, les rires et le tintement des verres d’Arak aux effluves anisés qui emplissaient la nuit étoilée. Même le jasmin semblait partager les éclats de rire, et les couvrait de ses fleurs qui scintillaient et conféraient à l’assemblée une ambiance festive et joyeuse.

Pour Rose, c’était aussi un déchirement de quitter sa terre natale, sa sœur et ses racines, pour suivre ses parents dans leur nouvelle terre.

Les yeux de Samuel s’embuent au souvenir de celle qui l’a chéri tant. Il sent sa présence flotter et remplir le salon autour de lui.

Denise remarque l’émotion du jeune homme qui l’émeut à son tour :

— Tu vois mamie, ma rencontre avec Samuel n’est pas due au hasard, c’était écrit ! déclare Sophie avec beaucoup d’enthousiasme.