Maîtresse - Sylvia Hémery - E-Book

Maîtresse E-Book

Sylvia Hémery

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Beschreibung

Ouvrière dans une usine de fabrication d’armes, Vesna Dabrowski vit dans la banlieue de Moscou avec son fils, Ivan, né à la suite d’une aventure amoureuse entre elle et son professeur d’université.
La catastrophe de Chernobil a eu pour conséquence une malformation congénitale à la naissance d’Ivan.
Bien décidée à apaiser ses souffrances, Vesna, sa mère, se rapproche de la mafia russe et part en Europe où elle s’adonne à la prostitution, le sadomasochisme avec pour objectif de débarrasser Ivan des traces de sa malformation pour qu’il retrouve enfin une vie apaisée.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sylvia Hémery se consacre à l’écriture dès son plus jeune âge et écrit son premier poème à onze ans. Grâce à son talent, elle a obtenu le prix de l’excellence décerné par La Société des Poètes et Artistes de France.
Elle est auteure de plusieurs ouvrages dont Une mise à nu, Âme trame drame, Entre les Murs et bien d’autres.

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Sylvia Hémery

Maîtresse

Roman

© Lys Bleu Éditions – Sylvia Hémery

ISBN : 979-10-377-1710-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour Johanna

Chapitre 1

Vesna Dabroswki travaille dans la manufacture d’armes de guerre de Toula, au sud de Moscou.

Six heures du matin

Motivée par un maigre salaire, elle marche d’un pas assuré dans une nuit d’hiver brumeux et rude. Elle commence chaque jour par le même rituel, elle s’applique sur des exercices d’étirement à même le sol pour se réchauffer le corps marqué par la misère. Elle prend son petit déjeuner dans un silence cérémonial. Comme chaque matin, elle savoure un thé Kusmitea parfumé au miel, subtil en bouche, qu’elle boit, dans un verre orné d’un porte-verre (podstakannik), assise dans une modeste cuisine. Elle a pour habitude de préparer son pain la veille. Elle se régale d’une tartine de framboises broyées au sucre. Dehors, la température avoisine moins 20 degrés. Vesna se réchauffe les mains autour de son verre, les doigts longs, fins et gracieux comme ceux d’une danseuse étoile. Son maigre salaire lui suffit à peine pour nourrir son fils Ivan et sa grand-mère Anuska. Assise sur un tabouret, elle est installée près du poêle, elle fixe la croix de la Sainte Vierge accrochée au mur revêtu d’une vieille tapisserie de coquelicots sauvages posée par son père. Le poêle, maître de la pièce principale, trône vaillant, robuste et lourd. Quatre tabourets en paille l’entourent comme des valets agenouillés aux pieds de leur roi. La vaisselle en porcelaine d’Anuska, sa grand-mère, est posée sur une étagère en bois brut. Cette cuisine rudimentaire est habitée de secrets sanguinaires. La mère de Vesna est décédée quelques années après l’assassinat de son père, Igor, par des membres de la mafia rouge. D’après Anuska, Igor a été démembré devant les yeux de Vanina, sa mère, qui s’avérait être un règlement de compte. Vanina n’a pas supporté ce drame gravé dans l’encoignure de sa mémoire. Devenue dépressive, elle se jeta sous un train.

Avant de travailler à l’usine, Vesna était une étudiante brillante. Passionnée de poésie et de la langue française, elle maîtrise parfaitement le français. Assoiffée de littérature, elle se destinait à une belle carrière d’enseignante. Elle a eu une liaison amoureuse avec son professeur de français à l’Université Léon Tolstoï. Enceinte du professeur Federenko, elle s’est résignée à interrompre son master en langues étrangères. La naissance de son fils Ivan a été, pour elle, un cadeau béni des dieux. Elle lui a transmis sa passion pour la littérature. Ivan est un adolescent très mature pour son âge. Sa vie se résume à la lecture, l’écriture, la peinture, tout ça dans l’isolement. Après la terrible catastrophe nucléaire de Tchernobyl, de considérables maladies congénitales sont apparues. Son unique fils est atteint d’une malformation : la « fente labio-palatine » communément appelée le « bec-de-lièvre ». Une malformation très prononcée de la bouche due à un défaut de fusion du bourgeon nasal interne et du massif maxillaire. À l’annonce de sa grossesse au professeur Federenko, elle craignait perdre son poste à l’Université. Il finit par rompre avec elle par le biais d’une brève lettre.

моядорогая (ma chérie)

Il n’y a plus de soleil sans ton sourire, la pluie battante gifle la fenêtre de ma mélancolie, l’ombre de nos arbres fruitiers est le masque de ton dernier soupir. Le tourbillon des feuilles mortes de l’automne était la danse nuptiale de notre serment. Le chant des oiseaux était la parade de notre amour, le sifflement du vent était la flûte traversière de ton lyrisme, tu étais la guerrière de notre combat archaïque, tu étais le pilier de mon étoile. Sans la douceur de ton esprit, mon monde est gris. Mon silence est l’oratoire de ma thèse scientifique, la lueur de tes yeux était la flamme de Cupidon. Sans toi, le mot « vivre » est conjugué au passé composé. Tu étais l’astre de ma fortune, tu étais le parloir de notre descendance, tu étais le lutin de la magie de Noël, tu étais la candeur de mon mysticisme, tu étais mon bouquet de roses rouges, tu étais cette majestueuse cantatrice de mes rêves. Tu étais le ballot de paille de mon repos champêtre, tu étais la lune de mon cercle planétaire, tu étais la couverture de mes sueurs nocturnes, tu étais l’équation arithmétique des molécules médicinales, le sucrier de mes gourmandises, tu étais la valeureuse de mon armurerie. Le monde me semble laid sans toi, mon existence est devenue fadasse. Ton absence m’est insupportable. Tu es et tu seras mon dernier baiser.

со всей моей любовью (avec tout mon amour)

Vesna ne quitte jamais la maison avant d’embrasser son fils. Elle entre dans la chambre d’Ivan pour lui souhaiter une belle journée. Un rituel qui lui est de plus en plus pénible. À l’entrée de la chambre d’Ivan, elle aperçoit son ombre allongée sur le mur. Ivan se retourne. Ses grands yeux noirs s’écarquillent à la clarté qui provient du couloir. Il est hypnotisé par la beauté de sa mère, la lumière n’entoure qu’elle. Vesna a la taille fine d’une guêpe. Elle porte la grâce jusqu’au bout des doigts, mais la peau de ses mains est rêche. Les traits de Khôl contournent ses yeux de biche, ses pommettes dessinent son visage en cœur, ses longs cheveux blonds bouclés se délassent sur la chute de ses reins et ses lèvres fines habillent l’élégance de son sourire.

— Ivan, mon ange, passe une belle journée !

Ivan bondit de son lit en fer et crache sur le carrelage. Il le déteste, ce vieux carrelage de couleur vive en céramique Horacio posé par son grand-père, un cadeau offert par un mafieux mexicain après un affrontement lié à la drogue près de Guadalajara.

— Je ne suis pas ton ange !

Assise au bord du lit, Vesna lui caresse les cheveux.

— Oh, si, tu l’es. Et tu es aussi mon fils prodige destiné à un bel avenir, j’en suis sûre. Tu deviendras un grand philosophe, un écrivain ou un artiste peintre, qui sait !

Ivan la regarde, l’air dépité…

— Chaque soir avant de m’endormir, une main tape sur mon épaule, mon ombre s’invite dans ma chambre, je me cache sous mon lit dans l’enclos de mon geôlier. Au loin, dans le ciel, j’observe les étoiles qui dansent autour de la terre, une larme roule sur ma joue froide. Tu ne peux pas consoler ma peine, maman, pas plus que la musique de Rimski-Korsakov. Chaque jour, je voile mon visage avec la robe de mon fantôme, je bois mes douleurs tel un ivrogne, je tourne en rond sans aucun espoir comme si j’étais derrière les barreaux d’une prison. Je tremble d’angoisse, je transpire de peur, je reste muet. Le jour devient nuit, la nuit devient jour, la clef de mon armoire à rêves est rouillée. Je peux te poser une question ?
— Oui, mon chéri.
— Maman, suis-je la victime de mon fantôme ou tu es ma nourricière meurtrière ? Il n’y a pas de sourire dans mon cœur, je somnole par le sédatif de ton égoïsme.

Vesna sentit comme une lame de couteau lui transpercer le ventre, une boule de feu lui monte à la gorge et sa poitrine s’oppresse des mots et des maux de son fils.

Sa grand-mère est derrière la porte. D’un regard hagard et sans relief, Vesna s’approche d’elle.

— C’est de pis en pis « babyluka » (grand-mère). Je ne peux pas laisser Ivan dans cette misère. C’est un enfant précoce mais ce n’est pas la philosophie de Tolstoï qui lui apprendra à aimer son visage. S’il continue de se détester, il en mourra de chagrin.
— C’est ce qu’il est en train de faire, ma petite fille. Il ne s’alimente quasiment plus depuis plusieurs jours maintenant !

Une odeur nauséabonde envahit la chambre d’Ivan, l’atmosphère y est froide, les murs sont gorgés d’humidité, des champignons se développent sur la tapisserie, il y a juste une fenêtre pour aérer cette pièce minuscule. Un long tissu noir est fixé sur le contour de la porte d’entrée. Un matelas tâché de crasse est posé à même le sol, perpendiculaire à la fenêtre. Un bureau y est installé car Ivan passe des heures à lire et à écrire. Cet univers si lugubre reflète l’état de sa conscience. Il interdit que sa mère y fasse le ménage. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette chambre n’est pas la sienne, elle est « hantée » par le diable. La propreté serait lui faire trop d’honneur, il ne mérite pas la sagesse. Il sort du dessous de son matelas un miroir de poche, le même rituel chaque jour, un maigre espoir que son visage se transmue par miracle.

Vesna ne supporte plus de voir son fils « vivre » dans de telles conditions. Elle étouffe d’une terrible culpabilité. Ivan n’a pas demandé à naître dans ce monde si injuste. Sauver la vie de son fils est, pour elle, une priorité à toute épreuve.

Avant de partir travailler, elle tente un dernier essai mais sans la présence d’Anuska. Elle lui présente une assiette de soupe aux betteraves mélangée avec quelques morceaux de viande. Un repas pauvre mais consistant durant cet hiver rude.

— Tiens, mon chéri.

D’un ton virulent.

— Je n’ai pas faim, je veux que tu me laisses tranquille.
— Mais pourquoi, mon amour ?
— Parce que !
— Non, j’insiste, pourquoi ne veux-tu pas manger ?
— Est-ce que ta soupe Borchcth me rendra plus heureux ?
— Elle te réchauffera le corps, mon Ivan, je m’inquiète sérieusement pour toi. S’il te plaît, mon cœur, fait un effort !

Ivan prend l’assiette, la brise contre le mur, la soupe dégouline sur le mur défraîchi. Il exorcise son mal-être tel un possédé.

— Toi et le diable, vous m’humiliez tous les jours depuis ma naissance ! Je suis l’attraction des passants, des touristes, de la famille. Je souffre de moqueries permanentes qui me collent à la peau telle la sangsue. Je n’ai pas d’amis. Je te déteste. Je suis une bête de foire et de laboratoire. Je ne porte que ma grand-mère dans mon cœur, la seule personne qui a dévoué sa vie pour moi. Tu es la débauche des bas trottoirs. Tu laisses ton enfant se détruire à l’abri des regards.
— Non, mon Ivan, tu n’es pas seul, je suis là aussi. Lorsque tu étais petit, tu disais que j’étais ton héroïne, je disais que tu étais mon héros, cela n’a pas changé. Tu es un adolescent aimé par ta maman. L’amour des siens est la plus grande fortune pour nouer avec la vie. Grâce au Seigneur, ce soir, tu as le privilège de manger de la soupe, tu le sais, beaucoup d’enfants dans le monde meurent de faim.
— Tais-toi !

Avec une extrême violence, Ivan essaie d’éloigner sa mère de la chambre.

— Cesse d’être hypocrite ! Je ne ressemble pas à l’Archange Gabriel de Visotski. Mes lèvres ont une ouverture de celui d’un lièvre de chasse, je ne pourrai jamais cueillir le fruit d’un baiser amoureux et charnel, je peine à respirer l’air ou sentir le parfum d’une fleur à cause de ce fichu nez camus, Ivan sort de ses gonds, mon visage n’est pas humain. Il est tout droit sorti d’un livre d’épouvante. Le pus coule dans tes veines, du sang pluvine de tes yeux. Tu crèveras dans ta pisse qui sera servie sur la table des apôtres.

Ivan crache sur les pieds de sa mère qui reste sans voix. Mes jours sont décomptés comme ceux d’un condamné dans le couloir de la mort. Je mourrai comme un animal abattu d’un coup de fusil dans un champ boueux au fin fond de la Russie.

Ces paroles immondes paralysent en un coup d’éclair le corps de Vesna. Anuska se précipite dans la chambre pour prier Vesna d’en sortir. Anuska est une vieille dame, discrète mais clairvoyante. Dans la cuisine, Vesna s’abandonne en sanglots dans les bras de sa grande mère. Elle reste, un moment, pensive, son regard est noir puis d’un ton détaché.

— Dès mon retour du travail, je veux rencontrer Artur.

Anuska est happée par la demande de sa petite fille. Les frissons l’envahissent…

Durant le trajet du travail, Vesna cogite. Elle ressasse les mêmes interrogations sur son fils. Pourquoi lui ? Pourquoi est-elle impuissante face à son malheur ? Elle sait pertinemment qu’un jour, elle devra y faire face. Elle ne peut plus assurer l’avenir de la famille avec son salaire de 12 000 roubles par mois. Anuska touche une maigre retraite. L’opération chirurgicale d’Ivan impérative. Vesna veut le meilleur pour son fils. Ivan est un garçon précoce pour les études. Le vœu d’Ivan, le plus cher au monde, est d’avoir un nouveau visage. Il veut vivre à Moscou pour y faire de grandes études. Oui, elle savait que son fils était destiné à une grande carrière, mais à quel prix ? Ivan est dépressif, malheureux. Il n’a pas une vie normale, le voir vivre ainsi lui est insupportable. Elle pleure sur le chemin de son travail. Elle s’arrête quelques instants pour réfléchir. Elle s’adosse contre un mur. Des flocons de neige recouvrent ses beaux cheveux blonds. Elle tremble, aussi bien de peur que de froid. Artur est un membre important de la mafia rouge « La Bratva ». Elle doit sauter le pas. Rien que de penser à Artur, elle en a la nausée. Elle connaît les règles du jeu mais peut sauver toute la famille dans le besoin. Elle étouffe ses pleurs au creux de ses mains. Il faut faire vite. Elle n’a plus le choix, plus de temps à perdre, la situation est alarmante.

Son père participait, il y a bien longtemps, à ces activités criminelles : trafic d’armes, crimes, drogue, blanchiment d’argent, passages de clandestins, prostitution… Elle doit agir, maintenant ou jamais…

Vesna essaie de reprendre ses esprits. Elle s’approche lentement de la barrière de sécurité de la manufacture. Elle fait mine de sourire au gardien de sécurité. Comme chaque soir, il lui propose un thé au miel. Elle hoche la tête de haut en bas.

— Qu’est-ce qui se passe ce soir ?
— Rien, Adrian. Je suis très fatiguée. Je pense que je suis un peu malade aussi. Rien de grave, j’ai juste un peu de fièvre.
— Ça va aller, Vesna ?

Un petit signe de la main.

— Ne t’inquiète pas Adrian, ça va aller.
— Alors, bon courage à toi.
— Merci, à toi aussi.

Elle passe devant le portail de sécurité tenant son badge à la main. Elle se dirige vers les vestiaires. Alisa l’attend.

Alisa et Vesna sont de grandes amies. Elles se connaissent depuis le lycée. Alisa est extravertie et pleine d’humour. Souvent, elles regardent ensemble les plus beaux couchers de soleil et les gros orages. Elles sont tellement soudées qu’elles se sentent comme des sœurs. Alisa remarque que quelque chose perturbe Vesna. Elle lui prend le visage entre les mains. Elle la cherche du regard, essayant de trouver dans ses beaux yeux bleus une réponse à son mal-être.

— Dis-moi, ma belle, qu’est-ce qui ne va pas ?

Vesna éclate en sanglots.

— Est-ce que tu m’aimes, Alisa ?

Alisa éclate de rire.

— Quelle question ! Bien sûr que oui, tu le sais bien. Je suis tombée amoureuse de toi dès le premier jour de notre rencontre.

Vesna répond sèchement.

— Je ne plaisante pas, Alisa. Je ne suis pas d’humeur.

Alisa comprend que son amie est profondément troublée. Elle connaît Vesna par cœur.

— Je t’écoute.
— Si je pars quelques mois à l’étranger, tu t’occuperais d’Anuska et d’Ivan ?
— Mais qu’est-ce que tu veux dire ? Partir où ?
— Écoute, c’est une question de vie ou de mort, je vais partir en France.

Alisa se laisse tomber en arrière sur le banc en bois. Elle entraîne Vesna dans son élan. Vesna n’a pas besoin d’aller plus loin dans son explication. Alisa comprend et pleure dans les bras de « sa sœur ». Elles restent un long moment à se promettre de se serrer les coudes, quoi qu’il arrive.

Vesna travaille depuis cinq années dans cette fabrique : la « Toulski Orujeïney Zavod ». Elle emploie 6000 personnes pour fabriquer des armes civiles et militaires. Ses spécialisations sont les productions du VSSZ Vintorez, 9A-91, As Val et des fusils Toz. Vesna est imbattable dans le maniement de ces armes sans munition lors de ses pauses déjeuner.

Bien décidée à quitter l’entreprise, elle demande à rencontrer son chef de section. Il lui propose un entretien dans l’heure qui suit. Vesna se sent à l’aise avec Boris. Il l’a prise sous son aile dès son arrivée à l’usine. Réputé pour être intransigeant, il est plus que conciliant avec elle et son fils.

— Assois-toi, Vesna.
— Merci, Boris.
— J’ai de la peine que tu nous quittes, j’irai même plus loin, que tu « me » quittes.
— Je sais Boris, pour moi aussi ce n’est pas de gaieté de cœur, crois-moi.
— J’en suis sûr. La règle en Russie est de garder ses secrets dans le silence de son cœur. Ici, il y a trop de bavardages.
— Puis-je te venir en aide pour éviter ton départ ?
— Non, malheureusement, ce n’est pas possible.
— Es-tu en danger, Vesna ?
— Non, mais je pourrai l’être.
— Je me doutais.

Il sort du tiroir de son bureau un M1895.

— Prends le Vesna, je te l’offre pour ta protection personnelle, et ne le refuse pas, je serais offensé.

Émue, elle accepte le revolver de Boris. De sa main douce, elle effleure le creux de sa main. Pleine d’émotion, elle l’embrasse, et le serre très fort.

— Écoute, je te donne l’adresse de ma messagerie privée et mon numéro de téléphone. Tu sais ce que j’ai toujours ressenti pour toi. Jamais je ne t’oublierai et ne t’abandonnerai. Ne dis rien. Je connais le fond de ton souffle : la priorité de ta vie est Ivan et je le sais et je le comprends. Je respecte tes choix. Je ferai parvenir le solde de ton compte par le biais d’Alisa. Il y aura une prime exceptionnelle pour un parcours sans faute.
— Je sais que tu sais, Boris. Mes mots ne seraient pas assez forts pour exprimer ce que je ressens. Je suis abattue mais je dois partir.
— Alors va et que Dieu te protège. N’oublie pas de prendre ces quelques balles avec toi. Pas la peine de te montrer le maniement du revolver, championne !