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Le commandant Rosko est en vacances dans la forêt de Brocéliande où se mêlent mystères et légendes. Il sera amené à interrompre ses congés pour enquêter sur la mort d’une femme, retrouvée sur les rives du lac de Paimpont, avec dans sa bouche un étrange papier au texte sibyllin. Qui a tué Marie, infirmière empathique et volontaire ? Son crime est-il lié à sa vie privée, sa profession ou sa passion pour la défense du patrimoine ? Rosko est perplexe quand intervient un second homicide, celui de la voisine de Marie. Les crimes sont-ils liés ou s’agit-il d’une dramatique coïncidence ? Le meurtrier est-il misogyne ? Est-ce un amoureux éconduit ? Ou est-ce tout autre chose ? Avec Rosko et son équipe, nous arpenterons ces lieux magiques : de Paimpont à Guer-Coëtquidan, en passant par Tréhorenteuc, Ploërmel ou Néant-sut-Yvel… pour découvrir le, la ou les coupables.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né à Paris,
Jean-Jacques Égron a passé son enfance dans le Morbihan. Après des études littéraires, il a exercé diverses professions ; il est désormais retraité sur la presqu’île de Rhuys. Il a déjà publié quatorze romans policiers,
Maléfices à Brocéliande est son neuvième titre aux Éditions Alain Bargain.
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À Josiane pour sa relecture.
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Le commandant Rosko avait pris quelques jours de repos. Pour la première fois, il avait eu envie de découvrir le Pays de Brocéliande où sont les légendes. Non pas qu’il y croyait, mais il éprouvait le besoin de respirer l’air pur, de humer l’odeur des pins et de se plonger dans l’histoire profonde de la Bretagne celtique. Les forêts ne sont-elles pas propices au repos, à la flânerie ou à la marche sportive, à la rêverie ? La vue et l’odeur des arbres apaisent de sève, leur ombrage rassure, on a l’impression d’entrer dans un temple de verdure ou une église végétale. Peut-être, comme l’affirment certains, se parlent-ils à travers les racines ou la canopée ? « Allez savoir ! »
Le policier s’était concocté un itinéraire de quatre-vingt-cinq kilomètres conseillé par l’office de tourisme. Il était parti de Plélan-le-Grand pour le village du Gué en direction de Paimpont, puis il s’était dirigé vers Tréhorenteuc et le célèbre Val sans retour. Partout des pins et diverses essences bordaient la route, quand ce n’étaient pas des parterres de landes – ou ajoncs –, encombrés de mousses, de lierre ou de bruyères. Il s’était rancardé sur les arbres remarquables, au premier rang desquels les chênes – des Hindrés ou à Guillotin – si chers aux druides – l’Arbre d’or étant devenu une œuvre d’art à cause du feu qui le détruisit –, les châtaigniers, et bien d’autres encore. Le jardin aux Moines s’étalait à un croisement situé avant La Saudraie par la D141, dans le hameau Folle Pensée, il s’était arrêté à la fontaine de Barenton. Il apprécia particulièrement la ville de Concoret et le château de Comper, puis Saint-Malon-sur-Mel où il découvrit le tombeau de Merlin. Son voyage se termina par Saint-Péran, Treffendel et Maxent. Il eut ainsi une bonne idée de cette fameuse forêt de Brocéliande, si chère au cœur des Bretons. Et ce n’était qu’un début…
Il avait eu envie de se vider l’esprit. Seule entorse à sa si chère solitude, Colette Latouche avait eu le droit de l’accompagner. Une drôle d’histoire…
Son prénom lui avait plu. Il adore Colette et les Claudine, Chéri, La Vagabonde, Le Blé en herbe, Dialogues de bêtes… Ils avaient ce point commun : la littérature ainsi que l’amour des animaux.
— Elle les fait parler, avait dit Johnny, tandis que la quinquagénaire choisissait un livre dans une librairie vannetaise – Lenn Ha Dilenn, pour ne pas la nommer, le spécialiste de la culture bretonne.
— C’est comme La Fontaine ou tant d’autres, ça s’appelle l’anthropomorphisme.
Ils avaient prolongé la discussion, place Brûlée, longeant la rue des Chanoines, après avoir franchi la Porte Prison. Colette – graphologue férue d’histoire et admiratrice de François Ars et d’Yves-Marie Robin –, lui avait parlé du nom des rues et des places.
— Rue des Vierges, voyez, il s’agissait sans doute des prostituées enfermées dans la tour Joliette ou la tour Poudrière. La place Brûlée, où nous sommes assis, se tient juste derrière la cathédrale sur laquelle étaient accolées des maisons, elles ont disparu dans l’incendie de 1844. Les pompiers, partant de la Cohue n’ont pu passer par les rues Saint-Guénaël et celle des Chanoines, ils ont fait le tour des remparts et sont entrés par la Porte Prison.
Ils admirèrent le magnifique tilleul – un géant – qui ornait le milieu de la place et dont des myriades de petits “hélicoptères” tombaient des branches en tournant.
De là, ils étaient allés manger au restaurant de la “Tour Trompette” et avaient consommé des cuisses de grenouille en persillade du meilleur effet.
Chez Rosko, sur la presqu’île de Rhuys, Colette avait été adoubée par son chat Tigrou, ce qui représentait un précieux sésame.
*
Les deux tourtereaux avaient réservé, entre Paimpont – où se situent l’étang et la célèbre abbaye – et Tréhorenteuc – parée de l’église du Graal et du Val sans retour –, à l’évident “Paradis de Brocéliande”. Il s’agissait d’un Logis de France tenu par un couple de gérants très sympathiques. Autant la femme était bavarde, autant l’homme ne parlait qu’au minimum, mais ils étaient unis dans une belle complicité. On leur avait alloué la chambre des Chevaliers de la Table ronde – évidemment ! – et toute la nuit Rosko imagina la scène – Cène ? – entre Arthur et ses affidés qui sortaient l’épée comme on sort un mouchoir et embrochaient le premier venu qui les avait regardés de travers. Recherche du Graal oblige !
Colette, au moment du petit câlin, s’était pâmée en imaginant son prince charmant harnaché pour un tournoi où il remportait le premier prix qu’elle lui remettait. Il se prosternait alors à ses pieds, lui ouvrait les cuisses et s’y installait séance tenante. Elle remerciait en poussant des petits soupirs très suggestifs. S’ensuivait une chevauchée fantastique où chacun se démenait pour satisfaire l’autre du mieux possible. Ce fut qui serait le plus offrant, le plus attentif, le plus assidu aussi, est-il nécessaire de l’avouer ?
Ils eurent donc tous les deux une bruissante nuit d’amour dans ce pays propice à tant de légendes qu’on ne sait plus si c’est rêve ou réalité. Au temps d’Internet et du tout numérique, pas besoin de ces nouvelles technologies pour avoir des activités virtuelles, il suffit de se rendre là-bas et de se laisser emporter sur les ailes du vent, tout en planant au-dessus de la canopée.
Le lendemain matin, Rosko laissa Colette dormir et alla se promener vers Tréhorenteuc, en direction de la fontaine de Barenton, non loin du célèbre Arbre d’or qui l’avait impressionné, il passa devant l’inévitable église du Graal et le jardin aux Moines. Naturellement. Tandis qu’il cheminait en se demandant d’où provient l’essence des arbres, son portable le ramena au présent et à la stricte réalité. S’y inscrivit le joli patronyme de Destrac, Julien de son prénom, son fidèle lieutenant. Le commandant se dit que la prochaine fois, pas de portable, pas d’adresse, seulement lui et la solitude – avec ou sans Colette, il ne savait pas encore –, tout pour rompre les ponts. Car il n’en doutait pas, si le “gosse” le dérangeait de si bonne heure, ce n’était pas uniquement pour prendre de ses nouvelles.
*
— Johnny, excuse-moi de te déranger, tu ne sauras pas combien j’ai hésité avant de le faire…
— Arrête ton char et arrives-en au fait, ne fais pas de circonvolutions ! De toute façon tu m’as dérangé, c’est fait alors vas-y narre et sois bref !
— Euh… maintenant que tu me dis ça, je suis troublé, je ne voudrais pas…
— Ton vin est tiré !
— Comment ?
— Il faut le boire ! C’est trop tard pour revenir en arrière. Dis-moi vite fait de quoi il retourne et je verrai si je t’absous ou si je te vilipende.
— Il s’agit d’un ami à moi et de sa femme…
— Une histoire de famille ?
— Sa belle-sœur a disparu, lui et son épouse s’en inquiètent, même si les deux sœurs n’étaient pas très proches.
— Mineure ?
— Non…
— Tu n’ignores pas, comme moi, qu’une femme majeure et vaccinée peut faire ce qu’elle veut et quand elle veut.
— Oui, je sais bien tout cela, mais quand je t’aurais narré la suite…
— Ben narre alors !
— Elle a disparu, comme je te le disais à l’instant, mais dans un lieu qui va t’étonner comme il m’a étonné moi-même : Marie Galudec, qui habite à Paimpont avec mari et enfants, s’est volatilisée. C’est quand même une sacrée coïncidence, en plein lieu où tu passes tes vacances… bien méritées d’ailleurs…
— Elle a fait ça… ils ne pouvaient pas vivre ailleurs ces gens-là, bon sang de bois ?
— Comme tu dis… Leur habitation se trouve dans le centre-ville de Paimpont, à quelques encablures du Val sans retour.
« On ne pouvait pas mieux. »
*
À son retour de la forêt enchantée, Colette, graphologue et férue d’histoire donc, n’en appréciait pas moins les légendes. Elle lui détailla celle-là…
— On appelle ainsi le “Val sans retour”, ou dit encore celui “des faux-amants”, grâce à la fée Morgane qui avait été déçue par une aventure amoureuse avec un certain chevalier Guyomard – il l’avait repoussée à cause de la reine Guenièvre. Avec Merlin l’enchanteur, elle étudie la magie et enferme les “mauvais amants”, les infidèles en amour. Lancelot du Lac libérera ainsi deux cent cinquante-trois chevaliers enfermés dans le Val.
— Très bizarre cette disparition dans les environs, mais je ne crois pas que les fées ou les elfes y soient pour quelque chose. C’est d’ailleurs là-dessus qu’a misé Julien pour que je m’en occupe.
— Comment sait-on que la femme a disparu involontairement ?
— On n’en sait rien, elle n’a pas donné de nouvelles, c’est tout.
— D’un autre côté, c’est normal, on est en plein pays des légendes, d’abord la Bretagne et ce coin particulièrement, cette forêt de Brocéliande où Arthur et les chevaliers de la Table ronde allaient à la recherche du Saint-Graal, le calice renfermant le sang du Christ.
— Tu sais quoi, ça m’a donné faim, coupons là ! Allons petit déjeuner et je rendrai ensuite visite à Antoine Galudec, le mari. Il vit dans les environs.
Et ils firent ainsi, devant une table copieuse, propre à satisfaire une partie de leurs appétits : pancakes bretons, gâteaux de crêpes, kouignettes, craquelins, palets, jus de pomme, caramel au beurre salé, miel toutes fleurs ; café et thé à volonté.
*
Antoine Galudec habitait donc le vénérable et très visité bourg de Paimpont – en Ille-et-Vilaine, Ile-de-Bretagne pour certains –, entre la Croix-Neuve et la Corne-de-Cerf, près de la D71. Il s’agissait d’une maison à étage en pierres de schiste, ces pierres allongées de couleur sombre, bien différentes de celles plus claires et plus grosses en granit, apanage des habitations du Morbihan. Il faut dire qu’on était à la frontière “amie” entre les deux départements qui s’aiment et se respectent – tout en n’oubliant pas les deux ou trois autres, selon qu’on intègre l’Histoire ou non. On parvenait chez le bonhomme par un chemin gravillonné qui serpentait entre des massifs d’hortensias et de diverses plantes ornementales, donnant à l’ensemble une allure de carte postale.
Un chat se promenait nonchalamment sur la pelouse et vint à la rencontre du commandant qui lui flatta l’échine, tandis que l’animal se mit à ronronner d’aise. Comme si le félin avait reconnu l’un des amoureux de son espèce.
Le quadragénaire – un homme costaud, à l’allure martiale, ne semblant pas s’en laisser conter – accueillit le commandant Rosko sur le pas de la porte et le fit entrer dans son intérieur cossu, meublé d’un bahut breton paradant au milieu de meubles Ikea. Il l’invita à s’asseoir à la table monastère sur un banc de chêne venant d’un marchand bien connu en forêt de Brocéliande. Ce dernier faisait commerce de meubles à qui il donnait un aspect ancien, il avait trouvé sa clientèle par ce moyen apprécié de certains. Un escalier menant au premier étage partait de ce salon-salle à manger, tandis qu’une cuisine américaine dotée d’une table haute séparait les deux pièces.
L’hôte le fit s’asseoir tandis qu’il alla se servir un verre de bourbon, naturellement le policier avait décliné l’offre.
Antoine Galudec se tordait les doigts, marquant par là son inquiétude, son visage replet mais musclé était fermé. Rosko lui avait expliqué le sens de sa démarche au téléphone. C’était un grand bonhomme aux cheveux tirant sur le roux qu’il nouait en catogan.
Il passait pour avoir une grande gueule et ne se laissait pas marcher sur les pieds. Renseignements pris, il avait eu maille à partir avec pas mal de ses contemporains, n’hésitant pas à faire le coup de poing contre certains. Cependant, le commandant le trouva dans une attitude de profil bas.
— Expliquez-moi depuis quand votre femme a disparu.
— Cela fait deux jours maintenant, je suis allé à la gendarmerie, mais ils ont juste noté une main courante.
— Effectivement, ils ne peuvent rien faire dans un premier temps. Nous sommes dans un pays où la liberté n’est pas un vain mot.
— Il était alors inutile que vous vous déplaciez.
— J’ai le pouvoir de lancer une procédure pour disparition inquiétante.
— Je vous en remercie par avance.
— Pourquoi êtes-vous sûr qu’elle a disparu dans cette zone de la forêt ?
— J’ai arpenté le secteur et j’ai retrouvé son mini-sac à dos.
— Son portable ?
— Son sac ne contenait qu’une bouteille d’eau, des lunettes de soleil, sa clé de voiture et de la crème solaire, écran 9.
« Précis le garçon, soucieux des détails ? »
— Je suis ici de mon propre chef, je dirais non officiellement. J’ai été alerté par mon adjoint dont votre beau-frère Martin est l’ami. Il lui a parlé de son inquiétude – ainsi que de celle de son épouse, votre belle-sœur – et le lieutenant m’a demandé d’enquêter discrètement… Vous pensez donc que votre femme est partie de bon matin faire un jogging et qu’elle n’est jamais revenue, c’est ça ? Est-elle coutumière de ce genre de randonnée ?
— Oh oui, elle partait souvent… euh, elle part souvent courir dans les bois ou autour des étangs. Dans le coin, ce n’est pas ça qui manque…
— Vous en avez parlé au passé.
— C’était une erreur de langage… Un lapsus.
— Dans ce sac, il n’y avait pas de portable ?
— Non, je vous ai donné le contenu exact.
— Il est assez bizarre qu’elle soit partie avec si peu de choses.
— Avec elle je ne m’étonne de rien, elle est souvent où on ne l’attend pas. Au début ça m’inquiétait, maintenant j’ai appris à faire avec.
— Elle n’a donc pas pris sa voiture, mais a emporté la clé avec elle – il plaça ce fait dans un coin de sa tête. Serait-ce parce qu’elle n’a pas confiance ?
— Pas du tout, c’est une habitude.
— Je vous tiens au courant si j’ai des nouvelles.
Antoine Galudec semblait assez pressé d’éconduire ce policier fouineur. Il montra même une certaine impatience vers la fin de l’entretien. Rosko n’avait aucune raison de poursuivre, il brisa là, l’homme lui laissant une impression bizarre qu’il n’arrivait pas à définir. Mais il ne devait pas rester sur une impression quelle qu’elle soit. Il ne devait pas non plus se laisser aller à un délit de sale gueule. Néanmoins cette personne ne lui avait pas paru d’une sincérité absolue.
*
Rosko se rendit ensuite à la gendarmerie de Guer-Coëtquidan – située sur la départementale 773, avenue de Brocéliande, naturellement. Peu après l’abbaye Jarnot, il emprunta la rue de Saint-Cyr et parvint devant l’édifice à trois étages, les appartements avec balcons et verrières, le tout ceinturé par un parc arboré. Il s’agissait d’un bâtiment austère s’il en est, mais implanté dans un cadre verdoyant. Il voulait voir ses collègues militaires et sonder ce qu’ils pensaient de cette possible histoire débutante.
Il fut accueilli par un adjudant au crâne chauve qui le conduisit jusqu’au bureau du capitaine Marc Nestour. Ce dernier était une personne au ventre rebondi et à l’allure militaire, sur son visage piriforme s’ouvraient deux yeux vifs de couleur sombre. Il se dégageait de sa personne une impression d’empathie envers son prochain, mais fallait-il se fier à cette impression ?
Le capitaine alla chercher dans une armoire au fond de la pièce, la main courante déposée par le mari.
— Un peu tôt, se permit de remarquer Rosko.
— Tu trouves ça bizarre ? Quand les témoins attendent trop, on trouve cela équivoque également.
— Tu as certainement raison, je dois me faire des idées.
Marc Nestour farfouilla dans quelques feuillets et ajusta des lunettes-loupes qu’il possédait dans un tiroir de son bureau.
— Il est venu déposer le dimanche 10 juin en soirée, après la disparition de sa femme qu’il supposait partie faire un jogging le matin.
Après que Rosko eut pris connaissance du document, le capitaine lui parla des histoires insolites qui se passaient dans le coin.
— On dirait que ces lieux enchanteurs et enchantés débrident l’imagination, tu ne peux pas savoir ce qu’on nous raconte, même si la plupart du temps, ce sont des fadaises. Cela va des menaces de mort, aux feux de forêt, au mannequin pendu à l’Arbre d’or. J’en passe et des moins bonnes.
— Bon, je verrai ça plus tard, pour l’instant peux-tu me donner un itinéraire où je pourrais chercher la trace de Marie Galudec, la disparue ?
— À mon avis tu perds ton temps, n’hypothèque pas tes vacances. Il s’agit d’une histoire de fesses ou quelque chose d’approchant, la meuf s’est carapatée avec un éphèbe. Je ne pense pas qu’elle veuille traîner dans le coin. Elle réapparaîtra comme par “enchantement”.
Le capitaine Nestour s’était laissé pousser un embonpoint conséquent, il était court sur pattes et passait son temps à regarder à gauche et à droite, comme s’il se pensait épié par des membres de son service. Il ne voyait pas d’un très bon œil l’irruption d’une telle huile dans son pré carré de salades. Il demanda au major Gustave Tuchant – dit Gus, un homme de taille moyenne, paraissant moyen en tout d’ailleurs – de lui filer une carte, ce qu’il s’empressa de faire, lui, appréciant la visite d’un tel collègue dans son quotidien banal.
*
Rosko rejoignit Colette à l’hôtel et lui narra les dernières péripéties. Elle aurait préféré qu’ils parlent d’autre chose, si bien qu’au bout d’un temps, elle débuta un massage Amma sur la personne du policier. Lors de ce massage japonais, exécuté par pression à travers les vêtements, elle lui fit des étirements et des balayages. À la fin de la séance, elle agit en légères et rapides percussions. Il était aux anges.
« Une fée celle-là ! » pensa-t-il, ce qui n’était pas étonnant vu le contexte. Aux fées Morgane et Viviane, il faudrait bientôt ajouter la fée Colette. Puis ils firent une partie de Scrabble dans laquelle ils finirent quasiment à égalité, illustrant par-là l’équilibre femme-homme que le commandant prônait pour toutes les activités de la société. Il restait encore tellement de travail pour y parvenir, mais on s’en approchait doucettement ! Puis ils s’offrirent une séance mémorable de mamours à la bretonne ! (Si les lecteurs ne connaissent pas, ils peuvent adresser un courrier à l’auteur qui se fera une joie de leur en expliquer les détails.)
*
Rosko finit par lancer une procédure de disparition inquiétante. Il avait convoqué Antoine Galudec dans les locaux de la gendarmerie. Il lui proposa un café que le garagiste accepta.
— Nous allons procéder à un appel à témoins. Décrivez-moi physiquement votre femme, ainsi que la façon dont elle était habillée.
Le mari lui tendit une photo et fournit une description de ses vêtements, ce qui n’était pas difficile, elle devait avoir passé un jogging, un tee-shirt et chaussé des tennis, l’accoutrement habituel lorsqu’elle allait courir.
— Comment était-elle le soir précédant sa disparition, je veux dire dans quelles dispositions ? La sentiez-vous nerveuse, impatiente ou était-elle comme d’habitude ? Cela peut vous paraître des détails, mais ils peuvent avoir leur importance.
Il ne réfléchit que quelques secondes.
— Elle allait bien, autant qu’on peut juger une femme secrète. Car ma femme ne se laisse pas aller facilement aux confidences. Ni avec moi ni avec les autres.
— Décrivez-moi la soirée.
Il but une gorgée de café avant de répondre.
— On a mangé, couché les enfants, regardé la télé, puis je suis monté dans “ma” chambre, nous dormons séparément depuis quelque temps, vous comprenez…
— Je n’ai pas à juger, poursuivez…
— Tout s’est passé normalement… Le lendemain matin, je me suis réveillé vers 6 h 30, j’ai attendu qu’elle descende, je me suis occupé des enfants et Marie était toujours absente. Je suis allé voir dans “sa” chambre, le lit n’était pas défait. J’ai trouvé son sac à main, pas son portable, sa garde-robe était intacte, autant que j’ai pu en juger.
— Qu’avez-vous pensé ?
— Rien de spécial… qu’elle allait revenir de son jogging, puis comme elle ne rentrait pas, je me suis dit qu’elle avait peut-être fait une mauvaise rencontre. Plus tard dans la journée, je suis parti à sa recherche.
— Que son lit ne soit pas défait ne vous a pas paru bizarre.
— Je n’y ai pas prêté attention sur le coup.
— L’appel à témoins va peut-être porter ses fruits. Nous ne pouvons pas encore faire ouvrir une instruction judiciaire, mais je suis en rapport avec le parquet. Je vous le répète : votre femme a peut-être disparu volontairement.
Rosko poursuivit, tout en terminant son café :
— On trouve de nombreux cas de ces disparitions, certains veulent changer de vie, d’autres n’osent pas avouer qu’ils s’em…nuient profondément ou qu’ils ne supportent plus leur famille.
Antoine Galudec eut un haussement d’épaules.
— Elle n’aurait jamais abandonné longtemps ses enfants. Ce n’est pas le genre de Marie. Mais connaît-on vraiment les gens, même ceux qui nous sont proches ? ajouta-t-il.
Le commandant avait lu plusieurs articles sur les « évaporés » en Orient. Les postulants se rendaient sur une montagne sacrée, se purifiaient dans un torrent, lavant ainsi toutes sanies de leur corps et ils entamaient une nouvelle vie. On ne les revoyait plus jamais. Marie Galudec faisait-elle partie de ces exilés volontaires ou avait-elle été, comme avait tendance à le penser le mari, la victime d’un malfaiteur pervers ou même d’un prédateur sexuel ?
La réputation du mari, selon le major, dépassait les frontières de son village et touchait au moins le canton. Il apparaissait comme une personne fort en gueule, un sanguin qui s’était querellé avec bon nombre de ses congénères et aimant les grosses voitures tape-à-l’œil – il est vrai que sa profession de garagiste l’y prédisposait. On lui connaissait aussi un penchant marqué pour les femmes – parfois mariées –, c’était aussi quelqu’un à l’argent facile – il flambait beaucoup ! Autant de traits qui incitaient Rosko à s’en méfier, mais prudemment. Il n’appréciait pas particulièrement ceux que l’on charge et à qui on ne prête que des défauts. Ils font partie, sans le vouloir, des boucs émissaires, ceux-là dont on a besoin pour se donner bonne conscience. Les langues ne s’étaient-elles pas déliées trop facilement concernant le garagiste ? De vieilles rancœurs n’étaient-elles pas remontées contre lui ? Ne le jalousait-on pas en fait, lui qui accomplissait ce qu’on aurait bien voulu faire sans pour autant l’avouer ?
En tout cas pour Rosko, restaient en suspens un grand nombre de questions, dont il aurait rapidement les réponses. Mais en attendant, il continuait une enquête discrète de voisinage. Les villages de Paimpont et de Tréhorenteuc passent pour des cités paisibles en temps ordinaire, mais leur passé et les légendes s’y rattachant les tirent souvent de leur torpeur. Elles avaient eu souvent à connaître des faits étranges et vu passer des personnages singuliers, si bien que l’imagination des habitants était sans limite. Ils pouvaient très bien non pas affabuler, mais “arranger” la vérité pour la faire coller à leurs aspirations. Les nombreux voyageurs qui sillonnaient les rues étaient souvent en quête d’un Graal ou au moins de petites aventures agrémentant leur vie. L’un de ceux-là n’était-il pas pour quelque chose dans la disparition de Marie Galudec ?
Depuis sa disparition, les hypothèses les plus farfelues allaient bon train, mais celle qui surpassait toutes les autres était le fait qu’un rôdeur avait enlevé Marie et lui avait infligé les pires tortures. Il naquit donc une psychose qui atteignit toutes les couches de la société. Les femmes restaient cloîtrées chez elle ou à tout le moins ne sortaient plus à partir d’une certaine heure. Les jeunes filles étaient accompagnées lorsqu’elles se rendaient en classe ou quand elles en revenaient. Ajoutée à cette angoisse compréhensible, une ambiance délétère s’était abattue sur la région. Les gens n’hésitant pas à se dénoncer entre eux. On se méfiait des voisins, des amis, voire des membres de sa famille. On ne manquait pas de signaler tout individu un peu louche ou sortant des critères de « normalité », les étrangers de passage. Chacun se méfiait de tout le monde et personne n’était à l’abri des accusations. La presse s’en était mêlée, qui couvrait largement l’événement en sortant quotidiennement des articles sur la disparue de Brocéliande, Le Télégramme et Ouest-France se répondant en écho.
Rosko et ses équipes devaient vérifier toutes les hypothèses et les différentes dénonciations. Même si en cette entame d’investigation rien ou presque n’aboutit à un commencement de piste. Ils interrogèrent des centaines de personnes, vérifièrent leurs alibis, remplirent des tonnes de documents.
— Déjà tellement de boulot avec juste une disparition dont on ne sait pas si elle est volontaire ou non, ça s’annonce assez costaud comme enquête, laissa tomber Destrac, fataliste.
— Ça ne laisse rien présager de bon pour la suite, on semble parti pour pas mal de temps. Mais on a une certaine habitude, conclut momentanément le commandant Rosko.
Antoine Galudec, le mari de la disparue, reçut un message anonyme sur son portable. « Rends-toi au bord de l’étang de Paimpont, à minuit, et tu “la” verras. »
Il crut tout de suite à la blague d’un petit plaisantin, mais après tout, finit-il par se dire : « Et si c’était vrai ? » Il n’avait pas le droit de laisser cette piste de côté. Il se devait de tout explorer pour retrouver sa femme. La curiosité l’emporta.
Il se munit d’une pile électrique et de divers ustensiles, dont un couteau : « Sait-on jamais ? » Il avait également acheté un pistolet d’alarme si besoin était. Il gara sa voiture dans un petit chemin forestier. Il s’engagea dans la nuit, le faisceau lumineux de sa torche la trouant. Le vent cornait de façon lugubre dans les branches. Les arbres, soldats immobiles et disciplinés, dont il devinait plus la silhouette qu’il ne la voyait, constituaient pour l’instant une armée paisible, mais celle-ci n’allait-elle pas se mettre en marche et le harceler, voire le circonscrire ? Son esprit divaguait, les trois verres de whisky ingurgités pour se donner du courage n’étaient pas étrangers à l’affaire.
Des ronces ennemies lui déchiraient parfois le visage ou les mains, il imaginait leurs tentacules l’enserrant et l’entraînant dans les abysses. Il se prenait les pieds dans les racines affleurantes. Tandis qu’il approchait du fameux étang qu’il connaissait par cœur pour y être venu pêcher maintes et maintes fois, un oiseau nocturne déchira le silence et s’ébroua, comme s’il avait remarqué une présence. Le bruit de son vol lourd le fit frémir.
Il parvint au bord de l’eau. Une lune pâle se reflétait sur le miroir liquide qui n’avait que quelques rides, l’air était humide et lui glaça les os. Il scruta l’ombre de toute part, pas âme qui vive à l’horizon. Il attendit les bras croisés pour se donner un peu de chaleur au corps. Et soudain un bruit se fit, ou plutôt un ronronnement. Il chercha d’où il venait, mais ne perçut que le bruissement de quelques buissons aquatiques.
Au bout d’une dizaine de minutes, alors qu’il perdait patience et s’était décidé à rebrousser chemin, il se produisit comme une illumination. Puis s’alluma un halo sur l’autre rive et une forme apparut, floue tout d’abord, puis plus précise. Une femme tout de blanc vêtue, « La Dame du lac », pensa-t-il, sans noter l’incongruité de sa pensée. Mais, tandis qu’il se concentrait sur l’apparition en plissant des yeux, il la vit distinctement.
Elle.
Sa femme.
Marie.
Il écarquilla les yeux et cria son prénom qui traversa l’espace pour parvenir sur l’autre rive, du moins le crut-il. En tout cas, la “forme” leva la main dans sa direction, mais alors qu’il se disposait à courir pour se rapprocher d’elle, il y eut un nouveau bruit – un clap sec – et l’apparition disparut comme elle était venue. La vision resta imprimée quelques instants sur sa rétine, puis ses yeux retrouvèrent l’obscurité d’il y avait peu. Il resta ainsi les bras ballants, de longues minutes, à scruter les ténèbres pour voir Marie réapparaître. Mais il n’y eut pas de nouvelle apparition.
Dépité, étonné, sonné, il rentra chez lui. Bien décidé à ne parler à personne de ce qu’il avait vu pour éviter qu’on le traite de fou. D’ailleurs était-ce un rêve ou la réalité ?
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Robert Ledu promenait Micky – son chien, un épagneul breton – au bord de l’étang de Paimpont. Nous étions un matin du mois de juin où la nature depuis longtemps éveillée – le début du printemps était déjà loin – jette dans l’air de nombreux parfums et effluves des plus agréables. Leur prégnance était augmentée par l’humidité qu’un léger brouillard distillait, enveloppant le paysage d’un voile spumeux du plus bel effet. Le promeneur était habitué à ce paysage lunaire, propre à la plus folle imagination. Le chien batifolait, tournant régulièrement la tête pour voir si son maître suivait. À un moment, il se mit à aboyer, les pattes immobiles, en alerte. L’homme aperçut alors une forme blanche à fleur d’eau, prise dans les buissons. Il s’approcha, intrigué, et découvrit… le cadavre d’une femme.
« Ophélie au fil de l’onde », ne put-il s’empêcher de penser, lui qui appréciait les œuvres de William Shakespeare et plus particulièrement son Hamlet. Mais cela pouvait être aussi la Dame blanche du lac, personnage éminent de différentes légendes de Brocéliande. Le visage du cadavre, pour ce qu’il en vit, avait les traits fins et reposés, sauf que la mort avait emporté sa propriétaire. Il ressentit une boule à l’estomac devant ce tableau morbide, devant cette nature morte non issue des pinceaux de quelque peintre.
Il appela immédiatement les secours qui, eux-mêmes, face à cette mort suspecte prévinrent la gendarmerie. L’identité de la défunte fut rapidement trouvée et tout naturellement, le capitaine Marc Nestour appela Rosko qu’il savait déjà sur l’affaire. En fait, il était soulagé de n’avoir pas à traiter directement cet homicide.