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Et un… et deux… et trois… les meurtres se succèdent sur l’île de la Chèvre !
C’est ainsi que le commandant Rosko et son équipe vont débarquer à Gavrinis, site mégalithique remarquable du golfe du Morbihan, pour élucider l’homicide d’un cuisinier sur un chantier de fouilles archéologiques. Mais les différents protagonistes goûtent fort peu les interrogatoires. Le directeur, homme autoritaire, le second au caractère sanguin, des bénévoles, des “voileux” marginaux, des étudiant(e)s pour la plupart, tous, sont en proie à des rivalités et à des jalousies malsaines.
C’est dans ce tissu relationnel compliqué que Rosko, aidé d’une aïeule, fine mouche, va devoir enquêter. La partie s’avère malaisée ; jusqu’où vont-ils lui résister ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né à Paris,
Jean-Jacques Égron a passé son enfance dans le Morbihan. Après des études littéraires, il a exercé diverses professions ; il est désormais retraité sur la presqu’île de Rhuys. Il a déjà publié treize romans policiers,
Plein les fouilles à Gavrinis est son huitième titre aux Éditions Alain Bargain.
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À Josiane pour sa lecture critique
À Bertrand : à l’origine.
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
« Je n’ai jamais été aussi contente de voir quelqu’un débouler dans mon périmètre, je te le dis ! J’ai pensé : ma vieille Zélie, 78 ans au compteur, c’est ton jour de chance, car c’était le célèbre commandant Rosko – un superflic de la Police judiciaire de Vannes –, qui avait débarqué avec son jeune lieutenant Julien Destrac, suivi d’une armada sortant d’une grosse vedette.
Son équipe avait pris la navette habituelle pour les visites de Gavrinis et ils étaient arrivés en même temps que leurs unités technique et scientifique naviguant dans leur propre embarcation. J’étais heureuse de voir tout ce beau monde comme lorsqu’écolière je recevais le tableau d’honneur !
Je connaissais le commandant Rosko de réputation et par une copine qui m’avait beaucoup parlé de ce neveu policier, mais je n’avais encore jamais eu l’occasion de le rencontrer.
Tu vas me dire, elle a le chic Zélie pour se fourrer dans des situations inextricables où le commun des mortels n’irait pas mettre son nez, mais moi je ne suis pas « commune des mortelles » justement, c’est ce qui fait ma différence, sans me vanter.
Bon, je te résume la situation avant de t’expliquer le pourquoi de leur arrivée.
Nous étions sur le chantier de fouilles sur l’île de Gavrinis – une trentaine d’hectares de bonheur intégral composé de landes, de genêts, de bruyères, de pins et autres résineux, plus de la moutarde maritime et des oiseaux dont les fameux goélands bruns et argentés –, située dans le Golfe du Morbihan, endroit béni des dieux. Pour te situer, on embarque à Larmor-Baden – à la cale de Pen Lannic exactement et en une dizaine de minutes, on met le pied sur cet îlot divisé en deux. La partie sud appartient au Département du Morbihan, l’autre au nord est privée, l’on y trouve une ferme anciennement exploitée.
La partie sud nous intéressait, celle qui était habitée par des Homo sapiens il y a 4 à 5000 ans. Que tu le saches ou non, il s’agit d’un cairn – ça vient de « pierre », à ne pas confondre avec le tumulus, du Néolithique aussi, constitué de « terre » mais je ne voudrais pas paraître plus savante que je ne le suis ! Ne me demande pas pourquoi, à l’époque, ils construisaient ce genre de trucs qui n’ont pas fini de livrer leurs secrets, il existe un tas de théories divergentes là-dessus, je te les recenserai un de ces quatre !
Le Département avait donné son autorisation – du moment que la cohabitation se passe bien avec la pléthore de visiteurs car c’est l’un des sites les plus visités du Morbihan – et c’est pourquoi nous y étions, une équipe d’une vingtaine de personnes et moi, à la recherche d’une activité estivale, pas trop ennuyeuse. Je ne savais pas que l’absence d’ennui – au singulier – se doublerait d’une bonne dose d’ennuis – au pluriel. Et puis tu connais mon goût pour l’aventure humaine sous toutes ses formes… J’avais envie de me frotter aux préoccupations de nos lointains ancêtres et d’en connaître un peu plus sur leurs us et coutumes.
Cette île aurait pu être également le siège d’une ville qu’on sait avoir existé, mais on ne sait où, elle s’est perdue dans les méandres du temps : Corbilo. D’autre part, Gavrinis a-t-elle été le théâtre de la célèbre bataille des Vénètes à laquelle Jules César aurait assisté du haut de la célèbre Butte éponyme en commune d’Arzon, sur la presqu’île de Rhuys ?
Voilà, j’ai fini de faire mon intéressante.
Il faut que je te dise… un mien cousin – Albert Wannicourt –, le grand chef de cérémonie d’ici, avait décidé d’organiser une sorte de cousinade dans un but intéressé. Il était alors directeur de fouilles archéologiques et comme il avait du mal à trouver des bras, c’est l’idée qu’il avait eue pour rameuter une partie de sa famille. Je n’étais pas dupe, mais comme c’est une activité qui m’a toujours intéressée, je me suis laissé tenter. D’abord, en tant que feu-généalogiste, de tout temps je me suis intéressée aux hommes du passé et d’autre part, je m’ennuyais tellement aux Bruyères, comme je te l’ai déjà dit – je radote… Bref… j’ai accepté.
Avant de partir pour le voyage sans retour, j’avais envie de me frotter à ces lointains ancêtres et d’en connaître davantage sur leurs modes de vie et leurs façons de penser. C’était parti pour l’été où je n’avais pas envie de me coltiner la mère Matignon – la directrice des Bruyères – dont tu connais le genre, je t’ai souvent parlé d’elle. J’allais devoir transpirer, me plier pour explorer la terre si basse, mais quel plaisir j’allais avoir ! Qui plus est dans un endroit paradisiaque, même si nos conditions de vie étaient spartiates. Là, sur cette île, j’avais l’impression bizarre de baigner dans le liquide amniotique d’où je n’aurais jamais dû sortir, car c’est encore là qu’on est le mieux, à l’abri de tous les accidents de la vie future. Dès qu’on sort, on se cogne aux arêtes vives et on meurt, le corps et le cœur plein d’ecchymoses.
Bref, pour ne pas faire trop long et t’ennuyer, il y avait une quinzaine de jours qu’on était là à fouiller tous azimuts et paf ! Si j’ose dire, on retrouve un garçon de l’équipe assassiné – le cuisinier –, Titouan Marzac ne s’était pas mis tout seul et recouvert de terre lui-même dans une tranchée. Tout de suite, je te livre ma première pensée : « Ça recommence ! » Je fais naturellement allusion aux meurtres de Séné et de Josselin – décrits dans Marais mouvant dans le Golfe*. Puis ma seconde : « J’avais les mains en plein dans le cambouis. » D’où…
L’arrivée d’un des meilleurs flics de France – j’augmente son rayonnement au fur et à mesure du récit –, Rosko, le nouveau boss de Clément, ce dernier était parti en renfort sur Rennes. Le commandant se déplaçait donc en personne. Terminés les premiers moments de congratulations où je lui expliquais qui j’étais et surtout ce qui s’était passé, nous avons décidé d’un commun désaccord qu’il n’y aurait aucun passe-droit en ce qui me concerne – lui disait qu’étant donné mon grand âge… je pourrais obtenir de sa part des faveurs spéciales, mais je pense qu’il disait cela peu sérieusement.
Mais cela ne s’éternisa pas au vu et au su de tout le monde, car n’oublions pas que Rosko est policier et qu’il était là dans le cadre d’une enquête criminelle. Je notai qu’il avait l’habitude de donner des ordres et ses sbires filaient droit devant lui. Quant à son second, le lieutenant Destrac, un jeune homme marié et père de famille, il rayonnait littéralement et ce n’était pas dû qu’au soleil. C’est un bon garçon qui ne dit pas un mot plus haut que l’autre et qui voue à son boss une profonde admiration. Je le comprends, mais il ne faut pas toujours se mettre sous la coupe des autres, on peut être éclaboussé. Je dois dire que c’est quand même beaucoup plus sympa d’avoir affaire à ce genre de policiers qui ont de l’intelligence à revendre et qui font preuve d’un admirable professionnalisme.
Voilà comment se passa cette arrivée sur cette île merveilleuse, cette île au trésor, Breizh-île s’il en est ! Véritable paradis sur terre qu’on a de la chance de fouler. Je te parlerai plus longuement d’elle et de la progression de l’enquête, car n’oublions pas le mort. Il méritait bien qu’on sache qui l’avait mis dans cet état.
Ta copine Zélie »
*Marais mouvant dans le Golfe – Même auteur, même collection.
Le commandant Johnny Rosko fut extrêmement heureux de rencontrer Zélie Lantoure dont on lui avait beaucoup parlé.
Rosko avait trouvé cette pseudo-enquêtrice très sympathique et, mansuétude aidant, ça l’amusa de lui proposer d’accompagner son équipe. Il était d’autant plus intéressé qu’elle vivait sur le site depuis une quinzaine de jours et qu’elle avait vraisemblablement laissé traîner le nez et les oreilles. Avec tact, il la tiendrait facilement à distance. Le commandant avait regardé l’alerte retraitée avec bienveillance. Il appréciait l’expérience des personnes âgées et n’hésitait pas à faire appel à leurs compétences.
De Vannes, ils avaient pris la direction d’Auray par la voie express, puis la sortie Larmor-Baden. Ils arrivèrent à la cale de Pen Lannic, une anse ouverte sur le Golfe, bordée d’un mur consolidé pour affronter les marées à forts coefficients. Ils découvrirent un petit parking et embarquèrent du quai de Gavrinis pour la traversée. En passant, l’un des marins leur fit remarquer l’île de Berder, susceptible d’accueillir un projet immobilier d’envergure mal perçu par certains.
Il fallut environ 10 minutes – le courant de la Jument n’était pas fort à ce moment-là, ce qui n’est pas toujours le cas – pour traverser par le service régulier, tandis que les membres de la police scientifique arrivaient avec leur propre bateau. Ils accostèrent sur “l’île mystérieuse”, une de la quarantaine d’îles du Golfe du Morbihan, dont la légende raconte qu’il y en a une pour chaque jour de l’année, ce qui est quelque peu exagéré. Ils mirent les pieds sur un rocher de granit d’une trentaine d’hectares séparé en deux : une partie appartient au Département du Morbihan, l’autre étant privée.
Le chantier se situait au Sud, non loin du cairn – dolmen recouvert comportant des pierres sculptées de dessins bizarres – où des fouilles avaient permis de découvrir un site néolithique très ancien. À l’époque ne coulaient que trois rivières dans le Golfe et la mer n’était pas encore venue jusque-là. Il est possible que les énormes pierres aient été convoyées au fil de l’onde.
Les hommes admirèrent la limpidité des eaux, la proximité de l’îlot d’Er-Lannic d’où émergeait un collier de menhirs, et posés sur les rochers, une vingtaine de cormorans ailes au vent, et la presqu’île de Rhuys, en face. Ils croisèrent d’autres oiseaux marins que Julien Destrac se plut à citer à son boss qui admira tant de connaissances ornithologiques, celles du commandant s’arrêtant aux quelques espèces fréquentant son jardin.
Rosko, d’emblée, levant toute équivoque, ne pouvait pas faire autrement que de mettre Zélie aussi sur la liste des suspects. Il le devait pour la déontologie et vis-à-vis des autres. Il lui assura, cependant, qu’il resterait très light dans son interrogatoire. C’était donc, en plus d’une aide enquêtrice, un témoin et de fait, une suspecte potentielle.
*
Le trafic des visites avait momentanément été interrompu pour laisser l’équipe scientifique opérer.
Tout le monde sur l’île était sous le choc et se tenait derrière la bande jaune fluo qui délimitait la scène de crime. Rosko jeta un rapide coup d’œil au mort entre les mains du légiste : il était de forte stature, avec des membres assez longs, un visage grossier au nez aquilin. Le toubib lui fit remarquer des ecchymoses au visage et une corolle de sang qui avait fleuri en haut de sa poitrine, maculant sa chemise à carreaux. Un peintre eut pu trouver le tableau beau et le brosser avec talent.
Le policier fut abordé par Albert Wannicourt, le directeur des fouilles et cousin de Zélie. Sa tenue composée d’un bleu de travail et de gants de jardinier, faisait penser à un chef de chantier, ce qu’il était. C’était un homme très grand, à l’allure dégingandée, au visage taillé à la serpe, des yeux sombres et inquisiteurs dégageant une force et une autorité naturelles qui devait mener ses troupes de main de maître. Il fallait une grande maîtrise du commandement, car dans le groupe de badauds, se trouvaient bon nombre d’étudiantes et d’étudiants qui ne devaient pas tous se laisser manœuvrer aussi facilement qu’il l’aurait voulu. Zélie avait plusieurs fois parlé de lui et, si elle ne s’était pas ennuyée ferme à la maison, elle aurait sans doute passé outre cette réunion de famille pour le moins atypique – notons qu’elle était grandement élargie, puisque seulement 5 ou 6 personnes en faisaient partie.
Wannicourt faisant fi du grade du commandant, tint à Rosko un discours assez direct :
— Il faut boucler cette affaire au plus vite, nous avons très peu de temps devant nous et il y a encore tant à découvrir sur ce merveilleux site néolithique. Je compte sur vous pour nous livrer de nouveau et rapidement le chantier !
— Et permettre également aux visites de reprendre, lança Zélie, qui savait que la destination était très prisée par les touristes et que l’île faisait partie des sites les plus visités du Morbihan.
Ils n’allaient tout de même pas lui donner la marche à suivre ! Rosko fut naturellement piqué au vif mais il ignora toutefois l’observation de Zélie et s’adressa à Wannicourt.
— Nous prendrons le temps qu’il faudra, je suis comme vous un adepte de la recherche, vous vous occupez du passé et moi du présent.
L’autre ne s’arrêta pas à la remarque.
— J’ai tout de suite prévenu la Police… Nous avions creusé une tranchée à une centaine de mètres du cairn et quelle ne fut pas notre surprise de tomber, non pas sur un homme du Néolithique, mais sur un Homo sapiens “modernensis” tout à fait fin de vingtième, début du vingt-et-unième, et mort qui plus est. Le cuisinier Titouan Marzac avait servi son dernier repas, il en est resté bouche bée, cela dit sans mauvais jeu de mots.
« Curieux bonhomme », se dit Rosko.
— Vous n’avez touché à rien ?
— Nous avons enlevé un peu de terre pour le dégager, car seul son bras dépassait, comme s’il voulait nous faire signe.
Il sourit, satisfait de son effet. Ni Rosko ni même Zélie Lantoure, pourtant pourvue d’un puissant sens de la dérision, ne trouvèrent cela drôle, Wannicourt pratiquant un humour très spécial. Zélie se tenait en retrait, voulant intervenir pour morigéner ce cousin encombrant, mais Julien Destrac lui fit signe d’attendre un peu. Derrière le directeur et ce corps mort apponté sur terre, la retraitée regarda la mer dans les yeux, son immensité, et elle trouva furtivement beaucoup de choses dérisoires, ce qui eut le don de calmer ses velléités d’emportement.
Le directeur des fouilles tourna les talons et Zélie put s’approcher enfin, elle avait tant de choses à dire. Rosko la questionna :
— Alors c’est là-bas que vous avez élu domicile ?
Et elle montra non loin du chantier de fouilles, en partie caché par les arbres, le campement de toiles de tentes établi dans une immense clairière en forme de U. On remarquait également un imposant barnum qui servait d’habitation principale, siège notamment de la cuisine et de ses dépendances, domaine exclusif de la responsable logistique : Jeanne Courset, la “maîtresse des lieux”.
— Le Département a accordé l’hospitalité à l’équipe, je vous montrerai plus tard toute l’installation. Charge à nous de respecter les lieux et de les laisser dans l’état où ils étaient à notre arrivée.
Trois hommes de la scientifique avaient balisé la scène du crime et procédaient aux différentes analyses, recherche d’empreintes, d’ADN et différents relevés. Le docteur Hortefeux révéla à Rosko la teneur de ses premières conclusions.
— Titouan Marzac, le cuisinier, a été victime d’une mort rapide, bougonna-t-il… Un objet contondant, une lame ou quelque chose comme ça, lui a sectionné la carotide, lui laissant peu d’espoir de survie. Ces traces montrent qu’il a aussi été violemment frappé au visage, mais ces coups portés datent d’un peu avant. Compte tenu de la température du corps, des rigor et livor mortis, je peux supposer l’heure et la date de la mort, hier soir entre 4 et 5 heures du matin. Il expliqua cette relative précision : toutes les heures après la mort, on perd environ un degré et d’autre part, le sang et les muscles obéissent à des lois physiques immuables.
Zélie mit, comme d’habitude, si l’on ose dire, son grain de sel, elle tenait en main divers instruments servant aux fouilles qui évoquèrent aux policiers des outils banals de jardinier.
— Ça ne m’étonnerait pas que ce soit ce genre de truc qui ait servi d’arme du crime…
Elle montra fièrement au commandant Rosko une petite truelle forgée dont le triangle effilé et tranchant avait pu en faire office.
Il demanda alors au major Eugène Quinton de mettre ces pièces à conviction sous scellés et de les confier aux membres de la scientifique pour analyses. Puis s’adressant à son second, Julien Destrac :
— Tu t’occupes de les marquer à la culotte pour qu’on ait les résultats avant tout le monde.
Le lieutenant fit un signe d’assentiment puis disparut.
— L’assassin se sera sans doute débarrassé de l’arme du crime, dit Zélie d’un ton approprié. Avec toute cette mer qui nous entoure…
Le corps fut enseveli dans une housse pour être transporté en bateau jusqu’à terre, puis à l’institut médico-légal.
L’après-midi se passa en allées et venues des policiers qui notèrent, numérotèrent, inspectèrent, fouillèrent. Ils avaient notamment demandé qu’on leur remette les téléphones, tablettes et autres ordinateurs, sur la base du volontariat. Il serait bien temps par la suite d’obliger les récalcitrants à s’exécuter.
Rosko avait volontairement tenu Zélie à l’écart de ces démarches officielles, il ne voulait pas prêter le flanc aux critiques, ni faire de favoritisme. Julien Destrac l’avait suivie de près – elle lui rappelait sa grand-mère – et ils avaient pu ainsi élucubrer à leur guise sur la mort du cuisinier. Ils avaient déjà échafaudé vingt-deux mille hypothèses dont la quasitotalité ne tenait évidemment pas debout.
Dès la fin de la journée, les relevés, analyses, photos etc. avaient pu être réalisés… C’était quasiment plié et le commandant de police put annoncer fièrement à Wannicourt – bien qu’il l’aurait volontiers maintenu sur le gril –, que dès le lundi – nous étions le vendredi 22 juillet –, les fouilles pourraient reprendre, ainsi que les visites. Des panneaux de bois seraient montés autour du chantier, afin d’éloigner les curieux.
— On vous restituera les instruments manquants.
Le directeur ne fit aucun commentaire, le délai étant bien trop long à son gré, mais le ton du policer fouineur était on ne peut plus déterminé.
*
Le commandant Rosko avait élu son quartier général dans l’immense barnum contenant de nombreuses pièces aux utilisations bien précises. Le Département du Morbihan avait autorisé par contrat l’équipe de fouilles à occuper les lieux.
Johnny Rosko avait été désigné responsable d’enquête par le Procureur de la République qui avait ouvert une information judiciaire pour homicide. Le juge Martial Lefort était chargé de l’instruction.
Le policier devait rencontrer un à un tous les membres de l’équipe à fin d’interrogatoire. Zélie Lantoure eut le droit insigne d’y assister en restant dans l’ombre. Rosko commença, noblesse oblige, par le responsable des fouilles, Albert Wannicourt. Ce dernier se mit tout de suite à bougonner : « Qu’on le soupçonne, c’était impossible, voire inacceptable ! » C’était un homme imposant par sa taille, ses longs bras d’atèle se terminaient par des battoirs impressionnants, il devait faire extrêmement attention de ne pas réduire les poteries découvertes en bouillie, pensa Rosko, en détaillant les proportions de l’archéologue.
— Ce sont des questions de routine que je vais vous poser, répondit le commandant qui avait pris l’habitude, l’expérience aidant, de ne pas s’en laisser conter. Je ne soupçonne personne en particulier, mais tout le monde en général surtout en début d’enquête, puis je fais le tri dans ma liste jusqu’à n’en garder qu’un seul ou une… Voilà comment je procède.
Il avait pour modèles des personnalités très fortes telles que Talleyrand dont il admirait la verve et le tempérament et Grand Corps Malade le célèbre slameur. Il était un psychologue pertinent et, la plupart du temps, il ne se laissait pas déborder par les sentiments. Rester le plus objectif possible constituait un leitmotiv quotidien dans son métier.
— Que voulez-vous savoir ?
— Qui a organisé la fête à terre, hier soir qui se tenait à Locmariaquer d’après ce que j’ai appris ?
L’archéologue répondit du tac-au-tac :
— Elle était prévue depuis longtemps. Elle s’est organisée toute seule si je puis dire, mais le maître de cérémonie était Fanch Arquand, notre homme à tout faire, et passeur à ses heures, un bon ami du mort. Fanch ne va pas tarder à rentrer ; il est parti ce matin à Saint-Philibert chez un de mes collègues récupérer un rapport sur le dolmen à couloir de Pen Hap dont j’avais besoin.
Il ne put alors s’empêcher de compléter :
— Gavrinis, comme l’Île aux Moines et bien d’autres, est riche en vestiges mégalithiques ; beaucoup sont datés de l’époque néolithique. Une société primitive était sédentarisée dans la région. Gavrinis fait partie, ainsi que l’île aux Moines et d’autres, selon nos dernières découvertes, de cet ensemble du Golfe unique au monde, et je ne parle pas que des alignements de Carnac ou de la table des Marchands à Locmariaquer. On cherche également la ville de Corbilo qui était très importante au temps des Romains, elle pouvait possiblement se trouver sur cette île. Le Golfe a pu aussi, bien que ce ne soit pas une certitude, être le théâtre de la bataille des Vénètes défaits par la flotte de César. On est obligé de se perdre en conjectures et avancer prudemment nos hypothèses. Mais ça ne vous intéresse pas commandant ?
— Tout m’intéresse au contraire, je travaille comme vous, en essayant de reconstituer un puzzle.
Il regarda en l’air, puis revint sur terre.
— Donc, cette fête ?
— Un fest-noz, comme il se doit, avec tous les ingrédients de la musique et de la danse bretonnes. Il y avait un millier de participants – dont une partie à l’extérieur évidemment de la salle polyvalente “La Ruche” – et nous nous sommes mêlés à tous ces convives. Ce que je veux dire c’est qu’on n’a pas passé notre temps à se surveiller, chacun avait des occupations un peu différentes, si vous voyez ce que je veux dire. Nous sommes rentrés vers 2 heures du matin, dans l’embarcation de Fanch, et chacun est allé se coucher.
— Donc, potentiellement, tous les membres de votre équipe peuvent être soupçonnés du meurtre.
Albert Wannicourt crut défaillir à cet énoncé, mais il s’efforça de garder son calme.
— Je réponds d’eux comme de moi-même ! Pourquoi ne pas imaginer un gars qui accoste au petit matin et qui tue Titouan Marzac ? C’est du domaine des possibilités, n’est-ce pas ? Pour vous qui dites explorer toutes les pistes.
Le commandant lui indiqua qu’il ne croyait que moyennement à celle-là et qu’il allait s’employer, dans un premier temps, à reconstituer l’emploi du temps du cuisinier victime de l’homicide.
Pour ce faire, il reçut chacun à tour de rôle pendant une dizaine de minutes, n’apprenant pas de choses essentielles, mais des menus détails qui pourraient ensuite trouver leur place dans le canevas des événements.
Titouan Marzac avait passé une bonne partie de l’après-midi à préparer le repas du lendemain, s’enquérant auprès des uns et des autres si celui-ci leur conviendrait. Beaucoup des personnes présentes sur l’île avaient donc été en contact avec lui, mais vraisemblablement sans altercation particulière ou mouvements de mauvaise humeur à son encontre. Il était resté un long moment à discuter avec Fanch Arquand, son ami. Puis, dans la soirée, tout le monde s’était rendu au fest-noz, sur le continent et, à ce moment-là non plus il n’avait pas été fait mention de points particuliers. Ce qui n’étonna Rosko qu’à moitié, car au début d’une enquête, les bouches restent relativement cousues, les langues ne se déliant qu’aux nouveaux interrogatoires ou à l’occasion d’une évidence, d’un fait indéniable dont le témoin doit convenir.
*
Zélie Lantoure exultait au milieu de tout ça ; la fatigue, les rhumatismes, tout avait disparu pour laisser place à l’allégresse et à l’excitation de la curiosité. Elle téléphonait régulièrement à ses copains qui la tenaient, en retour, régulièrement informée de la vie aux Bruyères. Finalement, les menus faits du quotidien lui manquaient la plupart du temps.
Elle allait et venait parmi les fouilleurs, interrogeant l’un, faisant des remarques à l’autre, intervenant le soir au campement pour trouver étrange qu’un homicide ait été commis dans un endroit si paradisiaque et chargé de symboles concernant l’Humanité tout entière. Rosko la laissait faire, tant qu’elle ne portait pas atteinte à son ordre établi et surtout à la bonne marche de l’enquête.
Zélie Lantoure s’était montrée à la fois prolixe et discrète. Selon ses dires, elle avait envie de faire rapidement progresser l’enquête et on n’avait pas de raison d’en douter.
— Y’a trois étudiants en histoire qui ne font pas partie de la famille de Wannicourt et qui sont toujours ensemble. Il s’agit de deux gars : Marc Lavenu et Ronald Fontan, deux cousins, et une fille : Isabelle Chenu, la nièce du cuistot. Vous devriez la “voir”, Commandant, sans vous “commander”.
— Allez, Zélie, je vais vous suivre sur ce coup-là, faites-la venir !
Et la vieille dame s’exécuta, consciente de son importance dans cette enquête, surtout comme faire-valoir de Rosko, mais de façon consentante et ne se considérant pas comme la porteuse d’eau du flic renommé. On sauve les apparences comme on peut !
Rosko se plia à la demande de Zélie d’autant plus facilement qu’il avait déjà aperçu cette jeune femme qui ne manquait pas d’attraits. Zélie – encore très alerte malgré son âge, avait un beau visage où s’ouvraient deux billes bleues, son corps, bien qu’ayant souffert, possédait une évidente souplesse. Elle était dotée d’une nature généreuse et ses traits inspiraient calme et sérénité. Constamment enjouée, elle allait de l’un à l’autre avec, pour chacun, un petit mot gentil.
— Mademoiselle Chenu, je vous présente mes condoléances, entama Rosko, votre oncle…
— Je vous remercie, mais nous n’étions pas très proches, je dois dire que sa mort ne me cause pas le chagrin qu’il devrait eu égard à nos liens familiaux. Elle possédait une voix à l’aigu délicieux.
— Pourtant, vous participiez tous les deux à ce chantier de fouilles.
— Exact, c’est même moi qui avais appuyé sa candidature, peut-être pour rapprocher un peu les liens distendus. Mes parents, sans doute pour les mêmes raisons, souhaitaient qu’on l’aide.
— Vous ne vous voyiez pas souvent ?
— Je ne suis allée chez lui que quelques jours auparavant. Nous étions tous les trois, moi et mes deux copains étudiants en histoire. Il nous a très bien reçus, je dois dire.
— Vous n’avez rien remarqué de particulier ?
— Un intérieur de célibataire, des bibelots, de la poussière un peu partout, il a voulu nous faire goûter à de l’eau-de-vie qu’il fabriquait lui-même. Nous avons accepté poliment, c’était un peu fort. Mes copains ont sympathisé avec lui, car il était très chaleureux.
— Voyez-vous quelqu’un qui avait intérêt à sa mort ?