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Vincent n’a jamais eu l’intention de briller sous les projecteurs, conscient des éblouissements qu’une telle exposition peut provoquer. Ainsi, "Roller & skate buissonniers" surgit au seuil de ses cinquante ans, marquant une vie jalonnée de hasards et d’expériences. Il retrace un parcours, évoque son vécu ainsi que les moments de questionnement de celui qui était perçu par certains comme le mouton noir, le marginal ou l’exubérant. Ces années sont témoignées à travers les sports de glisse et les évolutions quotidiennes, dépeignant une histoire partagée et un avenir anticipé dont les clés sont disséminées au fil des pages de ce destin.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Vincent Boucard pratique toujours la glisse quelque part, quelques instants, laissant son empreinte dans le ski, le roller, le skate et le surf. Cette passion contemporaine est capturée dans son ouvrage actuel ainsi que dans "Ça part en free-ride" et "Une glisse libre", un recueil poétique fusionnant action et réflexion. Ayant grandi dans une ferme, il découvre dans le free-ride une liberté similaire à celle du monde paysan, liée au climat et harmonieuse avec l’environnement. Sa littérature se tisse d’échanges et de choix nés de rencontres.
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Seitenzahl: 179
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Vincent Boucard
Roller & skate buissonniers
© Lys Bleu Éditions – Vincent Boucard
ISBN : 979-10-422-0430-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pour mon frère, et Athènes...
La mémoire peut toujours nous abandonner pourvu que le jugement ne nous manque pas dans l’occasion.
Johann Wolfgang von Goethe
L’humanité est comme un skateboardeur, elle sait qu’un jour ou l’autre elle va se casser la gueule.
L’inconnu d’une fin de soirée épique
Une glisse libre, 2020 Le Lys Bleu Éditions
Ça part en free-ride, 2021 Le Lys Bleu Éditions
Ce livre n’aurait selon toute vraisemblance strictement aucun rapport avec une vieille émission datant de 2001, connue comme phare du paysage télévisuel, dont le principe éliminatoire d’une survie en milieu hostile est totalement contradictoire avec l’évidente solidarité des situations de crises à considérer lors d’événements périlleux. Passé ce message à caractère informatif, retrouvons ensemble le fil de notre quotidien...
Aujourd’hui lundi 8 novembre 2022, je débute la rédaction de ce qui constituera mes mémoires de free-ride. C’est avec une joie certaine qu’il m’est donné d’initier ce projet par ces quelques premières lignes. Aussi, je vous souhaite la bienvenue dans mon passé, que vous connaissez peut être déjà, pour m’avoir aperçu, ici où là, durant ces 48 années ou ce mouvement fut véritablement une partie intégrante de ma vie. Quel mouvement ? Une mode, un style, un défi, une passion, un sport, un art de vivre, un moyen de transport, un exutoire, une quête, une recherche, la glisse. Aussi, c’est avec toute ma franchise et toute mon honnêteté qu’il me faudra écrire ces lignes, pour que ces mémoires gardent leur authenticité. Car, sensible à l’évolution de notre monde, je réalise la chance qui fut la mienne, raison pour laquelle j’ai décidé de rédiger cet ouvrage, témoignage d’une époque révolue, forcément nostalgique d’un parcours destinée à tous les futurs. Naviguant entre l’amateur éclairé et le professionnel désœuvré, je pense avoir eu un bon niveau, avec des coups d’éclat, mais aussi des flops. C’est ainsi. Tout le problème étant, lorsque l’on évoque un souvenir, reste que l’on oublie les autres. Certains diraient que l’on ne garde que les plus beaux moments en mémoire, je vous laisse en juger au fil des pages. C’est ce que je vais narrer durant ces quelques rapides chapitres.
Août 2015
J’avais prévu de rejoindre Métabief et son mont d’Or réputé pour réaliser quelques prises de vues sur la station suscitée, avec l’ambition de générer un je ne sais quoi de glisse estivale, a contrario des pentes enneigées de nos hivers de plus en plus décevants. Naturellement au départ d’Aïssey, je passais par Gonsans. Traversant ce village vers 10 h 00 du matin, j’eus soudain une pulsion avec les marches de son église et cimetière. Non pas que des amis proches ou souvent oubliés sont enterrés là, mais les escaliers me permettaient de créer une photo de saut, un gap, équipé de ma planche de freeboard. Je me gare, pose la caméra, et sans tergiverser, je m’élance de la main courante pour sauter dans le vide en tenant ma planche, mimant une cabriole dont le but était de la retoucher ultérieurement sous Photoshop. Rien que cette cabriole méritait déjà le détour, là où les jeunes se seraient réellement envoyés en l’air. Ceci fait, je devinais l’appel d’une route adjacente toute descendante offerte et quasiment abandonnée, sauf par les exploitants agricoles du cru. Ni une ni deux, je remontais la pente, posais la caméra, et engageais la descente du mont, passant presque devant chez Claude et Gisèle, mais carrément devant chez Marie Hélène et Jean-Christian. Un carving d’une simplicité redoutable, une godille efficace, le slalom heureux, je descendis tout droit jusqu’au replat d’une chicane destinée à ralentir les automobilistes pressés. One shot, un direct, tranquille, dans la boîte. La planche rudimentaire de skateboard californien étant robuste et simple comme une jeep Willis ou un robot KitchenAid pour schématiser sa philosophie, j’avais avalé la descente alors qu’une ou deux voitures avaient circulé, tout au plus. 10 h00 du matin, journée ensoleillée, évidemment, quoi d’autre en plein mois d’août ? Finalement, je n’ai jamais utilisé la fausse photo du faux saut en skate. Mais par contre, les images prises ce jour-là couronnent ce qui peut s’apparenter à une maîtrise idéale d’un skateboard, toute modestie gardée, puisque mon usage n’en était que des plus basiques, soit modestement descendre une rue principale d’un village agraire du presque Haut Doubs. Tout l’intérêt de cet événement réside là, et c’est ce qui se retrouvera plus loin dans ce texte, à condition que vous le parcouriez davantage.
Juin 2008
Les hommes épris de liberté connaissent parfois le désert, l’errance, également. J’ai été de ceux-là. En retour d’une escapade surf sur la côte Atlantique, j’étais au volant de ma Citroën Xantia. Ce détail aura de l’importance plus tard, mais je dois vous présenter ce véhicule et l’ignorance dans laquelle je me trouvais. Une berline, bleu nuit, presque noire, pas tout à fait. Suspension hydractive, jantes stylées, lunette arrière dotée d’un store microperforé, j’avais retiré l’essuie-glace du hayon et percé le logo Citroën pour insérer le jet de lave-glace ainsi détourné. Si bien que lorsqu’un indélicat me klaxonnait au feu vert pour une raison ou une autre, je déclenchais le lave-glace arrière, et le copieux jet l’arrosait du liquide nettoyant ! Je gaugeais le pare-brise de l’automobiliste agacé qui se retrouvait mouillé proprement. Sacré pied lorsque je repense à cette connerie. Le bricolage complet du dispositif m’avait pris une heure de travail, juste le temps de démonter la garniture intérieure du coffre et percer la tôle de la carrosserie. Je me suis bien marré avec cette bagnole. Mais son moteur n’était pas moins musclé. J’avais choisi le 2 litres 16 soupapes. La voiture datait de la fin des années 1990. 1998 cm3 puissants et rugissant à souhait. La raison de son acquisition était une opportunité simple. Après avoir obtenu un job en Suisse en 2004, il me fallait une caisse pour remplacer ma Bx turbo diesel. (J’ai toujours été Citroën) Le garage l’avait à un prix radical, 2000 € ! Partant pour la Suisse, je savais que l’essence affichait des prix à la pompe plus compétitifs qu’en France, alors j’ai fondu sur les clés, moyennant un petit chèque. Ces sièges en velours doux et moelleux m’ont permis de passer des heures incroyables à son volant. Elle possédait un détail confortable et bien pensé, un variateur de lumière sur l’éclairage du tableau de bord. Avec sa ligne unique, débarrassée de l’essuie-glace arrière, elle ressemblait à une voiture de sport, car malgré sa conception de familiale, elle l’était vraiment. C’est plutôt comme une voiture de grand tourisme que je l’ai utilisée. Je revenais donc de la côte Landaise, cette nuit-là. Calme et déserte, j’étais en semaine, je ne me souviens plus quel jour. Après avoir dépassé Tulle, vers 3 h 00 du matin, je roulais tranquille à 120 ou 130 kilomètres/heure de moyenne, sur un axe désert. Quand je fus rattrapé par une Subaru Impreza, je choisis de lui emboîter le pas. Elle devait rouler à 140 km/h, guère plus vite que moi. Mais nous avons commencé à rouler en escadrille, calmement, sereinement, à une allure soutenue tout de même. L’excitation de rouler un tempo plus relevé, je suivais à bonne distance, mais au même rythme que la sportive japonaise. Et les kilomètres s’empilaient. C’est dans ces instants que l’errance vous rattrape. Après 10 ou 15 bornes, je décidais de reprendre la Subaru, pour prendre le lead du cortège. Et elle me talonnait ensuite. Pour me dépasser à nouveau et finalement, nous avons roulé en augmentant le tempo crescendo. Pour finir par barouder à presque 180 km/h ! Dans les lacets de l’autoroute transperçant le Massif central, je commençais à avoir les mains moites de concentration pour rester attentif à la moindre connerie. De toute façon, à cette heure de la nuit, l’autoroute nous appartenait. Une époque révolue, c’était avant l’installation des radars automatiques sur le bord des voiries. Nous étions un peu fada quand même. C’est là l’errance dont je parlais. Pour aller surfer, il me fallait traverser la France, trouver une solution. Et ma fidèle automobile ne me décevait jamais. Au point de tenir la dragée haute à cette Impreza WRC. Je ne sais pas qui la conduisait, de toute façon, nous nous sommes perdus de vue à l’arrivée au nord de Clermont-Ferrand. À l’époque, si j’avais tissé des liens avec les Biarrots, depuis Besançon, j’aurais pu traverser la France en auto-stop pour aller habiter sur la côte et surfer. Mais heureux propriétaire de cette maudite automobile, je conduisais tout bêtement.
Août 2004
Après un contrat à la direction départementale de l’agriculture, j’avais trouvé ma vue un peu faible, puisque les journées passées étaient exclusivement basées sur un boulot de définition cadastrale numérique à base d’orthophotographie, un système normé d’échelles variable pour travailler les détails. C’est ce qui m’amena à elle. En juillet, je poussais la porte de Grand Optical, pour faire le point sur mes yeux et ma vision, le tout après avoir consulté le docteur Couëdic, ophtalmologue. Son diagnostic était simple, hypermétropie. J’allais donc faire réaliser une paire de montures à ma vue lorsque j’eus la surprise d’être accueilli par une jeune femme délicate. Sophie portait la tunique austère, mais professionnelle de la franchise. Blonde, élancée, radieuse, elle portait sa voix sur un ton légèrement nasillard, cordiale, comme une nonchalance attentive à ma présence. Nous passâmes une bonne heure ensemble, et elle m’aida à choisir et fabriquer les lunettes Oakley qui me plaisaient le plus. C’était un moment important, le choix de la monture, la fabrication des verres, l’assemblage, Sophie complétait mon dossier au fur et à mesure des informations que je lui donnais. Ce n’est qu’un mois plus tard, en août, que je repensais à elle. J’étais sans doute en train de zoner dans Besançon rollerskate aux pieds, mes Rossignols descendeurs, lorsque je repensais à Sophie, mademoiselle Baverel. Je lui rendais donc une visite tout amicale et intéressée pour connaître sa disponibilité. Pénétrant dans la boutique, patins aux pieds, le son des roues d’uréthanes et des micro-roulements donna à mon allure un effet étrange. À cette époque, le rollerskate était tendance, les gens croyaient à l’avenir de ce mode de déplacement, et entrer dans un magasin, ne vous laissait pas sur la touche par le service d’ordre. Sophie était là, elle me sourit. Nous avons convenu d’un rendez-vous à la sortie de sa permanence à la boutique de l’opticien. Ensemble, nous passâmes un moment amoureux à la Fée verte, après avoir croisé Charles Perigot au casino de la Mouillère, le lieu de jeu, pas le supermarché. J’étais totalement subjugué par la miss. Tant et si bien que nous vécûmes une passion destructrice. Après quelques jours de relation amoureuse, notre échange s’est distendu, aussi vite que nous l’avions vu naître. Je ne sais toujours pas pourquoi nous n’avons pas su ou voulu dompter la passion qui nous consumait. Après plusieurs moments incompris, avec pourtant des instants d’un érotisme extraordinaire, je trouvai un soir en rentrant Sophie ivre au Ricard. Elle s’était saoulée. Ce soir-là, je la laissai seule dans sa chambre en veillant que tout aille bien. Somnolant sur le canapé, je me souvenais qu’elle me disait sur un ton de reproche être « barge »... Parfois, mon attitude débordait du cadre, car je me sentais pousser des ailes, prêt à toutes les audaces, comme aller faire le Lugdunum de Lyon, le Contest de descente en roller, pour lequel j’avais même commencé de me préparer. C’est cette opposition entre son besoin d’être rassurée pour construire un futur commun, avec la bohème dans laquelle je vivais inconsciemment, qui l’avait poussé à se bourrer la gueule ? Je ne sais plus, toujours est-il que nous nous sommes séparés, enfin, plutôt, elle commença à me repousser, ce que je dus admettre malgré moi. Et ce ne fut pas simple. En d’autres termes, elle m’offrit un ascenseur émotionnel de fou, avec une douceur euphorique qui se heurta à sa déception. Je n’ai finalement pas fait le Contest du Lugdunum. Et ma muse partit chez Afflelou.
Novembre 2006
J’étais parti à Lisbonne dans le but de trouver du travail là-bas. Après avoir eu un licenciement arbitraire de mon job chez Président, où je mettais en carton les plaquettes de Comté. Tout ça parce que j’avais un peu déconné sur la ligne qui était particulièrement monotone et répétitive. Un travail aliénant par excellence. J’étais payé au SMIC, touchais 1200 € les meilleurs mois. Mettre les plaquettes en carton. Pendant huit heures, de 5 h 00 à 13 h 00, une chaîne découpait les meules de Comté, un appareil les emballait et nous étions deux sur le tapis d’avancée des produits pour empaqueter les blisters dans des cartons au nombre défini. Puis ces cartons étaient scotchés, et évidemment palettisés. C’est parce que j’avais déconné avec les plaquettes que le chef d’atelier m’avait viré. Alors complètement colérique à cause de son choix tout à fait injuste, j’avais pris mes rollers, et roulé jusqu’à Lisbonne. J’avais préparé le voyage pendant la mise à pied de l’entreprise. Arrivé là-bas, après une escale par Biarritz, je touchais au but à Algès, dans un camping où j’avais planté la tente avec la ferme intention de bosser chez nos amis portugais. Les agences de travail internationales avaient été contactées, j’avais adressé des CV traduits chez Manpower et Adecco, pour finalement arriver à l’agence Emprego de Trabalho, l’équivalent du Pôle Emploi français. Lors d’un entretien en anglais avec l’un des agents, mon voisin était un immigré venu du Sénégal, qui devait fournir moult documents justificatifs, car il n’était pas ressortissant de l’Union européenne. L’agent me remit un document A4 avec une adresse pour un job de Caseiro, dans une ferme des environs de Lisbonne. J’étais chaud pour trouver du travail dans cette ville totalement inconnue, et dont je ne maîtrisais absolument pas la langue. Quoique beaucoup de Portugais parlent le français, je m’exprimais aussi en anglais. L’adresse mentionnait Prior Velho. J’étais parti en bus là-bas, depuis mon camping du faubourg d’Algès. C’était toute une aventure, j’avais l’impression de faire Pékin Express en direct, et sans équipe de télé pour m’accompagner. Descendu dans le quartier où j’avais repéré la rue sur le plan, je m’enfonçais dans une zone résidentielle qui ressemblait de plus en plus à une favela brésilienne. Les gens se renfermaient sur mon passage. Les habitations alternaient des maisons et de petits immeubles, avec des personnes plutôt âgées. J’avais beau demander ma route après 1 h 30 à chercher à pied l’adresse, je ne trouvais pas, et pourtant mon plan en papier indiquait une rue où le numéro n’était pas identifiable. C’est par lassitude qu’après avoir cherché longuement, je décidais de faire appel à un taxi pour trouver la bonne adresse. La station de taxis était à l’entrée du quartier que j’avais déjà arpenté en long et en large. Là, un chauffeur auquel je tendis mon papier A4 me fit signe de monter dans sa Mercedes beige à la civette jaune. Après un round sur le boulevard d’une poignée de minutes, le chauffeur me conduisit devant une grande allée d’oliviers, abritée par un portail massif en fonte ou acier, couronné par un mur de pierre sèche magnifique. L’adresse était la même que sur mon plan, un nom homonymique, je ne risquais pas de trouver dans mon quartier résidentiel. Là, je demandais au chauffeur de me laisser à l’entrée, il aurait été mal venu pour un demandeur d’emploi d’arriver au boulot en taxi. Remontant l’allée en pied, je tombais sur un gars en train de bricoler devant une bâtisse ancienne et hautement soignée. Je lui montrais mon papier, et il alla chercher le patron. Lorsque celui-ci arriva, il me demanda si je venais pour le travail, en précisant qu’il était pourvu depuis ce matin. J’étais dégoûté, je suis reparti surfer à Peniche.
Mars 2009
La station de Métabief a toujours été un terrain de jeu remarquable. Située à 71 km seulement de chez mes parents, je décollais systématiquement à 6 h 30 du matin pour arriver le premier devant les caisses des remontées mécaniques. Je calais mon réveil et dormais excité par la perspective de pouvoir me lâcher dans les pentes, trouver une bonne neige sans trace, oublier tout du quotidien et skier pour adopter le bon geste dans les courbes. Pleine bourre dans la face, envoyer du gros, c’était les termes usités à l’époque pour dire qu’on se « lâchait ». J’étais arrivé assez tôt et je skiais abondamment comme d’habitude, mais c’était une période de vacances et les innombrables touristes commençaient à se masser à la remontée de Piquemiette, tout en bas. Multipliant les passages au télésiège, skiant sans aucun répis autre que le télésiège, je saluais immanquablement les pisteurs et leur signifiais l’inutilité de ma tenir la balancelle, car je l’attrapais enjoué, heureux et prompt à dévaler la pente. D’ailleurs, on se marrait bien entre gros mangeurs de neige. C’est après la matinée, vers 15 h 00 qu’un nombre important de touristes se retrouvaient massés au télésiège du bas de la station. La queue, file d’attente, s’étirait longuement. En descendant vers ce naufrage, la station était victime de son succès. Ni une ni deux, je déchaussais mes Mosquitos Salomon pour les empoigner à pleine main, attachant le leach, le lien de secours, en cas de déchausse comme une dragonne. Décrochetant mes bottes de ski en haut de la cheville, j’utilisais mes snowblades comme bâtons, et remontais illico la pente en mode rando, sur le côté de la piste, tranquillement, comme un seul homme, vaillant. Et cela donna encore un peu plus de piment à l’effort, surtout qu’une surprise s’offrit à moi, comme à chaque fois que l’on sort du cadre. En shootant la couche de neige à chaque pas, tout gaillard, les Mosquitos œuvraient à merveille comme bâtons et je débutais la remontée pas après pas, suant rapidement plus qu’en descente. Je dégrafais mes vêtements, et j’eus l’agréable surprise d’assister à un ballet particulièrement drôle. Les gens, à ski, à snowboard, engagés dans la pente, glissaient tous d’une manière tantôt stylée, tantôt puérile, m’offrant un point de vue exceptionnel sur la population de la station. Seul, habitué à mon caractère marginal, c’était une délectation sans pareil de constater qu’un grand nombre des sportifs présents n’étaient pas en mesure de skier proprement. Un défilé permanent de burlesque. Bien que l’observation des autres skieurs se faisait également depuis le télésiège, cette fois je les voyais arriver de front, face à moi, à leurs côtés. Et pendant ce temps, je jouissais d’une liberté largement méritée, que seuls les skieurs de randonnées connaissent. Finalement, après un contrôle du temps mis pour effectuer la remontée, je passais 45 minutes pour accéder au Bouc Blanc, le sommet de Piquemiette. C’était toujours plus sportif que d’attendre comme un gland dans la file d’attente, et après tout j’étais là pour le sport et rien d’autre. C’est ce que je faisais. À fond, dans la montée puis dans la descente.
Novembre 2004