Silences sur la baie - Elisabeth Mignon - E-Book

Silences sur la baie E-Book

Elisabeth Mignon

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Beschreibung

Dans un contexte de confinement, les défis challenge se mutiplient et leurs conséquences seront désastreuses...

Mars 2020, début du confinement. Les adolescents sont invités à rester chez eux. Le beau temps s'installe. Les défis challenge se multiplient à Douarnenez, faisant craindre le pire aux gendarmes.

À Quimper, Célia, cinq ans, est assassinée près de son domicile. Les OPJ Erwann Le Métayer et Christophe Guillou orientent leurs recherches vers la baie de Douarnenez, entre la ville portuaire, d'où est originaire la petite fille, et Pentrez.

Un lien existe-t-il entre ces différents événements ?

Les enquêteurs vont tenter de démêler les fils de cette intrigue où les indices et les preuves font défaut.

Découvrez cette nouvelle enquête palpitante de Le Métayer et Guillou !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Élisabeth Mignon est née à Quimper, ville où elle réside depuis toujours. Passionnée d'histoire locale et de romans policiers, encouragée par ses amies "pousse-au-crime", elle se lance dans l'écriture de polars.

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Couverture

Page de titre

REMERCIEMENTS

À Christophe, Nolwen et Michel pour leurs conseils et leurs apports professionnels.

À mes complices : Françoise et Sylvie pour leur lecture attentive ; Martine, Nadine, Pascale et Renée pour leurs encouragements.

Élisabeth Mignon est membre du collectif L’Assassin Habite Dans Le 29 Facebook : L’Assassin Habite Dans Le 29

Facebook : Élisabeth Mignon

PRINCIPAUX PERSONNAGES

ALICIA DRIAN, LIZZIE : Dix-sept ans. Fille aînée d’Hélène Le Duc, grande sœur de Célia.

FRANCEZA FERTIL, CEZA : La petite quarantaine. Elle vit à Saint-Nic. Mère de Paul, épouse de Sébastien. Sa vie familiale et professionnelle s’est arrêtée voilà dix ans. Depuis, elle traverse une déprime permanente dont elle ne se sort pas, ou ne veut pas se sortir.

SÉBASTIEN FERTIL : Pas encore quarante-cinq ans. Père de Paul, époux de Franceza. Aviculteur. Il vit à Pentrez. Il a quitté Rennes et son emploi d’ingénieur pour être plus disponible pour sa famille.

PAUL FERTIL : Dix-sept ans. Fils de Sébastien et Franceza. Lycéen, interne à Quimper. Il vit à Pentrez. Héritier d’un lourd passé familial dont il ne parvient pas à se débarrasser. Il s’exprime peu.

CHRISTOPHE GUILLOU : Capitaine de police. OPJ. La quarantaine. Peu expansif, il se découvre sur sa vie privée et ses relations au fil des enquêtes. Très sportif, il n’est pas insensible à l’art dans sa forme brute.

ANNE HUIBAN : La petite quarantaine. Elle habite à Sainte-Anne-la-Palud. Animatrice de sports. Passionnée de voile. Amie d’enfance de Franceza. Très liée aux Fertil.

GILBERT KERSALÉ : Soixante-dix ans. Père de Franceza. Aviculteur. Il a cédé son exploitation à son beau-fils et l’aide désormais dans son travail. Très proche de sa fille unique. Un taiseux.

MONIQUE KERSALÉ : Soixante-dix ans. Mère de Franceza, mariée à Gilbert depuis quarante-cinq ans. Totalement dévouée à sa fille.

ÉLODIE LE CORRE : Dix-neuf ans. Petite amie de Nicolas Martel et accessoirement serveuse dans le restaurant de celui-ci.

HÉLÈNE LE DUC : Mère d’Alicia et de Célia. Ex-compagne de Nicolas Martel.

ERWANN LE MÉTAYER : Capitaine de police. OPJ. Chef de groupe. La quarantaine. Il s’implique totalement dans les affaires qui lui sont confiées et n’hésite pas à prendre l’avis de Morgane, son épouse, qui lui apporte équilibre et sérénité dans son travail. Ils ont deux enfants, Titouan et Noé.

NICOLAS MARTEL : Quarante-cinq ans. Cuisinier et patron du “Chaudron de la mer” au Port-Rhu à Douarnenez. Père de Célia. Ex-compagnon d’Hélène. Amant d’Élodie.

CÉLIA MARTEL : Cinq ans. Fille d’Hélène et Nicolas. Petite sœur d’Alicia.

STÉPHANIE OLLIER : Médecin légiste. La quarantaine. Elle écoute de la musique classique en fond sonore lors des autopsies. Sa vie sentimentale avec Christophe semble désormais terminée.

NADIA RENIER : Brigadier-chef. Trente-huit ans. Sa bonne humeur permanente, son sens de la plaisanterie et de l’à-propos s’allient avec ses qualités d’enquêtrice et sa maîtrise de l’informatique. Elle vit avec Yann Morillon, affecté à la BAC ; ils ont des jumeaux.

PROLOGUE

Douarnenez, samedi 14 mars, 18 h 30

Dylan fonce sur la route malgré les promeneurs qui prennent leur temps et déambulent. Ils sont nombreux, le beau temps est au rendez-vous. Il appuie sur les pédales du VTT, casque sur la tête, GoPro allumée. Il se concentre sur la trajectoire qu’il a évaluée dans la matinée. Des gens râlent et l’insultent. Dylan serre les dents, sans ralentir, s’engage sur le môle. Les cris des curieux, les appels de jeunes parents n’arrêtent pas le cycliste. Il rentre la tête dans les épaules, gagne en vitesse et, quelques mètres avant le phare-balise qui marque l’entrée du port de Tréboul, donne un coup de guidon et bascule dans la mer sous le regard médusé des badauds.

Le bruit du vélo percutant les vagues et la gerbe d’eau soulevée tranchent avec le silence qui suit, lourd, pesant. Les spectateurs ne réagissent plus. Un homme sort de la cabine de son pêche-promenade qui rentre au port, se penche par-dessus bord, comprend le drame qui vient de se jouer et plonge, laissant la barre à sa femme.

Déjà les témoins filment la scène tandis que d’autres appellent les secours.

— Le gosse… il a des bottes… il faut le sortir de là ! crie une voix aiguë sur le môle.

Une femme saute dans l’eau, suivie d’un homme d’une trentaine d’années, sportif. Ils s’enfoncent là où le gamin a disparu. De longues minutes s’écoulent, troublées par le murmure désapprobateur qui s’élève de la digue. Plus loin le véhicule des gendarmes s’annonce, aussitôt suivi par le fourgon des pompiers. Le premier sauveteur réapparaît, respire à grandes goulées avant de glisser de nouveau sous la surface. Un bateau s’approche au plus près de la zone désignée par les voyeurs et attend la remontée des nageurs. Les militaires et les soldats du feu sont sur la jetée lorsque les sauveteurs remontent le jeune cycliste, inconscient. Le zodiac des pompiers arrive déjà. Les hommes le prennent en charge aussitôt et pratiquent les gestes de premiers secours avant de rejoindre l’ambulance.

Les secouristes improvisés se concertent et décident de récupérer le vélo du jeune. Une nouvelle fois, ils disparaissent dans l’eau glacée. La femme réapparaît la première, elle tend le casque du vététiste aux gendarmes. Le capitaine Xavier Grandchamp le récupère et invite la nageuse à monter sur le gonflable des pompiers, revenu près du point de chute.

— Le jeune avait une GoPro fixée sur le casque ! lance un papa entouré de ses trois gamins, là-haut près du phare-balise. Il a tout filmé.

La plongeuse n’entend pas les rappels du militaire, elle vient de sauter dans l’eau froide tandis que l’homme du pêche-promenade et le sportif remontent difficilement le vélo. Signe pouce levé. Elle descend sur la vase, tâtonne le fond boueux, trouve rapidement une botte. Les pompiers ont enfilé leur équipement et se mettent à l’eau. Ils rejoignent la femme qui leur désigne l’endroit où elle a récupéré le casque un peu plus tôt. Il est temps pour elle de remonter.

Les gendarmes interrogent déjà les spectateurs qui ont assisté à la scène sur le môle et sur la dernière partie du trajet.

— Dylan Mahé ! précise un ado. J’étais en primaire avec lui. Je sais où il habite.

Les sauveteurs se réchauffent sous les couvertures tendues par le capitaine Grandchamp et livrent leur témoignage à l’abri dans la cabine du Goustadik*, où la femme du pêcheur prépare des boissons chaudes.

— Qu’est-ce qui lui est passé par la tête ? s’inquiète la quinquagénaire blonde trempée. Le gosse est complètement inconscient pour avoir agi comme cela. Il sait qu’en cette saison plonger dans l’eau relève de la pure bêtise. Sans parler des bottes qui l’entraînaient vers le fond.

— S’il avait voulu se suicider, il l’aurait fait ailleurs et différemment ! répond le propriétaire du bateau. La mer sera pleine à 20 h 30. Les bateaux commencent à peine à rentrer au port, il aurait pu nous tomber dessus.

— Encore un de leurs défis ! marmonne le sportif en regardant le gendarme. Vous n’avez pas fini, ce n’est que le début. Avec ces vacances improvisées et le beau temps, vous en aurez d’autres, il faudra bien qu’ils s’occupent.

Les défis d’adolescents, les “Momo Challenge”*, des jeux tout sauf bon enfant, des challenges dangereux qui agitent les réseaux sociaux. “Jouer” à se faire peur. Des jeux qui dérivent et mènent les ados au suicide. Celui-ci fait craindre une escalade dans la provocation.

Le gendarme hoche la tête. La veille, il a pris connaissance de la circulaire adressée aux parents par le président de la République, par laquelle il ordonne la fermeture des établissements d’enseignement à partir du lundi 16 mars.

* Mot breton signifiant « lentement ».

* Les “Momo Challenge” consistent à entrer en contact avec un interlocuteur anonyme que l’on menace de dévoiler ses informations personnelles.

I

Quimper, quartier du Moulin Vert, mardi 17 mars, confinement jour 1, fin d’après-midi

— Tu viens ? On va sur la balançoire.

— Je n’ai pas le droit de venir ici toute seule, c’est maman qui l’a dit.

— Je suis avec toi.

— Ben oui, mais elle ne sera pas contente si je désobéis.

— Tu ne lui diras pas, elle ne saura pas.

Célia regarde autour d’elle. De l’autre côté du grillage, derrière la haie, elle devine la balançoire et, près de la terrasse, le bassin et ses poissons rouges. Des carpes Koï, rectifie le voisin chaque fois qu’il la rejoint près des nénuphars.

— Je pourrais mettre les pieds dans la petite piscine, c’est rigolo.

Célia hésite, elle regarde là-haut, la fenêtre de la chambre d’Alicia, sa grande sœur. Elle s’amuse bien avec sa copine. C’est elle qui lui a dit d’aller jouer dans le jardin, elle l’appellera dès que papa arrivera.

Célia sait qu’elle a du temps devant elle, papa est en retard quand il vient la chercher. Toujours. Lui et maman ne s’entendent plus, ils se sont séparés.

— Avant, on habitait tous dans la maison orange, tu te souviens ? C’était mieux, même si ça criait tout le temps – la gamine hoche la tête et poursuit : La maison était plus grande, ma chambre plus jolie et mes copines sont restées dans ma vraie école. Ici, je ne connais personne.

La petite brunette de cinq ans se faufile derrière la clôture, se glisse sous les arbustes et compte les poissons.

— … huit, neuf, dix ! Ils sont tous là ! conclut-elle. Tu as vu, ils bougent tout le temps – elle trempe la main dans l’eau, grimace – C’est froid !

Tant pis, elle n’y mettra pas les pieds aujourd’hui. Déjà, elle oublie sa baignade et se dirige vers le portique. Elle sera prête plus rapidement lorsque papa l’appellera, elle n’aura pas à remettre ses socquettes et ses chaussures. Elle saute sur l’assise, se tortille sur la balançoire. Ce n’est pas comme cela qu’il faut faire. Mouvement des jambes, coordinations des bras, Lizzie lui a appris.

— Tu me pousses, plus fort… plus haut. Encore.

Célia s’envole. Elle rit aux éclats. Peut-être que papa va arriver, elle devrait rentrer à la maison. Si elle n’est pas prête, il va la gronder. Il a le droit d’être en retard, pas elle. Elle freine son élan. La balançoire ralentit, puis s’arrête. Elle bondit à terre.

— On reviendra, tu sais ! annonce-t-elle. Quand papa me ramènera. Au revoir, les poissons.

La sonnette retentit dans la maison. Alicia regarde par la fenêtre et aperçoit la voiture de Nicolas garée devant le portail. Elle n’a pas vu le temps passer. Cela fait un long moment que Célia ne s’est pas imposée dans sa chambre. Elle soupire et descend l’escalier. Elle ouvre la porte.

— Ta sœur est prête ? Je n’ai pas de temps à perdre !

— Son sac est là ! répond la jeune fille sur le même ton sec en désignant la valise près du radiateur. Elle joue dehors.

L’ado tourne les talons et part rejoindre sa copine. Elle regarde son portable. Plus d’une heure de retard. Elle hausse les épaules. Là-haut, les papotages reprennent.

Nicolas contourne la maison, il appelle la gamine. Elle ne vient pas, il pense qu’elle l’a vu arriver. Sa fille est taquine et adore jouer à cache-cache ; il fouille les buissons, pensant la découvrir rapidement. L’homme se résout à appeler Alicia. Elle ne répond pas et n’a pas l’intention d’interrompre la discussion une seconde fois.

— Là, il s’énerve ! constate la copine en s’esclaffant. Il est vraiment fâché.

Un coup de sonnette rageur les rappelle à l’ordre. L’ado se décide à aller voir ce qu’il se passe, partagée entre le désir de rester affalée sur le lit et l’envie de faire une dernière bise à sa sœur.

— Où est-elle ? Je ne la trouve pas ! insiste le papa. Elle s’est cachée dans la maison.

Alicia boude, appelle l’enfant. Elle parcourt le rez-de-chaussée, ouvre les placards et les armoires, monte à l’étage. La copine revient en bas avec elle.

— Tu devais la garder ! s’énerve l’homme en lançant un regard furieux à l’aînée.

— Et toi, tu devais la récupérer à 17 heures ! lance celle-ci en secouant son portable sous le nez de Nicolas.

— Elle est allée voir les poissons rouges chez le voisin ! avance timidement Juliette. Je vais la chercher.

La rousse aux yeux rieurs se faufile entre Nicolas et Alicia et file vers le jardin du voisin, contente d’échapper à la scène qui va éclater. Elle se glisse sous le grillage, exhorte la gosse à sortir de sa cachette.

— Dépêche-toi, ton papa est furieux, il n’a plus envie de jouer et Lizzie en prend plein la tête. Sois sympa. Quand tu reviendras, on jouera avec toi et je te maquillerai.

Juliette a deux petites sœurs, elle sait comment s’y prendre avec les filles. Malgré ses appels et ses recherches sous les arbustes et la haie, Célia reste invisible et silencieuse. L’adolescente passe la tête par-dessus les claustras, scrute la plaine de l’autre côté de la rue. Des enfants jouent sur l’aire de jeux, elle sort par le portail et va les rejoindre.

Les gamins n’ont pas vu Célia, les mamans qui les surveillent et celles qui bavardent entre elles non plus.

— La petite pipelette qui raconte des histoires à sa licorne ? Je ne l’ai pas vue aujourd’hui ! précise une grand-mère en posant sur ses genoux la grille de mots croisés qu’elle tient à la main. Je suis là depuis presque deux heures. Elle ne vient pas seule, elle est toujours accompagnée par sa maman ou sa sœur.

L’octogénaire fronce les sourcils, elle regarde Juliette se diriger vers un autre banc occupé par de jeunes mamans. Célia est suffisamment débrouillarde pour fausser compagnie à son accompagnatrice. Aurait-elle échappé à la surveillance de celle-ci ?

Alicia et Nicolas se disputent lorsque Juliette revient auprès de sa copine. L’ado reproche au père de sa sœur ses retards et son éternelle absence, l’homme traite la jeune fille d’égoïste et d’immature.

— Elle est peut-être partie à la recherche de sa maman ! tente Juliette, espérant calmer les belligérants.

À peine apaisée, la colère remonte des deux côtés. Alicia ne souhaite pas appeler sa mère, et Nicolas ne veut pas parler à son ex-compagne.

— C’est pour Célia ! prêche la copine. Il faut vraiment s’inquiéter maintenant.

Alicia soupire. C’est encore elle qui va prendre les reproches de sa mère en pleine tête alors que Nicolas n’assure pas.

*

Hélène a quitté son travail en catastrophe. Lorsqu’elle arrive à son domicile, Nicolas fait du porte-à-porte dans la rue. Son ex-compagnon la rejoint, il se tient à bonne distance, évitant le regard de la maman affolée mais pas ses récriminations. Les explications entre l’homme et la femme se passent mal. Le ton monte. Le dernier voisin visité par Nicolas les rejoint, il a passé un pull et délaissé ses pantoufles et son téléviseur, intrigué par les questions du papa. Il intervient, met fin à une querelle qui ne mène à rien, surtout pas à Célia. Il propose au couple et aux deux filles de reprendre les recherches, chacun de leur côté. Ils échangent leur numéro de portable.

Les riverains les accompagnent dans leur recherche, tirant les sonnettes, interrogeant les passants. Célia ? Des promeneurs l’ont aperçue, mais était-ce hier ou aujourd’hui ? Peut-être même samedi, avec une jeune fille, sa sœur ? Ou deux jeunes filles ? La mamie “Mots croisés” remonte vers son appartement, elle est formelle, elle n’a pas aperçu Célia, elle serait venue lui dire bonjour. La gamine vient toujours discuter avec elle. Elle rappelle à Hélène la tenue que la petite portait le samedi au moment où elle l’a croisée avec Alicia, plus loin sur le parking de la Providence. Hier, elle lui avait montré le tee-shirt acheté sur le marché.

— Avec une licorne ! précise l’octogénaire en souriant. C’est sa période licorne. Elle emporte une peluche dans son sac à dos, elle ne se sépare pas souvent de Lily, parfois elle me la confie et part jouer sur le tourniquet ou sur la structure, mais elle n’oublie pas de la récupérer.

La peluche. Alicia revoit le petit sac à dos posé sur la valise dans le couloir. La peluche n’était plus dedans quand elle est partie fouiller les alentours.

Le groupe des chercheurs s’est étoffé. Quelques hommes se dirigent vers le Steïr, la nuit ne tardera pas à tomber.

Le prénom de Célia retentit le long de la rivière et dans le sous-bois déjà sombre lorsqu’une voix s’élève, plus angoissée. Une peluche rose et violette vient d’être retrouvée sur le sentier qui longe le ruisseau. Alicia et Juliette arrivent rapidement, suivies de près par Hélène et Nicolas, qui redoutent la découverte suivante. La bande se sépare, Juliette prend la maman par la main et remonte le sentier en amont.

« Ce n’est pas logique, même un enfant de cinq ans suivrait par instinct le sens du courant, il ne faut pas qu’elle la voie, elle ne doit pas la trouver. » Juliette pousse Hélène devant elle, l’oblige à fuir ce que les hommes vont découvrir, elle veut retarder le moment où… Elle pense à ses petites sœurs. Elle ne supporterait pas qu’il leur arrive un accident. Et là, si Célia a disparu, c’est en partie sa faute.

Alicia emboîte le pas à ceux qui se dirigent en aval. Elle se retourne. Nicolas reste seul, Lily entre les mains, fidèle à son habitude, incapable de trancher, aller à gauche, filer à droite, monter, descendre, avancer, reculer. Elle revient vers lui, arrache la peluche de ses mains et court après le groupe.

Les copains des deux ados n’ont pas hésité à sauter dans la rivière. Ils pataugent jusqu’aux mollets. D’autres marchent sur la berge dans les herbes plus hautes et plus folles. Les orties piquent les mains nues qui les écartent, et les ronces griffent les pantalons. Peu importe, les jeunes ont compris l’enjeu de la situation. Les plaisanteries échangées en début d’exploration laissent place à un silence plus grave. Le premier de colonne s’arrête, il montre du doigt la rive opposée, un peu plus loin en avant. Les hommes en face ont compris, ils pressent le pas. L’un d’entre eux retient Alicia.

Les policiers appelés sur les lieux ont établi un périmètre de sécurité, malheureusement la scène est souillée par les participants aux recherches. Les OPJ sont arrivés rapidement, suivis par les techniciens en scène de crime qui ont pris les photos de l’environnement et tentent de relever des indices. Le corps de Célia est transféré à l’institut médico-légal à Brest.

*

Domicile d’Hélène Le Duc, même jour vers 23 heures

Alicia répète à Erwann Le Métayer ce qu’elle a fait avec son amie depuis le moment où sa mère est partie travailler. Elle fouille dans sa mémoire, sa voix résonne comme si elle ne lui appartenait pas. Elle s’arrête :

— Je peux voir Célia ? C’est ma petite sœur. Elle va avoir peur toute seule.

Le policier remue lentement la tête de gauche à droite, sans brusquerie. Il lui explique qu’il a besoin d’elle, de son témoignage, que lui aussi veut savoir comment l’accident est arrivé.

Alicia fourre son visage dans le nounours qu’elle a pris dans le salon avant de monter. Elle trouve l’odeur de Célia et s’y plonge. De grosses larmes coulent sur ses joues.

— C’est ma faute ! sanglote-t-elle.

— C’est ta faute ! hurle Hélène à Nicolas. Tu savais que je terminais mon travail plus tard aujourd’hui. Tu t’étais engagé à t’occuper de ta fille unique jusqu’à demain soir pour qu’elle te pardonne ton oubli du week-end.

La maman éclate en sanglots et tombe à genoux sur le plancher :

— Une fois de plus, tu n’es pas venu la chercher dimanche.

— Je travaille ! tente de se justifier le papa.

— Tu n’as pas ce monopole. Moi aussi. Si tu payais la pension alimentaire, je pourrais alléger mon emploi du temps.

Erwann met fin à la dispute. Il invite le père à le suivre dans la cuisine.

— Je suis restaurateur à Douarnenez ! déclare Nicolas, le visage défait. Je ne compte pas mes heures. Elle le sait. Je ne quitte pas mes fourneaux. Le samedi soir, je fais deux services, parfois trois, c’est ce qui s’est passé samedi dernier. Du coup, dimanche matin je n’ai pas entendu mon réveil. Si Hélène me laissait Célia dès l’après-midi, je passerais tout mon dimanche avec elle.

— Comment feriez-vous durant le service ? interroge le capitaine, intrigué.

— Je prendrais quelqu’un pour s’occuper de ma fille mais Hélène ne veut pas de cet arrangement, elle veut que je sois disponible le jour où je la prends. C’est pour cela que je ne vois pas beaucoup la petite.

— Et pourquoi ce soir ?

— Le mardi est mon jour de fermeture, je devais passer la soirée avec elle et la ramener demain dans l’après-midi. Nous aurions déjeuné ensemble, elle adore ma sole meunière et, au dessert, elle réclame une mousse au chocolat. Les enfants ont été mis en vacances forcées vendredi soir. Vous savez, le coronavirus. C’est bien beau, mais qui va s’occuper d’eux ? Vous y croyez, vous, aux parents qui vont faire cours à la maison ?

— Pourquoi ne pas l’avoir prise plutôt dimanche ? Vous en auriez profité davantage.

L’homme fait la moue. Erwann connaît cette expression : entre sa copine et une enfant dont il faut s’occuper, Nicolas a choisi.

— Où étiez-vous cet après-midi ?

— Chez mes fournisseurs. J’ai les factures, si vous voulez vérifier.

Oui, Erwann s’intéressera de près aux déplacements de Nicolas depuis qu’il a quitté Douarnenez.

Christophe a raccompagné Juliette et son père à leur domicile rue Saint-Conogan. Rémi a participé aux recherches. Il a sorti la petite fille de l’eau et l’a tenue dans ses bras avant qu’Alicia ne la lui arrache.

— Je connais Célia, bien sûr. Elle venait à la maison et jouait avec mes filles. Elle est un peu plus jeune que ma dernière, qui parfois suit Juliette chez les Le Duc. Les aînées font leurs devoirs ou papotent, les gamines jouent ensemble. Juju m’a assuré qu’elles ne les ont jamais laissées sortir seules du jardin pour qu’elles aillent sur l’aire de jeux. Les grandes les accompagnent.

— Nicolas était très en retard ! souligne Juliette. Lizzie le supportait difficilement et je crois que… Célia aussi. Elle était à la fois contente de voir son père et malheureuse de laisser sa maman et sa sœur derrière elle. Plus l’heure du départ approchait ou plus le retard s’accentuait, plus elle devenait chiante… enfin, désagréable. Alors on a pensé que si elle jouait dehors elle verrait son père arriver. Elle est allée raconter des histoires aux poissons chez le voisin, elle y va tous les jours. Monsieur Marin lui a montré comment passer sous le grillage pour qu’elle n’aille pas dans la rue. Il est sympa, il vit seul depuis le décès de sa femme. Lorsque je suis passée dans son jardin, j’ai vu que sa voiture n’était pas là. S’il avait été présent, rien ne serait arrivé. Célia lui aurait confié ses petits malheurs du jour. Il l’aimait bien ; ses petits-enfants ne sont plus en âge d’être gardés, il reporte son affection sur elle… Si je n’étais pas venue cet après-midi, Célia serait encore là. C’est ma faute !

Les OPJ s’apprêtent à remonter dans leur voiture lorsqu’un octogénaire vient à leur rencontre. Il salue ces inconnus d’un hochement de tête intrigué et se présente.

— Henri Marin. J’étais chez un copain. Le mardi, on joue aux boules quand le temps le permet. Ça fait un sacré bail qu’on n’a pas pu aller au boulodrome.

— Vous jouez en nocturne ? lance Christophe.

— Je suis retraité de la Maison. Inspecteur Marin. Du temps où les inspecteurs existaient encore. Vous avez un problème à cette heure-ci ?

Le retraité rejette sa casquette en arrière, se gratte le front, il invite les deux policiers à entrer et à le suivre dans le salon.

— La petite Célia ! s’exclame-t-il en s’effondrant dans le fauteuil. Où ? Où est-ce arrivé ? – Marin, blême, se dirige vers la cuisine et prépare un café – Je la connais un peu. Elle ressemble à ma petite-fille lorsqu’elle avait son âge. Une vraie pipelette ! Hélène, sa mère, a peur qu’elle ne me dérange. En réalité, elle me distrait, elle apporte un peu de joie dans cette maison trop grande pour moi depuis que ma femme est partie. Je suis veuf, cela fait plus de dix ans maintenant. Hélène occupe la maison de ses grands-parents depuis août dernier, elle et son compagnon se sont séparés. Célia a eu du mal à se faire à ce nouveau quartier, elle me parlait de sa vraie école, qui pour elle est à Tréboul, et de ses copines de là-bas. Ici, elle en avait aussi mais ce n’était pas pareil. Elle regrettait l’autre maison, celle où la famille vivait rassemblée, sa chambre, son monde à elle, ses petites affaires. Elle avait pourtant bien compris que son papa et sa maman ne s’entendaient plus, qu’elle n’était pas seule dans cette situation et que désormais elle devrait s’y faire.

L’homme se tait. Erwann profite pour poser une autre question.

— Alicia est une grande sœur géniale ! répond Henri Marin. Elle porte beaucoup d’attention à Célia. À trois ans, elle a vécu la séparation de ses parents, les deux filles n’ont pas le même papa. Elle était très attentive aux réactions de sa cadette, l’emmenait lorsqu’elle sortait, jouait avec elle, faisait des promenades dans la plaine de jeux. Parfois la sœur de sa copine venait chez eux, les petites pestes s’amusaient bien ensemble. Pestes, mais gentilles. Célia venait voir mes carpes dans le bassin derrière la maison, tous les jours. Elle va me manquer !

Le retraité essuie une larme sur ses joues. Christophe en profite pour le relancer :

— Alicia aurait-elle pu oublier sa sœur quelque part ?

— Non. C’est une ado responsable. Elle s’en est occupée très tôt, lorsque la famille habitait à Douarnenez et que les parents travaillaient tous les deux dans leur restaurant. Lizzie l’appelle son « mini-moi ». Elles ne se ressemblent pas vraiment physiquement, sauf leur sourire ; cependant, elles possèdent un caractère identique.

— Aurait-elle pu suivre une personne connue ou étrangère ?

— Étrangère ? Sûrement pas. Elle obéissait aux consignes imposées par sa maman et son aînée. Elle ne quittait pas le jardin seule, ni pour aller dans la rue, ni dans le parc. Connue ? – L’homme hésite – Je ne pense pas, mais elle était tellement naturelle et spontanée…

— Elle venait bien chez vous ! souligne Christophe.

— Plus jeune, Hélène rendait visite à ses grands-parents, c’est pour vous dire que je la connais depuis longtemps. Alicia a connu son arrière-grand-mère. Célia n’a pas eu cette chance. Les filles viennent voir mes poissons depuis qu’elles sont bébés. Je fais partie de leur paysage. Elles n’ont pas besoin d’une autorisation spéciale pour accéder au jardin. Elles se faufilent entre le grillage et le mur du fond… Célia aurait pu suivre une personne, une seule ! hésite Henri Marin, sur le pas de la porte, alors qu’il raccompagne les OPJ. Son ami !

— Son ami ? reprend Erwann. Elle avait un ami ?

Le retraité les regarde en hochant la tête comme s’il ne croyait pas à ce qu’il va dire :

— Elle lui racontait ses histoires, ses maux de petite fille, ses bobos de la vie, sa journée en classe, sa déception lorsque son papa ne venait pas la chercher. Elle l’aurait suivi, lui !

— Comment s’appelle-t-il ?

— Basile ! C’est son ami imaginaire. Quand il prenait la parole, Célia changeait de voix, elle adoptait d’autres gestes, variait ses expressions. Ils dialoguaient véritablement. C’était un vrai spectacle.

Henri Marin se mord les lèvres, une larme perle au coin de ses yeux, il poursuit :

— Basile pouvait être mauvais conseiller. Si le retard de son papa l’a contrariée et si Basile lui a demandé d’aller se cacher, Célia a pu l’écouter.

— Qu’est-ce que les gens ne comprennent pas dans le mot « confinement » ? s’exclame Christophe dans le véhicule qui les ramène au commissariat. Ils doivent rester chez eux. Ne pas en bouger. Ils sont cachetés ou quoi. Si la gamine était restée chez elle, elle serait encore en vie à cette heure-ci. Tu as vu combien ils étaient dans la rue et le long de la rivière à chercher ?

— La sœur aînée et sa copine ont alerté les voisins et les copains pour rechercher la gosse ! réplique Erwann. C’est ce qui a permis de la retrouver rapidement.

— N’empêche. Tu as vu tous ces jeunes qui déambulaient au centre-ville dans l’après-midi, et pas seulement les lycéens. Avec les premiers jours de soleil après ces mois de pluie, pas étonnant que les gens se soient précipités dehors et qu’ils prennent cette interruption pour des vacances.

— Ce qui est étonnant, c’est que personne n’ait aperçu Célia. Elle devait passer devant les jeux dans la prairie et aucun habitué, pas même la grand-mère aux mots croisés, ne l’a vue. Elle l’aurait reconnue, elle se rappelle comment elle était habillée les jours précédents.

— Si elle a suivi quelqu’un, autre que son ami Basile, cette personne a pu lui demander de se cacher et elle l’a pris comme un jeu.

II

Quimper, mercredi 18 mars, confinement jour 2, début de matinée

Les OPJ pénètrent avant 8 heures dans la centrale d’achats réservée aux professionnels de la restauration et de l’hôtellerie, zone de Ty Douar. Le responsable les reçoit en protestant pour la forme ; les acheteurs qui d’ordinaire arpentent déjà les allées du bâtiment, à la recherche des denrées nécessaires au bon fonctionnement de leur commerce, sont absents.