Fontaines mortelles à Quimper - Elisabeth Mignon - E-Book

Fontaines mortelles à Quimper E-Book

Elisabeth Mignon

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Beschreibung

Les OPJ Erwann Le Métayer et Christophe Guillou enquêtent sur une série de noyades dans les fontaines de Quimper.

Le corps découvert à Kérogan présente des similitudes avec celui retrouvé plusieurs mois plus tôt à Kerdévot, à Ergué-Gabéric. Simple coïncidence ou un lien unit-il les victimes ?
L’assassin frappe encore. Il défie les policiers au petit matin ou à la nuit tombante.

Combien de cadavres vont jalonner cette enquête ? Erwann et Christophe doivent faire preuve de patience et de lucidité pour suivre la piste qui les mène jusqu’à cet immeuble où les habitants dissimulent leurs secrets sous d’honorables apparences. L’assassin se cache-t-il vraiment parmi eux ?
Que sait exactement Lisa Priol qui connaît les victimes et les suspects ?

Plongez-vous dans les croyances bretonnes et leurs mystères... Ce polar noir est le premier tome des enquêtes surprenantes des OPJ Le Métayer et Guillou !

EXTRAIT

Samedi 26 mars, deux ans et demi plus tôt

— Pétula, Pétula Tonnerre… de Brest !
Erwann observe son interlocutrice d’un oeil incrédule. La femme qui lui fait face devine la question qui tarde à venir.
— Pétula Tonnerre, c’est mon nom. Je suis née à Brest. D’habitude, cela fait sourire les gens, aujourd’hui, je crois que les circonstances ne s’y prêtent pas vraiment…
Assise sur un banc, Pétula jette un regard autour d’elle. Le brigadier Le Neir lui pose une couverture sur les épaules. Elle frissonne malgré le soleil, elle regarde le corps allongé sur le sol, quelques mètres plus loin.
« Un saint-bernard… un terre-neuve… non, un bobtail. C’est ça, un bobtail. Un bon gros toutou tout mouillé. Bien enveloppé le toutou et pas que dans sa couverture. Hors norme, le personnage ! »

A PROPOS DE L’AUTEUR

Elisabeth Mignon est née à Quimper en 1958, ville où elle réside depuis toujours. Elle a exercé pendant de nombreuses années en tant que gestionnaire administrative dans un établissement scolaire. Passionnée d’histoire locale et de romans policiers, encouragée par ses amies « pousse-au-crime », elle se lance dans l’écriture de polars avec cette première enquête.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

- À Erwann qui se reconnaîtra dans l’un des personnages,

- À Françoise et Pascale, pour leur lecture attentive

- À Martine et Nadine, pour leurs encouragements,

- À Christophe pour ses apports techniques et ses conseils,

- À Stéphane Jaffrézic, auteur des Éditions Alain Bargain.

PROLOGUE

Samedi 26 mars, deux ans et demi plus tôt

— Pétula, Pétula Tonnerre... de Brest !

Erwann observe son interlocutrice d’un œil incrédule. La femme qui lui fait face devine la question qui tarde à venir.

— Pétula Tonnerre, c’est mon nom. Je suis née à Brest. D’habitude, cela fait sourire les gens, aujourd’hui, je crois que les circonstances ne s’y prêtent pas vraiment...

Assise sur un banc, Pétula jette un regard autour d’elle. Le brigadier Le Neir lui pose une couverture sur les épaules. Elle frissonne malgré le soleil, elle regarde le corps allongé sur le sol, quelques mètres plus loin.

« Un saint-bernard... un terre-neuve... non, un bobtail. C’est ça, un bobtail. Un bon gros toutou tout mouillé. Bien enveloppé le toutou et pas que dans sa couverture. Hors norme, le personnage ! »

Quelques instants plus tôt, Erwann Le Métayer et Nadia Renier venaient de laisser leur véhicule à l’entrée du chemin. L’officier de police judiciaire et sa collègue étaient de permanence ce week-end. Le maire de la commune les avait accueillis :

— La dame là-bas, avec les trois enfants, nous a prévenus et la personne toute trempée a découvert le corps. Vous parlez d’une histoire ! Comment est-ce que je vais annoncer cela à son mari et à ses fils ?

— Tu t’occupes de la petite famille. Je prends le bobtail dégoulinant, tu pourras t’asseoir sur le banc plus loin, tu te fatigueras moins, murmure Erwann à l’oreille de sa collègue enceinte, qui commence à avoir un peu de mal à le suivre sur le terrain.

— Alors madame Tonnerre, vous pouvez me raconter ce qui s’est passé ? interroge Erwann en dévisageant la femme blottie sous la couverture.

Les cheveux auburn frisés tombent à plat sur un visage lunaire. Le maquillage bave de partout, conséquence du passage dans la fontaine. Les lunettes de travers n’arrangent pas le visage défait.

— Comme il fait beau aujourd’hui, j’ai décidé de marcher pour profiter des premiers rayons de ce soleil printanier et de faire la grande boucle du circuit de Kerdévot. Ma voiture est garée là-bas, sur le parking près de la chapelle, je voulais prendre des photos.

« C’est bien, je suis parti pour avoir l’intégrale de la promenade avec le détail des neuf kilomètres, les petits oiseaux qui piaillent dans les arbres où les bourgeons éclatent. Allons-y, kilomètre un ! » Erwann, mi-amusé mi-impatient, lui adresse un sourire encourageant.

— Je ne vais pas vous raconter toute ma randonnée. Ici, c’est la fin de la balade. Quand je suis arrivée là, derrière le talus... je n’ai rien vu. Lorsque je suis passée sur le côté, j’ai d’abord remarqué un bouquet de primevères bien rond, par terre, puis un second, ensuite le panier d’osier où étaient déposés d’autres bouquets...

Erwann et son interlocutrice regardent la prairie devant eux, les bottes de fleurs jaunes entourées d’une collerette de feuilles vert tendre, liées par un brin d’herbe.

— Je l’ai aperçue en approchant près de la fontaine... La personne était étendue dans l’eau, sur le ventre. Je n’ai pas hésité. J’ai sauté, comme cela, tout à trac. Je ne pensais pas que j’aurais eu tant de mal à la sortir du bassin, il est assez profond et il y a beaucoup d’eau. J’essayais de la réanimer quand les gamins ont déboulé. J’ai vu que je ne pouvais plus rien faire. La jeune femme les a éloignés. Elle a appelé les secours et nous vous avons attendus. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que j’avais perdu mes lunettes. Je suis descendue dans le bassin pour les retrouver. Dans mon affolement, j’ai dû les piétiner lors de mon premier passage... Je n’aurais peut-être pas dû y retourner ?

Comme l’eau qui s’écoule des deux vasques carrées qui servaient aux ablutions, un flot ininterrompu sort de la bouche de Pétula Tonnerre. Elle se tourne vers Erwann, réajuste des lunettes tordues qui refusent de rester à leur place.

— Quand je suis stressée, je parle beaucoup. Cela ne vous dérange pas ? J’aime notre patrimoine, nos vieilles fontaines, leur histoire. Vous voyez, celle-ci est abritée par un édifice gothique qui supporte une Vierge à l’enfant... Vous avez sans doute d’autres questions à me poser...

Nadia Renier revient près de son collègue, lui glisse quelques mots à l’oreille. Erwann la laisse avec son interlocutrice et se dirige vers la fontaine.

— Vous attendez un heureux événement ? Vous savez, selon la tradition, lorsqu’une jeune maman ne pouvait allaiter son enfant, elle se rendait à la fontaine, la vidait, la nettoyait. En reconnaissance de ces soins, Notre-Dame de Kerdévot lui accordait assez de lait pour nourrir deux bébés ! relate Pétula Tonnerre à Nadia.

I

Samedi 7 septembre matin, deux ans et demi plus tard

« Plus facile que l’autre fois. Plus rapide aussi. Heureusement, il reste encore un peu de temps avant l’arrivée des promeneurs. Ce n’est pas une raison pour m’éterniser ! »

La silhouette traverse la route et gagne le couvert du bois. Le jour ne va pas tarder à se lever. C’est l’heure, entre chien et loup, où la roselière prend un aspect irréel dans les nuages laiteux qui affleurent au-dessus de la rivière. Sur la rive opposée, des lumières cotonneuses éclairent le port du Corniguel. Un sablier vomit son chargement dans un bruit étouffé par la brume.

« M’écarter, ne pas rester sur le sentier. Ne pas risquer une rencontre. Manches trempées, genoux boueux, chaussures... »

Seul le souffle saccadé de la silhouette trahit sa fébrilité. L’ombre s’arrête, sort un pantalon de sport, un sweat de couleur claire et des chaussures sèches de son sac à dos. Les vêtements sombres et mouillés y disparaissent.

« Une fois passé l’Hôtel d’entreprise, je traverserai le boulevard et rejoindrai Créac’h Gwenn. Là, je me mêlerai aux premiers sportifs, aux habitués. Avec un peu de chance, la brume ne sera pas complètement levée... Jusqu’ici, tout se passe bien. »

Un dernier coup d’œil en arrière. Tout est silence.

*

En ce début de week-end, Erwann Le Métayer, proche de la quarantaine, élancé, les cheveux courts, noirs, à peine grisonnants sur les tempes, se penche sur la main courante, du haut de son mètre quatre-vingt-dix. D’un geste machinal, il passe l’index sur la cicatrice qui creuse sa pommette gauche, souvenir de son enfance tumultueuse. La nuit a été calme ; il pense profiter de cette permanence pour mettre de l’ordre dans ses dossiers.

Christophe Guillou, son collègue, le rejoint.

— Eh oui, c’est moi, celui que tu n’attendais pas ! Nadia m’a appelé aux aurores. Les petits ont passé une très mauvaise nuit, elle téléphone au pédiatre dès l’ouverture du cabinet.

— Les deux en même temps, comme d’habitude ? Ils ne sont pas jumeaux pour rien. Deux fois plus de sourires, deux fois plus de bisous...

Plus petit qu’Erwann, carré, les cheveux châtain clair, coupés en brosse très courte, Christophe a gardé un faux air d’éternel adolescent malgré ses quarante ans. Il lui coupe la parole :

— Deux fois plus de couches, deux fois plus de bêtises, deux fois plus souvent chez le médecin !

Le téléphone interrompt la liste égrenée.

— Erwann, Christophe, une noyée pour vous, à Kérogan.

Le brigadier, en poste au standard, indique les informations nécessaires et les deux hommes se jettent dans la Peugeot de service. La traversée de la ville se fait rapidement à cette heure où seuls les lève-tôt se rendent au marché, aux halles ou dans les grandes surfaces, avant la cohue du milieu de la matinée ou de l’après-midi.

Erwann et Christophe passent devant la piscine Aquarive. Plus loin, après le centre aéré, ils aperçoivent le fourgon de Police Secours sur le bord du chemin. Un collègue en tenue leur fait signe de les rejoindre.

Ils découvrent le corps d’une femme étendu sur le sol, en contrebas.

— On aurait pu s’attendre à ce que ce soit un homme ici... Une femme, je ne pensais pas à cela. C’est vrai que les faunes qui courent les fougères s’enfoncent plus à couvert, de l’autre côté ! lance le brigadier Le Neir.

Mâchoires serrées, Erwann lui lance un regard noir.

— Qui a bougé le corps ?

— Moi. Je suis médecin.

Christophe Guillou se dirige vers le cycliste. Cuissard noir, veste vert fluo, il a retiré son casque, appuyé son VTT contre le tronc d’un sapin. Les deux hommes se serrent la main.

— C’est vous qui avez appelé ? Comment avez-vous découvert le corps ?

— Didier Martin, médecin urgentiste à l’hôpital. Je suis sorti très tôt pour faire un tour à vélo. J’habite plus haut dans le lotissement. Je roulais sur la passerelle au-dessus de la roselière ; dans la journée, les promeneurs sont trop nombreux, je ne m’y risque pas. Dès l’entrée du sentier, j’ai aperçu le corps. Je l’ai sorti de l’eau. J’ai tenté tout de suite de lui prodiguer les premiers soins. Il était trop tard... J’ai appelé Police Secours.

Accroupi près du corps, Erwann Le Métayer scrute la scène. Un regard circulaire. Le sentier qui descend et serpente jusqu’à la passerelle de bois, le sol meuble qui amortit les pas et, plus bas, les traces de pneus du vélo près du ruisseau, la terre humide autour de la fontaine, le chemin à peine plus large qui remonte sur la route et continue de l’autre côté, dans le bois. La fontaine...

Erwann se redresse, contemple l’édifice, le toit en bâtière, le lichen argenté et la mousse ocre qui s’accrochent aux vieilles pierres sculptées et usées, les fleurs fraîches dans un vase sur le bord de la petite niche, des mots déposés pour un parent ou un ami disparu.

Sur le fronton, gravé dans le marbre blanc : « Sainte Anne – Sauvez-nous. »

Il observe la femme allongée sur le sol. Christophe enfile des gants et ouvre précautionneusement le sac à dos, qui gît à ses côtés.

— Le vol ne semble pas le mobile du crime. Les vêtements n’ont pas été fouillés. Ses clés sont là. Pas de papiers. Un nom à l’intérieur sur le rabat : Georges Dumont.

— Comment se présentait la victime ?

— La tête, les épaules et le buste basculés à l’intérieur de la niche, dans l’eau. Les bras à l’extérieur, le ventre contre la pierre, le bas du corps et les genoux dans l’eau du bassin et les jambes sur les pierres. J’ai retiré le sac pour pouvoir étendre la victime. Je crois qu’elle habite un peu plus loin que chez moi, chemin de Kernoter... Je ne connais pas son nom. J’aurais pu éviter cela ou tomber sur son meurtrier... ou des enfants auraient pu la découvrir cet après-midi...

Erwann examine le sol. Les roues du VTT se sont imprimées dans la glaise, plus bas. Près du corps, les aiguilles de pin recouvrent le tapis végétal et empêchent les empreintes de s’y marquer. Les pierres humides qui dallent le pourtour de la fontaine et mènent à la roselière, ne révèlent aucune trace exploitable. En sortant le corps de l’eau, le docteur Martin a piétiné le sol.

Christophe lui demande d’examiner le corps.

— La mort remonte à environ deux heures. Le légiste vous précisera l’heure exacte lors de l’autopsie... La victime a été assommée, on aperçoit nettement la marque sur le front. Elle correspond à la bordure de pierre, ici.

Erwann se penche sur la margelle où le bas du corps était appuyé lorsque le médecin l’a découvert.

— Le coup porté n’a pas été assez violent pour entraîner la mort. Elle a d’abord été frappée, déplacée. Le meurtrier lui a plongé la tête dans l’eau, puis l’a maintenue dans cette position... Attendez... Elle a reçu aussi un coup à l’arrière du crâne... L’urgentiste se redresse. Quand pensez-vous que l’autopsie sera pratiquée ?

— Début de semaine, pas avant. Je demanderai au docteur Stéphanie Ollier de s’en charger. J’irai à Brest, cette fois-ci. ajoute Erwann avant que son collègue ne se manifeste.

Le brigadier Le Neir fait signe à Erwann et Christophe : un appareil photo repose sur les aiguilles de pin, près du ruisseau, à la limite de la zone sécurisée.

— Il doit être à elle. Il n’est pas là depuis longtemps, il n’y a pas d’humidité dessus. Avec un peu de chance, elle a photographié son agresseur. Ce sera une affaire vite bouclée.

L’optimisme souriant de son collègue agace une nouvelle fois Erwann. L’enquête de terrain ne s’avère pas facile. Un champ sépare la fontaine du pavillon voisin. Les autres maisons sont éloignées et isolées sur le chemin en lisière du bois. À l’opposé, sur le chemin d’accès, les bureaux de la société toute proche sont vides en ce samedi matin. Si tôt, les promeneurs ne sont pas encore sortis et les rôdeurs en quête d’une bonne fortune arriveront, eux, plus tard dans le bois.

— Bon, la zone sécurisée est en place. La Police Technique et Scientifique arrive justement. Les hommes vont s’y mettre tout de suite.

Trois techniciens sortent de leur véhicule et saluent les policiers. Ils enfilent leur tenue et préparent leur matériel.

— Des traces de pas ? interroge l’un d’eux en regardant alternativement les OPJ.

— Près de la fontaine, le long du ruisseau. Des empreintes de chaussures, taille trente-neuf. Impossible d’en définir le modèle et la marque tant la semelle est lisse, usée.

— En effet... si nous ne trouvons pas mieux, ce sera inexploitable. Pas de trace de talon... Sans doute des chaussures de marche ou de sport...

Tandis que l’homme examine les empreintes, les deux autres techniciens s’approchent de la fontaine.

— Essayons de localiser le domicile de la victime. Avec les indications du docteur Martin et le nom à l’intérieur du sac, nous devrions y arriver sans trop de mal, je l’espère !

Christophe revient vers Erwann après avoir remercié le médecin, puis les OPJ récupèrent la voiture. À peine engagé dans le rond-point, Christophe Guillou, aperçoit un vététiste qui monte l’avenue de la Plage des Gueux.

— Le veinard ! J’avais prévu de pousser jusqu’à Bénodet en passant par le bois d’où nous venons, ce matin. Tu ne peux pas savoir comme j’apprécie mon tour de vélo, le week-end. Cela devait être une partie de plaisir, je sais ce que je rate ! lance le sportif au conducteur.

— Je ne m’habitue pas à annoncer à une famille ce genre de nouvelle ! réplique Erwann, de plus en plus tendu, après un moment de silence.

Après la montée abrupte de la rue Pitre Chevalier, ils s’engagent chemin de Kernoter. Une femme, en robe de chambre rose assortie à ses chaussons, retire le journal de sa boîte aux lettres. Ils en profitent pour s’arrêter près d’elle et la saluer.

— Madame Dumont ? C’est la voisine d’en face. Il lui est arrivé quelque chose ? Elle habite seule. Attendez, entrez...

Les OPJ suivent dans le jardin leur interlocutrice, devenue aussi blanche qu’un linge et pénètrent à l’intérieur de la maison. Une odeur de café et de tartines grillées arrive jusqu’à leurs narines.

— Vingt-cinq ans, cela fait vingt-cinq ans que ce fichu grille-pain brûle mes tartines, tous les matins. Tu sais quoi, à la prochaine Fête des Mères, demande à tes enfants de t’offrir un grille-pain, j’en ai assez de ton lance-flammes ! Toi, tu t’en fiches, tu manges des biscottes, des biscottes à la confiture de fraises. Et moi, mon pain-beurre, il a un goût de carbonisé !

Le râleur lève le nez de l’appareil en question et aperçoit, enfin, les deux hommes. Nouvelles salutations et présentations. Madame Le Gall glisse une chaise sous les fesses des nouveaux arrivants tandis que son mari leur propose un café.

— Madame Dumont a perdu son mari, Georges, cela fait un peu plus d’un an. Elle travaille dans l’enseignement, dans les bureaux, là-bas, à la cité administrative, à Kerfeunteun. Elle doit prendre sa retraite en juin prochain. Ensuite, Gisèle envisage de s’installer à Nantes, près de chez sa sœur qui a des problèmes de santé.

— Que faisait-elle, à l’aube, à Kérogan ? interroge Christophe.

— Des photos, sûrement. C’est son passe-temps. Elle vient d’acheter un nouvel appareil et attendait ce week-end pour le tester. Nous en avons parlé l’autre soir. Je nettoyais le talus, elle rentrait du travail. Elle aime capter les moments où le jour et la nuit se confondent, quand la lumière est si différente, si particulière. Les oiseaux, plus que les paysages, l’attirent. On réussit encore à voir des échassiers sur les rivages de l’Odet. Gisèle fait preuve d’une grande patience.

Tandis que son épouse répond aux questions des capitaines de police, monsieur Le Gall se dirige vers le buffet du salon et revient avec une enveloppe et un agenda.

— Voici un double de ses clés ainsi que le numéro de téléphone de son neveu. Il vaut mieux l’avertir, lui plutôt que sa mère. Gisèle nous avait remis ceci, après la disparition de son mari, au cas où il arriverait quelque chose, pour que l’on puisse la dépanner ou entrer en cas de besoin.

Les OPJ demandent à monsieur Le Gall de les accompagner jusqu’au domicile de sa voisine. Tous trois pénètrent dans la maison. Erwann et Christophe visitent le rez-de-chaussée, le voisin attend gauchement dans la véranda, en se pétrissant les mains. La chambre et le bureau retiennent les capitaines à peine plus longtemps que les pièces à vivre. Une fouille tout en discrétion et en délicatesse, Erwann n’a aucune envie de bousculer l’intérieur de ce petit bout de femme qui, en partant de bon matin, a fait une mauvaise rencontre.

— L’homme, sur les photos, vous le connaissez ?

— C’est Georges, son mari. Enfin, c’était. Un chic type, on s’entendait bien tous les deux. Les Dumont n’avaient pas d’enfants. Alors ils étaient libres, ils voyageaient beaucoup à l’étranger, Amérique du Sud et du Nord, Australie, Égypte, pourtour du Bassin méditerranéen. Ce n’est pas comme ma femme et moi, on ne part jamais à l’étranger. À chaque fois, nos gosses recevaient des cartes postales pour leur collection. Ils ont fait de beaux voyages. Quand Georges est mort, Gisèle a eu du mal à remonter la pente. Le couple était très uni. Heureusement qu’elle avait son boulot et quelques bons collègues sur qui elle a pu compter. Elle commençait à s’en remettre.

Rien en bas ; les officiers de police montent à l’étage. Ils découvrent une pièce transformée en labo photo. Beaucoup de clichés en noir et blanc recouvrent les murs. De nombreuses prises de vue montrent madame Dumont et son mari, un couple heureux et souriant. Sur un plateau, des tirages. Ils reconnaissent le paysage qu’ils viennent de quitter sur les bords de l’Odet. La pièce attenante ne leur apprend rien de plus. Ils referment la porte derrière eux et redescendent dans le salon.

Erwann raccompagne son guide jusqu’à l’entrée de son jardin. Il lui promet de contacter le neveu de madame Dumont dans la matinée, tandis que Christophe, au volant de la voiture, fait demi-tour plus loin dans le chemin.

— Nous connaissons bien Corentin, il a l’âge de mon fils Paul. Gisèle et Georges l’accueillaient pendant les vacances. Les garçons jouaient beaucoup ensemble. Ensuite, ils se sont retrouvés en fac à Nantes. Ils se fréquentent toujours... Je pense qu’il essayera de nous joindre. Que va-t-on lui dire ?

Erwann remonte en voiture, après avoir essayé de rassurer son interlocuteur et son épouse venue les rejoindre.

Les policiers prennent la direction du commissariat.

— L’assassin était-il au courant des habitudes de madame Dumont et l’attendait-il, ou est-ce le hasard qui a provoqué cette rencontre ? J’espère que Stéphanie va pratiquer l’autopsie dès cet après-midi à Brest. Les collègues mènent l’enquête de terrain. On en profite pour repasser au commissariat, je vais ressortir le dossier.

— Tu parles de quel dossier ? Ce n’est pas la première noyée ? Tu tires une tête depuis ce matin, tu ne m’as pas habitué à te voir comme cela.

— Cela fait deux ans et demi, au printemps, avant ton affectation à Quimper. Nadia était enceinte. Sophie Louarn, conseillère à Pôle emploi, était retrouvée noyée dans une fontaine, après avoir reçu un coup violent à la base du crâne. Cela s’est passé à Kerdévot, à Ergué-Gabéric. En plein après-midi, un samedi. Il faisait beau. Pas un seul témoin, malgré la dizaine de voitures sur le parking près de la chapelle. Pas une trace, pas un indice. Le mari de la victime a été mis hors de cause tout de suite, il était au basket avec ses fils. Un couple sans histoire. Maintenant, il élève seul ses deux enfants, il ne s’est toujours pas remis de la mort de sa femme. Quant à notre principal témoin, Pétula Tonnerre, de Brest, je l’ai soupçonnée, un moment... Un sacré personnage ! Je n’ai rien trouvé, de près ou de loin, qui la relie à la victime. On lui a rendu son penn-bazh, son gros bâton de marche, qui aurait pu servir de gourdin. Il n’y avait rien dessus, aucune trace, uniquement son ADN à elle. Voilà l’affaire résumée. Le coupable court toujours... Pétula Tonnerre, de Brest. Un nom comme cela, ça ne s’invente pas. Le personnage non plus !

Christophe ne laisse pas à Erwann le temps de plonger dans les souvenirs de cette enquête non élucidée.

— Une première noyée qui travaille à Pôle emploi, une seconde dans l’Éducation nationale. A priori, pas de lien entre les deux affaires. Les fontaines ne sont peut-être qu’une coïncidence...

— Je ne crois pas au hasard. Les deux victimes sont du même gabarit : deux petits bouts de femme, pas très grandes, minces, les cheveux roux... Non, les histoires sont liées... leur meurtrier est le même. Il recommence ! Et crois-moi, cette fois-ci, il ne va pas s’en tirer ! On va lui mettre la main dessus !

II

Samedi 7 septembre, après-midi

— Bon, ici, nous ne pouvons rien faire de plus pour aujourd’hui. Nous devons attendre lundi pour interroger les collègues de Gisèle Dumont et avoir les résultats de l’autopsie. Je te propose de retourner faire un tour à Kérogan. À cette heure-ci, les gens se baladent, peut-être que notre meurtrier sera là aussi...

Les OPJ quittent le commissariat et regagnent la scène de crime. À l’entrée du bois, Erwann ralentit et s’arrête près d’un collègue en uniforme, derrière le fourgon.

— Comme d’habitude, les premiers promeneurs sont arrivés vers dix heures. Depuis, ça n’arrête pas. Il y a ceux qui font demi-tour en nous voyant, ceux qui sortent leur portable pour prévenir leurs copains. Nous avons relevé quelques identités et interrogé les habitués des fourrés que nous connaissons déjà. Ils n’ont rien remarqué hier. C’est vrai qu’ils disparaissent dans la partie haute du bois... et puis on sait que les femmes ne les intéressent pas vraiment.

— Vous continuez à prendre des photos des badauds.

— Sans problème. Depuis le début de l’après-midi, c’est plus familial, les parents arrivent avec leurs gamins, les vélos, les trottinettes. Les sportifs sont au rendez-vous, eux aussi. Nous avons bloqué la passerelle pour permettre à la Scientifique de travailler dans la roselière du côté de la fontaine, comme tu l’avais demandé.

— Ils ont terminé ?

— Je ne pense pas, je ne les ai pas revus.

Christophe observe les curieux qui attendent sans doute des précisions face à ce déploiement policier.

« Drôle d’idée de mettre des chaussures vernies pour venir se promener par ici. Toi, mon bonhomme, tu dois avoir une idée derrière la tête ! »

Les officiers de police décident de passer sur le ponton, au-dessus de la tourbière, pour rejoindre la fontaine. En face, le port du Corniguel ne montre aucune activité, la marée n’a pas encore fini de monter, de larges bandes de vase sont découvertes. Les aboiements des pensionnaires du refuge de la SPA traversent la rivière et leur parviennent en continu. Le brigadier Le Neir est toujours sur place avec plusieurs hommes. Ils retirent leur pantalon et leurs bottes crottées.

— Rien, pas l’ombre d’un indice ni de traces de pas susceptibles de nous éclairer. Nous sommes toujours embourbés. Nous avons fouillé les herbes jusqu’à l’eau et, de l’autre côté, jusqu’à l’entrée du ponton. Le sous-bois, de ce côté-ci, ne donne rien. Ce matin, une équipe a parcouru le bois jusqu’au chemin de Kernoter, là-haut. À part quelques cyclistes en collant moulant, ils n’ont vu personne.

« Toujours avec ses sous-entendus, celui-là ! peste Erwann, en tournant les talons. Je ne le supporte pas ! »

— Je ne connais pas cette fontaine. On parle toujours du bois, je ne savais même pas qu’elle existait ! commente son collègue.

— Une amie a eu l’occasion de m’en parler, c’est comme cela que je l’ai découverte. Quand on passe sur la route, tout juste si on la voit. Elle se fond parfaitement dans le paysage et n’est pas mise en valeur. D’après Le Neir, les Quimpérois viennent facilement jusque-là : la fontaine, la plage des Gueux...

— Sainte Anne n’a secouru personne, cette fois-ci ! constate Christophe.

Il lit l’inscription sur l’édifice et passe la tête à l’intérieur de la niche, en faisant attention.

— Il faut quand même le faire, la niche est plus longue que large, l’espace entre les pierres d’encadrement est étroit... Gisèle Dumont était un petit gabarit, en toute logique, l’assassin a appuyé sur le haut du corps, sur la tête de la victime, et a tenu très fort la nuque dans l’eau, comme l’a montré le toubib... On voit des éraflures sur le matériau.

— La PTS a relevé des fibres de tissu noir à cet endroit, sur le côté gauche extérieur. À l’intérieur, ces fibres apparaissent à droite, un peu plus bas, souligne Erwann.

— À l’intérieur. Notre agresseur doit être aussi de petite taille ou alors c’est un contorsionniste !

— En immobilisant la victime, l’agresseur s’est mouillé les pieds, les genoux, les mains et les avant-bras. Il n’a pas pu rester sec.

— Tu oublies qu’il a d’abord assommé Gisèle Dumont. Il a agi tranquillement ensuite. De la façon dont il l’a maintenue et vu l’étroitesse de la niche, oui, il s’est mouillé.

— En tout cas, cette fois-ci, nous pouvons d’ores et déjà éliminer Pétula Tonnerre de la liste des suspects.

Christophe interroge du regard son collègue.

— Pétula Tonnerre, la suspecte de Kerdévot. Elle ne passe pas par l’ouverture ! s’explique Erwann.

*

Dimanche 8 septembre

Dans la matinée, les OPJ accueillent le neveu de madame Dumont, arrivé la veille dans la soirée chez les Le Gall, les voisins de sa tante, qui l’ont hébergé pour la nuit.

Le fils de ces derniers l’accompagne.

Très touché par la disparition de sa tante, Corentin répond aux questions des enquêteurs :

— Gisèle est accro à la photo. Partout où elle va, elle emmène son appareil. Les fleurs, les oiseaux... les mésanges, maman les adore, elle lui en a fait tout un album.

— Votre tante avait-elle des ennemis ? Avait-elle remarqué quelque chose qui pourrait nous aider dans nos recherches ? interroge Erwann.

— Pas à ma connaissance. Depuis la disparition de mon oncle, elle prenait du recul par rapport à son travail. Je crois qu’elle occupe... occupait un poste pas très facile, elle ne voulait pas embêter maman avec cela quand elle venait à Nantes. Elle attendait sa retraite pour se rapprocher. Maman a de gros problèmes de santé.

Corentin n’apporte aucun élément nouveau aux interrogations des policiers. La pause déjeuner, bien que tardive, permet aux deux hommes de relâcher la tension d’une fin de matinée lourde en émotions.

Après un passage à la machine à café, Christophe entre dans le bureau avec deux gobelets.

— Les collègues de la Scientifique nous ont transmis les photos prises par l’appareil de notre noyée. Tu viens regarder ?

Sans attendre la réponse, Erwann étale les épreuves sur son plan de travail.

— Le Corniguel, perdu dans la brume... Joli effet des nappes au-dessus de la rivière. Le halo des lumières sur le port, le sablier...

— L’entrée de la roselière. Voilà qui devient intéressant. La famille “canard”... Les planches, les herbes... On continue. Intersection, elle passe par la droite, le chemin le plus long et le plus proche de la rivière. Elle prend son temps, elle fait plusieurs prises. Elle n’a toujours pas croisé la route de son agresseur. Tiens, une aigrette... Gros plan sur le volatile. C’est dégagé...

— Dégagé ? Regarde les herbes, ce sont de gros buissons, on s’y tient accroupi ou allongé facilement. Tu as bien vu sur place, hier...

— Ce n’est pas la meilleure position. Tu dois te relever, grimper sur le ponton. Trop long. Trop humide aussi, à moins d’être sur une touffe de joncs, et encore. Si tu restes au même endroit un moment, tu t’enfonces dans la vase, c’est marécageux.

— Pourtant, les zones aplaties sont nombreuses, les types qui traînent là ne doivent pas craindre pour leurs rhumatismes... Je préférerais encore le sous-bois !

— Là, ça devient intéressant, elle tourne le dos à la rivière : les arbres ! La brume s’accroche entre le bord de la roselière et l’orée du bois. L’effet esthétique est réussi. Je ne distingue rien, pas même une ombre.

— Rien, sur aucune épreuve. Pas âme qui vive. Nous arrivons aux derniers clichés, l’approche de la fontaine, le début du sentier. Un gros plan sur les pierres au sol... Le sol grossièrement pavé, à nouveau. On arrive à la fontaine. Et là, la dernière photo, floue.

— Elle lâche son appareil, il tombe à terre. Elle vient de se faire assommer. Elle n’a pas vu son agresseur.

— Il arrive derrière elle. Donc, il se tenait sur la gauche de la fontaine. Madame Dumont n’est pas allée jusque-là : les photos sont prises dans le bas du sentier. Regarde celle-ci, elle s’est retournée pour ce cliché.

— Impossible. Si l’assaillant était resté là un moment, le sol aurait été foulé, or, il n’y a aucune empreinte.

— Autre hypothèse : il arrive par le chemin de Kérogan. Il est en hauteur. Elle le voit, le reconnaît, ne se méfie pas, le laisse approcher.

III

Lundi 9 septembre

— Vous avez lu les journaux ?

Le commissaire entre dans le bureau des OPJ et tend à Erwann Le Télégramme et Ouest-France.

— Pour l’instant, nous avons notre marge de manœuvre, aucun des journaux n’a fait de rapprochement avec la noyée de Kerdévot. Où en êtes-vous ?

— Pas plus avancés qu’hier soir. Nous avons retrouvé des fibres de coton noir sur la pierre. C’est tout. Aucune empreinte de pas exploitable. Le tapis d’aiguilles de pin amortit les traces. Il nous manque encore quelques résultats de la Scientifique. Je les appellerai en fin de matinée, au risque de me faire envoyer promener... lui répond Christophe.

— Nous filerons vers neuf heures à la cité administrative, là où travaillait Gisèle Dumont. Nous interrogerons ses collègues. Je ne pense pas qu’ils soient au courant, les journaux n’ont pas révélé l’identité de la victime, ajoute Erwann.

Un coup discret sur la porte. Elle s’ouvre sans attendre de réponse. Le visage de Nadia Renier s’y encadre.

— Besoin d’aide, les garçons ? J’ai lu le journal avant de venir et j’ai l’impression d’une piqûre de rappel !

Nadia serre la main du commissaire, embrasse ses collègues et s’assied sur une chaise.

— Alors, même schéma ? Nous avons une deuxième noyée des fontaines ?

— Qu’as-tu fait de tes loupiots ? lui lance le commissaire. Je les croyais malades.

— Chez leur grand-mère. Le traitement fait son effet. Le week-end a été difficile, Yann les récupère tout à l’heure, quand il aura dormi un peu.

— Je te laisse avec Erwann et Christophe.

Le premier relate à Nadia les événements du week-end, tandis que le second va leur chercher des cafés.

— Je suppose que tu as ressorti le dossier Louarn ? Je voudrais me remettre en tête quelques points précis. Nous nous sommes tellement embourbés là-dedans... Excuse-moi, Erwann, je n’aurais pas dû employer ce mot !

Christophe dépose les gobelets et regarde ses collègues sans comprendre l’allusion. Il s’apprête à leur demander une explication, lorsque la sonnerie du téléphone retentit.

— C’est bon, tu peux lui dire de monter, nous l’attendons, répond Erwann en poussant un gros soupir. Monsieur Louarn a lu le journal, lui aussi. Il arrive. Nadia, tu pourras passer un coup de fil au docteur Ollier ? Si tu pouvais aller à Brest assister à l’autopsie...

La jeune femme regarde Christophe puis Erwann.

— Sans problème. Désolée, Christophe, tu rates une occasion de revoir Stéphanie. Je peux rencontrer monsieur Louarn avec vous, si vous êtes d’accord... Nous avons beaucoup échangé tous les deux, lors de la disparition de son épouse. De toute façon, si je pars maintenant, je ne peux que le croiser dans le couloir.

*

La matinée est avancée lorsque les OPJ rejoignent la cité administrative de Ty Nay.

Les deux hommes se présentent à l’accueil de l’immeuble situé Boulevard du Finistère ; la réceptionniste les oriente vers le service de madame Dumont. Sa collègue les reçoit. L’inquiétude se lit sur son visage.

— Gisèle ! Il lui est arrivé quelque chose ? Elle n’est pas là, or elle arrive toujours la première. Ce n’est pas dans ses habitudes d’être en retard. J’essaie de la joindre depuis ce matin.

Tandis que Christophe résume la situation, Erwann observe son interlocutrice et attend pour prendre des notes.

Effondrée, elle se ressaisit difficilement.

— Gisèle n’est pas qu’une collègue, c’est une amie. Il est vrai que notre service n’est pas un des plus calmes au sein de l’Éducation nationale. Nous avons en charge le dossier des AVS et des EVS. Excusez-moi, notre jargon administratif ne vous est sans doute pas compréhensible : assistant vie scolaire et emploi vie scolaire.

— Les AVS, on en entend beaucoup parler au sujet des élèves handicapés, si je ne me trompe pas ? interrompt Christophe.

— Effectivement, les AVS interviennent auprès des enfants en situation de handicap dans les établissements scolaires. Ces employés permettent à des milliers d’élèves de suivre une scolarité en milieu classique, ils les accompagnent dans leur accès à l’autonomie. Quant aux EVS, ils ont été mis en place, dans un premier temps, pour venir en aide administrative à la direction des écoles. Depuis la rentrée, ils ont quasiment disparu. Le ministère demandait en effet de porter l’effort sur l’accompagnement des élèves handicapés.

— Croyez-vous que la disparition de votre collègue puisse avoir un lien avec les dossiers qu’elle gérait ? interroge Erwann.

— Je ne sais pas... Des AVS et des EVS déçus, contrariés par la nature de leur contrat... Ce sont des contrats aidés... des contrats d’avenir... sans avenir. Des personnes qui se sont investies pendant la durée de leur mission, qui y ont cru, qui se sont données à l’une ou l’autre de leur fonction et se retrouvent au bout de douze, vingt-quatre ou trente-six mois, à nouveau à la case Pôle emploi, nous en voyons tous les jours, nous les recevons lorsqu’elles se présentent. De là à souhaiter la mort de quelqu’un... je ne crois pas. Et pourquoi Gisèle ?

La responsable s’effondre. Par la porte de communication ouverte, elle regarde le bureau vide de son amie.

— Nous souhaiterions interroger les membres du service. Pouvez-vous mettre un local à notre disposition, le temps nécessaire ? s’enquiert Erwann.

Les OPJ rencontrent les derniers collègues de Gisèle Dumont en début d’après-midi. Ils questionnent à chaque fois des collaborateurs atterrés, qui attendent sans même chercher à aller déjeuner au restaurant administratif voisin.

Plus tard, tout en avalant un sandwich à la cafétéria du centre commercial de Gourvily, les deux hommes font le point sur la situation.

— Le groupe de travail semble soudé dans ce service. À première vue, tout le monde appréciait cette dame autant pour sa gentillesse que pour son efficacité. Sans encore écarter totalement la piste d’un collègue jaloux ou malveillant, je pense qu’il va falloir chercher ailleurs. Et je me demande si cet ailleurs ne s’appelle pas... Pétula Tonnerre ! Erwann appuie sur les derniers mots. Moi qui l’avais éliminée de la liste des suspects car elle ne passe pas entre les pierres d’encadrement de la fontaine de Kérogan...

— Ta Pétula Tonnerre, de Brest ? Que vient-elle faire dans cette histoire ?

— À l’époque de l’affaire de Kerdévot, elle était AVS dans un collège de Quimper. Je vais te la présenter, elle devrait te plaire...

— Ton épouse doit être sensibilisée par ce sujet. Que pense-t-elle des AVS ?

— Vaste débat. L’an dernier, une assistante intervenait auprès d’un de ses élèves. Cela se passait très bien. Une personne solide, carrée, très compétente, qui savait transmettre les savoirs au gamin. Cette année, la rentrée est passée depuis une semaine, Morgane accueille dans sa classe un autre enfant handicapé. Elle ne sait toujours pas quand l’AVS sera là, alors que cet enfant, scolarisé dans l’école l’an dernier, était déjà accompagné par une autre AVS. Ces deux jeunes femmes ne sont pas encore nommées. Une de ses collègues est dans la même situation. Et dans les autres établissements, le problème est identique. Tu greffes là-dessus un statut au rabais, une mission mal définie, un salaire de misère et une reconnaissance précaire... Pour une même mission d’AVS, quatre catégories de salariés se croisent et s’entrecroisent au sein des établissements scolaires sous des modalités de recrutement et de gestion administrative différant selon la nature de leur contrat : assistant d’éducation, employé vie scolaire, AVS dit associatif et assistant de scolarisation. Pour le ministre de l’Éducation nationale : « Tout va très bien, Madame la Marquise. » Pour les acteurs de terrain : « Qui sommes-nous ? » Morgane est désabusée.

Sur le trajet du retour au commissariat, Christophe l’entretient sur la noyée de Kerdévot :

— Vous aviez interrogé les collègues de Sophie Louarn à l’époque et cela n’avait rien donné non plus. La chef de service, amie de madame Dumont, nous a parlé de Pôle emploi dans le cadre de ces contrats. Nous trouverons peut-être un lien entre les dossiers suivis par l’une et l’autre... Qu’en penses-tu, à part que ce sera sans doute fastidieux ? On peut demander au boss de nous mettre un stagiaire sur le coup...

Erwann découvre une note sur son bureau, il la lit à haute voix à Christophe : « J’ai repris le dossier Louarn. Je file à Brest, Stéphanie m’attend pour commencer l’autopsie. Nadia. »

— Stéphanie nous passe en priorité ou alors elle n’a rien à faire !

— C’est peut-être toi qu’elle attendait ! observe Erwann qui se moque de son coéquipier. Non, sérieusement, je crois qu’elle a hâte de nous transmettre les premiers résultats. Kerdévot était sa première affaire, elle prenait ses fonctions à Quimper. Nous avons sympathisé, elle s’est bien intégrée à l’équipe. Ensuite, l’IML a été recentré sur Brest pour le département. Je crois qu’elle a autant envie que nous de réussir cette fois.

— Maintenant que nous sommes tous les deux, tu vas peut-être m’expliquer pourquoi les sous-entendus et les allusions t’irritent, dès que l’on évoque l’affaire de Kerdévot ?

Christophe affronte son collègue du regard. Erwann se déride et ébauche un sourire.

— Jean de La Fontaine, Le charretier embourbé. Cela ne te rappelle pas des souvenirs d’école ? Il se met debout près de son bureau, les bras derrière le dos et récite les premiers vers de la fable avant d’enchaîner : La Basse-Bretagne, Quimper, terre d’exil. Je te raconterai l’histoire avec un grand H, une autre fois. Tu imagines Le Neir, à l’époque des faits, déclamant ces vers à qui voulait l’entendre plusieurs fois par jour. Pétula Tonnerre, sous le coup de l’émotion, lui avait récité la fable, le jour du meurtre, et il s’était empressé de remettre à jour ses souvenirs d’école primaire. Le charretier s’était embourbé et notre affaire elle aussi ! Rémi Moineau lui a finalement cloué le bec, tellement il agaçait tout le monde au poste.

— Moineau qui lui cloue le bec, c’est une belle image !

— La morale de La Fontaine : « Aide-toi, le ciel t’aidera. » et la prière « Sainte Anne, secourez-nous » de Kérogan ne nous avancent pas plus ! soupire Erwann.

*

Nadia a rejoint le docteur Ollier à l’IML de Brest. L’autopsie vient de commencer. Le Printemps, de Vivaldi, en léger fond sonore, accompagne la légiste. Grande, les cheveux bruns, coupés au carré, à hauteur des épaules, sportive, Stéphanie Ollier s’épanouit dans son travail, comme dans sa vie privée et ses quarante ans. Elle fait part de ses premières observations au brigadier :

— La victime reçoit un premier coup à l’arrière du crâne avec un gros morceau de bois, sans doute ramassé sur place – j’ai trouvé de la résine et des aiguilles de pin dans ses cheveux. Ce coup n’est pas mortel. Ensuite, l’agresseur bouge le corps pour le rapprocher de la fontaine. Madame Dumont reprend conscience alors. Il la frappe contre la bordure de pierre de la fontaine, là où le corps repose. Un coup violent, comme l’atteste la marque laissée sur le front. Il lui maintient la tête dans l’eau, en lui bloquant les épaules. Notre victime, semi-consciente, inhale de l’eau. La mort est inéluctable.

— Rien d’autre à signaler ? questionne Nadia.

— J’ai relevé de la terre sous les ongles, les prélèvements diront si elle correspond à celle prélevée près de la fontaine... Aucune trace sur le corps, pas de blessure défensive. Notre victime ne s’est pas méfiée de son agresseur : elle le connaissait... Le choix d’une fontaine comme scène de crime me semble intéressant. La noyade est l’un des rares modes opératoires qui garantissent l’absence de sang. Symboliquement, notre tueur n’a pas envie de se salir les mains.

* * *

Mardi 10 septembre

— Pour démarrer la journée, voici quelques renseignements sur la fontaine de Kérogan, aussi appelée fontaine Kéribin ! Erwann retient l’attention de ses collègues qui s’installent dans le bureau. Je vais essayer de vous résumer son histoire plus rapidement qu’elle ne m’a été transmise. En décembre 1896, quatre jeunes gens quittent Locmaria dans une barque à voile pour chasser le canard sur la baie où les volatiles aiment se réfugier. À la tombée de la nuit, le bateau chavire. Le fils Kéribin, excellent nageur, aide ses camarades à se cramponner à la barque ; cependant, l’un d’eux disparaît, sans doute empêtré dans les cordages. Soudain, celui qui aide les autres coule. Un marin entend leurs appels et vient prêter main-forte aux deux jeunes rescapés qui essaient en vain de retrouver leurs copains. Les premières recherches demeurent vaines. René-Corentin Kéribin, marchand drapier Rue Royale, fait le vœu d’édifier une fontaine sur la plage de Kérogan, si elles sont fructueuses. Le corps de son fils est finalement retrouvé au bout du chemin de halage. Le père Kéribin tient sa promesse et on peut le voir, pendant des journées et des journées, capter la source, tailler la pierre, sculpter cette fontaine. Erwann interrompt son récit, son regard passe de Nadia à Christophe, puis à Pierre qui vient de les rejoindre : Je condense, j’abrège, rassurez-vous. J’ai eu la version intégrale. Je ne sais pas si vous aimez les histoires qui font peur, mais il paraît que certaines nuits, les fantômes du bateau naufragé appellent à l’aide les pêcheurs attardés !