Déferlantes au Guilvinec - Elisabeth Mignon - E-Book

Déferlantes au Guilvinec E-Book

Elisabeth Mignon

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Beschreibung

Quel est ce mystérieux prédateur qui sème la terreur dans le sud du Finistère ?

Zoé, une pré-adolescente de onze ans, se fait agresser, un soir, alors qu’elle circule à vélo sur les chemins verts, entre Le Guilvinec et Plobannalec. Cette sombre affaire a-t-elle un lien avec les violences subies quelques mois auparavant par deux femmes à Quimper ? Le prédateur entraîne Christophe Guillou et Erwann Le Métayer sur les sentiers du Pays Bigouden, où il se volatilise à VTT sitôt ses méfaits accomplis. Justine, la cousine de Morgane, ne devient-elle pas à son tour la cible de cet homme vêtu de noir ? Quant à Félicie, sa grand-mère centenaire et détentrice des secrets de la commune, il se pourrait bien qu’en remontant dans les souvenirs du siècle passé, elle n’ait découvert qui est ce terrible personnage.

De Le Guilvinec à Plobannalec en passant par le Pays Bigouden, embarquez dans le troisième tome des enquêtes haletantes des OPJ Le Métayer et Guillou, qui allient intrigue et rebondissements !

EXTRAIT

Zoé récupère son vélo, se rappelle que la roue est crevée, elle le pousse devant elle. Elle est anéantie, elle a désobéi à ses parents, c’est tout ce dont elle se
souvient. Le crachin commence à tomber, elle marche. Elle a mal. Elle doit rentrer à la maison. Son portable sonne, elle ne réagit pas, elle avance toujours, un pas après l’autre, son vélo est lourd à pousser, il fait trop noir. Elle claque des dents, son smartphone joue à nouveau la mélodie qu’elle a
choisie quelques heures auparavant avec Océane.
Elle décroche, son père râle et peste :
— Où es-tu, Anne nous a dit que tu es partie depuis plus d’une heure. Rentre, on va régler ça tout de suite !
— C’est pas de ma faute, ce qui est arrivé, c’est pas de ma faute, viens me chercher ! pleure la gamine. Je n’ai rien fait, c’est lui.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Elisabeth Mignon est née à Quimper, ville où elle réside depuis toujours. Passionnée d’histoire locale et de romans policiers, encouragée par ses amies « pousse-au-crime », elle se lance dans l’écriture de polars.
Elle présente ici son troisième roman à suspense, Déferlantes au Guilvinec, dans lequel, ses personnages, Erwann Le Métayer et Christophe Guillou, mènent l’enquête.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À mon frère

REMERCIEMENTS

— À Monique et Jean-Yves Mell, qui m’ont fait découvrir les sentiers verts du Pays Bigouden,

— À Christophe Guyon, pour ses conseils et ses apports techniques,

— À Pierre, Mathilde, Virginie, Michèle, Patrick, Gérard et Jean-Pierre, l’équipe du concours “Nouvelles sous la plume” de la médiathèque de Plobannalec-Lesconil,

— À Sophie Le Clec’h, pour ses clins d’œil sur le Guilvinec,

— À ma cousine Joëlle Priol.

— À mes complices : Françoise, pour sa lecture attentive, Martine, Nadine, Pascale et Renée pour leurs encouragements.

PROLOGUE

— Pas cap ! lance Océane. Tu as trop peur, la nuit tombe, tu ne le feras pas. Ouh…

— Qu’est-ce que vous complotez encore les filles ? Zoé, si tu ne veux pas que je te ramène, file tout de suite, j’appelle Estelle pour lui dire que tu t’en vas. Allez, il est plus que temps, ne traîne pas sur la route !

— T’es pas cap, t’es pas cap ! chantonne Océane dans l’allée du jardin alors que Zoé enfourche son vélo.

I

Mercredi 23 novembre, soirée, entre Plobannalec et Guilvinec.

Zoé pédale, elle a promis à ses parents qu’elle rentrerait avant la tombée de la nuit. Elle regarde sa montre, fronce le nez. Elle a retrouvé Océane, sa meilleure copine, à la médiathèque de Plobannalec, où elles se sont attardées, puis elles sont restées bavarder chez cette dernière. Elles ont toujours un tas d’histoires à se raconter ; les intercours au collège, la pause méridienne, les SMS ne suffisent pas.

Zoé force le rythme, elle n’aurait pas dû s’attarder. Elle est seule sur la route, aucune voiture ne circule, la petite lampe sur le guidon n’éclaire pas bien loin, heureusement elle connaît le chemin. L’humidité s’est installée, elle a senti le changement lorsqu’elle embrassait Océane près du mur où elles avaient appuyé leur VTT ; en début d’après-midi, sa grand-mère avait annoncé que la pluie et le vent arrivaient, ses rhumatismes se réveillaient.

Zoé a parié avec son amie qu’elle rentrerait par les chemins de randonnée au lieu de prendre la route, elle les fréquente depuis son plus jeune âge, ce doit être à la fois mystérieux et un peu flippant en fin d’après-midi, elle ne le dira pas à sa mère et pourra s’en vanter auprès des copines.

Zoé file sur l’ancienne voie du train birinik, pas très rassurée, les maisons sont rares et isolées, elle joue à se faire peur. La préadolescente se retourne, elle doit se tromper, personne ne la suit, mais elle a déjà eu cette étrange impression en quittant le bourg tout à l’heure. Et là, elle pense percevoir un frottement derrière elle… Elle dépasse Quelarn, file sous les arbres, revient sur la route, elle se dépêche, coupe par un sentier, puis un autre. Sa roue arrière se dérobe, elle se rattrape sur un pied, sur l’autre, son vélo glisse sur les pierres humides, elle se retrouve au milieu du chemin, un peu sonnée, mal à l’aise, contrariée, une drôle de sensation au ventre. Le pneu arrière est crevé, pas de chance. Malheureusement elle est encore loin de chez elle. Là-bas plus loin, elle aperçoit des lumières, les arbres sont dénudés en cette saison. Il fait sombre, maintenant.

Un cycliste s’arrête près d’elle, il n’a pas d’éclairage sur son VTT, elle ne l’a pas vu arriver.

— Tu as un problème, Zoé ?

La jeune fille a ramassé son vélo et redressé son sac à dos.

— Pas du tout ! répond-elle d’une voix qui se veut assurée.

— Je crois que si ! dit l’homme en appuyant sur le pneu crevé. Je te raccompagne.

Elle refuse, se méfie de lui, elle ne sait pas qui il est et pourtant il l’appelle par son prénom. Il porte une tenue de sport noire, des gants et un casque noirs. Il insiste.

— Ma mère arrive, je viens de l’appeler !

— Remets ton portable dans ta poche. Je te suis depuis un moment, à cette heure elle s’occupe de tes petites sœurs, Chloé et Aglaé ; Aglaé te ressemble beaucoup, elle est mignonne.

Zoé marche à côté de son VTT, il reste près d’elle, roule doucement.

— Tu es abonnée à la médiathèque, que lis-tu ? Préfères-tu les romans ou les documentaires ? J’aime bien ton jardin, tes sœurs y jouent souvent, est-ce que tu jouais à la balançoire lorsque tu avais l’âge d’Aglaé ?

L’adolescente presse le pas.

— Laquelle de vous trois donne à manger aux poissons rouges dans le bassin ?

— Ce sont des carpes koï, pas des poissons rouges.

Ils arrivent dans l’entrée d’un champ, il lui demande d’y entrer. Zoé refuse, il insiste, bloque le passage, elle ne peut plus avancer. Il se plante devant elle, se veut rassurant, il ne lui fera pas de mal si elle est gentille avec lui. Il sourit et la regarde au fond des yeux. Elle ne peut plus bouger, tétanisée. Il laisse son vélo tomber contre le talus dans le champ de maïs, puis celui de Zoé. Il la prend par l’épaule et l’entraîne doucement plus loin, là où on ne l’entendra pas si quelqu’un passe sur le chemin.

L’inconnu demande à l’enfant d’enlever son pantalon, sinon, il ira voir ses petites sœurs quand ses parents ne sont pas là. Zoé secoue la tête, elle a peur, ne comprend pas ce qui lui arrive.

— Enlève ton pantalon ! répète-t-il, d’une voix plus aiguë en sortant de la poche de son jogging un couteau, la lame claque lorsqu’il l’ouvre.

Zoé a perdu la notion du temps, l’agresseur remonte son pantalon. Il aide Zoé à se rhabiller, lui tend son blouson et lui remet son sac sur le dos. Il la ramène près de la route.

— Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer !

Il récupère son VTT, file sur la route et disparaît de la vue de l’enfant.

Zoé récupère son vélo, se rappelle que la roue est crevée, elle le pousse devant elle. Elle est anéantie, elle a désobéi à ses parents, c’est tout ce dont elle se souvient. Le crachin commence à tomber, elle marche. Elle a mal. Elle doit rentrer à la maison. Son portable sonne, elle ne réagit pas, elle avance toujours, un pas après l’autre, son vélo est lourd à pousser, il fait trop noir. Elle claque des dents, son smartphone joue à nouveau la mélodie qu’elle a choisie quelques heures auparavant avec Océane. Elle décroche, son père râle et peste :

— Où es-tu, Anne nous a dit que tu es partie depuis plus d’une heure. Rentre, on va régler ça tout de suite !

— C’est pas de ma faute, ce qui est arrivé, c’est pas de ma faute, viens me chercher ! pleure la gamine. Je n’ai rien fait, c’est lui.

Philippe Cariou veut en savoir plus, Zoé sanglote et renifle, elle ne peut pas lui dire où elle est, elle ne le sait pas. Inquiète, Estelle a rejoint son mari ; les parents comprennent qu’un accident est survenu. Tandis que la maman essaie de parler à son aînée, le père a saisi son portable, fébrile, ses doigts tremblent, il se trompe de touche, recommence sa recherche et géolocalise sa fille. Tandis qu’Estelle essaie de la rassurer, il file sur la route ; qu’est-ce qu’elle fait à cet endroit, il avait pourtant été clair, « tu ne quittes pas la route principale, tu rentres pour dix-sept heures, si tu as un problème tu files chez ta grand-mère, elle habite à mi-route, ou tu restes chez ta copine, j’irai te récupérer là-bas ! »

Zoé aperçoit des phares sur le chemin, entre les arbres. Ils se rapprochent, elle lève le bras à hauteur de ses yeux. La voiture s’arrête près d’elle, elle reste clouée sur place. Son père comprend qu’il s’est passé quelque chose de grave. Il ouvre sa portière, vomit dans le fossé, ses jambes flageolent, il prend Zoé dans ses bras, l’installe dans la voiture, jette le vélo et le sac à dos dans le coffre. Durant le trajet ils n’échangent pas un mot, le père, mâchoires crispées, observe à la dérobée sa fille.

La maman, inquiète, les attend sur le pas de la porte, elle est au téléphone avec Anne, la mère d’Océane ; lorsque la voiture se gare, elle demande aux petites d’aller jouer dans leur chambre puis elle se précipite côté passager.

Allongée sur le canapé, Zoé raconte son histoire : le pari, les petits chemins qu’elle emprunte souvent, la nuit, le pneu crevé, l’homme en noir et le viol.

Estelle tremble, sa bouche est sèche, le monde s’écroule autour d’elle, quelqu’un s’en est pris à sa petite fille ! Philippe Cariou, assis secoue la tête, les coudes sur les genoux, les mains sur les oreilles, il ne veut plus entendre.

La maman se lève, ferme les volets et les portes. Elle veut joindre la gendarmerie.

— C’est fermé à cette heure-ci ! murmure le papa.

— Francis ! crie Estelle, il faut appeler Francis, il est chez lui.

Le crachin a laissé la place à une pluie qui semble persister lorsque Francis Robineau arrive chez les Cariou. Adjudant-chef, affecté à la gendarmerie du Guilvinec, il connaît bien la famille, le plus jeune de ses fils est en classe avec Chloé et sa femme, nourrice agréée, a gardé Aglaé jusqu’à ce qu’elle aille en maternelle ; les deux familles se rencontrent régulièrement.

Une jeune collègue, Manon Tanneau, accompagne le militaire ; ils écoutent les parents raconter l’agression de leur fille. Zoé, pelotonnée dans un coin du canapé, accepte la couverture qu’Estelle pose sur elle et la remonte sous son menton.

— Zoé, tu peux me décrire ce qui s’est passé depuis le moment où tu as quitté Océane jusqu’à ce que papa te trouve ? insiste Francis, en parlant doucement à l’enfant.

Il cherche les mots pour la rassurer, elle ne répond pas, secoue la tête négativement. Il lance un coup d’œil en direction du brigadier, elle comprend qu’elle doit intervenir et tente de calmer la gamine ; elle trouve les paroles justes pour l’apaiser.

— Il a dit qu’il reviendrait et ferait la même chose à Chloé et Aglaé ! murmure Zoé. Je ne veux pas qu’il vienne à la maison…

Encouragée par Estelle et Manon, Zoé raconte avec beaucoup de sang-froid et un certain détachement l’agression qu’elle vient de subir, non pas comme une victime, plutôt comme un témoin.

— Tu connais ce monsieur ? interroge la gendarme.

— Non, pas vraiment… je ne lui ai pas parlé avant… je l’ai déjà vu, je crois, devant la maison et sur les sentiers, à vélo. Lui, sait mon prénom et celui de mes petites sœurs !

— Tu peux le décrire ?

Zoé ferme les yeux, pousse un gros soupir, déglutit, elle fixe le mur devant elle :

— Il avait un casque sur la tête, noir, il l’a gardé. Ses cheveux semblaient un peu longs et foncés, des mèches dépassaient sur le front et sur les oreilles. Il portait une tenue de sport noire, un sweat à fermeture éclair, un pantalon à élastique dans le bas… j’ai vu le logo Adidas. Il avait remonté le col sur sa bouche et a gardé ses gants. Et puis, il m’a menacée avec un couteau de pêche, je sais que c’est un couteau de pêche, grand-mère a le même, elle l’a acheté à la coopérative maritime, j’étais avec elle… Son VTT aussi était noir, il n’avait pas de marque.

Francis Robineau regarde par la fenêtre, la pluie tombe dru, il consulte sa montre et sort dans le couloir. Il demande à l’équipe de permanence de partir tout de suite sur la scène de l’agression, l’homme a pu laisser un indice derrière lui. Il appelle son supérieur.

Le gendarme revient auprès de Zoé et de ses parents, Manon a mis la gamine en confiance, elle la rassure : l’homme en noir ne viendra pas chez elle, il laissera ses petites sœurs tranquilles.

— Dans les livres ou les films, les monstres reviennent toujours ! frissonne Zoé.

— Nous voyons ces gens comme des monstres, mais je peux t’assurer que ce sont des hommes, c’est pour cela que nous les retrouvons, et nous découvrirons aussi celui-là, je te le promets.

L’enfant répond aux questions posées par les gendarmes, puis Francis propose aux parents d’accompagner leur fille à l’hôpital de Quimper où elle sera examinée par un médecin.

— C’est une femme ! précise Manon, tu pourras lui parler, elle t’expliquera aussi ce qui s’est passé.

Zoé ne veut pas quitter sa maison, ni ses sœurs, elle veut rester avec ses parents. L’adjudant-chef insiste, sa grand-mère va venir garder les petites durant leur absence.

Tandis que la famille se prépare, le major Anabelle Mazurier les rejoint et récupère l’enregistrement qui a été fait.

— Je ne comprends pas ! pleure la grand-mère, arrivée rapidement et mise au courant des faits. Elle parcourt ces chemins, elle s’y promène souvent avec ses copines mais elle sait qu’elle n’a pas le droit d’y aller la nuit. Pourquoi est-elle passée par là ?

Manon Tanneau seule dans le véhicule des gendarmes s’en va, elle précède celui des Cariou conduit par Francis Robineau.

Le major reste un moment auprès de la grand-mère puis elle regagne les locaux de la gendarmerie tout proches, la seule chose dont elle est sûre c’est que Zoé vient de quitter l’enfance de la manière la plus brutale et la plus abjecte qui soit.

En attendant le retour de la patrouille et du duo parti à Quimper, elle écoute l’enregistrement et repasse plusieurs fois la partie concernant la description de l’agresseur, en réalité peu de chose, à moins qu’un détail ne revienne à la petite fille dans les prochains jours.

Tard dans la nuit, les hommes reviennent. Ils ont travaillé avec les techniciens en identification criminelle venus de Quimper. Ils n’ont rien découvert dans le champ ni sur le sentier, la pluie a détrempé rapidement la terre, effaçant les traces. Ils retourneront sur place lorsque le jour sera levé afin de vérifier qu’ils n’ont rien négligé.

II

Jeudi 24 novembre, matin, Guilvinec.

La pluie a cessé en début de matinée, les gendarmes commencent l’enquête de proximité, rue de Stancouline et interrogent les voisins des parents qui n’habitent pas très loin de la gendarmerie.

Francis Robineau s’est déplacé jusque chez la grand-mère de Zoé, qui est repartie dans sa petite maison rue du Letty ; hier soir, ils se sont croisés. Dissimulée derrière les rideaux, Thérèse Le Reste voit le gendarme pénétrer dans le jardin, elle ouvre la porte avant qu’il ait le temps de frapper. La femme, plus petite que sa fille Estelle, et aussi plus maigre, le précède dans le salon, elle paraît encore plus fragile que la nuit passée, sous ses cheveux blancs ramassés en chignon sur la nuque.

Elle se pétrit les mains, se reproche ce qui est arrivé. Elle n’a pas remarqué de cycliste passant devant chez elle ou à Stancouline où elle va garder les enfants car leurs parents commencent leur journée très tôt à la poissonnerie près de la halle à marée. Elle préfère dormir chez elle et arriver de bonne heure, souvent sa fille et son beau-fils sont déjà partis ; elle s’occupe des filles, les conduit à l’école ou à leurs activités le mercredi et le samedi en début d’après-midi. Ensuite ce sont les parents qui vont les chercher, l’un ou l’autre ou les deux en fonction des activités ; la poissonnerie ferme en début d’après-midi, sauf l’été lorsque les touristes sont là. Elle n’a remarqué personne en particulier qui rôdait ; les cyclistes sont nombreux à passer sur le chemin derrière sa maison ; les familles adoptent généralement une allure tranquille, les sportifs un train plus rapide, seuls ou en groupe. Elle aussi emprunte la voie verte lorsque le temps le permet, à pied ou à vélo, seule ou avec les filles.

— C’est tellement plus agréable et sûr que la route… enfin, avant ! Thérèse Le Reste soupire bruyamment. Les voisins ou les connaissances ne s’arrêtent pas toujours pour bavarder mais ils savent que j’habite ici et font souvent carillonner leur sonnette. Philippe est connu dans tout le Pays Bigouden, il fait partie du club des vététistes locaux. La voie est très fréquentée dès les beaux jours, entre Pâques et la Toussaint, tandis qu’à la mauvaise saison, seuls les mordus et les acharnés pédalent par presque tous les temps.

Thérèse Le Reste regrette, elle aurait dû être plus attentive, elle n’imaginait pas qu’une telle chose pouvait se produire ici, à Plobannalec ou au Guilvinec :

— Des choses comme ça, pas chez nous !

Le gendarme ressort, il aperçoit au bout de la rue ses collègues qui continuent le porte-à-porte. Il se dirige vers la voiture bleu marine où Manon le rejoint aussitôt. Ils ont rendez-vous avec Anne Salaün, la maman d’Océane, la meilleure amie de Zoé.

— C’est à cause de moi, c’est de ma faute ! regrette Océane. Je lui ai dit qu’elle n’était pas capable, qu’elle aurait trop peur de passer par les chemins, la nuit allait tomber, elle devait arriver chez elle avant et m’appeler. On avait parié : si elle réussissait à le faire, je lui prêtais mon blouson pendant une semaine !

— Vous n’avez pas le droit de faire cela ! s’exclame Anne. Ce n’est pas parce que vous êtes en sixième que tout vous est autorisé. Nous étions d’accord, Estelle et moi, de vous laisser plus d’autonomie, Zoé devait passer par la route, tu n’aurais pas dû l’inciter à…

Anne se mord les lèvres, elle a déjà eu cette discussion cette nuit avec sa fille qui se sent responsable.

— Je le sais bien, c’est moi la coupable et je vais porter ça toute ma vie, je vais y penser tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes. C’est entièrement de ma faute ! En fait, c’est comme dans la nouvelle ! hurle Océane, vous n’avez pas compris, l’homme en noir, il est dans la nouvelle !

Anne fronce les sourcils, elle vient de faire le rapprochement. Océane se met à pleurer, elle sort en claquant la porte et va s’enfermer à double tour dans sa chambre.

— Ce n’est pas possible ! s’exclame la maman, elle a raison. En juin dernier, Zoé a obtenu le premier prix du concours des “Nouvelles sous la Plume” catégorie jeunesse organisé par la médiathèque de Plobannalec !

Alors qu’elles étaient en classe de CM1, leur enseignante avait guidé les élèves sur le chemin de la création d’un récit collectif et peu à peu, ils avaient bâti une histoire, fait naître des personnages, tissé une intrigue à partir d’un texte introductif. Zoé s’était tout de suite lancée dans cette aventure, prenant plaisir à imaginer, construire et combiner le texte.

Parfois, le professeur devait remotiver les élèves, les relancer, les aiguiller sur une piste lorsque leur élan venait à faiblir ; chaque fois, elle pouvait compter sur Zoé en qui elle avait trouvé une alliée efficace.

Cet exercice pédagogique s’était avéré payant car les CM1 de Christelle Lochou avaient obtenu le premier prix de la commune. Dès l’annonce des résultats, elle avait proposé au groupe de se filmer afin de se présenter lors de la remise des prix, initiative qui avait plus que séduit les élèves.

L’année dernière, encouragée par son ancienne enseignante et Justine Rivalin, la maîtresse des CM2, Zoé s’était lancée seule dans cette aventure. Le paragraphe d’introduction l’avait séduite : « La brume envahissait les rues et s’insinuait sous les portes des maisons, les habitants regardaient derrière les fenêtres les ombres enveloppées de coton qui se pressaient à l’extérieur. Bientôt… » Elle avait écrit d’un seul jet l’histoire d’un fantôme joueur de cornemuse qui ne sortait que les soirs où la brume se glissait entre les maisons et les arbres.

L’enfance de Zoé avait été bercée par les contes et les récits de sa grand-mère et de sa cousine Jannick qui possédaient le don du narrateur captivant leur auditoire par la parole. La magie des korrigans et des farfadets était ancrée en Zoé. Elle a toujours aimé lire et écrire, Thérèse Le Reste disait que sa petite fille préférait la musique des mots jetés sur le papier, plutôt que sa voix. Zoé répondait qu’elle entendait ses doigts courir sur le clavier. Autre temps, autre référence, moins poétique.

Cette année, Zoé avait persuadé Océane de concourir, elles aimaient les romans policiers et le texte introductif les inspirait. Zoé savait qu’elle ne pourrait pas gagner tous les ans, mais elle voulait participer à cette aventure : « La silhouette noire disparaissait sur son vélo, penchée sur le guidon. Le chemin défilait sous les roues, ruban ocre bordé de vert ; dans le lointain, à intervalles réguliers, la corne de brume mugissait, le clocher jouait à cache-cache entre les arbres et le brouillard. L’ombre se retourna, la nuit tombait et la rattrapait, elle allait l’avaler… »

— C’est dur aussi pour elle, elle va se calmer, laisse lui un peu de temps ! dit Francis. Tu sais comment sont les ados, ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre. Tu vas au collège ?

— Il le faudra bien ; quand la rumeur va commencer à circuler, ma présence ne sera pas de trop. J’ai prévenu le proviseur de bonne heure ce matin, il est au courant, je lui ai dit que dès que j’arriverai nous nous verrions, je crois que le prof de maths s’est proposé pour intervenir auprès des élèves, c’est un nouveau, je ne sais pas ce qu’il va faire.

Conseillère principale d’éducation au collège du Guilvinec, Anne Salaün connaît Francis Robineau depuis de nombreuses années, leurs enfants font partie de la même bande de copains et il arrive au gendarme d’intervenir au sein de l’établissement auprès des élèves de troisième lors de réunions d’information sur l’orientation.

— Je vais parler à Océane, son histoire de concours peut être une piste à suivre. Tu ne peux pas la laisser seule ici, emmène-la au collège avec toi !

— Essaie de la persuader de cela. Je sais, elle n’a pas tort, c’est en partie de sa faute, ce qui est arrivé à Zoé. Qu’est-ce que je dirai à Estelle et à Philippe lorsque je les verrai et à Thérèse ? Je porte aussi ma part de responsabilité, j’aurais dû la ramener ! Tout cela pour une histoire de blouson !

— Hier soir déjà, au téléphone, tu leur as dit que tu étais partie sur la route, voir si tu la trouvais ; Océane de son côté a voulu réparer son erreur et a roulé sur les chemins, sans rien te dire. Il va falloir que vous trouviez le temps et le bon moment, toi, Estelle et Philippe pour en parler. Quant à Océ’, ce n’est pas en se refermant sur elle qu’elle épaulera son amie, il faudra lui donner un rôle auprès de Zoé, qui l’aidera à surmonter leurs traumatismes ! plaide Francis.

— Si les Cariou veulent encore nous voir ! avance Anne.

Francis monte l’escalier et frappe à la porte d’Océane, il lui parle un long moment avant qu’elle ne se décide à ouvrir et à le laisser entrer. Manon en profite pour s’entretenir avec Estelle.

La matinée est bien avancée lorsque les gendarmes quittent le domicile des Salaün.

*

Jeudi 24 novembre, matin, Quimper.

Christophe Guillou, plongé dans un dossier, se passe pensivement la main sur le menton, il répond à peine au bonjour d’Erwann Le Métayer lorsque celui-ci pénètre dans le bureau. Enfin il se décide à lever les yeux :

— Tu te rappelles cette agression violente, à la fin de l’hiver dernier, à Kercaradec, Soizig Auffret ?

— Une dame qui a eu de la chance, un promeneur l’a entendue crier et est arrivé aussitôt. Le type qui essayait de la violer est parti sans demander son reste, elle s’en est tirée avec un poignet fracturé et de beaux hématomes ! se souvient Erwann en fronçant les sourcils.

— Bitrak1, son chien s’est fait massacrer en essayant de la défendre… C’était un chihuahua, il ne devait pas être bien effrayant et encore moins faire le poids. Elle tenait à sa petite bête, elle l’emmenait partout ! s’écrie Christophe. La semaine suivante, pas très loin de là, Annette Le Berre, a résisté à son agresseur qui l’a amochée méchamment, nez et dents cassés, pommettes éclatées, avant qu’elle ne lui balance sa casserole d’eau bouillante à la figure. Les deux fois, l’agresseur est reparti à VTT dans les petits chemins.

— Il a remis ça ?

Christophe se repousse sur son siège et lâche un gros soupir avant de poursuivre :

— Hier soir, Stéphanie a été appelée, une gamine de onze ans a été violée au Guilvinec sur la voie verte, l’agresseur vêtu de noir circulait sur un VTT noir !

— Merde ! s’exclame Erwann. Tu penses que ce serait le même bonhomme ?

— Il agit dans un endroit isolé, porte une tenue semblable et se déplace en VTT.

— On passe de deux femmes mûres à une gosse ! Ça ne colle pas. Et qu’aurait-il fait pendant ce laps de temps ?

— Soigner ses brûlures, ou partir en vacances ou aller travailler ailleurs ! On tient peut-être enfin un nouvel élément. J’ai dit à Stéphanie que nous passerions la voir, la petite est restée à l’hôpital cette nuit.

Les deux hommes se lèvent, et se dirigent vers le bureau de Rémi Moineau, le commissaire :

— Allez-y ; si vous pensez que les trois affaires sont liées, prenez contact avec les gendarmes !

Les OPJ filent à l’hôpital Laënnec et retrouvent Stéphanie Ollier.

— J’ai discuté avec le psychiatre un long moment ! dit le médecin légiste, en les recevant dans son petit bureau. Son hypothèse rejoint ce que je pensais. Les premières victimes se sont défendues, l’homme n’a pas réussi à les violer, il se déchaîne. Il croise Soizig Auffret, la choisit comme victime, prend le temps de l’observer et de connaître ses habitudes, elle habite seule dans un lieu isolé. Lorsqu’il passe à l’acte, il n’a pas imaginé qu’elle allait lui résister. L’agresseur s’en prend au chien qui ne fait pas le poids, le massacre à coups de pied, et c’est sans doute ce qui sauve cette femme ; pendant qu’il s’acharne sur le chien, elle retrouve ses esprits, crie, appelle au secours et hurle encore plus fort. Un promeneur l’entend et fonce dans la maison mettant l’assaillant en fuite. Premier acte, non abouti, sur une femme.

Quelques semaines après, il récidive. Il a repéré une autre proie, Annette Le Berre, dans la même zone géographique, une femme célibataire qui n’a pas de voisin immédiat : il pourra filer rapidement, son forfait accompli. Nouveau problème, cette petite bonne femme qui ne paie pas de mine se rebiffe, elle ne se laisse pas faire, non seulement elle lutte, mais elle le brûle avec la casserole d’eau bouillante qu’elle avait sur le gaz, elle se préparait un thé. Troisième acte : Zoé est une gamine, une pré-ado, elle est vulnérable, elle a la vie à découvrir. En s’en prenant à elle, l’homme en noir met toutes les chances de son côté ; son passage à l’acte ne peut que réussir. Il n’a pas besoin de toute la violence dont il a été capable sur les victimes précédentes. Il se remet de ses échecs, reprend confiance en lui !

— Tu veux dire que, maintenant qu’il est parvenu à ses fins, il va récidiver ? avance Erwann inquiet en grattant la cicatrice sur sa pommette.

— J’espère me tromper… sincèrement ! répond Stéphanie.

— Tu crois plutôt que la machine est lancée et qu’il est programmé pour continuer ! constate amèrement Christophe. Et Zoé ?

— Elle est rentrée chez elle tout à l’heure. J’ai fait les prélèvements habituels, nous avons peu de choses, l’agresseur a gardé son casque, ses gants et a mis un préservatif. J’ai transmis les vêtements pour analyse.

En fin de matinée, Christophe contacte le major Mazurier, rendez-vous est pris pour le début d’après-midi, au Guilvinec. Les OPJ mettent de l’ordre dans les affaires courantes, avertissent Nadia Rénier, leur collègue de leur absence et décident de faire leur pause-déjeuner avant de partir pour le port bigouden.

Sur un coin de son bureau, Erwann mange la salade composée qu’il a préparée avant de partir le matin, tandis que Christophe mord dans le sandwich acheté à la cafétéria de l’hôpital. Le portable d’Erwann vibre au fond de sa poche. Morgane ; il décroche.

— Comment ? s’écrie-t-il. Il est arrivé quelque chose à Justine ? Oui. Je t’écoute !

Christophe en profite pour s’éclipser : Justine, un agréable souvenir…

Lorsqu’il revient, son collègue a raccroché.

— C’est l’évocation d’un certain prénom qui t’a fait fuir ?

— Un dossier “chaud brûlant”, la grande et belle rousse célibataire que ta chère et tendre m’a présentée lorsque je suis arrivé à Quimper. Enfin, Morgane me l’a plutôt jetée dans les bras… Cette chère Justine, que devient-elle ? soupire Christophe, un petit sourire au coin des lèvres. Toujours un cœur à prendre ?

Tout à coup il se reprend :

— Ne me dis pas qu’elle a été agressée elle aussi à Plobannalec ou au Guilvinec !

— Morgane et elle suivent un stage de formation cette semaine. Justine est perturbée, elle vient d’apprendre que l’une de ses élèves de l’an dernier s’est fait agresser hier soir par un type qui s’est volatilisé dans la nature, sur son vélo, après l’avoir violée ! Tout comme Stéphanie, Morgane a fait le rapprochement avec nos anciennes affaires.

*

Jeudi 24 novembre, début d’après-midi, Guilvinec.

L’adjudant-chef Robineau et le brigadier Tanneau se rendent au domicile des Cariou. En présence des parents la maman, Francis fait défiler sur l’écran de son ordinateur une série de photos de délinquants sexuels. L’adolescente les examine avec le même détachement qu’elle affichait la veille lorsqu’elle décrivait son agression.

La maman, les mains sur la bouche, en retrait, regarde les clichés, elle n’identifie personne qu’elle aurait pu croiser, près de la maison ou dans son commerce. Elle hoche la tête et ferme les yeux ; elle avale sa salive difficilement. À ses côtés, le papa, livide, serre les poings.

— Tu sais maman, c’est un moment difficile, bientôt ça ira mieux, ne t’en fais pas ! murmure Zoé en essayant de la consoler.

Estelle ne peut plus se retenir, elle pleure, prend sa fille dans ses bras :

— Ce devrait être à moi de te consoler, ma Chou-pinette, pas l’inverse. Je suis nulle, j’ai tout raté.

Manon reprend l’ordinateur et à l’aide des détails donnés par Zoé, dresse le portrait-robot de l’homme.

— Plus vieux, plus…

— Jeune ? suggère Manon.

— Oui, plus jeune que papa, encore un peu Non… plus mûr. Les cheveux plus longs, ils dépassaient un peu du casque… le col remontait presque sur son nez, il l’a relevé plusieurs fois… vous avez demandé à grand-mère Thérèse pour le couteau ?

Francis la rassure, des hommes sont chargés de faire la tournée des coopératives maritimes du secteur, pour rechercher qui a acheté ce type d’instrument.

— Je crois qu’il avait une drôle de voix.

— Drôle, comment ? demande Francis.

— Bizarre, tu sais comme Thomas, qui monte et qui descend, par moments très aiguë.

Thomas, le fils aîné du gendarme, en pleine mue.

— Ça, c’est un bon indice, qui nous sera utile !

— Tu nous as parlé de son vélo, noir, il avait bien une marque, une inscription ? insiste Francis.

— Je n’ai pas pu les voir, je crois qu’elles étaient cachées sous du scotch noir, comme papa a dans sa trousse à outils. Tu vois, vous ne pourrez pas le retrouver.

— Tu sais que tu viens de nous donner un nouvel indice après celui de la voix ! s’exclame Francis.

— Un sacré bon élément. Tous les vélos possèdent une marque, un logo, nous savons désormais ce qui va le distinguer ! l’encourage Manon.

Les gendarmes s’entretiennent longuement avec la famille, et l’invitent à les contacter, quelle que soit l’heure quand ils en ressentiront le besoin, pour donner des informations ou pour savoir l’avancement de l’enquête, ou tout simplement pour Zoé, si elle veut parler à une femme qui ne soit pas de son entourage proche et à qui elle pourra exprimer son ressenti.

— Tous ces salauds, vous les retrouvez ? demande Philippe Cariou en désignant d’un coup de menton rageur l’écran de l’ordinateur.

— Ils sont dans le fichier, nous les connaissons.

— Pourtant celui qui a fait du mal à ma petite fille n’y est pas ! hoquette la maman.

— Il y sera bientôt, avec votre aide ! assure Francis. Nos hommes sont sur le terrain, ils mènent l’enquête de proximité que nous élargirons au fur et à mesure si nécessaire.

— On dit souvent que c’est quelqu’un de proche qui… commet ce genre d’acte. Est-ce que c’est vrai ? interroge Estelle.

— J’ai bien vu ses yeux et son nez. Je ne l’ai pas reconnu. Je ne veux pas qu’il fasse du mal à mes sœurs !

— Il ne te fera plus de mal, Zoé, ni à toi, ni à elles. Parfois les victimes ont l’impression que nous les oublions, que l’enquête n’avance pas ; jamais nous n’abandonnons, nous explorons toutes les pistes possibles, nous recoupons nos informations, c’est un travail très long, c’est pour cela que le moindre détail, le plus petit souvenir nous est utile, et il arrive toujours le moment où nous découvrons le coupable ! L’adjudant-chef regarde les trois personnes meurtries qui lui font face et conclut : nous le retrouverons !

Les OPJ quimpérois roulent sur la voie express transbigoudène ; au giratoire à l’entrée de Pont-l’Abbé, ils prennent la direction du Guilvinec sans passer par le centre-ville. Christophe a pris le siège passager, il relit les notes sur les agressions dont ont été victimes les deux femmes à Kercaradec.

Lorsqu’ils se présentent à la gendarmerie, le major Mazurier les reçoit. Une femme aux cheveux courts, châtains foncés et aux yeux bruns vient à leur rencontre. Plutôt mince, elle doit faire la taille réglementaire, pas plus. Son visage affiche une expression autoritaire.

— À part une tenue noire et un vélo, je ne vois pas le point commun entre ces femmes et notre gamine ! s’exclame le major à la fin de l’exposé de Christophe.

— Peut-être aucun ! répond celui-ci. À part ces seuls éléments. Un homme qui laisse ses victimes et s’évanouit dans la nature à VTT, ce n’est pas courant.

— Avez-vous relevé des traces exploitables, identifiables ?

— Rien. Une description vague, il portait un casque et avait le col de son blouson rabattu sur le bas de son visage, aucune empreinte n’a pu être relevée, il avait des gants. Ses yeux noirs, très noirs ont été remarqués, Soizig Auffret et Annette Le Berre en ont parlé longtemps.

L’adjudant-chef et le brigadier rentrent du domicile des Cariou, Anabelle Mazurier les invitent à les rejoindre.

— Vous n’avez pas plus d’éléments que nous ! grimace celle-ci. Quel âge ont vos victimes ?

— Cinquante-deux ans pour la première, soixante et un pour l’autre.

— Votre homme ne correspond pas à notre pédophile.

— À moins que ce n’en soit pas un !

Quatre paires d’yeux se tournent vers Erwann.

— On peut supposer que ce type, voyant qu’il ne réussit pas à maîtriser une femme – il a déjà subi deux échecs – décide de s’en prendre à une gamine, seule, hors de chez elle ; elle a moins d’expérience et moins de force qu’une adulte, il sait qu’elle ne lui résistera pas.

— Pourquoi passer de Quimper au Guilvinec ?

— Un homme qui réside sur l’un des lieux et travaille sur l’autre ? répond Christophe. Il fréquente les chemins qui lui permettent de disparaître rapidement. Il a pu croiser les victimes ou les suivre sur un autre vélo et habillé différemment. Nous avons dressé un portrait-robot, le voici.

Christophe pousse son ordinateur devant les gendarmes, tandis que Manon ouvre son fichier. Les similitudes sont frappantes, seuls les cheveux un peu plus longs apparaissent sur le témoignage de Zoé.

— Je crois que nous allons collaborer, Messieurs ! conclut Anabelle Mazurier.

Durant l’heure qui suit, les OPJ et les militaires consultent le fichier automatisé des délinquants sexuels ; ils localisent rapidement ceux résidant dans le pays bigouden déjà condamnés pour des faits commis sur des enfants et les comparent avec les hommes déjà rencontrés à Quimper lors des agressions précédentes. Leurs données ne se recoupent pas.

— Nous avions ratissé large autour de Quimper ! dit Christophe, nous allons cette fois-ci reprendre en nous rapprochant de votre secteur, nous finirons bien par coincer ce type.

— Je prends contact avec votre commissaire ! Le procureur devrait nous laisser travailler ensemble sur cette affaire au vu de ces nouveaux éléments. La brigade de recherche de Quimper nous appuiera.

1 Bitrak : bibelot, gadget en breton.

III

Vendredi 25 novembre, matin, Guilvinec.

Accompagné du brigadier Jérémy Brossard, Francis Robineau se rend chez le premier homme retenu sur leur liste. Celui-ci réside dans une maison sur trois niveaux, transformée en appartements, derrière le port, quai d’Estienne d’Orves face à la gare d’expédition et la halle à marée. Avant de pénétrer dans le couloir de l’immeuble, les militaires se retournent et aperçoivent à quelques centaines de mètres de là le commerce des Cariou.

Le son du téléviseur signale une présence à l’intérieur du logement à l’étage. Un raclement sur le carrelage, un bruit de clés maltraitées répond au troisième coup de sonnette. Luc Coquet, un homme d’une soixantaine d’années appuyé sur une béquille, vacille devant eux et ne semble pas décidé à les faire entrer. Cheveux mal peignés, veste de survêtement ouverte sur un marcel à la blancheur douteuse, il jette un regard vitreux sur les gendarmes.

Une jeune femme encombrée de paquets profite pour sortir de l’appartement d’en face et dévaler l’escalier. Un sourire vicieux s’imprime sur les lèvres du locataire.

— Alors, quel bon vent vous amène, ou quelle mauvaise rafale vous pousse ici ? maugrée Luc en s’affalant dans un vieux fauteuil aussi bancal que lui.

Un désordre indescriptible règne dans la pièce unique, à l’image du personnage qui y vit. Des cartons de boîtes à pizzas vides s’empilent dans un coin et menacent de s’écraser sur des sacs-poubelles qui traînent sous la chaudière, des bouteilles vides s’entassent tout à côté tandis que du linge crasseux déborde d’un panier en plastique.

— Opération de la hanche consécutive à une mauvaise chute ! répond le personnage à l’adjudant-chef en regardant l’écran de la télé sans se soucier de ses visiteurs. Et pas très réussie. Je suis rentré du centre de convalescence samedi dernier ; depuis je ne bouge pas, je suis coincé à l’étage. Un copain va me chercher de quoi manger, j’aurais préféré que ce soit la petite voisine qui s’y colle, elle est plus croustillante bien qu’un peu trop âgée. Qu’est-ce que vous me reprochez, les infirmières n’ont pas apprécié ma compagnie ?

Une grimace salace s’affiche sur son visage, mettant mal à l’aise Jérémy Brossard.

— Vous auriez pu me rapporter du pain et de quoi boire ! Vous pouvez vérifier, je suis cloué ici, un infirmier passe deux fois par semaine pour me laver. Je n’ai pas réussi à obtenir une infirmière, une débutante.

— Coquet, il est mal nommé celui-là ! s’exclame le gendarme revenu sur le trottoir. Un vieux cochon, malpropre et dégoûtant, les soignantes doivent en voir de toutes les couleurs avec des types comme lui. Répugnant !

— Elles l’ont passé au Karcher à son entrée à l’hôpital ; là, il sort du centre de rééducation, et il est lavé par un homme ; on peut penser qu’il est plus propre qu’à son ordinaire. Et je n’ose pas penser à la jeune femme qui habite en face de son appartement ! poursuit Francis Robineau.

— Elle a l’air de faire ses cartons et notre arrivée lui a permis de sortir de son appartement sans se faire reluquer par ce sale type.

— Sa béquille et sa patte folle le disculpent et il n’a rien du jeune aux cheveux noirs décrit par Zoé.

Dans la demi-heure qui suit cette rencontre, les gendarmes se rendent au domicile d’un autre homme connu pour son attirance pour les jeunes enfants, à la sortie de la ville, rue de Kelournou, dans une maison en retrait de la route. Ils remontent l’allée d’un jardin où les choux décoratifs se joignent à différentes variétés de courges et donnent des touches colorées aux parterres, le contraire de l’appartement sordide vu peu auparavant.

— Vous cherchez quelqu’un ?

Une voix retentit derrière les arrivants qui se retournent. Un homme âgé d’une quarantaine d’années ratisse les feuilles mortes derrière le garage qu’ils viennent de dépasser. D’un geste précieux, il passe une mèche de cheveux blonds décolorés derrière son oreille droite.

— Je suis bien Lionel Rebours ! répond l’homme en pinçant les coins de sa bouche, l’air gêné.

Il jette un coup d’œil furtif vers le penty, son air aimable a disparu, remplacé par une inquiétude certaine. Il fronce les sourcils en entendant l’adjudant-chef se présenter. Une silhouette s’encadre derrière la porte vitrée.

— Vous savez, les faits qui me sont reprochés sont de l’histoire ancienne, j’ai payé ma dette envers la société, je me fais suivre par un psychologue et j’ai refait ma vie. À l’époque j’habitais Grenoble ; ici, personne n’a connaissance de mon passé ! répond le jardinier amateur. Mercredi dans la soirée ? Mon ami tient une pizzeria à Pont-l’Abbé, nous travaillons ensemble, je fais le service en salle. Nous sommes rentrés tôt, vers vingt-deux heures ; en milieu de semaine les gens ne s’attardent pas. Le jeudi est notre jour de fermeture hors saison, et là, je fais une pause ; je repars tout à l’heure pour le service du soir, le vendredi est notre grosse soirée, les gens sortent plus que le samedi.

Un jeune d’à peine vingt ans sort de la maison et sourit aux gendarmes. Il embrasse Lionel et se dirige à grands pas vers la route, il referme le portail et leur adresse un signe amical.

— C’est votre petit ami ? s’enquiert Francis Robineau en scrutant l’homme au fond des yeux.

— Vous n’y êtes pas ! s’exclame celui-ci en rougissant, mal à l’aise. Théo est venu voir son père, il a terminé les cours à quinze heures aujourd’hui, je les laisse en tête à tête, ils ont toujours des petites choses à se raconter.

— Ils savent ? lance le capitaine.

— David, oui, bien sûr, je ne lui ai rien caché. Je me suis racheté une conduite et j’ai l’intention de m’y tenir ; notre rencontre a été pour moi le signe d’un nouveau départ dans la vie. Nous avons convenu de ne rien dire à Théo. D’ailleurs vous pouvez lui poser la question, il arrive !

Les gendarmes se retournent, un homme enfile des sabots de bois, referme la porte de la maison et se dirige vers eux. Il salue les enquêteurs, se place aux côtés de Lionel et pose la main sur son épaule.

Grand, carré, le quadragénaire ajoute :

— Vous êtes là pour la gamine ? Mon fils vient de m’apprendre ce qui se dit dans le bourg. C’est vrai alors ? Mercredi, au moment de l’agression, nous préparions ensemble le service du soir, nous n’avons pas bougé. Nous connaissons les Cariou, ils viennent de temps en temps à la pizzeria et nous prenons notre poisson chez eux. C’est moche !

David appuie plus fermement la main sur l’épaule de son compagnon. Attitude protectrice ou affirmation de son autorité ? se demande Francis.

L’autre poursuit :

— Et puis, je vais vous rassurer, Lionel n’est pas un grand sportif ; alors détaler sur un vélo, très peu pour lui. Si vous voulez voir nos bécanes, elles sont dans le garage !

Libérant son étreinte, il invite les militaires à le suivre. Derrière le Toyota Land Cruiser gris métallisé, deux vélos pendent à des crochets suspendus à une poutre. La poussière sur la selle indique qu’ils n’ont pas servi depuis un moment.

— Fausse piste, notre Lionel préfère les garçons ! conclut Jérémy Brossard en remontant dans leur véhicule. Je serais son copain, je me ferais du souci pour mon fils !

— Il les préfère plus jeunes, beaucoup plus jeunes et plus tendres, d’après son dossier ! grimace Francis. Il fallait vérifier, on l’a fait. Qui voit-on maintenant ?

— Décidément, ils se sont donné le mot pour habiter dans un périmètre restreint, il y en a un autre pas très loin, rue des Bruyères.

Pas moins d’une dizaine de minutes plus tard, la Peugeot des gendarmes laisse la route goudronnée et roule au pas dans un chemin de terre défoncé que les ornières creusées par de fréquents passages ne rendent pas accueillant. Une femme sans âge les regarde s’arrêter non loin d’elle.

— Qu’est-ce qu’il a encore fait ? soupire celle-ci en voyant les deux hommes descendre du véhicule. Vous trouverez mon fils là-haut dans sa chambre, pas la peine de sonner, il n’entendra pas, il a son casque sur les oreilles.

Elle hausse les épaules et, sans plus de formalité, tourne les talons. Les gendarmes pénètrent dans la maison, montent l’escalier. Une porte entrouverte leur indique la direction à suivre. Loïc Penfrat leur tourne le dos, il ne réagit qu’en voyant l’adjudant-chef éteindre le téléviseur.

— Qui vous a dit d’entrer ? Faites chier, vous avez planté ma partie !

L’homme, âgé d’une trentaine d’années, leur jette un regard torve. Il balance la manette de jeu dans le canapé.

— Mercredi soir, je n’ai pas bougé. Demandez à ma vieille. Je suis cloué ici : pas de voiture, pas de boulot, pas de fric, pas de sortie. Coincé au milieu de nulle part, où voulez-vous que j’aille ? ricane Loïc. Elle m’a bien eu l’autre en venant s’installer dans la maison de sa mère, soi-disant que je lui fais honte.

Francis Robineau l’interrompt. Après avoir évité de répondre aux premières questions, le joueur semble pressé de reprendre sa partie de Clash Royale.

— J’ai commencé quand je me suis levé ; j’ai joué en ligne toute la soirée et une partie de la nuit ; j’ai débloqué plusieurs éléments, attaqué les villages ennemis et bouffé des Gobelins. Vous pouvez vérifier, mon pseudo est Korrig. La vieille peau m’a apporté un sandwich, je sais plus à quelle heure, en général c’est avant le début de son film, après je ne la vois plus. J’lui d’mande rien, c’est elle qui veut. Ça y est, j’peux continuer, j’ai bien répondu ?

Sans attendre, Loïc saisit sa manette, rallume l’écran et remet son casque sur les oreilles, il se replonge dans son monde virtuel. Les gendarmes retrouvent sa mère dans la cuisine, elle désigne les chaises d’un signe de tête.

— Il n’a pas décollé de là-haut depuis lundi ! murmure d’une voix inaudible Mauricette Le Moan. Il n’a pas pu faire grand-chose.

Elle pose devant eux un verre et leur sert un café qu’elle vient de réchauffer dans une casserole.

— C’est sa nouvelle lubie, il ne descend plus manger, je lui monte un plateau le soir. Il se réveille vers trois ou quatre heures de l’après-midi, je l’entends remuer, et il joue toute la nuit ; je lui monterai son plateau ce soir, il mangera devant son écran et ce sera sans doute froid quand il se décidera.

— Il n’est pas sorti mercredi en fin d’après-midi ? demande Francis.

— Sûrement pas, je l’aurais su !

Elle tend la main vers le plafond, un hurlement vient de retentir suivi d’un bruit sourd et d’un juron.

— On sait quand il est là, ça n’arrête pas. Mauvais joueur, mauvais perdant.

— Il n’a pas pu emprunter votre voiture ?

— Je n’en ai plus !

— Pourtant les traces dans le chemin d’accès sont bien marquées.

— Ma sœur vient me chercher pour aller faire les courses au Guilvinec ou à Pont-l’Abbé.

— Et votre fils, comment fait-il lorsqu’il veut sortir ? interroge Jérémy Brossard en coupant un sucre en deux.

— Un copain vient le chercher de temps en temps, ils partent le vendredi dans l’après-midi et font la tournée des bars jusqu’au dimanche soir.

— Lui non plus n’a pas de véhicule ?

Un nouveau rugissement répond à la question tandis que la mère secoue négativement la tête.

— Avant, nous avions chacun la nôtre lorsque nous habitions à Brest, j’ai vendu pas mal de choses lorsque nous sommes venus ici ! réplique d’une voix lasse Mauricette.

Elle porte le verre à ses lèvres avale son café à petites gorgées, marque une pause et reprend :

— J’étais nourrice agréée, je gardais trois enfants ; parfois pendant les vacances, je dépannais les parents et prenais aussi les grandes sœurs ou les grands frères que j’avais gardés avant qu’ils n’aillent à l’école. Loïc connaissait ces petites filles depuis qu’elles étaient bébés, il a fallu qu’il s’en prenne à elles et à d’autres avant. Cela durait depuis plus de cinq ans… Je n’avais rien vu. Ce sont les parents qui ont alerté la police !

Sa voix se brise, ses yeux secs fixent une tache sur la toile cirée :

— Je n’ai pas pu rester chez moi, les voisins m’insultaient, je n’avais rien fait pourtant, c’était lui ! J’ai réussi à vendre ma maison et je suis venue habiter chez ma mère, elle est morte le mois dernier. Quand il est sorti de prison, il a rappliqué ici.

— Il ne se déplace pas à vélo ? insinue l’adjudant-chef qui a remarqué des traces fines dans les ornières.

— Lui, il est bien trop fier pour cela ! répond la femme en haussant les épaules. Ou trop fainéant. Pourquoi, vous voulez le voir, ce vélo ? Je le prends pour aller au bourg à la médiathèque ou chercher le pain.

— Vous êtes abonnée à celle de Plobannalec ?

— C’est l’abonnement de ma mère ; cela fait un moment qu’elle ne lisait plus à cause de ses yeux, je lui faisais la lecture pour passer le temps.

— Wouah ! Korrig, Korrig, tue-le ! hurle Loïc, en tapant du pied sur le plancher de sa chambre.

— C’est son pseudo ! commente Mauricette en secouant la tête.

— Vous ne jouez pas ? s’enquiert Francis Robineau.

Ses yeux vides le fixent.

— À ces jeux de sauvages, non. Je ne m’amuse plus depuis bien longtemps, depuis que je ne garde plus mes petites…

En quittant la maison, les deux hommes se dirigent vers l’appentis adossé à la vieille grange entre le poulailler et le clapier ; un vieux vélo attend qu’on veuille bien le faire rouler, des sacoches pendent de chaque côté du porte-bagages.

Les gendarmes repartent sur le chemin cabossé.

— Clash Royale, tu connais ?

Francis roule doucement et essaie d’éviter les ornières.

— Tu devrais te mettre au jeu vidéo ; tu pourrais jouer avec tes fils ! lance Jérémy.

— Foot et courses de voitures, je te bats quand tu veux ! s’exclame son collège. C’est déjà pas mal, alors, Clash Royale, non merci !

— Un jeu basé sur des duels multijoueurs dont le but est de détruire les tours ennemies ; la partie se termine lorsque la tour centrale du roi est détruite. Le niveau d’expérience maximum est de treize, notre Korrig est au niveau douze. En cherchant un peu, on devrait réussir à savoir avec quel partenaire il jouait mercredi soir et s’il était bien chez lui.

— En attendant, Manon a sans doute ajouté quelques noms à la liste de nos déglingués du caleçon ! soupire Francis. As-tu remarqué ? Mauricette Le Moan est abonnée à la médiathèque de Plobannalec. Zoé y était avec sa copine mercredi après-midi.

Pendant ce temps, les policiers quimpérois ont repris les dossiers des délinquants sexuels et orientent leurs recherches dans le secteur compris entre Quimper et Pont-l’Abbé.

*

Vendredi 25 novembre, Plobannalec.

La pluie tombe sur le Cap Caval depuis cette nuit, une petite pluie fine et pénétrante, un vrai crachin bien breton. À Ménez Bris, Mona, postée derrière la baie vitrée de son salon, attend l’arrivée des gendarmes. La femme qui l’a contactée hier dans la soirée souhaitait aborder avec elle le thème du concours de nouvelles.

— Ho là ! s’était écrié Yvon, son mari alors qu’ils passaient à table, je ne suis pas coupable ! Zoé, l’homme en noir, le VTT, la médiathèque, tu ne trouves pas que je cumule trop de casseroles. Et mercredi soir, tu étais seule à la maison, je ne suis rentré qu’après vingt heures trente.

— Il vaudrait mieux que tu restes là demain matin, tu ne crois pas ?

Mona, patiente, les gendarmes sont ponctuels. La jeune retraitée, brune, de taille moyenne, potelée, a branché son appareil photo sur l’ordinateur et fait défiler les derniers clichés qu’elle a pris sur les rochers, elle laisse son esprit vagabonder. Yvon bricole au sous-sol, elle entend la perceuse. Quelques minutes avant dix heures, une voiture se gare sur le délaissé de route, une jeune femme en sort et avance d’un pas décidé vers la maison, elle n’a pas le temps de sonner, la porte s’ouvre.

— Zoé ? interroge Mona après les présentations rapides.

— Effectivement. Je peux vous demander comment le thème des Nouvelles sous la Plume a été choisi ? s’enquiert directement Manon Tanneau.

— J’ai voulu faire un clin d’œil à Yvon, mon mari, pour les dix ans de ce concours. Il fait du vélo depuis qu’il est jeune, il pédale, c’est avant tout un baliseur, il découvre les sentiers, ouvre les voies, je crois que vous le savez, vous vous croisez de temps en temps et depuis qu’il ne travaille plus, il encadre l’activité vélo organisée par Justine Rivalin, l’enseignante des CM2 de l’école primaire. Je peux l’appeler, si vous le souhaitez, il est en bas, il vous attend, lui aussi.

Mona hèle Yvon qui vient rejoindre les deux femmes. Si les cheveux blancs en bataille sont au rendez-vous, l’œil habituellement rieur et la moustache frétillante s’inscrivent aujourd’hui sur un visage grave :

— Comment fait-on aujourd’hui, on se dit « tu » ou « vous » ? questionne gauchement le mari.

— Comme d’habitude, si « tu » me dis tout ! répond du tac au tac le brigadier.

La conversation reprend là où les deux femmes s’étaient arrêtées.

— Alors, tu connais Zoé pour avoir mené son groupe l’année scolaire passée ?

— Depuis bien plus longtemps que ça, en réalité ! coupe Mona. Sa grand-mère est abonnée à la médiathèque depuis de nombreuses années, elle y emmène ses petites filles lorsqu’elle les garde. Les gamines sont des habituées. Elles ont leurs auteurs préférés, leurs albums favoris, leur coin de prédilection. Zoé et sa copine Océane étaient présentes mercredi en début d’après-midi, elles ont choisi leurs romans rapidement, ensuite elles sont restées papoter dans la salle de lecture.

— De quoi ont-elles parlé ?

— Je serais incapable de vous le dire ! répond Mona. Des copines, de leurs profs, elles riaient beaucoup. Cela n’a pas plu à Jannick, qui était de permanence, elle est intervenue à plusieurs reprises. Les filles sont alors sorties sur le parking et ont continué leur échange un bon moment avant de reprendre leur vélo. Elles devaient goûter chez Océane, ensuite Zoé serait rentrée chez elle par la route, c’est ce qui était convenu avec Thérèse, sa grand-mère et ses parents, et Jannick a bien insisté sur ce point « par la route, pas par les petits chemins ».

— Pourquoi, elles ne connaissent pas les sentiers ?

— Nous en avons parcouru plusieurs avec la classe ! réplique Yvon, Zoé connaît bien le parcours qu’elle a emprunté l’autre soir, elle l’a fait plusieurs fois.

— Avec toi ? s’enquiert Manon.

— Avec moi, avec ses copines, sa famille, seule aussi. Depuis qu’elles sont en sixième, au lieu de passer par la route, ces demoiselles, elle et les autres, jouent à se faire peur. « T’es pas cap », « dégonflée », « si tu ne le fais pas… », il suffit de tendre l’oreille dans les groupes ou de lire les messages qu’elles se transmettent.

Mona se tourne vers son époux, étonnée :

— Comment sais-tu ça ?

Yvon hausse les épaules :

— J’écoute et j’en entends de bonnes durant les séances VTT. Les plus jeunes racontent les exploits des aînés, les filles sont plus enclines à ces jeux, les garçons sont portés sur les défis foot ou saut du bout de la jetée au Guil’. Je sais qu’il m’arrive de croiser ces gamines qui sortent comme des dératées des chemins à des heures avancées où je ne vais pas moi-même.

— Pourtant tu les vois !

— Je les aperçois, serait plus exact. Je n’ai plus de défi à relever, je reste sagement sur les routes, j’évite de prendre mon vélo la nuit tombée, les cyclistes ne sont pas suffisamment visibles malgré notre gilet jaune et les voitures roulent de plus en plus vite !

— Et l’homme en noir du concours ? relance Manon.

Mona s’affaisse dans le canapé :

— Sans faire de jeu de mots, un mauvais concours de circonstances. L’homme en noir n’est pas identifié à dessein, pour laisser libre cours à l’imagination des auteurs. Le clocher, au fil des chemins, se cache derrière les talus, apparaît et disparaît entre les arbres ; plusieurs chapelles se dissimulent ainsi dans la campagne, Saint-Fiacre, Saint-Trémeur, pour ne citer qu’elles… J’ai mis en ligne le thème du concours sur le site de la médiathèque depuis juillet, faut-il l’annuler ?

D’habitude souriante, Mona accuse le coup : Zoé, la lauréate du dernier concours, victime d’un texte trop réaliste !

— Ce n’est pas de votre faute ! souligne le brigadier. L’homme qui a fait ça prend le temps d’observer ses victimes, Zoé ou une autre gamine, il serait passé à l’acte tôt ou tard.

— Ce n’est pas tout, il vaut mieux que je te le dise tout de suite, mercredi soir je suis rentré après la nuit tombée ! précise Yvon en tirant sur les poils de sa moustache. Le VTT sur le porte-vélo, j’ai un… alibi, tu pourras le vérifier.

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Mardi 29 novembre.

Après concertation avec les deux équipes chargées de l’enquête, le portrait-robot de l’agresseur a été transmis aux journaux locaux, Le Télégramme et Ouest-France. Les témoins sont invités à appeler la gendarmerie du Guilvinec ou le COG1 à Quimper.

Les coups de téléphone nombreux, parfois précis, souvent farfelus, affluent. L’homme en noir, sur son vélo noir est signalé sur toutes les voies vertes, du Guilvinec à Roscoff, de Penmarc’h à Rennes quand ce n’est pas au-delà des marches de Bretagne. Un long travail de vérification commence.

1 COG : Centre Opérationnel de Gendarmerie.