Faux-Semblants à Moëlan-sur-Mer - Elisabeth Mignon - E-Book

Faux-Semblants à Moëlan-sur-Mer E-Book

Elisabeth Mignon

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Beschreibung

Aëlle Lévénez, la journaliste, et Stéphanie Ollier, la légiste, accompagnées de Morgane Le Métayer, professeure des écoles, se retrouvent à Moëlan- sur-Mer pour passer une semaine de vacances au calme. C’est compter sans la facilité avec laquelle la journaliste attire les ennuis.

Entre Kerancordonner, la ria de Merrien et celle de Brigneau, les amies vont enquêter au sein de la complosphère sur la mort non résolue d’un adolescent, survenue deux ans plus tôt en Centre Finistère. Pour ne rien arranger, elles devront composer avec des conspirationnistes installés dans la commune et des voisins presque tranquilles.

Entre un stage de survie et la rencontre d’une septuagénaire originale, joueuse de golf, les trois femmes découvriront-elles la vérité ?


À PROPOS DE L'AUTEURE

Elisabeth Mignon est née à Quimper, ville où elle réside depuis toujours. Après des études en Sciences Humaines, elle exerce pendant de nombreuses années en tant que gestionnaire administrative dans des établissements scolaires.

A la suite d’un accident de parcours professionnel, elle passe à l’écriture, encouragée et soutenue, dans cette nouvelle voie, par ses amis « pousse-au-crime ». Passionnée d’histoire locale, ses personnages, tour à tour sucré ou salé, parfois mielleux ou pimentés, toujours au caractère bien trempé, prennent vie dans des lieux familiers tandis que le polar s’installe sur les pages de son écran. Ses policiers, personnages récurrents, doivent démêler des intrigues où les nuances de gris grippent les rouages de l’enquête.

Elle est membre du collectif d’auteurs « L’Assassin Habite Dans Le 29 » depuis sa création.

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Couverture

Page de titre

REMERCIEMENTS

À mes complices,

Annie, pour son menhir,

Georges, pour son club et sa balle de golf,

Christophe, pour ses conseils,

Sylvie pour sa lecture attentive,

Françoise pour sa présence,

Et Stéphane Jaffrézic.

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

PROLOGUE

Monts d’Arrée, mont Saint-Michel de Brasparts, février 2019, milieu de la nuit

La nuit est épaisse, noire. Impossible de savoir depuis combien de temps elle est tombée et dans combien de temps le jour se lèvera. Il a quitté la lande, plus bas, et le sol spongieux ; pas question de dormir sous les branches montées à la va-vite qui ne protègent ni du froid ni de l’humidité malgré les brassées de feuilles qu’il a déversées dessus, comme le “Chef” lui a appris. C’est la cinquième nuit après la cinquième journée passée à crapahuter entre la forêt, les rives du lac et les terres mal accueillantes. Tiraillé par la fatigue et la faim, l’homme n’en peut plus. Il veut rentrer chez lui, retrouver sa maison, son lit. Plus qu’une journée, une nuit et encore un jour à tenir.

Pour les autres, c’est à peine une promenade de santé, un parcours sans difficulté. Ils sont jeunes, sportifs, habitués à se faire mal. Pas lui. Pourquoi s’est-il engagé dans ce stage stupide ? Se surpasser ? Prouver aux autres et à lui-même qu’il vaut plus que l’image falote qu’il donne ?

Des pas glissent sur les rochers, tout près. Il tend l’oreille. Plus rien. Le visiteur s’est arrêté, lui aussi aux aguets, le souffle court. Il pousse la porte, elle résiste. Il ne sait pas que l’occupant l’a bloquée avec une pierre. La lune n’est pas au rendez-vous. Les pas s’éloignent. Un bruit de chute suivi d’un cri long qui refuse de s’arrêter. Un appel au secours.

L’homme se concentre sur lui, le froid qui ne le quitte pas, la faim qui lui vrille les tripes. « Seuls les plus forts survivront », insiste le Chef. Vous êtes de cette race, je suis là pour vous apprendre. »

Il respire profondément dans son refuge précaire et humide qu’il refuse de quitter, où le vent s’infiltre partout. Ne pas écouter les cris. Ne pas entendre les demandes d’aide. Les râles ont cessé. La nuit est moins profonde. Pierre-Louis s’est-il assoupi, vaincu par les démons qui le cernent ? Dès qu’il fera plus clair, il se lèvera et cherchera le Chef. Il lui dira ce qu’il pense de ses méthodes. Il quittera ce fichu stage. « Trop fragile », l’a jugé un des membres ; « pas motivé », a déclaré un autre ; « à la ramasse », a lancé un troisième. Il n’aurait pas dû se lancer dans cette aventure qui ne lui correspond pas.

Pierre-Louis sort de son gîte. Il se redresse, étire ses membres endoloris, pose les mains sur ses hanches et exécute quelques mouvements du bassin. Il se retourne et observe la chapelle Saint-Michel. Son abri nocturne est plus accueillant que la cabane où il a passé les dernières nuits. Il pose les yeux sur le réservoir plus loin, il va retourner au camp et affronter le Chef et aussi se retrouver face à face avec elle. Les cris de la nuit résonnent dans son esprit quand il découvre son visiteur écrasé sur les rochers en contrebas.

I

Moëlan-sur-Mer, La Ferme, entre la ria de Brigneau et la ria de Merrien, lundi 11 avril 2022, dans la matinée

L’homme range sa voiture sous la grange. Une dizaine de véhicules y stationne déjà. C’est sans doute la sienne la plus récente, les autres affichent d’anciennes plaques, ou des carrosseries cabossées, rayées, synonymes de vie ou de parcours bien remplis. Une femme sort de la maison voisine et l’interpelle :

— Yvan, c’est bien cela ?

Il acquiesce d’un signe de tête.

— Ici, pas de noms, que des prénoms, si c’est le tien, tu peux encore en changer.

Il hausse les épaules. Il connaît les usages et s’est inscrit à ce stage sous un pseudo.

— Moi, c’est Anieta. Tu es le dernier, les autres sont déjà arrivés. On t’attendait pour commencer.

La quinquagénaire mène l’arrivant dans la cour intérieure de la ferme. Un homme parle devant une petite assemblée. La femme s’éclipse. Ils sont dix, onze avec celui qui semble être le meneur. Il lui adresse un signe de tête en guise de salut.

Dimitri Breuil se présente. Ancien militaire, il propose des séjours extrêmes depuis plus de dix ans. Après les Pyrénées et le Centre Bretagne, il s’est installé sur les terres familiales dès le premier confinement. Un choix qu’il ne regrette pas. Ici pas de racaille, ni d’en haut ni d’en bas. Il est paysan, père de famille, français. Il se dit non fasciste, mais son discours est xénophobe, comme dans les vidéos où il développe ses idées. Pendant plus d’une heure, Breuil évoque son idée de pratiquer un certain nombre de savoir-faire et de retrouver des connaissances de base perdues dans un monde qui devient de plus en plus obsolète. Très rapidement, le Chef, comme il se fait appeler, scrute son téléphone. Il a vu des stagiaires avec des écouteurs, des smartphones ou des portables. Il leur demande de les éteindre. Il a peur des ondes, il craint d’être écouté et espionné.

Puis Breuil invite les stagiaires à se présenter. Dix hommes. Leurs profils sont variés, un ancien militaire, un professeur de SVT*, un infirmier qui a quitté son poste en plein confinement, un étudiant en informatique, un voyageur au RSA depuis dix ans, un chauffeur de bus, un cadre de la fonction publique, un facteur, un commerçant, un bibliothécaire.

— Certains d’entre vous n’ont jamais participé à une expérience de ce type. En passant l’entrée de La Ferme, vous devenez les apprentis de votre nouvelle vie.

* Sciences et vie de la terre.

II

Entre Concarneau et Moëlan-sur-Mer, lundi 11 avril 2022

En début de matinée, Stéphanie Ollier, le médecin légiste, rejoint Morgane à Mousterlin. La compagne de Christophe Guillou et l’épouse d’Erwann Le Métayer profitent de l’absence du premier pour passer quelques jours ensemble. Les deux femmes ont décidé de prendre leur temps pour arriver à Moëlan-sur-Mer, où elles retrouveront leur amie Aëlle Lévénez* dans la soirée.

La première étape du périple mène les aventurières à Concarneau. Stéphanie en profite pour s’arrêter à la librairie “Le Livre et La Plume”. Les nouveaux propriétaires se tiennent place des Halles, devant la vitrine qui a volé en éclats durant la nuit.

— Vraisemblablement éclatée par une balle de golf, précise un collègue des OPJ quimpérois que Stéphanie salue.

Le lieutenant tend un sac à scellés où l’objet est soigneusement rangé après avoir été ramassé près d’un bac à fleurs face au magasin.

— Ce n’est pas la première fois que des joueurs de street-golf sont signalés en deuxième partie de nuit, lorsque les rues sont moins fréquentées. D’habitude, ils sont plus habiles et évitent les vitrines.

Tandis que Stéphanie échange avec le policier, Morgane choisit revues et romans à l’intérieur de la libraire.

Ensuite, elles se rendent dans le quartier de Lanriec, où la statue de Duquesne surveille le chenal face à la Ville Close. Le Vachic, le bac électrique, semble les attendre, et elles se retrouvent rapidement au pied des remparts. Elles déambulent dans les rues et sur la place Saint-Guénolé avant de se diriger sur le chemin de ronde ; les touristes ne sont pas encore présents, elles sont seules. La pointe du Cabellou est à peine visible dans la brume. Morgane propose de s’y rendre, cela fait longtemps qu’elle n’a pas vu cette partie du littoral.

Elles laissent la voiture sur le parking du fort et se promènent sur les blockhaus construits lors de la Seconde Guerre mondiale avant d’atteindre le fort érigé par Vauban en 1746. Morgane grimpe les marches menant au toit de l’édifice en granit, et prend des photos.

Mein Zao* marque le troisième arrêt qu’elles s’accordent, une nouvelle étape au faux air de carte postale. Névez où les chaumières de Kerascoët et de Kercanic annoncent une rencontre avec Monsieur Cinéma. Morgane cherche la maison de Pierre Tchernia, Stéphanie la tombe de l’animateur-présentateur télé. Chacune ses références.

— En septembre dernier, nous avons perdu un temps fou à chercher une place de stationnement. Finalement, nous avons renoncé à visiter le village, avance Morgane, se rappelant le week-end passé avec Erwann pas très loin de là. Monsieur Cinéma est le nom donné à Pierre Tchernia, qui possédait une chaumière à Névez. Il a été enterré dans le cimetière de la commune en 2016. Faut-il chercher sa maison ou sa tombe ?

— J’aurais dit sa tombe où sa maison, réplique la passagère.

— C’est une question de point de vue. Je vois l’homme, tu vois le mort. Chacune sa spécialité. Monsieur Cinéma était un pionnier du petit écran. Il présentait l’émission de télévision du même nom. Une époque révolue. Il a animé un tas d’autres programmes. Scénariste pour le cinéma, maître de cérémonie, commentateur pour des directs, il a aussi fait quelques apparitions dans des longs métrages. Il était ami d’Uderzo, qui l’a caricaturé dans Astérix. Une belle carrière.

— Cimetière ? tranche la légiste, alors que Morgane passe le panneau indiquant la localité. Je penche pour la première solution. Nous restons dans la demeure de granit.

— Allons du côté des chaumières. Aëlle est aussi glauque que toi, elle aurait certainement approuvé ta réponse. Kerascoët ou Kercanic ? Kercanic ! décide la pilote.

Quelques minutes plus tard, les deux femmes déambulent dans les rues du village. Presque toutes les chaumières sont fermées en cette saison. Un nouveau décor de carte postale avec ses maisons à toit de chaume, les fenêtres colorées et les jardins où les fleurs commencent à s’épanouir. Un groupe de marcheurs arrive à allure presque forcée vers le duo. Sweats attachés autour de la taille, bonnets, grosses chaussures, sacs à dos et bâtons de marche. Un chapelet de « bonjour » s’égrène sur leur passage. Stéphanie hèle l’homme qui ferme la marche, un peu en arrière des autres.

— Oui, c’est ici, répond celui-ci à la question de la curieuse. Une de ces maisons. Avant, personne ne vous aurait donné son adresse exacte ; il venait pour se reposer loin du stress de sa vie parisienne mais vous auriez pu l’apercevoir dans son jardin lorsqu’il était encore de ce monde.

Le septuagénaire sourit largement. D’un geste vague, il désigne la rue, sa canne dessinant un grand cercle. Il regarde le bout de la route, où ses copains disparaissent, il agite son bâton au-dessus de sa tête et presse le pas.

Le bruit d’un moteur de tondeuse à gazon qui démarre les attire une dizaine de mètres plus loin. Un couple s’active dans un jardin. À peine lancé, l’engin s’étouffe. Le monsieur râle, l’herbe est très haute et encore humide. Stéphanie engage la conversation avec la dame, proche de la clôture. Pierre Tchernia, oui, les anciens savent où se situe sa maison. Dans le village, on l’imagine encore coupant les fleurs fanées de son vieux rosier, quelque part de ce côté-là. Le geste est aussi évasif que celui du randonneur et les oriente à l’opposé. La retraitée parle du personnage de télévision comme si elle l’avait connu personnellement. Un monsieur si gentil, tombé amoureux du pays, et qui avait eu un coup de foudre pour sa maison, une ancienne ferme alors sans véritable caractère, à l’inverse des autres chaumières.

Le jardinier a enlevé l’herbe qui asphyxiait le moteur de sa tondeuse. Il vide le panier déjà plein dans un grand sac et relance la machine. Son épouse hausse la voix pour se faire entendre. « Le cimetière, pense la légiste. On ne va pas traîner ici, on ne trouvera rien. » Stéphanie a perdu le fil de la conversation.

— Monsieur Cinéma avait découvert notre coin grâce à Benoîte Groult*, qui vivait alors à Kercanic, continue la commère. Je pourrais vous parler longuement de ces personnes exceptionnelles qui ont marqué la seconde moitié du siècle dernier.

L’octogénaire remonte les lunettes qui ont glissé sur le bout de son nez. Son mari l’appelle, elle ne semble pas décidée à le rejoindre, elle s’appuie sur le bord du mur et raconte les anecdotes qui ont marqué le village. Elle est intarissable. Son prénom retentit, elle rit.

— Il ne sait rien faire de ses mains, il a besoin de moi.

Elle s’excuse et tourne les talons à regret, laissant ses interlocutrices médusées. Elle rejoint le jardinier à la peine.

— Une instit’ vieille école, constate Morgane. Elle nous aurait entretenues toute la matinée si son bonhomme n’avait pas insisté pour qu’elle le rejoigne. Tu as entendu la façon dont elle parle des Pierres debout et des chaumières ? Quant aux personnages qui ont fréquenté les lieux, elle en sait plus qu’elle ne le dit.

Elles regagnent leur véhicule tout en profitant du lieu. Stéphanie ralentit le pas ; ce n’est que quelques mètres plus loin que Morgane s’en rend compte et modère son allure. Il va falloir qu’elle adapte son rythme à celui plus lent de son amie.

— Pause déjeuner avant de crapahuter sur les sentiers, annonce la légiste. J’ai un petit coup de barre.

— Port Manec’h, déclare la professeure des écoles. Les cabines de baigneurs blanches sont un peu l’emblème de la station balnéaire. Elles datent du début du siècle précédent, un des grands lieux de la villégiature de la Belle Époque…

— Après un arrêt recommandé, j’ai une furieuse envie d’une crêpe au chocolat. Tu nous trouves un endroit sympa ?

Les établissements hôteliers ont ouvert pour ces vacances de printemps, le duo cherche à aller au plus près de la plage. Aëlle les attend vers 17 h 30 ; aussi, elles ne se pressent pas et profitent du soleil en terrasse. Après une copieuse galette complète, la crêpe au chocolat arrive enfin devant Stéphanie, qui la déguste des yeux.

— Je ferais bien ma gourmande, mais restons raisonnables, je sais résister à la tentation d’une seconde crêpe dessert, dit la légiste à regret sous l’œil amusé de sa comparse.

Les deux femmes passent devant les palmiers qui marquent l’entrée de la plage de Port Manec’h. Des touristes se promènent déjà sur le sable blanc. Elles se promettent de revenir marcher le long de l’Aven avec leur amie.

— Les cabines ont un petit côté désuet pittoresque. Tu sais que nous sommes toujours sur le GR34 ? avance Morgane. Le sentier des douaniers qui part de la baie du mont Saint-Michel et atteint Saint-Nazaire.

— Plus de deux mille kilomètres de côtes, répond Stéphanie. Chemin qui passe pas loin de chez Aëlle et sur lequel nous avons couru ensemble dans la baie de La Forêt-Fouesnant cela fait quelques mois déjà. Christophe et Erwann ont eu l’occasion de mener leurs enquêtes dans la baie de Douarnenez pendant le confinement puis à l’automne dernier à Plozévet*.

— Tu sais ce qu’a fait Aëlle ces derniers temps ? demande Morgane.

— Elle rentre d’Europe de l’Est, nous en saurons un peu plus ce soir, elle a été évasive au téléphone.

— La situation des réfugiés ukrainiens. C’est sans doute ce qui l’a attirée là-bas.

— J’espère que ce n’est pas en Ukraine ou en Russie, soupire Stéphanie. Avec elle, il faut s’attendre à tout. Elle va décompresser. Elle est rentrée la semaine dernière, elle a juste eu le temps de poser ses valises. Je lui ai proposé de passer la prendre, elle a refusé, elle devait vérifier des informations pour son article.

— Nous ferons ce qu’il faut pour lui changer les idées. Là où nous allons, il ne se passe rien. Tu verras, j’ai loué là où nous étions, Erwann et moi. Les propriétaires sont sympas et discrets. Le couple tenait une boulangerie, lui au fournil, elle dans la boutique, ils ont pris leur retraite en début d’année.

Il est un peu tôt pour gagner le gîte. Morgane prend la direction de l’île Percée :

— Tu veux bien vérifier les horaires des marées ?

— Aujourd’hui, basse mer à 15 h 07, pleine mer à 20 h 48. Cela nous laisse une bonne marge de manœuvre. Il est à peine 16 h 30. Et s’il faut mettre les pieds dans l’eau, pour aller sur ton île, tu t’y colles toute seule, s’empresse de préciser Stéphanie.

— Nos hôtes et les gens du coin ont été incapables de me dire d’où l’île Percée tenait son nom, avance Morgane. Cela restera sans doute encore un mystère.

Le soleil bas sur l’horizon en cette saison se reflète sur la mer, obligeant les deux femmes à chausser leurs lunettes de soleil. Arrivées plage de Trenez, elles observent l’îlot à une cinquantaine de mètres du rivage. Le gué qui le relie à la terre ferme est à peine dégagé.

Les exploratrices enfilent leurs bottes et se dirigent vers les rochers. Stéphanie reste sur le sable, tandis que Morgane évite galets et algues et marche vers l’île.

Stéphanie se retourne et scrute la falaise, Aëlle ne les observerait-elle pas ? La silhouette à la polaire marine près du parking ou plus haut celle au ciré jaune ? Elle se laisse distraire par deux hommes qui escaladent la falaise. Le premier rapide, aérien, comme s’il connaissait les points d’appui sur un chemin invisible pour arriver sur le sentier là-haut, le second plus lourd, moins expérimenté, à la peine. Celui-ci reste planté à mi-chemin. Le premier redescend vers lui. Conseils, encouragements, réprimandes ? Stéphanie n’entend pas. Le plus petit reprend sa progression lente, suivi de près par le meneur, qui ne le quitte plus.

Morgane vient de prendre pied sur l’île, elle fait signe à son amie et disparaît entre deux rochers. La légiste s’assied. De temps à autre, Morgane apparaît sur le plateau. Des promeneurs l’ont rejointe. Des parents accompagnent des gamins armés de seaux de plage et de haveneaux. Ils traquent les petits crabes et les crevettes dans les flaques d’eau.

— Le passage du gué est plutôt sportif, non ? demande Stéphanie quand sa comparse revient sur le sable.

— Un peu glissant, effectivement, mais, en faisant attention, ça passe. Je crois que j’ai pris l’eau malgré tout.

— J’irais bien récolter des pommes de terre ! lance Stéphanie.

— Un peu tôt pour la saison. Il faut les planter avant de les récolter.

— J’ai vu un reportage à la fin de l’année passée sur les potagers du bord de mer. Pendant que tu crapahutais, j’ai interrogé des gens d’ici. Les ficelles sont un peu plus haut sur la route. Nous sommes passées presque devant ces terrains tout en longueur et très étroits, inconstructibles et parfois inaccessibles car coincés entre d’autres ficelles, ou entre deux champs ou des lopins de terres à peine plus grands. Des biens fonciers morcelés par les héritages. Et j’ai compris qu’il y en a d’autres plus près de la falaise.

Stéphanie se relève difficilement, elle s’appuie sur sa copine, qui retire ses bottes et change chaussettes et pantalon trempés.

Les filles reprennent la route. Morgane tourne dans une voie sur la droite et s’enfonce dans un chemin où deux voitures ne se croisent pas.

— Un peu perdu, ton bout de terre, lâche Stéphanie. Nous sommes passées devant la ferme en allant à l’île Percée ; là, tu nous mènes au milieu de nulle part.

— Sur l’unique ficelle où l’on découvrira une cabane et un menhir, précise Morgane en s’arrêtant dans l’entrée d’un champ.

Les filles font le tour du cabanon fermé. La construction rudimentaire, en bois, n’est pas récente et semble près de s’écrouler au premier assaut du vent. Un rideau à carreaux rouge et blanc, propre, posé sur la fenêtre, masque l’intérieur.

— Il ne reste plus qu’à espérer que l’on ne dorme pas là ce soir, plaisante la légiste, une main sur la poignée de la porte.

Le battant résiste.

— Vœu exaucé !

Elles se dirigent vers le menhir en contournant la parcelle cultivée, marchant sur l’herbe. Une haie d’aubépine masque la mer, toute proche cependant. Des marcheurs parlent sur le sentier douanier, elles ne les voient pas. Elles sont devant la pierre dressée. Morgane ramasse une balle de golf et la fait rouler entre ses mains.

— Ne me dis pas que nous allons croiser tes parents*, dit-elle en observant son amie. Tu as des nouvelles ?

— Je les ai appelés pour les fêtes de fin d’année. Cela s’est bien passé. Je les ai invités, trois fois, je voulais leur présenter Christophe. Ils ne sont pas disponibles, entre un voyage à l’étranger, un séjour chez des amis du côté de Marseille, une partie de golf en Écosse… Qu’ils vivent leur vie !

La professeure des écoles n’insiste pas. Elle sait le sujet épineux. Les relations entre Stéphanie et ses parents, sans être tendues, sont restées froides depuis que la jeune femme a refusé d’épouser le fils de leurs amis, une dizaine d’années plus tôt.

— Ils t’ont parlé du mariage raté de ton ex ?

— Toute en retenue et avec un petit air pincé que je devinais derrière son téléphone, Maman a admis qu’il n’était pas fréquentable et a loué la clairvoyance qui a permis à cette pauvre fille de dire non devant l’édile municipal.

— Tu as un peu aidé cette perspicacité. Elle ne t’a pas dit qu’elle t’avait entraperçue sur la place de la mairie ?

— Je crois que cette cérémonie l’a traumatisée, ainsi que papa. Ils n’ont évoqué cet épisode qu’à une seule occasion et ont clos le sujet.

Elles reviennent sur leurs pas. De l’autre côté du chemin, au bout du champ, sur une ficelle entre deux parcelles cultivées, une femme s’entraîne au golf. Les filles ne peuvent pas suivre les conversations mais les discussions semblent cordiales. Les maraîchers ne se sentent pas agressés par le jeu ou l’attitude de l’excentrique. Un « aux abris » retentit. Les exploitants se redressent et se tournent vers la joueuse et un de leurs collègues qui se place à ses côtés. Il tape la balle, qui s’élève à peine et va s’écraser mollement sur la parcelle à gauche sous les sifflets des observateurs. Le jeune rend le club à sa propriétaire, s’incline devant elle et file sur sa parcelle. La joueuse tape trois balles, qui suivent une trajectoire impeccable. L’apprenti golfeur revient avec des poireaux et les lui tend. Une jeune femme arrive, enlève sa polaire, entame des mouvements d’assouplissement, des bras et des jambes, qui font rire la golfeuse. Elle positionne ses pieds au sol, ses mains sur le club. Concentration, inspiration, expiration, la balle s’élève et va mourir sur la parcelle de droite. La joueuse occasionnelle pose les mains sur les hanches et observe sa défaite. Elle s’en va, revient rapidement et dépose un chou-fleur près des poireaux.

— Elle triche, constate Stéphanie. C’est une façon originale de faire son marché. Les perdants la fournissent en légumes frais.

— Comment vois-tu qu’elle triche ? Nous sommes loin.

— La trajectoire des balles. Ce sont des balles farce, en plastique vide, elles sont incontrôlables. En revanche, lorsqu’elle joue, elle utilise de vraies balles. C’est une blague de golfeur.

*

Moëlan-sur-Mer, La Ferme, entre la ria de Brigneau et la ria de Merrien, lundi 11 avril 2022, soirée

Dimitri Breuil consulte sa montre. La nuit est tombée. En milieu d’après-midi, il a expliqué les techniques de construction de cabane à ses aventuriers. Il leur a laissé carte blanche pour la première nuit qu’ils vont passer dehors. Les dix apprentis doivent monter leur abri, seuls, ils n’ont qu’une hache et un couteau pour toute aide. Les champs et le bois autour de la ferme couvrent une belle surface. Chacun pour soi, ils doivent se débrouiller. Le Chef se glisse entre les troncs et reste à l’orée du bois. Il connaît les moindres recoins ; les sentiers et les arbres n’ont plus aucun secret pour lui. La nuit est claire et calme. Du tas de bois empilé sans logique réelle à la couche sur la mousse près d’un tronc creux sans protection sur la tête, il sait où les stagiaires cherchent à trouver un peu de confort pour la nuit. D’une session à l’autre, les réflexes sont identiques. Combien tireront leur épingle du jeu pour cette première nuit ? Deux têtes se détachent du groupe, Marcel, l’ancien militaire et Gigi, qui remplace au pied levé un homme qui vient d’attraper la Covid. Le virus frappe encore.

Breuil n’aime pas les coteries mixtes, il les préfère masculines ou féminines, pas de risque de dérapage, pas d’histoire de sexe. C’est le troisième groupe d’hommes à se suivre. Le prochain sera composé de femmes.

Les dix sont partis dans des directions différentes. Parfois, ils ne sont pas trop éloignés les uns des autres et viennent donner ou prendre conseil. L’activité donne chaud, il faut se remuer pour trouver son emplacement et rassembler le bois. Marcel sait que dès qu’il s’arrêtera le froid le saisira. Ce froid lié à la faim – ils n’ont pas mangé ce soir –, la solitude et la nuit seront les ennemis à combattre pour trouver le sommeil. Le militaire a opté pour une cabane qui tient du tipi et de l’igloo. Une construction basse, étroite, une structure grossière faite de branches moyennes sur lesquelles il a déposé d’autres branches moins épaisses qu’il a recouvertes de feuilles mortes et de mousse. D’autres brassées de feuilles bien sèches lui serviront de matelas.

* Voir Ultime refuge à La Forêt-Fouesnant, même collection.

* Les Pierres debout.

* Journaliste, romancière et militante féministe (1920-2016).

* Voir Ultime refuge à La Forêt-Fouesnant, Silences sur la baie et Cauchemars à Plozévet, même collection.

* Voir Ultime refuge à La Forêt-Fouesnant, même collection.

III

Moëlan-sur-Mer, Enez Toull, lundi 11 avril 2022, soirée

— Heureusement, reprend Stéphanie, je ne serais pas très tranquille toute seule la nuit au milieu de ce champ.

Elle désigne, à l’autre extrémité de la ficelle, un homme en treillis ou en tenue de chasse qui pousse, sans plus de résultat qu’elles, la porte de l’abri de jardin.

— Visiblement, il ne possède pas la clé, il fait demi-tour. On peut y aller. Lorsque tu étais sur l’île Percée, deux types grimpaient à flanc de falaise. Ce ne devait pas être loin d’ici.

Les fausses aventurières scrutent les fourrés en repassant devant le cabanon.

— Des ronces et des aubépines, j’espère que sa tenue le protégeait convenablement. Il a disparu là-dedans, comme s’il connaissait le terrain, murmure Morgane.

Les filles filent en direction du gîte. La conductrice n’hésite pas, elle connaît les chemins. Une Honda gris métallisé lui coupe la route, malgré la priorité. Elle a eu le temps de piler pour éviter l’accident. Son accompagnatrice maugrée sur les octogénaires, et plus ou parfois moins, qui devraient réapprendre à conduire ou tout simplement accepter de lâcher le volant.

— À part un bandeau style léopard noué sur des cheveux orange, je n’ai pas vraiment vu le visage de l’écraseuse. Elle n’a peut-être pas plus de soixante-dix printemps, lâche celle qui relance le moteur. Sans faire de mauvais esprit, je dirais qu’elle a la tête que tu auras dans une quarantaine d’années… Regarde, là, plus loin dans le champ, Rambo. On dirait le type de tout à l’heure, tenue de chasse, allure similaire.

À peine entraperçue, la silhouette disparaît derrière un bouquet d’arbres. Plus loin, au détour d’un virage prononcé, un personnage vêtu à l’identique traverse la route au pas de course.

— Une femme, tranche Stéphanie, plus petite taille, corpulence plus fine. Le look campeur hors saison, pas pour moi.

Morgane s’engage sur une voie privée. Au bout d’une allée carrossable, un homme, la soixantaine finissante, et un gendarme sont en discussion près d’une voiture bleu marine. L’arrivée du duo met fin à la discussion. Le militaire salue les deux femmes d’un bref signe de tête. Il reconnaît la légiste et vient au-devant de celle-ci. La conversation s’engage.

— Quelques jours de vacances ? s’étonne celui qui porte l’uniforme. J’espère que vous profiterez pleinement de votre séjour.

Les protagonistes échangent des banalités et évoquent les charmes de la localité avant de se séparer.

— Une connaissance, indique Stéphanie au propriétaire des lieux, sans plus s’étendre sur leur relation.