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Léo, tout juste débarqué à Guéret en provenance d’Évry et père d’un fils de dix-sept ans, ressent une attirance irrésistible envers Myriam, mère d’une fille de seize ans. Tous deux sont lieutenants de gendarmerie et unissent leurs forces pour résoudre une sombre affaire impliquant un présumé tueur en série. Les crimes évoquent ceux qu’il a précédemment traités dans les Côtes-d’Armor, liés à la crise de la vache folle des années 1990, traumatisant un enfant d’éleveur ayant perdu son troupeau de manière tragique. Parviendront-ils à arrêter l’assassin ? Et sur le plan sentimental, trouveront-ils un dénouement heureux malgré les dangers qui les entourent ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Roger Vannier, enseignant à la retraite et ancien élu local, est un écrivain publié depuis 2009. Ses nombreux romans explorent des thèmes comme la justice, l’antiracisme et les valeurs humaines. "Traque à haut risque" constitue son treizième ouvrage.
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Roger Vannier
Traque à haut risque
Roman
© Lys Bleu Éditions – Roger Vannier
ISBN : 979-10-422-4112-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Il était environ 9 heures, ce vendredi 9 octobre 2020. Leur voiture roulait à vive allure. Ils avaient traversé une grande forêt, avaient retrouvé la pleine lumière et ils avançaient dans une zone très bocageuse. Léo Serval conduisait prudemment mais son esprit était ailleurs. La passagère, Myriam Mocrane, regardait devant elle. Ils avaient laissé Saint-Vaury derrière eux et ils continuaient vers La Souterraine. Seulement, il allait falloir ralentir, repérer la petite route qui menait au hameau du Pertuy, aller au-delà, et stopper devant la fermette d’où était venu l’appel.
Ils avaient quitté Guéret immédiatement après cette communication téléphonique qui ne leur avait donné que très peu de précisions. Léo pensait sans cesse à sa coéquipière qui restait silencieuse à ses côtés. Il ne pouvait pas s’empêcher de l’observer en coin. Il la connaissait à peine : il n’était arrivé qu’en début de semaine. Avec elle, qui avait été mutée depuis peu à la brigade de ce chef-lieu, il formait un binôme de « choc ». Elle était belle, aussi grande que lui, avec de longs cheveux bruns, un visage ferme et de larges yeux noirs. Depuis son arrivée à la caserne de gendarmerie Bongeot, Serval était troublé par cette femme admirable. Elle n’avait pas de fard, pas de bijoux, pas de vernis sur les ongles. Elle portait un blue-jean usagé et un blouson de cuir râpé : c’était une beauté naturelle. Peut-être était-ce cette simplicité qui lui plaisait ? Il y avait forcément de l’attirance dans l’air. « Quel âge peut-elle avoir ? 35, 36 ans ? Elle n’est certainement pas plus vieille que moi », pensa-t-il. Il était à tel point sous l’emprise des fantasmes de son cœur qu’il ne vit pas l’embranchement et le panneau qui indiquait la bonne direction.
Rien derrière ! Rien devant ! Il s’arrêta, recula et découvrit le panneau indicateur qu’il cherchait. Il emprunta donc la voie de gauche, traversa un tout petit village et s’arrêta enfin devant la maison qui ressemblait à celle qu’on leur avait décrite.
La dame, qui vint leur ouvrir, manifesta quelques secondes d’étonnement. Elle s’attendait à recevoir des gendarmes en uniforme et elle avait devant elle un homme et une femme en civil. Les présentations faites, elle les fit entrer.
― Alors, de quoi s’agit-il vraiment ? lui demanda Léo. Au téléphone, nous n’avons pas très bien compris.
― Ce pauvre garçon n’a pas su m’expliquer correctement. Il a dû voir quelque chose de grave car il est rentré tout affolé, tout tremblant. Il est allé au bois pour me ramener des champignons mais il est revenu avec le panier vide. Regardez-le ! Il s’est installé dans un coin et il n’a pas bougé depuis.
Au fond de la cuisine, un trisomique se balançait sur sa chaise. Il accompagnait ses mouvements d’un murmure à peine audible. Myriam demeurait sans réaction devant ce jeune homme qui lui paraissait sérieusement traumatisé. Léo se demandait comment il allait procéder pour le faire parler bien qu’il eut, dans le passé, à traiter des cas plus ou moins similaires.
Denise était la maîtresse de maison. Pendant que celle-ci continuait à exprimer ses sentiments, Léo prit un siège, s’assit près de lui et opta pour le silence. Progressivement, le balancement à ses côtés devint moins intense et les gémissements cessèrent. Il attendit, penché en avant, les coudes sur les cuisses, la tête entre les mains. Quelques minutes plus tard, il dit tout bas :
― Qu’as-tu vu dans le bois ?
Léo attendit la réponse qui ne vint pas. Alors, il ajouta :
― Tu sais, tu peux me parler. Je suis là pour t’aider et te protéger.
― Un pendu !
― Tu peux m’indiquer où c’est ?
Le jeune homme, qui attirait à lui toutes les bonnes intentions et qui s’appelait Cédric, resta muet. Tout son être semblait détaché de la réalité qui l’entourait : il était encore sous le choc.
― Tu ne quitteras pas la voiture. Tu nous montreras seulement le bois et la direction à prendre, dit encore Léo pour le rassurer.
― Écoute le monsieur et va avec eux. Tu n’as rien à craindre, lui conseilla Denise qui, jusque-là, s’était évertuée à raconter sa vie.
Cédric, pendant que sa mère était hospitalisée, vivait chez cette dernière : les deux femmes étaient des amies très proches. Enfant, il avait été choyé par elles, et il l’était encore aujourd’hui. Il était toujours prêt à rendre service. Il accomplissait de petits travaux tantôt chez l’une tantôt chez l’autre. Il savait se faire aimer.
La fermière, qui gérait seule sa petite exploitation, finit par se taire. Cédric, tel un automate, se leva, suivit les deux gendarmes et, sans un mot, s’installa dans leur voiture. Jusqu’à la forêt, Léo s’efforça de le tranquilliser un peu plus. Il insista sur le fait qu’il resterait à l’intérieur du véhicule, qu’il lui suffirait de leur montrer l’endroit et le sentier qu’ils devraient prendre.
Arrivés à bon port, ils prirent la voie que Cédric leur indiqua. La pluie d’automne des jours précédents faisait remonter du sol les odeurs d’humus. Les deux gendarmes observaient les bords de l’allée, espérant y trouver un passage ou une trace quelconque sortant de l’ordinaire. Ils craignaient devoir chercher longtemps. Ils regardaient surtout à gauche selon les indications que leur avait vaguement fournies le jeune homme. Myriam et Léo s’attendaient à découvrir une scène de crime particulière. L’une avait enquêté sur deux d’entre elles aux alentours de Chambon-sur-Voueize, et l’autre, qui venait de l’Essonne, connaissait bien le problème. Il avait un dossier sur l’affaire et il soupçonnait un individu qui, selon lui, s’était fait oublier au cours de ces dernières années.
― Ce n’est peut-être qu’un suicide, formula Myriam.
― Oui, possible ! Mais si c’est une victime comme nous en avons déjà vu, ça pourrait expliquer pourquoi Cédric a eu un tel comportement.
« C’est loin », avait précisé ce dernier. Effectivement, Léo et Myriam mirent près d’une demi-heure avant de remarquer des signes qui les amenèrent à s’interroger. Des feuilles avaient été déplacées, certaines étaient enfoncées dans la terre humide ; des brindilles avaient été rabattues, d’autres étaient cassées. Un gros gibier aurait pu s’introduire ici pour aller se cacher plus loin dans les fourrés. On pouvait aussi y voir le passage d’un cueilleur de champignons. Leur hésitation fut de très courte durée. Ils suivirent ces traces et aboutirent à une sorte de petite clairière au milieu de laquelle se dressait un énorme chêne. Sous celui-ci, au bout d’une corde passée au-dessus d’une grosse branche et solidement attachée au tronc : le pendu.
Meurtre ou suicide ? La question ne se posait pas. La victime avait la tête en bas. Elle était suspendue par un pied, l’autre jambe s’écartait du corps et était pliée, une blouse noire retournée plongeait vers le sol et lui enveloppait le visage. Les deux bras se confondaient à cet ensemble, lequel était susceptible de choquer tout un chacun.
Les deux gendarmes restèrent figés quelques instants. Pourtant, Léo s’était déjà trouvé face à des scènes diaboliques identiques et Myriam avait eu sous les yeux les photos des deux précédents meurtres. Mais la position insolite de la victime avait le don de clouer irrémédiablement les visiteurs sur place.
― Ils sont plusieurs à accomplir cette horreur ! Un homme seul ne peut y parvenir, affirma Myriam.
― Le tueur en série a peut-être un complice. Mais, dans le passé, aucun indice ne l’a démontré. Regarde le nœud autour de sa cheville.
― C’est le même que sur les autres. On ne les fait pas comme ça, chez nous.
― Il faut avoir été marin pour nouer de cette façon.
Le serial killer n’avait pas pu prendre la même sente qu’eux. Pour traîner l’homme jusqu’ici, il lui avait fallu un accès assez facile. Il avait dû emprunter une autre voie. Léo se dirigea à l’opposé et fut rejoint par Myriam qui, elle aussi, avait eu la même idée. Effectivement, un passage presque aussi large qu’une allée menait jusqu’à la clairière. Ils virent aussi, par endroit, des marques de petites roues.
― Il y a aussi des empreintes de pas. Elles indiquent qu’il est seul. Il n’a pas de complice. Sa méthode ne doit pas le lui permettre, remarqua Léo.
― Alors, comment fait-il ?
― Il choisit l’endroit longtemps à l’avance et il doit avoir une sorte de chariot.
― Bizarre !
― Ce qui l’est encore davantage, c’est qu’il agit à travers le département. Au début du mois, il a exécuté ses crimes vers Chambon, aujourd’hui vers La Souterraine et demain, où ?
― Il est comme toi. C’est un itinérant.
― Je suis un gendarme ! Un militaire détaché.
― Excuse-moi ! Disons qu’on a affaire à un vagabond. On n’a pas fini de courir après.
Myriam décida de ramener Cédric chez Denise.
― Je convoque « la cavalerie », quant à toi, regarde si tu peux trouver d’autres indices, ordonna-t-elle à Léo, en partant.
Ce dernier hocha la tête et s’exécuta. Il avait toujours apprécié la personne qui aimait prendre des initiatives à ses côtés. Que ce fut une équipière n’y changeait rien. Il ne voyait pas de différence dès l’instant qu’il s’agissait du même grade. Il n’était pas de ceux qui s’encombraient de préjugés. Sa mère lui avait enseigné que, socialement parlant, la femme était l’égale de l’homme, et il ne s’était jamais écarté de cette vérité. D’ailleurs, son attitude aurait été la même s’il n’avait pas eu un petit faible pour cette lieutenant de gendarmerie. Il revoit encore, avec plaisir, cette grande et jolie brune se diriger vers le passage qui les avait conduits jusqu’à cet horrible tableau. Avec une branche cassée, il souleva la blouse noire et découvrit le visage de la victime. La mort remontait à plusieurs jours et il recula instinctivement. Le passage par lequel le tueur avait transporté son œuvre macabre ne fournit aucune autre trace. Maintenant, il n’avait plus qu’à attendre.
Quand Myriam revint, de nombreuses personnes observaient le « pendu inversé ». Il y avait plusieurs gendarmes, dont un capitaine, des pompiers, le légiste et même le procureur. Après avoir pris des photos du défunt supposé maquignon, on le décrocha. De la discussion qui eut lieu dans cette étroite clairière, Léo retint que Guéret avait l’intention de se saisir de l’affaire. Cette décision devrait normalement le concerner car, en haut lieu, on l’avait mandaté pour enquêter sur ces crimes en série qui, sur le même mode opératoire et dans un autre département, avaient commencé presque 10 ans plus tôt. Le terrain de chasse du tueur étant vaste, ce dernier n’allait sûrement pas tomber facilement dans les filets des forces de l’ordre. Ce qui n’empêcha pas le procureur de dire, en bombant le torse, que ce serial killer n’allait pas courir longtemps. Une seule chose préoccupa Léo : pourvu qu’on voulût bien que Myriam demeurât associée à ses recherches.
― Vous avez vu ces entailles sur le tronc ? demanda le représentant du ministère public au capitaine de gendarmerie.
― Ah, non ! Mais elles n’ont sûrement rien à voir avec notre problème. Pourtant, elles sont fraîches !
Léo les avait remarquées. Il avait l’habitude de ne rien laisser au hasard, surtout depuis qu’il était gendarme. D’ailleurs, ce détail était déjà dans son dossier. Au début des années 2010, dans les Côtes-d’Armor, plusieurs découvertes semblables l’avaient énormément troublé. Elles avaient exigé de longues enquêtes qui n’avaient pas été élucidées. À l’époque, il avait eu en tête une autre piste. Seulement, on ne l’avait pas pris au sérieux. Il avait tout noté, à savoir les éléments des rapports, ses réflexions et celles des autres. Ici, il était le seul à connaître le sujet à fond.
Léo était arrivé à Guéret en tout début de semaine. À Évry, le lundi, un peu avant midi, il avait pris le train. Il avait connu plusieurs changements et de longues attentes. La nuit était tombée quand il avait atteint son but. À la sortie de la gare, il était monté dans un taxi, avait réclamé un lieu pour dormir et il s’était retrouvé dans une chambre d’hôtel. Il avait jeté un coup d’œil sur la carte de cette préfecture et s’était aperçu qu’il lui faudrait traverser toute la ville pour rejoindre la caserne de gendarmerie Bongeot.
Le lendemain matin, il avait téléphoné à ses collègues et l’un d’entre eux était venu le chercher. Avant de regagner la brigade, ce dernier lui avait montré, sur l’avenue René Cassin, où loger et où acheter un véhicule.
Au soir de cette découverte macabre, il était donc dans une chambre de l’hôtel Kyriad et il étudiait de nouveau son dossier. Dès le début, à la caserne, il avait été reçu avec respect. On lui avait permis de s’installer dans un bureau où, avec un ordinateur et face à Myriam, il pouvait travailler dans de bonnes conditions. On lui avait même attribué une voiture de fonction. Mais Léo n’était pas dupe : les ordres venaient de très haut.
D’Évry, sur son portable, on lui avait communiqué les renseignements qui lui manquaient concernant son suspect de toujours. Il avait, par moment, la vision de la découverte de ce matin, celle du pendu « à la Mussolini », du nœud marin qui lui serrait la cheville et des griffes qui s’enfonçaient dans l’écorce de ce chêne majestueux. Ce sinistre tableau laissait souvent la place à cette policière qui continuerait d’enquêter avec lui. Il en avait obtenu l’assurance et il en avait ressenti un vif soulagement.
Il cherchait, sur une carte du département, le village aux environs duquel devait vivre Yves le Gallec, le suspect qu’il avait inscrit dans son dossier, quand il reçut un appel de son fils.
― Parle plus fort, j’entends mal ! lui ordonna Léo.
― Je suis dans ma chambre. On m’y a envoyé. Je ne veux pas qu’on m’entende. Xavier s’en est pris à ma tante, il l’a beaucoup fâchée.
― Sois patient ! L’affaire qu’on m’a donnée sera vite réglée.
Le lieutenant Serval avait, avec précipitation, quitté Évry, son appartement et son fils, Baptiste. Pris en charge par sa sœur Émilie, ce dernier n’avait pas à changer d’établissement scolaire. Il en était même beaucoup plus près, mais sa nouvelle pension ne lui convenait absolument pas et il réclamait le retour de son père. Sa tante avait divorcé et le compagnon, qui s’était installé chez elle, était devenu, au fil du temps, un pilier de cabaret. Il était colérique et violent en parole. Il s’emportait facilement et Baptiste n’appréciait pas. Léo se l’imaginait isolé dans sa chambre, déçu, soucieux, et espérant des jours meilleurs.
L’officier de gendarmerie avait la charge de son grand garçon âgé de 17 ans. Sa femme, n’ayant plus supporté sa vie d’enquêteur, l’avait quitté cinq ans plus tôt. Il avait perdu son père et sa mère dans un accident d’avion. Émilie était sa demi-sœur qu’il avait retrouvée depuis peu. Elle avait un bon métier, n’avait pas d’enfant et considérait Baptiste comme son fils. Seulement, Xavier freinait cet élan familial. « Il serait bien capable de frapper Émilie », se dit Léo.
Baptiste avait besoin de son père. Ce dernier ne voulait surtout pas que son métier l’éloignât sentimentalement de son fils. Pourtant, dans l’espoir de résoudre son enquête au plus vite, il avait accepté son détachement dans la Creuse. Ainsi, s’il se rapprochait de celui qu’il soupçonnait depuis les Côtes-d’Armor, il regrettait d’avoir momentanément abandonné Baptiste. Tout compte fait, Léo faisait face à une situation bien délicate.
Pour localiser le suspect, Myriam et lui avaient joint plusieurs maires, sans résultat. Ils avaient aussi contacté les brigades de Bourganeuf et de Pontarion. Finalement, seul le maire de Jabreilles-les-Bordes leur avait fourni une indication utile. Yves le Gallec habitait dans sa commune et travaillait chez un entrepreneur en maçonnerie. Il suffisait donc de se rapprocher de lui, de le surveiller discrètement et de prévoir, pour se nourrir et se reposer, un hôtel-restaurant. Les deux officiers avaient, pour ces questions techniques, travaillé de concert mais Myriam aurait souhaité plus de détails au sujet de la mission qu’ils allaient mener ensemble.
À 17 heures, ce samedi, Léo l’invita à prendre un verre dans un café de l’avenue Cassin. Elle accepta. Seulement, il fallait faire vite car elle devait rejoindre sa fille, Sarah, qui avait 16 ans. Une dame du village, en attendant, restait auprès d’elle, mais elle ne voulait pas abuser. Au bar, Myriam prit un thé et, bien que pressée, elle se mit à parler. Elle aussi était divorcée. Son ex-époux était gendarme, il était remarié, avait pris du galon et exerçait dans un autre département. Avec lui, les ponts étaient coupés depuis de nombreuses années. Elle habitait à l’écart d’un petit hameau, entre Saint-Fiel et Glénic.
― Que fais-tu, demain ? demanda cette dernière à Léo.
― Réfléchir et bien manger. Il y a un restaurant de l’autre côté de la rue.
―Un Campanile ?
― Oui, c’est ça ! Jusque-là, je me suis contenté de quelques provisions et d’un sandwich. Je grignote dans ma chambre d’hôtel. Ce n’est pas très indiqué.
― Ça te dirait de venir déjeuner chez moi, demain ?
― Oui, mais je ne vais pas déranger ? Ça ne va pas embêter ta fille ?
― Ne crains rien. Elle sera toute contente de te connaître.
Le lendemain, à table, on se mit à discuter comme si on s’était connu depuis toujours. Pas de gêne, pas de timidité ! Il sembla même à Léo qu’aucun sujet ne fût tabou. Ce dernier avait trouvé l’endroit assez facilement. Myriam le lui avait indiqué avec précision les routes à suivre. Il s’était arrêté devant deux belles maisons à un étage qui se faisaient face. L’une d’elles était inoccupée et l’autre était celle qui devait l’accueillir. C’était « La Roseraie », le nom que lui avait donné Myriam.
Sarah parlait librement. Elle donnait à Léo l’impression de se comporter comme une adulte. Elle cita son père qu’elle ne voulait plus voir pour des raisons, selon elle, qui lui étaient propres. Elle dit quelques mots sur ses études, sur le lycée Pierre Bourdan, sur le métier de sa mère et les conséquences qui, parfois, la plongeaient dans la solitude. Myriam et Léo prenaient aussi la parole mais ils laissaient souvent la jeune fille donner son avis. L’existence et les soucis de Baptiste furent évoqués. Son âge fit dire à Sarah :
― Dommage que je suis musulmane !
― Le fils de Léo est à Paris. Et puis, tu sais bien que nous n’avons pas de religion, la rabroua sa mère.
― Oui, c’est vrai ! Nous n’en avons pas l’utilité. Mais il pourrait venir ici pour les vacances ?
― Quand nous aurons fini, Léo va repartir à Évry.
― C’est bête, car vous feriez un joli couple.
― Sarah, je t’en prie ! Ça suffit ! Va dans ton bureau. Maintenant, nous avons à parler de notre enquête.
― Il le faut, dit Léo. Mais il est tard et cela va prendre du temps.
― De toute façon, je te garde pour le dîner et tu n’as aucune objection à faire.
Léo exposa les faits qui l’avaient mené jusqu’ici. Dernièrement, dans la Creuse, deux crimes avaient été enregistrés et on venait de découvrir le troisième. Ils étaient semblables et ressemblaient à ceux du passé : même méthode, même présentation et même groupe social des victimes. Tout avait commencé dans les Côtes-d’Armor en 2013. Dans les environs de Moncontour et ailleurs, sept meurtres avaient été relevés en l’espace de deux ans. Ils avaient concerné des vétérinaires ou des marchands de bestiaux. Tous avaient été pendus par un pied. Sur chaque scène, on relevait des nœuds de cabestan et des griffes sur le tronc. À noter encore, l’adhésif sur la bouche des victimes.
― Pourquoi leur avoir laissé le sparadrap s’ils étaient morts ?
― Un médecin légiste a supposé qu’ils étaient vivants quand on les a suspendus à la branche. Le tueur n’a pas voulu qu’ils crient et appellent au secours. Il les a laissés comme cela, mourir à petit feu.
― Ils ont dû endurer une terrible souffrance !
― Oui ! C’est monstrueux !
― L’autre jour, la victime avait aussi un autocollant sur la bouche ?
― Oui ! Mais je ne pense pas que les autorités ne l’aient remarqué. Je n’ai vu personne retrousser la blouse pour observer la tête.
Alors, il apporta certains détails sur les recherches qui avaient été menées des années plus tôt : enquêtes de voisinage, interrogatoires, nombreuses planques… Tout avait été tenté dans la précipitation afin de résoudre au plus vite cette affaire qui faisait grand bruit. On avait soupçonné des éleveurs à cause des maquignons et des vétérinaires qu’on décrochait des arbres. Le nœud marin avait conduit à la surveillance de plusieurs pêcheurs. Les brigades avaient été mobilisées dans une grande partie du département : à Dinan, Plancoët, Lamballe… On avait même barré des routes à Pléneuf et aux alentours de Saint-Brieuc. Aucune enquête n’avait abouti. Devant un tel fiasco, Léo avait envisagé une autre solution.
Il s’était basé sur la crise de la vache folle de la fin du siècle dernier. Un déséquilibre mental aurait pu se développer chez un enfant d’éleveur voyant abattre le troupeau et l’entasser dans des remorques. Une telle scène était à même d’entraîner cette « chevauchée » macabre. Quand il eut l’occasion d’exposer sa thèse, on ne lui a pas ri au nez, mais ce fut tout comme.
Léo se tut un instant. Myriam était silencieuse et montrait son étonnement. Rompant le silence, elle s’informa :
― Et tu es resté sur cette idée ?
― Non seulement je la maintiens, mais les derniers événements ont fait que mes supérieurs m’ont donné raison.
Léo continua à expliquer l’affaire. Elle avait débuté au Royaume-Uni, au milieu des années 1980. Le système nerveux du bétail était atteint par la maladie dite « de la vache folle ». L’encéphalopathie spongieuse bovine était son nom scientifique. Elle débouchait sur des troubles de la locomotion dus à leur alimentation. À cette époque, selon les anciens, les images à la télévision étaient spectaculaires. On y voyait des animaux tremblants, peinant à tenir debout, dérapant dans les stabulations et finissant par tomber sans parvenir à se relever. Elle montrait aussi, dans la campagne anglaise, des troupeaux entiers, abattus, entassés, et auxquels on avait mis le feu.
La maladie de la vache folle arriva en France en 1991. On la repéra dans une ferme laitière des Côtes-d’Armor. À chaque cas détecté, ce fut l’abattage de la totalité des bovins. Beaucoup d’élevages disparurent des étables. De nombreux paysans connurent des difficultés insurmontables. Certains se sont suicidés.
En 2010, Léo fut en poste à Moncontour. Dès la cinquième scène de crime et devant les difficultés rencontrées, il s’était mis à lire tous les journaux évoquant, 20 ans plus tôt, la crise qui avait frappé la paysannerie de la région. Un article avait attiré son attention. Un paysan s’était pendu et son fils de 5 ans avait été le premier à le découvrir. Le journaliste avait insisté sur les conséquences d’un tel événement. L’enfant ayant perdu la parole, il en avait conclu qu’il serait traumatisé à vie.
Léo avait effectué des recherches pour localiser ce dernier. Il l’avait situé à Lannion, mais il n’avait pas eu les moyens de s’en approcher. Il s’appelait Yves le Gallec et était devenu un jeune homme. Sur place, un ami avait obtenu l’essentiel de ses coordonnées. Seulement, à partir de 2015, il avait perdu sa trace et les actions criminelles avaient cessé.
― Il aurait déménagé à cette date ? Il se serait installé dans la Creuse ? Mais pourquoi a-t-il attendu si longtemps pour recommencer, si c’est lui ? s’interrogea Myriam.
― Il y a sûrement une explication.
― Mais, aujourd’hui, on peut le retrouver, on sait où il habite.
― Effectivement ! Nous avons les renseignements qu’il nous faut.
Myriam prépara le dîner. Léo, son portable à l’oreille, écoutait Baptiste qui lui racontait sa journée au lycée et ses problèmes chez sa tante. Sarah était allongée sur le canapé et elle pianotait sur sa tablette. Sa mère lui avait pourtant dit d’arrêter avec ces jeux débiles. Elle l’avait même avertie : « gare à tes yeux ! À la longue, ça va te monter à la tête ». Mais non, peine perdue : la jeune fille, qui semblait ne pas avoir écouté, ne se détacha pas de son écran.
On se mit à table et le silence, qui s’éternisa, signifiait sans doute, soit qu’on avait quelque chose à se dire, soit qu’on était songeur. Enfin, Myriam dit tout haut ce qu’elle devait mijoter depuis un moment :
― Je ne me souviens pas de cette affaire. Je devais avoir 5 ou 6 ans.
― Tu veux parler de la vache folle ? Moi non plus ! J’étais aussi dans ces âges. Si la télévision m’en a montré quelques épisodes, je ne m’en souviens pas.
Après cette mise au point, la situation redevint comme avant : le repas se poursuivit dans le calme absolu. Dans l’esprit de chacun, des idées devaient se bousculer, mais on ne devait certainement pas savoir comment les exprimer ou alors, tout devait rester momentanément secret. Ce fut encore Myriam qui rompit la monotonie du moment :
― Je garde ton dossier. Je veux l’étudier dès ce soir. Je te le rapporterai demain. Au fait, j’ai le sentiment que le tueur ne cherche pas à finaliser sa scène de crime pour qu’on la découvre. Il y a sûrement des victimes qui resteront éternellement dans les forêts, d’autant qu’il conclut son œuvre macabre aux quatre coins du département.
― On peut compter sur les chasseurs, les promeneurs, les ramasseurs de champignons. Mais tu as raison. Il y en a peut-être qui nous échappent. Nous devrons vérifier si des disparitions déclarées, n’ayant pas abouti, correspondent à notre enquête.
Comme un cheveu sur la soupe, Sarah demanda à Léo :
― Tu as une photo de Baptiste ?
― Oui, sur mon téléphone. Tiens, le voilà ! Prends-le !
Sarah quitta la table avec le portable et s’affala dans un fauteuil.
― Qu’est-ce qu’il est beau. Il est comme son père. Hein maman ? Regarde !
― Sarah, tais-toi ! Laisse-nous tranquilles.
Alors, les deux officiers établirent leur programme du lendemain. Ils réfléchirent à la meilleure façon de s’approcher d’Yves le Gallec. Ils reconnurent que le plus efficace était d’abord de rencontrer le maire de la commune de Jabreilles-les-Bordes.