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Soir de Vendredi Saint à Sartène, en Corse-du-Sud. La foule a envahi les ruelles pour suivre le Catenacciu, la procession qui reconstitue la marche du Christ vers le Calvaire. Tout à coup, deux hommes cagoulés, une rafale d’arme automatique et le Grand Pénitent s’écroule. Balthazar aussi, victime d’une balle perdue. Coline est partagée : si cette salve lui rend son honneur, elle lui fait perdre son père. Et sur ces terres insoumises, le sang appelle le sang...
Pace è Salute !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Écrivain et psychiatre bordelais, le docteur
Alain Gauvrit a déjà publié plusieurs romans et nouvelles, ainsi qu’un récit historique. Laissant le soleil aux touristes, sa
Trilogie Corse nous emmène dans les zones d’ombre de l’île de Beauté. Au cœur de la folie meurtrière opposant deux gangs mafieux, une famille endeuillée, une histoire d’amour et un enfant dont le parrain est un Parrain...
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Alain Gauvrit
Trilogie corse
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alain Gauvrit
ISBN : 979-10-377-2504-2
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Aux Éditions Libre Label
Le sanglier de Serre Caüte (janvier 2017)
Une comédie de mœurs sur fond d’enquête policière en terre béarnaise qui ne manque pas de sel ! Un drôle de drame, à moins qu’il ne s’agisse d’un drame de drôle…
Médaille de la ville de Salies-de-Béarn 2017.
Folles Nouvelles (août 2017)
Quatre nouvelles (Les Sables rouges - Détect’Yves - Initiales - Manu) basées sur des pathologies neuropsychiatriques aussi rares que spectaculaires dans leurs manifestations cliniques. Avec en bonus : « Absurderies et Cocassités » et « Entretiens et Miens ».
Prix du Jury Saint-Estèphe 2018.
La Sténose – Une intelligence, un destin (juin 2018)
Le parcours de Baptiste, enfant à haut potentiel intellectuel, jusqu’à l’âge adulte. Ou quand l’intelligence devient un handicap…
Prix du roman 2019 à Nevers.
La veuve salisienne – récit historique (juin 2019)
Une affaire de parricide en 1825. L’occasion pour la guillotine, « la veuve » comme on la surnommait, de venir faire son œuvre à Salies. Tout ça pour un compte d’eau salée…
Aux Éditions La Nouvelle Plume
Le secret de Roquetaillade (août 2020)
Un roman d’aventures qui, à travers de mystérieuses énigmes, mène le lecteur du château de Roquetaillade jusqu’en Écosse, à la recherche du trésor des Templiers…
À la Corse
terre insoumise
qui lève le doigt
pour qu’on l’écoute
Merci à Marie Munier
Professeure certifiée de Lettres
pour sa relecture critique
et son amical soutien
« A spessu conquista
mai sottumessa1 »
Tirant sur sa laisse pour aller renifler les traces des mictions itératives de ses congénères et les recouvrir de ses propres humeurs, Victor avait traîné Balthazar jusqu’à la place Porta, rebaptisée Place de la Libération par de Gaulle lors de sa visite en 1945. Du maître ou de son chien, on se demandait bien lequel promenait l’autre, mais Balthazar n’en avait cure : instinctivement, Victor le conduisait là où il voulait se rendre. Ombragée d’ormes et de palmiers et bordée de cafés, cette place abritait l’Hôtel de Ville et était dominée par l’imposante église Santa Maria Assunta2 dont le clocher de granit, à trois niveaux munis de baies et surmonté d’un dôme, étincelait en cette douce soirée de Vendredi Saint.
Une foule bigarrée avait envahi les vieilles ruelles pavées les plus escarpées de la cité médiévale de Sartène pour suivre Le Catenacciu3, la procession religieuse qui reconstituait en nocturne la marche du Christ vers le Calvaire. Balthazar ne voulait rien manquer du spectacle. De son spectacle. Celui qu’il attendait depuis plus de dix ans. Il voulait être aux premières loges.
À 21 heures 30 précises, mené par le Grand Pénitent, les pieds nus et revêtu d’une robe rouge à capuchon, traînant 15 kilos de chaînes sanglées à sa cheville droite et portant à l’épaule une croix en chêne massif de 34 kilos, le cortège sortit de l’église et se déploya sur la place. Tel Simon de Cyrène, il y a plus de 2000 ans, aidant le Christ à gravir le Golgotha, un autre pénitent, vêtu d’une aube et d’une cagoule blanches, représentait la solidarité humaine en lui prêtant main-forte de temps à autre pour soutenir son lourd fardeau. Derrière eux cheminaient huit autres pénitents habillés de noir et portant sur leurs épaules une statue en bois polychrome du Christ gisant dans un linceul blanc, surmonté d’un baldaquin noir. Les pieds nus, en signe de repentance et d’humilité, ils étaient assistés par le clergé et les membres de la Compagnia del Santissimo Sacramento, une confrérie locale.
Alors que le cortège s’ébranlait et que ces derniers entonnaient un chant pénitentiel, deux hommes gantés et cagoulés de noir firent irruption de la rue du Purgatoire. Arrivés à hauteur du Catenacciu4, et avant de s’enfuir sans être inquiétés en se fondant dans la foule, ils tirèrent chacun une rafale d’arme automatique sur le repentant qui s’écroula sous sa charge. Comme le Christ lors de sa Passion, le supplicié de Pilate devait tomber trois fois le long du peregrinatio5. Il ne se relèverait pas de cette première chute inopinée. Sa tunique rouge vif s’assombrit dans la région du cœur et de la tête alors que sa capuche abritait son dernier soupir.
Pris de panique, les spectateurs coururent en tous sens en poussant des cris. D’autres, espérant échapper aux balles, s’allongèrent à même le sol. Balthazar sentit une vive brûlure lui déchirer la poitrine. C’est lorsqu’il perçut le goût du sang dans sa bouche qu’il comprit. Alors que son âme s’élevait vers le clocher, son corps s’affalait devant la terrasse du café « Au bien assis ».
Lorsque les secours arrivèrent, Victor léchait la plaie de son maître en glapissant. Lui aussi avait compris.
Sans réfléchir, elle le gifla violemment. Il accusa le coup qui, pourtant, n’y était pour rien. Il ferma les yeux et attendit la réplique d’un geste qui, allez savoir pourquoi, se distribue généralement par paires. En vain. Coline avait pourtant armé son bras, mais elle s’était finalement écroulée en sanglotant dans les bras d’Arthus. Elle lui tambourinait maintenant le torse en hurlant des « pourquoi ? » auxquels il n’avait pas de réponse. Ou des réponses qu’il ne pouvait partager. Il serra sa sœur contre lui en murmurant à son oreille des mots qu’elle seule put entendre et qui semblèrent l’apaiser.
Le frère et la sœur, prévenus tardivement la veille par une Louise désemparée, étaient arrivés le matin même, Arthus d’Ajaccio où il était informaticien, Coline de Bastia où elle dirigeait une salle d’arts martiaux et de self-défense. Derrière eux, dans sa plus belle chemise, Balthazar reposait, un drôle de rictus aux lèvres. De ses doigts bleuis s’échappaient les perles de nacre du chapelet de sa première communion. Entre le pouce et l’index de sa main gauche, côté cœur, Coline avait placé le premier grain, celui du Pater. Celui qu’elle pleurait.
Toute de noir vêtue et courbée en avant sous le poids du chagrin, Louise était assise sur une chaise en paille, près du lit. De ses yeux clos perlaient des larmes qui suivaient en silence la géographie de ses rides. Sa main droite agrippait le drap blanc sur lequel gisait son époux, comme pour le retenir. Ou partir avec lui.
Les volets étaient clos et la cheminée sentait la bûche froide. On ne sait quel souffle faisait vaciller la flamme de la bougie posée au chevet du défunt, dessinant sur son visage des animations qui ne devaient rien à la vie. Dans l’évier en pierre, les gouttes d’eau s’échappant du robinet rythmaient une fuite qui était devenue celle du temps. Résignée, l’horloge s’était arrêtée la veille à l’heure des coups de feu.
Sur la table de la cuisine, Corse-Matin titrait « La guerre des clans du Sartenais s’invite à la procession ». On pouvait y lire qu’un homme connu des services de police avait été tué par une rafale d’arme automatique en pleine rue par deux individus masqués lors du Catenacciu à Sartène. La victime, un restaurateur âgé de 36 ans qui venait juste de se marier, avait déjà été entendue par la police dans des affaires liées aux stupéfiants et à la détention d’armes, mais aucune charge n’avait été retenue contre lui et son casier judiciaire était vierge. Il était cependant en relation avec des clans liés au banditisme et il se serait agi, dans ce contexte, d’un règlement de compte. Touché à la tête et au thorax par une trentaine de projectiles provenant d’un fusil d’assaut, il était mort sur le coup. Les deux assaillants avaient pris la fuite et étaient activement recherchés. Une enquête confiée à la section idoine de la gendarmerie avait été ouverte pour assassinat en bande organisée.
Au regard de l’article, un encart ajoutait quelques lignes sur la mort injuste de Balthazar : « Le règlement de compte fait une victime innocente ».
Il y a des balles pour jouer et des balles pour mourir. Respectant la gravité de l’ambiance, Victor n’osait pas s’ébattre avec la sienne comme il en avait l’habitude. Couché au pied du lit, le cabot exhalait des soupirs plaintifs en espérant un signe de son maître. Mais Balthazar ne répondait ni aux cris de douleur de sa fille, ni aux pleurs feutrés de sa femme, ni aux gémissements de son chien. Balthazar était mort. D’une balle perdue qui, pour lui, ne le fut pas…
Fidèle à la majorité des cimetières corses, celui de Sartène était situé dans une zone privilégiée et s’étageait à flanc de coteau, offrant une vue imprenable sur la vallée et sur la ville elle-même, « la plus corse des villes corses » selon Prosper Mérimée6. En cette fin d’après-midi, contrarié par un vent frais, le pâle soleil de printemps qui caressait les tombes n’arrivait pas à réchauffer les vivants.
Arthus n’avait pas trop de ses deux bras pour soutenir Louise et Coline dont les corsages soupiraient avec une belle synchronicité. Était-ce qu’elles n’avaient plus de larmes ou bien qu’elles ne se sentaient pas la force de regarder le cercueil rejoindre cette terre insoumise, toujours est-il que les deux femmes avaient du mal à décoller leurs paupières. La mort « accidentelle » de Balthazar ayant fait la Une des journaux, la famille avait demandé que l’inhumation se déroule dans la plus stricte intimité et, de fait, ils n’étaient qu’une poignée à accompagner le patriarche à sa dernière demeure : un cousin de Propriano et son épouse, la sœur de Louise, venue de Porto-Vecchio, deux collègues de travail de Balthazar et les plus proches voisins avaient été admis aux funérailles. Les deux inconnus qui se tenaient en retrait n’en étaient que plus repérables. « Peut-être des journalistes ? », supposa Arthus. À la fin de la cérémonie, ils s’approchèrent de Louise et lui remirent une épaisse enveloppe. Pensant qu’il s’agissait d’un recueil de condoléances, la veuve les remercia vivement et les convia à la collation qui devait suivre les obsèques. Ils déclinèrent poliment l’invitation et s’éclipsèrent rapidement, comme ils étaient venus.
De retour chez eux, Louise décacheta l’enveloppe et découvrit avec stupeur qu’elle contenait, outre une lettre, une forte somme d’argent en liquide. En substance, la missive présentait des excuses et exprimait la contrition de son auteur pour ce qu’il appelait un dommage collatéral regrettable. Elle n’était bien entendu, ni manuscrite, ni signée.
Faute de participants, la collation avait été annulée et le frère et la sœur se restaurèrent en piochant dans les appétissants plateaux de charcuterie et de fromages corses préparés la veille.
Ils éclatèrent de rire et se rendirent sur la terrasse pour fumer une cigarette avant d’aller se coucher.
Pendant ce temps, Arthus faisait route vers Ajaccio. Il s’était dit que 80 km, ce serait vite fait et que ni Louise ni Coline ne s’apercevraient de son escapade. Il avait donc pris rendez-vous discrètement avec son contact. Il se gara cours Napoléon et finit à pied les quelques mètres qui le séparaient du Petit Bar. Il fit le signe convenu au patron derrière la caisse, gagna le fond de la salle et frappa deux puis trois coups à la porte marquée « Privé ». Une armoire à glace, revolver à la ceinture, lui ouvrit et le fouilla sans ménagement. Antony Colonna, visage rond et jovial, l’attendait.
Descendant d’une famille de magnats du BTP, investi dans une soixantaine d’entreprises habilement interdépendantes, détenteur d’un empire immobilier, actionnaire de la compagnie maritime Corsica Linea et dirigeant du quotidien Corse-Matin, ce flambeur trentenaire aux amitiés sulfureuses concentrait une quantité impressionnante de leviers économiques et médiatiques qui intéressaient particulièrement la Justice, le fisc et les services de renseignement7. Irrité d’être assimilé au gang du Petit Bar où un salon lui était néanmoins réservé, Colonna était l’ami d’enfance de Jacques Lucciani, le parrain local, avec qui il partageait une passion pour la moto.
Pascal mit une pogne dissuasive sur l’épaule d’Arthus et lui ouvrit la porte. Ce dernier s’exécuta et regagna sa voiture. Après son départ, Antony se montra circonspect. Il interpella son homme de main.
Arrivé sur le parking, Arthus brûla la lettre qu’il avait promis de porter à la gendarmerie puis reprit la route de Sartène. Il se dit qu’au moins il avait essayé…
De retour à la maison, il rejoignit sa sœur qui s’affairait en cuisine.
Coline sursauta et écarquilla les yeux d’effroi.