Trilogie corse - Alain Gauvrit - E-Book

Trilogie corse E-Book

Alain Gauvrit

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Beschreibung

Soir de Vendredi Saint à Sartène, en Corse-du-Sud. La foule a envahi les ruelles pour suivre le Catenacciu, la procession qui reconstitue la marche du Christ vers le Calvaire. Tout à coup, deux hommes cagoulés, une rafale d’arme automatique et le Grand Pénitent s’écroule. Balthazar aussi, victime d’une balle perdue. Coline est partagée : si cette salve lui rend son honneur, elle lui fait perdre son père. Et sur ces terres insoumises, le sang appelle le sang...

Pace è Salute !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Écrivain et psychiatre bordelais, le docteur Alain Gauvrit a déjà publié plusieurs romans et nouvelles, ainsi qu’un récit historique. Laissant le soleil aux touristes, sa Trilogie Corse nous emmène dans les zones d’ombre de l’île de Beauté. Au cœur de la folie meurtrière opposant deux gangs mafieux, une famille endeuillée, une histoire d’amour et un enfant dont le parrain est un Parrain...

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Alain Gauvrit

Trilogie corse

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alain Gauvrit

ISBN : 979-10-377-2504-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Déjà parus

Aux Éditions Libre Label

Le sanglier de Serre Caüte (janvier 2017)

Une comédie de mœurs sur fond d’enquête policière en terre béarnaise qui ne manque pas de sel ! Un drôle de drame, à moins qu’il ne s’agisse d’un drame de drôle…

Médaille de la ville de Salies-de-Béarn 2017.

Folles Nouvelles (août 2017)

Quatre nouvelles (Les Sables rouges - Détect’Yves - Initiales - Manu) basées sur des pathologies neuropsychiatriques aussi rares que spectaculaires dans leurs manifestations cliniques. Avec en bonus : « Absurderies et Cocassités » et « Entretiens et Miens ».

Prix du Jury Saint-Estèphe 2018.

La Sténose – Une intelligence, un destin (juin 2018)

Le parcours de Baptiste, enfant à haut potentiel intellectuel, jusqu’à l’âge adulte. Ou quand l’intelligence devient un handicap…

Prix du roman 2019 à Nevers.

La veuve salisienne – récit historique (juin 2019)

Une affaire de parricide en 1825. L’occasion pour la guillotine, « la veuve » comme on la surnommait, de venir faire son œuvre à Salies. Tout ça pour un compte d’eau salée…

Aux Éditions La Nouvelle Plume

Le secret de Roquetaillade (août 2020)

Un roman d’aventures qui, à travers de mystérieuses énigmes, mène le lecteur du château de Roquetaillade jusqu’en Écosse, à la recherche du trésor des Templiers…

À la Corse

terre insoumise

qui lève le doigt

pour qu’on l’écoute

Merci à Marie Munier

Professeure certifiée de Lettres

pour sa relecture critique

et son amical soutien

I

Balthazar

« A spessu conquista

mai sottumessa1 »

1

Tirant sur sa laisse pour aller renifler les traces des mictions itératives de ses congénères et les recouvrir de ses propres humeurs, Victor avait traîné Balthazar jusqu’à la place Porta, rebaptisée Place de la Libération par de Gaulle lors de sa visite en 1945. Du maître ou de son chien, on se demandait bien lequel promenait l’autre, mais Balthazar n’en avait cure : instinctivement, Victor le conduisait là où il voulait se rendre. Ombragée d’ormes et de palmiers et bordée de cafés, cette place abritait l’Hôtel de Ville et était dominée par l’imposante église Santa Maria Assunta2 dont le clocher de granit, à trois niveaux munis de baies et surmonté d’un dôme, étincelait en cette douce soirée de Vendredi Saint.

Une foule bigarrée avait envahi les vieilles ruelles pavées les plus escarpées de la cité médiévale de Sartène pour suivre Le Catenacciu3, la procession religieuse qui reconstituait en nocturne la marche du Christ vers le Calvaire. Balthazar ne voulait rien manquer du spectacle. De son spectacle. Celui qu’il attendait depuis plus de dix ans. Il voulait être aux premières loges.

À 21 heures 30 précises, mené par le Grand Pénitent, les pieds nus et revêtu d’une robe rouge à capuchon, traînant 15 kilos de chaînes sanglées à sa cheville droite et portant à l’épaule une croix en chêne massif de 34 kilos, le cortège sortit de l’église et se déploya sur la place. Tel Simon de Cyrène, il y a plus de 2000 ans, aidant le Christ à gravir le Golgotha, un autre pénitent, vêtu d’une aube et d’une cagoule blanches, représentait la solidarité humaine en lui prêtant main-forte de temps à autre pour soutenir son lourd fardeau. Derrière eux cheminaient huit autres pénitents habillés de noir et portant sur leurs épaules une statue en bois polychrome du Christ gisant dans un linceul blanc, surmonté d’un baldaquin noir. Les pieds nus, en signe de repentance et d’humilité, ils étaient assistés par le clergé et les membres de la Compagnia del Santissimo Sacramento, une confrérie locale.

Alors que le cortège s’ébranlait et que ces derniers entonnaient un chant pénitentiel, deux hommes gantés et cagoulés de noir firent irruption de la rue du Purgatoire. Arrivés à hauteur du Catenacciu4, et avant de s’enfuir sans être inquiétés en se fondant dans la foule, ils tirèrent chacun une rafale d’arme automatique sur le repentant qui s’écroula sous sa charge. Comme le Christ lors de sa Passion, le supplicié de Pilate devait tomber trois fois le long du peregrinatio5. Il ne se relèverait pas de cette première chute inopinée. Sa tunique rouge vif s’assombrit dans la région du cœur et de la tête alors que sa capuche abritait son dernier soupir.

Pris de panique, les spectateurs coururent en tous sens en poussant des cris. D’autres, espérant échapper aux balles, s’allongèrent à même le sol. Balthazar sentit une vive brûlure lui déchirer la poitrine. C’est lorsqu’il perçut le goût du sang dans sa bouche qu’il comprit. Alors que son âme s’élevait vers le clocher, son corps s’affalait devant la terrasse du café « Au bien assis ».

Lorsque les secours arrivèrent, Victor léchait la plaie de son maître en glapissant. Lui aussi avait compris.

2

Sans réfléchir, elle le gifla violemment. Il accusa le coup qui, pourtant, n’y était pour rien. Il ferma les yeux et attendit la réplique d’un geste qui, allez savoir pourquoi, se distribue généralement par paires. En vain. Coline avait pourtant armé son bras, mais elle s’était finalement écroulée en sanglotant dans les bras d’Arthus. Elle lui tambourinait maintenant le torse en hurlant des « pourquoi ? » auxquels il n’avait pas de réponse. Ou des réponses qu’il ne pouvait partager. Il serra sa sœur contre lui en murmurant à son oreille des mots qu’elle seule put entendre et qui semblèrent l’apaiser.

Le frère et la sœur, prévenus tardivement la veille par une Louise désemparée, étaient arrivés le matin même, Arthus d’Ajaccio où il était informaticien, Coline de Bastia où elle dirigeait une salle d’arts martiaux et de self-défense. Derrière eux, dans sa plus belle chemise, Balthazar reposait, un drôle de rictus aux lèvres. De ses doigts bleuis s’échappaient les perles de nacre du chapelet de sa première communion. Entre le pouce et l’index de sa main gauche, côté cœur, Coline avait placé le premier grain, celui du Pater. Celui qu’elle pleurait.

Toute de noir vêtue et courbée en avant sous le poids du chagrin, Louise était assise sur une chaise en paille, près du lit. De ses yeux clos perlaient des larmes qui suivaient en silence la géographie de ses rides. Sa main droite agrippait le drap blanc sur lequel gisait son époux, comme pour le retenir. Ou partir avec lui.

Les volets étaient clos et la cheminée sentait la bûche froide. On ne sait quel souffle faisait vaciller la flamme de la bougie posée au chevet du défunt, dessinant sur son visage des animations qui ne devaient rien à la vie. Dans l’évier en pierre, les gouttes d’eau s’échappant du robinet rythmaient une fuite qui était devenue celle du temps. Résignée, l’horloge s’était arrêtée la veille à l’heure des coups de feu.

Sur la table de la cuisine, Corse-Matin titrait « La guerre des clans du Sartenais s’invite à la procession ». On pouvait y lire qu’un homme connu des services de police avait été tué par une rafale d’arme automatique en pleine rue par deux individus masqués lors du Catenacciu à Sartène. La victime, un restaurateur âgé de 36 ans qui venait juste de se marier, avait déjà été entendue par la police dans des affaires liées aux stupéfiants et à la détention d’armes, mais aucune charge n’avait été retenue contre lui et son casier judiciaire était vierge. Il était cependant en relation avec des clans liés au banditisme et il se serait agi, dans ce contexte, d’un règlement de compte. Touché à la tête et au thorax par une trentaine de projectiles provenant d’un fusil d’assaut, il était mort sur le coup. Les deux assaillants avaient pris la fuite et étaient activement recherchés. Une enquête confiée à la section idoine de la gendarmerie avait été ouverte pour assassinat en bande organisée.

Au regard de l’article, un encart ajoutait quelques lignes sur la mort injuste de Balthazar : « Le règlement de compte fait une victime innocente ».

Il y a des balles pour jouer et des balles pour mourir. Respectant la gravité de l’ambiance, Victor n’osait pas s’ébattre avec la sienne comme il en avait l’habitude. Couché au pied du lit, le cabot exhalait des soupirs plaintifs en espérant un signe de son maître. Mais Balthazar ne répondait ni aux cris de douleur de sa fille, ni aux pleurs feutrés de sa femme, ni aux gémissements de son chien. Balthazar était mort. D’une balle perdue qui, pour lui, ne le fut pas…

3

Fidèle à la majorité des cimetières corses, celui de Sartène était situé dans une zone privilégiée et s’étageait à flanc de coteau, offrant une vue imprenable sur la vallée et sur la ville elle-même, « la plus corse des villes corses » selon Prosper Mérimée6. En cette fin d’après-midi, contrarié par un vent frais, le pâle soleil de printemps qui caressait les tombes n’arrivait pas à réchauffer les vivants.

Arthus n’avait pas trop de ses deux bras pour soutenir Louise et Coline dont les corsages soupiraient avec une belle synchronicité. Était-ce qu’elles n’avaient plus de larmes ou bien qu’elles ne se sentaient pas la force de regarder le cercueil rejoindre cette terre insoumise, toujours est-il que les deux femmes avaient du mal à décoller leurs paupières. La mort « accidentelle » de Balthazar ayant fait la Une des journaux, la famille avait demandé que l’inhumation se déroule dans la plus stricte intimité et, de fait, ils n’étaient qu’une poignée à accompagner le patriarche à sa dernière demeure : un cousin de Propriano et son épouse, la sœur de Louise, venue de Porto-Vecchio, deux collègues de travail de Balthazar et les plus proches voisins avaient été admis aux funérailles. Les deux inconnus qui se tenaient en retrait n’en étaient que plus repérables. « Peut-être des journalistes ? », supposa Arthus. À la fin de la cérémonie, ils s’approchèrent de Louise et lui remirent une épaisse enveloppe. Pensant qu’il s’agissait d’un recueil de condoléances, la veuve les remercia vivement et les convia à la collation qui devait suivre les obsèques. Ils déclinèrent poliment l’invitation et s’éclipsèrent rapidement, comme ils étaient venus.

De retour chez eux, Louise décacheta l’enveloppe et découvrit avec stupeur qu’elle contenait, outre une lettre, une forte somme d’argent en liquide. En substance, la missive présentait des excuses et exprimait la contrition de son auteur pour ce qu’il appelait un dommage collatéral regrettable. Elle n’était bien entendu, ni manuscrite, ni signée.

— La mort de papa, un dommage collatéral regrettable ! Ils se foutent de nous ces fumiers ? s’écria Coline.
— Il faudrait porter cet écrit à la police, suggéra Louise.
— Je m’en occuperai demain matin, dit Arthus en l’empochant.
— Ainsi que l’argent, ajouta la mère.
— Ça, on n’est peut-être pas obligés. Il s’agit d’un dédommagement moral et financier. On ne roule pas sur l’or et ces obsèques nous ont coûté pas mal. De toute façon, la lettre n’en fait pas mention.
— Fais comme bon te semble, mon fils ! C’est toi le chef de famille à présent. Moi, je vais me coucher. Je n’ai pas faim et cette journée a été éprouvante.
— Bonne nuit, maman ! firent en chœur Coline et Arthus.

Faute de participants, la collation avait été annulée et le frère et la sœur se restaurèrent en piochant dans les appétissants plateaux de charcuterie et de fromages corses préparés la veille.

— Normalement, dit Coline, la tradition veut que seul le père Salvador, le curé de Sartène, connaisse l’identité du pénitent. Comment ont-ils su que celui de cette année était la cible qu’ils recherchaient ?
— Ils sont bien renseignés ! Peut-être aussi que cet homme a trahi le secret en s’en vantant autour de lui ?
— Tu imagines le sermon du curé, qui venait de le marier, et qui va devoir l’enterrer après l’autopsie ! En tout cas, on ne sait pas grand-chose de lui. Pas de nom ni de photo dans la presse. C’est étonnant !
— À la demande de sa famille, je suppose. Ou des flics pour les besoins de l’enquête. Va savoir !
— Pauvre papa ! Au mauvais endroit, au mauvais moment.
— Oui, et pauvre maman ! À peine retraitée et la voilà veuve… Je me suis arrangé au boulot, je vais rester quelques jours avec elle. Elle va avoir plein de démarches administratives à faire et, sans papa, elle est perdue !
— C’est bien que tu puisses rester un peu auprès d’elle. Elle va avoir besoin d’une présence. Moi il faut que je remonte à Bastia mais je vais me débrouiller pour revenir plus tard. Ça serait bien que je prenne ton relais.
— Ça serait parfait ! Et moralement, tu vas tenir le coup ? s’enquit Arthus.
— Oui, ça va aller, avec le soutien de ma compagne.
— Toujours pas d’homme dans ta vie ?
— Tu sais bien pourquoi. Alors, s’il te plaît, arrête de poser ce genre de question !
— Excuse-moi, j’ai du mal à m’y faire, c’est tout.
— Et toi, à 28 ans, quand est-ce que tu vas me donner une belle-sœur ?
— C’est ça, pour que tu me la piques !

Ils éclatèrent de rire et se rendirent sur la terrasse pour fumer une cigarette avant d’aller se coucher.

4

— Où est ton frère ? s’enquit Louise.
— Il est allé porter la lettre aux flics et faire quelques courses.
— Ah, il est bien matinal !
— Nous n’avons pas beaucoup dormi, l’un comme l’autre. Chaque fois que je me suis levée, il était sur la terrasse à fumer. Et toi, maman ?
— Grâce à mon somnifère, je me suis endormie rapidement. Mais j’ai fait d’horribles cauchemars.
— Cette épreuve nous a détraqué tous les trois et quand le moral est atteint, le corps ne tarde pas à suivre.
— Oui, je ne serais pas étonnée si mon zona se réveillait…

Pendant ce temps, Arthus faisait route vers Ajaccio. Il s’était dit que 80 km, ce serait vite fait et que ni Louise ni Coline ne s’apercevraient de son escapade. Il avait donc pris rendez-vous discrètement avec son contact. Il se gara cours Napoléon et finit à pied les quelques mètres qui le séparaient du Petit Bar. Il fit le signe convenu au patron derrière la caisse, gagna le fond de la salle et frappa deux puis trois coups à la porte marquée « Privé ». Une armoire à glace, revolver à la ceinture, lui ouvrit et le fouilla sans ménagement. Antony Colonna, visage rond et jovial, l’attendait.

Descendant d’une famille de magnats du BTP, investi dans une soixantaine d’entreprises habilement interdépendantes, détenteur d’un empire immobilier, actionnaire de la compagnie maritime Corsica Linea et dirigeant du quotidien Corse-Matin, ce flambeur trentenaire aux amitiés sulfureuses concentrait une quantité impressionnante de leviers économiques et médiatiques qui intéressaient particulièrement la Justice, le fisc et les services de renseignement7. Irrité d’être assimilé au gang du Petit Bar où un salon lui était néanmoins réservé, Colonna était l’ami d’enfance de Jacques Lucciani, le parrain local, avec qui il partageait une passion pour la moto.

— Bonghjornu8 Arthus ! Alors, tu es satisfait du travail j’espère ! Le contrat a été honoré. Ta famille est vengée et a retrouvé son honneur.
— Oui, oui, mais il y a eu une bavure quand même, et pas des moindres.
— C’est regrettable, mais on ne maîtrise pas le destin et il est parfois cruel. Serais-tu venu me voir si c’était un inconnu qui avait été touché au lieu de ton père ?
— Heu, non je ne pense pas…
— Bon ! En plus, tu nous avais demandé de rester discrets sur l’identité de la cible. Cela aussi a été respecté.
— Parce que je savais que vous étiez à la barre de Corse-Matin.
— Écoute Arthus, j’ai pris de gros risques dans cette histoire et tu ne m’en sembles pas très reconnaissant. Par ailleurs, je crois que nous avons été assez généreux pour vous indemniser, toi et ta famille. Ne me le fais pas regretter. Finalement, cette vendetta ne t’aura presque rien coûté.
— L’argent ne remplace pas un père !
— Tu voudrais une rallonge, c’est ça ? Tu ne manques pas de culot !
— C’est pour ma mère. Elle a une petite retraite et se retrouve seule et démunie. Il a fallu payer les obsèques, une dépense forcément imprévue et…
— Elle a deux enfants qui gagnent leur vie, que je sache ! le coupa sèchement Colonna.
— Écoutez Colonna, je vous ai payé cher pour descendre Mariani, mais je ne vous ai pas demandé d’assassiner mon père ! Quand on fait une erreur, on en paie les conséquences.
— Tu me menaces ? Non mais tu sais à qui tu parles ? Avà basta9 ! Fous-moi le camp avant que je me fâche !
— Mais…
— Fous-moi le camp je t’ai dit ! Je ne le répéterai pas. Pascal, tu veux bien raccompagner notre ami ? Addiu10 Arthus ! Je ne veux plus entendre parler de toi. C’est compris ?

Pascal mit une pogne dissuasive sur l’épaule d’Arthus et lui ouvrit la porte. Ce dernier s’exécuta et regagna sa voiture. Après son départ, Antony se montra circonspect. Il interpella son homme de main.

— Je n’ai aucune confiance dans ce type. Il n’a peur de rien et semble déterminé. Il va nous causer des ennuis. Occupe-t’en.

Arrivé sur le parking, Arthus brûla la lettre qu’il avait promis de porter à la gendarmerie puis reprit la route de Sartène. Il se dit qu’au moins il avait essayé…

De retour à la maison, il rejoignit sa sœur qui s’affairait en cuisine.

— Tu es parti longtemps ! fit Coline.
— Oui, des clients à voir dans le coin, mentit-il.
— Tu es passé à la Gendarmerie ?
— Oui, ils ont gardé la lettre.
— Qu’ont-ils dit ?
— Que ça serait très difficile d’en déterminer l’origine.
— On s’en doutait un peu. Ce dont on ne se doutait pas, c’est que tu nous mentirais, Arthus !
— Comment ça ? fit-il gêné et n’osant pas croiser le regard de sa sœur.
— Les gendarmes sont passés ce matin.
— Ah…
— Et bien sûr, ils ne t’ont pas vu et ils ignoraient l’existence de la lettre.
— On a dû se croiser.
— Arrête Arthus ! Ils ont téléphoné à la Gendarmerie. On leur a répondu que tu n’y étais pas passé. Quand tu es rentré, ils venaient juste de partir.
— Ah…
— Tu n’as rien d’autre à dire que des « Ah » ? Que se passe-t-il, Arthus ? Pourquoi nous as-tu menti, dit-elle agacée ?
— Où est maman ? fit-il à voix basse.
— Elle est allée remercier les voisins pour la gerbe. Pourquoi cette question ?
— C’est très bien. Il n’est pas souhaitable qu’elle entende ce que je vais te dire.
— Tu me fais peur !
— Je n’ai pas besoin de te demander si tu te souviens d’Humbert Mariani ?

Coline sursauta et écarquilla les yeux d’effroi.

— J’avais quatorze ans mais comment pourrais-je l’oublier ? Pourquoi me parles-tu de ce salaud qui a bousillé ma vie ? Quel rapport avec…
— Laisse-moi finir s’il te plaît. Ce que la Justice n’a pas été capable de faire, moi je l’ai fait. Je t’ai vengée Coline, ton honneur est rétabli !
— Quoi ? Tu veux dire que…
— Que cette année, le Grand Pénitent se nommait Humbert Mariani…

5

— Tu veux dire que c’est toi qui as commandité le meurtre ? Et que si papa est mort…
— Arrête ! Je culpabilise déjà assez.
— Tu fais partie du Milieu ou quoi ?
— Bien sûr que non ! Sinon j’aurais fait le travail moi-même. J’ai juste mis un contrat sur la tête de ce type qui t’a salie alors que tu n’étais qu’une gosse et qui, par cet acte ignominieux, a porté le déshonneur sur notre famille.
— Et ça fait une dizaine d’années que tu fomentes ce projet !
— J’ai d’abord patienté jusqu’à ce que la Justice se prononce, sans trop en espérer. À juste titre, on l’a vu. Et puis j’ai attendu le moment favorable.
— Mais enfin Arthus, malgré la haine que ce porc a semée en moi, malgré le non-lieu d’une Justice sans doute corrompue, est-ce que je t’ai chargé un jour de me venger ? Oui ou non ? Et qui plus est en versant le sang !
— Une âme en demande une autre et la perte de l’honneur équivaut à celle de la vie. Je n’ai fait que prendre celle de l’ordure qui a porté atteinte à ta dignité en souillant ton corps. Papa m’en avait confié la mission.
— Quoi ?
— Il aurait voulu le faire lui-même, mais son âge et son handicap à la hanche l’ont contraint à renoncer. Tu sais bien qu’en Corse, la vengeance d’une offense implique, par obligation de solidarité, tous les parents et alliés. J’ai été désigné pour respecter et faire respecter le code d’honneur.
— Non mais je rêve ! Dis-moi plutôt qu’on est dans un film de Coppola ou un roman de R.J. Ellory ! En plus, ça a dû te coûter une fortune !
— Ton honneur n’a pas de prix, petite sœur !
— Le prix de la vie d’un père, Arthus…
— Qui aurait pu penser que…
— Le destin est parfois cruel.
— J’ai déjà entendu ça il n’y a pas si longtemps ! Ah, voilà maman ! Chut !
— Tu es enfin rentré Arthus ! Qu’as-tu fait tout ce temps ? Et pourquoi nous avoir raconté des histoires ?
— Je viens de m’en expliquer avec Coline, maman ! Rien de grave, c’est entre elle et moi. Ne t’inquiète pas.
— Je n’aime pas trop ces cachotteries mais bon, si ce n’est pas important et si je ne suis pas concernée…
— Ça s’est bien passé chez les voisins ? Que t’ont-ils raconté ?
— Oui, ils sont vraiment adorables. Ils ont été très affectés par les circonstances du décès de Balthazar. Comme ils disent « hasard, fatalité, malchance, destin… on appellera ça comme on voudra, en tout cas le destin est parfois cruel ! »
— Décidément… soupira Arthus.
— Décidément quoi ? fit Louise.
— Oh, rien…
— Décidément… soupira Louise.
— Décidément quoi ? fit Arthus.
— Décidément tu ne veux rien me dire…
— Ça n’a aucun intérêt maman, je t’assure.
— Tu pourrais me laisser en juger par moi-même !
—