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Leur amour fou sera-t-il couronné de gloire?
Olivia Charlton est une princesse qui croit en l’amour ‒ ce qui est loin d’être une priorité dans une famille royale attachée à la tradition et au devoir.
De son côté, Rosie Perkins, chérie de son village, n’a pas de temps à consacrer aux histoires de cœur ‒ elle a bien assez de travail si elle compte maintenir à flot son café et sa vie.
Quand Olivia se rend en Cornouailles pour échapper à son quotidien le temps de quelques semaines, leur rencontre fait des étincelles. Mais une gérante de café et une princesse pourront-elles vraiment trouver le bonheur éternel envers et contre tout ?
Les autrices de romance saphique best-sellers, Clare Lydon & Harper Bliss, se sont associées pour donner vie à ce conte de fées des temps modernes.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Un message des autrices
Remerciements
À propos de Clare
À propos de Harper
À Meghan et Harry.
Olivia Charlton serra son poing gauche en sentant une migraine s’installer dans son crâne. Elle pouvait encore entendre le mitraillage des flashs, les cris des photographes qui leur demandaient de se retourner, mais elle refusa de s’exécuter. Elles avaient pris la pose pendant vingt minutes et répondu à une avalanche de questions, et c’était tout ce à quoi la presse aurait droit aujourd’hui. Elle arborait un large sourire et gardait la tête haute, sa main enveloppant celle de Jemima Bradbury, désormais sa fiancée.
C’était le début du mois de mai, et le ciel était bleu, sans aucun nuage.
Contrairement à son humeur qui, elle, était orageuse.
Ce n’était qu’après avoir passé le lourd portail de bois noir et pénétré dans la cour du domaine qu’elle avait lâché la main de Jemima et détendu ses épaules en poussant un soupir de frustration.
Elle n’arrivait toujours pas à croire que ses parents l’aient forcée à tenir une conférence de presse pour annoncer ses fiançailles – en la prévenant moins de 24 heures avant. Ce n’était pas leur genre. Ils avaient sûrement peur qu’elle décide de s’enfuir. Et leur crainte était justifiée.
Elle leva les yeux et vit Jemima se masser la main, un léger sourire aux lèvres.
— Bon sang, tu as failli me briser les os en serrant si fort. Tout le monde va croire que tu n’as pas envie de m’épouser.
Elle ponctua sa remarque d’un haussement de sourcil.
— Et qu’est-ce que c’était que cette réponse à propos de la demande ? Tu aurais au
moins pu inventer une histoire sympa et donner aux journalistes ce qu’ils voulaient. C’est une occasion joyeuse, au cas où tu l’aurais oublié.
Jemima pencha la tête et sa longue chevelure blonde tomba en cascade sur ses épaules hâlées. Elle portait une jupe blanche et un haut assorti à bordure noire, conçus spécialement pour l’occasion, et était perchée sur une paire de Manolo Blahniks d’un blanc immaculé.
— Quel est l’intérêt d’inventer une histoire, Jem ?
Olivia passa ses doigts dans ses longs cheveux châtains et sentit ses épaules se nouer de nouveau.
— Tu as vraiment envie de m’épouser ? Alors que tu sais parfaitement que nous ne sommes pas amoureuses ?
C’était peut-être vieux jeu, mais Olivia avait toujours pensé que le jour où elle se fiancerait, elle serait amoureuse de sa future épouse. Une chose que sa mère ne pouvait pas comprendre, elle qui n’avait cessé de répéter à sa cadette que dans leur cercle, cela n’avait pas d’importance. L’amour se trouve tout en bas de la liste des priorités, Olivia. Je pensais qu’à 33 ans, tu l’aurais compris.
Une légère brise souffla au-dessus de sa tête tandis qu’elle regardait la maison de briques rouges, dans le Surrey, où elle vivait depuis trois ans. Depuis son retour.
Sa prison, comme elle se le répétait souvent.
Jemima rit, une expression triste sur le visage.
— J’ai essayé l’amour, et ça n’a pas marché. Comme pour beaucoup de gens.
Elle marqua une pause.
— Ça n’a pas marché pour toi et Ellie non plus, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle.
Au nom de son ex-petite copine, Olivia ressentit comme un coup de poing dans le ventre.
Jemima poursuivit.
— Et tu n’es pas le pire des partis, en ce qui me concerne. Tu es une princesse. Je n’ai pas l’intention de renoncer à l’opportunité d’épouser un membre de la famille royale.
Elle soupira et prit la main de sa fiancée.
Olivia sursauta à son contact. Sa paume était moite.
— On pourrait être heureuses ensemble, tu sais. On a un passé.
Jemima battit des cils en direction d’Olivia – un coup qu’elle avait préparé.
— Je ne pense pas que ce soit suffisant.
Et pourtant, elles étaient fiancées à présent. Elle et Jemima étaient sorties ensemble dans la vingtaine, jusqu’au jour où Olivia avait quitté la haute société pour une carrière dans l’armée. Certes, elles évoluaient encore dans les mêmes cercles et elles avaient passé une nuit ensemble il y a un an – une erreur qui faisait encore grimacer Olivia – mais désormais, son ancienne petite copine était de nouveau projetée dans sa vie par décret royal. Et tout le monde – y compris Jemima – s’en réjouissait bien plus qu’Olivia.
— La presse y croit peut-être parce qu’on forme un joli couple et que c’est ce qu’elle désire.
Olivia planta ses yeux dans ceux de Jemima et ajouta :
— Mais tu n’as pas envie de quelque chose de plus ? Tu veux vraiment te contenter de moi ?
Elle voulait que Jemima réfléchisse sérieusement à ce qu’elle s’apprêtait à faire, car elle avait plus de choix qu’Olivia. Dans un coin de sa tête, Olivia avait toujours su que la probabilité d’un mariage arrangé existait, ayant vu sa sœur suivre cette voie.
Jemima laissa échapper un rire étouffé.
— Épouser la princesse Olivia, quatrième dans l’ordre de succession au trône, ça n’est pas franchement un sacrifice. Et on pourrait très bien s’entendre. Ce n’est pas comme s’il y avait de la haine entre nous, si ?
Non, effectivement, Olivia devait le reconnaître. Elles avaient beau être des ex, elles s’étaient toujours bien entendues. Elle voulut mettre un coup de pied dans un caillou dans la cour, puis elle se souvint qu’elle portait des talons de dix centimètres et non ses baskets : aujourd’hui, elle était une princesse professionnelle, pas un soldat. Elle voulait fourrer ses mains dans ses poches et marcher d’un pas raide dans la cour, hélas ça n’était pas évident dans une robe rouge coquelicot.
— Écoute, ça n’est pas un plan si terrible que ça, dit Jemima, écartant ses doigts manucurés. Tu n’as pas envie de te poser ? Et quitte à le faire, tu ne préfères pas que ce soit avec quelqu’un qui connaît ton monde, qui le comprend et qui est élégant à ton bras ? Est-ce que ça ne rendrait pas la vie un tout petit peu plus facile ?
Olivia passa sa langue sur ses lèvres, consciente que Jemima avait raison sur ce point. Pourtant, le doute persistait dans son esprit et elle ne parvenait pas à le chasser. Elle avait goûté à l’amour avec Ellie, et elle souhaitait y goûter à nouveau.
Si elle devait se marier, elle voulait que ce soit un amour réel, pour la vie, pour toujours.
Rien de tout cela ne rimait avec Jemima Bradbury.
* * *
Malcolm, le secrétaire particulier de sa mère, sortit de la pièce par la porte richement sculptée et inclina sa tête chauve avant d’annoncer :
— La reine va vous recevoir.
Il ne prononça pas un mot de plus, mais le regard qu’il lui lança de ses yeux plissés voulait tout dire : ne causez pas d’ennuis inutiles à la reine, car c’est moi qui devrai ramasser les pots cassés.
Olivia lui sourit en passant devant lui.
Elle n’avait jamais aimé Malcolm.
Quand elle entra dans la pièce, sa mère – la reine Cordelia, de son titre officiel – était affairée sur son téléphone portable ; son père – le prince Hugo – était plongé dans le Times du jour, installé dans son fauteuil préféré. Il était doré, en piteux état, et craquait à tout-va, or le prince refusait de laisser la reine le retapisser, et jusqu’à présent, elle avait accepté. C’était une petite victoire dans la vie de son père, et il s’y accrochait fermement.
Olivia toussota, et il posa le journal.
La reine leva les yeux, puis croisa les bras sur sa poitrine : l’échange s’annonçait aussi difficile qu’elle le craignait.
Elle désigna les canapés bleus placés devant la cheminée, et sa mère la suivit. Elles s’assirent face à face. Olivia crispa ses orteils dans ses escarpins. Elle avait gardé les mêmes vêtements, car elle savait que sa mère serait parfaitement apprêtée et prête au combat. Et elle avait eu raison : la reine portait un tailleur-pantalon moulant gris et des talons assortis – un look aussi tranchant que son attitude.
— Alors, vous avez regardé ?
Sa mère hocha la tête.
— Oui.
Elle marqua une pause et croisa les jambes.
— Tu aurais pu sourire plus, avoir l’air plus heureuse.
D’une main, elle protégea son visage de la lumière de l’après-midi qui perçait à travers les vitraux du palais.
— On aurait dit que tu annonçais un enterrement, pas un mariage.
— Ta mère a raison.
Son père vint s’asseoir à côté de son épouse, dans son costume noir et sa cravate à rayures habituelle.
— On aurait dit que tu n’avais pas envie d’être là.
— Parce que je n’avais pas envie d’être là, tu le sais très bien !
Olivia leva les bras au ciel : ses parents avaient le don de l’énerver en un claquement de doigts. Comment pouvaient-ils rester si calmes alors qu’ils avaient conscience qu’elle ne voulait rien de tout cela ? Ils en avaient discuté trois nuits plus tôt, et ils savaient ce qu’elle ressentait.
— Et tu sais très bien que les gens se posent des questions à ton sujet, et que tu as un certain âge.
Le visage de sa mère était glacial.
— Ta sœur l’a compris et s’est mariée sans se plaindre. On ne te force même pas à épouser un homme…
— Comme c’est aimable de votre part, rétorqua Olivia.
— En effet. Tu vas devenir la première princesse lesbienne à se marier, et Jemima est tout à fait convenable. Si tu dois vraiment épouser une femme, il faut que ce soit le bon type de femme. Il ne s’agit pas que de toi, Olivia, tu fais partie de la famille royale – il est temps de te ranger. Et depuis Ellie, tu n’as pas l’air de vouloir essayer.
Pourquoi fallait-il que tout le monde parle d’Ellie aujourd’hui ? Ellie appartenait au passé, elle était mariée à quelqu’un d’autre, et Olivia voulait se concentrer sur son avenir. L’amour ne serait peut-être pas au rendez-vous, mais elle voulait au moins essayer. Pour cela, il fallait qu’elle se calme, qu’elle cache son jeu. Elle aurait plus de chances en demandant à son père.
— Je n’étais pas bien préparée pour cette conférence de presse aujourd’hui, c’est tout. Vous ne m’en avez parlé qu’hier soir. Et j’avais l’impression de mentir, et qu’ils voyaient tous clair dans notre jeu.
Olivia savait bien qu’il était temps pour elle d’assumer ses responsabilités royales – l’heure tournait – mais elle ne s’attendait pas à se sentir si… vide. Démunie.
— Sottises – la presse voit ce qu’elle veut voir, répondit la reine en joignant ses mains sur ses genoux et en regardant fixement sa fille. Tout le monde sait que Jemima et toi avez un passé ensemble, et vous formez un très beau couple. Demain, tous les journaux publieront vos jolis visages souriants. Enfin, celui de Jemima, en tout cas.
— Jemima n’est pas un compromis si terrible, Olivia, ajouta son père, avant de détourner le regard.
Olivia serra les dents : il avait fait des compromis, lui aussi, et voilà où ça l’avait mené. S’il y avait bien un mariage qu’Olivia ne voulait pas reproduire, c’était celui de ses parents.
Elle voulait un mariage d’amour, un amour brûlant de passion tous les jours.
Elle se leva et marcha jusqu’à la cheminée, ses talons claquant sur le plancher de bois verni. Elle regarda la photo d’Alexandra la tenant dans ses bras, encore bébé, une grande sœur de six ans, très fière. Alex avait accompli son devoir et épousé Miles, et ils avaient à présent deux enfants.
Olivia n’avait aucune envie de reproduire leur mariage non plus.
Elle se tourna vers ses parents et, rassemblant tout son courage, elle prit une profonde inspiration.
— J’ai juste besoin de quelques semaines pour remettre de l’ordre dans mes idées. Toute cette histoire m’a troublée. Je sais ce que vous voulez, et je sais que nous nous sommes mis d’accord, mais le dire à voix haute m’a semblé… faux. Malhonnête.
— Bienvenue dans le monde de la royauté, répondit son père, impassible.
Olivia secoua la tête.
— J’aimerais bien partir quelque temps dans la maison des Cornouailles. Juste pour me vider la tête et réorganiser mes pensées.
— Les fiançailles ont été annoncées à présent, il est un peu tard pour t’enfuir.
Le visage de sa mère était stoïque. La reine ne versait pas dans le sentimental, et elle ne comprenait absolument pas sa fille.
— J’ai simplement besoin d’espace, Maman.
Olivia pinça les lèvres. Sa mère pouvait au moins comprendre ce besoin, même si elle n’était pas d’accord.
— Et puis, il n’y a pas de domestiques dans la maison des Cornouailles en ce moment ; nous avons dû réduire les dépenses, faire preuve de bonne volonté, ajouta la reine. Et qu’en est-il des gardes du corps ?
— Je n’ai pas besoin de domestiques et je n’ai pas besoin de gardes du corps – je ne suis plus une adolescente, renchérit Olivia. Au contraire, ça me permettra d’avoir vraiment du temps pour moi.
Elle s’interrompit un instant.
— Deux semaines, c’est tout ce que je demande. Et je vous promets de rentrer ensuite et d’aller au bout de tout ce que nous aurons décidé ensemble.
À présent, c’était au tour de la reine de pincer les lèvres. Elle baissa les yeux vers le plancher, puis se tourna vers son mari.
— J’imagine que tu es d’avis que nous la laissions partir, puisqu’Olivia t’a toujours mené par le bout du nez.
Son père haussa les épaules.
— Elle ne demande que deux semaines, et si c’est tout ce qu’il lui faut pour se remettre les idées en place, je pense qu’elle devrait partir.
Il se tourna vers sa cadette.
— Mais pas de scandale. Ne dis pas aux gens où tu es, autrement la presse risque de soupçonner quelque chose. Sois discrète, pas de soirées déjantées et pas de beuveries au pub du village.
Olivia fit non de la tête, et sentit un frisson de soulagement parcourir son corps.
Ils la laissaient partir.
— Je n’ai plus vraiment l’âge pour tout ça.
Elle ne pouvait même plus se souvenir de la dernière fois qu’elle avait eu une soirée un tant soit peu festive.
— Je porterai des lunettes et je vais même me couper et me teindre les cheveux pour qu’on ne me reconnaisse pas. Personne ne s’attendra à une princesse aux cheveux courts.
— Ne les coupe pas trop court. Pas comme quand tu étais dans l’armée. Tu ressemblais à un homme, dit la reine en faisant la grimace.
— Je ressemblais à une femme aux cheveux courts, Maman ; ne sois pas si homophobe.
La reine se leva, elle la regarda du haut de son 1,80 m. Elle avait toujours été une présence imposante dans la vie d’Olivia.
— Nous te laissons partir, n’exagère pas. Sois de retour dans quelques semaines pour commencer à approuver les détails du mariage.
Son ton était sec, il ne fallait pas l’énerver.
— J’ai demandé à Malcolm de commencer les recherches pour le lieu de votre mariage et d’organiser les listes d’invités.
Elle jeta à Olivia un regard froid.
— Et souviens-toi : je veux que tes cheveux soient longs pour les photos de mariage, alors ne les coupe pas trop.
— Le mariage est dans trois mois.
— Pas. Trop. Court.
— Et pas de soirées, sinon j’envoie les gardes du corps, ajouta son père.
Olivia prit une profonde inspiration, puis se redressa.
— Promis, je serai sage.
Rosie leva la tête et regarda au loin, au-delà de la voie ferrée. Elle jeta un coup d’œil à sa montre. Le train était en retard, comme d’habitude. Elle inspira profondément. Ce n’était pas comme si une file de clients l’attendaient au café. Elle essaya de détendre ses épaules et de travailler sur un petit moment de pleine conscience. Il y avait des cours de méditation de pleine conscience à Otter Bay à présent – et de yoga, bien sûr. Deux pratiques qui n’étaient pas franchement du goût de Rosie.
Un sifflement se fit entendre au loin. Finalement, sa sœur n’arriverait pas avec trop de retard. Elle était ravie de mettre fin à cette pseudo-séance de méditation. Même si se vider la tête pendant une ou deux minutes lui aurait fait le plus grand bien.
Le train s’approcha dans un bruit tonitruant, débarrassant momentanément la tête de Rosie de toute pensée parasite. Ah. C’était donc ça qu’il lui fallait pour chasser l’angoisse : des bruits assourdissants venant perturber le calme de la campagne des Cornouailles – pas cette méditation ridicule.
Rosie essaya de repérer Paige aux fenêtres du train qui entrait en gare, sans succès. Le train s’arrêta brusquement, et quelques secondes plus tard, les portes s’ouvrirent.
Les premiers passagers débarquèrent. Rosie les regardait attentivement. Connaissant Paige, elle serait la dernière à descendre. À moins que la visite de l’université de Bristol n’ait été un énorme succès et qu’elle ait hâte de répéter à Rosie tout ce qu’elle lui avait déjà dit au téléphone.
Rosie baissa les yeux et détourna un instant son regard du flot de passagers descendant du train, quand elle fut poussée sur le côté.
— Je suis vraiment désolée, lâcha une femme.
— Regardez où vous allez, répliqua machinalement Rosie.
La femme portait la même veste Paul Smith que Rosie avait aperçue dans un magazine laissé au café par un client le matin même. Sans cela, elle n’aurait jamais été capable de reconnaître une telle pièce de mode. Elle en avait eu des sueurs froides en voyant son prix.
— Je suis sincèrement désolée, répéta la femme, qui regarda brièvement Rosie dans les yeux avant de partir précipitamment.
Encore une riche Londonienne qui vient faire flamber les prix dans les Cornouailles. Rosie regarda la femme détaler, comme si elle était en retard pour un rendez-vous de la plus haute importance. Un cours de méditation, peut-être.
Rosie n’avait pas bien vu son visage, mais il lui semblait pourtant vaguement familier.
— Coucou !
Paige apparut soudain à côté de Rosie. Cette bousculade avec une inconnue avait complètement détourné son attention, et elle n’avait pas vu Paige descendre du train.
— Merci d’être venue me chercher, dit Paige. Ça m’évite une heure et demie de trajet en bus.
— Aucun problème, répondit Rosie en posant brièvement sa main sur l’épaule de sa petite sœur. Le taxi Rosie sera toujours là pour toi.
— Tu pourrais m’écrire ça noir sur blanc, s’il te plaît ? renchérit Paige.
Elles marchèrent jusqu’à la vieille Toyota usée de Rosie. C’était une voiture d’occasion qu’elle avait achetée pour quelques centaines de livres sterling à Raymond, le garagiste du coin, qui l’avait retapée gratuitement.
— J’ai une clause à ajouter, dit Rosie quand elles arrivèrent devant le véhicule. Le taxi Rosie sera toujours là pour toi, tant que cette voiture de luxe tiendra le coup, ajouta-t-elle en souriant à Paige.
— Elle a intérêt à tenir encore quelques mois alors, répondit Paige en souriant à son tour. Au moins jusqu’à mon départ pour l’université.
Elles montèrent à bord. Cela leur faisait du bien de pouvoir au moins rire de leur situation financière. Une seconde de soulagement, c’était toujours mieux que rien.
— Répète-moi tout ce que tu m’as raconté sur Bristol, lança Rosie en démarrant la voiture.
Elles ne pouvaient compter que sur leur conversation pour meubler le silence – la radio avait rendu l’âme depuis près d’un an.
Tandis que Paige se lançait dans une diatribe de l’université de Bristol et listait toutes les raisons d’y étudier, Rosie pensait déjà aux frais universitaires. Mais elle avait eu l’occasion d’aller à l’université – pendant deux ans, du moins – et elle ferait tout son possible pour que Paige puisse vivre la même expérience sans avoir à prendre un énorme prêt étudiant. Même si les choses étaient bien différentes aujourd’hui.
Si elle voulait vraiment envoyer Paige à l’université, peut-être qu’il n’y avait plus d’autre choix que de vendre Mark & Maude’s, le café que ses parents avaient ouvert vingt ans plus tôt.
* * *
Comme chaque fois qu’elle ouvrait son compte bancaire en ligne, Rosie sentit son estomac se serrer. La terreur qu’elle éprouvait lui donnait la nausée. Elle rêvait de pouvoir un jour vérifier ses comptes sans être envahie par la crainte – elle savait en permanence quelle somme s’y trouvait, et le nombre de factures qu’il faudrait régler avec cette somme.
L’argent de la vente de la maison de ses parents après leur décès prématuré avait depuis longtemps disparu. Elle s’en était servi pour couvrir les retards de paiements de l’emprunt pour le café.
Chaque mois, il ne restait pas grand-chose sur son compte après avoir payé le loyer du petit appartement qu’elle partageait avec Paige – bien plus étroit que celui où elles vivaient avant, jouxtant le café, jusqu’à ce que leur propriétaire augmente une fois de plus le loyer. Rosie comprenait qu’il souhaite gagner plus avec les locations saisonnières à court terme. Elle aurait bien aimé que le café profite aussi de cet afflux de touristes.
Mais Mark & Maude’s était un lieu old school, qui fermait ses portes avant l’heure du dîner et qui n’avait pas l’apparence branchée des établissements dans lesquels les riches Londoniens aimaient manger. Et on n’y servait pas d’alcool. Peut-être qu’il fallait changer ça. Obtenir une licence ne devait pas être difficile. La vente de boissons alcoolisées avait en tout cas fait des miracles pour d’autres cafés du village.
Rosie jeta un regard noir à l’écran de son ordinateur portable, comme s’il était responsable de la faible somme sur son compte en banque. Regrettant d’avoir ouvert l’appli, elle se laissa retomber sur le dossier de sa chaise. Fixer les chiffres du regard n’allait pas les changer. Mais elle avait espéré que cette situation délicate ferait jaillir une idée magique dans son esprit.
Elle se déconnecta. Aucune idée magique ne lui était venue. Elle défit sa queue-de-cheval et lâcha ses cheveux. Il était grand temps de faire un tour chez le coiffeur.
Des pas se firent entendre, et Paige entra dans le salon.
— Bonsoir, ma sœur, dit-elle en français avec un très fort accent anglais.
Paige avait les mêmes rêves que Rosie à son âge. Elle voulait voyager dans le monde entier et en profiter pour apprendre différentes langues. Les études de français à l’université, c’était déjà un début.
— Qu’est-ce qu’on mange ?
— Ce que tu as prévu de cuisiner, répliqua Rosie. C’est ton tour, tu te souviens ?
Paige se laissa tomber dans un fauteuil.
— Pizza surgelée, dans ce cas.
— Tu pourrais au moins attendre d’être à l’université pour manger mal ! dit Rosie en refermant d’un coup sec son ordinateur.
Le site de la banque était encore ouvert et elle ne voulait pas que Paige lui pose des questions sur ses finances.
— Qu’est-ce que tu mangeras quand je serai partie ? demanda Paige en inclinant sa tête. Ne me dis pas que tu ne seras jamais tentée par une pizza surgelée !
Rosie avait du mal à se projeter aussi loin dans le temps – et encore plus de mal à s’imaginer vivre sans Paige. Allait-elle être seule en plus d’être sans emploi à partir du mois de septembre ?
— Du quinoa et des toasts à l’avocat avec des amandes et des graines de chia, tous les jours, plaisanta Rosie.
Elle se souvint de la première fois qu’un client lui avait demandé si elle servait du quinoa.
Ça n’est pas vraiment une spécialité des Cornouailles, lui avait-elle répondu en lui montrant ce qui était disponible sur la carte.
La sonnette retentit et fit sursauter Paige.
— J’y vais, dit-elle.
Rosie étira ses bras au-dessus de sa tête en se demandant qui ça pouvait bien être.
— Prépare-toi, chuchota Paige en revenant dans le salon. Ton ex est ici.
— Amy, râla Rosie. Qu’est-ce qu’elle veut ?
Les mains sur les hanches, Paige regarda Rosie comme si elle venait de poser la plus bête des questions.
— Toc-toc, fit la voix d’Amy depuis le couloir.
Rosie voulut jeter un regard à sa sœur pour lui demander ce qui lui avait pris de laisser entrer Amy, mais c’était trop tard, Amy étant déjà plantée devant elle.
— Salut, lança Paige à Amy. Je vous laisse.
Elle disparut dans la cuisine. Peut-être en profiterait-elle pour trouver une autre idée pour le dîner.
Amy se dirigea vers Rosie et l’embrassa sur la joue. Elle laissa sa main sur le bras de Rosie un peu plus longtemps que nécessaire – du moins, au goût de Rosie.
— Quoi de neuf, petite rose ? demanda Amy en regardant rapidement Rosie de haut en bas. Même si j’adore quand tes cheveux sont lâchés, tu fais une sale tête.
Bien évidemment, Amy n’aurait jamais imaginé une seconde que sa visite surprise – loin d’être la première – puisse expliquer sa sale tête.
— Je suis un peu stressée, avoua Rosie.
Amy secoua la tête.
— Tu ne vas pas pouvoir continuer comme ça, dit-elle. Et tu as d’autres options. Tu le sais.
Facile à dire, pour Amy. Ses parents, eux, savaient comment tirer profit de ces nouveaux touristes mangeurs de quinoa, buveurs de gin tendance et adeptes de la méditation de pleine conscience. Toute l’économie locale leur appartenait plus ou moins, et leur tout nouveau café était un concurrent direct de Mark & Maude’s.
— Je n’ai pas besoin de ton aide, répondit Rosie en remuant sur sa chaise.
Elle n’avait pas franchement envie de proposer à Amy de s’asseoir. Hors de question de lui donner l’impression qu’elle voulait papoter – ou qu’elle avait besoin de son aide.
— Ne sois pas si têtue. Tu n’as que vingt-huit ans. Et toute la vie devant toi. Tu pourrais faire tellement de choses si tu ne t’accrochais pas autant à ton précieux café.
Amy n’avait jamais eu la langue dans sa poche.
— Tu pourrais devenir manager dans l’un de nos cafés en un claquement de doigts, dit-elle en joignant le geste à la parole. Réfléchis-y, Rosie. Un salaire fixe. Pas d’employés à payer. Ce genre de sécurité a ses avantages. Surtout avec ta sœur qui part à l’université, ajouta-t-elle à voix basse.
— Mêle-toi de tes affaires. Ça ne te regarde pas.
Rosie tenta de dissimuler le trouble dans sa voix. Dans un sens, Amy avait peut-être raison, mais Rosie n’avait pas l’intention de l’admettre.
— Je tiens à toi, dit Amy en se rapprochant d’elle. Tu le sais bien.
Rosie parvint tout juste à se retenir de lever les yeux au ciel. Cette phrase, elle l’avait entendue suffisamment par le passé. Elle n’avait plus d’effet sur elle à présent.
— Qu’est-ce que tu fais ici, Amy ? demanda Rosie d’un ton qui, cette fois-ci, ne dissimulait plus son agacement.
— On est encore amies, non ?
Rosie poussa un soupir. En ce qui la concernait, non. Elle n’avait pas besoin d’amies comme Amy.
— On était sur le point de passer à table. Ce n’est pas le moment idéal pour une discussion entre amies.
Amy la regarda un moment, sans dire un mot.
— Message reçu cinq sur cinq, répondit-elle avant de lui tourner le dos et de se diriger vers la porte.
Si seulement. Rosie suivit Amy dans le couloir, avec une seule hâte : claquer la porte derrière elle.
Sa mère n’avait pas exagéré en disant que la maison était restée vide pendant longtemps. En passant le pas de la porte, Olivia avait toussé et grimacé, avant d’ouvrir toutes les fenêtres – celles qui voulaient bien s’ouvrir, du moins. L’odeur de poussière, de moisissure et d’autre chose qu’elle ne parvenait pas à identifier – de l’huile de poisson ? – était encore bien présente plusieurs heures après son arrivée, mais elle espérait que ses efforts pour nettoyer et aérer la maison en viendraient à bout.
Sa sœur aurait demandé à des employés de s’occuper de tout à sa place ; pour Alexandra, héritière au trône, cette besogne n’était pas digne d’un membre de la famille royale. Olivia répondait à cela en lui tirant la langue ou en lui faisant un doigt d’honneur – Alex en était systématiquement scandalisée, ce qui faisait toujours rire Olivia. Après avoir passé huit ans dans l’armée et avoir été déployée deux fois en Afghanistan, Olivia n’avait pas peur de retrousser ses manches. À vrai dire, elle aimait ça. Alors remettre la maison en état, redémarrer le chauffe-eau et détartrer la bouilloire avec du vinaigre trouvé sous l’évier pour se faire un café sans morceaux de calcaire dedans : rien de tout cela ne l’impressionnait.
À présent, elle se tenait dans l’encadrement de la porte de derrière, autrefois blanche et qui aurait désormais bien eu besoin d’être poncée et repeinte. Sa tasse de café instantané à la main, elle regardait le jardin envahi par les mauvaises herbes, les arbustes broussailleux et le court de tennis abandonné, où des ronces poussaient à la base du filet distendu. Ce filet lui semblait si haut quand elle était enfant et qu’Alexandra lançait des balles de tennis en visant sa tête. Elle avait toujours aimé ce lieu ; il l’avait toujours apaisée.
Olivia avait ouvert le paquet préparé par Anna, sa gouvernante – des œufs, du lait, du fromage, du pain, des sachets de thé, du café, des biscuits. Il faudrait malgré tout aller faire quelques courses le lendemain. Au village, en essayant de rester incognito. Ses cheveux coupés, naturellement ondulés et désormais cuivrés, associés à ses lunettes à monture noire, feraient l’affaire, elle en était presque certaine. Elle lissait généralement ses cheveux, et sa mère lui répétait sans cesse que c’était un style plus classique, mais elle aimait bien ce look naturel. Peut-être qu’elle le garderait en rentrant à Londres. S’il fallait qu’elle épouse Jemima pour accomplir son devoir en tant que princesse, elle pouvait au moins choisir sa propre coiffure. Ce serait une petite victoire, comme le fauteuil usé de son père.
Ce n’est qu’à cet instant qu’Olivia se souvint qu’elle devrait payer avec la carte de crédit sur laquelle son nom était inscrit. Un détail qu’elle avait totalement omis. Certes, elle n’était plus la fêtarde d’autrefois, et elle n’était pas en une des tabloïds anglais autant que sa sœur, mais tout de même. Olivia Charlton était un nom facile à identifier. Elle allait devoir demander au palais de lui envoyer une fausse carte de crédit, celle portant le nom de Charlie Smith – en espérant qu’elle ait assez de liquide d’ici là pour acheter tout ce qu’il lui fallait.
Elle sourit en pensant à son alter ego, Charlie Smith. Olivia l’aimait beaucoup.
C’était un surnom de l’époque de l’armée. Libérée des chaînes qui la maintenaient dans le même pays que sa famille et dans la royauté, Charlie était la version la plus authentique d’Olivia. Quand elle était avec son escadron, Olivia – ou plutôt, Charlie – avait ressenti une véritable raison d’être, plus que jamais dans sa vie. En service, dans son uniforme et avec une mission importante à accomplir, elle n’était qu’une militaire de plus, une autre femme défendant sa patrie. Elle avait tellement aimé ça. C’est pour ça qu’elle s’était surpassée à l’Académie royale militaire de Sandhurst et qu’elle s’était entraînée des années durant.
Cette époque avait connu une fin soudaine trois ans plus tôt, quand sa mère avait mis un terme aux vacances, pour reprendre ses mots, en lui disant qu’à désormais 30 ans, il était temps pour elle d’assumer ses fonctions royales et d’être un membre plus actif de la vie royale. C’est ainsi que Charlie Smith s’était éteinte, tout comme sa relation avec Ellie, qui n’avait pas supporté le poids de la royauté.
Olivia but une gorgée de café. Elle ne pensait plus beaucoup à Ellie – elle ne pouvait pas se le permettre –, mais elle savait qu’avec elle, elle avait eu un aperçu d’un autre monde, d’une vie réelle. Sa destinée royale désormais toute tracée, elle doutait fortement d’y goûter à nouveau un jour. Elle n’imaginait pas un instant que Jemima serait heureuse ici sans domestiques, contrainte de faire son propre café – instantané, pour couronner le tout. Jemima aurait piqué une crise. Le café instantané, c’était pour le bas peuple, dont elle ne faisait pas partie.
Ses pensées furent soudain interrompues par le son de son téléphone dans sa poche. Elle posa sa tasse sur le plan de travail et regarda l’écran. Elle ne fut pas surprise en voyant l’expéditrice du SMS.
Tu es dans les Cornouailles ? Sans aucun domestique ??? Tu viens juste de te fiancer ! Je ne sais pas à quoi tu joues, mais Maman n’est pas contente, et Jemima était en larmes au club hier soir. Envoie-lui au moins un message !
Olivia leva les yeux au ciel et reprit sa tasse de café. Elle avait appris depuis longtemps déjà que le meilleur moyen de réagir avec sa sœur était de l’ignorer.
Et si Jemima était en pleurs, c’était certainement parce qu’elle avait bu trop de vodka martinis.
* * *
— Ça fera 22,96 £, s’il vous plaît, annonça la caissière en lui souriant, et Olivia lui tendit 30 £.
Après avoir trouvé une autre réserve de billets dans la maison, elle ne se sentait plus aussi fauchée que la veille ; et son secrétaire particulier lui enverrait dès aujourd’hui sa carte de crédit.
Elle s’était demandé si les paiements par carte étaient disponibles dans cette région des Cornouailles, mais les commerces avaient même le paiement sans contact. Ça n’était pas le cas dans la plupart des magasins lors de sa dernière visite, plus de cinq ans auparavant. Elle remercia la caissière, lui tendit une pièce de monnaie pour acheter un sac réutilisable pour transporter ses courses, et sortit de la supérette du village en vissant sa casquette de baseball sur sa tête, le visage masqué par des lunettes de soleil.
Elle était dehors depuis vingt minutes, et jusque-là, personne ne l’avait reconnue.
Encore treize jours à rester incognito.
Ce matin, la météo était changeante – entre soleil et nuages blancs. Olivia se sentait déjà plus libre, plus vivante que ces derniers mois. Elle ressentait toujours ça dès qu’elle s’éloignait de sa famille et de Londres. Il était rare qu’elle puisse se balader dans les rues sans craindre que des paparazzi ou d’autres personnes ne rapportent à ses parents tous ses faits et gestes. La plupart des gens n’appréciaient pas cette liberté à sa juste valeur ; pour elle, c’était un moment très particulier, et toujours trop court.
Elle descendit la rue principale du village, juste assez large pour que deux voitures se croisent, en examinant les vitrines. Un magasin d’ustensiles de cuisine ; une boutique de surf, dans laquelle elle se dit qu’elle devrait retourner un autre jour ; une boucherie à l’ancienne avec un comptoir blanc et deux hommes derrière, couperet à la main – elle ne voyait plus cela à Londres.
Tandis qu’elle regardait dans la vitrine d’une boutique de vêtements pour femmes, elle sentit son estomac gargouiller et pensa à toutes ses emplettes dans son sac. Elle avait acheté du bacon et des œufs ; il était temps de rentrer cuisiner. Mais elle appréciait sa balade et la proximité des gens.
La sonnette à la porte d’une boutique interrompit sa rêverie, et une vieille femme avec une crinière de cheveux gris lui sourit en montrant la vitrine du doigt.
— Il vous irait très bien – il mettrait votre teint en valeur, dit-elle en montrant du doigt un chemisier beige brodé de fleurs rouges et jaunes.
Olivia lui répondit par un regard qu’elle espérait courtois. Cette femme était-elle folle ? Ce chemisier n’irait à personne ! Mais c’était généralement l’avis d’Olivia sur la mode féminine.
— Je ne fais que regarder, se justifia-t-elle.
Il fallait qu’elle s’éloigne avant que cette femme n’entame la conversation. Elle avait le sentiment qu’elle serait coincée avec elle pendant des heures.
La devanture suivante était un café – Mark & Maude’s. Avec un timing parfait, son estomac gargouilla à nouveau. Sur un coup de tête, Olivia y entra, s’installa loin de la fenêtre et ôta sa veste gris ardoise, en glissant ses courses à ses pieds. Elle échangea ses lunettes d’un geste rapide, mais décida de garder sa casquette, au cas où. Elle n’avait pas encore le courage de s’en défaire.
De l’extérieur, le café avait semblé mignon quoique usé, et l’intérieur le confirmait. Les tables et chaises étaient dépareillées, et les peintures des murs avaient besoin d’un petit rafraîchissement, cependant Olivia aimait beaucoup l’originalité du comptoir décoré de centaines de vieilles capsules de Coca-Cola, les distributeurs de serviettes en papier en métal chromé et les shakers à sucre des années 1950 disposés sur les tables. Elle ne savait pas qui étaient Mark et Maude ; une chose était sûre, ils avaient le goût du rétro.
Un tambourinement sur la vitre capta son attention. Elle leva les yeux et aperçut la femme de la boutique qui lui faisait signe par la fenêtre du café. Ses gestes indiquaient qu’elle invitait Olivia à revenir plus tard, ou qu’elle voulait son numéro de téléphone.
Merde alors.
Olivia répondit péniblement par un sourire, puis entendit un rire s’approcher.
— Vous avez fait l’erreur de regarder dans la vitrine de Connie ?
Elle leva la tête et vit une femme qui devait avoir à peu près son âge lui sourire, ses lèvres brillant d’un gloss fraîchement appliqué. Elle portait un jean, un petit haut noir et des Converses blanches, et ses cheveux blond foncé étaient attachés en queue-de-cheval. Où l’avait-elle déjà vue ? Olivia se creusa les méninges et se souvint tout à coup – c’était la femme de la gare, celle qu’elle avait bousculée.
Elle mit cette pensée de côté et hocha la tête.
— Oui, elle est toujours aussi tenace avec tous ses clients ?
La serveuse laissa échapper un rire tonitruant qui résonna dans tout le café.
— Tous, sans exception. C’est une technique de vente unique en son genre, spécialité de Connie.
— Si elle a encore sa boutique, c’est que ça doit fonctionner.
— Étonnamment, on dirait bien, répondit la jeune femme en la regardant avec intensité, de ses yeux bleus perçants. Vous me rappelez quelqu’un, ajouta-t-elle. On s’est déjà rencontrées ?
Olivia fit non de la tête.
— Je ne pense pas, je viens de Londres, l’informa-t-elle en lui tendant une main. Ol… Charlie, corrigea-t-elle en toussotant.
— Rosie, répondit la jeune femme en étudiant toujours son visage. J’ai vraiment l’impression de vous avoir déjà vue.
Elle donna une petite tape sur son calepin avec son stylo.
— Ça va me revenir, dit-elle tandis qu’un tic parcourait son sourcil. Vous êtes ici pour le week-end ?
— Un peu plus longtemps. J’avais envie de m’éloigner de Londres une ou deux semaines. J’ai quelques trucs à régler.
— Vous logez dans le coin ?
Olivia se tortilla sur sa chaise et donna un petit coup de pied dans son sac de courses.
— Oui, des amis m’ont laissé leur maison.
— C’est sympa d’avoir des amis haut placés, conclut Rosie avant de montrer la carte du doigt. Vous savez ce que vous voulez ? On ne fait pas encore d’écrasé d’avocat comme vous en raffolez à Londres, mais on peut vous faire un excellent full English breakfast, ou encore des œufs Bénédicte, si vous voulez.
— Je peux me passer d’écrasé d’avocat. Depuis quand la cuisine est-elle devenue si violente ?
Rosie gloussa à nouveau, et Olivia ressentit une étrange satisfaction d’avoir provoqué ce rire. Quand Rosie souriait, tout son visage s’illuminait.
— Je vais suivre votre conseil. Full English breakfast ?
— Excellent choix. Tous les ingrédients proviennent de la région, et notre cuisinière, Gina, réalise même son propre ketchup.
— Bien plus impressionnant que d’écraser un avocat sur une tranche de pain.
— Vous savez quoi, vous avez bien raison, renchérit Rosie. Je vous aime bien, Miss London. Thé ou café ?
— Du thé, s’il vous plaît, dit-elle. C’est votre café ?
Rosie fit oui de la tête. Une ombre passa brièvement sur son visage, puis elle répondit en souriant à nouveau :
— Oui. Il appartenait à mes parents, et maintenant il est à moi.
— Il me plaît beaucoup, déclara Olivia, qui avait l’impression que Rosie avait besoin de ce compliment. J’aime tout particulièrement le comptoir.
Le visage de Rosie rayonna de joie.
— C’est vrai ? C’était mon idée. J’ai toujours voulu aller aux États-Unis, mais je n’ai jamais pu. Alors j’avais envie d’apporter une touche américaine à Otter Bay.
— C’est très réussi.
— On verra, dit-elle en tapotant à nouveau sur son calepin.
Elle s’arrêta, pencha la tête, puis regarda à nouveau Olivia :
— C’est une Paul Smith, cette veste ?
Merde, songea Olivia, gênée. Pour passer inaperçu, c’était raté !
— Oui, c’est un cadeau que je me suis fait à moi-même.
Rosie la regarda à nouveau :
— Vous étiez à la gare hier, non ?
— Oui, répondit-elle, profondément embarrassée.
Démasquée.
— C’est bien ce que je pensais, lui renvoya Rosie dont le sourire s’était raidi. Bon, un full English breakfast et un thé, c’est parti.
Elle jeta à Olivia un dernier regard pénétrant, puis tourna les talons et disparut en cuisine.
Olivia soupira et sentit comme un petit picotement la chatouiller de l’intérieur.
Elle n’était pas tout à fait sûre d’avoir compris ce qui venait de se passer.
Une chose était sûre, en revanche : rester incognito allait être plus difficile que prévu.