13e Lune à Concarneau - Martine Le Pensec - E-Book

13e Lune à Concarneau E-Book

Martine Le Pensec

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Beschreibung

La lune frappera treize fois à Concarneau…

Nina veut croire en la vie malgré un récent accident qui l'a plongée dans la cécité et a fragilisé sa mémoire. Confrontée à ce changement de situation brutal, la jeune parfumeuse se retrouve de plus, malgré elle, au cœur d'une galaxie mortelle où la lune se taillera la part belle. Cette année de treize lunes va, en effet, semer la mort sur Concarneau et Cap-Coz. Disparitions et morts se succèdent ; tous ces événements semblent être liés.
Victoire Leroy, détective brestoise, aidée de son associé, Samuel Guern, aura fort à faire pour découvrir qui se cache derrière des nombres symboliques et des citations bibliques qui annoncent une lune sanglante... La vie de Nina est donc en jeu et le temps compté... entre deux lunes.

La détective remportera-t-elle la victoire sur la lune ? Réponse dans ce polar haletant !

EXTRAIT

Le soleil déclinait et leur cri aigre, ajouté à la fraîcheur qui tombait, fit frissonner la jeune femme. Elle jeta un dernier regard à l’anse de Penfoulic qui constituait, grâce à sa vasière, le domaine privilégié de nombreux oiseaux. Le soleil oblique jetait ses derniers feux. Un éclat lumineux attira son regard. Quelque chose brillait à quelques mètres du bord et renvoyait l’éclat du soleil. Vic s’arrêta et mit ses mains en visière pour distinguer quelque chose parmi les carcasses délabrées des bateaux au rebut. Cimetière marin. Quelques vénérables coques pourrissaient lentement dans l’eau saumâtre de la vasière. Le soleil baissa un peu plus et l’éclat brilla de mille feux, intriguant Victoire. Il n’y avait là aucune partie métallique suffisamment brillante pour renvoyer la lumière. Ses yeux, habitués à scruter, distinguèrent soudain une forme incongrue.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née en 1954 à Cherbourg, Martine Le Pensec vit à Toulon où elle travaille comme conseiller à l'emploi. Mère de quatre filles, d'origine bretonne et normande, elle puise son inspiration dans l'Ouest et dans le secteur médical où elle a travaillé durant douze ans.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Le temps efface tout, et à la fin,il ne reste que les ténèbres. »

Stephen King - La ligne verte.

« Chacun de nous est une lune,avec une face cachée que personne ne voit. »

Mark Twain - En suivant l’Équateur.

I

Vic huma l’air à la senteur saumâtre tout en admirant le paysage. La mission du jour avait mené ses pas vers Beg-Meil et ses grandes villas du début du siècle. Une promenade particulièrement agréable qui lui permettait d’admirer les beautés de la baie de La Forêt, tout en longeant le sentier côtier de Beg-Meil à Cap-Coz.

Mission de routine aujourd’hui. L’homme qu’elle suivait depuis le matin était loin de se douter de l’attention qui lui était portée. Aurait-il répondu à la petite annonce qui lui offrait un poste s’il avait su que son futur employeur voudrait tout connaître de lui ? Pas sûr. Pourtant, c’était la commande qui avait été faite à Victoire Leroy. Son cabinet de détective privé recevait, de temps à autre, des demandes de ce genre. Souci de ne pas rater l’embauche d’un poste clé ou encore de ne pas faire entrer un loup dans la bergerie : tous les prétextes étaient bons pour justifier leur demande. Le dernier chef de service de cette clinique en plein développement avait démissionné sans crier gare et le directeur voulait s’assurer un remplaçant fiable. Cette fois-ci, savoir si le postulant menait une vie rangée faisait partie des critères du recrutement.

Son cabinet se trouvait à Brest, aussi Vic appréciait-elle la sortie qu’elle avait faite toute la journée. L’homme habitait une des belles villas qui bordaient l’anse de Penfoulic, la vasière de Cap-Coz.

R.A.S. Rien à signaler. Son rapport ne montrerait pas de signes d’alerte. Elle avait discrètement interrogé le voisinage et rien n’était venu troubler l’image lisse du postulant. Il était temps de cesser la filature. L’été s’était enfui, remplacé par octobre. Des hordes d’oiseaux criaient encore dans le ciel de Cornouaille, annonçant leur départ imminent.

Le soleil déclinait et leur cri aigre, ajouté à la fraîcheur qui tombait, fit frissonner la jeune femme. Elle jeta un dernier regard à l’anse de Penfoulic qui constituait, grâce à sa vasière, le domaine privilégié de nombreux oiseaux. Le soleil oblique jetait ses derniers feux. Un éclat lumineux attira son regard. Quelque chose brillait à quelques mètres du bord et renvoyait l’éclat du soleil. Vic s’arrêta et mit ses mains en visière pour distinguer quelque chose parmi les carcasses délabrées des bateaux au rebut. Cimetière marin. Quelques vénérables coques pourrissaient lentement dans l’eau saumâtre de la vasière. Le soleil baissa un peu plus et l’éclat brilla de mille feux, intriguant Victoire. Il n’y avait là aucune partie métallique suffisamment brillante pour renvoyer la lumière. Ses yeux, habitués à scruter, distinguèrent soudain une forme incongrue.

Abasourdie, elle identifia une main qui émergeait légèrement de l’eau calme. Elle ne parvenait pas à croire ce qu’elle voyait. Rien ne laissait deviner une quelconque présence dans le lieu désert. Le cri aigre d’un courlis fit courir un frisson prémonitoire le long de son épine dorsale. Le soleil continuait sa course dans le ciel, s’abaissant sur la ligne d’horizon. L’éclat lumineux frappa encore la rétine de Vic et elle réalisa, avec stupeur, que c’était la pierre d’une bague qui renvoyait ainsi les rayons. Elle sentit un choc dans sa poitrine tandis que la réalité prenait forme. Son esprit de décision reprit le dessus et elle repéra une coque posée sur le travers. Vic s’approcha du bord et fit la grimace devant l’eau où surnageaient des paquets de mousse jaune. Elle repéra une gaffe abandonnée et tâta le fond. Son geste souleva des tourbillons de vase. Elle se pencha et jaugea la solidité de l’épave. Son cœur battait sourdement. Sautant sur le bois flottant, elle perçut un craquement sinistre tandis que la coque s’enfonçait en grinçant. Elle assura sa prise et jeta un nouveau regard vers l’endroit où elle avait vu une main. Les derniers rayons étaient faibles et une fraîcheur nouvelle montait de l’étendue marécageuse. D’où elle se trouvait désormais, sa vision était meilleure. Un fluide glacial se mit à couler dans ses veines. Une main immobile émergeait à peine de la surface de l’eau. Les doigts retombaient mollement vers l’onde et un solitaire à l’annulaire captait suffisamment le soleil pour renvoyer un éclat brillant. Vic devina, sous la surface, l’ombre d’un bras qui prolongeait la main. Elle lança sa gaffe et accrocha quelque chose de lourd qui résista. Ses pieds glissaient sur la coque et elle faillit tomber. Elle se rattrapa, le cœur au bord des lèvres, à l’idée de ce qui reposait là. S’armant de courage, elle tira encore. Les petits cheveux de sa nuque se hérissèrent sous l’horreur tandis que le corps d’une femme remontait lentement à la surface. Le souffle court, Victoire enregistra le visage grisâtre et les cheveux plaqués, entremêlés d’algues. Mais ce qui la choqua le plus ce fut l’éclat terne des pupilles sans vie. La morte fixait Victoire de ses yeux grands ouverts.

II

La jeune femme heurta une branche et laissa échapper un petit cri de surprise. Elle porta une main hésitante à son front et fit la grimace quand elle entendit une voix s’élever derrière elle.

— Tout va bien, Nina ?

Elle hocha la tête.

— Tu étais là ?

La femme laissa passer quelques instants avant de répondre.

— Bien sûr. Tu es… encore mal assurée. Avant de te lâcher comme une grande, il faut être certain que tu sauras te diriger.

Elle sentit un bras secourable attraper le sien et elle se laissa mener jusqu’au banc le plus proche. L’institut de rééducation, en périphérie de Brest, avait un beau parc arboré et des bancs de pierre pour y faire halte. Nina essuya furtivement la place avant de s’y asseoir. Une voix inquiète appela :

— Alice, Alice ?

Elle entendit sa compagne répondre à l’appel et lui dire :

— Attends-moi ici. Lucie a besoin d’aide.

Nina acquiesça. Que pourrait-elle faire d’autre ?

L’air doux et frais lui faisait un peu tourner la tête. Elle avait été si longtemps enfermée dans une chambre d’hôpital ! Maintenant, elle n’aspirait plus qu’à sortir. Une soif de liberté qui la dépassait. Réactionnelle certainement.

Ses pensées tournoyaient dans tous les sens. Son esprit était semblable à un tableau vierge. Blanc. Vide. Seules, quelques informations donnaient un semblant de structure à l’ensemble. 14 janvier. Le jour de sa fête. Le jour de la Sainte Nina. C’était ce jour-là que sa vie avait basculé. Celle d’avant lui paraissait lointaine et décolorée. Celle d’une autre…

Que s’était-il passé à Grasse ? Une dispute de trop avec son ancien compagnon. Elle revoyait la voiture qui accélérait dans les virages en épingle à cheveux de la descente de la célèbre ville des parfums. Le visage rageur de Stéphane et ses mots qui lui parvenaient déformés par sa mémoire vacillante. On lui avait raconté la voiture encastrée dans un arbre. Une rupture qui avait mal tourné. Pour elle. Stéphane s’en était tiré avec quelques fractures aujourd’hui consolidées. Elle était passagère. La place du mort.

Il s’en était fallu d’un cheveu. Retirée inconsciente du véhicule. Traumatisme crânien. Un mois de coma dans un hôpital niçois et puis la réalité qui s’installe.

Ses souvenirs étaient morcelés. Stéphane n’était plus, pour elle, que ce visage en colère, la dernière image. Tout le reste était oublié. Effacé. On lui en avait parlé. Car elle ne pouvait pas le voir. Seule demeurait sa panique à son réveil dans un univers ouaté, gris, sans relief. Un univers de sons et d’odeurs. Pas d’images, pas de lumière. Un no man’s land gris foncé, traversé, de temps à autre, par un éclair lumineux.

— Cataracte traumatique et amnésie partielle, rétrograde.

Des îlots de mémoire avaient résisté. Épars. Elle travaillait à Grasse chez un parfumeur. De son poste, elle avait tout oublié sauf les odeurs. De sa vie là-bas rien n’était resté que cette bouche qui criait après elle. Par contre, elle se souvenait de son enfance en Bretagne. C’était pour cette raison qu’elle avait été rapatriée deux mois après l’accident sur Brest. Sa mère demeurait à Concarneau. Des mois durant, elle était restée à son chevet pour lui permettre de retrouver la mémoire et le moral. Josette était partie un soir de juillet, emportée par un infarctus aussi brutal que fatal. Elle avait eu le temps de réveiller la mémoire de Nina sur son enfance et sa jeunesse. Mais pas la joie de retrouver sa fille remise de son accident.

Nina avait dû intégrer ce deuxième choc en peu de temps. Cruelle année qui avait bouleversé sa vie…

Heureusement, il y avait la présence chaleureuse d’Alice à ses côtés. L’infirmière qui l’avait prise en charge à son arrivée de Nice, veillait sur elle comme une mère. Nina reconnaissait son pas et sa voix entre tous. Alice lui servait de repère dans ce monde hostile et inconnu.

Neuf mois s’étaient écoulés depuis l’accident. Alice lui avait résumé toutes les informations qui avaient pu être obtenues sur sa vie à Grasse. Nina avait l’impression qu’on parlait de quelqu’un d’autre. Elle n’avait plus de nouvelles du conducteur de la voiture, Stéphane. Leurs relations se bornaient désormais aux échanges de leurs assurances pour l’indemnisation du préjudice. Il ne s’était pas inquiété d’elle. Deux ans de relations passés à la trappe.

Les médecins ne pouvaient se prononcer sur ses chances de récupération. Le trauma crânien expliquait l’amnésie partielle mais peut-être y avait-il aussi une composante psychique… Que s’était-il passé avant l’accident ? Alice revint s’installer à ses côtés. Nina reconnaissait entre mille son parfum poudré. Elle perçut la note d’inquiétude dans la voix de l’infirmière.

— Es-tu bien certaine de ta décision, Nina ? Tu sais, tu peux encore changer d’avis. Je suis sûre que le docteur Anton t’accorderait encore quelques semaines de séjour.

Oui. Elle était certaine de vouloir sortir de ce cocon ouaté où elle demeurait depuis des mois. Un besoin irrépressible de se confronter à la réalité. Nina commençait à réaliser l’étendue de son handicap mais cela n’entamait pas sa résolution.

— Tiens, lui dit Alice Vallier, voici ton acte de propriété.

Nina sentit perler des larmes sous ses paupières. La mort de Josette était si récente et tellement injuste ! Elle lui manquait.

Alice ajouta :

— Ta maman avait un petit appartement dans une rue de Concarneau. Tout près du quai Russe et de la chapelle de la Croix. Il t’appartient désormais. Mais tu ne connais pratiquement pas Concarneau. Ta mère s’y était installée après son veuvage il y a sept ans et toi, tu travaillais déjà à Grasse. Ce ne sera pas facile de vivre seule là-bas, avec ton handicap…

Nina laissa le silence s’installer.

— Comme tu veux… Tes lésions sont stabilisées. Ton état est bien meilleur. Le docteur Anton pense qu’une opération des yeux pourra être tentée l’an prochain. L’issue n’en est pas garantie, mais il faut s’accrocher à l’espoir. Si tu veux, je t’emmènerai visiter ton appartement demain ?

Un sourire éclaira le visage triste de Nina. Elle se répéta plusieurs fois : « Je m’appelle Nina Blanc et j’habite Concarneau. »

Une odeur déclencha un signal dans sa tête et elle dit soudain :

— Tiens, le mari de madame Millien est arrivé.

Alice la regarda, stupéfaite.

— Tu m’étonneras toujours ! Cette faculté que tu as à reconnaître les odeurs, c’est beaucoup plus que ce que les aveugles développent habituellement. Tu as un don.

— Oh, ce n’est pas compliqué. Il y a un fond boisé, avec des notes de tête qui…

Alice la fixait avec attention. « Il faut absolument que je parle de toi à quelqu’un », pensait-elle.

III

Branle-bas de combat. Passé le premier choc, Vic avait réagi. Tout un passé militaire, empreint de procédures et d’automatismes, refaisait surface. Le temps où elle était encore opérationnelle n’était pas si loin. Combien ? Deux, trois ans, pas plus.

Elle avait joint le groupement de gendarmerie du Finistère, basé à Quimper, qui était en charge de la sécurité en zone rurale et périurbaine. La quiétude de la vasière avait été rompue en peu de temps. Gyrophares, sirènes, allées et venues d’hommes en uniforme.

Victoire avait des connaissances dans le milieu. Elle-même avait fait partie d’une unité spéciale, autrefois, comme négociatrice. Quatre ans sur le fil du rasoir à comprendre la gravité d’une situation, entamer le dialogue, écouter, raisonner, rassurer… Toute cette énergie déployée afin de parvenir au dénouement non violent d’un enlèvement ou d’une prise d’otage. Avant d’obtenir un poste de négociatrice, elle avait été observatrice pendant trois ans, durant lesquels elle avait dû faire preuve de disponibilité, résistance physique ainsi qu’au stress, en plus de ses aptitudes au tir pour être choisie.

Tout un pan de vie qu’elle avait occulté ces dernières années. Le bruit assourdissant d’une fusillade résonnait encore à ses oreilles. Elle serra les dents et ferma les yeux furtivement. Rien n’effacerait jamais cette seconde où tout avait basculé. Un millième de seconde où son cerveau, habitué à calculer les probabilités, avait perçu la faille, le moment où le forcené allait tirer. Trop tard. Le claquement sec de la culasse et l’éclair blanc. Son cri d’alerte. La balle lui avait coupé le souffle. Machinalement, elle passa la main sur le bourrelet épais qui tenait lieu de cicatrice sur son flanc droit. La balle avait effleuré le foie en épargnant le pancréas. Un miracle qu’elle soit toujours en vie. La douleur n’était venue qu’après. Stupeur et colère se partageaient son esprit tandis qu’elle s’écroulait.

Quelle erreur avait-elle commise ? Mais le pire avait été de voir tomber Giovanni. Son alter ego. Il partageait la même fonction. La frontière entre l’amitié et l’amour n’était plus très nette entre eux. Il s’était précipité vers elle, au mépris des consignes. La première balle l’avait cueilli sous ses yeux. Le regard étonné de Giovanni. La deuxième l’avait mis à terre. Un filet de sang à la commissure des lèvres. Une bulle rosée s’était échappée tandis qu’il voulait parler. La troisième l’avait achevé. Clap de fin. Victoire avait sombré dans l’inconscience.

Les jours noirs. Inconscience, douleur, fièvre. L’infection qui l’avait minée plusieurs semaines. Et puis le bloc de douleur au creux de la poitrine. Giovanni n’avait pas survécu. Le vide sidéral.

Tous ses collègues s’étaient soudés auprès d’elle mais cela n’avait pas suffi à effacer la culpabilité ressentie. Elle avait failli à sa mission et la mort de Giovanni avait été sa sanction. Vic avait tiré un trait sur dix ans de carrière.

Indécise, flottante. Il lui avait fallu repenser son avenir. Chercher un point de chute. Elle ne supportait plus la région parisienne où s’était déroulé le drame.

Samuel lui avait offert une porte de sortie. Il avait connu le métier et s’était souvent senti sur le fil. Seul devant le challenge à relever à chaque prise d’otage. Puis, il avait raccroché, persuadé qu’un jour ou l’autre il ferait la mission de trop.

Un solitaire, Samuel Guern. Visage indéchiffrable, rarement éclairé d’un sourire. La quarantaine sportive. Les yeux bleu glacier. Un Breton.

Il était allé chercher Vic à Paris, lorsqu’elle avait démissionné, pour lui proposer de s’associer avec lui dans son cabinet de détective à Brest. Une petite affaire qui tournait bien et ne demandait qu’à se développer. Il y avait du travail pour deux. Pour faire taire ses objections, il lui avait brossé un tableau idyllique des tâches : enquêtes de pré-embauche, filatures pour constat d’adultère, enquêtes industrielles… Une promenade de santé pour Victoire, comparé aux responsabilités assumées auparavant.

Réticente, elle avait accepté de venir une quinzaine de jours sur place tourner avec lui. S’était prise au jeu. Retravailler allégeait sa peine. Elle avait accepté et, quelques semaines plus tard, elle accrochait sa plaque à côté de la sienne. « Samuel Guern et Victoire Leroy - Détectives associés. »

Normande d’origine, fille de partout et de nulle part, le pays d’Iroise l’avait séduite. De même que la Cornouaille où ses enquêtes la menaient souvent. Elle y puisait une relative sérénité et s’accrochait à ses côtes déchiquetées et battues par les vents. Les tempêtes la fascinaient et il n’était pas rare de la voir, immobile, au bord d’une falaise, à sonder les flots furieux tandis que les éléments se déchaînaient autour d’elle. Samuel en avait pris l’habitude et taisait ses inquiétudes. Seul, un pli soucieux barrait son front ces jours-là. Vic avait fêté ses trente-cinq ans en février et réalisé qu’elle avait dépassé Giovanni qui resterait éternellement dans l’éclat de ses trente-trois ans. Elle continuerait de vieillir tandis qu’il demeurerait jeune.

Elle s’était pliée aux interrogatoires qui avaient suivi la découverte du cadavre. Marie Lauret, quarante-huit ans. Employée de production dans une entreprise du secteur. Une femme sans histoire, qui ne méritait pas la fin dramatique qu’elle avait eue. Son corps, à demi enfoui dans la vasière, avait été découvert par un hasard qui faisait frissonner Victoire. Ce rayon de soleil dont l’inclinaison précise avait déclenché les feux du diamant de sa bague ! Sa bague de fiançailles avait murmuré son mari, hébété par la nouvelle. Quelle somme de hasards avait-il fallu cumuler pour que le rayon frappe les yeux de Victoire à cet instant précis ? Son bras, dégagé du fond, avait accroché un bois flotté qui l’avait maintenu à la surface. Suffisamment hors d’eau pour que la pierre accroche les derniers feux de l’astre. Déstabilisée par sa macabre trouvaille, Vic s’efforçait de rationaliser. Malgré tout, il lui semblait voir le doigt de la justice divine dans cette découverte. Et c’était tombé sur elle ! Nerveusement, elle avait informé Samuel de son aventure. Inutile qu’il s’inquiète en ne la voyant pas rentrer. Elle avait auparavant laissé un message à Émilie, leur secrétaire commune.

Émilie Gaillard. Vingt-cinq ans de pensée obtuse. Vic se demandait bien comment Sam avait pu choisir cette fille au milieu de toutes les postulantes qu’il avait dû recevoir. On ne pouvait pas dire que son choix avait été une réussite ! Le regard chafouin, la voix nasillarde et l’esprit étroit : voilà ce qui caractérisait la jeune fille. Elle ne pouvait s’empêcher de comparer, critiquer systématiquement. Les autres obtenaient toujours mieux qu’elle, étaient toujours pistonnés et, bien sûr, quand elle faisait une erreur – à peu près tous les jours… – ce n’était jamais, absolument jamais, de sa faute !

Vic serrait les dents pour faire bonne figure devant elle. L’embauche venait de Samuel et elle hésitait à tailler dans le vif et exiger son licenciement. Bien qu’elle ne crût guère aux chances qu’avait Émilie de s’améliorer, elle se disait que la nature humaine est surprenante. Qui sait ? Un jour, à force de patience, Émilie évoluerait-elle dans le bon sens ? Un diamant brut pas encore sorti de sa gangue ? « Hum », reprit Vic dans sa tête, « faut pas rêver quand même ! »

Claude Lauret faisait peine à voir. L’homme, encore en tenue de travail, avait stoppé son camion de guingois dans la rue où il vivait avec la victime. Victoire lui jeta un coup d’œil discret. Il donnait l’impression d’avoir reçu un coup sur la tête. KO debout. Hébété, il se tordait les mains sans relâche.

Grâce à ses connaissances dans le milieu, Vic avait pu rester durant les investigations chez la victime. Les enquêteurs relevaient tous les indices qui serviraient à retrouver le criminel. Car il s’agissait bien d’un meurtre. Marie avait été étranglée selon les premières constatations du légiste. Les relevés d’empreintes au domicile éclaireraient peut-être les enquêteurs. Marie Lauret avait été transportée à la vasière de Cap-Coz car sa voiture était tranquillement rangée dans son garage. Quand avait-elle été tuée ? Il était trop tôt pour le déterminer. Toutefois, son mari, transporteur routier, s’était absenté toute la semaine. Il appelait Marie tous les jours mais ne l’avait pas eue hier soir ni avant-hier. Téléphone fixe, uniquement, car elle était allergique au portable. Une invention du diable qui sonne à tous les instants, disait-elle ! Le premier soir où il ne l’avait pas jointe, Claude avait pensé qu’elle était allée chez sa sœur ou chez leur fille. Le deuxième soir, l’inquiétude l’avait poussé à appeler les proches. Elle n’était chez aucun d’entre eux et il avait décidé de revenir sans tarder. Une arrivée qui avait, à peu de chose près, coïncidé avec la découverte du corps.

Le visage décomposé de cet homme, d’une petite cinquantaine d’années, serrait le cœur de Vic. Ses nerfs étaient prêts à craquer. Victoire lui avait trouvé un verre et servi une rasade de whisky. Juste assez pour raviver son regard et redonner un semblant de couleur à ses joues. Il avait posé un regard surpris sur elle, comme s’il la découvrait. « Cet homme est en état de choc », avait-elle pensé. Machinalement, elle lui avait posé des questions pour le faire parler. Éviter qu’il ne s’emmure dans sa douleur. Avec doigté, elle l’avait amené à s’exprimer.

Les yeux perdus dans le vague, il lui brossait un portrait de sa femme. Son rire, ses manies, leur rencontre… L’émotion gagnait Vic tandis que le cadavre de la vasière prenait vie avec les mots simples d’un homme brisé. Marie Lauret avait eu une existence qu’on lui avait volée. Victoire était révoltée à chaque fois par l’injustice des choses. Petit à petit, son métier reprenait le dessus et elle aiguisa ses questions. Cerner les derniers jours de la morte. Se faire une idée de l’ambiance. Marie et Claude habitaient à Concarneau, à proximité de la plage des Sables Blancs. Une jolie maison ancienne et bien tenue. Ils avaient une fille mariée et un petit-fils qui habitaient à Trégunc. Pas très loin heureusement, car Claude allait avoir besoin de soutien pour traverser l’épreuve.

Le veuf s’était levé tout en parlant et il tournait dans ses doigts un paquet coloré.

— C’était pour l’anniversaire du petit. Quentin va fêter ses cinq ans la semaine prochaine… Elle… l’a emballé le dernier soir, avant mon départ.

Vic eut une pensée émue pour ce petit garçon dont l’anniversaire resterait à jamais entaché par l’assassinat de sa grand-mère. La fête serait triste cette année…

Machinalement, elle scrutait la pièce. Un living confortable. L’endroit présentait un renfoncement dans un angle qui attira Vic. Elle s’avança pour découvrir un coquet bureau qui occupait la largeur libre sous l’escalier. Du bois ciré, des petits tiroirs. Une pile de courriers divers. Toute une vie. Vic passa la main sur le bureau. Une fine couche de poussière adhéra à son doigt. Marie Lauret semblait soigneuse et cette couche fine correspondait bien à une absence d’au moins trois jours. Ses doigts accrochèrent un clou qui dépassait sous le bois de l’escalier. Victoire grimaça et suça son index égratigné. Curieuse, elle se pencha pour regarder ce qui l’avait blessée et découvrit une chaîne qui pendait, invisible du séjour.

— Tiens, dit-elle, quelle drôle d’idée de ranger un bijou ici !

Elle avait saisi la chaîne où pendait une médaille et lut l’inscription à son dos. « LISA 7/7/77. »

— C’est la médaille de votre fille ?

Claude Lauret avait levé les yeux, étonné. Victoire lui montra le bijou.

— Ce n’était visiblement pas à votre femme.

L’homme réfléchit un moment avant de répondre. Ses sourcils s’étaient froncés.

— Ah oui… elle en parlait un peu. Depuis qu’elle avait trouvé ça… Je ne savais pas qu’elle l’avait rangé là.

La jeune femme avait haussé les sourcils en signe d’étonnement.

— Vous pouvez m’en dire plus ?

L’homme avait mis sa tête dans ses mains. Parler lui coûtait. Il fit un effort pour continuer.

— Lisa travaillait dans la même usine que ma femme. Elle n’a plus donné de nouvelles depuis quelques semaines. À la fin de l’été. Je ne sais plus. Du jour au lendemain. Soi-disant qu’elle serait partie sans crier gare. Marie n’y croyait pas. Ça la chiffonnait. Et puis…

— Oui, insista Victoire.

— …Elle est revenue du travail avec cette médaille. Elle l’avait trouvée dans un pot sur une banque carrelée du labo. Marie disait que Lisa ne serait jamais partie sans. Elle y tenait beaucoup. C’était sa médaille de baptême et elle avait perdu ses parents de bonne heure.

Victoire hocha la tête.

— Elle pensait à quoi exactement en vous disant cela ?

Claude Lauret réfléchit un instant avant de répondre lentement :

— …Ça la travaillait… Elle était préoccupée depuis le départ de Lisa. C’est vrai qu’elles s’entendaient bien. Lisa lui faisait des confidences et Marie l’avait même invitée à manger ici une fois. Elle n’arrêtait pas de dire qu’elle ne serait jamais partie sans lui dire au revoir. C’était un peu sa deuxième fille. Alors quand elle a trouvé la médaille, ça l’a rendue folle.

L’homme se tut. Puis il reprit doucement, comme à regret :

— Marie pensait qu’il lui était arrivé quelque chose…

Une petite sonnette d’alarme retentit dans l’esprit de Victoire Leroy tandis qu’elle recevait l’information.

IV

Nina huma l’air iodé et sourit en entendant le bruit assourdissant des goélands. Un petit matin frisquet. Une goutte de pluie lui tomba dans l’œil et elle sursauta.

— Nina, fais attention, le sol est glissant. Donne-moi le bras !

Docilement, elle saisit le bras d’Alice, même si, au fond, elle mourait d’envie de partir à l’aventure. Elle se rattraperait après le départ de l’infirmière. Le bruit d’une clé dans la serrure lui parvint et le souffle de l’ouverture d’une porte. Son cœur se serra en songeant à sa mère qui avait vécu là. L’odeur ténue de Josette demeurait derrière celle, plus présente, de bois ancien et de cire fraîche.

— J’ai fait nettoyer avant ton arrivée, lui dit Alice.

Nina pénétra dans le petit appartement. Elle n’était venue là que trois ou quatre fois en tout. Un petit séjour, une cuisine et une chambre. Le dégagement de l’entrée était assez spacieux. Elle heurta un pot avec son pied et tâta de la main les feuilles d’un ficus. Une bouffée de nostalgie la surprit. Elle avait offert cette plante à Josette l’anniversaire précédant son accident. Visiblement, il avait prospéré.

— Je me demandais s’il fallait le conserver, lui dit Alice. J’avais peur que tu te prennes les pieds dedans… Mais bon, ta maman devait bien le soigner et elle lui avait mis un joli pot en faïence bleue.

— C’est très bien ainsi. Je préfère le garder.

Nina avançait avec précaution dans la pièce principale, retrouvant sous ses doigts, des sensations anciennes. Le buffet breton de ses parents, avec ses sculptures représentant des scènes de la vie d’autrefois. La table ovale au bois doux à force d’être lustré, recouverte d’une nappe épaisse. Dans un coin, le fauteuil que Josette avait conservé. Celui de son défunt mari. Elle avait pris l’habitude de s’y reposer après le repas. En face, une télévision sur un meuble d’angle.

Alice la regardait faire, jaugeant le degré d’autonomie de sa protégée.

— Je ne savais pas trop ce qu’il fallait garder… Bien sûr, la télé ne te servira pas…

— Ne t’inquiète donc pas tant pour moi, Alice ! J’ai trente ans tout de même ! Tu as eu raison de laisser les affaires de ma mère. J’ai bien le temps de décider ce que je vais en faire. Et puis la télé, je vais l’écouter, ça me fera une présence.

Nina avait volontairement pris un ton enjoué pour répondre à l’inquiétude latente de son infirmière. Elle continua son tour du propriétaire. À la fenêtre, des rideaux épais masquaient l’extérieur. Elle les pressa entre ses mains. Tissu lourd qui sentait le frais. Ils avaient été nettoyés récemment. La cuisine renfermait tout le nécessaire de la table au lave-linge. Elle prit soudain la mesure de sa faiblesse. Il allait falloir qu’elle se débrouille sans y voir et sans le cocon du milieu hospitalier.

— Je crois que le micro-ondes sera pratique pour toi… Viens ici, lui dit Alice.

Elle lui avait pris la main qu’elle dirigea vers un appareil. Une buée froide montait de l’ouverture.

— La femme de ménage a rempli le congélateur. Tu as des plats cuisinés différents, classés par types d’aliments. Je t’expliquerai comment les reconnaître.

Nina pressa la main de celle qui était devenue proche. Qu’elle lui prodiguât tant d’attentions la touchait.

Elles portèrent la valise de Nina dans la chambre où elle retrouva l’édredon moelleux de Josette. Sur un des murs, une bibliothèque. Elle non plus ne lui servirait pas beaucoup…

Alice s’affairait autour de l’armoire. Elle avait dégagé deux étages et lui fit toucher ses vêtements.

— Je les range par catégorie.

Elles terminaient l’installation quand deux petits coups frappés à la porte résonnèrent. Alice ouvrit.

— Bonjour ! J’ai vu la lumière et me suis dit que vous étiez arrivées.

— Marie-Ange ! s’exclama Alice d’une voix joyeuse ! Entrez donc !

La femme qui venait de pénétrer dans le petit appartement sentait la pluie et la violette. Alice fit les présentations :

— Marie-Ange Gauthier est ta voisine de palier.

Nina comprit rapidement qu’Alice avait fait le tour des habitants de la petite résidence. Ils étaient informés qu’une handicapée venait habiter ici, pensa-t-elle amèrement. En tous les cas, la nouvelle venue semblait sympathique et simple. Elle échangeait des nouvelles avec l’infirmière tandis que Nina s’imprégnait de l’atmosphère. Dans sa tête, elle repassait le plan de Concarneau. La Ville Close se trouvait un peu plus loin après le quai Pénéroff.

L’appartement de sa mère se trouvait à l’entrée de la rue Jean-Bart, tout près du quai de la Croix. En se penchant par la fenêtre, elle aurait pu apercevoir la statue du goéland sur le quai Russe. Quelques mètres plus loin, la chapelle de la Croix abritait depuis le XVe siècle Notre-Dame-du-Bon-Secours et des statues anciennes. Josette y portait un bouquet pour la fleurir de temps à autre.

— Nina pourra m’appeler sans problème si elle a besoin d’aide. Je suis presque toujours là. À part pour faire quelques courses, je ne sors guère. D’ailleurs, on pourra y aller ensemble. Le temps pour Nina de reconnaître la ville et ses rues.

Alice pourrait repartir rassurée à Brest, sa protégée ne resterait pas complètement seule. Entre sa voisine disponible et la femme de ménage, retenue pour quelques heures par semaine, Nina aurait de la visite régulièrement. Marie-Ange les quitta. Son appartement, jumeau de celui de Nina, se trouvait juste en face.

Tout en rangeant, Alice détaillait le voisinage.

— Marie-Ange est très sympa. Elle doit avoir une petite quarantaine et devine ce qu’elle fait ?

Nina fit la moue.

— Elle est cartomancienne. Tu le savais ?

Non, Nina ne se souvenait pas de ce détail. Est-ce que Josette lui en avait parlé ? Elle ne s’en souvenait plus, en tous les cas.

— Au-dessus de Marie-Ange et toi, il y a un jeune homme. Il est coiffeur et travaille à Concarneau et, dans l’autre appartement, une femme âgée.

Alice terminait ses préparatifs. Tout en discutant, elle s’assurait que Nina avait repéré l’essentiel pour se débrouiller seule. C’était son objectif, la mener à l’autonomie et elle tentait de repousser son appréhension : rien ne pourrait lui arriver…

— N’oublie pas ton prochain rendez-vous avec le docteur Anton. Il a d’autres tests à te faire passer. Tu sais, j’en discutais encore hier avec lui, les choses progressent vite dans ce domaine. Il ne serait pas étonné de pouvoir te faire opérer dans peu de temps. Il a contacté un spécialiste américain à ton sujet. Des ophtalmos travaillent en équipe avec lui. Il faut être confiante !

Les paroles réconfortantes d’Alice détendaient un peu Nina. Qui sait ? Il y avait peut-être une lueur d’espoir au fond du tunnel où elle se trouvait depuis le début de l’année…

Alice continua :

— Tu es vraiment certaine de vouloir travailler ? Tous tes dossiers sont en ordre et tu pourrais rester chez toi, avec ton allocation, en attendant de tenter l’opération…

Nina se tourna vers l’endroit d’où venait la voix d’Alice.

— Je sais. Tu me l’as dit cent fois… au moins ! Mais tu connais mon opinion. Même si j’ai un espoir infime de retrouver la vue un jour, je ne veux pas m’appuyer seulement là-dessus. Imagine, si cela ne réussissait pas, je deviendrais folle ! Il faut que je m’occupe et surtout que je m’adapte à toutes les difficultés de ma vie désormais.

L’infirmière l’avait prise maternellement par les épaules.

— Ça ne m’étonne pas de toi ! Depuis le début, j’ai su que tu étais une battante.

Nina eut un petit sourire désabusé.

— Merci de ta confiance. Maintenant, il va falloir que je trouve cette nouvelle activité. J’ai pensé à faire des traductions de textes audio. J’ai obtenu une licence d’anglais avant de bifurquer vers la parfumerie. Et ça, je ne l’ai pas oublié, ajouta-t-elle avec un petit rire amer.

— Tu vaux beaucoup mieux que cela, répliqua Alice. Depuis des mois, je te vois à l’œuvre. Tu décryptes toutes les odeurs qui passent à ta portée. Le docteur Anton s’est renseigné à Grasse. Tu étais un “nez” reconnu chez un créateur de parfum réputé là-bas. Reprendre ton métier serait possible. Après tout, pas besoin des yeux pour créer des effluves…

Nina resta silencieuse quelques instants. Une bouffée subite de nostalgie l’avait envahie.

— C’est certain que ce métier était toute ma vie. Mais il faudrait que je reparte là-bas et qu’un créateur accepte d’adapter le poste à mon handicap. Repartir à Grasse est au-dessus de mes forces, après ce qui s’est passé. Ici, j’ai le logement de ma mère et c’est plus facile pour moi.

— Il existe des possibilités ici aussi… répliqua Alice, mystérieuse.

Intriguée, Nina la questionna :

— Toi, tu mijotes quelque chose ! Allez, dis tout sans te faire prier !

— La région cache des ressources insoupçonnées. Figure-toi qu’un créateur de parfums s’est installé à Concarneau, dans la zone industrielle de Kersalé, il y a quatre ans.

Étonnée, Nina ne put que dire :

— Je l’ignorais. Tu sais, je ne venais pas très souvent ici. Ma mère venait à Grasse en septembre pour profiter de l’arrière-saison dans le Sud. Qui est ce parfumeur ?

— La famille Glénan. Olivier a repris la fabrique de savons aux algues de son père. Il s’est installé à Kersalé pour s’agrandir et diversifier l’activité. Il vient de la baptiser “Senteurs de Cornouaille” et leurs ventes marchent bien.

— C’est intéressant à savoir, répondit Nina, mais tu te rends compte des soucis que ma présence leur causerait, en admettant qu’ils veuillent bien m’embaucher ?

Alice laissa exploser le plaisir de sa surprise.

— J’en suis consciente et lui aussi, mais il est prêt à te recevoir… demain !

— Demain ! Comment as-tu fait ?

— J’ai des relations, répondit-elle mystérieusement, et ton CV les a convaincus. Avoir un “nez” prestigieux de Grasse serait un plus pour cette petite société montante. Quelqu’un fera les mélanges pour toi. Tu n’auras qu’à travailler sur tes idées de créations. Un taxi viendra te prendre pour ton rendez-vous. Si tout fonctionne entre vous, comme je l’espère, le docteur Anton organisera tes déplacements. Tu as le droit à un véhicule.

Maladroitement, Nina battit l’air pour localiser son amie. Quand ce fut fait, elle la serra dans ses bras, les larmes aux yeux. La gangue de désespoir qui l’enserrait depuis des mois semblait se fendiller pour laisser passer les prémices d’une aube nouvelle. Un souffle d’espoir après tant de souffrances ?

V

Vic était rentrée après avoir terminé sa déposition et répondu aux questions des enquêteurs. Un peu inquiet, Sam l’avait rejointe chez elle où elle avait pu lui relater sa fin d’après-midi mouvementée. En débarrassant sa veste de ses clés, ses doigts avaient rencontré la chaîne et la médaille trouvées chez Marie Lauret. Machinalement, elle les avait posées à côté de ses affaires et jouait avec elles en parlant à son associé.

Intrigué, il finit par s’approcher d’elle et les lui retira des doigts. Pour déchiffrer l’inscription, il dut s’approcher de la lumière. Du regard, il interrogea Victoire.

— Je les ai trouvées chez la victime.

— Pourquoi les as-tu prises ?

— Je ne sais pas vraiment. Une impulsion. Cette femme a été assassinée et, en parlant avec son mari, j’ai eu le sentiment qu’elle avait été perturbée, ces derniers temps, par une disparition.

Elle vit passer, dans le regard de Samuel, une étincelle de curiosité et développa son récit :

— C’est une information qui pourrait avoir son importance. Tu en as parlé aux enquêteurs ?

— Non, avoua Vic, un peu gênée. Je les ai emportées sur un coup de tête, après en avoir parlé avec le mari de la victime. J’avoue que cette découverte m’a secouée… pourtant, j’en ai vu autrefois…

Elle s’arrêta, perdue dans ses pensées. Samuel respecta son silence. Ensemble, ils revoyaient les années sur la brèche et les affaires cruelles qui les avaient émaillées.

— …Mais cette main qui sortait de l’eau, toute seule dans le soir tombant… ce dernier rai de soleil qui pointait le cadavre de cette femme… ça m’a donné la chair de poule ! Son mari est chauffeur routier. Il a l’air d’un brave homme, le ciel lui est tombé sur la tête. Enfin, à première vue…

— Article 1, détective Leroy, ne pas se fier aux apparences ! 80 % des crimes sont commis par des proches, ajouta Sam tranquillement.

— Je ne l’ai pas oublié. Mais il ne m’a pas orienté vers cette médaille. Je l’ai trouvée seule en fouinant un peu dans ses affaires. Elle était pendue à un clou sous l’escalier où est installé son bureau. Quand je lui ai demandé à qui elle appartenait, il a eu l’air de se réveiller d’un cauchemar. C’est là qu’il m’a parlé de cette fille.

— Qu’en as-tu conclu ?

— Rien pour l’instant. Mais je compte bien savoir si elle a disparu réellement, comme le pensait la victime, ou si elle est partie d’ici sans plus de cérémonie.

— OK, mais ne te mets pas en porte-à-faux avec l’enquête officielle. Je n’aimerais pas que cela nous coûte nos bonnes relations avec les officiels.

— J’y ferai attention ! promit Vic.

Samuel resta encore quelques minutes. Le temps de boire un café et de s’assurer que tout allait bien. Ils échangèrent des informations sur leurs enquêtes en cours, puis il se leva pour partir.

Il était sérieux, trop sérieux, pensa-t-elle. Un solitaire qui vivait pour son travail. Et un peu pour elle aussi. Victoire était consciente de l’attirance de Samuel pour elle. Un intérêt camouflé sous des relations professionnelles, mais bien réel tout de même.

Le temps s’était écoulé à toute vitesse et elle régla son réveil sur huit heures trente avant de plonger dans le sommeil, dans le scintillement éblouissant d’un diamant et le balancement hypnotique d’un médaillon.

VI

Nina venait de terminer le tour de l’entreprise, au bras d’Olivier Glénan. Le jeune homme l’avait accueillie cordialement. On sentait qu’Alice avait brossé d’elle un portrait flatteur de parfumeuse expérimentée. Elle s’était presque excusée de son handicap en se cognant maladroitement à son bureau. Le jeune PDG l’avait rassurée. L’entreprise serait aidée pour l’embauche d’un travailleur handicapé et Nina n’avait pas besoin de se soucier des aménagements que cela demanderait. S’ils se convenaient, Olivier Glénan se chargerait de tous les détails pour adapter son poste.

Se retrouver au milieu des odeurs avait stimulé Nina. Chaque pas était source de découverte. L’atelier de fabrication des savonnettes aux algues offrait la famille olfactive aquatique qui rappelait la mer et l’eau des cascades. Le nez en l’air, elle avait humé les senteurs et demandé :

— Il y a de l’algarol dans la composition ?

— Ah, je vois que vous avez reconnu ce bon vieux ficus vesiculus ! avait rétorqué le patron en riant. Un bon point pour vous !

Dans une autre salle, le caractère frais des notes hespéridées des agrumes, tels que la bergamote, le citron ou encore la mandarine, avait titillé ses narines.

— C’est ici que nous essayons de mettre au point une nouvelle eau de toilette. Un produit frais qui porte la marque “Senteurs de Cornouaille”.