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Situés aux confluences de la méditation, de la confession et du manifeste, les essais rassemblés dans le présent volume, conçus et écrits entre 2015 et 2020, couvrent un vaste espace épistémologique. En effet, partant d’une interrogation sur la pensée (Essai 1), l’auteur nous entraîne dans un périple palpitant, rêveur, incisif et provocateur qui finit sa course au royaume de la fable et du conte philosophique (Essai 6). Ainsi, apprenons-nous que le débat sur l’islamisme et la critique contemporaine qui anime ce dernier (Essai 2) sont tous deux problématiques parce que foncièrement ethniques et culturellement partiaux. L’égalité (Essai 3), par exemple, restera une bien piètre notion, un concept mensonger, illusoire voire mythique, aussi longtemps que l’on ne lui aura pas rendu sa gloire universelle par le biais d’une insoumission (Essai 4). C’est en insoumis, sans favoritisme ni œillères, que l’auteur aborde son retour au pays natal (Essai 5), entre joie et désespoir, entre inquiétude et dégoût, mais aussi entre espoir et liberté. En somme, ce volume d’essais voudrait que l’humain s’accorde à être libre, à être gai de savoir mais libre, loin de l’obscurantisme et de l’ignorance.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Saer Maty Ba a enseigné la littérature, le cinéma et les études culturelles pendant une vingtaine d’années au Royaume-Uni. Il est l’auteur de deux récits :
Prothèses poussiéreuses : « Le Continent » au cinéma, paru en 2019,
Femmes fortes, paru en 2021 et de deux romans,
Le Serment du maître ignorant, paru en 2020, et
Fissure en 2021.
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Saer Maty Ba
Ces mots dans mes veines
Essai
© Lys Bleu Éditions – Saer Maty Ba
ISBN :979-10-377-5394-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À la mémoire de mon penseur favori : mon cher père. Plus que quiconque dans ce tout-monde – sauf maman, peut-être – tu m’as transmis un goût prononcé des lettres ; tu m’as encouragé à les combiner, en interrogeant le pourquoi du comment des choses et des êtres… Des vertus de la lecture, tu m’as parlé, d’une bibliothèque fournie, ma fratrie et moi avons bénéficié grâce à toi… Face à la cacophonie sociétale, analphabète et agressive, ainsi qu’au culte d’ignorance savante de la marée humaine, dont la plupart des sangsues, scotchée à ton foyer, toi et maman, cheftaine-secrétaire-plénipotentiaire d’amour, vous avez su faire de nous des êtres instruits, cultivés, respectueux mais formatés pour ne jamais courber l’échine… Merci Pa’, pour le Ciné-jeune du samedi, pour les émissions enfantines, pour les aventures du mercredi après-midi à la bibliothèque et au centre culturel, merci pour les visites au parc zoologique et à plusieurs éditions de la FIDAK ; merci pour la fortune dépensée dans notre éducation : me concernant, « Saint-Joseph », « Sacré-Cœur » et « Saint-Gabriel » ont fortement contribué à faire de moi l’homme que je suis devenu. Alors Pa', jamais je n’oublierai ! merci infiniment, paix à ta belle âme, amour et respect éternels pour toi !
À la mémoire de toute victime de terrorisme– quelle qu’en soit la teneur.
Je me dis parfois que nous sommes commandés par de grands mots que de petits hommes profèrent.
Jón Kalman Stefánsson
Les luttes des hommes ont leurs conséquences assez vagues à l’époque de leur déroulement ; avec le recul de l’Histoire, il devient aisé de les saisir.
Yambo Ouologuem
La critique implique de peser les proportions, d’évaluer les distances, de combler ou de produire des écarts, de couper ou d’ériger des ponts.
Jean-Godefroy Bidima
Les essais figurant dans cette collection ont été conçus et écrits entre 2015 et 2020. Nous les publions tels quels, car les théories et l’imaginaire qu’ils engagent, les textes et penseurs qu’ils critiquent, ainsi que les interrogations, réflexions et conclusions qu’ils offrent restent d’actualité même si, simultanément, nous voulons que ces essais reflètent fidèlement des moments historiques/temporels précis, moments liés aux états d’esprit et besoins d’étrive ponctuels de leur auteur. En somme, mis à part les précis introductifs et conclusifs du présent volume, couchés sur papier en 2021, lesdits essais constituent, à l’instar de toute vérité, leurs propres preuves respectives, des fondements s’apparentant à des âmes glacées que dé(con)gèlera qui voudra. Parce que là même, en ce processus, réside l’usufruit de non-garantie qui constitue la vie réelle : le temps présent.
Un mot-concept ? Qui en minimiserait un autre, Culture, son opposé ? Non ou, plutôt, peut-être : vivre n’est-il pas synonyme de penser ? Ou encore, pour prétendre au statut d’Être Pensant, faut-il à la fois vivre ET penser ? Peut-on vivre sans penser ? Sans pensée(s) ? Et non, nous ne parlons pas de Descartes (René) et de ses fausses cartes ; nous SOMMES avant de (pouvoir) PENSER mais, dans tous les cas, reposez en paix Monsieur Le Discours de la méthode : nous sommes contre la méthode, tels Paul Feyerhaben et Tsu Laï – même si nous pensons penser que la méthode ne peut être ni totalement absente, ni surestimée…
Pensée et valeurs, pensée en valeurs, penser valeurs : de l’antiquité à la postmodernité, afin de penser et d’avoir une pensée, ne fallait-il pas, ne faut-il pas pouvoir fixer des règles au préalable ? si oui, que faisons-nous (au sein) de la société ? avons-nous pensé cette dernière, ou sommes-nous juste émergents de ses entrailles, sans penser ni pensées ? Quid de la nation ? N’est-ce pas une bêtise impensée car n’étant rien d’autre qu’agrégation de moutons de Panurge non pensants, de non-penseurs, d’ouvrages biologiques pathologiques, déclinés au pluriel de particularismes idiots ? Nationaux, ne sommes-nous que lumières à très faibles voltages, éclatées genre shrapnel aux quatre coins de l’univers ?
Ah ! pensée qui êtes-vous ? Préjugé, révolution, vie autonome, nature humaine, langue, histoire, et/ou paysage ? L’UNESCO a failli dans sa mission et son devoir parce que n’ayant pas pu vous protéger des excès de pouvoir ou élucider l’humanité « pour empêcher à jamais les démagogues d’égarer leur pensée. »1
Il s’ensuit que combattre le nazisme à la manière de l’UNESCO n’a été que ruine de la pensée, de l’âme ; « néo- » est en effet toujours là pour faire émerger le suffixe qui tue : – nazisme, – colonialisme, – impérialisme… Même le grand Claude Lévi-Strauss, qui vint au secours de l’UNESCO, ne pouvait penser la rectification de la chimère de cette dernière, tout simplement parce que l’homme pensant dont parlait Lévi-Strauss se trouvait aux antipodes de l’homme abstrait que l’UNESCO (nous) représentait. S’agissait-il de Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, que disons-nous, de Déclaration Universelle des Droits du Non-Corporisé ? Oui, du non charnel, oui, de l’abstraction, oui, du danger, du danger et encore du D-A-N-G-E-R !
Pensée, dites-nous : qui êtes-vous ? Ni intellect ni morale dans ce monde, êtes-vous synonyme de cultiver ? Si oui, vous n’êtes pour autant pas Culture ; vous êtes processus, praxis, anathème de toute violence épistémique, n’est-ce pas ? Ainsi au diable l’école, cette institution anti-pensée qui rallonge sa fabulation voire son affabulation de l’Être jusqu’au soi-disant niveau supérieur, lisez « universitaire », producteur par excellence de faux masques-épistèmes et d’un ID mélangé à de l’EGO pour aboutir à une production d’écervelés livresques qui ne savent pas penser, se croient cultivés et se retournent, empaillés qu’ils sont de fake knowledge prothétique, vers le peuple-pensant pour lui dire « vous avez besoin de nous, les penseurs, nous qui allons mettre la pensée en ateliers, pour vous, dans le but de vous montrer comment bien laver un postérieur de néo-colonisé, nous les penseurs formés dans les séminaires de plèbes européennes prétentieuses, nous qui avons dénié les pensées de chez nous, celles-là mêmes qui nous auront faits, et bla-bla-bla… »
Pensée, venez à notre secours s’il vous plaît : qui êtes-vous ? Pardon ? Ah ! nous ne saurons qu’à la fin car au commencement était le verbe ? En attendant, que faire de ces pseudo-penseurs qui nous retardent ? Quoi ? vous ai-je bien entendu ? OK, il nous faut les refourrer dans la gueule de « la baleine occidentale » (Finkielkraut, p. 79) qui les aura vomis sur nos côtes ? nous sommes partants, mais seulement une fois que vous nous aurez dit qui vous êtes, pensée… pour l’instant, poursuivez :
— OK. Les penseurs susmentionnés sont des morts-vivants ou des vivants morts, et c’est pour cela qu’ils ne peuvent s’empêcher de « traduire l’autre dans la langue du même » (Finkielkraut, p. 92), tout en se (re-) présentant comme des messies épistémiques. Toutefois, si vous voulez mon avis, ce sont plutôt des tonneaux vides…
— Excusez-nous, Pensée, de vous interrompre, mais nous devons vous quitter pour un rendez-vous avec des penseurs de la foi, de l’Islamisme, alors : qui êtes-vous ?
— Qui suis-je ? Je donne vie à l’esprit, je suis la vie de l’esprit ; je suis culture sans haine, culture résistante à la consommation et à l’ignorance ; pensée-vie, je n’assouvis pas de besoins ; je suis en porte-à-faux avec la « désintellectualisation » en Éducation, en Politique, en Journalisme, en Art, en Littérature, en Morale, et en Religion (Finkielkraut, p.177) ; et je protège le multivers du discours contre l’enfantillage des diplômés de la baleine d’Occident !
— Hum, il nous faudra, un jour, décortiquer ou décoquiller toute cette complexité, que nous espérons rencontrer en amarrant notre foi dans la baie, au sein de l’antre des critiques de l’Islamisme et, si tel n’est pas le cas, nous nous ferons le devoir de remettre les pendules de ces derniè-r-e-s à l’heure, de leur remonter bretelles, robes, jupes, pagnes, shorts et pantalons : d’ici là, nous vous remercions vivement, Pensée, et bonne continuation !
Cultures ethniques et mythes racistes ? Fascisme, religion, phobie
Dans le débat contemporain sur l’Islamisme, le caractère apparemment foncé et foncièrement « ethnique » des protagonistes est frappant ; pourquoi y aurait-il une prépondérance d’ « Arabes » au sein de ce débat, surtout du côté des créateurs du mythe (ou de la légende) de l’Islamisme ? Quelle serait la raison de l’absence ou la rareté, sur les continents comme dans les diasporas, d’auteurs africains subsahariens (aux côtés desdits « Arabes ») ? Quelle que soit la réponse que l’on pourrait apporter à cette question il est certain qu’en plus de la question ethnique, il est nécessaire de comprendre les dessous historiques, existentiels et personnels des prises de position attenantes, autrement dit comment cette ethnicité est épicée au genre, au sexe et aux relations culturelles hommes-femmes, mais également les façons qu’ethnicité et épices ont ou pas, d’évoluer au sein des cultures mêmes des protagonistes susmentionnés, que ces derniers jouissent de deux ou plusieurs nationalités, qu’ils soient diasporisés et/ou restés au pays d’origine. Toutefois bien sûr, il existe dans ce débat un axe d’intervention qui n’est pas arabe-noir africain, c’est-à-dire, celui d’Euro-intellectuels non-Arabes tels que Slavoj Žižek et Raphaël Liogier sur lesquels nous reviendrons. Pour l’instant, nous arguerons que l’ethnicisation foncée et foncière du débat sur l’Islamisme est une sous-narration (sub-plot) saillante au sein d’œuvres d’auteurs « arabes », et pour se faire nous nous pencherons sur deux textes : d’abord Détruire le fascisme islamique (2016), de Zineb El Rhazoui,2 ensuite « Notre haine des Juifs nous empoisonne » (2016), de Hamed Abdel Samad3, où il est question de Gauche radicale, de fascisme et de mythe d’Islamisme, concepts et interconnections manipulés dans ces textes, apparemment, sans une compréhension juste et/ou approfondie (surtout chez El Rhazoui).
En effet dédié « aux athées musulmans », terme contradictoire, le texte de El Rhazoui commence par une citation de Jean-Paul Sartre (1967) sur les pièges du racisme, particulièrement celui de la « courtoisie » ou « une façon d’être trop gentil avec des gens qui venaient du tiers-monde, c’étaient alors les colonies ». La citation tout entière est en porte-à-faux avec les objectifs du texte de El Rhazoui, ces derniers étant eux-mêmes mal éclairés et incohérents. Plus emphatique encore est cet autre aspect des propos de Sartre mettant à nu ce que El Rhazoui semble vouloir faire (inconsciemment ?) mais échoue, pour de multiples raisons qui ne nous intéressent pas dans cet Essai. Il est important en revanche de comprendre ce que dit en substance le Sartre de El Rhazoui : « Quand on considère le racisme, il ne faut pas considérer l’antiracisme comme un état de lutte avec l’extérieur, il faut aussi le considérer comme un état de lutte contre soi. » Ainsi le lecteur de El Rhazoui serait en droit d’attendre de cette dernière qu’elle s’attelle à démanteler un certain degré de racisme, à la fois en elle-même (état de lutte contre soi) et au sein d’une communauté, d’une culture, d’une nation et/ou d’un genre/sexe (masculin, féminin et tout ce qu’il y aurait entre les deux).
Cela dit, au moins une chose semble certaine : ce bout de citation Sartrienne place El Rhazoui ainsi que son texte aux confluences des catégories-domaines-concepts que nous venons d’énumérer ; continuons donc pour insister sur le fait que certes il faut se garder de racialiser, communautariser ou différentier l’appellation « les musulmans », en même temps que ce processus de dés-enchevêtrement doit faire réfléchir sur ce qu’est un musulman ; et ne pas faire ce travail équivaut à se tirer une balle au pied, à tomber dans son propre piège, à faire le contraire de ce que la logique de son propre raisonnement dicte. Il s’ensuit que « Ceux que les islamistes, les racistes et les différentialistes culturel et communautaire appellent les musulmans, nous dit El Rhazoui, regroupent des athées, des athées militants, des agnostiques, des déistes, des non-pratiquants, des pratiquants partiels, des “je-m’en-foutistes”, des dévots ou des radicaux militants » (El Rhazoui, p. 13). Nous voudrions bien le croire, si ce n’était qu’ici se posent deux problèmes : (1) parmi ces quatre catégories, où situer El Rhazoui ? nous posons la question en nous rappelant de Sartre ci-dessus (2) parce qu’au moins sept des catégories que l’auteur de Détruire le fascisme islamique énumère comme rendant bien la complexité de « Musulman » ne peuvent, par quelque unité de mesure que ce soit, être considérées musulmanes, ni de l’intérieur ni de l’extérieur de la religion islamique ; où situer El Rhazoui, qui nous dit que l’islamophobie est une imposture intellectuelle voire un chantage ? parle-t-elle des musulmans de France ? Sûrement oui, parce que El Rhazoui simplifie un autre terme, « Islamistes », en disant que ces derniers « sont parmi ceux [les musulmans] qui estiment que leur pratique personnelle de la religion islamique doit prévaloir sur les lois de la République, ou encore ceux qui œuvrent à instaurer une pratique collective de l’Islam nécessitant des aménagements juridiques pour créer en France une enclave de la Oumma », attaquant par là même le Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF) pour qui, soutient El Rhazoui, « l’Islamophobie n’est pas une opinion, mais un délit » (El Rhazoui, p. 16). En réalité, l’Islamophobie est un délit, quand bien même le texte de El Rhazoui pèche (ailleurs) sur cette notion, en faisant apparemment tomber en ruines son argument central la concernant, alors même que le lecteur n’en est qu’à la quatrième page du premier chapitre de son ouvrage : « (…) rappeler que tous les terroristes sont des islamistes et non des déséquilibrés ou des criminels de droit commun, c’est s’exposer à l’accusation d’islamophobie » (El Rhazoui, p. 14). Comment prendre El Rhazoui au sérieux lorsque sa définition d’islamiste (voir ci-dessus) est si tronquée ? et pourtant El Rhazoui va plus loin, « celle-ci sert à noyer les islamistes et leur bras armé terroriste dans la masse des musulmans à chaque fois que leur idéologie suscite des critiques. C’est d’ailleurs là, le véritable amalgame » (El Rhazoui, p. 14).
Si nous avons ainsi bien compris, les musulmans (de France) seraient complices d’un « bras armé terroriste » qu’ils protégeraient contre la critique et que cela ferait l’affaire du discours islamiste (terme mal défini, rappelons-le) sévissant au sein d’une démocratie telle que la France ? Oui, selon El Rhazoui qui va même jusqu’à parler d’une « ruse sémantique » (El Rhazoui, p. 15), subterfuge que l’auteure utilise comme moyen d’opposition potentiel de sa propre personne et de ses propres idées d’un côté, à l’islamiste plénipotentiaire et antidémocrate de l’autre, via l’argument central de son texte. Toutefois, la cible islamiste que El Rhazoui s’acharne à vouloir interpeller n’est apparemment autre chose qu’un hologramme contre lequel elle se lance dans une diatribe effrénée, attaque qu’elle formule comme une pose des termes de la thèse-à-venir de son texte : « Si vous le croyez [c’est] vous qui (…), pour échapper à l’accusation de racisme, encensez les Lumières en Occident et les déniez à l’Islam. L’ignorance de l’Islam ne mène non pas au terrorisme, puisque les soldats d’Allah s’appuient sur des textes qu’ils connaissent par cœur, mais à son acception par vous comme un fait exogène à cette religion. Tant que vous n’aurez pas déchiffré la dialectique pernicieuse des islamistes, vous ne serez rien moins qu’un de leurs innombrables idiots utiles » (El Rhazoui, pp. 19-20).
D’emblée, disons que l’argument ci-dessus est lacunaire car ne pouvant dénier ou rendre chimérique le « “vrai” Islam » ; qui plus est, à ce stade le texte de El Rhazoui semble verser dans la mauvaise foi, une impression renforcée par le fait que sous la plume de cette dernière « Mahomet » est un épris de guerres, un massacreur d’hommes juifs, les Banû Qaynuqa’ et les Juifs de Khaybar, qui sont égorgés pendant que leurs femmes, enfants et possessions sont partagés entre « Mahomet » et ses soldats, et enfin l’Islam est dépeint comme une religion violente (El Rhazoui, pp. 27-28). Partant de là s’il est déjà on ne peut plus ténu de faire un parallélisme entre, d’un côté le marché d’esclaves de l’État Islamique (EI) ou Daech qui vend des femmes yézidies, et de l’autre une soi-disant « stricte application de la charia de Dieu et de son prophète », l’illustration qu’en donne son auteure, El Rhazoui, est quant à elle étrange. En effet, ladite justification nous arrive sous la forme du Verset 87 de la Sourate 5 Al-Mâïda (la table servie) du Coran : « Ô les croyants, ne déclarez pas illicites les bonnes choses qu’Allah vous a rendues licites. Et ne transgressez pas, car Allah n’aime pas les transgresseurs » (El Rhazoui, p. 28, citant, apparemment, le Coran).
Toutefois, si l’on se demandait de quelle édition et/ou exemplaire du Coran El Rhazoui aurait tiré ces/ses Verset 87 et Sourate 5, l’on pêcherait carrément dans un désert sans oasis, parce que d’une part elle ne cite aucune référence bibliographique et de l’autre lesdits verset et sourate ne correspondent pas à ceux trouvés dans les exemplaires de Coran que nous aurons consultés (question de traduction seulement, peut-être), exemplaires provenant de différentes maisons d’édition mais, sans surprise, identiques en termes de contenu. De surcroît, concernant les Verset 87 et Sourate 5, ces exemplaires du Coran diffèrent de celui qu’aurait consulté El Rhazoui ; par conséquent, il nous suffit d’en citer un seul, n’importe lequel, pour confondre l’auteure de Détruire le fascisme islamique concernant lesdits verset et sourate : « Croyants n’interdisez pas les aliments purs que Dieu vous a permis, et n’outrepassez pas car Dieu n’aime pas les transgresseurs. »4 Il faut préciser que la Sourate 5 Al-Mâïda a été révélée dans le contexte de Issah (Jésus) : ce dernier avait demandé à Dieu de lui montrer une preuve de sa puissance, et Dieu fit descendre une table pleine de nourriture pour Issah et ses apôtres. C’est, donc, de ce sujet que traite la Sourate 5, où taybaat concerne les plaisirs de la nourriture qui, à leur tour, constituent la base de la même Sourate 5. Malgré cette preuve, à savoir l’identification claire des contextes de cette sourate, même si sa traduction en Français pouvait vouloir dire « les bonnes choses », au lieu de « les aliments », le lecteur curieux en nous a voulu donner à El Rhazoui le bénéfice du doute en épluchant les versets et sourates avoisinant le 87 et la 5 mais, contextuellement parlant, aucun ne correspond à ce qu’elle veut faire croire à ses lecteurs5 : d’où le fait qu’au vu de cette maladresse monumentale, c’est-à-dire d’un verset et d’une sourate cités sans contextualisation claire, sans source identifiable, tout en essayant de les coller à l’EI et à ses (El Rhazoui) opinions sur la Charia, sur Dieu et « Mahomet », il semble impossible de croire en les bonnes intentions critiques de El Rhazoui. En somme, la mauvaise foi de son texte semble bien enclenchée en ce sens que verset et sourate sont utilisés malicieusement, surtout lorsque vue à la lumière de tout ce qui précède dans l’argumentaire d’une El Rhazoui essayant de dire que le Dieu de l’Islam réduit la femme et l’enfant à de vulgaires butins de guerre et nourriture à consommer. El Rhazoui fait également des affirmations gratuites, précisément parce que non justifiées avec l’aide de sources vérifiables, d’où la difficulté de prendre (plus) au sérieux son texte lacunaire, si ce n’est dans un souci de pousser notre analyse en n’occultant pas de souligner ses faiblesse et mauvaise foi ; pour ce faire, étudions ses chapitres 3 et 4, « L’Islam, un fascisme comme les autres » et « Les collaborationnistes français », respectivement.
Selon El Rhazoui, « les musulmans (…) savent au fond d’eux qu’ils n’aiment pas Dieu, mais qu’ils le craignent » (El Rhazoui, p. 37). Ainsi ouvre-t-elle le chapitre 3 de Détruire le fascisme islamique, ce qui fausse davantage son postulat de départ, à savoir l’homogénéisation (notre terme) du fascisme d’extrême droite et de « celui des islamistes » (El Rhazoui, p. 38), car : d’Islam’ El Rhazoui nous fait passer à « Islamisme », terme qui ferait disparaître les langues et les dialectes anciens au profit de l’Arabe dit coranique ; les habitudes vestimentaires traditionnelles s’uniformisent (blanc pour les hommes, noir pour les femmes) ; il n’y a plus de nationalités, juste l’appartenance à une structure transfrontalière nommée « État Islamique » qui est aussi « état » sur Internet ; et les attaches familiales sont « dissoutes » afin de « former un nouveau cercle de socialisation fondé sur l’obédience au salafisme djihadique » (El Rhazoui, p. 38). Ne semblant faire aucune preuve d’un quelconque souci relatif au fait que son texte réduit « Islamisme » à « État Islamique », El Rhazoui se précipite à grands pas vers sa comparaison de « fascisme traditionnel » avec « fascisme islamique » (El Rhazoui, p. 39) car, s’il est vrai que certains fascismes européens ont utilisé la religion majoritaire comme « moyen », argue-t-elle, le fascisme islamique quant à lui s’en sert comme fin en soi parce que l’Islam est « une orthopraxie et non une orthodoxie (…) c’est surtout le zèle dans l’exécution des rituels qui définit le musulman » (El Rhazoui, pp. 38-39) ; alors que ces deux fascismes reposent sur un déni du concept de nationalité, la version islamique remplace ledit déni par la notion théologique de Ra’iyya ou « groupe de gens assujettis au même chef qui représente Dieu sur terre » (El Rhazoui, p. 39) ; et enfin, plus explicite au sein du fascisme islamique et d’extrême droite de El Rhazoui est l’accentuation des « vertus guerrières au mépris de l’humanisme » (El Rhazoui, p. 39), via la négation de l’individu(alité) au profit du groupe.
Il s’ensuit que El Rhazoui veut replacer le djihad au cœur de la piété et de la bravoure que le musulman offre à Dieu mais, par là même, elle semble commettre une autre grosse erreur, si ce n’est qu’elle soulève d’énormes interrogations, en traduisant « Al-Jihâd fi sabîli Allah » par « l’effort (de guerre) dans le sentier d’Allah » (El Rhazoui, p. 39). En effet quid du djihad comme effort sur soi, sur sa personne, du djihad synonyme de paix, charité, compassion, solidarité, communautarisme, etc., dans l’arsenal argumentaire de El Rhazoui ? Elle semble friser l’ignorance, ou elle donne l’air de volontairement s’enfoncer plus profondément dans l’erreur incompétente, lorsqu’elle écrit que le djihad « est le devoir de tout homme en bonne santé. Quant aux femmes, rien ne les empêche d’aller au djihad si elles le souhaitent, puisque les Mères des Croyants, les épouses du prophète, l’ont parfois pratiqué. Un bon musulman est un réserviste du djihad. Une bonne musulmane, elle, a interdiction de se mesurer aux hommes en tout, sauf au djihad » (El Rhazoui, p. 40) : encore une fois djihad signifie guerre et violence aux yeux de El Rhazoui, qui plus est, l’on apprend qu’après l’Hégire « Mahomet » est devenu fasciste, suite à la construction de « son propre État » (El Rhazoui, p. 40), un État aussi liberticide que la Taqiyya et qui servirait de modèle au fascisme contemporain de « l’extrême droite islamique » ; « [d’] » ailleurs, ajoute frivolement El Rhazoui, à l’instar du fascisme mussolinien d’avant 1924 ou du nazisme d’avant 1933, l’extrême droite islamique propose un programme large qui reconnaît certains principes des droits humains et civiques afin de parvenir au pouvoir » (El Rhazoui, p. 41) ; et El Rhazoui de pointer du doigt pour les comparer l’« aversion pour les intellectuels et l’art » que partagent « Islamistes » et « fascisme traditionnel » (El Rhazoui, p. 42).6 Ladite répugnance côtoie un autre trait clé du fascisme européen qui se retrouverait chez les « Islamistes », toujours selon El Rhazoui : « l’incarnation individuelle de la nation » combinée à l’idée que « Mahomet est la figure suprême du chef de l’État qui conserve pour l’éternité son pouvoir spirituel et lègue son pouvoir temporel au Calife » tout en faisant l’objet d’un culte « exacerbé » interdisant sa représentation picturale – « sous peine de mort » (El Rhazoui, p. 43). Cependant, ce n’est qu’à la page 45 (chapitre 3) que référence est enfin faite à un quelconque texte sur le fascisme, notamment Le Fascisme en action de Robert O. Paxton, dont la distinction de « dictatures autoritaires traditionnelles » est utilisée par El Rhazoui pour inférer que la radicalisation vestimentaire du « combat islamiste » vise à marquer visuellement et identifier les non-adhérents à son idéologie dans le but de les stigmatiser et d’en faire « une cible potentielle du djihad » (El Rhazoui, p. 46). En somme, le fascisme islamique « ressemble en tout à ceux d’extrême droite traditionnelle » et, au contraire de ces derniers, réussit à « se donner une respectabilité aux yeux de ses propres ennemis parmi l’extrême gauche, les intellectuels, les antiracistes, les politiques et même les féministes » (El Rhazoui, p. 46). Néanmoins, El Rhazoui n’a aucune compréhension palpable du fascisme, la citation ci-dessus le démontre en même temps qu’elle marque un point culminant d’où son texte commence une chute irrémédiable vers un certain gouffre ; situé au-delà de la mauvaise foi, ce gouffre avoisine fortement la malhonnêteté intellectuelle, et l’argument de El Rhazoui sur l’extrême gauche finira par l’y enchaîner, comme nous le verrons en scrutant ci-dessous le chapitre 4 de Détruire le fascisme islamique, « Les collaborationnistes français ».
Dans ce chapitre El Rhazoui enchaîne carrément une profusion de déclarations et arguments vagues, qui plus est, non soutenus par des références bibliographiques vérifiables – par exemple au sujet de « certains courants du féminisme » (El Rhazoui, p. 54), ou de la philosophie de l’évolution disparue des manuels scolaires au profit des cours de Hadith ou d’ablutions « dans les sociétés arabes [où des] dictatures en place [auraient] cédé le pouvoir aux islamistes qu’ils avaient nourris » (El Rhazoui, p. 49). En même temps, El Rhazoui parsème son chapitre 4 de déclarations dithyrambiques et ciblant l’extrême gauche pour la crucifier, telles que celles-ci : « Il y a aussi l’extrême gauche. Surtout l’extrême gauche. Traditionnellement athée, elle est la meilleure caution du discours victimaire islamiste. Plus dogmatique que libertaire, cette gauche-là consent à tous les accommodements avec la démocratie pour mieux couver des “Musulmans” en qui elle perçoit paradoxalement un nouveau prolétariat » (El Rhazoui, p. 48). Or donc, et pour résumer la chimère tout entière que nous sert El Rhazoui sur l’extrême gauche (voir pp.°48-49 de son texte) (1) ce dernier serait naïf vis-à-vis de « l’extrême droite islamiste » (son terme) dont il ne comprend pas le fonctionnement et les ambitions ; (2) l’extrême gauche se laisse utiliser par ce fascisme islamiste (qu’il se refuse à nommer) en lui prêtant « son jargon politique (…) pour transformer le voile en symbole de liberté, les salles de prières clandestines [?] en lieu de résistance à l’oppression et le terrorisme en acte de désespoir contre les crimes capitalistes de l’Occident » ; (3) cette même extrême gauche aurait oublié son athéisme « de principe », pendant que les islamistes s’en souviennent ; (4) l’alliance extrême gauche islamiste est « contre-nature » ; et (5) l’extrême gauche souffrirait tout simplement d’un aveuglement poussé le conduisant à considérer « le “Musulman” » comme un « nouveau prolétaire ».
Le résumé ci-dessus nécessite de notre part un changement de focus qui passe de l’arsenal argumentaire de El Rhazoui, toujours-déjà tronqué, aux rares sources et références qui lui auraient permis de le justifier. Dans cet ordre d’idées, sur l’extrême gauche française, El Rhazoui ne dit mot. Lorsqu’elle écrit « L’Islam, un fascisme comme les autres » (titre du chapitre 3 de son texte, rappelons-le) il nous est permis de croire que l’extrême gauche française ne compte pas de « collaborationniste » dans ses rangs parce que tous les exemples que donne El Rhazoui, si maigres et ténus soient-ils, font référence à des pays autres que la France. En fait, la seule et unique source dont elle se sert pour fustiger l’extrême gauche en 2016 est un long article datant de 1994, « The Prophet and the Proletariat » (1994), par Chris Harman (1942-2009), membre du parti d’extrême gauche Socialist Workers Party (SWP) de Grande-Bretagne, article que nous connaissons bien, pour l’avoir lu plusieurs fois depuis 1999 ;7 c’est cette familiarité qui nous fait dire que El Rhazoui a plagié Harman sur certains points tout en déformant le propos de ce dernier,8