Escapade au Mexique - Lou Florian - E-Book

Escapade au Mexique E-Book

Lou Florian

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Beschreibung

Tata Bougnette n’en démord pas, Charline est sujette aux hallucinations, ou au jouet d’une étrange mise en scène, son mari ayant disparu dans des conditions plutôt suspectes, emportant avec lui bien des mystères. Curieuse et déterminée, la vieille dame s’envole vers les plages du Mexique, en compagnie de Ninette, pour faire aboutir ses investigations. Sur son parcours, côtoyant crotales et mygales, elle est loin de s’imaginer quel redoutable secret se dévoilera et la tournure que prendront les évènements.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Lou Florian est sensible à l’art sur toutes ses formes. D’un naturel ouvert, de Paul Eluard à André Breton en passant par San Antonio, dont il apprécie fortement l’écriture, son style laisse entrevoir l’influence d’un panel éclectique d’auteurs.

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Lou Florian

Escapade au Mexique

Roman

© Lys Bleu Éditions – Lou Florian

ISBN : 979-10-377-6959-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

— Tiens, arrête-toi là, j’ai une envie pressante ! annonce Marcelin sans le moindre embarras.

Ninette acquiesce et ralentit, puis gare la Morgan en bord de route, sur un tapis de feuilles d’automne, à l’orée du bois.

— Je m’en vais promener mon prout ! continue Marcelin sans complexe.

Il sort de la voiture, respire un bon coup, sourit un instant, puis déclame :

— Je lui ai mis sa petite laisse avant de sortir. J’évite de le promener par grand vent. Il risquerait de s’éparpiller !

— Ton… ton prout ?

— Oui, c’est ça ! Et alors quoi, j’improvise, j’attaque la prose, j’insinue, je poétise, et je fais ce que je veux, non ?

— Tu exagères !

— Pas le moins du monde !

— Je rêve !

— Tiens, à propos de mon prout : il a fait le coquet ce matin, il s’est même parfumé !

Ninette éclate de rire et surenchérit :

— Je l’entends fredonner, comme il est content ! Ce p’tit bruit discret qui se diffuse !

— Il est tout chaud ! se marre le poète. Mais rassure-toi, ce n’est pas la fièvre. Ah, tiens, une nouvelle salve est en approche.

— Heureusement qu’on est dans un sous-bois à l’abri de ces grands arbres, et à l’air pur. Bon, tu as bientôt fini ?

— Attends, attends ! Je sens que le prochain est de sortie.

— Dépêche-toi, tout de même !

— Écoute-moi ça ! Je me concentre, attention, attention, et voilà ! Hein, qu’il est jovial celui-là, musicien et couineur ! Je hume, je confirme, il est bien là !

— Reste à distance, le temps qu’il s’évacue !

— L’autre jour, j’ai bien cru qu’il allait se noyer, le bougre !

— Ton prout ?

— Évidemment ! J’étais dans mon bain, et lui, il faisait des bulles ! Des bulles ! Tu m’entends, Nine ! Ah, le phénomène ! N’a-t-on pas idée de ne pas savoir nager ! Je ne distinguais même plus l’odeur de la savonnette, tant il se faisait remarquer.

— Quelle élégance ! se marre encore la belle, avec une grimace au coin des lèvres. Cette finesse dans le langage, mon cher, tout ça t’honore !

— N’est pas poète qui veut !

— Marcelin, allez, c’est bientôt terminé ? Tu n’en rates pas une pour te faire remarquer, comme à ton habitude, mais là, faut qu’on y aille ! On nous attend, je te signale !

— Ah oui, c’est vrai !

Marcelin, soulagé de ses effluves intestinaux, continue toutefois de déblatérer sans l’once d’un complexe :

— Ces temps-ci, mes prouts sont reconnaissables, ils sont fiers et racés. Je les nourris aux flageolets.

— Passe-moi les détails, veux-tu !

— Lorsqu’il est fin prêt, le prout, il claironne et pointe le bout de son nez !

— Son nez, son nez ! Il ne manque pas d’air, celui-là !

— C’est le cas de le dire, Nine !

— Laisse tomber !

— Un jour, j’ai eu un prout femelle.

— Un quoi ?

— Un prout femelle !

— Oh la la !

— Elle avait fait des petits ! Des p’tits, tu m’entends ? Toute une portée, la garce. Une ribambelle de perles rares pour boyaux fragiles… Ils sont sortis à la queue leu leu, comme d’une mitraillette !

— Tu m’en fais, un ramassis de tripaille, mon brave Marcelin ! sourit Ninette de toutes ses dents, quoique quelque peu agacée maintenant. Là, putain, je craque ! Bon allez, retiens-toi sur la fin du trajet, j’ai les narines sensibles, moi !

Le poète hilare se radine, saute dans la voiture, retient ses tripes en délire, puis sans complexe déclame encore sa verve intempestive :

— Le prout aux crevettes est plus délicat, doucereux, sensuel. Hein ! Si, si, j’te jure ! L’odeur de la marée, tiens ! Rien de tel ! C’est discret comme pas possible. Tu pètes un coup, personne ne bronche. On le distingue à peine ! Par contre, celui au munster est plus teigneux ! C’est le fromage qui veut ça. Ça se diffuse, ça se répand, ça se remarque. Enfin, moi je dis ça comme ça !

Ninette ne répond mot, lève les yeux au ciel, respire le grand air. La cime des arbres se balance tout là-haut, gratouillant l’azur et s’inclinant sous les ardeurs de la Tramontane.

— C’est beau, de l’air ! s’exclame-t-elle avec ironie, soulagée d’avoir repris la route.

— Baudelaire, t’es sûre ?

— Laisse tomber, Marcelin ! Tu ne peux pas comprendre.

— Ah, bon ! Alors je m’incline !

Désormais, Ninette roule à vive allure. La route serpente agréablement dans le sous-bois. Sur ses flancs, des myriades de feuilles mortes jonchent le sol dans des coloris de jaunes et d’orangés, et de pourpres aussi. L’automne, si généreuse année après année, a étendu sa robe de couleurs chatoyantes dans les futaies.

Sortie du bois, Ninette accélère. Les pneus adhérant au bitume chaud. En contrebas, on distingue un village, ainsi qu’un haras. Des chevaux à la fière allure paissent dans un pré verdoyant. D’autres partent en randonnée pour la clientèle.

— À ce qu’on raconte, les nanas ont parfois des orgasmes en chevauchant des montures pareilles ! ose Marcelin avec un air coquin dans les prunelles.

— Ah bon ?

— À ce qu’il paraît ! Surtout avec les pur-sang.

Ninette ne s’offusque pas, loin de là. Côté fiesta du clito, régal de la foufoune, elle n’est pas en reste non plus. Toujours partante pour la nouba des sens, avec dans la tête, des idées plutôt délurées. Quant à en discuter sans complexe avec Marcelin, ce bon ami et poète, c’est sans souci.

— C’est ce qu’on raconte ! surenchérit celui-ci. Le glissement des cuisses sur le dos de l’animal doit y être pour quelque chose.

— Sûrement !

— À cause du va-et-vient. Le frottement du slip au niveau de l’entrejambe.

— Moi aussi, j’ai eu vent de ça ! se marre en douce la belle Ninette. Toutes des p’tites cochonnes au haras, je confirme !

— Tu m’as l’air bien renseignée ! rigole à son tour Marcelin.

— Un peu… Tu sais, les filles entre elles, ça papote, on se renseigne, on se raconte.

— Des trucs aussi intimes ?

— Et oui, qu’est-ce que tu crois ! On se refile les tuyaux, justement !

— Si tu le dis !

— On dirait que tu débarques, mon cher ! Mais ne fais pas cette tête !

— Et donc, tu as fait du cheval, et…

— Mais non, mais non ! Seulement du vélo.

— Ah… Et alors ?

— Le contact avec la selle ! Si tu ne portes qu’un vêtement léger, une petite culotte de rien du tout. Une simple jupette, un short échancré, hein ! Parfois, ça arrive… Imagine ! Le frottement de l’entrejambe sur la selle tandis que tu pédales ! Un jour, j’ai mouillé comme une cochonne, j’te dis pas ! Ça m’a déclenché un de ces trucs !

— De toi, ça ne m’étonne pas !

— Ne te moque pas !

— Mais je n’ai rien dit !

— J’avais cru…

— Aurais-je droit à quelques détails ? ose Marcelin avec un air goguenard.

— Oh, si tu veux ! Tu sais, moi je mouille plutôt vite. J’ai la caresse à fleur de peau. Ma chatoune s’écrasait contre la selle, toute humide, toute chaude. Ça me procurait des sensations…

— Regarde la route, tout de même. Il ne faudrait pas virer dans un fossé.

— T’inquiète, je gère !

— Et alors ?

— Et alors, le plaisir montait au fur et à mesure que je pédalais. Et puis, est arrivé ce qui devait arriver, j’ai craqué toute seule dans une descente.

— Tu m’étonnes !

— Sauf que j’ai loupé le virage en fermant les yeux. Je me suis retrouvée sur un talus, les quatre fers en l’air, et pas mal égratignée. Oh, mais enfin, mais enfin, Marcelin !

— Quoi, encore !

— Mais ne ris pas, voyons !

— C’est que là, ne pas rire, c’est difficile !

— Et puis arrête de te tripoter, tu me fais honte. Bon, où en étais-je ? Ah, oui ! Mon vélo était dans un sale état, et moi avec ! Bon, je te raconterai la suite après, j’attends que tu te calmes un peu. Non mais, dans quel état tu es !

2

Canaillou n’est pas un chien ordinaire, loin de là. Oh, putain que non ! Il aime à gambader, courir, bondir, errer en toute liberté. Toujours fier et altier, la truffe au vent, et remuant la queue à la moindre occasion. La queue de derrière, bien sûr ! Surtout lorsqu’il découvre un réel sujet de satisfaction. Un bel os par exemple, orné d’un peu de chair, mais que diantre, quelle aubaine ! Canaillou a du panache dans l’âme, du prestige à revendre, de l’élégance sauvage. Et l’allure désinvolte d’un rebelle.

Il se remémore souvent l’époque où, abandonné sur une aire d’autoroute, il a dû se résigner malgré lui, réagir et se débrouiller pour survivre. Ses maîtres injustes démarrant en trombe pour disparaître au loin sur la grande route. C’était incompréhensible. L’amour d’un chien est inconditionnel, contrairement à la plupart des humains. Lui, le chien affectueux, naturellement fidèle, recevait l’abandon en retour. Ce jour-là, des larmes ont coulé de ses yeux. Il a rongé sa laisse avec hargne et détermination. Sa laisse accrochée à un arbre. Ses crocs nerveux endommageant très vite le cuir revêche. Puis il a tiré d’un coup sec pour se dégager. Libre enfin ! Alors il a couru, couru, pour retrouver ses maîtres. Il a couru, couru, mais en vain.

Ce jour-là, coquin de sort, le vent s’est levé sur la plaine verdoyante et l’air s’est humidifié rapidement. Une pluie fine et généreuse a dégouliné de partout, puis s’est intensifiée progressivement. De lourds nuages s’amoncelant à l’horizon. Sûrement qu’un percussionniste fou, un poil déjanté, féru de spectacles électriques et d’orages tonitruants, offrait là-haut de superbes roulements de tambours dans le ciel assombri. Avec son et lumière, éclairs et gongs retentissants.

Canaillou grelottait sous l’averse drue. Il trouva néanmoins refuge dans un bois, sous un pan de roche incliné drapé de lierre. Il y resta tapi, allongé sur les mousses, les yeux noyés de larmes et de pluie, jusqu’au petit matin. La tocante du temps, cette horloge inlassable, diffusant pour lui la rengaine des heures solitaires.

Puis, tel un vagabond désespéré, loin de se résigner à entamer une diète, Canaillou a croisé la vie de quelques poulets réfractaires à se laisser bouffer tout cru. Ce n’est pas qu’il était voleur dans l’âme, le bougre, mais il avait bigrement faim. L’estomac en vadrouille. Alors traversant campagnes et vallées, et passant non loin des fermes habitées, il se prit à imiter les renards entraînés à chaparder. Il les observait de loin, ces chenapans rusés. Puis, il faisait de même. Ainsi, entre ses dents, quelques poulets grassouillets disparurent des élevages, ainsi que de malheureux canards affolés.

Oubliant peu à peu sa mésaventure au bord d’une autoroute, il a hérité bien vite d’un goût sans égal pour la liberté. Se méfiant désormais des hommes. Et à ce jour, surtout ceux qui s’accaparent les poulets, tout en tirant à vue sur les pillards comme lui, avec leurs carabines. Il a erré un temps entre bois et forêts, empruntant parfois quelques chemins de terre, mais avec méfiance. Apprenant de la nature sauvage, ses règles de survie, tout en développant un instinct hors pair dont il tire profit. Seuls les chasseurs ont le droit de chasser en ces contrées. Pas les chiens sauvages, ni les renards, et encore moins les loups.

Une nuit, sous ses yeux endormis, son imaginaire n’a fait qu’un tour. Il a rêvé d’un gigantesque chantier, non loin de là, s’organisant dans la vallée, grâce à des engins étranges construits par les hommes. Chacune des machines arborait fièrement des allures d’animaux mécaniques. Ainsi paradaient les camions concasseurs en forme de chiens aux mâchoires d’acier, remuant la queue pour travailler en cadence. On distinguait même, à l’horizon, d’immenses grues girafes au long cou servant à acheminer des blocs de béton au-dessus des résidences en construction. Des lièvres renifleurs de trèfles à quatre feuilles portaient chance aux ouvriers. Tandis que des hérissons farceurs, squatters des chaises longues, décourageaient les fainéants. Des piranhas teigneux et voraces éliminaient détritus et gravas au fur et à mesure de l’avancée des travaux. Des mouettes drones surveillaient le tout depuis les hauteurs. On y voyait même des citernes baleines acheminant le diesel indispensable. Parfois, de lourdes tortues de ferraille ralentissaient la cadence. On employait des pinces de tourteaux pour couper les câbles. Des requins marteaux pour enfoncer les clous. Des requins-scies pour la menuiserie. Des chèvres motorisées et pétaradantes pour débroussailler rapidos. Des bennes pélicans révolvers, pour le béton armé. Des trompes d’éléphants jouant parfois de la trompette, mais si pratiques pour projeter du crépi. Des souris, des mulots, creusant des galeries pour la tuyauterie. Des ornithorynques, frappant furieusement le sol, pour l’aplanir, à l’aide de leur queue plate en forme de crêpière. Des vaches gonflées de sucs pour les moments de détente, lors de la pause-café. Des vaches à lait, à bière et à pastis, pour l’apéro du soir, lorsque la sirène des chats miauleurs annonçait la fin de la journée. Dans son rêve étrange, Canaillou observait l’avancée du chantier, quelque peu inquiet de cet enchevêtrement d’animaux mécaniques crissant dans la vallée.

L’air du matin sent bon la terre humide. Le soleil ayant décidé de faire risette en ce début de journée. Au faîte des arbres, des piafs se désengorgent les cordes vocales en piaillant à tue-tête comme des demeurés. Peut-être pour se disputer une femelle alanguie sur une branche, avec son p’tit cul à l’air et ses plumes d’apparat.

Tapis sous un bosquet, tous ses sens en alerte, Canaillou en a cure. Il est tout occupé à observer un lièvre imprudent vagabondant dans les broussailles. La fringale au ventre, il se prépare à bondir afin de se jeter sur cette proie facile. Son déjeuner semble assuré. Il se redresse en silence, se lèche les babines, bave un coup, puis s’élance furieusement. Mais le lièvre demeuré sur ses gardes, avec ses belles oreilles, à l’affût du moindre bruit, détale aussitôt sans demander son reste. Il bondit, s’enfuit et disparaît. Canaillou tente pourtant de l’atteindre, mais en vain. Cette boule de poil à la chair tendre s’est fait la belle. Loin d’abandonner toutefois, le chien s’en va renifler dans les broussailles alentour, inspectant le moindre bosquet, restant sensible à la moindre odeur. Hélas, le lièvre fuyard est déjà loin, hors de portée désormais.

— C’est sûr que les poules sont plus faciles à chaparder ! marmonne Canaillou d’un air grognon. Les canards aussi, j’en fais mon affaire. Mais là…

Les oiseaux dans les branches, ayant observé la scène, quelque peu apeurés, ont fermé leur caquet. Tandis que la femelle à plume offrant un air dépité va se rhabiller.

Plus loin, au bord de la ravine, cachée à l’ombre d’un merisier, une maigre silhouette se profile à présent. Sûrement un rongeur, un campagnol ou un mulot. Canaillou ragaillardi s’élance sans hésiter, se ruant vers l’animal. Sa proie sera mince, mais son repas assuré. Sauf que le rongeur, un instant surpris, détale lui aussi et disparaît. Le chien bondit encore, déployant toutes ses forces pour arriver à ses fins. Mais dans son élan, il en oublie la ravine d’en face, qu’il dévale aussitôt en roule boulant sur les roches, percutant un arbre et se blessant au passage. Avant de retomber inerte sur la route en contre bas.

Lorsqu’il rouvre un œil, le soleil a déjà changé de place au-dessus des futaies. Combien de temps est-il demeuré inconscient ? Qui sait ! La chute a été rude. Le chien encore engourdi a du mal à se remettre debout. Une douleur lancinante l’accable lorsqu’il cherche à s’appuyer sur ses pattes arrière. Une fracture, sûrement. Des contusions multiples, en tout cas.

On entend au loin, un véhicule qui se rapproche. Une voiture roulant à vive allure. Une chance peut-être, ou bien son contraire. Canaillou a besoin d’aide, mais la peur le tenaille. Redevenu sauvage, il redoute l’humain dont il a perdu confiance. Et encore étourdi, il perçoit cette venue comme le signe d’un danger. Il voudrait fuir, mais ne peut pas. À bout de force, à cause de la douleur, il s’affaisse sur le sol, cherchant à ramper pour se cacher, dans un ultime effort. La voiture sera là dans quelques instants. Le chien endolori émet quelques geignements plaintifs, puis se redresse courageusement, mais retombe aussitôt. Les oiseaux là-haut se sont tus. Le silence du sous-bois est perturbé par le vrombissement d’un moteur. Tandis qu’un véhicule rouge tomate apparaît bientôt, puis ralentit.

— Allons bon ! s’exclame Ninette au volant de la Morgan. Mais que vois-je là-bas ? J’aperçois une silhouette !

— Ce pauvre chien semble bien mal en point ! observe Marcelin. On dirait même qu’il est blessé.

La jeune femme émue freine encore, puis gare le cabriolet en bord de route, à quelques mètres seulement de l’animal en détresse. Canaillou fait mine de ne plus bouger, haletant pourtant. Partagé entre l’idée d’être secouru et celle de mordre pour se défendre. Ah, s’il pouvait fuir à cet instant, déguerpir et préserver sa liberté. Mais la douleur lancinante lui interdit de se lever. Ninette descend du véhicule, s’approche de lui et lui susurre bientôt d’une voix rassurante :

— Et alors, Pépère ? Tu m’as l’air dans un sale état !

Puis, elle se penche encore, et d’une main câline lui tripatouille le crâne, tout en lui prodiguant des caresses sous le museau. Il y a belle lurette que Canaillou n’avait pas eu droit à tant d’attention. Une larme de reconnaissance roule sur sa joue empoussiérée. Dans son regard de chien abandonné se profile un instant de bonheur.

— Bon, on fait quoi maintenant, hein le chien ? interroge Ninette compatissante. Je ne vais pas te laisser ici, tout de même. Tu me fais pitié, tu sais ! Montre-moi ce que tu sais faire. Allez, debout ! Je vais te donner un coup de main pour te relever. Marcelin, s’il te plaît, viens m’aider.

Celui-ci se radine, quelque peu inquiet toutefois de toucher un animal blessé. Le chien tente de se remettre sur ses pattes, révulsant un instant ses babines avec un grognement, par réflexe de défense.

— Tout doux, tout doux, on se calme ! réagit Ninette. Si tu montres les dents, comment veux-tu qu’on te vienne en aide ? Hein ! Allez, un petit effort !

— Et surtout, on ne mord pas ! lance Marcelin pas très rassuré.

Ninette étend alors ses bras magnanimes, désireuse de porter secours à ce brave animal. Et quelques instants plus tard, Canaillou se retrouve installé à l’arrière du cabriolet. Las de résister, soulagé d’être secouru, mettant de côté momentanément ses instincts sauvages. Cette ravissante demoiselle lui inspirant confiance, il en respire la douceur, se surprenant même à sourire malgré la douleur. Comme pour se laisser apprivoiser.

3

— Ce n’est qu’un cabot ! s’exclame Gontran qui se gratouille le crâne. Joli clébard, certes, charmant peut-être, mais ça reste un cabot !

— Un cabot, un cabot ! marmonne Tata Bougnette. Mais comment tu lui parles, toi ! Ce clebs est adorable et je prendrai sa défense, compte sur moi ! Regarde sa bouille, il est trognon, non ?

— Heu, oui, certes…

— Alors ne l’insulte pas, sinon il va te montrer les crocs et tu l’auras bien mérité. Et je ne donne pas cher pour tes mollets !

— N’exagère pas non plus ! réplique Gontran avec un brin d’ironie sur la frimousse. Ton joli toutou roupille, on dirait bien. Entends-le ronfler. Il me semble bien inoffensif.

— Tu crois ça, toi !

— M’enfin, Tata Bougnette ! S’il en était autrement, il se serait levé à mon approche, lorsque j’ai ouvert le portail. Il serait venu me renifler à l’entrée du patio, pour m’aboyer dessus ! Mais là, non !

— Effectivement !

— Tu veux que je te dise ? rigole encore Gontran. Avec ce calme absolu qui le caractérise, cette sieste perpétuelle, cette platitude exemplaire, ce néant existentiel, ce spécimen doit être unique !

— Justement, c’est ce qui fait son style ! Laisse-le tranquille !

Canaillou sait qu’on parle de lui. Impassible, il ouvre un œil, puis le referme, fait mine de ronfler encore, puis se rendort. Seules ses oreilles restent en alerte. Il se remet peu à peu, il récupère.

Soudain, Ninette ouvre en grand les volets de sa chambre, montrant sa bouille enjouée en ces heures matinales. Toujours aussi ravissante, la belle ! Sans complexe, avec ses petits seins à l’air, charmante comme un cœur, blondinette comme un soleil d’été, et tout échevelée.

— Il raconte quoi, comme connerie sur mon chien, le Gontran ? s’écrie-t-elle depuis le premier étage. J’ai tout entendu !