Une tête sur le puits scellé - Lou Florian - E-Book

Une tête sur le puits scellé E-Book

Lou Florian

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Beschreibung

En ouvrant ses volets, Tata Bougnette fait une mystérieuse découverte. Qui a eu l’idée saugrenue de déposer une tête coupée sur le puits de son patio, dans ce quartier tranquille du vieux Collioure ? Curieuse de nature, la vieille dame se résigne à mener son enquête. Plus tard, elle se retrouve en présence d’un être hybride très particulier, au sous-sol d’un laboratoire secret menant d’étranges expériences, dans un lieu pour le moins inquiétant dont on ne s’échappe pas.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Lou Florian est sensible à l’art sur toutes ses formes. D’un naturel ouvert, de Paul Eluard à André Breton en passant par San Antonio, dont il apprécie fortement l’écriture, son style laisse entrevoir l’influence d’un panel éclectique d’auteurs.

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Lou Florian

Une tête sur le puits scellé

Roman

© Lys Bleu Éditions – Lou Florian

ISBN : 979-10-377-6804-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

Elle n’a pas l’air bien fraîche, Tata Bougnette, ce matin. Elle se remet de ses émotions. Elle a l’air, comme qui dirait, déconfite, harassée, ratatinée du bulbe et toute raplapla. Elle aurait besoin d’un petit coup de fouet. D’un remontant. Une rasade de banyuls entre les gencives, par exemple, et sur ses quelques dents. Trois pépins d’orange à recracher. Ou bien des noyaux d’olives. Manière de jouer encore avec les chats. Les noyaux, ça ricoche sur les poils, c’est marrant. Enfin, c’est rigolo. Pour Tata Bougnette, c’est un bon passe-temps.

Aujourd’hui, tu as le soleil qui se la joue caliente ! Il a dû badigeonner sa biscotte du matin avec de la marmelade de piments rouges. Et se l’enfiler goulûment dans le gosier. Juste avant de se lever à l’horizon. Et du piment au petit déjeuner, c’est plutôt risqué. Ça, tout le monde le sait ! L’astre chaud en est devenu brûlant. Tout brûlant. Écarlate. Et lorsqu’il s’est levé sur la mer, à l’aube naissante, il était rougeoyant comme une tomate bien mûre. En un instant, le ciel et l’horizon se sont revêtus de pourpre. Avant de décliner fort heureusement vers les orangés. Alors aujourd’hui, je te le dis, il fera caliente, caliente ! Depuis quelques jours déjà, le soleil a le feu au caleçon !

Il faut que vous sachiez ce qu’il s’est passé chez nous, il n’y a pas si longtemps.

Nous sommes au mois de mai. Là, dans notre petit village de Collioure, à la nuit tombée, un soir de pleine lune, alors que le clapotis des vagues grignotait les abords du château, le miaulement étrange d’un gros chat, ou d’un félin, a déchiré le silence. Quand je dis un gros chat, c’est approximatif. Car personne ne l’a vu. Mais tout le monde l’a entendu. Un miaulement lugubre et fort qui en a fait frissonner plus d’un et plus d’une, dans ces vieilles maisons de pêcheurs. Ça venait du quartier du Mouret, quelque part par là. Depuis les toits ou dans une ruelle. Nul ne sait. Un miaulement étrange, presque violent. Pas comme un chat en rut, non. Plutôt un chat aux poils hérissés, toutes griffes dehors, les yeux révulsés et prêt à mordre. C’était comme si un cri avait déchiré la nuit. La cloche de l’église a retenti soudain. Un coup, deux coups peut-être.

C’est Tata Bougnette qui a alerté le quartier. Au petit matin. Lorsqu’elle a ouvert les volets de sa chambre, elle a lorgné les trois pigeons qui se tapaient la belote sur le balcon d’en face, juste un peu plus haut chez la voisine. Rien d’anormal, quoi ! Mais quand elle a regardé en bas dans le patio, le spectacle n’était plus du tout le même. D’abord, il y avait ce goéland criard qui semblait vouloir s’attaquer à un morceau de choix. Ces étranges volatiles, ça ne pense qu’à bouffer, ingurgiter. Tellement qu’on se demande comment ça peut encore voler ! Et puis, ça ne mâche même pas les aliments, enfin je veux dire les détritus. Un coup de bec, et hop ! Dans le gosier !

Tata Bougnette regarde donc en bas, depuis son balcon, et ses yeux scrutent un instant le morceau de barbaque qui attire tant le goéland. Là, sur les rebords du puits scellé. Avec des poils, de longs poils sur le dessus. Une touffe, peut-être bien des cheveux. Non, ce n’est pas possible ! Tata Bougnette écarquille les yeux, se gratte un sourcil et la raie des fesses en même temps, puis va chercher ses bésicles. Elle veut savoir, en avoir le cœur net. On dirait les restes d’un chien… Un vieux bichon, peut-être.

Elle descend les escaliers et se retrouve dans le patio. Et là, pas de doute, ce n’est pas les restes d’un chat. Pas d’un chien non plus. C’est… C’est un spectacle rebutant. Mais comment un truc pareil a-t-il pu atterrir là ? C’est une tête humaine décomposée, du moins ce qu’il en reste. Il y a toujours des yeux dans les orbites, vitreux et bien morts. Donnant l’impression de loucher sans trop faire d’effort. Il y a encore des poils dans les trous de nez. La bouche est ouverte, avec au fond, des dents cassées. Les deux joues ont disparu, mangées par le goéland. Peut-être reste-t-il de la cervelle intacte, à défaut de mou pour le chat. Mais en tout cas, ce n’est pas très ragoûtant.

Tata Bougnette évite de vomir. Elle tremblote et tourne presque de l’œil, mais elle reste digne. Bon, elle saisit la touffe de cheveux qui lui reste dans les doigts. La chaleur peut-être, ou bien la décomposition. Le truc ne sent pas la guimauve. Tata Bougnette saisit un bout de bois, tâtonne sur le crâne, pousse un peu l’ensemble. La mâchoire inférieure se détache.

— Allons bon ! pense-t-elle. Ce n’est pas de toute fraîcheur, ça !

Évidemment que ce n’est pas tout frais. Ça a dû gigoter dans la mer, des heures et des heures. Le problème, c’est le reste du corps. Il en manque un bout. Presque tout ! Où sont passés les bras, les gambettes, le torse, le ventre, les fesses, les pieds... Et qui donc a pu rapporter ça ici, déposer cette tête sur le puits scellé ? Il a bien fallu ouvrir le portail, et entrer dans le patio sans bruit. Puis repartir à pas de loup.

Tata Bougnette se rapproche alors du portail. Il n’est pas fermé à clef. D’ailleurs, il n’est jamais fermé à clef ! Dans ce village paisible, il n’est point de voleur ni de rôdeur, qui s’aventurerait dans cette petite ruelle. Mais alors ? Qui est l’intrus, l’imbécile qui s’est amusé de la sorte ? Tata Bougnette se met à crier dans la rue :

— Au secours, au secours ! Il y a une tête dans mon jardin ! Et elle est bien pourrie ! Au secours ! Même les chats n’en voudraient pas ! Au secours, au secours !

Les voisins et les voisines accourent, interloqués. Constatent l’horreur sanguinolente. Lancent des cailloux pour éloigner le goéland gourmand. Téléphonent tous azimuts. D’ici pas longtemps, les gendarmes seront là.

Tata Bougnette tremblote des guiboles. Elle a les genoux qui s’entrechoquent. D’ici quelques minutes, c’est sa culotte de grand-mère qui en fera les frais. Un entrefilet d’urine pointe le bout de son nez sous sa robe de chambre. Une tache de plus à ajouter aux auréoles nocturnes. C’est qu’elle n’a plus l’allure de ses vingt ans, la vieille. Ça part en sucette par tous les bouts ! Elle n’est pas grassouillette, plutôt mince, ce qui lui permet de tenir encore debout. Mais à la moindre émotion, elle tremble comme les feuilles à la cime des platanes.

Marcelin, le voisin, lui tapote la main.

— Allons, Tata Bougnette, ce n’est rien, ce n’est rien !

— Ce n’est rien, ce n’est rien ! Tu en as de drôles, toi ! Tu as vu l’engin, un peu ?

C’est vrai qu’on n’en voit pas souvent des trucs pareils dans le village. Même jamais, franchement ! Jamais de mémoire d’anciens. Pour sûr, ça va jaser pendant des lustres. Tout le quartier est en émoi. Chacun y allant de sa petite phrase :

— Et alors, c’est venu comment ?

— Et qu’est-ce que j’en sais, moi !

— Elle a une sale tête !

— Ça, c’est sûr !

Quelques mouches téméraires font le tour du quartier. Les mouches, c’est comme les curieux, ça s’agglutine. Ça tourne autour, ça veut savoir. Ah, voilà, ça y est, les gendarmes sont là !

— Messieurs dames, laissez passer, s’il vous plaît ! Allons, allons, laissez passer ! Merci à vous. Bonjour. Il n’y a pas de quoi ! Oh la la ! Et c’est à vous ça ?

Tata Bougnette va tourner de l’œil, mais elle se ressaisit.

— Mais non, ce n’est pas à moi ! Enfin, Monsieur le Gendarme, vous imaginez bien que j’ai passé l’âge de faire des blagues pareilles !

Les gendarmes s’approchent, dubitatifs et dégoûtés.

— Et en plus, ça sent la marée ! dit l’un d’eux. Je pense que ça a dû barboter dans l’eau du port un bon moment ! Asseyez-vous, madame, je vous en prie ! N’ayez pas peur, et racontez-moi tout !

Alors Tata Bougnette pose ses fesses sur la vieille chaise en bois. Se racle la gorge en crachant un peu, se cure le nez non moins délicatement et en ressort une mucosité qu’elle jette dans le patio. Elle a le souffle court et le cœur qui bat très vite. Le sang qui pulse méchamment dans ses artères. Mais elle se ressaisit. Alors elle pète un coup et lâche innocemment :

— Je vous demande pardon, mais je crois bien que je me suis fait… dessous !

2

Il est presque midi, le soleil est au zénith et la tête décomposée a été remise au médecin légiste. Un appel à témoins est lancé. Tout le voisinage est mis à contribution. Mais comme tout le monde dormait cette nuit-là, les indices sont bien minces. Il y a bien Papy Oscar, resté éveillé sur son balcon, qui n’avait pu se rendormir après l’étrange miaulement d’un chat. Et qui avait fumé sa pipe au clair de lune, en bougonnant. Il habite un peu plus haut, dans la ruelle. Mais il n’a rien vu de vraiment pertinent. Juste entendu, donc, ce miaulement de chat lugubre qui donnait la chair de poule. C’est vrai que tout le monde, ou presque, s’est réveillé à ce moment-là. Mais comme disaient les gendarmes, tout à l’heure :

— On cherche des indices, messieurs dames, pas un chat !

Papy Oscar a fait une déposition, toutefois. Il affirme qu’une silhouette a descendu la rue, sans bruit, un peu après deux heures du matin. Elle paraissait d’âge mûr, grande, légèrement voûtée, avec de longs cheveux grisonnants. Une personne inconnue du quartier, en tout cas. Sûrement un promeneur solitaire, ou bien une vacancière insomniaque comme lui. Mais à part ça, rien ! Papy Oscar, cette nuit-là, fumait sa pipe pour tuer le temps sous les étoiles.

— Et dire que Ninette débarque ici dans quelques jours ! se lamente Tata Bougnette. C’est bien ma veine, tiens ! Elle va se faire un sang d’encre, la gamine !