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Une scène macabre est découverte dans le parc du château de Kériolet à Concarneau...
Quand le parc du château de Kériolet à Concarneau devient le théâtre d’une scène macabre, l’antenne de police judiciaire de Quimper est aussitôt prévenue. C’est sous un soleil de plomb que Maxime Moreau et ses équipiers vont apprendre que l’origine criminelle du décès est clairement établie. Il importe maintenant de prévenir la famille de Corentin Brassens, un artisan électricien chauffagiste qui habitait la paisible ville de Névez. Les premiers éléments de l’enquête mettent au jour plusieurs pistes mais rien ne dit cependant qu’il faille se cantonner à ces suspects. De mensonges en surprises et rebondissements, il faudra toute l’attention et la pugnacité de Maxime Moreau pour découvrir la vérité, aussi terrible soit-elle !
Plongez au cœur des légendes bretonnes avec le 16e tome des enquêtes captivantes de Maxime Moreau !
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Encore une enquête à rebondissements." ClosDanne, Amazon
À PROPOS DE L'AUTEUR
Stéphane Jaffrézic est né en 1964 à Concarneau. Il est organisateur de murder partys et membre du collectif d’auteurs finistériens L’Assassin Habite Dans Le 29. Après deux titres pour la collection Pol’Art, il propose ici son seizième roman policier de la collection Enquêtes et suspense.
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À mon père, Bernard, qui nous a quittés le 14 mai 2020, et ne lira jamais ces lignes. Je t’aime, Papa.
Je tiens à remercier vivement celles et ceux qui m’ont grandement aidé par leurs précisions techniques ou leur très sérieux travail de relecture.
À Dominique Quéroué et Pascal Tanguy.
À ma fille Chloé et Élisabeth Mignon.
À l’équipe des Éditions Alain Bargain, qui me fait confiance depuis tant d’années, et qui fait un travail formidable.
Le ciel bleu et le soleil généreux qui ravissaient toutes et tous fin juin, ont perduré. Après le confinement dû au coronavirus, et les nombreux décès inhérents à cette fichue pandémie, c’est un réel bonheur que de sortir se balader dans la campagne ou sur les plages et rochers, de se libérer l’esprit en profitant des espaces si longtemps interdits. S’il y a toujours des malades en réanimation, souhaitons que ce problème majeur soit en train de se terminer, même si beaucoup redoutent de le voir reprendre de la vigueur en septembre, après un été synonyme de rapprochements familiaux.
La température s’est encore réchauffée de deux ou trois degrés, alors que curieusement l’eau de mer peine à atteindre vingt degrés. Si dès la mi-mai les vacanciers se sont emparés du littoral et des sites les plus prisés de la région, depuis la fin de l’année scolaire, ils sont de plus en plus nombreux à envahir hôtels, campings, maisons de famille et autres chambres chez l’habitant. Comme tous les ans, immuablement, certains locaux râlent contre les bouchons créés par le flot dense et interminable des voitures immatriculées partout en France mais c’est le prix à payer lorsque l’on vit dans une région d’exception, et cela pas uniquement en raison des actuelles conditions climatiques. En 2020 la Bretagne est devenue destination très prisée, au point d’être la deuxième région française la plus touristique sur le podium.
La fête nationale tombant un mardi, nombreux sont ceux qui ont fait le pont, comme le major Simon Jaouen et moi. Après quatre jours de trêve, c’est le cœur léger que nous reprenons le travail ce mercredi, espérant aller en roue libre jusqu’à vendredi avant le week-end. Dans un peu plus de trois semaines, ce seront les vacances pour nous deux. Dans l’intervalle, parce que nous ne pouvons tous nous absenter, le brigadier-chef Justin Débolo a assuré la permanence. Qu’il ne nous ait pas appelés signifie qu’il n’est rien intervenu de dramatique dans le Finistère. Justin sera en congés demain soir. Il en ressent une énorme excitation car, comme il le fait tous les deux ans, finances obligent, vendredi il s’envolera avec femme et enfants pour sa Martinique natale.
La brigadière-cheffe Suzy Villard ne travaille plus, et ne le fera pas d’ici un bon moment, car un heureux évènement est prévu dans moins de deux mois. Têtue, l’Eurasienne, bretonne par son père natif de Carantec et disposant d’une double nationalité par sa mère japonaise, aurait souhaité retarder l’échéance de sa mise en retrait, mais son état n’est plus compatible avec son travail. Pour elle et son bébé, qui sera son premier enfant, il est exclu de prendre le moindre risque.
Nous sommes donc trois, Justin, Simon, et moi, pour représenter l’antenne de police judiciaire de Quimper, et mener de front une multitude de dossiers. En cas de coup dur, nos homologues brestois viendront à la rescousse, mais dans l’immédiat il n’est pas prévu d’action d’éclat. Sans nous cloisonner dans une pesante routine, nous œuvrons en parant au plus pressé.
Chacun dans notre bureau, nous travaillons isolément. Nos dossiers ont pour point commun l’identification de membres d’un réseau de trafiquants de stupéfiants, “du produit”, comme nous le nommons dans notre jargon. Le casque sur les oreilles, je transcris des conversations téléphoniques et des SMS entre des gaziers placés sous écoute. Ils connaissent nos façons de procéder, aussi se gardent-ils de livrer une information ou un nom, mais outre l’intérêt de valider des liens entre lascars malintentionnés, il y a parfois une indiscrétion à glaner ou l’intervention ponctuelle d’un individu jusqu’alors inconnu de nos services.
Il n’est que 15 heures 30 et je m’apprête à faire une pause-café judicieuse quand le téléphone de mon bureau fait entendre sa sonnerie aigrelette.
— Allô !
— Bonjour Capitaine Moreau, ici le procureur Colinet. Comment allez-vous ?
— Bonjour Monsieur le procureur. C’est le traintrain jusqu’ici, mais puisque vous m’appelez, il y a fort à parier que nous allons sortir de notre état semi-léthargique. Je me trompe ?
— Non, pas du tout, fait-il sans masquer que lui aussi est dans l’humour. Il y a moins de vingt minutes, peu après 15 heures, on a signalé à vos collègues de Concarneau la découverte d’un corps par des promeneurs. L’équipage qui était le premier sur les lieux a vite constaté qu’il s’agissait d’un décès par balles, deux pour être précis, tirées dans la poitrine. Difficile dans ce cas d’évoquer un suicide. En raison de la gravité des faits, je vous saisis de cette affaire. Pour l’instant, vous débutez l’enquête de flagrance, nous verrons plus tard, en fonction de vos investigations, s’il y a lieu de nommer un juge d’instruction.
— D’accord, Monsieur le procureur. Où est-ce arrivé ? ne puis-je m’empêcher de demander, car résidant dans cette ville, je souhaite m’imaginer le décor que je connais vraisemblablement.
— Ce sera à vous de le définir avec certitude, mais nous pouvons supposer que c’est à l’endroit de la découverte du corps, à savoir le parc du château de Kériolet. Cela vous parle ?
— Oui. Le château est situé à Beuzec-Conq, sur la hauteur de la ville.
— C’est cela. Vous et votre équipe êtes attendus à Concarneau. L’équipage a délimité un périmètre pour refluer les curieux et isoler ce qui est certainement la scène de crime. Ils attendent votre venue.
— Nous partons immédiatement.
— Je suis le parquetier de permanence jusqu’à vendredi. Vous pouvez me joindre à tout moment. Au revoir Capitaine Moreau.
Le téléphone à peine raccroché sur sa base, j’alerte mes voisins de bureau :
— Simon, Juju, on décolle !
Le temps de nous munir de nos armes et menottes, car nous ne savons jamais ce qui nous attend, nous dévalons l’escalier. On se fait l’effet de cow-boys, avec notre Sig-Sauer dans l’étui passé dans la ceinture du pantalon. Habituellement, nous nous arrangeons pour dissimuler notre arme de service sous une veste, mais par cette canicule il n’est pas envisageable de porter sur le haut du corps plus qu’un tee-shirt, un polo, ou une chemise.
Alors que Justin entre en contact avec le SRIJ* afin que les experts de la police technique et scientifique nous rejoignent au plus vite, je sélectionne dans le répertoire de mon portable le numéro administratif du commissariat de Concarneau.
— Bonjour, Maxime Moreau, de la PJ de Quimper. Un corps a été découvert à Kériolet, savez-vous qui est l’officier qui est sur le coup ?
— Bonjour Capitaine, c’est Carlier qui vous parle. Le lieutenant Gaubert s’est rendu sur place. Voulez-vous son numéro de portable professionnel ?
— Non, inutile, je l’ai. Merci, bonne fin de journée, Carlier.
Carlier, Gaubert… Des hommes dont les visages me reviennent instantanément. Avant de rejoindre l’antenne locale de la PJ de Quimper, j’ai eu l’honneur d’officier dans ce commissariat, en tant que numéro deux, en soutien du commandant Daniel Bernier dont je n’ai pas de nouvelles depuis la dernière fois que je l’ai vu à Bénodet*. S’ils ne sont pas partis en retraite, beaucoup des policiers qui composent l’effectif ne me sont pas inconnus. Ce n’est pas du numéro pro de Frédéric Gaubert que je dispose, mais de son numéro personnel. Nouvelle pioche dans le répertoire, et j’obtiens mon ancien collaborateur.
— Salut Fred, comment ça va ?
— Salut Max. À moins que tu ne sois en train de te dorer la pilule, j’attendais ton coup de turlu.
— Ce n’est pas pour tout de suite, les vacances. Le Proc’ Colinet vient de nous charger de l’affaire de ton macchabée. On monte en voiture pile-poil à l’instant, on est là dans un quart d’heure si on ne traîne pas en route. Tu peux me faire un topo ?
— Il s’agit d’un homme d’environ quarante ans. Ce sont trois promeneurs qui l’ont découvert. À une vingtaine de mètres, à l’entrée sud, il y a un fourgon, qui est probablement celui de la victime. Sur la carrosserie figure la raison sociale d’un artisan de Névez.
— Tu as prévenu sa famille, s’il en a une ?
— Non. Je savais que l’affaire nous serait retirée, alors si je peux éviter cette corvée…
Ce n’est jamais drôle d’annoncer un décès, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un meurtre. Je comprends l’attitude de Frédéric, et au fond de moi je me susurre que j’aurais fait de même.
— Laisse, on s’en chargera quand on sera certain de son identité. Merci de conserver un équipage pour éloigner les spectateurs en mal d’émotions fortes, ou de curiosité malsaine.
— Pas de souci. Les découvreurs sont ici, ils ont pour consigne de ne pas partir avant que tu les aies interrogés.
— Impeccable. On arrive !
Comme souvent, Simon s’est mis au volant. Alors que nous quittons la rue Théodore Le Hars où était garée une voiture banalisée de nos services, Justin renseigne à travers son masque :
— Ils râlaient, les gars du SRIJ. Vue l’heure, ils ne seront pas tôt chez eux, ce soir.
— Si ça peut les consoler, nous non plus. Allez, Simon, mets la gomme !
*
Nous avons pris un bon véhicule, car celui-ci dispose d’un gyrophare, ce qui n’est pas le cas de tous. Grâce à lui, et à l’usage effréné du klaxon et d’appels de phares, Simon a fait fissa pour nous conduire en dehors de Quimper, puis après un bon cent quarante sur la voie express, nous amener à l’entrée de Concarneau. Sur mon conseil, nous ne sommes pas descendus vers la ville, et n’avons pas pris la première route qui mène au bourg de Beuzec, commune rattachée depuis 1945 à Concarneau, mais avons poursuivi sur un petit kilomètre avant de virer à gauche. Quelques centaines de mètres, et sur notre gauche encore apparaît le parc du château. Conformément à ce que m’a annoncé Fred Gaubert, sous l’abri discret de grands arbres, un fourgon blanc surmonté d’une échelle sur la galerie apprend que Corentin Brassens est, ou était, électricien et également chauffagiste. Un numéro de portable et une adresse à Névez sont indiqués. Une voiture de police est garée en travers de l’allée. À l’ombre, deux agents en uniforme et porteurs d’un masque se tiennent prêts à interdire l’accès. Nous nous garons près d’eux, en veillant à laisser libre le passage pour les techniciens du SRIJ ainsi que le corbillard des pompes funèbres. Nous échangeons les formules habituelles de salut sans nous serrer la main, avant d’emprunter l’allée. Bien que les arbres soient habillés de leurs feuilles ou que des bosquets pourraient faire de bonnes cachettes pour des gamins jouant à délivrance ou cache-cache, nous apercevons deux hommes à une trentaine de mètres. Eux aussi nous ont vus, et l’un d’eux nous enjoint du bras, d’approcher, ce que nous aurions fait de toute façon. Sans peine, je reconnais le lieutenant Gaubert et le brigadier Vernet.
— Salut, les gars, dis-je quand nous ne sommes plus qu’à quelques mètres. Ça va comme vous voulez ?
— Nous, ça va, répond Frédéric en tapant son poing contre le mien pour éviter un contact trop intime et donc susceptible de favoriser la diffusion du virus de la Covid-19. C’est lui, là derrière, qui ne va plus du tout.
— C’est clair, renchérit le brigadier, il n’aura plus jamais mal aux dents. Ni ailleurs !
Ces plaisanteries sans profondeur pourraient choquer les non-initiés, mais elles ont pour effet de nous aider à nous composer une indispensable carapace, tant nous sommes confrontés à l’horrible au cours de notre carrière. Ce que je vois du corps n’est qu’un pantalon de jean, des chaussures noires, et en me déplaçant légèrement, un t-shirt à l’origine gris, et désormais strié de rouge sur le flanc. L’homme devait mesurer un bon mètre quatre-vingt, et était de solide constitution avant que deux balles dans le buffet ne le terrassent. Le teint mat, accentué par la saison, il a sur la tête une fine pellicule de cheveux coupés à la tondeuse.
— Lorsque les découvreurs nous ont appelés, indique Vernet, nous avons fait au plus vite. Sans piétiner les lieux, je me suis approché. J’ai vite pigé que c’était trop tard, il n’y avait plus rien à tenter pour le ranimer. Fred est arrivé quasiment dans la minute.
— J’ai immédiatement prévenu le parquet, confirme celui-ci. En attendant votre arrivée, un autre équipage est venu par l’autre accès uniquement utilisé par le ou les propriétaires du château. Personne n’entre ou ne sort sans notre accord.
— Parfait. Le ou les propriétaires sont présents ?
— Non, il n’y a personne. Habituellement, il y a des visites libres ou guidées tous les jours, mais on dirait que ce n’est pas le cas aujourd’hui. On va guetter leur retour.
— Le toubib est passé ?
— Oui. Coup de bol, il a qualité de légiste. En se basant sur la rigidité cadavérique, la couleur de la peau, la couleur des yeux, le teint cyanosé, il estime le moment de la mort une à cinq heures plus tôt ce jour, soit entre 10 et 15 heures, moment de la découverte du corps. Difficile pour lui d’être plus précis pour le moment.
— C’est sûr qu’entre la température de l’air et celle du sol, plus une multitude de facteurs qui entrent en jeu, ce ne doit pas être facile. Et les découvreurs où sont-ils ?
— Près du château. Ce n’était pas indispensable qu’ils restent à proximité.
— Vous avez bien fait. Nous allons les interroger, mais d’abord, avez-vous connaissance de l’identité de la victime ?
— D’après le nom sur le fourgon, il se nommerait Corentin Brassens.
— Vous êtes sûrs que c’est lui ?
— Ben… on n’en sait rien, oppose Gaubert, on ne le connaît pas.
— On va vérifier… Simon, Justin, on a le temps avant que le SRIJ soit là, alors voyez pour contacter son opérateur téléphonique et consulter le TAJ*. Oh, prévenez Margot Besson que l’autopsie devra avoir lieu demain matin. Qu’elle se débrouille pour décaler ce qu’elle avait prévu. Ensuite, allez enregistrer le témoignage des trois témoins et celui du ou des proprios du château pendant que j’irai avertir la famille. Mais avant, je vais m’assurer qu’il s’agit bien de Brassens.
Sous les regards interloqués des policiers concarnois, je m’éloigne tout en sortant mon téléphone portable de la poche arrière de mon pantalon. Quand je suis suffisamment près du fourgon pour le lire, je compose le numéro de l’artisan qui est domicilié à Névez, mais ne lance l’appel que lorsque je suis assez proche du corps sans pour autant polluer ce qui est communément désigné comme la scène de crime. La main tenant le portable à la hauteur de l’oreille, l’index de l’autre main en travers de la bouche, j’intime le silence, ce que ne respectent pas les oiseaux dans les ramures, mais impossible de les empêcher de piaffer.
Nous entendons distinctement une sonnerie, celle du strident dring qu’émettait le vieil appareil qu’il y avait chez mes parents, il y a de cela une trentaine d’années. Brassens ne faisait pas dans l’originalité. Si rien ne nous autorise encore à certifier qu’il est la victime, cet élément renforce cette possibilité.
— Il semblerait bien que ce soit lui. Une autre tentative d’authentification…
Sur mon portable, je vais sur le plus connu des réseaux sociaux et tape le nom et le prénom de la supposée victime. L’artisan y est référencé. La photo de sa page d’accueil montre un individu souriant, au cheveu ras, qui offre une tellement forte similitude avec celui allongé sur le sol que le doute est vraiment limité.
— Ça paraît se confirmer. Simon, Justin, on fait comme on a dit. Fred, tu veux bien filer un coup de main à Simon et Justin ? Vous ne serez peut-être pas trop de trois, selon ce qui se présente.
— Oui, pas de problème.
— Vernet, merci de maintenir le dispositif en place, sur les deux voies qui mènent au château, et merci aussi de diriger tout arrivant officiel vers nos collègues.
— Pas de problème pour moi non plus.
— Formidable. Merci les gars.
Avant de m’en aller, pendant que Justin et Simon vont à la voiture chercher un ordinateur portable et une imprimante, évitant de me faire voir sans pour cela me cacher derrière les frondaisons ou les fûts d’arbres imposants, je marche vers le château, histoire de constater si je connais les découvreurs du corps. Confortablement assis sur l’herbe, à l’ombre car le soleil darde ses rayons, deux femmes et un homme que je n’ai jamais vus patientent. Tous trois ont ce que l’on définit poliment par “un certain âge”. De temps en temps, l’un ou l’une lâche un mot ou une courte phrase, auquel un ou une autre répond… ou pas. Subissant le contrecoup de leur sinistre découverte, il est vraisemblable qu’il leur tarde de quitter les lieux, afin de rentrer chez eux pour retrouver un peu de sérénité.
— Ils sont à vous, dis-je à mes équipiers quand je les croise en repartant. À tout à l’heure !
Dans la voiture, j’entre l’adresse de l’électricien-chauffagiste dans le GPS. Je n’ai plus qu’à me laisser guider.
*
Parce que je sais que je vais être confronté à des passages à cinquante ou soixante-dix kilomètres heure, je mets le gyrophare sur le toit et abuse du klaxon pour que s’écartent les escargots en promenade. Ce qui est rigoureusement interdit, tout en conduisant, je prends mon téléphone pour entrer en relation avec le commandant Claude Tammet, en poste à l’antenne brestoise de police judiciaire.
— Salut Maxime. Comment vas-tu ?
— Ça dépend des moments. C’est l’été, il fait beau, je serais donc plutôt enclin à affirmer que tout va pour le mieux, s’il ne m’arrivait un drôle de turbin.
— Toi, tu as besoin d’aide !
— Tu l’as senti à ma voix ?
— Pas du tout. Je me disais que c’était trop calme. Pour ce soir, j’avais projeté un pique-nique à la plage avec ma femme et deux couples d’amis, mais je pense que le programme sera ajourné. Raconte, Max !
— Trois promeneurs ont découvert un corps dans le parc du château de Kériolet, sur la commune de Concarneau. Le SRIJ devrait être sur place d’ici une heure trente. Le temps qu’ils fassent les constatations, il fera nuit, ou presque. La victime a reçu deux projectiles dans le haut du corps, et bien évidemment, autant que j’ai pu le constater, l’arme n’est pas à côté d’elle. Il se pourrait qu’elle soit sous le corps, mais ce n’est pas crédible qu’il se soit suicidé en se tirant deux balles avant de s’effondrer.
— Gros doute, en effet.
— Voilà pour te situer le contexte. Maintenant, et c’est l’objet de mon appel, en raison des lieux, j’aurais besoin d’aide pour fouiller le parc à la recherche de l’arme. As-tu du personnel disponible ?
— Cinq sont en vacances, un en arrêt de travail, nous sommes donc à neuf. Tu voudrais combien de personnes, pour te filer un coup de main ?
— Le plus possible.
— Il est grand, le parc ?
— J’ignore sa superficie, mais le parc d’un château n’est jamais petit. Compte plusieurs hectares, et tu auras une notion de la corvée qui nous attend. Tu sais aussi bien que moi que c’est le genre d’opération qui peut être de courte durée, si l’arme a été balancée dans le premier bosquet venu, comme elle peut tout aussi bien nous retenir une bonne partie de la nuit. Il se peut aussi que le tireur ait emporté l’arme avec lui.
— Hum… on a deux gars à auditionner, et à déférer ensuite devant le juge d’instruction puis sans doute à l’Hermitage*. Je laisse quatre agents ici et on débarque à cinq. Ça te va ?
— Parfait ! Avec la participation des collègues locaux, ça ira encore plus vite.
— On prend la route tout de suite, ou on a un peu de répit ?
— Tu connais la problématique, tant que le SRIJ n’est pas là, on ne touche à rien. Soyez ici dans deux heures, on commencera par la zone la plus éloignée.
— D’accord, tu peux compter sur nous.
Névez est une commune distante de Concarneau d’environ quinze kilomètres, soit environ douze depuis le château de Kériolet. Après la traversée de Trégunc, autre petite ville située à mi-route, la première route à droite m’emporte vers ma destination.
Au bourg de Névez, le GPS me prie de faire le tour du rond-point proche de l’église, pour arriver à Kerlosquet, où un panneau indique qu’il s’agit d’un cul-de-sac. C’est dans ce lieu-dit qu’est bâtie la maison de Corentin Brassens. Un peu plus loin, à travers un grillage, je vois qu’elle est résolument moderne, et de construction récente. Elle est séparée d’un atelier par un jardin exclusivement planté d’une pelouse grillée par le soleil. Il n’y a pas de voiture sous le carport à ossature bois adossé au pignon. Faciles à monter et moins chères qu’un garage, ces structures fleurissent un peu partout au fil des années, protégeant les véhicules de la pluie ou de la lune, ou comme en ce moment du soleil. Le portail ajouré de la propriété est fermé, et quand bien même les battants seraient poussés, je ne me hasarderais pas à entrer, car un gros chien dont j’ignore la race quitte l’ombre protectrice de la maison et, de l’autre côté du portail, me fait comprendre à grand renfort d’aboiements et en montrant les dents qu’il ne goûte pas ma venue. Désemparé, je stoppe quand même le moteur et sors de l’habitacle. Aussitôt, une bouffée d’air chaud me fait regretter la climatisation.
Il y a un interphone, mais comme je le présumais, deux pressions à quelques secondes d’intervalle demeurent sans succès. Je vais pour tourner les talons quand s’arrête une Dacia Sandero recouverte d’une impressionnante couche de poussière. À l’origine, elle était blanche, ou grise, ou… La vitre se baisse sur le visage sec et bronzé d’un sexagénaire, aux épais et indisciplinés cheveux poivre et sel, à l’inégale barbe de la même couleur, dont les yeux bleus laissent filtrer curiosité et méfiance.
— C’est pour quoi ? s’inquiète-t-il via la vitre en partie baissée de la portière, avec dans la voix une once de brutalité qui me déplaît, même si je ne suis pas persuadé qu’il en ait conscience.
— Bonjour, Monsieur. Je voudrais voir madame Brassens. Vous la connaissez ?
— C’est ma fille.
À ses lèvres qui s’ouvrent et se referment sans proférer le moindre son, je devine qu’il brûle de me questionner, et que seule la bienséance le retient. En d’autres circonstances, mon esprit taquin me pousserait à le chauffer un peu plus, mais il importe de faire baisser la température.
— Je suis de la Police. Pourriez-vous me décrire physiquement Corentin Brassens, votre beau-fils ?
— Le décrire ? J’ai sûrement une ou deux photos dans mon portable. Ça vous intéresse ?
— Oui, s’il vous plaît, je ne voudrais pas me tromper de personne.
Sortant de sa voiture, il attrape un antique modèle dans une poche de son short, et les mains et les doigts tremblants, entreprend d’inspecter la galerie, à la recherche d’un cliché. Après avoir trouvé son bonheur, il me regarde, lève le menton pour un signe convenu dont en réalité je ne saisis pas le sens, et tourne l’appareil vers moi.
— Là, le grand à côté de moi.
S’il subsistait un doute malgré la présence du fourgon à Kériolet et les photos vues sur internet, il disparaît. Il s’agit bien du même individu. Sur l’image, il sourit largement, et a passé un bras amical sur les épaules de son beau-père.
— J’ai une terrible nouvelle à annoncer à votre fille. Savez-vous où elle est ?
— Une mauvaise nouvelle ! C’est quoi comme mauvaise nouvelle ?
— Où est-elle ?
— Elle est partie à la plage, avec les enfants.
— Vous savez comment la joindre ? A-t-elle un téléphone portable ?
— Oui. Attendez, j’ai son numéro.
Après consultation du répertoire, il lance la communication et s’éloigne de quelques pas tandis que je prends dans le coffre de la voiture un ordinateur portable afin de prendre le témoignage de l’homme dont je ne connais encore rien, à commencer par l’identité.
— Allô, Krystell, c’est moi. Il y a un monsieur devant chez toi. Il… il veut te voir pour un truc important.
— …
— Ah ben, je ne sais pas, moi. Tu es où, là ?
— …
— Bon ben, fais vite. Il dit que c’est une mauvaise nouvelle.
Il coupe la communication avant de revenir vers moi.
— Elle est à la plage avec les enfants. Le temps qu’elle revienne de Tahiti, elle sera là dans dix minutes.
En entendant cela, beaucoup sursauteraient et estimeraient que le pauvre homme ne dispose pas de toutes ses facultés. Mais pour bien connaître ce secteur du Finistère sud, je sais que Tahiti est le nom d’une plage sur la commune de Névez, et qu’il n’est pas nécessaire que sa fille et sa progéniture embarquent dans un avion pour rallier la maison depuis la Polynésie française. Le surnom du Tahiti breton vient du fait que cette plage, au sable blanc et à l’eau turquoise, est la plus belle de Névez. Elle offre un panorama exceptionnel sur l’île de Raguénez et l’île Verte, et plus loin à l’horizon, l’archipel des Glénan.
— Vous ne voulez pas me dire ce qui se passe ? tente mon vis-à-vis.
— C’est peut-être préférable. Vous vous appelez ?
— Olivier Pigeon. J’habite un peu plus loin, à Trégunc, dans la ligne.
— La ligne ?
— Oui. Ce n’est pas le vrai nom, mais nous ici c’est comme ça qu’on l’appelle, parce qu’avant c’est par cette ligne droite que passait le train qui allait de Trégunc à Névez.
— Ah, d’accord, je vois. Je n’avais jamais entendu parler de cela.
Ces considérations géographiques et historiques précisées, il faut maintenant s’atteler au plus délicat. C’est d’un ton neutre, en parlant lentement, que je dévoile finalement le but de ma visite.
— Monsieur Pigeon, je suis policier. Il y a une heure, nous avons découvert le corps de votre beau-fils, Corentin Brassens.
— Quoi ! fait-il en portant une main à son menton et en ouvrant la bouche de stupéfaction. Que… que lui est-il arrivé ?
— Il a été fait usage d’une arme à feu. Il ne s’est pas suicidé, on l’a abattu.
Les jambes comme sciées, il s’adosse à sa voiture.
— C’est pas vrai, c’est pas possible… On, c’est vous, la Police ?
— Non, bien sûr que non. Il a été assassiné. Pour l’instant, nous n’avons aucune piste. Savez-vous s’il avait des ennemis ?
Sous le choc, il peine à remettre ses idées en place. À plusieurs reprises, il secoue la tête de droite à gauche puis dans l’autre sens, avant de réfuter :
— Il ne m’a rien dit. Krystell non plus… comment je vais lui apprendre ça ? Et les petits !
Des larmes naissent à ses paupières, qu’il essuie du revers de la main. Plus que l’annonce du décès de son beau-fils, il donne l’impression que c’est la détresse de sa fille et de ses petits-enfants qui l’attriste. Il faudra éclaircir ce point, en nous renseignant sur la qualité de la relation entretenue par les deux hommes, et sur son emploi du temps de la journée.
Par la vitre restée baissée, il laisse tomber son téléphone sur le siège. Se retournant lentement, il pose les mains sur ses hanches et hoche la tête, se demandant par quels mots il va accueillir sa fille, et lui expliquer la terrible réalité.
— Vous préférez que je lui parle ? Je suis un peu habitué à cela, monsieur Pigeon, je peux le faire. Vous vous occuperez des enfants pendant ce temps… Quel âge ont-ils ?
— Jules a quinze ans, Manon treize, et Morgane onze.
Pour les adolescents ou préadolescents, l’épreuve sera difficile. Peut-être faudra-t-il un soutien psychologique, mais de cela ce sera à la famille de décider et de s’en occuper.
— Si vous êtes d’accord, vous les prendrez à part, pendant que je m’isolerai avec votre fille.
Alors qu’il s’était tu et était retourné à l’ombre, le chien s’approche à nouveau et recommence à aboyer.
— Le chien vous connaît ?
— Oui. Je viens souvent chez eux.
— Pouvez-vous l’attacher, s’il vous plaît, ou l’enfermer. Quand votre fille arrivera, nous aurons autre chose à faire que de nous soucier de lui.
Sans répondre, il ouvre étroitement un panneau du portail, et tout en veillant à ce que le molosse ne s’enfuit pas, le referme après son passage.
— Viens ici, Teignou ! Viens !
Après quelques aboiements, l’animal se laisse attraper par le collier, signe qu’il n’est pas la teigne que laisse présager son nom, et de bon gré chemine au côté de l’homme qui le guide vers l’atelier, un local de huit mètres sur dix. Maintenant que tout risque de morsure est écarté, j’ouvre le portail en grand pour faciliter l’entrée de la voiture lorsqu’elle se présentera. La porte de l’atelier close sur le chien qui manifeste son irritation en grattant le battant de ses griffes et en aboyant, Olivier Pigeon revient vers moi, d’une démarche pesante. Lorsqu’il est tout proche, il assure :
— Corentin n’avait pas d’ennemis. Je pense qu’il me l’aurait dit, sinon.
— Je suis disposé à vous croire. Venez, allons à l’ombre, on va choper un coup de bambou si on reste en plein soleil.
Nous marchons côte à côte vers la terrasse, et en respectant la distanciation sociale, nous asseyons sur des chaises qui entourent une table au plateau de verre. Nous restons silencieux, aucun de nous deux n’osant prendre la parole pour ne pas troubler l’autre, et le laisser réfléchir. Tout en tapant sur le clavier l’état civil d’Olivier Pigeon, puis ses réponses à mes questions depuis son arrivée, j’écarte ma chemise pour souffler un peu d’air sur mon torse. Quand après plusieurs minutes de frappe j’ai tout couché sur l’écran, je hasarde un constat :
— Il y a pourtant quelqu’un qui est passé à l’acte. Quand avez-vous vu Corentin pour la dernière fois ?
— Hier soir. J’avais passé une bonne partie de l’après-midi dans mon champ, à bricoler et à ramasser des haricots verts, et des fraises. En rentrant, j’ai vu que la voiture de Krystell était là. Je me suis arrêté pour leur donner une partie de ma récolte, et régaler les petits. Ils venaient de rentrer de la plage. Pendant que les gosses allaient prendre une douche, Krystell et moi on a discuté, puis Corentin est rentré du boulot. On a bu une bière ensemble, et après je suis parti chez moi.
— Comment était-il ? Paraissait-il nerveux, mal dans sa peau, contrarié ?
— Non, il était normal. Jamais je n’aurais pu me douter que… que je le voyais pour la dernière fois.
Il consulte sa montre, soupire, et garde ses yeux embués braqués sur la pelouse jaunie, déjà en manque d’eau.
— Sa boîte marche bien ? Ils n’ont pas de problèmes financiers ?
— Il a du boulot. Il a une bonne réputation, c’est un bosseur.
Sans s’en apercevoir, il parle au présent tant la disparition de son gendre ne s’est pas encore ancrée en lui, jusqu’à ce que la réalité le rattrape.
— C’était un bon gars.
— Entre lui et votre fille, ça se passait bien ?
— Oui. Comme pour tous les couples, il y avait sûrement des mises au point de temps en temps, mais rien de dramatique. Si leur couple avait foiré, ajoute-t-il après un silence, je suis certain que Krystell me l’aurait dit.
— Ont-ils des amis avec qui ils se sont brouillés récemment ?
L’espace de mon interrogation, il a changé de position, posant ses coudes sur la table et ajustant son front sur les paumes de ses mains. Il demeure ainsi, avant d’émettre :
— Pas à ma connaissance, mais ils ne me disent peut-être pas tout.
Conservant les coudes sur le plateau de verre, il redresse le dos, de sorte que ses mains enserrent une partie de son cou.
— Mais qu’est-ce qu’elle fait ? Elle devrait être là, pour maintenant.
Me doutant que ce ne doit pas être aisé de réunir la marmaille qui préférerait rester à la plage avec copines et copains, j’augure qu’il s’écoulera encore une dizaine de minutes avant le retour de la famille, qui ne se sait pas encore endeuillée. Autant profiter de ce répit pour mieux cerner le quotidien des concernés.
— Votre épouse, la maman de Krystell, est à la maison ?
— Non. Enfin, pas dans la mienne, mais peut-être qu’elle est chez elle. Faudrait que je la prévienne.
Se levant et plongeant les mains dans les poches de son short dans une posture empreinte de timidité, il explique :
— On s’est séparés. La cohabitation, pendant le confinement du coronavirus, nous a fait comprendre qu’on n’avait plus rien à se dire. Ensemble nuit et jour pendant de longues semaines, ce n’était plus vivable. Je vais chercher mon téléphone que j’ai laissé dans la voiture.
Je le vois marcher vers la sortie, se pencher et passer un bras par la vitre, puis se rendant compte que le carreau n’est pas assez baissé, ouvrir la portière. Trois ou quatre phrases après avoir lancé l’appel, et il revient vers moi.
— Elle sera là dans dix minutes. Elle habite à Pont-Aven.
Une nouvelle période de mutisme suit, que je brise car je veux en savoir plus sur cette famille, et les différents membres qui la composent.
— Avez-vous d’autres enfants ?
— Oui, deux autres filles, mais Krystell est la seule qui est restée dans la région. Cathy habite à l’est de Paris, et Servane vit à Montpellier. Je les vois moins souvent, évidemment.
— Elles sont par ici, en ce moment ?
— Non. Elles seront en vacances en août.
Deux hypothèses à barrer de la liste.
— Krystell travaille dans quel domaine ?
— Elle est en vacances en ce moment, mais en temps normal elle garde des enfants à son domicile. Elle en garde trois. Plus les siens, elle ne chôme pas pour tenir sa maison.
— Parlez-moi de votre ex-femme, s’il vous plaît.
— Elle est en retraite depuis six mois. Elle vient souvent ici filer un coup de main à Krystell.
— Elle a refait sa vie ?