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Mort suspecte au musée de la Pêche...
Lorsque l’équipe de nettoyage du musée de la Pêche de Concarneau découvre le cadavre du directeur, tout donne à penser qu’il s’agit d’un décès d’origine naturelle. Pénélope, la fille de la victime, quitte au plus vite Paris pour rallier la pointe de la Bretagne. Elle intervient auprès du procureur, un ami de son père, et obtient qu’on procède à une autopsie plutôt qu’à un simple examen du corps. Les résultats démontreront que son entêtement était fondé.
Une nouvelle enquête du capitaine Maxime Moreau débute alors. Au gré de ses investigations, il sera amené à croiser régulièrement la route de Pénélope dont l’obstination fera parfois son admiration, parfois son désarroi...
Plongez au cœur des légendes bretonnes avec le 12e tome des enquêtes captivantes de Maxime Moreau !
EXTRAIT
Le mois de mars s’étire paresseusement, sans que deux ou trois belles journées d’affilée ne laissent augurer d’un printemps revigorant. Sur le Finistère, comme sur la majeure partie de la Bretagne, de lourds nuages gris n’en finissent pas de déverser de copieuses averses. Une fois de plus, Météo-France s’est royalement plantée, elle qui, depuis deux jours, promet des passages ensoleillés. Cela s’est peut-être avéré dans certains endroits, en particulier sur le littoral, mais à Quimper, le couvercle couleur aluminium ne s’est pas levé. Néanmoins, parce qu’il faut bien positiver, la pluie a pour effet d’adoucir la température ; le thermomètre qui stagne en journée de zéro à quatre degrés sur le reste de la France, frôle ici allégrement les neuf ou dix degrés.
Il est près de dix-huit heures. Dehors, la nuit commence à tomber. Sous l’éclairage de deux néons, en compagnie de mes collègues, Suzy Villard, Simon Jaouen et Justin Débolo, nous sommes dans mon bureau, en train de régler les ultimes détails de l’opération que nous allons mener le lendemain matin, à l’heure du laitier.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Éditions Bargain, le succès du polar breton. -
Ouest France
À PROPOS DE L'AUTEUR
Stéphane Jaffrézic est né en 1964 à Concarneau. Il habite et travaille à Quimper. Dans son cinquième roman de la collection Enquêtes et Suspense, nous retrouvons son personnage récurrent, le capitaine Maxime Moreau.
Il est également auteur de deux romans dans la collection Pol'Art.
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." -
Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À Chloé, ma fille, que tout au long de l’écriture de ce roman j’ai identifiée à Pénélope. Elle ne lui ressemble pas trait pour trait, mais il y a des points communs.
Je tiens à remercier ici toutes les personnes qui, pour les besoins de l’intrigue, ont su m’apporter de précieux renseignements, ou ont effectué un très sérieux travail de relecture. Un énorme merci…
- Au docteur Claire Saccardy,
- Au docteur Yves Le Rest,
- À Dominique Quéroué et Pascal Tanguy,
- À l’équipe de l’Identité Judiciaire de Quimper,
- À toute l’équipe du Musée de la Pêche de Concarneau,
- À mes sœurs, Monique et Corinne Jaffrézic, et à Delphine Kergourlay,
- À Anh Gloux,
- À Marine Delpy,
- À toute l’équipe des Éditions Alain Bargain.
Le mois de mars s’étire paresseusement, sans que deux ou trois belles journées d’affilée ne laissent augurer d’un printemps revigorant. Sur le Finistère, comme sur la majeure partie de la Bretagne, de lourds nuages gris n’en finissent pas de déverser de copieuses averses. Une fois de plus, Météo-France s’est royalement plantée, elle qui, depuis deux jours, promet des passages ensoleillés. Cela s’est peut-être avéré dans certains endroits, en particulier sur le littoral, mais à Quimper, le couvercle couleur aluminium ne s’est pas levé. Néanmoins, parce qu’il faut bien positiver, la pluie a pour effet d’adoucir la température ; le thermomètre qui stagne en journée de zéro à quatre degrés sur le reste de la France, frôle ici allégrement les neuf ou dix degrés.
Il est près de dix-huit heures. Dehors, la nuit commence à tomber. Sous l’éclairage de deux néons, en compagnie de mes collègues, Suzy Villard, Simon Jaouen et Justin Débolo, nous sommes dans mon bureau, en train de régler les ultimes détails de l’opération que nous allons mener le lendemain matin, à l’heure du laitier.
Après des semaines et des semaines d’écoute, de transcription d’appels téléphoniques et de SMS, de filatures, puis de planques, nous sommes parvenus à identifier et à loger les principaux membres d’un important trafic de drogues de toutes sortes, principalement du cannabis et de la cocaïne. Ils arrosent le sud du département, en lien avec une autre bande qui se réserve le nord. Pour leur malheur, il y a une antenne du Service Régional de Police Judiciaire à Brest, et une autre à Quimper. Une action conjointe est prévue pour couper définitivement les tentacules de cette terrifiante pieuvre. Comme s’ils avaient prévu de nous simplifier la tâche, les deux gros bonnets quimpérois demeurent ensemble, dans une maison sans signe ostentatoire de leur réussite financière, quartier du Braden.
— On se retrouve à quelle heure ? demande Simon.
— On tape à six heures. Donc, on se retrouve ici à cinq heures un quart, on s’équipe et on y va. Il faut qu’on soit pile-poil à l’heure, pour bénéficier de l’effet de surprise. En plus, on se doit d’être ponctuels, l’horaire est calé avec nos homologues brestois pour qu’ils tapent à la même heure.
Je vais pour leur conseiller de se coucher de bonne heure, quand sonne le téléphone posé sur le bureau. Avisant le numéro de l’appelant qui est au courant de l’opération que nous préparons, je me dis qu’il y a peut-être contre-ordre…
— Allô !
— Bonjour capitaine Moreau. J’espère que je ne vous dérange pas ?
— Bien sûr que non, Monsieur le procureur. Qu’y a-t-il pour votre service ?
Maintenant qu’ils connaissent l’identité de mon interlocuteur, Suzy, Simon et Justin, ont relevé la tête, attendant la suite de l’échange pour savoir si le planning du lendemain va s’en trouver modifié. Il y a peut-être deux heures de sommeil à gratter…
— La fille de Victor Mancheron, le directeur du Musée de la Pêche de Concarneau dont on a retrouvé le corps ce matin, sort à l’instant de mon bureau. Vous êtes au courant de cette histoire ?
Comme à l’accoutumée, il y va sur la pointe des pieds. Pressentant qu’il va nous échoir une nouvelle affaire, je lui cède le soin de pratiquer à sa manière, en demeurant évasif.
— Non, j’ignorais son décès. Remarquez, je n’avais aucun lien avec ce monsieur, et aucun membre de mon équipe n’était concerné. Il n’y avait donc pas nécessité de m’avertir.
— Ce n’est pas faux, d’autant que la cause du décès semble naturelle.
— Le mot « semble » insinuant le doute, vous pensez qu’elle ne le serait peut-être pas, finalement ?
— Eh bien… nous l’ignorons, pour l’instant. Mais autant, ce matin, j’ai estimé devant le lieutenant Fournot, du commissariat de Concarneau, qu’un simple examen du corps serait suffisant, autant, maintenant, sa fille attire mon attention sur divers points qui font qu’il y a quelques précautions à prendre.
Je ne vois pas où il veut en venir. Si David Fournot et le commissariat de Concarneau sont sur le coup depuis ce matin, il convient de les laisser investiguer, dans la mesure où rien ne définit qu’il y a eu meurtre ou assassinat. J’ai l’impression que ce coup de téléphone va me mettre dans une fâcheuse situation vis-à-vis de mes anciens équipiers de la Ville Bleue.
— Madame Mancheron, la fille de la victime, est venue me rencontrer, ceci en raison de liens amicaux qui m’unissaient à son père. Elle m’a rapporté des arguments qui me laissent circonspect. Il serait donc souhaitable que vous vous y atteliez. Si je fais appel à vous, c’est parce que l’entretien entre madame Mancheron et Fournot n’a pas été concluant. Selon elle, il n’a pas accordé beaucoup d’intérêt à ses affirmations. Aussi, je vous saisis de cette affaire qui n’en sera peut-être pas une. Voyez avec la légiste de la Cavale Blanche à ce que l’autopsie soit plus poussée que le simple examen du corps réclamé initialement. Avertissez-moi de vos avancées, et en fonction des résultats, je verrai s’il y a lieu de nommer un juge d’instruction. Avez-vous des questions ?
J’en ai une longue liste, mais je sais qu’il ne m’accordera pas le temps de toutes les poser. Il y en a cependant une qui, dans l’immédiat, me turlupine plus que les autres :
— Le lieutenant Fournot est-il avisé de son dessaisissement ?
— Oui, je viens de le lui signifier par téléphone. Il tient à votre disposition les procès-verbaux de ses premières auditions. Quant à Pénélope Mancheron, elle vous contactera dans quelques minutes.
Il marque un temps, avant de poursuivre en sautant non pas du coq à l’âne mais d’une affaire à une autre :
— Au fait, pour demain matin, l’opération est toujours d’actualité. J’ai vu avec la PJ de Brest pour que deux de leurs éléments viennent épauler et encadrer votre groupe. Ainsi, vous serez disponible pour aller à Brest suivre l’autopsie qui aura lieu à sept heures trente.
Je découvre ainsi que mon petit-déjeuner du lendemain me restera sur l’estomac. Ou peut-être pas, tant les odeurs de l’institut médico-légal me sont insupportables… Il n’y a pas grand-chose à ajouter, aussi, après les fins de conversation d’usage, la communication ne se prolonge-t-elle pas.
En quelques mots, je mets mes équipiers au courant. J’appelle ensuite le responsable de l’antenne brestoise de la police judiciaire, pour m’assurer qu’il diligente bien deux membres de son équipe. Confirmant que les agents en question seront dans nos locaux entre cinq heures et cinq heures trente, il me donne l’identité des deux lieutenants, un homme et une femme, qui chapeauteront l’intervention et avec qui nous avons déjà eu l’occasion de travailler.
Ceci étant établi, lorsque je raccroche, je subis les railleries de mes collègues qui s’amusent qu’il faille deux lieutenants pour me remplacer. Parce que je ne suis pas le dernier des “chambreurs”, j’objecte que les deux officiers ne seront pas là pour me remplacer, mais pour les surveiller. Deux ou trois vannes encore, et nous allons pour, tous ensemble, quitter la pièce quand mon téléphone rejoue sa petite musique. Après un « Salut, bonne soirée ! » aux trois brigadiers-chefs qui franchissent le seuil pour regagner leurs pénates, je décroche. Je me doute qu’il s’agit de la fille de Victor Mancheron. Gagné ! Notre échange commence par les civilités de rigueur, saupoudrées de sincères condoléances et de gêne, comme s’en distribuent deux individus qui ne se connaissent pas et qui auraient très bien pu ne jamais se croiser de leur vie. Dans le même temps, je note, à toutes fins utiles, le numéro du portable qui s’est affiché. D’une voix dans laquelle pointe sa tristesse, elle parle de sa rencontre avec le procureur Colinet, ce dont je suis au courant. Elle souhaite que nous nous voyions au plus vite, pour qu’elle me narre les faits qui l’incitent à penser que son père n’est pas décédé de sa bonne mort mais qu’il a été assassiné. J’ignore sur quoi repose sa certitude, mais c’est aller un peu trop vite en besogne que de lancer une telle information. Sous le coup de l’émotion, les familles ne réagissent pas toutes de la même façon, certaines criant au meurtre en exigeant une enquête aussi rapide qu’efficace, d’autres rejetant l’autopsie qu’elles assimilent à une atteinte taboue au corps de l’être cher. Il convient de tempérer son ardeur…
— Écoutez, Madame, en l’état actuel, rien ne rend ce décès suspect. Je vous propose d’attendre les résultats de l’autopsie pour que nous envisagions la marche à suivre. Il sera alors temps de nous rencontrer. Nous pouvons fixer un rendez-vous pour demain, disons en début d’après-midi…
— Pas avant ?
— Non. Je ne serai pas là, puisque je serai sur Brest demain matin, pour l’autopsie. Je serai de retour à Quimper vers onze heures, ou midi, ou treize heures… difficile d’être ferme sur l’horaire, mais je vous suggère un rendez-vous à quatorze heures. Cela vous convient-il ?
— Tout à fait. Votre bureau est au commissariat de Quimper ?
— Oui. Vous me demanderez à l’accueil, on vous dirigera. À demain, Madame.
*
Une demi-heure plus tard, j’entre au commissariat de police de Concarneau, situé dans le bas de l’avenue de la Gare, l’une des principales artères de la ville. Je connais bien les lieux pour y avoir travaillé avant ma mutation à l’antenne quimpéroise de la police judiciaire, il y a de cela un peu plus de deux ans. Parce que je m’y sens bien, j’habite toujours cette ville, et ce n’est donc pour moi qu’un détour, avant de retrouver Murielle dans sa maison de la rue Nicolas Appert.
Dans son bureau, au premier étage, le lieutenant David Fournot m’attend. Officier bien noté par ses supérieurs, depuis plusieurs années déjà, le jeune bourguignon a choisi la Bretagne comme affectation et, à aucun moment, il n’a regretté son choix tant il apprécie les avantages de notre péninsule bercée par l’Atlantique.
— Salut David ! Comment ça va ?
— Salut Max, fait-il en se levant pour m’accueillir. Je vais bien.
— Eh bien, tant mieux ! Et le boulot ? L’ambiance est bonne ?
— C’est plus cool maintenant. Depuis que Luc Pallas est parti, on a retrouvé une atmosphère plus amicale, plus détendue. Ça se ressent au niveau de l’ambiance. Il n’y a pas photo entre l’avant et l’après Pallas.
À la suite d’une boulette, le lieutenant marseillais Luc Pallas avait été sanctionné et affecté en Bretagne*, loin de son Sud dont il nous vantait les mérites à longueur de journée. Je me souviens que le méridional n’avait pas son pareil pour pourrir nos journées de ses phrases acerbes. Lors de mémorables joutes verbales qui nous avaient opposés, ce qui était fréquent, il m’avait fallu prendre sur moi pour ne pas lui défoncer le portrait ou, de manière plus raisonnée, transmettre un rapport au commandant Daniel Bernier qui, à l’époque, dirigeait le commissariat.
— Quel boulet, celui-là ! Personne ne doit le regretter, si ?
— Oh que non ! Bon, Max, on se met au boulot ? J’ai rendez-vous ce soir avec une jeune fille bien sous tous rapports et à la plastique irréprochable, ce qui ne gâche rien, alors ça me dérangerait d’arriver en retard dès le premier soir.
— Allons-y, dragueur impénitent ! Alors, que peux-tu me dire sur ce dossier ?
— Un minimum, tu vois ! C’est d’ailleurs ce qui suscite mon étonnement en apprenant que la PJ en soit saisie, car il n’y a rien de notable.
Il attrape un dossier posé sur son bureau, me le tend tout en poursuivant :
— Tiens ! Tu as là-dedans les procès-verbaux d’audition de la femme et de l’homme de ménage qui ont découvert le corps. C’est moi qui les ai interrogés. Je n’ai rien relevé de particulier. Idem pour les personnes qui bossaient avec la victime.
— La victime, justement, tu peux développer ?
— Victor Mancheron était le directeur du Musée de la Pêche. Il travaillait sous les ordres de la conservatrice en chef du musée de Pont-Aven.
— On baigne dans la Culture avec un grand C ! Et l’origine du décès ?
— Il n’y en a pas de véritablement établie. Tout donne à penser à une mort naturelle, genre infarctus, ce qui explique ma surprise en te voyant débarquer. Je ne sais pas sur quelle base le procureur a fondé sa décision de creuser plus profondément, car les premières constatations sont on ne peut plus limpides.
— À ce qu’il m’a dit, la fille de Mancheron a attiré son attention sur différents points qui pourraient démontrer que son père aurait été assassiné. Je ne l’ai pas encore croisée, cette fille, mais il me brûle d’en savoir plus.
— C’est moi qui lui ai téléphoné, ce matin, vers huit heures, pour l’avertir de la mort de son père. Elle habite Paris. Elle a sauté dans un avion ou un train, et elle était là dès le début de l’après-midi. Je l’ai reçue pour lui dire, comme je viens de te l’expliquer, qu’il s’agit d’une mort naturelle. Elle a rejeté cette hypothèse et a quitté mon bureau sans s’appesantir. Hormis en la menottant à sa chaise, je n’aurais rien pu faire pour convaincre cette vraie tête de mule de revenir sur sa décision. Je pense que c’est ensuite qu’elle s’est mise en relation avec le proc’.
— Impétueuse et décidée, cette jeune femme ! Où a-t-on trouvé le corps de son père ?
— Au Musée de la Pêche. Il semblerait que Victor Mancheron ait été le dernier à quitter le musée, hier soir. Il a dû faire un AVC, un infarctus, une rupture d’anévrisme ou un truc de ce tonneau, à ce moment-là. On peut raisonnablement supposer que s’il n’avait pas été seul, il aurait peut-être pu être sauvé…
— Le proc’ Colinet m’a annoncé que le simple examen du corps se transforme en autopsie. Ça aura au moins pour avantage de définir clairement la cause de cette mort. Lorsque nous aurons ce renseignement, nous verrons s’il convient de pousser nos investigations ou pas…
Nous discutons pendant encore une dizaine de minutes. Le dossier à sangle qui détient les procès-verbaux change définitivement de main. Je propose à David de venir jusqu’à la maison boire un verre, mais l’heure de son rancart approchant, nous décidons que ce sera pour une autre fois. Tant pis, je trinquerai avec Murielle, ma chère et tendre…
*Voir Chili Concarneau, même auteur, même collection.
La soirée a passé à toute vitesse. Infirmière au service de cardiologie, à l’hôpital Laënnec de Quimper, Murielle avait travaillé hier avec l’équipe du matin. Elle avait donc eu tout loisir pour préparer le repas du soir. Avant de mettre les pieds sous la table, nous avons pris le temps d’un apéritif, un kir cassis pour elle, une anisette pour moi. Sans boire tous les jours, ce débriefing est parfois l’occasion de nous retrouver pour évoquer nos journées respectives, nos rencontres ou conversations, et les aléas de la vie, en l’occurrence la facture d’électricité plutôt salée, trouvée dans la boîte aux lettres. Plus tard, j’ai fait la vaisselle pendant qu’elle s’affairait autour du linge. Après un zapping des chaînes de la télé, constatant qu’aucun programme ne méritait que nous nous vautrions dans le canapé, nous nous sommes mis d’accord pour une soirée lecture, au lit. Avant de sombrer dans les bras de Morphée, elle a lu deux chapitres d’un roman policier, moi une très belle nouvelle de l’excellent Patrick Barbier.
Toujours dans l’équipe du matin, Murielle commence à six heures, ce jeudi. Elle se lève donc bien avant cinq heures. Je pourrais traîner un peu, mais l’odeur du café frais me fait sortir du lit quelques minutes après elle. Sur le coup, quand elle part pour Quimper, je suis quasiment prêt, moi aussi. L’envie de rejoindre mes collègues pour aller taper les dealers me fait bouillir intérieurement. Je sais qu’à ce moment précis, ils se préparent à quitter le commissariat, prêts pour une de ces montées d’adrénaline qui font que nous adorons notre job. Frustré de ne pas diriger l’intervention matinale, il faut que je m’occupe l’esprit. Parce que rien ne me retient à la maison, je décide de prendre à mon tour la route de la capitale de la Cornouaille. Rue Nicolas Appert où se trouve la maison de Murielle, tout est calme, à l’exception d’un goéland qui, planant à quelques dizaines de mètres de l’asphalte, lance son cri rauque à intervalles réguliers. En voiture, je fais un crochet par la rue Jules Simon, distante de quelques centaines de mètres seulement, pour aller vérifier la boîte aux lettres de mon appartement, dans lequel je me rends rarement depuis que nous vivons, Murielle et moi, sous le même toit. Là aussi, la facture d’électricité est arrivée. Son montant n’est pas très élevé. Il se résume à l’abonnement, puisque je n’y vais qu’une fois par semaine pour aérer et vider la boîte aux lettres de ses pubs.
Vingt minutes plus tard, au commissariat de Quimper, j’apprends par les gars de la Bac (Brigade Anti-Criminalité) que mes trois collègues et les deux agents supplémentaires venus de Brest sont partis depuis moins de cinq minutes. L’âme en peine, je grimpe lentement l’escalier. Dans mon bureau, j’ouvre le dossier de l’affaire Mancheron et me penche sur les photos prises in situ, découvrant le corps d’un homme de corpulence normale, portant barbe et paire de moustaches qui tiraient plus sur le blanc que le brun. Il y a aussi les procès-verbaux d’audition. Les PV de l’homme et de la femme de ménage qui ont découvert le cadavre se ressemblent. Celui de Michèle Bayarro, l’une des employés du musée, est totalement différent, ce qui est logique puisque les deux premiers et la troisième n’avaient pas la même relation avec Victor Mancheron, à supposer que les deux premiers l’aient même un jour rencontré. Dans son rapport, David Fournot évoque une possible jalousie de celle-ci, pour une question de promotion. Excepté cela, il n’y a rien de rien. Il n’y a pas loin avant de conclure que le pauvre homme, qui était le dernier à quitter le Musée de la Pêche, ait succombé à un accident cardio-vasculaire ou à une complication de ce genre. Dans le doute, le médecin qui est intervenu n’a pas signé le permis d’inhumer, ce qui et courant.
Sur une feuille volante, David Fournot s’est fendu d’un commentaire : « La fille Mancheron a du caractère ! » C’était effectivement ce que j’ai perçu, hier au téléphone, quand elle a lourdement insisté pour que nous nous rencontrions dans les plus brefs délais. Selon les résultats de l’autopsie, cette rencontre n’aura jamais lieu, et je ne m’en porterai pas plus mal…
Le dossier sous le bras, je saute dans ma voiture et prends la direction de Brest. Ayant exigé de mes collègues qu’ils me tiennent au courant de leur intervention, je sais avant de parvenir à destination que l’opération est couronnée de succès. Les deux individus étaient couchés lorsque les forces de police ont donné l’assaut. Ils n’ont eu ni le temps de s’enfuir ni de se saisir d’une arme pour vendre chèrement leur peau. La perquisition qui a suivi a d’ores et déjà permis de mettre la main sur sept kilos de cannabis et plus de cinq cents grammes de cocaïne. Ceci sans compter de l’ecstasy. Cerise sur le gâteau, ils ont aussi trouvé un cahier sur lequel figurent les coordonnées des acheteurs, les quantités vendues et les prix pratiqués. Mensuellement, il y en a pour un paquet d’argent, net d’impôt ! Il reste maintenant à procéder aux interrogatoires pour obtenir les aveux, ce qui ne devrait pas être compliqué, tant les preuves matérielles sont légion.
Le commandant de l’antenne brestoise de la PJ s’est lui aussi tenu informé de nos résultats, alors qu’avec son équipe, ils tapaient d’autres trafiquants en cheville avec nos deux grossistes. À Brest, Guilers et Plouzané, les trois opérations sont également de belles réussites. Les antennes de police judiciaire de Brest et Quimper peuvent s’enorgueillir de l’heureuse conclusion de cette affaire sur laquelle on travaillait depuis plusieurs mois.
À la Cavale Blanche, à l’IML (Institut Médico-Légal) où œuvre le médecin légiste, il exhale une détestable odeur, mélange de formol et autres produits de la même famille. Je ne m’y habituerai jamais. Margot Besson a suivi un régime et perdu plusieurs kilos. Agréable et souriante, comme à l’accoutumée, la trentenaire n’en est que plus ravissante et doit faire chavirer les cœurs. À l’instar de notre première rencontre*, elle me tutoie, ce qui n’est pas pour me déranger. Par mail, elle a reçu une note du procureur, l’enjoignant de compléter son étude de ce qu’elle estimerait nécessaire. L’examen risque de durer un bon moment, ce qui n’entame pas ma joie puisque celle-ci a disparu sitôt que je suis sorti de ma voiture en songeant au funèbre spectacle qui m’attendait. Tout en discutant de choses et d’autres, elle enfile sa tenue de travail : blouse, charlotte, masque, gants. Quand elle est fin prête, elle le dit à l’agent d’amphithéâtre qui a préparé le corps en le déshabillant, puis s’en approche…
*
Sur la RN 165 qui me ramène de Brest à Quimper, je lâche les chevaux. J’ai hâte de rallier le commissariat pour connaître l’épilogue des interrogatoires et féliciter mon équipe. Il va de soi que je les ai appelés, aussitôt sorti de la salle d’autopsie, pour m’inquiéter des suites de l’arrestation des deux grossistes en produits illicites. En garde à vue, les prévenus n’ont eu d’autre possibilité que de balancer les noms de leurs comparses, que nous connaissions déjà, en regard des écoutes téléphoniques qui ont monopolisé notre attention depuis des mois, et dont les noms figurent sur le cahier. Poussés dans leurs retranchements, ils ne pouvaient qu’avouer les faits. C’est là une affaire rondement menée, qui vient récompenser un travail de fourmi et une préparation sans faille.
Leur boulot terminé, les deux lieutenants brestois n’ont pas attendu mon retour pour retourner dans la ville du Ponant.
Pour le débriefing, c’est donc à quatre que l’on se serre dans mon bureau. On pourrait faire sauter un bouchon de champagne, mais c’est autour d’un café serré que nous célébrons notre victoire qui est, en fait, leur victoire puisque je n’étais pas présent pour le bouquet final. Ensemble, ou à tour de rôle, ce qui a le mérite d’être plus audible et plus clair, Suzy, Simon et Justin entrent alors dans le détail des opérations. Tout m’est minutieusement narré. J’apprends ensuite que les droits afférents à un gardé à vue ont été respectés ; Ils ont refusé la visite d’un médecin, et si l’un s’est vu imposer la présence d’un avocat nommé d’office, le second a voulu qu’un avocat qui l’avait défendu dans une autre affaire le représente. Contacté, le magistrat a refusé, arguant que ce client ne lui avait jamais réglé la somme qu’il lui devait. Autant son refus était catégorique, autant il avait lui-même proposé que l’avocat qui serait commis d’office lui cède le dossier, ce qui serait pour lui la certitude de se faire payer par les deniers de l’État. L’intention pourrait être louable, mais tous les quatre avons raillé cette attitude, sachant que près de trois cent cinquante euros pour une consultation d’une à deux minutes au commissariat était une somme faramineuse pour laquelle nous aussi nous ferions un effort. Un deuxième avocat avait donc été commis d’office.
Interrogeant les suspects isolément, s’appuyant sur le cahier et les quantités de drogues saisis, mes collègues ont recueilli des aveux qui ne se sont pas fait attendre. Les procès-verbaux ont été rédigés dans les règles, et dûment signés de la main des trafiquants. Avant de tourner la page et de se pencher sur les affaires en suspens, il reste maintenant à conduire les deux durs à cuire devant le procureur qui décidera sûrement de leur placement en détention.
— Et toi ? m’interroge Simon Jaouen. Comment s’est passée ta matinée ?
— Margot Besson n’a rien décelé qui puisse laisser supposer un décès suspect. C’est bien une mort naturelle, comme on le pensait dès le départ. J’ai appelé le procureur depuis l’institut médico-légal : l’affaire Mancheron est close avant d’avoir vraiment été ouverte.
— Tant mieux, ponctue Suzy Villard, ça va nous dégager du temps !
J’occupe la fin de matinée à régler quelques petits problèmes d’intendance pendant que mes trois équipiers se chargent de la levée d’écrou des trafiquants, puis de leur défèrement devant le parquet, avant de les convoyer en maison d’arrêt, l’un à l’Hermitage à Brest, l’autre à celle de Plœmeur, dans le département voisin du Morbihan.
Après un rapide déjeuner au restaurant administratif, je suis fin prêt pour recevoir la fille de Victor Mancheron. Elle se présente, une poignée de minutes avant quatorze heures. J’ai en face de moi une très jolie jeune femme d’un mètre soixante environ, aux cheveux châtain foncé, presque noirs, qu’elle a ramenés sur le sommet de sa tête. En dépit de ses paupières gonflées par les larmes, ses yeux marron ont un je-ne-sais-quoi d’indéfinissable, mais on y lit une vraie intelligence et une farouche détermination. Les présentations faites, je la prie de s’asseoir de l’autre côté du bureau. Je glisse ensuite quelques mots de circonstance pour l’assurer de mon soutien en cette cruelle période. Cette inévitable convention achevée, il me faut faire attention à la formulation de mes phrases pour ne pas évoquer crûment l’autopsie, ce qui n’est pas un exercice aisé.
— Ce matin, un médecin légiste a effectué un examen du corps de votre père. Il ne comporte aucune trace de coup ou de blessure, de sorte que rien ne permet de penser qu’il ait subi une agression entraînant son décès.
— Peut-être que rien ne l’interdit non plus !
Sa réplique a fusé dans la seconde, assortie, dans la voix, d’une pointe de défi, sans que son visage ne reflète une quelconque effronterie ou la moindre provocation. Je comprends sa tristesse, aussi je me retiens d’y aller franco. Je ne vais tout de même pas évoquer les crevées, ces incisions des avantbras et des bras, qui permettent, lorsqu’il y en a, de mettre en évidence des traces sous-cutanées de coups reçus. C’est là la première intervention d’un légiste lorsqu’il y a un doute sur le décès d’un homme ou d’une femme, même si, pour celle-ci en particulier, on procède d’abord à un curetage des ongles, car il est bien connu qu’un homme et une femme ont une manière différente de se défendre, l’homme cherchant à parer les coups en opposant ses membres supérieurs, alors qu’une femme sort ses griffes.
— On le saura bientôt de façon définitive, puisque des analyses sont tout de même en cours.
— Dans combien de temps ?
Elle aborde un sujet sensible, auquel les policiers ou les gendarmes sont confrontés lorsqu’ils en discutent avec les familles. Dans les séries télé, en particulier anglo-saxonnes, les “experts” obtiennent les résultats d’une autopsie en un temps record. Il ne faut surtout pas en conclure que les légistes et les enquêteurs français ne sont pas compétitifs. Loin s’en faut. En fait, la réalité est totalement différente de ce que montrent les œuvres cinématographiques ou télévisuelles. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le nœud du problème repose sur une question d’argent. Dans une administration au budget de plus en plus étriqué, la notion d’économies nécessite de faire des choix. L’incertitude d’une mort naturelle ou accidentelle justifie qu’on ait recours à une autopsie pour procéder à des recherches tous azimuts ou ciblées. Cela coûte cher, et encore plus cher pour obtenir des résultats rapides. Dans le cas qui nous intéresse, je sais pertinemment qu’il faudra environ une ou deux semaines avant que le laboratoire de l’hôpital ne nous les adresse. Une ou deux semaines, voire trois parfois… Bon Dieu ! Impossible de l’avouer à Pénélope Mancheron qui me regarderait comme si j’étais un fonctionnaire qui se contrefiche de son cas et de la notion de service public, me contentant tout bonnement d’attendre la fin de la journée, les yeux rivés sur l’horloge, ou, pire encore, comme si j’y mettais une flagrante mauvaise volonté. Les familles sont à mille lieues d’imaginer cette consternante vérité. Et nous, flics ou gendarmes, on n’ose pas le leur dire, de même qu’on ne peut leur conseiller une inhumation plutôt que la crémation. En effet, si, après ces longues semaines d’attente, les résultats du laboratoire mettent finalement en lumière que la mort n’était pas naturelle, après une crémation il n’y a plus rien à chercher. Alors que si le corps a été inhumé, il est encore possible de l’exhumer pour procéder à de nouveaux examens sur les cheveux, les os…
Négligeant sa question et cherchant sans en avoir l’air à l’éluder, car je n’ai pas de réponse concrète à lui apporter, je tape en touche, changeant de sujet :
— Je voulais profiter de ce rendez-vous pour vous rassurer sur ce point, car il ne fait quasiment pas de doute que son décès ait une origine on ne peut plus naturelle. Ce qui est réconfortant, je crois… Dans cette douloureuse épreuve, savoir qu’il est parti de sa bonne mort, et sans souffrir, est quelque part un soulagement…
Un lourd silence s’ensuit, que je m’efforce de briser en posant la première question qui me vient :
— Avez-vous commencé les démarches inhérentes aux obsèques ?
— Non. Je ne sais pas par où débuter. Il va falloir que je m’y colle, ainsi qu’à la vente de la maison. Pour sa voiture, je pense la garder. Enfin, peut-être…
Des larmes ourlent ses paupières. Déjà submergée par l’émotion du décès, elle semble découvrir que l’épreuve est loin d’être terminée. Alors qu’elle déplie un mouchoir en papier, je juge utile de la guider.
— Contactez son notaire, s’il en avait un. Il pourra gérer certaines tracasseries pour la succession, comme celles avec la banque par exemple. C’est son métier, il saura vous conseiller…
Il n’y a plus rien à dire, ou si peu. La conversation roule quelques minutes mais ne s’éternise pas. Un peu plus tard, seul dans mon bureau, je range le dossier, sachant que je n’aurai pas l’occasion de l’ouvrir avant quelques semaines, pour y glisser les résultats d’analyses toxicologiques, avant de le ranger ad vitam… aeternam.
*Voir Escale forcée à Brest, même auteur, même collection.
Mars a laissé la place à avril depuis quelques jours. Mes équipiers et moi avons chacun un portefeuille de dossiers en cours, de sorte que le travail ne manque pas. Nous en avons par-dessus la tête, à tel point que les facétieux Justin et Simon ne se sont même pas fendus d’un quelconque délire le premier jour du mois. La politique du résultat a eu raison de l’inoffensif et récréatif Poisson d’avril. À défaut d’affaire exceptionnelle à élucider, genre un homicide ou un mirifique braquage, seules comptent les saisies de produits illicites. Alors, casque sur les oreilles, chacun est isolé dans son bureau pour retranscrire des appels téléphoniques ou des SMS de gaillards placés sous écoute. Et comme ceux-ci ne sont pas des lapins de trois semaines, ils se gardent bien de ne pas balancer de paroles pouvant étayer nos soupçons ou orienter nos recherches.