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Lanildut, un petit coin tranquille au bord de la mer d’Iroise pour des vacances imposées à Léa Mattei. Tranquille ? Pas tant que ça, vu la disparition inexpliquée d’Arthur, un enfant du bourg, trois ans plus tôt. Comment rester insensible devant le drame de la famille chez qui elle loge ? Léa rencontre Cindy, la sympathique propriétaire du café tout proche qu’elle fait revivre, notamment grâce à un club des Aiguilles.
Tout se complique avec la disparition d’Émilie, l’une des tricoteuses du club. Un personnage plus sulfureux qu’il n’y paraît… Léa oublie ses vacances en enquêtant sur les deux fronts avec Dan, son nouveau stagiaire. Que s’est-il passé ce lundi noir où Arthur a disparu ? Pourquoi Émilie s’est-elle évaporée à son tour ? Deux couples au bord de la crise de nerfs, un goémonier silencieux et une masure en ruine vont s’entrecroiser au milieu d’un mortel engrenage !
À PROPOS DE L'AUTEURE
Née à Cherbourg,
Martine Le Pensec vit et travaille à Toulon. D’origines bretonne et normande, elle puise son inspiration dans l’Ouest et le domaine médical, dans lequel elle a travaillé plusieurs années. Elle signe, avec
L’ombre de Lanildut, son vingt-et-unième roman policier.
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« Et quand on est pris dans cet engrenage de ne pas vouloir décevoir, le premier mensonge en appelle un autre, et c’est toute une vie… »
L’Adversaire – Emmanuel Carrère
À Jean-Marc, pour ces trente-cinq années ensemble…
À mes six petits-enfants : les grands, Maëlle et Robinson, les filles, Clémentine et Eleanor, et les deux p’tits loups, Meryl et Luc ! Je vous embrasse.
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
L’enfant sortit parmi les derniers de l’école publique de Lanildut, reconnaissable à son pot de crayons géants et colorés posé sur le trottoir. Il échangea encore quelques mots avec les derniers camarades de classe qui achevaient de sortir, dans le joyeux brouhaha de la fin de journée. Des blagues d’enfants, des promesses de se revoir le lendemain…
Corentin, son meilleur copain, lui lança un sonore « à demain ! » avant de prendre la direction de l’église Saint-Ildut, toute proche. L’édifice était adossé à son cimetière au bord de l’aber du même nom. Lui se dirigea à l’opposé, sur la route de l’aber Ildut. Il traînait un peu des pieds, fatigué par sa journée et peu pressé de s’enfermer à la maison. Au passage, il jetait un coup d’œil aux voitures garées, au cas où un de ses parents aurait eu l’idée géniale de venir le chercher. Mais on ne lui avait rien dit de tel ce matin et il lui arrivait de parcourir le kilomètre et demi qui le séparait de la rue Stréat Prat Meur. Cela faisait deux ans que ses parents avaient acquis une maison dans ce lotissement tout neuf d’une dizaine de constructions. Les Ajoncs.
Cela le changeait de l’immeuble de Brest où ils habitaient avant. Ici, il avait de l’espace et il adorait regarder le ballet des goémoniers dans le port tout proche.
En ce lundi 12 novembre, le temps était légèrement couvert et la luminosité baissait à une heure du coucher du soleil.
Il frissonna un peu, donna un coup de pied dans un caillou et se décida à rentrer. Il songea à la poésie qu’il devait apprendre pour le lendemain et fronça le nez. À sept ans, l’enfant du CE1 préférait batifoler en bord de mer ou jouer au ballon plutôt que de faire ses devoirs. Son attention fut un instant distraite par un chat qu’il avait l’habitude de caresser.
Un peu avant la mairie et le supermarché, dans un dégagement qui servait de parking, il reconnut une voiture et s’avança vers elle, le sourire aux lèvres. Arrivé à hauteur de la portière, il suspendit son geste. Arthur avait failli cogner sur la vitre, mais là, il demeura statufié.
Tétanisé par ce qu’il voyait. Muet d’incompréhension, il mit plusieurs secondes à réagir. Lorsque la portière s’ouvrit, il détala sans écouter les appels. Son cœur battait sourdement et il sentait ses joues brûlantes.
Un choc brutal le stoppa et il ne sentit pas une main s’abattre sur son épaule et l’autre sur sa bouche pour l’empêcher de crier.
Léa Mattei se sentait d’humeur légère en ce premier jour de septembre. Elle roulait sur la D27 en direction de Lanildut. Une semaine de vacances organisée par une coalition familiale et amicale qui tombait à pic.
Blessée à l’épaule lors d’une de ses dernières enquêtes*, elle avait subi le jour même une intervention chirurgicale qui avait dû être renouvelée cet été pour venir à bout d’adhérences douloureuses. Tout semblait rentré dans l’ordre et elle avait suivi scrupuleusement les séances de kinésithérapie prescrites. Aussi Gloria Treguer-Johnson, son amie et la fille de son compagnon, le procureur Pascal Treguer, avait-elle décrété qu’elle avait besoin de repos. Quand on connaît Gloria, on sait que ce qu’elle décide finit toujours par arriver… Ainsi, elle avait convaincu son père de laisser partir Léa quelques jours. Au passage, elle s’était occupée du commandant Guillerm, ex-compagnon de Léa et père de ses jumeaux. Celui-ci avait accepté de prendre la relève auprès des enfants pour laisser Léa souffler un peu.
Forte de ces appuis, elle lui avait concocté un petit séjour chez une femme qui louait un studio à Lanildut. L’arrière-saison en terre d’Iroise, au pays des abers, ne pouvait, selon elle, que lui être bénéfique !
Vingt-cinq kilomètres, une trentaine de minutes de route depuis Brest. Ce n’était rien en matière de distance, mais Léa se sentait le cœur et l’esprit légers à l’idée de larguer les amarres une dizaine de jours. Elle, sur ce bout de terre battu par les vents, face à la mer d’Iroise, sans contraintes. De quoi recharger ses batteries.
Sa reconnaissance allait à Gloria qui, tel un bulldozer, avait aplani tous les obstacles et convaincu tous les hommes de sa vie de lui accorder ce répit. Elle l’avait laissée partir après moult recommandations sur la manière d’occuper son séjour. En fait, l’essentiel tenait en quelques mots : « Suis tes envies et repose-toi ! »
Le sourire aux lèvres à l’évocation de Gloria, Léa aborda Lanildut par la route de Brélès. Elle suivait une des rives de l’aber Ildut, le plus petit des trois abers du pays de Léon, formé par un petit fleuve côtier et sa basse vallée inondée par la mer. Elle sentait l’odeur iodée des laminaires et suivait les indications de son GPS pour trouver son hébergement. À la recherche de Stréat Prat Meur. Au bout de la longue rue, elle découvrit le lotissement décrit par Gloria. Des maisons blanches jumelées aux toits d’ardoises composaient le lotissement. Les encadrements de porte arrondis étaient taillés dans le granit. Chaque porte avait une couleur différente. Elle s’arrêta devant le numéro sept qui n’était jumelé que d’un côté. Elle apprécia le bleu doux de la porte et les plantations du devant. La maison semblait bien entretenue et des voilages garnissaient les fenêtres. C’était ici que se trouvait la location de Louise Legal.
Elle sonna à la porte.
*Enquête corsée à Crozon, même collection.
Un peu plus tard, son installation terminée, Léa sortit visiter les alentours. Louise Legal l’avait accueillie aimablement avant de lui montrer le studio qu’elle louait à la saison, équipé d’une kitchenette et d’une salle d’eau qui avaient plu à Léa. Une grande porte-fenêtre donnait sur la lande, qui s’étendait après le lotissement. Des senteurs de marées flottaient dans l’air et le bruit sourd du ressac se propageait jusque-là. La mer n’était pas loin et elle se promit d’y aller rapidement.
En fait, dans la conversation, Léa avait compris que Louise n’était que l’amie d’une amie de Gloria. C’était elle qui avait orienté cette dernière vers Louise pour la location. Louise avait invité Léa à parcourir les trois cents mètres qui séparaient sa maison du bord de mer, au bout de la route de Port-Blanc, pour découvrir le coin et rencontrer celle à qui elle devait son studio de vacances. À cet endroit, elle ne pourrait pas manquer le café situé juste en face de la mer.
Forte de ces indications, Léa avait entrepris la promenade. Au bout de la route se trouvaient la côte rocheuse et une unique bâtisse en pierre, qui arborait l’enseigne Chez Cindy. La construction n’était pas totalement face à la mer mais légèrement en biais, certainement pour se protéger du vent dominant. Une terrasse et quelques tables garnissaient le devant, sous un auvent. Elle poussa la porte et le bruit doux d’un carillon résonna. La salle était déserte. Une femme derrière le comptoir leva la tête à son arrivée. Léa se dirigea vers elle.
— Bonjour ! Vous êtes la propriétaire ?
Son visage avenant plut à Léa.
— Oui, c’est bien moi, Cindy Mac Caslin.
— Mac Caslin, mais c’est…
— … écossais. Le nom de mon défunt mari.
— Oh…
La femme fit un signe de la main pour évacuer le sujet.
— Et vous ?
— Léa Mattei. J’arrive aujourd’hui à Lanildut et j’apprends que je vous dois le joli studio que me loue Louise Legal. Je suis une amie de Gloria Treguer-Johnson.
Le sourire de Cindy s’était élargi.
— Ravie de vous connaître enfin, Léa ! Gloria n’a pas cessé de vanter vos mérites.
L’ambiance détendue plut à Léa, qui songea qu’elle pourrait passer des moments agréables ici. Elle détailla l’intérieur. Des rideaux bleu pâle garnissaient les côtés des fenêtres, apportant une note de douceur à l’ensemble. Elle nota deux bibliothèques chargées de livres et des tables recouvertes de nappes cirées à petits carreaux bleu clair et blanc, rappelant les rideaux. Des nuances douces et reposantes.
Il flottait en plus une odeur de pâtisserie au beurre qui lui donnait envie de se poser ici pour profiter de la vue et de la quiétude du lieu.
— C’est chouette ! Gloria a vraiment eu une riche idée en m’expédiant ici ! Si près de Brest, mais si loin de la ville finalement… Je tiens beaucoup à elle, c’est… plus qu’une amie.
— Je sais, répliqua Cindy en souriant. Elle m’a un peu brossé le tableau.
Léa n’en doutait pas. Gloria pouvait être un moulin à paroles à ses heures.
— Alors, vous avez compris qu’elle est en quelque sorte… ma belle-fille ?
Le sourire de Cindy se fit plus large.
— Oui ! Elle m’a aussi parlé de son père…
— … le redoutable procureur Treguer ! Rassurez-vous, avec moi, il est plus doux qu’un agneau !
Cindy éclata franchement de rire.
— C’est bien ce que j’avais cru comprendre.
Léa s’était assise à une table et humait l’air.
— La route m’a ouvert l’appétit. Qu’est-ce que je sens de bon ?
— Des shortbreads. La recette écossaise que j’ai ramenée des Orcades.
— Waouh ! Les Orcades… Mais c’est loin, ça. Vous vous trouviez tout en haut de l’Écosse ?
— Eh oui ! Dix ans à Kirkwall.
— Vous habitiez là-bas avec votre mari ?
Cindy marqua un temps d’arrêt avant de répondre.
— Oui. Kyle était un pur produit des Orcades. Né là-bas, et il n’avait jamais quitté son coin d’Écosse. Enfin, seulement une fois à Londres, et c’est là qu’il m’avait rencontrée…
— Oh…
— Ne vous inquiétez pas. Je peux en parler sans pleurer. Ça fait cinq ans maintenant.
Elle avait ajouté, avec une moue attristée :
— Il faisait la pêche au homard. Mauvaise mer. Une vague scélérate. Un accident. Il est tombé à l’eau… Il avait trente-six ans…
Léa hocha la tête.
— Tu n’as pas souhaité rester là-bas ? Oh, pardon ! Je t’ai tutoyée…
C’était sorti naturellement. Cindy sourit.
— Aucun problème. Je te connais un peu, par Gloria !
Le courant passait et Léa trouvait de plus en plus agréable la perspective de ces vacances.
— Alors, reprit-elle, tu n’as pas voulu rester en Écosse ?
Cindy soupira.
— Au début, oui, je le voulais. Je me sentais sans ressort et sans avenir après sa disparition brutale. Nous avions un café et je m’accrochais à ce qui me restait de lui. Mais les Orcades, c’est une région à part… Avec Kyle, enfant du pays, j’y étais tolérée. Mais, lui parti, je suis redevenue la Française, et on me l’a bien fait sentir…
Léa comprenait. Les visages qui se détournent, la solitude qui s’installe…
— Vous étiez mariés depuis longtemps ?
— Quatre ans. Pas assez pour me reconnaître comme une des leurs. Kyle pêchait et nous avions ouvert un café que je tenais. Il m’y rejoignait souvent. Sa famille ne m’avait jamais vraiment acceptée. Ils préféraient une fille du pays, amie d’enfance de Kyle. Et puis, nous n’avions pas encore eu d’enfants. Tout ça a pesé lourd dans la balance pour qu’on m’éjecte de là. Ses parents étaient influents. La clientèle était devenue rare. J’ai préféré partir avant que le café ne ferme, faute de clients. Ils auraient fini par empêcher tout le monde de venir au café…
Léa soupira.
— Ils ne t’ont même pas soutenue après ce drame… Lamentable. Et donc, tu es venue ici ?
— C’est plus récent pour le café. Je me suis d’abord posée à Brest, le temps de récupérer et de réfléchir à mon avenir. Lorsque Kyle m’a rencontrée, je travaillais dans la restauration, à Londres. Petit à petit, l’envie m’est revenue avec des idées bien précises sur l’ambiance que je voulais imprimer à mon café. Un lieu de vie. J’ai repris ce café moribond il y a près de quatre ans. La patronne avait quatre-vingt-cinq ans et jetait l’éponge.
Léa ouvrit des yeux étonnés.
— Ah oui, quand même !
— Oui, il y a de la ténacité dans ce pays du bout de la terre… J’ai eu envie d’en faire quelque chose de cosy, un coin bien à moi. D’ailleurs, viens, je vais te montrer le reste !
Elle saisit un grand plateau sur lequel elle déposa une fournée de shortbreads luisants de beurre, qu’elle fourra dans les mains de Léa. Puis elle prépara plusieurs cafés. Léa percevait désormais un bruissement de voix. Finalement, il y avait du monde. Cindy l’entraîna dans un angle de la salle, poussa une porte à battants et une autre pièce apparut. Léa sentit des regards curieux se poser sur elle.
— Hello, je vous présente Léa Mattei !
Léa se sentit transpercée par les regards braqués sur elle. Elle croisa les doigts pour faire bonne impression à l’assemblée qui n’était pas très nombreuse, à vrai dire.
Les deux doyennes trônaient dans les deux seuls fauteuils de la salle. Les autres se partageaient les chaises autour de la table. L’une d’elle fit de la place sur celle-ci pour que Cindy puisse poser les plateaux, salués par quelques applaudissements.
— Léa, je te présente le club des Aiguilles !
— Tricot, crochet, broderie, compléta une des femmes.
— Rien ne nous résiste ! ajouta une autre dans un éclat de rire, en soulevant son ouvrage.
Léa hocha la tête en souriant.
— Tu m’expliques ? demanda-t-elle à Cindy.
Celle-ci s’exécuta.
— Quand j’ai repris le café, j’ai mis trois mois à le remettre en état. Carrelage, peinture, repeindre les boiseries…
— Tu sais tout faire ?
— D’où je viens, il valait mieux être habile de ses mains et polyvalente… Tandis que je m’échinais à la tâche, la curiosité attirait du monde. On a fait connaissance petit à petit. Certaines sont venues m’apporter un petit gâteau, une douceur, et d’autres ont envoyé leurs maris pour m’aider. C’est comme ça que le groupe a commencé. En discutant avec elles, j’ai compris qu’il leur manquait un lieu pour se rassembler, papoter, passer du temps ensemble, s’occuper la tête et les mains… Un lieu qui puisse convenir à tous les âges, contrairement aux clubs sportifs. Chacune est venue avec son attente. C’est ainsi qu’on a créé le club des Aiguilles.
— Chouette idée, approuva Léa.
— Sans oublier le coin lecture, rajouta une des femmes. Cindy fait bibliothèque et nous avons des soirées lecture où nous parlons d’un livre.
— C’est vrai, j’ai ramené ça des Orcades, où j’étais éloignée de la ville. Pouvoir prêter des livres est un plus, et puis faire des lectures commentées nous offre des soirées agréables. Tiens, assieds-toi.
Deux femmes se poussèrent et Léa prit place.
— Ravie de vous rencontrer. Comme vous l’avez compris, moi, c’est Léa, et vous ?
Une des femmes, nichée dans un fauteuil, prit la parole. Léa nota le regard bleu glacier sous un casque de cheveux blancs.
— Moi, c’est Anna Le Coz, soixante-huit ans, veuve d’un goémonier. Mon Pierrot avait soixante-cinq ans quand il est parti, il y a cinq ans. Heureusement qu’il y a Cindy ici, maintenant. Avec le club, on se voit au moins trois ou quatre fois par semaine. Ça distrait.
— Je comprends, Anna. C’est un lieu parfait pour rompre la solitude.
— Et moi, je suis la doyenne !
Léa se tourna vers celle qui venait de prendre la parole. Elle perçut un accent qui lui fit lever l’oreille.
— Mary Tomlinson. Soixante et onze ans. Divorcée depuis… oh, des lustres !
— Et anglaise, n’est-ce pas ?
— Oui ! Vous avez reconnu mon accent ?
Grande, blonde et mince, Mary avait de l’allure.
« Un petit côté aristocratique », songea Léa. La femme désigna un homme assis un peu à l’écart qui la dévorait des yeux.
— Mon fils, Daniel. Dan Willer.
Il déplia son mètre quatre-vingts et vint serrer fougueusement la main de Léa.
— Ra… ra… ra… vi ! bégaya-t-il.
— Cindy nous a parlé de vous, reprit sa mère. Vous êtes une vedette et Daniel rêve de devenir détective privé !
Léa détailla le trentenaire. Grand, mince, les cheveux blonds en bataille, des lunettes de myope sur le nez, il ne semblait trop savoir que faire de ses bras.
— On pourra en parler, Dan, si tu le veux.
Il hocha la tête avec empressement, les yeux brillants, avant de se rasseoir. Cindy continua son tour de table.
— Voici des voisines de Louise, chez qui tu loges. D’ailleurs, elle aussi vient ici régulièrement. Voici Julie Leguern, Karen Ollier et Émilie Roche.
Les trois femmes, entre trente-cinq et quarante ans, lui souhaitèrent la bienvenue. Léa commençait à se dire que ces vacances risquaient d’être bien plus animées que prévu. Les femmes du club délaissèrent leur ouvrage pour déguster la pause gourmande en buvant leurs cafés. Léa n’était guère intéressée par les travaux d’aiguille, mais il régnait ici une atmosphère bon enfant qui la ravissait. Les femmes s’interpellaient, les plaisanteries fusaient. Cindy retourna à la salle principale du café car d’autres clients étaient entrés. Léa resta avec le groupe. Elle avisa une théière ancienne posée devant Émilie.
— Elle vous plaît ? lui demanda cette dernière.
— Je peux la regarder ?
Émilie lui tendit l’objet. Léa la retourna pour regarder la manufacture. Une des femmes dit en pouffant :
— Émilie adore les vieilleries !
— N’importe quoi ! J’aime les belles choses anciennes, nuance !
— Elle traîne dans toutes les brocantes. Les théières, c’est sa dernière lubie ! Je me demande où tu vas bien pouvoir les ranger chez toi !
Émilie haussa les épaules.
— C’est mon problème.
Cindy venait de revenir. Elle ajouta :
— Qu’est-ce qu’elle a de particulier, celle-là ? Parce que, ajouta-t-elle en se tournant vers Léa, cela fait trois semaines qu’elle fait une chasse au trésor. Émilie fait toutes les brocantes du secteur pour dénicher la perle rare.
Léa leva un sourcil. La vaisselle n’était pas plus sa tasse de thé que les travaux d’aiguille…
— Et ce serait quoi, la perle rare ?
— Tomber sur une théière du service de table de la reine Marie-Antoinette, par exemple !
Léa regarda le dessous de la théière. Elle déchiffra.
— Celle-ci provient de l’ancienne manufacture royale de Limoges. C’est un bon début, non ?
— En plus, reprit Cindy, dans les deux dernières théières elle a trouvé un petit mot.
Léa leva un regard surpris.
— Oui, tu sais, un peu comme dans les biscuits vietnamiens, une petite phrase.
— Plutôt un rébus, précisa Karen Ollier.
— N’empêche qu’elles m’ont bien orientée !
— Un jeu de piste, en quelque sorte, ponctua Léa. Mais… dans quel but ? Ça ne serait pas plus simple d’envoyer un prospectus avec les objets en vente ? Vous les achetez s’ils vous conviennent.
— C’est ce que tout le monde pense ici, dit Julie Leguern, mais Émilie trouve cela terriblement romantique. Elle a peut-être un amoureux transi qui n’ose pas se déclarer et lui fait faire le tour de la région avec ses idées farfelues !
Léa observa Émilie. Brune, les cheveux mi-longs retenus derrière la tête par une barrette en plastique, le teint clair. Elle lui donnait moins de quarante ans. « Mais elle manque de fraîcheur », songea-t-elle. Un réseau de fines ridules venait gâter l’air de jeunesse du premier regard. Des cernes bistre sous les yeux aussi. Le teint brouillé.
— Pourquoi, c’est toujours le même vendeur ?
— Non.
— Et cette fois-ci ? Tu as regardé s’il y a encore un papier ?
— J’attendais d’être avec vous !
Émilie plongea la main dans l’objet et décolla un petit rouleau dans le creux du couvercle. Avec fébrilité, elle le déplia. Tous les regards étaient braqués sur elle.
— Alors ?
Elle passa le papier à Cindy qui lut :
« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. »
— Pas très romantique, ça, lança Anna Le Coz.
— Ça refroidit, dit Karen.
Émilie avait pâli.
Le silence retomba sur l’assemblée.
« Quelle journée », songea Léa, installée dans son lit. Les volets encore ouverts lui offraient la voûte étoilée en spectacle. Un nuage de la nuit, effiloché, passait devant la pleine lune, nimbant le ciel d’un halo mystérieux. Léa était en conversation avec Gloria.
— Quelle cachottière tu fais ! J’ignorais que tu étais amie avec Cindy Mac Caslin ! C’est une femme vraiment intéressante…
— Tu trouves aussi ? Elle est… comme un roc. Solide malgré les tempêtes. On a fait sa connaissance avec Alex un après-midi, l’hiver dernier. En promenade tous les deux, on s’était réfugiés chez elle un jour de gros temps. Le café nous a charmés, et Cindy encore plus, avec ses balades écossaises et ses shortbreads à tomber par terre. Elle est tellement résiliente aussi. Perdre son mari de façon aussi violente, devoir tout quitter, être rejetée et penser à créer un coin tout doux pour celles qui souffrent de solitude, je trouve ça génial !
Léa la remercia encore une fois du soin qu’elle avait pris à lui concocter ce temps de détente.
Ensuite, elle avait appelé Pascal. Le fameux procureur Treguer. Son homme de cœur depuis deux ans. Depuis la mort brutale de Patrick Merieux, son compagnon depuis plusieurs années. Elle savait que son absence lui pesait déjà, mais sa fille Gloria avait été catégorique – elle s’en doutait ! – sur son besoin de repos.
Léa devait absolument s’éloigner de son quotidien pour débrancher et récupérer. C’était non négociable, selon la jeune femme.
— Ah, Léa, Léa, tu me manques. Il avait raison, le poète : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. » Repose-toi bien, ma chérie ! J’espère que cette épreuve que vous m’infligez, Gloria et toi, sera suffisante pour te rétablir totalement.
Elle avait éclaté de rire.
— Pascal, je me trouve à moins de trente kilomètres de toi, pas de l’autre côté de l’Atlantique !
Pascal était entier. Venu sur le tard à l’amour, il s’y était jeté à corps perdu. Léa occupait toutes ses pensées.
Ses appels terminés, elle avait pu repasser le fil de son après-midi. Cindy était effectivement remarquable. Une force tranquille qui servait de catalyseur aux femmes de son quartier. Ah non, pas que des femmes ! Daniel était une personnalité à part qui faisait partie intégrante du club.
Ce soir, Louise l’avait invitée à partager le repas familial. Léa n’avait pas vraiment eu le temps de se préoccuper de faire des courses, tout absorbée par ses nouvelles connaissances. L’invitation tombait à pic. Cela lui avait permis de faire la connaissance de Marine, la fille de Louise. Une jolie brune de seize ans. Louise et Marine semblaient vivre toutes les deux. Elle n’avait pas noté de traces d’un mari. Par contre, les portraits encadrés d’un petit garçon brun à différents âges ne lui avaient pas échappé. Sur la photo où il était le plus âgé, Léa ne lui donnait pas plus de six ou sept ans. Remarqué aussi l’air mélancolique de Louise, un peu déconnectée parfois. Elle n’avait pas posé de question. Le malheur était écrit dans les yeux de Louise. Elle s’était dit que celle-ci aborderait le sujet le moment venu, si elle le souhaitait. En revanche, elle s’était montrée intarissable sur les membres du club. Elle aussi en faisait partie. Elle avait également éclairé Léa sur Daniel, le fils de Mary.
— Quand il a su que j’allais recevoir une détective privée dans mon studio, il était tout excité et stressé !
— Stressé, mais pourquoi ?
— C’est le rêve de sa vie, ce métier. Alors en rencontrer un qui l’exerce, c’est une chance pour lui de toucher le métier du doigt.
— Si c’est son rêve, je ne demande pas mieux que de l’éclairer sur le métier. Mais…
— … il est un peu spécial, n’est-ce pas ?
Léa avait hoché la tête et Louise avait soupiré.
— C’est un bon gars. Respectueux, discret, mais il a toujours vécu avec Mary. Une relation fusionnelle. Il a trente-trois ans, quand même ! avait ajouté Louise. Son père a disparu du paysage quand il avait cinq ans. Mary est anglaise, ils vivaient dans les Cornouailles. J’ai cru comprendre que le père battait Dan et sa mère. Elle s’est réfugiée en France après avoir fui le domicile conjugal. Elle avait d’abord passé sept ans à Londres. Puis son ex-mari les a retrouvés. Elle a choisi de s’expatrier. Un jour, elle te racontera ça, sûrement. Quant à Daniel, son cerveau tourne à plein régime. C’est un haut potentiel. HPI, paraît-il. Il est capable de déductions incroyables. Il trouve toutes les énigmes. En contre-partie, il peut paraître bizarre parfois.
— On va bien s’entendre tous les deux ! J’adore les gens passionnés.
Un peu plus tard, rêveuse, face à la voûte étoilée, elle se repassait les visages de toutes ces femmes différentes et de Dan, qu’elle venait de rencontrer. Il l’avait regardée comme un enfant qui aperçoit le père Noël.
Léa se promit de ne pas le décevoir.
Léa s’était réveillée, reposée et détendue. L’air de Lanildut lui réussissait. Elle s’était préparée rapidement pour profiter du soleil qui semblait décidé à briller. Elle avait enfilé ses baskets après le petit déjeuner pour découvrir le coin. Ses pas l’avaient menée jusqu’au rocher du Crapaud, à l’entrée de l’aber Ildut. Un bloc de roche à la forme caractéristique semblant surveiller les allées et venues des bateaux. Louise lui avait signalé le port goémonier tout proche, qu’elle s’était promis de visiter. Elle lui avait précisé que c’était le premier port de déchargement des algues en Europe. Grâce à la proximité de l’archipel de Molène en mer d’Iroise, il bénéficiait des grands champs d’algues sur de larges plateaux rocheux. Une vraie richesse. Le frère de Louise y exerçait le métier de goémonier et cette dernière en connaissait un rayon sur la question. Moissonneur à pied au début de sa carrière, Jack avait fini par acquérir un bateau de onze mètres de long, à fond plat. Depuis, il travaillait à ramener le goémon au port après l’avoir arraché avec un scoubidou hydraulique. Intarissable sur le sujet, Louise lui avait expliqué que le crochet enroule les algues et les arrache à la roche. Le mât articulé se relève et les algues sont déposées dans la cale du bateau. Léa l’avait sentie très fière de son frère. Elle ne pouvait pas faire autrement que d’y passer.
Postée à l’entrée du port, elle avait suivi les croisements des navires en partance et de ceux rentrant, chargés à ras bord. On était encore dans la saison du ramassage commencée mi-mai, et qui s’achèverait mi-octobre. Elle avait resserré son col autour de son cou. Le soleil de fin d’été jouait avec les embruns des déferlantes se cassant sur le rivage. Les grues du quai s’attaquaient aux premiers rentrés de pêche, dans l’odeur prégnante du goémon. Elle passa un bon moment à observer les énormes paquets de varech ressortant du ventre des navires.
Puis elle s’éloigna et poursuivit sa visite par le bourg. Il lui fallait des provisions pour remplir le petit frigo du studio. En suivant l’aber, cet estuaire où la mer remonte à chaque marée, puis en passant devant la Maison de l’algue et l’Auberge de la Mer, elle avait fait ses courses au supermarché. Plusieurs kilomètres à son rythme, en savourant sa liberté de flâner. Enfin, elle s’était décidée à rentrer. Elle pourrait parler de Lanildut avec Louise, s’était-elle dit en rebroussant chemin.
Pour l’après-midi, elle avait des projets, Cindy lui ayant proposé de se joindre au groupe. Léa avait accepté avec plaisir. Laisser filer le temps, se poser et écouter le son de la vie ordinaire en partageant des moments avec des inconnus : c’était parfait en ce moment.
Louise étendait du linge dans le jardin. Le vent faisait claquer les draps. Léa lui proposa de l’aider à monter la housse de couette sur le fil, trop haut pour Louise. Toute menue, presque diaphane, elle se battait contre les bourrasques et Léa attrapa un des bouts de la couette avant qu’elle ne soit renversée.
— À deux, c’est plus facile !
— Merci, Léa. Il me manque quelques centimètres pour étendre sans effort, surtout par grand vent ! Je l’avais dit à Guillaume que le fil à linge était trop haut pour moi…
Elle s’était interrompue avec un air de biche effarouchée. Léa en profita pour attraper la bassine et la suivre. Elle rebondit sur sa dernière phrase.
— Guillaume ? C’est… votre mari ? Le père de Marine ?
Louise se taisait. Léa nota ses doigts qu’elle tordait nerveusement. Elle la rassura :
— Pardonnez-moi. Je ne voulais pas me montrer indiscrète.
— Non, excusez-moi. Je suis à fleur de peau sur… le sujet.
Elles étaient rentrées dans la buanderie.
— Une séparation difficile ? tenta Léa. Je connais. J’ai vécu ça aussi.
Louise leva les yeux vers elle, interrogative. Léa posa la bassine et lui confia :
— Ma vie sentimentale n’a pas été un long fleuve tranquille… J’ai quitté autrefois le sud de la France pour fuir une relation toxique avec mon supérieur.
Léa s’était adossée à la machine à laver, et Louise, au congélateur.
— J’étais gendarme. Je m’occupais des scènes de crime. Technicienne en identification criminelle. Je suis tombée amoureuse de mon commandant, à Marseille. Gilles exerçait un attrait magnétique sur moi. Malheureusement, il était marié et père de deux fils. Ça s’est mal terminé. Comme toi, je suppose. J’ai remarqué qu’il n’y a pas de photo d’homme ici. Seulement de Marine et toi et… d’un petit garçon.
Voilà, c’était dit. Léa avait croisé subrepticement les doigts pour que Louise ne rentre pas dans sa coquille comme un escargot. Elle la sentait fragile.
Le silence s’installa durant plusieurs interminables secondes, puis Louise se secoua comme si elle sortait d’un profond sommeil.
— Tu as raison. Gendarme et détective… Tu n’as pas raté ta vocation. Ça se sent que tu es attentive aux détails. Oui, je suis mariée. Enfin, sur le papier. Guillaume et moi sommes séparés depuis… C’est le père de Marine et de…
Elle butait sur les mots. Léa vint à son secours.
— Un petit garçon ?
Louise leva un regard brillant sur elle. Léa y lut un chagrin incommensurable qui la glaça. Elle pressentait la suite.
— Arthur, souffla Louise. Il s’appelait Arthur. C’est le petit frère de Marine. Il n’avait même pas sept ans. Il les aurait eus le 17 décembre. Ça fera trois ans le 12 novembre qu’Arthur a disparu sans laisser de traces.
« Mon Dieu ! songea Léa, le cauchemar de tout parent… »
— Comment est-ce arrivé ?
— Il est sorti de l’école un lundi, en fin de journée. Avec son copain, Corentin. Ils se sont dit « au revoir », « à demain ». Il allait bien. Personne ne l’a revu. Jamais revu…
— Il y a eu des pistes ?
— Aucune. Il s’est évaporé. Mon petit garçon s’est évaporé sans que personne n’ait rien vu.
Personne, Léa en doutait. Au moins une personne savait ce qui lui était arrivé, malheureusement.
— C’est la raison pour laquelle vous êtes séparés, votre mari et vous ? Votre couple n’a pas résisté à ce drame ?
Louise baissa la tête et souffla.
— Oui. À cette époque, je travaillais à temps plein comme auxiliaire de vie. Je me débrouillais pour récupérer Arthur selon mon planning et le déposer à la maison. J’étais employée par un organisme d’aide à domicile. Depuis, j’ai arrêté, je n’ai plus la force… Je ne fais plus que quelques heures chez des particuliers sans passer par l’organisme, et puis je loue ce studio.
Léa posa sa main sur son bras, touchée par sa souffrance. Louise reprit son souffle.
— Guillaume a une société d’entretien de jardins. Il travaille dans le coin avec un ouvrier. Ce jour-là, l’organisme m’a envoyée faire deux heures de plus chez une personne pour remplacer une salariée absente. Ce n’était pas prévu. J’étais inquiète, bizarrement. Un pressentiment, peut-être. J’ai appelé Guillaume pour qu’il me remplace. Il ne travaillait pas très loin, à Porspoder. Je me suis dit qu’il pourrait laisser son ouvrier une trentaine de minutes, le temps de récupérer Arthur et de le déposer à la maison. Il a accepté, même si je sentais que ça l’ennuyait. Mais il est arrivé trop tard, à 17 heures, et Arthur avait disparu.
« L’histoire classique, se dit Léa. Le parent qui fait faux-bond, le drame qui survient et le couple qui explose. »
— Il a dû s’en vouloir terriblement, avança Léa prudemment.
Louise releva la tête. Ses yeux brillaient comme deux escarbilles, d’une colère toujours brûlante.
— Ça m’est égal qu’il souffre ! Il n’a jamais pu justifier son retard !
— Pourtant, la gendarmerie a dû l’interroger. On interroge toujours les proches. Il a eu un souci dans son travail ?
Louise haussa les épaules.