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Celui qui lira ce livre doit savoir que le but de son auteur a été de choisir avec soin dans les oeuvres des Saints plusieurs passages propres â porter d'une manière efficace le coeur de l'homme à l'amour de son Créateur, et de les ranger dans un ordre successif et non interrompu.
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ISBN: 978-1-312-05497-4

Le Livre de l'Amour
Saint Bonaventure
PROLOGUE.
I.
II.
III.
IV.
V.
VI.
VII.
VIII.
PROLOGUE.
Celui qui lira ce livre doit savoir que le but de son auteur a été de choisir avec soin dans les oeuvres des Saints plusieurs passages propres â porter d'une manière efficace le coeur de l'homme à l'amour de son Créateur, et de les ranger dans un ordre successif et non interrompu. Il commence par traiter de l'excellence de notre condition première , excellence qui fut l'oeuvre de la Majesté divine et le résultat d'un conseil tenu par la Trinité sainte elle-même. Ensuite s'adressant à l'homme en particulier, il lui montre et lui prouve que ses semblables et toutes les autres créatures ont reçu la vie pour le servir, et que même , par un privilège singulier d'amour, ils lui ont été donnés comme un bienfait tout spécial. Il traite , en troisième lieu , de la nécessité de l'Incarnation et de la Passion de Jésus-Christ pour l'homme , et de la tendre générosité qu'il nous y a témoignée : deux considérations capables surtout d'éloigner de nos coeurs l'ingratitude et de les incliner à aimer Dieu sincèrement. En méditant ainsi la dignité de sa condition première, l'amour singulier dont il a été l'objet, et le prix de sa rédemption miséricordieuse, le pécheur rentre en lui-même , se livre à la douleur le plus souvent, et , rejetant tout ce qui tient au monde , se tourne vers Jésus-Christ qu'il reconnaît pour le principe de son existence, son bienfaiteur et l'auteur de tous les biens dont il est comblé. Alors il s'approche d'autant plus de Dieu par une humble satisfaction qu'il lui était devenu plus étranger par sa désobéissance. — Le but principal de cet ouvrage est donc, en lui rappelant dans un entretien mutuel les bienfaits et l'amour de Dieu pour lui , de faire comprendre à l'homme qu'il est descendu au-dessous de lui-même par son ingratitude, afin que, pénétré d'une contrition plus filiale, il s'excite, enfant jusqu'alors sans re-connaissance, à aimer avec ardeur un Père si plein de tendresse. Voilà pourquoi l'auteur, s'efforçant ainsi de provoquer l'homme à l'amour de son Créateur, a appelé son livre le Livre de l'amour.
I.
C'est à vous que s'adressent mes paroles, ô homme qui, ignorant l'excellence de votre condition première, ne comprenez ni le prix de votre réparation , ni par quelles peines elle s'est accomplie. Je veux , en m'entretenant avec vous, vous apprendre, par la considération d'une excellence si admirable et d'une charité si grande, à aimer le Dieu si bienfaisant, le Seigneur si plein de tendresse , à qui nous n'avons jusqu'à ce jour témoigné pour tant de bienfaits que dédain et ingratitude.
Je commence par vous prier de ne jamais oublier de quelle douceur, de quelle charité votre Créateur a l'ait preuve à votre égard ; quelle bonté il eut pour vous. Lorsque vous n'étiez pas il vous a donné la vie, non point en vous rangeant parmi les brutes ou les êtres insensibles, mais en faisant de vous une créature capable de le connaître , de l'aimer et de posséder son éternité et sa béatitude. Il vous a tant aimé qu'il a voulu vous créer et vous conserver , alors qu'il savait combien vous seriez rebelle à sa volonté. Aujourd'hui encore sa mansuétude est pour vous sans limite; il vous supporte avec douceur et miséricorde ; il attend que vous vous corrigiez, car il ne veut en aucune façon votre perte; et ainsi il vous conserve la vie , il ne cesse de fournir à tout ce qui est nécessaire aux besoins de votre corps. Et comme l'expérience a pu vous l'apprendre , vos péchés ne sauraient vaincre sa bonté , ni le porter, selon que vous le méritez , à vous couvrir de confusion , à vous anéantir. Il est donc vraiment plein de tendresse pour vous , ce Dieu qui vous a comblé de tant de bienfaits et ne désire après cela tirer aucune vengeance de vos iniquités.
Rappelez-vous encore sa bénignité. Pour ne parler que de choses communes, je dis : autant vous comptez de membres en votre corps , autant vous pouvez compter de bienfaits admirables de votre Dieu; et vous lui devez plus d'amour pour le plus faible de ces membres que beaucoup ne lui en témoignent pour tous les biens qu'ils ont reçus de lui. En effet, si vous aviez perdu un oeil , combien aimeriez-vous celui qui vous l'aurait rendu? Et si vous aviez mérité de le perdre , quel serait votre amour pour celui qui vous l'aurait conservé? Mais devez-vous moins aimer le Dieu qui vous l'a donné dès le commencement; qui ensuite vous l'a conservé lorsque vous avez été digne d’en être privé tant de fois pour vous en être servi contre lui? Ce que je dis de l'oeil , dites-le également des autres membres. Mais si nous devons tant aimer celui qui nous a donné le corps , quel amour devrons-nous à celui qui nous a donné l'âme , dont le prix l'emporte infiniment sur le corps? Si vous aviez perdu l'usage de votre raison , combien aimeriez-vous celui qui vous l'aurait rendu ! Combien donc devez-vous aimer celui qui vous a donné la raison elle-même , celui qui a uni d'une manière admirable votre corps et votre âme , celui par qui cette union a persévéré alors que vos péchés vous ont mérité tant de fois la mort.
Pensez donc et pensez encore combien grande a été envers vous la bénignité de votre Créateur, et élevez-vous jusqu'à la hauteur de votre dignité , élevez vos sens jusqu'à son amour ineffable. Rien n'est plus juste , rien n'est plus salutaire , rien n'est plus avantageux ni plus doux pour l'homme que d'aimer sans limites celui qu'il sait être l'auteur et le conservateur de tout ce qu'il est. Si l'enfant aime naturellement le père qui a donné l'existence à son corps , combien plus aimerons-nous le Dieu qui a tiré du néant notre corps et notre âme? Si notre père est digne de notre amour , assurément notre Créateur doit l'emporter sur lui.
Pourquoi l'ouvrage serait-il insensible pour son auteur, s'il était en son pouvoir de l'aimer? Et pourquoi ne l'aimerait-il pas sans réserve, puisqu'il n'aurait rien qui ne vînt de sa munificence?
Je dois aimer beaucoup celui par qui il m'est donné d'être , de vivre et de sentir.
II.
Mais tout cela vous semble-t-il peu de chose? Méditez ce que votre Dieu vous a fait. Vous êtes une admirable créature : admirable selon votre corps , plus admirable selon votre âme , qui est marquée de l'image du Créateur , participante de sa raison, et capable de son éternelle béatitude. Il vous a uni a lui avec un art incompréhensible , avec une sagesse insondable. Et cependant vous n'aviez point mérité une telle faveur, vous n'étiez point. Il n'avait rien à espérer de vous en retour, car il n'a aucun besoin de nos biens.
Apprenez donc à lui rendre grâces avec diligence et sans retard. Apprenez à le remercier de chacun de ses bienfaits. Considérez attentivement toutes les faveurs dont vous êtes comblé , afin qu'aucune des grâces de votre Dieu ne demeure sans reconnaissance.
Telle est , en effet , la dignité de notre condition , que l'homme n'a pas reçu l'existence, comme le reste des créatures, par un simple commandement de Dieu, mais par l'action même de la Majesté divine, et après que la Trinité sainte eût tenu conseil. Et cela afin que l'homme comprît, à la vue d'un tel honneur, combien il était redevable à celui qui le distinguait, en le tirant du néant , par un semblable privilège de dignité , afin qu'il l'aimât avec d'autant plus d'ardeur qu'il reconnaissait avoir été formé par lui d'une façon plus admirable. Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance , dit le Seigneur. Cette dignité ne vient donc pas seulement de ce que nous avons été créés si excellemment, mais encore de ce que le Créateur de toutes choses nous a faits à son image et à sa ressemblance , faveur qu'il n'a accordée à aucune autre de ses créatures. Or, cette image, c'est dans la beauté de l'homme intérieur qu'il faut la considérer. D'abord, de même que Dieu toujours un est tout entier par-tout , vivifiant toutes choses, les mouvant et les gouvernant selon cette parole de l'Apôtre : En lui nous avons la vie, le mouvement et l'être, de même notre âme est tout entière en tout notre corps; elle le vivifie, le meut et le gouverne. Elle n'est pas plus grande dans les membres les plus considérables , elle n'est pas plus petite dans ceux d'un ordre inférieur; mais elle est tout entière dans les uns et tout entière dans les autres; et ainsi elle nous offre une image de l'unité du Dieu tout-puissant.
Ensuite nous découvrons en elle la ressemblance de la Trinité sainte. Car Dieu a l'être, il vit et il sent; de même l'âme , dans une mesure qui lui est propre , existe , vit et sent. Elle ressemble encore d'une autre manière à la Trinité , en ce qu'elle a été formée à l'image de son Auteur, qui est cette Trinité elle-même parfaite et souveraine , Père , Fils et Saint-Esprit. Elle n'a qu'une seule nature , sans doute , mais elle possède trois qualités : l'intelligence , la volonté et la mémoire , sans lesquelles elle demeurerait imparfaite. Cette vérité est exprimée dans l'Evangile, bien qu'en des termes différents : Vous aimerez, y est-il dit, le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme et de tout votre esprit; ou autrement : de toute votre intelligence , de toute votre volonté et de toute votre mémoire. Elle est doue l'image de Dieu par sa substance , elle est sa ressemblance, par ses qualités; car, de même que le Père engendre le Fils , et que du Père et du Fils procède le Saint-Esprit, ainsi l'intelligence engendre la volonté, et de l'une et de l'autre procède la mémoire, comme tout homme sage peut facilement le comprendre. En effet , l'âme ne peut être parfaite sans ces trois choses, et elle ne saurait être heureuse si l'une existait sans les deux autres. 1)e même encore que Dieu est le Père , le Fils et le Saint-Esprit , et qu'il n'y a pas trois Dieux, mais un seul Dieu en trois personnes , ainsi notre âme est intelligence, volonté , mémoire , et il n'y a pas trois âmes en notre corps , mais une seule âme ayant trois qualités distinctes ; et c'est en ces trois qualités que notre homme intérieur offre en sa nature une image admirable de Dieu. C'est par elles qu'on nous ordonne de nous attacher à Dieu , de l'aimer de toute l'étendue de notre intelligence, de l'avoir présent à notre mémoire selon toute la capacité de notre amour. Pour aimer, ce n'est pas assez de l'intelligence , il faut la volonté; et ces deux facultés sont encore insuffisantes si la mémoire ne dent s'unir à elles , pour que Dieu demeure sans interruption en l'âme de celui qui le comprend et brûle de son amour. Car, de même que l'homme ressent en tout temps les effets de la bonté et de la miséricorde du Seigneur, de même il ne doit y avoir aucun moment où il ne jouisse de sa présence en sa mémoire.
Maintenant parlons un peu de cette ressemblance empreinte dans les qualités de notre âme. Le Dieu qui a créé l'homme semblable à lui est charité; il est bon et juste , patient et plein de douceur , pur et miséricordieux ; il possède toutes les perfections que nous lisons de lui. Ainsi il a créé l'homme afin qu'il eût la charité, afin qu'il frit bon et juste , patient et plein de douceur, pur et miséricordieux ; et plus nous possédons ces vertus en nous , plus nous sommes proches du Seigneur, plus nous offrons en nous une exacte ressemblance avec notre Créateur. Mais si , ce dont Dieu nous préserve! quelqu'un d'entre nous s'avance par les chemins tortueux du vice , s'il suit les voies égarées du crime , il dégénère et s'éloigne de cette ressemblance si glorieuse de son Auteur, et en lui s'accomplit cette parole: L'homme élevé en honneur a été sans intelligence; il a été comparé aux animaux privés de raison, et il est devenu semblable à eux. En effet, quel honneur plus grand pour l'homme que d'avoir été formé à la ressemblance de son Créateur, et orné du vêtement des mêmes vertus? Lui seul, entre toutes les créatures , a reçu ce privilège , dont il est écrit : Le Seigneur a régné et il a été revêtît de gloire et de majesté, il a été paré de la splendeur de toutes les vertus , de l'éclat de toute bonté. Mais aussi quel déshonneur plus grand, quelle misère plus déplorable que de rejeter la gloire d'une telle ressemblance pour s'abaisser à l'image informe et brute de vils animaux? O homme, portez donc un regard attentif sur l'excellence de votre condition première; reconnaissez en vous l'image vénérable de la Trinité sainte, et efforcez-vous d'honorer cette divine similitude imprimée en votre âme, par la beauté d'une vie innocente , par l'exercice des vertus et l'éclat des mérites, afin qu'au jour de la manifestation véritable , vous apparaissiez semblable à celui qui, dans le premier Adam , vous créa d' une manière admirable à sa ressemblance , et vous réforma dans le second d'une manière plus admirable encore, comme nous le dirons plus bas. En effet , la première fois vous avez été couronné de gloire et d'honneur, et la seconde environné de tendresse et d'amour, afin d'apprendre à rougir de votre ingratitude et à tourner toute votre affection vers le Créateur, qui a déployé envers vous tant de sollicitude pour que vous n'aimiez que lui seul. Dans l'oeuvre de la création , Dieu a formé l'homme du limon de la terre , et il a répandu sur son visage un souffle de vie. Voilà quel ouvrier vous donna l'être; comment il unit les choses les plus diverses; comment, à sa volonté, le limon de la terre et l'esprit de vie se sont joints de la manière la plus infinie. Ce limon avait reçu l'être auparavant, quand Dieu au commencement créa le ciel et la terre. Pour l'esprit, il n'a pas une existence commune , mais propre; il n'a pas été créé avec la masse de l'univers , mais il a été animé d'une façon plus excellente et toute particulière.
Lors donc que Dieu eut soufflé sur l'homme, il lui donna le sens et l'intelligence : le sens afin de vivifier le limon auquel il l'avait uni , l'intelligence afin de le gouverner. Par l'intelligence , l'homme rentre au-dedans de lui-même et contemple la sagesse de Dieu; par le sens il en sort et considère les oeuvres de cette même sagesse. Il l'a donc éclairé intérieurement de l'intelligence et orné du sens au-dehors afin qu’il trouvât dans ces deux facultés un aliment convenable : dans le premier la félicité , dans le deuxième l'allégresse. Mais comme les biens extérieurs ne sauraient durer longtemps, il a été commandé à l'homme de passer des choses extérieures aux intérieures, et de s'élever de celles-ci aux choses célestes. Car telle est la dignité de notre condition , que rien ne peut nous suffire en dehors du bien suprême.
Reconnaissez donc votre dignité, ô homme, reconnaissez la gloire de votre nature. Votre corps a été tiré de la terre, sans doute; mais il y a en vous quelque chose de plus sublime qui ne saurait en aucune manière être comparé aux autres créatures. En vous ont été réunies et associées l'âme et la chair; celle-ci a été créée, celle-là produite par inspiration.
Qui ne comprend combien l'âme l'emporte sur le corps? Votre chair privée de la vie serait-elle autre chose qu'un tronc insensible? C'est de l’âme que vient la beauté , de l'âme que vient l'accroissement , de l'âme que viennent la clarté, la vue, le son de la voix. Enfin tous les sens viennent de l'âme ; elle s'en sert pour mouvoir le corps et le vivifier.
L'âme a une double vie : par l'une elle vit dans la chair, par l'autre elle vit en Dieu. Car il y a en l'homme deux sens : l'un intérieur et l'autre extérieur, et l'un et l'autre ont un bien propre dans lequel ils trouvent l'aliment qui les fait vivre. Le sens intérieur se nourrit de la contemplation de la Divinité ; le sens extérieur, de la contemplation de l'humanité.