Ma guerre froide - JP Bouzac - E-Book

Ma guerre froide E-Book

JP Bouzac

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Beschreibung

C'est l'histoire d'un étudiant en géologie épris d'horizons lointains qui se retrouve en classes de neige au Quartier Napoléon, caserne des troupes françaises à Berlin-Ouest, peu avant la chute du mur de la honte. Sa découverte du monde allié et de la drôle de ville coupée en deux le surprend et l'amuse plus souvent qu'à son tour. Devenu Berlinois d'adoption, il assiste incrédule à l'automne 1989 au "tournant" et peu à peu à la banalisation de cette césure historique devenue attraction touristique ringarde. Ce livre est le récit d'un témoin sans préjugé, amoureux du détail un brin loufoque. On n'a aucun mal à croire sa future femme, quand celle-ci affirme, lucide, dès sa première rencontre avec l'auteur, alors jeune et timide: "Dans sa langue maternelle, c'est sûrement un moulin à paroles!". Ce livre est le seul à ce jour consacré à l'Etat-major allié de Berlin et à la vie des appelés français en général dans cette île perdue en Allemagne de l'Est.

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À la mémoire de

Gaston Renault, mon grand-père paternel pacifiste 10 avril 1887, Montmorillon – 29 août 1936, Poitiers

Ursula Margarete Rummel, ma belle-mère berlinoise 20 avril 1930, Berlin – 7 août 2002, Berlin

Louis-Clément Renault, mon père 24 août 1925, Poitiers – 22 mars 2015, Bourg-Charente

Table des matières

Préface à la réédition de 2019

Encore un livre sur le mur ?

Berlin, Berlin…

Fort en version (Premier de la classe)

Chère Marianne

L’ours de Berlin

Classes (suite et fin)

Chez les Britanniques

Ricains

Réconciliés

La Chorale franco-allemande de Berlin !

Réconciliés ?

This wall will fall

A lier

LE Mur

Incident diplomatique au Pergamon Museum

Hélicos pa ruski

Rencontres insolites

De Berlin sur Charente à la guerre civile européenne...

Mur mûr

Vingt ans après

Épilogue

JP Bouzac, vétéran refroidi

Notes de lectrices et lecteurs

Préface à la réédition de 2019

Décidément le temps passe de plus en plus vite ! Moi qui avais peur de rater le vingtième anniversaire de la commémoration de la chute du mur de Berlin lors de la parution de la première édition de ce petit livre de souvenirs, je suis bien parti pour rater aussi celle du trentenaire. Avec un peu de chance, il me restera le cinquantenaire… en 2039, c'est-à-dire peu avant mon prix Nobel. De littérature évidemment.

Le vingtième anniversaire avait été une farce de mauvais goût : une grosse fête réservée à l’élite politique, laquelle n’avait pourtant pas brillé par sa présence lors des évènements ayant conduit à la chute du mur de la honte en 1989.

Le vingt-cinquième anniversaire était infiniment mieux. Le parcours du mur avait été reconstitué de manière ludique, virtuelle et éphémère (un peu de plus je disais conviviale), du moins le trajet nord-sud qui coupait la ville en deux, par des ballons blancs qui s’envolèrent pendant une nuit de festivité cette fois-ci vraiment destinée à toutes et à tous.

Les organisateurs du trentième anniversaire n’ont pas le droit de faire moins bien que la dernière fois. Je ne les envie pas car la tâche est ardue. D’autant qu’à en juger par la commémoration du 29ème anniversaire (ce sont les « noces de velours », à titre d’information), au moment où j’écris ces lignes, l’ambiance politique dégradée de ces dernières années s’est invitée à la fête sans demander l’avis de qui que ce soit. Au lieu de se réjouir de ce qui reste l’un des grands moments de ces dernières décades, on se dispute pour savoir si le 3 octobre, fête nationale, depuis la réunification, le fameux 9 novembre…, sont des festivités nationales et nationalistes ou plurielles et multiculturelles. Un débat stérile et inutile.

D’autant que dans le même temps le spectre de la guerre froide repointe sa sale gueule à l’horizon. Et si nous revenions à l’histoire, ou du moins à la partie que je peux vous raconter en tant que témoin ?

Commémoration de la chute du mur, Berlin, 9 novembre 2014

Encore un livre sur le mur ?

Les bourrasques de neige balayent la rue en tous sens, la transformant en gigantesque soufflerie sans début, ni fin. Les flocons fusent à tout va, fouettent la baie vitrée de mon bureau, pour s’écraser, une seconde plus tard, sur les vitrines du marchand de sushi, de l’autre côté de la rue. Dans la tourmente glacée, on devine à peine les immeubles, je crois apercevoir les contours d’un vaisseau fantôme qui profiterait de l’aubaine pour faire un tour de ville incognito.

Tout d’un coup, le soleil éblouit la scène, les couleurs éclatantes du Block Aldo Rossi font mal aux yeux. Au premier plan, étincelants de lumière, d’épais flocons continuent de tomber, mais au ralenti, dans un flou artistique à la Wong Kar-wai. A-t-on jamais vu un arc en neige ? Délaissant mon ordinateur, je me lève un instant et m’approche de la fenêtre. Les rares passants rasent les murs, en pestant, la tête enfoncée entre les épaules. Un grand bus panoramique noir cachalot (c’était lui, le Hollandais volant ?), avec une poignée de touristes assoupis à son bord, passe au pas.

Des touristes, par ce temps ? J’avais un peu vite oublié cette cicatrice sur la chaussée, juste sous ma fenêtre. Deux lignes en pavés de granite luisant, noyés dans le bitume, marquent l’emplacement du mur disparu, du Berliner Mauer 1961 – 1989, comme l’indiquent d’innombrables petites plaques métalliques encastrées dans le sol, sur des kilomètres.

Depuis peu, je travaille dans la Zimmerstraße, la rue qui recoupe la Friedrichstraße à l’endroit connu sous l’appellation martiale de Checkpoint Charlie 1. La Friedrichstraße, c’était aussi le centre du Berlin des Années folles. Après la seconde guerre mondiale, le quartier s’est retrouvé en première ligne de l’affrontement heureusement avorté entre Américains et Soviétiques, les Russes, comme on continue à les appeler ici, vingt ans après la fin officielle de la Guerre Froide, après la chute du mur de Berlin, symbole de cette époque emblématique qui a disparu à tout jamais pour laisser place à l’ère pas beaucoup plus réjouissante de la crise financière mondiale et du réchauffement planétaire.

Bien sûr, je n’ai pas connu les Années folles, bien que, pour être franc, la plupart des années que j’ai vécues jusqu’à ce jour (à Berlin ou pas) m’ont bel et bien semblé plus ou moins maboules. Mais pour la Guerre Froide, là, vous pouvez compter sur moi : j’y étais, au premier rang, ici à Berlin, au pied du mur. Je n’insisterai pas une nouvelle fois 2 sur les étonnantes circonstances de ma venue dans cette ville à part que fut Berlin pendant pratiquement une génération. J’y suis arrivé par un matin d’hiver glacial et ensoleillé, trois ans avant le tournant, nom politiquement correct du grand chamboulement de 1989.

Français du Sud-ouest que rien ne prédestinait à mettre un jour les pieds dans l’ancienne capitale du Reich en uniforme, j’ai joué pendant un mois au Rambo des neiges avant d’être promu au rang de planqué interculturel pour une éternité qui est finalement passée en coup de vent, comme une bourrasque de neige printanière...

Si je maltraite aujourd’hui mon clavier, c’est que j’ai du mal à accepter que l’histoire passe si vite aux oubliettes ou dans un tiroir qui accueille pêle-mêle tout le monde, de Cro-Magnon à September Eleven. J’ai la chance de n’avoir vécu ni les horreurs de la première, ni les monstruosités de la seconde guerre mondiale.

La guerre froide, c’était et tant mieux, en tout cas pour nous Européens, une sous-guerre. Rétrospectivement, il n’est pas pour autant interdit d’avoir froid dans le dos quand on pense combien de fois cette guerre pour rire a failli sans prévenir glisser dans l’abîme du prochain conflit.

D’autant que tout est lié : Pas de guerre froide sans seconde ni sans première guerre mondiale... Partant de ce principe, il ne faut pas beaucoup de fantaisie pour se retrouver en pleine guerre des Gaules ! Et puis, qui s’intéresse à l’avenir ne peut jamais en savoir trop sur le passé.

Si les témoignages des protagonistes des deux guerres mondiales ne manquent pas, la grande majorité des victimes ayant survécu est restée silencieuse. Plus de soixante ans après la fin du deuxième conflit global, il ne se passe pas une semaine sans qu’un nouveau film ou musical traitant de cette période ne fasse son apparition.

Dans ces œuvres avant tout destinées à distraire le plus vaste public et donc à enrichir les producteurs, tout est permis, un Hitler homosexuel plein d’humour, des Juifs collecteurs de scalps et victorieux. J’ai du mal à comprendre l’intérêt de ces fictions délirantes et préfère m’en tenir aux récits autobiographiques, qu’il s’agisse de textes mondialement reconnus comme ceux de l’extraordinaire Primo Levi, de notes personnelles telles celles, très élaborées, de mon père (poitevin), ou celles, beaucoup plus modestes, de mon beau-père (berlinois). Et même si certains, en l’occurrence, certaines, ont choisi l’anonymat pour raconter avec beaucoup d’humanité ce que les autres ont préféré taire 3.

C’est bien connu, l’histoire se répète encore et toujours. Depuis la chute du Mur de Berlin, le traitement de l’information concernant la guerre froide en général, et l’histoire de l’Allemagne de l’Est en particulier, connaît une évolution comparable à celle décrite ci-dessus pour le reste du siècle. Il n’en a pas fallu plus pour me pousser à mettre sur le papier mes souvenirs personnels pour tous ceux qui ne souffriront pas d’indigestion historique après le 8 novembre 2009.

Les textes qui suivent ont été rédigés entre février 1986 et il y a… tout juste une heure. A une exception près, il ne s’agit donc pas de documents d’époque, écrits sur le vif. Désolé, je n’avais pas le temps ! Ce n’est pas non plus un journal, mais plutôt une mosaïque d’impressions, hautement subjectives comme il se doit, parfois drôles si j’en crois mes premiers lecteurs.

Certains chapitres ont déjà été publiés séparément, ce qui se traduit par quelques répétitions 4, sans que l’ensemble ne puisse en aucun cas pour autant prétendre à l’exhaustivité. Loin de vouloir imposer une quelconque vérité, j’invite au contraire toute personne intéressée à participer au dialogue.

JP Bouzac

Panketal, mars 2008 – juin 2012

2 Voir “Nach Berlin!“ in „20 Jahre in Preußen – 20 ans en Prusse“, Rhombos Verlag, Berlin, 2007

3 Un excellent exemple : Une femme à Berlin : journal d’une femme anonyme, cf. bibliographie en fin de volume

4 Ainsi, par exemple, quatre citations de Kurt Tucholsky, cela peut paraître beaucoup dans un petit bouquin comme celui-ci, même de la part d’un admirateur inconditionnel. En fait, et après mûre réflexion, je ne vois aucune possibilité de renoncer à aucune d’entre elles. D’ailleurs, j’espère vivement que cela donnera envie au lecteur francophone d’en savoir plus sur cet auteur berlinois d’exception, scandaleusement ignoré en France, un pays auquel il était très attaché.

Kurt Tucholsky, journaliste, écrivain, pamphlétaire, antimilitariste à la plume corrosive, fut aussi l’un des rares intellectuels à avoir compris et dénoncé dès le début l’envergure de la catastrophe nazie qui rongeait de l’intérieur l’Allemagne de Weimar. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Tucholsky a été « dénaturalisé » en 1931. Ses livres ont été brûlés sur la place publique. Exilé en Suède, il s’est donné la mort en décembre 1935. Tucholsky est toujours l’un des auteurs les plus populaires en Allemagne, ses sentences à l’emporte-pièce, ses chansons irrespectueuses sont sur (presque) toutes les lèvres, au moins à Berlin.

Berlin, Berlin…

Nous avons débarqué ce matin à la gare de Berlin-Tegel du train de nuit des Forces Françaises de Berlin en provenance de Strasbourg. Le modeste hall en briques et en bois annonce le charme désuet de Berlin-Ouest, une drôle d’île au pays des Soviets.

Dans les bus confortables qui nous mènent à la caserne, le Quartier Napoléon, la plupart des bidasses s’endorment aussitôt assis. Il est vrai que nous n’avons pas beaucoup dormi. Certains ont cru bon de fêter leur incorporation en vidant moult boîtes de Kro. D’autres ont joué aux cartes, s’engueulant à qui mieux mieux, fumant comme des sapeurs. Bref, dur de fermer l’œil, pour tout le monde... Dommage, la prochaine occasion de faire la grasse matinée se fera cruellement attendre.

En attendant, il nous faut nous habituer au plus vite à cette nouvelle vie. Il fait très froid, tout est blanc et glissant. Mais on aperçoit ici et là un coin de ciel bleu et s’il y avait la moindre montagne dans les environs, on pourrait se croire aux sports d’hiver. Les formalités d’usage, remise des uniformes et du barda, taille des cheveux, photo pour la carte d’identité du service national… se passent sans problème aucun.

Plus tard, nous apprendrons que le coiffeur avait fait du zèle. Un millimètre sur le crâne, ce n’est pas beaucoup. L’avantage, c’est qu’avec une telle coiffure, nous avons maintenant tous l’air bien méchant, sans avoir à nous forcer le moins du monde, l’inconvénient, c’est que c’est formellement interdit et même passible d’une punition. Il ne faudrait pas que nous fassions peur à ces chers Berlinois. Bizarrement, c’est le coiffeur qui écopa d’une punition et pas nous.

Depuis le blocus de Berlin par les Soviets en 48-49 5, les alliés occidentaux se considèrent et surtout sont considérés par la population comme des forces de protection et non plus comme une armée d’occupation. Les autorités militaires françaises se donnent un mal fou pour éviter tout incident qui ternirait cette image positive bien dans l’esprit de la Guerre Froide et, par la même occasion, de la réconciliation franco-allemande.

Dans le même temps, il faut assurer, les Français n’ont été acceptés dans le clan très fermé des puissances victorieuses qu’en dernière minute. Sans le soutien de Churchill, personnalité par ailleurs extrêmement douteuse, nous aurions fait partie de ces nombreux pays vaincus et anonymes. Et ne serions pas au-jourd’hui les fiers défenseurs du Secteur français, composé des quartiers de Reinickendorf et de Wedding, dans le nord-ouest de Berlin.

La caserne qui abrite la plus grande partie du contingent français résume à elle seule l’ambiance historique dans laquelle nous baignons du matin au soir. Cet ensemble imposant de plus de soixante bâtiments répartis dans un grand parc arboré a été construit dans les années trente pour le régiment d’infanterie aérienne 6 General Göring. Tout un programme.

Aujourd’hui, comme à l’époque, rien ne manque pour assurer le succès de l’élevage intensif de soldats. Outre les dortoirs, cantines, stands de tir, bureaux, garages pour les chars et tout le reste, on y trouve plusieurs hôtels pour accueillir dignement les familles des appelés et des militaires de carrière, des magasins, restaurants, installations sportives de première classe, un hôpital, un cinéma, une église, une poste et une banque françaises, des villas pour les chefs…

Juste à côté de la caserne se trouve l’aéroport de Tegel, construit en plein blocus, les petits aéroports de Tempelhof, en secteur américain, et Gatow, chez les Britanniques, ne suffisant plus à assurer l’approvisionnement de base de la population de Berlin-Ouest.

En quelques mois d’un travail ininterrompu jour et nuit, jusqu’à vingt mille civils berlinois ont transformé ce qui était jusque-là un champ de tir en aéroport moderne. Les civils, dont près de la moitié étaient des femmes, des Trümmerfrauen 7 pour la plupart, avaient été attirés par le salaire très élevé autant que par l’idée de gâcher la joie des Soviets.

Le général français en poste, J. Ganeval, avait plusieurs fois contacté les autorités soviétiques pour tenter de les convaincre d’abandonner l’émetteur de Radio-Berlin qu’ils contrôlaient depuis 1945 en dépit des accords alliés.

Cet émetteur avec trois pylônes de près de cent mètres de haut se trouvait en bordure des nouvelles pistes et aurait gêné le trafic aérien. Devant l’absence de réaction des Russes, le général Ganeval ordonna la destruction des pylônes.

Très en colère, le commandant des forces soviétiques, le général Kotikov, quitta son lit de malade et oublia la fièvre pour un moment, pour lui demander de vive voix (par l’intermédiaire de son interprète) :

« Comment avez-vous pu faire cela ? 8 »

« Bien simplement, mon général, par la base et à la dynamite. » répondit calmement le Français par ailleurs connu pour son sens de l’humour.

Cette anecdote du tout début du refroidissement a laissé des traces profondes. Jusqu’à aujourd’hui, et comme nous le verrons plus tard, nos amis/ennemis alliés de l’est ont gardé une indéniable prédilection pour l’aéroport de Tegel.

Les Forces Françaises de Berlin sont principalement composées de deux régiments : le 46ème d’Infanterie et le 11ème de Chasseurs. Ici, un chasseur, ce n’est pas celui qui, pour se sustenter, traque les bêtes sauvages au lieu de se livrer à la cueillette, non c’est tout simplement un cavalier. Et oui, comme dans Lucky Luke. Désolé pour les puristes, cavalerie, pour moi, et je ne suis certainement pas le seul, rime avec Western et avec le héros mélancolique qui tire plus vite que son ombre.

Le hasard veut que je me retrouve chasseur, ou plutôt apprenti chasseur, enfin bidasse 2ème classe. Pour l’instant, mes plans pour l’avenir sont très simples : d’abord les classes, après on verra.

Rien ne vaut une bonne coiffure, février 1986, Quartier Napoléon, Berlin (auteur inconnu)

5 Le blocus de Berlin-Ouest par les Soviétiques : 24 juin 1948 - 11 mai 1949. La réponse des alliés, le « pont aérien » a permis d’approvisionner la ville coupée du monde, obligeant les autorités soviétiques à renoncer au blocus.

6 C’est à dire une unité armée de canons antiaériens ou Flak.

7 Femmes des ruines, c’est le nom donné aux femmes qui ont, pendant des années, trié à la main les ruines après la guerre.

8 C’est ma version préférée de cet épisode épique du début de la guerre froide. Il y en a d’autres, qui ne manquent pas non plus de charme.

Fort en version (Premier de la classe)

Comme tout Berlin et vraisemblablement ses environs que nous n’irons pas voir de sitôt car ils sont dans la Zone (se prononce tzô-neu), le Quartier Napoléon est entièrement gelé. Pour ainsi dire recouvert de sucre glace. Ce froid polaire nous rend la vie dure, à nous, comme aux autochtones et aux bidasses arrivés avant nous.

Nous, c'est-à-dire le contingent 86/02 du 11ème régiment de chasseurs. Notre devise, c’est : Voilà les bons !

C’est ce qu’aurait dit le grand empereur corse en nous voyant, il y a quelques années de cela. Avant mon arrivée en tout cas. Depuis que je suis là, nous passons la majeure partie de nos jours et de nos nuits dans les bois et la neige. La nuit dernière, par exemple, nous avons traversé dans tous les sens le lac de Tegel gelé, jusqu’à ce que les grincements de la glace finissent par inquiéter notre intrépide chef. Nous, il y a très longtemps qu’on trouvait cela plus que louche. Avec armes et bagages, chaque bidasse pèse ses cent kilos et plus. Deux tonnes qui se promènent sur la glace. Pas étonnant que ça grince !

Ensuite, nous sommes allés dans les bois, voir si le loup y était. Il y était. Sous la forme d’une patrouille russe en jeep, égarée, rencontrée dans un virage, tous feux éteints, mais à toute berzingue. Une fois débarrassés des méchants Soviets, ils sont tous méchants de toute façon, nous avons une fois de plus réalisé une tâche hautement stratégique. Armé de sa pelle pliante, chacun d’entre nous s’est attaqué en silence au sable congelé et a creusé un trou assez grand pour l’abriter, lui et son bazar. Deux heures d’exercice. Ça réchauffe !

Pour finir, nous avons, sous l’œil attentif et critique de nos gentils organisateurs, soigneusement recouvert nos caches, nos tombes ?, avec des bâches d’environ un mètre carré chacune. Ces bâches sont censées nous masquer aux yeux de l’ennemi. Mais, sur le grand manteau blanc de l’hiver prussien, notre vingtaine de bâches vert sombre doit être visible du ciel à des kilomètres, même sans jumelles…

Dans la journée, mon exercice préféré, l’apprentissage du défilé en bon ordre, qui est heureusement pratiqué à l’intérieur de la caserne, à l’abri des regards indiscrets qui pourraient vite devenir moqueurs, tourne inévitablement au cirque. En ligne droite et à vitesse constante, nos bottes jouent le jeu. Mais s’il faut accélérer, freiner ou, pire, prendre un virage, chaque rangée à une vitesse différente, gare aux glissades et autres pirouettes. C’est Laurel et Hardy à Holiday on Ice. Ou, comme dit mon sergent préféré :

« Chasseur Bouzac, fais un effort, bordel !, à t'voir défiler, tu m'fais penser à l’ours de Berlin ! »

Et bien lui, d’abord, me fait fortement penser à un gorille ! Moi qui ai reçu une éducation très stricte chez mes sœurs, je fais semblant de n’avoir rien vu et je reste muet comme une carpe. Pourquoi ne suit-il pas tout simplement mon exemple ?