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Alors que Pont-l’Abbé pleure deux femmes sauvagement assassinées, la ville accueille un Salon sur la gastronomie où Arsène Barbaluc présente son premier livre. Malheureusement pour lui, terrassé par la grippe, l’ancien inspecteur gastronomique doit garder la chambre. Lorsque le corps d’une troisième victime égorgée est découvert, depuis le fond de son lit Arsène mène une contre-enquête.
Prenez un don Juan, une compagne possessive, un enfant différent des autres, des femmes délaissées, des maris jaloux, un gendarme opiniâtre, une beauté fatale… Ajoutez une poignée d’indices et une pincée de mensonges, puis aupoudrez le tout de quelques faux-semblants avant de laisser mijoter, et vous obtenez une affaire criminelle à faire trembler Pont-l’Abbé et le pays bigouden.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Christophe Chaplais, né en 1965, partage son temps libre entre la Bretagne et la côte catalane. Après plusieurs années d’absence, il reprend les enquêtes d’Arsène Barbaluc, son héros favori, qui allie gastronomie et affaires criminelles.
Intrigue aux petits oignons, personnages à la sauce aigre-douce, rebondissements entre la poire et le fromage… Rien de tel pour vous concocter des suspenses qui ne manquent pas de piment.
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À Victoria et Lucas,en souvenir d’un été si particulier à Kérity.
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
— Tu ne vas pas encore te mêler de ce qui ne te regarde pas, râla Magali Krommel inquiète.
Elle désignait à Arsène Barbaluc la une du Télégramme de Brest : « Le tueur de Pont-l’Abbé court toujours. » La jeune femme acheta quelques magazines au point presse de l’aéroport de Brest-Guipavas avant de se diriger vers la porte d’embarquement.
— Je vais à Pont-l’Abbé pour mon livre. Juste pour mon livre. Je te rappelle que si je n’avais pas pris cet engagement depuis plusieurs mois, je serais avec toi dans l’avion pour Copenhague. À quelle heure arrives-tu ?
— J’ai à peine cinquante minutes d’attente à Charles-de-Gaulle, puis deux heures de vol. Le temps de passer la douane, de retrouver mon frère qui m’attendra à l’aéroport, je serai chez mes parents aux environs de 23 heures, je pense, calcula la jeune femme.
— Tu leur donneras le bonjour et tu souhaiteras un prompt rétablissement à ton père.
Ils s’embrassèrent. Avant de disparaître dans le couloir, Magali Krommel se retourna.
— Ne manque pas notre rendez-vous à Charles-de-Gaulle ! Et ne sois pas malade, tu es tout pâle.
Arsène Barbaluc n’était pas près d’oublier. Lui et Magali avaient fermé pour trois semaines leur restaurant L’Assiette du terroir situé sur les quais à Brest. Des jours de vacances attendus depuis longtemps. Initialement, ils avaient envisagé de s’autoriser quelques jours de repos chez eux, dans leur maison de Porspoder, avant de s’envoler une grosse semaine pour Rome. Prévus de longue date, ces congés avaient été bouleversés à la fois par les problèmes de santé du père de Magali, mais aussi par la carrière naissante de Barbaluc en tant qu’auteur. Depuis longtemps, sa compagne poussait Arsène à écrire un livre sur ses bonnes adresses et ses recettes du terroir. Entre son passé d’inspecteur gastronomique et les fournisseurs qu’il faisait travailler pour leur établissement, il possédait un savoir, un réseau et un répertoire incomparable. Arsène Barbaluc s’était donc lancé avec l’aide de sa complice, ancienne cheffe étoilée, dans l’écriture d’un guide qui, sans être exhaustif, était des plus complets. Au fil des pages, il communiquait l’adresse de tous les producteurs de salaisons, de viandes, de légumes et de fruits… mais aussi les viticulteurs qui proposaient des produits authentiques, de qualité, assurant leur production sans chimie. Il listait également toutes les spécialités de terroir connues et inconnues du grand public, n’hésitant pas à communiquer leur secret de fabrication et les recettes pour les réussir. Surfant sur la vague du combat contre la malbouffe et l’intérêt enfin grandissant du bio, mais aussi sur son nom qui faisait encore référence dans le petit monde de la gastronomie, Arsène Barbaluc n’avait eu aucun mal à trouver un éditeur.
Sorti en septembre, Le Catalogue de la gourmandise avait reçu un bon accueil et les ventes étaient au-dessus de ses espérances. Arsène Barbaluc avait eu le droit à plusieurs papiers et quelques interviews dans la presse généraliste, mais aussi dans les colonnes des médias spécialisés. Le sachant très occupé avec son restaurant, son éditeur avait promis de ne pas trop le solliciter pour les différents événements littéraires ou gastronomiques, mais lui avait imposé d’être au prochain Salon du livre à Paris, et surtout à celui du livre et de la gastronomie qu’il organisait chaque mois de novembre dans une ville différente. Après Beaune, Cognac, Collioure puis Sarlat, l’édition 2023 se tiendrait à Pont-l’Abbé, capitale du pays bigouden. Il était difficile à Arsène Barbaluc de refuser alors qu’il ne vivait et travaillait qu’à une petite heure de route.
Arsène Barbaluc patienta jusqu’à ce que l’avion de Magali décolle, avant de rejoindre sa vieille Volvo Amazon. Il soupira. Un peu ours et soucieux de sa tranquillité, il n’aimait pas particulièrement être mis en avant. Cela lui était même désagréable. Il n’avait aucune envie de passer quatre jours assis derrière une table à faire la promotion de son livre. Si seulement Magali avait pu l’accompagner comme cela avait été imaginé, la situation aurait été différente ! Les journées auraient coulé plus rapidement. Ils se seraient retrouvés pour le déjeuner et au moins le soir ils auraient été ensemble.
En ces premiers jours de novembre, la météo était exécrable. Depuis trois jours, une pluie drue ne cessait de tomber, grossissant les cours d’eau qui menaçaient de déborder. Déjà, certains champs dans la campagne finistérienne n’étaient plus que d’immenses flaques boueuses. Il s’arrêta dans Brest pour acheter du paracétamol et des pastilles pour la gorge avant de prendre la “bi-route”. Il était temps qu’il arrive à Pont-l’Abbé. Quelques kilomètres de plus, et bercé par le ronronnement du moteur et la douce chaleur de l’habitacle, Arsène Barbaluc se serait assoupi. En descendant de voiture, il frissonna et releva la capuche de sa parka. “L’hôtel des Dentellières”, situé sur le quai Saint-Laurent, était une longue bâtisse construite sur quatre niveaux dont le dernier étage s’abritait sous un toit d’ardoises quelque peu moussues. Elle faisait face à la rivière Pont-l’Abbé en aval du pont habité. Le rez-de-chaussée était constitué de l’accueil encadré d’un côté par la salle de restaurant et de l’autre par le bar. À cette heure, proche de l’apéritif, les habitués avaient pris d’assaut le comptoir. Les discussions allaient bon train et le sujet majeur était les deux femmes, toutes deux habitantes de Pont-l’Abbé, qui avaient été assassinées. Derrière sa banque, Soizic Eyremont était satisfaite. Entre les participants au Salon du livre et de la gastronomie et les journalistes qui suivaient l’enquête, elle affichait complet. Elle se tourna vers Arsène Barbaluc. Elle pouvait avoir une petite cinquantaine d’années, les cheveux bruns en queue-de-cheval laissant apparaître un joli visage parsemé de taches de rousseur, éclairé par des yeux bleus pétillant de malice.
— Chambre numéro 20, lui annonça-t-elle. Vous avez l’escalier et l’ascenseur sur votre droite.
— Merci, Madame.
— Bonjour, c’est à vous la Volvo 123 GT ? lui demanda un adolescent qui paraissait avoir grandi trop vite et qui ressemblait trait pour trait à sa mère.
— Oui…
— C’est un modèle de 1968. Son quatre cylindres de 1,8 litre, grâce à un carburateur double corps, dégage un couple de 15,5 mkg et développe 100 ch Din et…
— Arrête, Malo ! lui commanda sa mère. Tu importunes Monsieur.
— Mais pas du tout. Comment se fait-il que tu connaisses tout cela ?
— La 123 GT fait partie de la famille des Volvo 120, appelée aussi Amazon. Elle est la première voiture de série équipée de ceintures de sécurité. Elle a été produite à six cent soixante-sept mille exemplaires, récita le gamin sans répondre à la question d’Arsène Barbaluc.
— Excusez mon fils, Monsieur. Il est… Il n’est pas comme les autres.
— Il n’y a pas de mal. Il m’a surtout l’air d’un garçon passionné par les voitures.
— Ce n’est rien de le dire. Il a été diagnostiqué autiste Asperger, alors ses passions sont parfois obsessionnelles.
D’un signe de tête, Arsène Barbaluc fit signe qu’il comprenait.
— Avez-vous un parking ?
— Oui. Vous prenez sur la droite et vous passez sous le premier porche. Il doit rester encore quelques places.
Arsène Barbaluc regarda Malo dont le regard le fuyait.
— Cela te dirait de m’accompagner. Je crains de ne pas trouver mon chemin sans aide. Cela ne vous dérange pas, Madame ?
— Si Malo a envie, je n’y vois pas d’inconvénient.
— Je suis d’accord, assura le jeune garçon, un sourire au coin des lèvres qui dessinait sur sa joue gauche une petite fossette.
Ils coururent sous la pluie battante et s’installèrent. L’adolescent accrocha sa ceinture et posa ses mains bien à plat sur ses genoux. Ses yeux allaient de droite à gauche et semblaient noter tous les détails.
— Elle est très belle. Elle est totalement d’origine, affirma-t-il.
— Oh ! je crois que j’ai raté le porche, avoua Arsène Barbaluc qui jeta furtivement un regard à son passager.
— Ce n’est rien. Je vais vous guider, assura Malo semblant ne pas s’être aperçu de la supercherie.
Arsène longea la rivière, prit sur sa droite l’avenue de Kerarthur pour revenir sur la rue du Général-de-Gaulle, puis revint sur les quais. Cette fois-ci, suivant les indications du jeune garçon, il franchit le porche qui donnait sur le parking, à l’arrière de l’hôtel.
— Merci, Monsieur.
— C’est moi qui te remercie de m’avoir aidé.
La chambre était spacieuse et propre. Le lit semblait confortable, peut-être un peu trop mou. La décoration était quelconque, mais évitait le mauvais goût. La fenêtre donnait sur le quai et la rivière qui, sous l’effet conjugué de la pluie et de la marée, était bien haute. Sur sa gauche, en se penchant, Arsène Barbaluc pouvait apercevoir le pont habité. Il rangea ses quelques affaires ainsi que son ordinateur portable qu’il posa sur un étroit petit bureau. Il se passa de l’eau sur le visage. Il avait chaud et en même temps il frissonnait. Il avala un nouveau cachet de paracétamol et s’allongea. Il avait quelques minutes avant de se rendre à la soirée inaugurale du Salon du livre et de la gastronomie.
Rue Rostropovitch, le centre culturel du Triskell, avec son toit en zinc et sa façade en verre encadré de montants jaunes, affichait un style résolument moderne. Dans le hall, un traiteur et son personnel s’affairaient pour préparer le vin d’honneur qui succéderait au discours. Arsène Barbaluc déambula dans la salle polyvalente où les stands des éditeurs et autres exposants étaient installés et attendaient de pied ferme les visiteurs qui ne manqueraient pas de se presser dès l’ouverture le lendemain matin. Quelques techniciens et monteurs terminaient les dernières finitions. Il suivit les petits panonceaux bleutés qui le guidèrent jusqu’à la salle de spectacle Violette Verdy qui était déjà occupée aux trois quarts. Il salua de la main Armand Drouval, son éditeur et organisateur du Salon. Grand et massif, celui-ci portait beau ses soixante-dix printemps avec ses cheveux blancs coiffés en arrière. Il agitait, avec force gestes théâtraux, ce qui devait être son discours, sous le nez d’un petit homme. Il paraissait surexcité… comme à son habitude. Arsène Barbaluc se laissa tomber sur l’un des fauteuils rouge orangé. Lui se sentait lessivé et aurait payé cher pour être ailleurs.
En attendant le début des festivités, Arsène Barbaluc se concentra sur le programme du Salon. L’ouverture au grand public aurait lieu le lendemain matin, samedi 9 novembre, jusqu’au mardi soir. Au-delà de la présence des auteurs de livres sur la gastronomie au sens le plus large du terme, son ami le chef Stéphane Santec du “Caveau bigouden” donnerait des cours de cuisine chaque matin et chaque après-midi en complément des dégustations de ses spécialités. Arsène Barbaluc se régalait à l’idée de retrouver celui qui concoctait dans les cuisines de son ancien prieuré des plats mariant la cuisine traditionnelle de sa Bretagne natale et les saveurs qu’il avait découvertes lors de ses nombreux voyages en Asie.
Chaque après-midi, Armand Drouval avait organisé des tables rondes sur des sujets aussi variés que : « Un vignoble breton : hérésie ou réalité de demain ? », « Agriculture bio ou raisonnée ? » ou encore « Est-ce la fin de la grande gastronomie ? » Connaissant une majorité des participants, pour la plupart des spécialistes ayant pignon sur rue, certaines tables rondes s’annonçaient des plus animées. Enfin chaque soir, dans cette même salle, serait projeté un film grand public.
La programmation éclectique avait ainsi prévu La Grande Bouffe de Marco Ferreri, mais aussi Ce qui nous lie de Cédric Klapisch ainsi que Une affaire de goût et L’Aile ou la Cuisse qui amuserait certainement les plus petits et les anciens.
Sur l’estrade, le maire tapota sur le micro.
— Monsieur le député, Monsieur le conseiller départemental, Mesdames et Messieurs les élus, chers Pont-l’Abbistes, Mesdames et Messieurs, chers amis, cher Armand Drouval. Je disais cher Armand Drouval, car comment vous remercier publiquement d’avoir choisi la capitale du pays bigouden pour la dix-septième édition de votre Salon du livre et de la gastronomie…
Une dizaine de minutes plus tard, c’est sous un tonnerre d’applaudissements que le premier magistrat de la ville céda sa place à Armand Drouval.
— N’étant pas très rompu ni aux questions de protocole ni aux mondanités…
« Quel menteur ! » songea Arsène Barbaluc.
— … je me permettrai donc de faire un salut général, avec une mention particulière à Monsieur le maire et à son équipe pour le formidable accueil qu’ils nous ont réservé. Je ne vous cacherai pas ma joie d’être ici pour cette nouvelle édition. Le bon roi Henri IV disait : « Bonne cuisine et bon vin, c’est le paradis sur terre. » N’y voyez pas de ma part un rattachement aux royalistes. Républicain je suis, et républicain je resterai.
Interrompu par de nombreux rires, Armand Drouval se rengorgea de plaisir avant de poursuivre.
— Mais je dois reconnaître que ce monarque célèbre pour sa poule au pot n’avait pas tout à fait tort. En effet, même si les mentalités évoluent, il nous faut encore combattre les grandes chaînes de la malbouffe pour que chacun puisse avoir accès à une nourriture saine et de qualité. Même si les éleveurs qui se détournent de l’élevage intensif, les agriculteurs et les viticulteurs qui se tournent vers le bio sont de plus en plus nombreux, le combat n’est pas encore complètement gagné. Je pense aussi à ces restaurateurs qui ont leur propre jardin et qui proposent des légumes et des plantes aromatiques oubliés, mais aussi à cette nouvelle race de boulangers qui n’hésitent pas à travailler l’épeautre, le sarrasin ou des types de blés jetés aux orties faute de rentabilité. Qui peut se plaindre d’un gigot d’agneau élevé sous la mère et qui a gambadé dans les pâtures du Sisteronais ou dans les prés-salés du Mont-Saint-Michel ? Y a-t-il une seule personne se plaignant de la tendresse et du goût d’un cochon noir des Pyrénées, d’un bon bar de ligne ou d’une poignée de girolles revenues à la crème ?
Arsène Barbaluc soupira. Il avait mal à la tête et s’il le faisait avec talent, Armand Drouval s’écoutait comme toujours parler. Enfin, l’organisateur du Salon tourna sur son pupitre l’ultime page de son discours.
— … je vous souhaite à tous un bon Salon. Si vous me le permettez, pour finir une dernière citation : « Le jus de la vigne clarifie l’esprit et l’entendement. » Ainsi, comme l’a si bien dit François Rabelais, je vous invite à poursuivre cette soirée devant un verre qui nous est offert par la mairie de Pont-l’Abbé.
Tout ce beau monde se dirigea dans un joyeux brouhaha vers le buffet installé dans le hall. Arsène Barbaluc était toujours surpris de voir comment la majorité des humains se comportait dans de telles circonstances. Ils se précipitaient vers les tables et surtout restaient campés devant. À croire qu’ils ne mangeaient pas chez eux, ou pire qu’ils étaient d’une telle avarice que se gaver gratuitement était une aubaine à ne pas laisser passer. Il reconnut, parmi la foule qui se précipitait sur les gougères et les petits fours, plusieurs auteurs dont un Anglais qui, avec son guide annuel sur le vin, faisait la pluie et le beau temps dans sa spécialité. Une petite cour s’était formée autour de lui. Il est vrai qu’il était “la” vedette du Salon… comme chaque année. Ne partageant les honneurs que lorsqu’un chef triplement étoilé était présent. Mais cette année, l’organisateur n’avait pas réussi à en attirer un seul.
— Alors ? Mon discours a dû te plaire ? l’interrogea Armand Drouval.
Sans attendre la réponse, il avait suivi un de ses régisseurs qui semblait débordé par un problème d’alimentation électrique sur certains stands. Il fendit la foule en disant à la cantonade « qu’il devait tout faire ». Une main amicale posée sur l’épaule d’Arsène Barbaluc le fit sursauter.
— Cela fait plaisir de te voir.
— Clay ! Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pourtant pas sur ton territoire.
Le lieutenant Clay Ajouba et Arsène Barbaluc avaient sympathisé lors d’un séjour de ce dernier à Quiberon où ils avaient démantelé ensemble une bande de maîtres chanteurs des plus retors.
— Et si ! Pour une petite année.
— C’est-à-dire ?
— J’ai enfin obtenu une mutation pour la Martinique.
— C’est Félixine et tes filles qui doivent être heureuses.
Le lieutenant Ajouba, originaire de la Guadeloupe, avait épousé une Martiniquaise. Jusqu’à maintenant, il avait mené brillamment sa carrière en métropole. Sa femme espérait depuis longtemps un retour dans les Caraïbes.
— Nous sommes tous les quatre ravis, mais en attendant mon départ on m’a demandé d’assurer la direction de la brigade de Pont-l’Abbé, expliqua le gendarme.
— Et tes femmes t’ont suivi ?
— Non, elles sont restées dans le Morbihan, nous n’allions pas changer les filles d’école et d’environnement pour quelques mois. Moi, je rentre à Quiberon quand je peux. En ce moment, je t’avoue que ce n’est pas souvent.
Un serveur passa avec un plateau proposant des coupes de crémant.
« Trop vert », pensa Arsène Barbaluc après avoir avalé une petite gorgée.
— C’est vrai qu’avec ce double meurtre, tu dois être plus qu’occupé. On ne peut pas dire que pour ton dernier poste dans l’Hexagone, tu sois particulièrement chanceux.
— C’est le moins qu’on puisse dire. Et quoi qu’on en dise, nous n’avons pas l’ombre d’un début de piste, avoua à mi-voix Clay Ajouba. On cherche à rassurer, à calmer les esprits, mais nous sommes en plein brouillard. La seule chose que nous savons, c’est qu’un même individu, mettant en œuvre le même processus et utilisant la même lame, a égorgé deux habitantes de Pont-l’Abbé.
Le lieutenant Ajouba avait le visage fatigué et les traits tirés.
— Je suis certain que tu vas réussir à mettre la main dessus, tenta de le rassurer Arsène Barbaluc.
— J’espère que tu as raison. Ce que je crains c’est que nous ayons affaire à un tueur en série et que nous ne soyons qu’au début de l’histoire. Avec toutes les conséquences qui accompagnent ce genre d’enquêtes. Les gens, surtout les femmes, ont peur et vivent dans la psychose. Le maire me disait que plusieurs habitantes de la ville avaient demandé à être accompagnées par la police municipale lorsqu’elles sortaient le soir…
Un homme, la tête rasée, au faciès anguleux adouci par des yeux de cocker, les interrompit.
— Excusez-moi, Lieutenant, mais j’aurais souhaité vous parler quelques instants. Je crois que j’ai quelques hypothèses intéressantes sur l’affaire à vous soumettre, déclara-t-il sur le ton de la confidence en cherchant à éviter que Barbaluc ne puisse saisir ses propos.
— Nous nous verrons demain, Constant. À la brigade, à 8 heures, je vous promets de vous accorder le temps que vous voudrez.
L’homme remercia le lieutenant Ajouba presque servilement avant de s’éloigner.
— C’est qui ce type ? demanda Arsène Barbaluc curieux.
— C’est un brave homme. Il n’y a pas si longtemps, Guillaume Constant était adjudant de gendarmerie dans la région parisienne. C’était un bon, même un très bon, mais après la mort de sa femme il s’est mis à boire un peu trop. Un jour, en opération, il a commis une faute grave qui aurait pu se terminer en catastrophe. Bref, il n’est pas passé loin d’une grosse bavure. Alors, comme il avait plus de trente-six ans de service, ils l’ont mis à la retraite d’office, même s’il n’avait que cinquante-six ans. C’était il y a dix-huit mois, il ne s’en est toujours pas remis. La gendarmerie c’était toute sa vie. Il est venu passer sa retraite dans sa résidence secondaire à Pont-l’Abbé. Et depuis, il n’a de cesse que de nous aider. Il a enquêté sur un vol de voiture. Il fouinait partout et nous avons dû y mettre le holà, car comme il n’a pas de carte professionnelle, je veux dire par là qu’il ne s’est pas déclaré comme détective privé, les gens se sont plaints. Depuis le premier meurtre, il ne se passe pas deux jours sans qu’il ait une idée sur la manière de conduire l’enquête, soupira le lieutenant Ajouba.
— Tu n’as qu’à l’envoyer sur les roses.
— Facile à dire ! Mais j’ai l’impression que cette histoire l’a ragaillardi. Je crois qu’elle lui évite de penser à autre chose. Alors j’essaye de le tenir le plus éloigné possible, sans le renvoyer complètement dans les cordes.
— En fait, ici, tu fais gendarme et psy, plaisanta Arsène Barbaluc.
Clay Ajouba éclata de rire.
— C’est un peu ça. Mais tu sais, l’adjudant Constant me fait de la peine. Il a perdu en quelques mois ses deux raisons de vivre : sa femme et son boulot. Cela fait beaucoup !
Des cris et des gesticulations attirèrent leur attention. À côté des parts de pizza et de quiches lorraines, une dispute avait éclaté. Un homme à la carrure impressionnante, reconnaissable à sa casquette irlandaise en patchwork vissée sur sa tête, devant culminer à plus d’un mètre quatre-vingt-dix, faisait face à un bout de femme qui le houspillait sans ménagement.
— Bien sûr que si, je t’ai vu lui faire du charme, disait-elle. Ne me prends pas pour une conne !
— Mais pas du tout.
Une femme d’une trentaine d’années qui tenait par le bras son compagnon chercha à intervenir.
— Je vous assure, Madame, que ce n’est pas le cas ! dit-elle.
— Oh ! toi, l’aguicheuse, je te conseille de la fermer.
— Charlotte, tu te fais des idées…
La Charlotte en question attrapa la barbe blonde et bien taillée du géant et tira dessus. Il posa sa grosse main sur la sienne et la fit lâcher.
— Ça suffit maintenant, gronda-t-il d’une voix de stentor. Tu te donnes en spectacle. Tu te ridiculises. Tu devrais rentrer chez toi. On se verra lundi quand tu seras calmée. Le week-end, chez moi, est synonyme de travail et pas de fornication. Et tu le sais très bien.
Le maire arriva sur ces entrefaites et avec diplomatie mit fin à la crise. Le petit bout de femme, le visage empourpré, se dirigea vers le vestiaire en faisant claquer ses minces talons, récupéra son manteau et fila vers la sortie. Le couple se fondit dans la masse et le géant à la casquette de toutes les couleurs s’approcha du buffet et s’enfila coup sur coup deux flûtes de crémant.
— C’est animé Pont-l’Abbé.
— Oh, c’est toujours la même histoire ! Le grand à la casquette, c’est Loïc Blaizec. Un peintre connu et reconnu.
Effectivement, Arsène Barbaluc se rappela qu’il avait lu plusieurs articles sur cet artiste qui, dans un style chatoyant et bien à lui, couchait sur la toile les paysages bretons, des scènes de la vie de tous les jours, mais aussi des portraits. Il ne l’aurait jamais imaginé avec un tel physique. Comment des mains et des doigts aussi larges et épais pouvaient-ils manier avec autant de dextérité des pinceaux ?
— Il a aussi la réputation d’être un homme à femmes, du moins c’est ce que dit la rumeur, et sa compagne du moment Charlotte Massembray est, paraît-il, d’une jalousie féroce.
— On le dirait. Les soirées chez eux doivent être sympathiques, affirma Arsène Barbaluc.
— Blaizec n’est pas si fou. Certes, ils sont ensemble, mais toujours d’après les gens bien informés, chacun vit chez soi.
L’artiste ne semblait pas avoir été plus affecté que cela par l’altercation. Avec deux autres hommes, il riait à gorge déployée.
— C’est un personnage ici. Grande gueule, bon vivant, c’est un homme attachant. Et puis ses tableaux sont magnifiques. J’en accrocherais volontiers un dans mon salon, mais pour ça il faut que je me découvre un oncle d’Amérique ou que je gagne au loto. Si cela t’intéresse, tu peux les voir rue Jean-Jacques-Rousseau. Il possède sa propre galerie. C’est sa sœur qui la tient. Elle aussi, c’est un personnage.
Le lieutenant Ajouba discuta encore quelques minutes avec Arsène Barbaluc avant de prendre congé. Les deux hommes se promirent qu’ils essayeraient de déjeuner, ou de dîner ensemble, durant le court séjour en pays bigouden d’Arsène Barbaluc.
— Et prends soin de toi ! Tu n’as pas l’air en forme, ajouta le gendarme en checkant le poing de son ami.
Arsène Barbaluc avait discuté avec un ancien du guide Le Gastronome français où il avait été inspecteur gastronomique pendant plus de vingt ans. Les retrouvailles étaient chaleureuses et ils avaient discuté un bon moment chiffons, ce qui pour eux signifiait grands crus, petits producteurs frôlant l’excellence, tables déclassées, gastronomie, nouvelle génération de chef… Mais le patron de L’Assiette du terroir, en s’excusant, avait écourté leur discussion. Il avait mal à la tête et son corps était parcouru de frissons. Il se dit qu’il serait bien mieux au fond de son lit. Alors qu’il s’apprêtait à quitter le hall du Triskell, Armand Drouval le héla.
— Ah ! Arsène. Je t’avais perdu. Tu t’en vas déjà ? s’étonna l’éditeur et organisateur du Salon.
— Je ne me sens pas très bien.
— Une bonne nuit de sommeil et tu seras en pleine forme. Je te cherchais, car un de tes admirateurs se désespérait de te rencontrer.
Et sur ces mots, il abandonna Arsène Barbaluc face à un homme de son âge, les cheveux bouclés et grisonnants avec de petites lunettes rondes aux verres épais qui cachaient des yeux un peu trop enfoncés.
— Vous ne me reconnaissez pas ? demanda-t-il d’une voix un peu trop mielleuse.
— Je suis désolé, mais votre visage ne me dit rien.
— Réfléchissez un peu !
— Non, vraiment je ne vois pas.
— Je suis Pascal Herrest. L’ancien patron du restaurant “Le Galencia” à Rennes.
Quelques secondes furent nécessaires à Arsène Barbaluc. Le Galencia, restaurant gastronomique qui avait eu jusqu’à deux fourchettes dans le guide du Gastronome français. C’était Barbaluc qui lui avait retiré sa dernière fourchette lors de son ultime année comme inspecteur gastronomique.
— À votre mine, je vois que vous vous souvenez enfin de moi. Vous m’avez ruiné, monsieur Barbaluc. Vous avez détruit trente ans de labeur.
— J’en suis désolé, mais…
— Vous n’êtes pas désolé. Vous n’en avez rien à foutre ! Vous venez, vous jugez, et puis basta. Sans vous préoccuper des conséquences. Qui êtes-vous pour vous autoriser à détruire la vie des gens ? s’emporta l’ancien chef du Galencia. Vous n’êtes qu’un parasite qui souille le travail d’honnêtes gens comme moi. Je voulais vous dire que vous n’êtes qu’une pauvre merde, monsieur Barbaluc.
La diatribe de Pascal Herrest avait attiré autour d’eux quelques curieux et avivé la mémoire de l’ancien inspecteur gastronomique.
— Mais c’est vous, tout seul, qui avez perdu vos distinctions et votre clientèle. Je me souviens très bien maintenant. Si ma mémoire est bonne, cela faisait cinq ans que votre chiffre d’affaires était en baisse, preuve que les clients commençaient à déserter votre boui-boui. Nos inspections ont juste confirmé ce que pensait déjà votre clientèle.
— C’est-à-dire ?
— Depuis quelque temps, vous ne cherchiez plus les bons produits, mais ceux sur lesquels vous pouviez faire le plus de marge. Lors de ma dernière visite, vous m’aviez servi des langoustines au fenouil. Langoustines qui, vous en conviendrez, n’avaient pas dû voir l’océan depuis bien longtemps ! Quand on pratique les prix que vous affichiez, il faut au moins que les produits soient frais, de qualité, et…
— Et ?
— En conclusion, vous serviez à prix d’or de la merde. Ce qui est votre droit le plus strict, il n’y a pas de loi contre cela, mais pas en trompant votre clientèle.
Arsène Barbaluc le planta là. Il avait adoré sa vie d’inspecteur gastronomique, non pas pour le plaisir de critiquer, mais au contraire pour la joie qu’il éprouvait à mettre en avant ceux qui à leur manière, à leur niveau, cherchaient à régaler leurs clients. Et puis, il y avait les moments moins agréables où l’on croisait sur sa route des truqueurs, des malhonnêtes. Il y en a dans toutes les professions et la restauration ne fait pas exception à la règle. L’ancien patron du Galencia en était le parfait exemple. Arsène Barbaluc se dit qu’il était bien plus heureux à travailler avec Magali dans son propre établissement.
En roulant, Arsène avait rappelé Magali qui avait cherché à le joindre à deux reprises. Il fut heureux d’apprendre que la convalescence de son père se poursuivait sans anicroche. Avant de raccrocher, il prit des nouvelles de toute la famille.
— Ils t’embrassent tous et regrettent que tu n’aies pas pu venir.
— Moi aussi, je serais mieux avec vous à Copenhague qu’ici tout seul, assura-t-il en se souvenant de l’altercation qu’il avait eue avec Pascal Herrest.
À l’hôtel des Dentellières, le personnel finissait de ranger la salle du restaurant. À l’opposé, dans le bar, les chaises étaient déjà sur les tables, Soizic Eyremont, la patronne, essuyait les derniers verres. Au bout du comptoir, Malo avait les yeux dans le vague. En voyant Arsène Barbaluc dans le hall, elle lui fit signe d’entrer. Il examina le sol en hésitant.
— Je ne voudrais pas tout salir.
— Non, ne vous inquiétez pas, le carrelage est sec. Je vous offre quelque chose ? Un petit digestif ?
— Pourquoi pas !
— J’ai un calvados qui, grâce à ma sœur, me vient en direct du producteur.
— Alors, va pour le calvados.
Malo n’avait pas bougé.
— Y a-t-il un souci ? s’inquiéta Arsène Barbaluc.
— Malo s’occupe de la comptabilité et de tout ce qui est informatique. Et dans ce domaine, il est parfait. Il ne commet jamais une faute. Je dois dire aussi qu’il a une mémoire étonnante. Il n’oublie jamais quelque chose qu’il a vu ou entendu, expliqua Soizic avec fierté. Mais parfois, quand il y a du monde, je lui demande de servir aussi au bar. Malo ne regarde que très rarement les gens en face. Ce n’est pas de l’impolitesse, c’est sa façon d’être. Avec les habitués qui le connaissent bien il n’y a jamais de problème, au contraire, ils sont plus que bienveillants. Ils sont même généreux avec lui et souvent lui laissent un petit pourboire. N’est-ce pas, Malo ?
Le jeune garçon ne répondit pas.
— Mais ce soir, c’était le coup de feu ! Avec l’équipe, nous n’avons pas fait attention et nous l’avons laissé servir des inconnus. Et l’un d’eux n’a pas apprécié la manière de faire de Malo. La différence est parfois insupportable, pour certains.
Arsène Barbaluc, d’une mimique hésitante entre le sourire et la grimace, compatit.
— Et quand Malo est en échec, il se renferme sur lui-même. Parfois, il faut plusieurs jours pour qu’il sorte de son mutisme, soupira la mère de Malo.
Arsène Barbaluc trempa ses lèvres dans le verre de calvados après l’avoir humé avec gourmandise. Il sortit son smartphone et chercha dans les photographies qui y étaient stockées. Puis il le glissa devant Malo.
— Toi qui connais bien les voitures, est-ce que tu reconnaîtrais celles-là ?
Lentement, Malo accepta de le prendre dans ses mains aux doigts longs et fins.
— Tu peux les faire tourner de droite à gauche, lui précisa Arsène Barbaluc.
— Je sais. C’est une Opel Commodore coupée GS/E seconde génération. Son six cylindres développe soit 150, 155 ou 160 ch.
— Celle-ci en fait 160.
— Les jantes étaient une option d’époque.
— Continue, l’encouragea Arsène Barbaluc.
— Ça, c’est une MGB GT, mais…
Avec deux doigts, il agrandit l’image.
— Ouah, c’est une V8 ! Je la reconnais à ses jantes spécifiques et ses monogrammes. Il y en a eu moins de trois mille qui ont été construites et seules une poignée avec la conduite à gauche. Elle est très rare.
— Celle-là avait la conduite à droite et elle a été modifiée.
— C’est dommage. Il vaut toujours mieux garder une voiture de collection en état d’origine, lança Malo très sérieusement, arrachant un sourire à Arsène Barbaluc.
— Et la dernière ? l’interrogea-t-il.
— C’est une Reliant Scimitar. C’est un des premiers Shooting Break. J’adore. Et puis avec son V6 Ford Essex ses performances sont loin d’être ridicules. Vous saviez que ce moteur devait avoir une version diesel et que finalement l’idée a été abandonnée ?
— Je l’ignorais.
Les yeux de Malo brillaient.
— Elles sont toutes à vous ?
— Oui.
— Vous en avez de la chance. Alors vous êtes un vrai collectionneur passionné !
— Oui, comme toi.
— Mais moi, je ne peux pas conduire. Je ne saurai jamais faire… mais je fais des fiches.
— Malo passe presque tout son temps libre à écrire des compiles sur les voitures et à les mettre en page sur son ordinateur, expliqua Soizic Eyremont.
— Je veux écrire le dictionnaire de toutes les voitures produites depuis 1945, assura Malo avec autant de sérieux que de passion.
— Tu devrais les montrer à monsieur Barbaluc, si tu veux bien.
— J’en serai ravi, l’encouragea l’ancien inspecteur gastronomique.
— Oui, mais pas ce soir.
Malo tourna les talons et s’engouffra dans l’escalier.
— Merci à vous ! Vous lui avez rendu le sourire.
— Je n’ai pas fait grand-chose.
— Certes, mais vous l’avez arraché à sa torpeur et ça n’a pas de prix. Je suis sûre que demain nous retrouverons le Malo que tout le monde connaît et apprécie.
Alors qu’il descendait de son tabouret, Arsène Barbaluc sentit sa tête tournée.
— Vous n’avez pas l’air bien.
— Un léger étourdissement, cela va passer.
— C’est vrai que vous êtes tout pâle. Attendez-moi ici !
Soizic Eyremont revint avec une bandelette frontale pour mesurer la température corporelle et la lui colla sur le front. Un verdict sans appel ne tarda pas à tomber.
— Un bon trente-neuf. J’appelle le médecin.
— Cela peut attendre demain, tenta Arsène Barbaluc.
— Je ne crois pas, non. Mettez-vous au lit et je vous monte un grog !
Un calva, un grog… Arsène hésita et puis se dit qu’au pire cela l’aiderait à s’endormir.
Malgré la couverture supplémentaire, qu’il avait prise dans la penderie, il grelottait sous ses draps. Madame Eyremont déposa le breuvage brûlant sur la table de chevet.
— Le médecin arrive dans moins de vingt minutes.
— Merci beaucoup.
— Votre soirée s’est-elle au moins bien passée ?
— Oh ! Vous savez, les pince-fesses ce n’est pas trop ma tasse de thé.
— Je comprends.
— Mais, il y a eu de l’animation au cocktail. La compagne d’un de vos concitoyens lui a fait une crise de jalousie. Tout le monde était très mal à l’aise, raconta Arsène Barbaluc.
— Je vois. Charlotte Massembray a encore fait une scène à Loïc.
— C’est tout à fait ça. Mais comment avez-vous deviné ?
— Pont-l’Abbé est une petite ville, alors nous nous connaissons tous ou presque tous. Charlotte devrait se méfier, car Loïc ne tardera pas à lui donner congé.
— C’est-à-dire ?
— Loïc Blaizec est un véritable don Juan. Il collectionne les conquêtes féminines comme Malo les photographies et les informations sur les automobiles de collection. Ce qui lui plaît, à Loïc Blaizec, c’est la séduction… après il se lasse, vite, très vite. Et comme cela fait déjà plusieurs mois qu’il s’affiche avec elle, ce qui est vraiment beaucoup pour Loïc, cela ne devrait plus tarder, s’amusa-t-elle.
Le docteur Creof avait poussé la porte des Dentellières un peu avant minuit. Il avait largement dépassé l’âge de la retraite, mais ne trouvant personne pour le remplacer, il avait décidé de continuer à exercer quelque temps. Médecin de la famille Eyremont depuis bien longtemps, quand Malo l’entendit, il sortit de son antre situé dans l’appartement qu’il occupait avec sa mère sous les toits. Le médecin prit le temps de discuter quelques instants avec le jeune garçon, avant d’ausculter son patient. Il prit la tension, écouta cœur et poumons, puis examina le fond de la gorge de son patient.
— Êtes-vous vacciné contre la Covid ?
— Oui, dit Arsène Barbaluc en lui présentant son passe sanitaire.
— Bien, alors ce ne doit pas être ça, mais un virus grippal, même si c’est un peu tôt dans la saison. Je vais tout de même vous faire un test PCR, vous aurez le résultat demain matin. En attendant, il faut faire tomber cette fièvre. Et pour cela le paracétamol sera plus efficace qu’un grog, dit-il en souriant et en regardant la tasse sur la table de nuit qui embaumait le rhum.
Malo l’attendait derrière la porte.
— Vous l’emmenez à l’hôpital ?
— Non, il n’y a aucune raison. Mais tu as l’air inquiet ?
— Je l’aime bien. Il est comme moi : il aime les voitures anciennes. Il en a quatre, confia Malo au médecin en chuchotant, comme si cela était un secret.
— Il s’y connaît aussi bien que toi, alors.
— Non, mais il n’est pas mauvais, assura le jeune homme avec beaucoup de sérieux.
Arsène Barbaluc dormit très mal. Comme les rares fois où il avait fait de la fièvre dans son existence, son sommeil était peuplé de cauchemars tous plus absurdes les uns que les autres. C’est le docteur Creof qui le réveilla en pénétrant dans sa chambre sur les coups de 7 heures du matin. Il l’examina à nouveau.
— Bon, la bonne nouvelle c’est que ce n’est pas la Covid. La mauvaise, c’est que vous avez encore pas mal de fièvre. Donc, interdiction de sortir tant que vous aurez de la température. Je vous fais une ordonnance. Je pense que madame Eyremont ne verra pas d’inconvénient à ce que Malo aille vous chercher vos médicaments.