Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Sales affaires sur la Côte d’Émeraude…
Cédric Vial et sa collaboratrice arrivent à Saint-Cast pour effectuer des recherches sous-marines. Aussitôt, les voilà aspirés dans un tourbillon de mensonges, de meurtres inexpliqués et de trafics en tous genres. Ils vont de surprise en surprise, entraînés malgré eux dans la cour des grands malfrats. Soudain, le ti-punch prend un goût de cocktail Molotov et la vie bascule.
Pour mettre le holà à cette escalade, la commissaire Marie-Jo Beaussange est chargée d’enquêter. L’ex-professeur des collèges devenue policière mettra en œuvre tous ses arguments pour rétablir la vérité : son entregent, son courage, ses cellules grises et son charme foudroyant. D’un château à l’autre, de la baie de la Fresnaye au Guildo, Marie-Jo affrontera en solo ses adversaires jusqu’à les faire plier les uns après les autres. Un tour de force et d’élégance dans le cadre enchanteur de Saint-Cast, joyau serti sur la Côte d’Émeraude.
Accompagnez la commissaire Marie-Jo Beaussange dans une affaire palpitante au coeur de Saint-Cast, avec le 3e tome de ses enquêtes !
EXTRAIT
Un vrombissement rageur tira Cédric de sa rêverie. Il entrouvrit sa fenêtre pour mieux entendre. Il distingua la sonorité aiguë d’un moteur deux-temps à haut régime.
Qui pouvait être assez fou pour rouler ainsi sous ces trombes d’eau ? Cédric lança un regard dans le rétroviseur extérieur, côté circulation. Rien à signaler. Soudain, à travers la lunette arrière embuée, il aperçut un éclair écarlate ; l’espace d’une seconde, Cédric eut le sentiment qu’un cavalier de l’Apocalypse déboulait sur la route. Il hurla. Angelina délaissa ses devoirs de vacances et releva la tête. Un scooter rouge fonçait tous feux éteints dans la tourmente. Il soulevait des gerbes d’eau comme un voilier qui remonte au vent.
Sa route improbable se dessinait dans la nappe de flotte recouvrant le bitume. Le conducteur ne portait pas de casque, ses vêtements lui collaient à la peau ; arc-bouté sur son guidon, il se redressait de temps à autre pour apprécier sa trajectoire.
Parvenu à hauteur du 4x4, le pilote du scooter tourna la tête. Cédric lui indiqua de ralentir en agitant ses mains à plat. Peine perdue car le deux-roues se diluait de nouveau dans la grisaille comme il en était sorti une poignée de secondes auparavant. A l’instant où ils allaient le perdre de vue, l’éclat rouge du stop illumina la pénombre. Le scoot freinait en urgence ! Ils suivirent des yeux la lueur soudain zigzagante, puis, le claquement d’un choc retentit.
CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE
Editions Bargain, le succès du polar breton. –
Ouest France
À PROPOS DE L’AUTEUR
Patrice Benoit alias
Patrick Bent, pour le troisième volet de sa suite costarmoricaine, renoue avec ses racines. Élevé au plancton dans son enfance entre Saint-Cast et Marseille – aujourd’hui basé à Erquy – l’auteur met à profit ses séjours répétés en Côtes-d’Armor pour tremper sa plume dans l’océan et dans l’histoire locale. Physicien et infatigable voyageur, sa passion pour la mer éclate une nouvelle fois dans ce thriller échevelé.
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." -
Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 385
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À Luce,À mes enfants, les grands et les petits…À Saint-Cast où j’ai grandi.
REMERCIEMENTS
- À Christine et Jérémie, conseillers techniques en parapente.
- À l’équipe des Éditions Alain Bargain pour son amicale collaboration.
- À mon foutu lumbago (août 2005), qui m’a permis d’avancer ce roman sans me laisser distraire par la pêche au bar.
« …L’histoire est entièrement vraie, puisqueje l’ai imaginée d’un bout à l’autre… »
Boris Vian.
Cédric conduisait le pick-up en douceur sans lâcher les 115 CV qui dormaient sous son capot. La fluidité de la 4 voies Rennes-Brest l’y aurait pourtant autorisé mais le canot semi-rigide qu’il tractait le limitait à 90 km/h. Une charge d’une tonne pour une longueur de 5 mètres, arrimée sur la remorque à double essieu.
Au volant, la prudence de Cédric Vial confinait à la maniaquerie. Il possédait de bonnes raisons de détester la route et, chaque fois qu’un chauffard lui faisait une entourloupe, il voyait rouge. Aujourd’hui cependant, la faible intensité du trafic et les bonnes conditions météo invitaient au voyage en toute quiétude. Rempli d’énergie positive, Cédric avançait en pleine confiance depuis que son projet de création d’entreprise avait obtenu un prix de l’innovation de l’Anvar et un chèque de 300 000 euros à la clef. De quoi démarrer en se donnant les moyens de réussir, sans lambiner certes, mais en prenant le temps de bâtir.
Voilà six mois, sa démission de l’Ifremer avait fait du bruit dans Landerneau. Tant pis ! Ses ambitions
l’appelaient à se réaliser en dehors des structures établies. A l’approche de la quarantaine, Cédric était mûr pour se lancer dans l’aventure. Un projet concret, le fruit de plusieurs années de travail dans sa spécialité – la taxonomie sous-marine, c’est-à-dire la classification des espèces – s’était concrétisé par un brevet dont il partageait les droits avec son ancienne administration. Une fois les statuts juridiques déposés, il s’était retrouvé un matin dans un bureau fraîchement repeint, face à lui-même, devant une page blanche sur laquelle il ne tenait qu’à lui d’écrire. Un saut dans l’inconnu, comme lorsqu’il s’élançait en parapente à la recherche de courants ascendants pour monter encore plus haut.
Si la nature a horreur du vide, les humains, eux, se grisent d’espace. Et Cédric revendiquait son appartenance à l’espèce humaine.
A demi assoupie à ses côtés, Angelina se détendait. Elle avait conduit depuis Paris et son collègue n’avait pris le relais qu’au péage de La Gravelle. Ils filaient maintenant vers l’Ouest, fuyant la capitale et ses fumées. Ils prévoyaient leur arrivée à Saint-Cast vers 19 heures. Angelina et Cédric collaboraient depuis huit ans et, chaque jour, l’efficacité de leur association s’avérait.
A la création de la nouvelle entreprise, la jeune femme avait accepté de suivre son patron sans l’ombre d’une hésitation, plantant là sa fonction semi-publique.
Ainsi pourrait-elle exercer plus fréquemment le meilleur de ses talents, celui de plongeuse niveau IV, BESS, instructrice chevronnée… en apportant à la start-up un savoir-faire nécessaire. Cédric appréciait sa collaboratrice à bien des points de vue et notamment en plongée, où Angelina exprimait la joie de vivre d’une otarie en liberté. Sa petite taille et sa fluidité faisaient merveille. C’était une femme hydrodynamique.
Ses premiers contacts avec la mer remontaient à l’année de sa naissance, en Corse, où son oncle l’avait baignée dans les eaux chaudes de Pinarellu bien avant qu’elle ne sache marcher. Le bébé en avait conservé une appétence chronique pour l’eau salée ; elle y possédait la beauté des sirènes. A terre, sa silhouette potelée et ses grands yeux bleus ne laissaient pas indifférent non plus, mais Cédric ne dérogeait jamais à ses principes : pas de liaison avec ses collègues de travail ni avec ses voisines de palier, fût-il de décompression. Du reste, sans avoir formulé de vœu de chasteté, il consacrait toute sa vitalité à son boulot. Par cette fuite en avant, il espérait se libérer des souvenirs tragiques qui le hantaient, inexorables, à toute heure du jour et de la nuit… La création d’entreprise serait-elle la bonne thérapie ?
Aujourd’hui, Angelina accompagnait son boss pour fouiller les eaux de la Manche, à la recherche d’une algue rare qui permettrait à Thalacare – leur société – d’extraire des zicotonides, un antalgique mille fois plus puissant que la morphine. Tout l’enjeu résidait là. Des études sur des mollusques récoltés aux Philippines et des coquillages de la grande barrière de corail en Australie démontraient la puissance de cette nouvelle substance. Les analyses de Cédric convergeaient et, comme une idée fixe, il en recherchait sur nos côtes de nouvelles sources possibles. Outre cette quête obsessionnelle, Thalacare participait aussi à la course à l’oméga 4 contre les grands laboratoires pharmaceutiques confortés par le succès de l’oméga 3, un produit qui se vendait aujourd’hui à toutes les sauces. Cédric rêvait déjà d’officines aux présentoirs garnis de petites fioles d’omega 4 estampillées « Thalacare ».
Fort de ses certitudes, il s’était lancé dans les préparatifs de sa première expédition. L’écosystème de la baie de la Fresnaye présentait tous les ingrédients du succès ; en quinze jours, Angelina avait rassemblé l’équipement nécessaire et organisé la logistique.
André Delbos, un ami d’enfance de Cédric, possédait une grande maison à Saint-Cast. Un héritage. Une de ces grandes villas familiales perchées sur le coteau, d’un prix inabordable aujourd’hui : Keur N’Gelew1, vue sur la mer et humidité garanties. André mettait son palace à la disposition de Cédric. Entre les deux hommes une amitié d’adolescence jamais démentie poursuivait son bonhomme de chemin. Cédric se souvenait encore d’un mois de vacances formidable passé à la villa voilà une vingtaine d’années dans la famille d’André. Il conservait de Saint-Cast des images de douceur de vivre, de fêtes jusqu’à l’aube dans les boîtes environnantes mais aussi de volley-ball et de sable chaud sur la plage, ainsi que de régates et de parties de pêche. Depuis cet été merveilleux, de l’eau avait coulé sous son étrave et il avait tiré des bords sur les quatre océans, sans jamais repasser par la case “Côte d’Émeraude”. Aujourd’hui, l’occasion rêvée de renouer avec Saint-Cast se présentait pour cette mission. Il avait saisi l’aubaine au terme d’un choix plus affectif que scientifique.
A cette période de l’année, la maison Delbos était inoccupée. Les enfants, scolarisés, ne viendraient qu’à la mi-juillet. Cédric et Angelina pouvaient donc y établir leur camp de base. Les dimensions du jardin permettaient d’y stationner le 4x4 Mitsubishi et le semi-rigide Narwhal nouvellement acquis par Thalacare.
Dès leur arrivée à Saint-Cast, ils trouveraient les clefs chez Catherine Meuron, une femme qui connaissait chaque recoin de la maison. Depuis plus de cinquante ans qu’elle officiait comme bonne à tout faire, gardienne, jardinière voire comme préceptrice des enfants à l’occasion, Catherine appartenait à la famille. Elle avait initié plusieurs générations de Delbos
à l’art des pâtés de sable, aux techniques de la pêche aux lançons ou encore à la culture des radis dans son potager. Catherine se ferait un plaisir d’assister Cédric et Angelina lors de leur séjour à Keur N’Gelew, y compris pour le ménage et la cuisine. Elle pourrait tenir un rôle de gouvernante s’ils le souhaitaient. De surcroît, Catherine vivait avec un ancien officier de la Royale, James, qui possédait un bateau de plaisance mouillé dans le port en eau profonde de Saint-Cast. “Capitaine James”, comme on le surnommait, connaissait la côte comme sa poche ; il pourrait apporter une aide précieuse aux plongeurs et assurer leur sécurité. Son Rhéa 7,50 permettait de sortir par gros temps et offrait un confort bien supérieur au Narwhal. Cédric ne pouvait rêver meilleure organisation, ainsi Angelina et lui pourraient-ils se consacrer totalement à leurs investigations. En attendant, il leur restait une petite centaine de kilomètres à avaler.
Le matériel de plongée, des instruments de mesure, des ordinateurs et des sacs volumineux occupaient la banquette arrière et la plate-forme du pick-up dans un ordonnancement quasi militaire. Rien n’avait été laissé au hasard pour le succès de la mission.
Cédric avançait, il regardait devant lui le plus loin possible, comme on le lui avait enseigné jadis à l’auto-école.
A l’horizon, une masse de nuages sombres s’élevait. Çà et là, des rayons de soleil isolés éclaboussaient encore la campagne mais une sacrée rincée se préparait. Les cieux, de moins en moins engageants, s’assombrissaient à vue d’œil. A hauteur de la bifurcation vers Caulnes, le pick-up ralentit puis s’engagea sur la bretelle en direction de Dinan. Arrivés sur la D 766, un grondement de tonnerre retentit et de grosses gouttes maculèrent le pare-brise, d’abord sporadiques, puis en crépitement continu. Angelina releva la tête et ouvrit les yeux.
— Je crois que je me suis endormie. Où sommes-nous ?
— Nous venons de quitter la voie rapide. En principe, nous serons à Saint-Cast dans moins d’une heure… à moins que l’orage ne fasse des siennes.
— Possible, acquiesça-t-elle, les yeux troublés de sommeil. Espérons qu’il passera plus loin.
Un éclair zébra le ciel devant eux.
— Cette fois, ils nous ont flashé plaisanta Cédric, j’avais pourtant évité le radar de Bédée, mais là c’est…
La fin de sa phrase fut couverte par un éclat de tonnerre, un craquement sec suivi d’un roulement sourd et la pluie redoubla. Il alluma les phares et actionna les essuie-glaces à la vitesse maximale, tout en collant son nez au pare-brise.
— Rien à faire, on n’y voit plus grand-chose.
— On dirait que la nuit est tombée d’un seul coup.
— On va s’arrêter sur le bas-côté et attendre l’accalmie. Ça ne devrait pas durer.
Le regard rivé à la chaussée, Cédric repéra un emplacement ad hoc pour stationner son équipage, bien en vue dans une ligne droite. Il actionna les warnings, recula son siège pour étaler ses longues jambes et bascula son fauteuil en arrière.
— Et maintenant attendons…
— Attendons qui ? Godot ? plaisanta Angelina.
— Le bon vouloir du ciel et de Saint Météo.
— Soit, admit-elle, mutine, mais nous pourrions trouver une occupation plus excitante…
— Oui, enchérit Cédric en lui tendant un magazine de mots fléchés. Vas-y, c’est excellent pour ce que tu as.
La belle haussa les épaules, sortit un crayon de sa poche et s’attela à la tâche. Cédric tapotait le volant en vérifiant dans le rétroviseur la présence de la bâche sur le Narwhal. Tout paraissait en ordre pour affronter le déluge. Il se renversa sur son siège, les yeux fermés. La pluie tambourinait sur le toit de la voiture. Il songeait à une autre route en hiver, une autre pluie, une autre vie, il y a longtemps. Ce jour-là, il roulait à très petite vitesse en suivant la bordure blanche peinte sur la route. Sa passagère le guidait, elle avait descendu la vitre pour mieux discerner la signalisation, le visage fouetté par l’averse…
Un vrombissement rageur tira Cédric de sa rêverie. Il entrouvrit sa fenêtre pour mieux entendre. Il distingua la sonorité aiguë d’un moteur deux-temps à haut régime.
Qui pouvait être assez fou pour rouler ainsi sous ces trombes d’eau ? Cédric lança un regard dans le rétroviseur extérieur, côté circulation. Rien à signaler. Soudain, à travers la lunette arrière embuée, il aperçut un éclair écarlate ; l’espace d’une seconde, Cédric eut le sentiment qu’un cavalier de l’Apocalypse déboulait sur la route. Il hurla. Angelina délaissa ses devoirs de vacances et releva la tête. Un scooter rouge fonçait tous feux éteints dans la tourmente. Il soulevait des gerbes d’eau comme un voilier qui remonte au vent.
Sa route improbable se dessinait dans la nappe de flotte recouvrant le bitume. Le conducteur ne portait pas de casque, ses vêtements lui collaient à la peau ; arc-bouté sur son guidon, il se redressait de temps à autre pour apprécier sa trajectoire.
Parvenu à hauteur du 4x4, le pilote du scooter tourna la tête. Cédric lui indiqua de ralentir en agitant ses mains à plat. Peine perdue car le deux-roues se diluait de nouveau dans la grisaille comme il en était sorti une poignée de secondes auparavant. A l’instant où ils allaient le perdre de vue, l’éclat rouge du stop illumina la pénombre. Le scoot freinait en urgence ! Ils suivirent des yeux la lueur soudain zigzagante, puis, le claquement d’un choc retentit.
— Putain ! hurla Cédric, il s’est viandé, ce con !
Sans prendre la peine d’enfiler un imperméable, il se rua sur la route et fonça sous la pluie battante. L’épais rideau interdisait d’y voir à plus de quinze mètres. Un foutu orage. Cédric courait sans se soucier de l’eau qui inondait ses chaussures. Des bruits de succion rythmaient chacun de ses pas. Il tentait de garder les yeux ouverts pour s’orienter, mais la violence des impacts lui imposait de les refermer aussitôt. Le sang lui battait les tempes, son corps fumait, il courait comme un fou à la recherche du scooter, balayant du regard la chaussée.
A nouveau d’autres images qu’il pensait enfouies à jamais resurgirent.
Un habitacle de voiture sous la pluie, une autre pluie, moins brutale qu’aujourd’hui avec, à ses côtés, Iris, immobile. Il la secoue mais elle ne bouge plus. Il insiste, il la pince, rien à faire. Elle ne dit plus rien. Pas certain même qu’elle respire. Une sensation de pesanteur troublée, des larmes qui coulent vers le front, il pense être aux antipodes ou bien cul par-dessus tête. La place du mort mérite son nom. Saloperie ! Portière bloquée, ils sont incarcérés. Et puis des gyrophares viennent éclairer la scène, du bleu, de l’orange. Il pense à une boîte de nuit sans musique, et puis, bientôt, le requiem des scies à métaux et des tronçonneuses qui découpent la tôle et, enfin, la délivrance. Il s’ébroue, la pluie s’est transformée en crachin. Il se masse les articulations pendant que les pompiers extirpent le corps d’Iris d’un magma de tôles froissées. Sans un mot, tout le monde a pigé. Les soldats du feu couvrent son corps magnifique d’un linceul argenté. Puis un brancard s’éloigne. On emporte Iris les pieds devant. Prostré dans la fourgonnette des flics, il regarde avec épouvante les deux véhicules encastrés l’un dans l’autre à trois mètres du panneau STOP. Stop la vie ! Le chauffard, lui aussi, a été tué sur le coup, en grillant la priorité. Et les policiers assaillent de questions le seul survivant. La paix, il ne désire que la paix !
D’une main, Cédric releva ses mèches blondes qui lui collaient aux yeux. Là-bas, sur la gauche, la roue arrière du scooter dépassait du fossé et tournait dans le vide, dérisoire. Trois mètres plus loin, dans le champ, le conducteur gisait face contre terre, un sac à dos sanglé à ses épaules. Cédric se précipita et, sans toucher au blessé, lui adressa la parole.
— Ça va ?
—…
— Vous m’entendez ?
—…
— Avez-vous mal quelque part ?
Cédric ne savait quelle conduite adopter. Retourner le corps pour faire un premier diagnostic ou se plier au principe de précaution voulant que l’on ne déplace pas un accidenté ? Dans ce cas, il ne restait qu’à appeler les secours et revivre la ronde des gyrophares avec son cortège de souvenirs morbides. Il n’y tenait pas franchement. De nouveau, un vertige l’assaillit et le visage d’Iris se dessina parmi les gouttes.
L’écho d’une cavalcade le ramena à la réalité, il se retourna. Angelina accourait au galop, vêtue de sa combinaison néoprène et abritée sous un parapluie de golf. Elle apportait la trousse de secours du bateau, une mallette blanche frappée d’une croix verte. Sitôt à pied d’œuvre, elle tendit le parapluie à Cédric et s’agenouilla auprès du blessé. Elle lui saisit le poignet avec délicatesse, puis consulta sa montre de plongée. Le pouls battait à 100 pulsations par minute, rien de vraiment anormal après un choc. La jeune femme palpa le crâne de l’accidenté pour déceler d’éventuels saignements du cuir chevelu. Au contact des mains, le corps se contracta, comme s’il craignait une agression, puis se relâcha et enfin bougea imperceptiblement. Angelina s’écarta du blessé en intimant à Cédric de bien l’abriter car la pluie tombait comme à Gravelotte.
— Vous m’entendez ? demanda la jeune femme de sa voix douce.
—…
— M’entendez vous ? Pouvez-vous parler ?
Un imperceptible murmure se fit entendre, plein d’encouragements.
— Cool, enchérit Angelina, vous êtes en de bonnes mains, nous appelons les secours. Calmez-vous, vous êtes en sécurité.
Le blessé tourna lentement sa tête vers la voix qui s’adressait à lui. Son regard exprimait la souffrance et l’effroi. Il paraissait âgé de 16-17 ans, pas davantage. Son corps s’étalait parmi les blés couchés par l’orage. Son sweat à capuche et son pantalon baggy ruisselaient de flotte et de boue.
Au prix d’un rétablissement sur les coudes, il tenta de se retourner vers ses sauveteurs mais Angelina l’en dissuada :
— Vous ne devez pas bouger, attendez, prenez le temps de bien sentir chaque partie de votre corps.
Le jeune homme lui lança un regard furieux, parvint à se retourner et s’assit en se massant les genoux. Hormis ses paumes ensanglantées, pas d’autres blessures apparentes.
Cédric soupira de soulagement lorsque le garçon secoua sa tête comme un chien mouillé, pour égoutter sa chevelure. Il reprenait formes et couleurs. Angelina lui tendit un sucre imbibé d’alcool de menthe pour finir de le requinquer.
— Ça va un peu mieux ? insista-t-elle.
— T’es qui, toi ? demanda le jeune homme. Vous êtes des keufs ?
— Je m’appelle Angelina et rassure-toi, nous ne sommes pas de la police. Nous étions arrêtés à cause de l’orage et nous t’avons vu te vautrer. Alors on est venus voir si on pouvait t’aider, continua-t-elle en lui caressant le dessus des mains. On peut dire que tu as eu de la chance.
Le jeune garçon apprivoisé se laissa faire.
— Ouais, j’ai eu d’ la chatte ! Et le keum, là, avec son pébroque, c’est qui lui ?
— Lui, c’est Cédric, nous travaillons ensemble. Mais toi, comment t’appelles-tu ?
— Heu… Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
— Rien, comme ça, pour faire connaissance.
— Heu… Pierrot, finit-il par lâcher.
— Pierrot ? C’est original, apprécia-t-elle, tout sourire dehors. Avec ta mine de Pierrot, c’est parfait. Tu te sens un peu mieux, maintenant ?
— OK, lâche-moi !
— Tu peux te déplacer ?
— Ça marche, dit-il en prenant appui sur elle pour se lever.
— Doucement, prends ton temps, Pierrot.
— Basta ! Je suis debout, triompha-t-il en réajustant les écouteurs de son baladeur. Putain ! J’ai fracassé mon MP3 ! J’suis vénère.
— Dommage ! Mais le principal, c’est que tu ne sois pas blessé.
— Bof ! Il était à moitié niqué, lâche l’affaire.
— Si notre jeune ami est capable de marcher, je propose que l’on aille se sécher dans la voiture et boire du thé chaud, proposa Angelina. La thermos est remplie. D’ac, Pierrot ?
— D’ac, on y va, mais molo, j’ai du mal à arquer.
Du haut de son mètre quatre vingt-cinq rehaussé du parapluie, Cédric abritait ses deux compagnons. Le garçon récupérait vite. Plus de peur que de mal. Il tirait néanmoins la jambe et prenait appui sur l’épaule d’Angelina.
L’adolescent dépassait la jeune femme d’une tête, il peinait à marcher dans ses vêtements maculés de boue et de sang.
Lorsqu’enfin ils atteignirent le Mitsubishi, Cédric reprit les choses en main.
— Le plus simple est que tu te déshabilles, recommanda Cédric au jeune homme. Sinon, on va en mettre partout. Tes fringues sont dans un tel état qu’elles ne te servent plus à grand-chose !
— Je vais chercher des serviettes de bain et la couverture de survie à l’arrière, ajouta Angelina pour préserver la pudeur de Pierrot.
— Allez ! On ne regarde pas. Veux-tu de l’aide ? proposa encore Cédric.
— Ouais, pour ôter mon bène… J’ai le genou gauche destroy, on dirait.
— On va regarder ça !
Cinq minutes plus tard, tous trois se réconfortaient au sec dans le 4x4. Cédric avait enfilé un survêtement et s’était assis au volant. La climatisation soufflait un air chaud salutaire. A ses côtés, enroulé dans la couverture argentée, Pierrot tremblait. Le froid ? La terreur ? Le choc ? Il serrait machinalement son bagage contre son ventre, comme un trésor inviolable. Derrière lui, sur la banquette, on avait déplacé un sac de plongée pour libérer un espace. Débarrassée de son néoprène humide, Angelina s’était recoiffée et son parfum ambré emplissait l’habitacle. La thermos de thé circulait de main en main, chacun récupérait à sa façon. La jeune femme entreprit bientôt de masser les épaules de l’adolescent, pour le décontracter. Au premier contact, Pierrot se raidit puis il se détendit avant de prendre goût aux mains expertes d’Angelina. Peu à peu, il se relâchait et se laissait aller. La jeune femme n’attendait que ça pour reprendre la conversation.
— Ça va mieux ?
— Ouais, je kiffe !
— Et ton genou ?
— Oh, juste un pète… C’est pas la mort.
— Et tu allais où sur ton scooter, si vite sous la pluie ? Tu avais l’air vachement pressé…
— Heu… Ouais, j’étais à la bourre, mais je ne le suis plus. J’allais, heu… à Saint-Cast, déclara-t-il après avoir jeté un coup d’œil sur le GPS. Oui, j’allais voir un pote à Saint-Cast, réaffirma-t-il.
— Ah bon ? questionna Cédric. Ça tombe bien, nous aussi nous allons à Saint-Cast.
— Alors vous m’emmenez ?
— Minute, mon bonhomme. Il faudrait peut-être prévenir la gendarmerie et ton assureur, sinon tu en seras pour tes frais.
— J’vous ai dit, M’sieur, le scoot, je m’en balance, en plus il est même pas à moi… et puis les bleus, j’y tiens pas en ce moment. On a un blème.
— Je vois… répondit Cédric, perplexe. Tu ne nous simplifies pas la vie, mais j’ai les idées larges. Et d’où viens-tu ?
— De Rennes, j’allais voir un pote, j’vous dis. Kevin, y s’appelle.
— Tu as son adresse à Saint-Cast ?
— Oui, j’ai ça là-dedans, affirma-t-il en tapotant son sac. Rue de la Mer, je crois…
— Quel âge as-tu, Pierrot ? insista la jeune femme en continuant son massage.
— Heu… 18 piges, depuis le 26 avril, répondit-il sans se démonter.
— Je parie que tu es aussi vacciné contre le tétanos, plaisanta Cédric. Ainsi majeur, vacciné, bien sous tous rapports. Rien à redire. Que va-t-on faire de toi ? questionna-t-il en adressant un clin d’œil à son assistante.
— On l’embarque ! assura Angelina en secouant Pierrot par les épaules. Bienvenue à bord, garçon !
Et la jeune femme lui déposa une bise sur le dessus du crâne. Cédric crut déceler un sourire sur les lèvres de Pierrot.
Dehors, les dernières gouttes ponctuaient la fin de l’orage et, au loin, des taches bleues déchiraient les nuées. Le ciel redevenait lumineux.
— On y va, lança-t-il. On a assez perdu de temps comme ça ! En route !
Il lança le moteur et le 4x4 fila sur l’asphalte.
Deux kilomètres plus loin, affalé dans le siège du passager Pierrot dormait à poings fermés. Dans son sommeil, il étreignait son sac comme un gosse son doudou.
***
— Allô, madame Meuron ?
— Oui, c’est moi.
— Bonjour madame Meuron, je suis Angelina Petacci, l’assistante de monsieur Vial.
— Monsieur Vial ?
— Oui, Cédric Vial.
— Ah, Cédric ! Vous savez, je l’ai connu à vingt ans, c’était un beau gars. Et il n’y avait pas alors de monsieur Vial, mais seulement Cédric, le grand copain de Dédou, je veux dire André. Des bons gars, toujours prêts à faire les quatre cents coups, ça oui, on peut le dire. Mais gentils, jamais un mot plus haut que l’autre. Oui, vraiment des jeunes gens bien élevés. Ce n’est pas comme aujourd’hui…
— Madame Meuron, l’interrompit Angelina dont les oreilles sifflaient devant tant de compliments sur son patron, je vous appelle pour vous dire de ne pas nous attendre, nous sommes en retard et nous n’arriverons pas avant 21 heures.
— Aucune importance ! Vous savez, Mademoiselle, je n’ai pas grand-chose à faire et James n’est pas encore rentré de la pêche, alors que je sois ici ou là… Cela dit, je n’aime pas rater A prendre ou à laisser à la télé.
— Nous avons été ralentis par un orage épouvantable et nous devons encore nous arrêter pour faire de l’essence. Inutile de nous attendre.
— Nous aussi, on a eu l’orage, mais il est passé plus sur Pen Guen que vers chez nous.
— Nous allons donc arriver plus tard que prévu et nous ne voudrions pas abuser de votre gentillesse, insista Angelina.
— D’accord, je vais rentrer chez moi, mais je vous laisse une salade verte dans la cuisine… Elle est nettoyée et rincée, la vinaigrette est dans le saladier, vous n’aurez qu’à mélanger. Vous trouverez aussi des œufs frais, des galettes de sarrasin, du lard et du beurre dans le frigo, de quoi vous faire des “complètes”. Pour le dessert, je vous ai préparé un far aux pruneaux. Mais j’y pense, saurez-vous faire pour les galettes ?
— On devrait y arriver. Vous êtes trop aimable, ironisa la jeune femme que les tâches ménagères rebutaient d’ordinaire. Merci beaucoup.
— Il y a du cidre et de l’eau de Plancoët dans le cellier. Et du vin à la cave, reprit-t-elle.
— Merci, c’est parfait.
— Si vous préférez le cidre plus froid, je peux le mettre au réfrigérateur, c’est comme vous voulez, mais je trouve que c’est une double erreur, pour le goût et pour l’estomac.
— Faites comme pour vous, madame Meuron et encore merci.
— D’accord, on se voit demain vers 10 heures alors, le temps d’aller au marché et j’arrive. Les volets sont ouverts, j’ai passé l’aspirateur et les lits sont faits avec des draps tout frais. Ils sentent bon la lavande. Comme je ne savais pas si Cédric et vous… j’ai préparé deux chambres séparées au premier. Vous y serez très bien, la vue sur la baie est magnifique.
— Vous êtes trop gentille, merci mille fois…
— Ah, j’oubliais, les serviettes de toilette et les savonnettes sont dans le placard de la salle de bains du premier. Bonne installation et, s’il vous manque quoi que ce soit, n’hésitez pas à m’appeler, je suis là pour ça. Vous connaissez mon numéro de téléphone chez moi ?
— Oui, je pense que monsieur Vial l’a noté. Merci madame Meuron.
— C’est parfait alors ! Bon, je laisse la clef de la porte d’entrée sous le pot de géranium, en haut du perron, à droite. Vous ne pourrez pas la rater. A demain, Mademoiselle, et passez une bonne soirée !
1 « Keur N’Gelew » signifie « Maison du Vent » en wolof. On appréciera la similitude de Ker (breton) et de Keur (wolof).
Le 4x4 pénétra dans Saint-Cast par le quartier du Bourg. En vingt ans, les alentours de l’église n’avaient guère changé ni le presbytère rien perdu de son charme.
En descendant vers les Mielles en revanche, les choses se gâtaient et Cédric éprouva quelques difficultés à retrouver le chemin de Keur N’Gelew. Il se perdit à plusieurs reprises dans l’entrelacs de lotissements et d’immeubles qui occupaient maintenant le bas de la ville, là où jadis s’étendaient des dunes à perte de vue. Et, logiquement, l’hôtel des Dunes avait suivi le mouvement, cédant sa place à une nouvelle résidence. La station balnéaire bougeait, victime de son succès. Elle payait cash son tribut foncier.
Cédric tenta de s’orienter et, au feeling, se dirigea vers le village de l’Isle par la montée de la corniche. Les maisons lui parurent plus familières. Il salua au passage la grimpette qu’il avait tant de fois remontée au petit matin en tenant à peine sur ses jambes. Ils atteignirent la gare routière où il retrouva ses repères et, sans hésitation, s’engagea sur le chemin de la villa Delbos.
La bâtisse arborait le même air majestueux qu’autrefois. Par la grille d’entrée restée ouverte, on découvrait deux enfilades de rosiers rouges qui délimitaient l’allée cavalière menant à la maison. Au-delà de la pelouse s’élevait le bâtiment de granit. Sa toiture tarabiscotée signait sa facture Belle Époque. La construction datait en effet des années 20, massive mais agrémentée de courbes audacieuses et de balconnets à chaque fenêtre. Sans être joli, l’ensemble en imposait, massif et magistral.
Cédric stationna le Mitsubishi devant le perron sous lequel un bosquet d’hortensias attendait juillet pour donner toute sa mesure. Il manœuvra pour serrer le Narwhal contre le porte du garage, libérant ainsi l’accès par l’allée principale. Angelina sauta à terre la première et commença le déchargement, bientôt assistée par Cédric. Pierrot, assoupi, les regardait s’agiter.
Un parfum d’encaustique assaillait d’emblée les visiteurs dès le hall d’entrée. Un siècle de tradition bourgeoise avait patiné le mobilier de marine ornant le rez-de-chaussée. Les vernis rutilaient, le parquet brillait, pas une once de poussière ne flottait en l’air. En scrupuleuse gardienne du temple, la tornade blanche madame Meuron avait encore frappé. Cédric reprit immédiatement possession de cet intérieur immuable. Les gravures accrochées aux murs du living lui évoquaient son précédent séjour. Les fauteuils du salon aussi, avec leurs tapisseries élimées.
Seule concession à la modernité, un four à micro-ondes et un lave-vaisselle trônaient dans la cuisine aux côtés d’un énorme réfrigérateur à double battant, un frigo “américain” avec machine à glace incorporée. André Delbos savait privilégier les bons investissements.
La gourmandise de son ami lui revint à l’esprit et il émit un sifflement d’admiration devant ce matériel flambant neuf.
Cédric réalisa qu’il avait faim. Les émotions de l’après-midi l’avaient creusé. Il alluma le gaz sous la bilig, un modèle récent de chez “Krampouz”. Décidément, André Delbos ne se refusait rien ! Il sortit alors la rozell, une spatule de bois, puis plaça le beurre et les galettes empilées à sa droite, le lard et les œufs sur la gauche. Il ne manquait plus que ses convives occupés à l’étage à préparer une chambre supplémentaire pour Pierrot.
Impatient de les voir descendre, Cédric dressa le couvert sur la table de l’office, à même le bois puis cria dans la cage d’escalier :
— A la soupe ! Le dîner est prêt !
— Oui, on vient…
— Bien, alors je lance deux “complètes”, s’exclama-t-il de plus belle.
— Vas-y Pierrot ! répondit Angelina. Je vous rejoins dans cinq minutes.
— C’est parti !
Les œufs blanchissaient sur le tapis de lard grillé recouvrant la galette lorsque Pierrot s’assit à table sans prononcer un mot.
— Tu m’en diras des nouvelles ! s’enthousiasma le cuistot. Tiens, mange pendant que c’est chaud, je te rejoins dans une seconde. Un coup de cidre, garçon ?
— Non, je bois de la flotte. J’aime pas trop l’alcool et j’ai pas bien la dalle. J’ai envie de pioncer un max.
— Mange tout de même un peu car, avec le ventre vide, la faim te réveillera et adieu la grasse matinée !
A peine avait-il fini sa phrase qu’un cri d’effroi retentit. Ça provenait de l’étage. Un hurlement à glacer le sang. Cédric se leva d’un bond. Là-haut, Angelina vociférait de plus belle. Avalant l’escalier quatre à quatre, il atteignit le palier du premier, hésita une demi-seconde puis poussa la porte entrouverte avant de foncer dans la salle de bains.
Debout sur la cuvette des toilettes, Angelina hoquetait, le regard rivé au bac à douche. Là, à travers les portes dépolies, on discernait les contours d’un corps. Cédric fit coulisser le panneau et se trouva nez à nez avec un couple tendrement enlacé. La chevelure blonde de la fille masquait en partie le crâne rasé du garçon.
— Que faites-vous là ? lança-t-il à l’adresse des jeunes gens.
—…
— T’énerve pas, ils sont HS… balbutia Angelina.
— HS ?
— Mortibus !
— Tu veux dire morts ?
— Oui, je veux dire kaput, no future ! Ils sont encore chauds mais on peut difficilement être plus morts. Je voulais prendre une douche avant de dîner, et v’lan ! La surprise du chef. Si c’est un canular de ton camarade Delbos, je le trouve de mauvais goût.
— Voyons ça de plus près, avança-t-il en palpant les corps. Mais avant tout, descends de ton piédestal, Miss Liberty, plaisanta Cédric, espérant détendre l’atmosphère.
Il tendit la main à la jeune femme qui vint se blottir contre lui, apparemment choquée. Tout en la réconfortant, Cédric gambergeait à trois cents à l’heure sur la meilleure conduite à tenir. Après une nouvelle inspection des macchabées, il avait pris sa décision.
— Allons nous restaurer, suggéra-t-il. Nous aviserons par la suite.
— Je ne suis pas certaine de pouvoir avaler quoi que ce soit, s’enflamma Angelina et puis, il faut prévenir la police.
— A voir. Si on prévient les gendarmes, ils ne vont pas nous lâcher pendant plusieurs jours. Pour eux, c’est l’aubaine, tu comprends ? Deux cadavres à Saint-Cast, hors saison, avec des suspects qui tombent du ciel, des Parisiens en plus, c’est du nanan ! Non, je ne le sens pas. Ce que je sens bien en revanche, c’est l’avalanche d’emmerdements qui va nous tomber dessus. Le boulot qui n’avancera pas, les tracas policiers et puis Pierrot qui va se faire alpaguer… Non, pas les flics.
— Qu’est-ce que tu veux faire alors ?
— Deux solutions : ou bien on les fait disparaître, ou bien nous ne sommes jamais venus ici.
— Je préférerais la deuxième proposition si elle était réaliste. Mais j’en doute. Après notre balade en ville pour arriver ici, tout Saint-Cast nous a vus circuler. Le Mitsubishi et le Narwhal ne passent pas inaperçus. Et puis tu as raison, Pierrot déclenchera auprès des flics un pataquès dans lequel nous risquons d’être impliqués.
— Exact ! Alors, nous n’avons plus le choix. Ces deux épouvantails doivent disparaître. La mer pourrait les absorber, par exemple. Même si elle les recrachait un jour, je défie quiconque de prouver qu’ils sont passés entre nos mains.
— C’est gonflé !
— Tu as mieux à proposer ?
— Pas vraiment.
— Nous n’avons pas les moyens de perdre plusieurs jours de boulot. On ne sait pas d’où sortent ces cocos-là et d’ailleurs, je ne tiens pas à le savoir. Ils n’habitent plus à l’adresse indiquée, alors retour à l’envoyeur.
— C’est une manière de voir les choses.
— Bon… on y va ? Moteur, action ! Descendons rejoindre Pierrot qui doit trouver le temps long s’il ne s’est pas endormi sur son assiette. Invente lui un mensonge à propos du hurlement que tu as poussé. Un chat qui s’était glissé dans la maison par une fenêtre du deuxième laissée entrouverte par madame Meuron, pour aérer… Je te fais confiance pour broder. Pierrot ne doit rien soupçonner. Moins on est de fous à connaître la vérité, mieux on se portera.
— OK, big boss. J’y vais. Pour ce soir, je vais lui dire d’utiliser le cabinet de toilette du bas ou de pisser dans le jardin ; c’est plus écologique car ça économise des chasses d’eau. Après, j’administrerai à Pierrot une dose de calmant pour qu’il s’endorme comme un bébé. Ainsi nous pourrons vaquer à nos occupations et demain sera un autre jour.
— J’en accepte l’augure.
* * *
L’église du bourg venait de sonner la demie de minuit. Une brise légère portait le son des cloches vers Keur N’Gelew. Cédric et Angelina n’avaient pas chômé depuis le dîner. Une fois Pierrot au lit, ils avaient fouillé la maison de fond en comble à la recherche d’indices. Néant sur toute la ligne ! Pas la moindre trace d’effraction, pas l’ombre d’un objet insolite. La maison Delbos respirait l’ordre établi que, seuls, deux cadavres nus perturbaient. A première vue, il s’agissait de jeunes gens d’une vingtaine d’années, pas davantage. Aucune trace de blessure n’altérait la grâce de leurs corps musclés. Ils étaient beaux, enlacés dans la mort, à la fois fragiles et monstrueux. En les regardant de plus près, Angelina décela deux particularités. Les cadavres arboraient des tatouages à la cheville gauche. Le même dessin, deux points d’interrogation. L’un à l’endroit, l’autre à l’envers, comme la ponctuation espagnole. Fallait-il y voir l’appartenance à un même groupe ou à une secte ?
La douceur du sourire de la fille contrastait avec le masque de terreur du garçon. Terrible instantané du dernier souffle échappé de leurs lèvres dont la couleur violacée laissait subodorer un empoisonnement. S’agissait-t-il du suicide romantique d’un couple aux abois ou bien de squatters en overdose ?
A ce stade, tout demeurait possible mais rien ne tenait vraiment debout. Quoi qu’il en soit, Cédric ne se posait pas trop de questions, ne poursuivant qu’un objectif, se débarrasser au plus vite de cet encombrant héritage.
* * *
Dans la douceur de la nuit, le Mitsubishi circulait vers le port tous feux éteints. Le 4x4 glissait au ralenti sur l’asphalte éclairé par la lune, silencieux comme une ombre. Attelé à l’arrière, le canot pneumatique épousait la trajectoire du pick-up, sans à-coups, pour ménager les deux passagers gisant sous la bâche, raides et muets.
A la place du mort, Angelina ne pipait mot, le regard tendu à percer la nuit. La crispation de ses mâchoires trahissait son anxiété. Soudain, elle sursauta. A une centaine de mètres devant eux, à la sortie du virage, des faisceaux blancs balayaient le talus. De la visite imprévue s’annonçait.
— Et merde ! grogna Cédric en allumant ses feux de croisement. Pourvu que ce ne soit pas les flics !
Une fourgonnette blanche arrivait plein pot sans baisser ses phares. Un véhicule curieux, plus imposant que les classiques camionnettes de pêcheurs mais moins volumineux qu’un véritable camion. Probablement un citoyen pressé de retrouver son lit. Ébloui mais rassuré, Cédric soupira. Ses mains pianotaient le volant. Jusque-là muette, Angelina attendit que les feux arrière du véhicule s’évanouissent dans la nuit pour soupirer :
— C’est notre jour de chance, Cédric. On ferait peut-être mieux de rentrer ?
— Non ! On ne peut plus reculer maintenant, rétorqua-t-il en vérifiant ses rétroviseurs.
Ils attaquaient la descente vers le port Jacquet. Devant eux, la mer parsemée de paillettes, étincelait sous la lune. Au mouillage, les bateaux immobiles semblaient endormis. Cédric éteignit à nouveau ses phares, coupa le moteur et laissa filer en roue libre jusqu’au parking. Là, il stoppa dans l’ombre d’un voilier au radoub sur le quai, juste devant le club de plongée. Plus loin, à deux cents mètres sur leur gauche se trouvait l’accès à la mer, le but de leur expédition. Pour parvenir à la cale, il suffisait de glisser 5 euros dans l’automate et, comme par miracle, un plot s’enfonçait dans le sol, libérant le passage vers l’embarcadère puis la pleine mer.
Rien ne bruissait à l’entour, surtout pas les passagers du Narwhal dont la seule présence perturbait Angelina. Il fallait toute la détermination de son patron pour lui permettre de tenir le coup. Encore une occasion d’admirer l’homme dans les bras duquel elle se serait volontiers blottie le reste de la nuit au lieu de véhiculer de la viande froide. Mais, incapable de lui opposer la moindre résistance, la jeune femme se satisfaisait de sa présence. Sentir son odeur, entendre sa respiration, partager avec lui ces moments d’excitation, tout cela lui convenait comme un service minimum. Faute de grives, on mange des merles. L’envie de poser la tête sur son épaule la démangeait, cependant elle n’osait pas. Pourtant, en la circonstance, qui sait s’il n’aurait pas apprécié ?
A mille lieues de s’émouvoir des états d’âme de sa passagère, Cédric scrutait l’obscurité à l’affût du moindre signe. Quand il estima la voie dégagée, ils sortirent du véhicule sans refermer les portières. A pas de loup, chacun d’un côté du Narwhal, ils retirèrent la bâche, l’étalèrent sur le sol pour la replier et la rangèrent sur la plate-forme du pick-up.
L’opération n’avait pas duré trois minutes. Efficaces et silencieux, les deux complices agissaient comme d’après un scénario mille fois répété. Le pneumatique et son chargement furent bientôt prêts à prendre la mer. L’heure des funérailles approchait. Alors que Cédric allait démarrer pour avancer jusqu’à la cale, de nouveaux phares trouèrent la nuit au niveau de la falaise. Un véhicule descendait vers le port à vive allure. Le moteur poussé à plein régime trahissait l’empressement des arrivants. Mus par un réflexe de survie, Angelina et son compagnon se blottirent sous le tableau de bord. La nuit, tous les chats sont gris. La voiture passa à proximité du Mitsubishi et gagna l’embarcadère où elle stoppa. Une fois le silence revenu, Cédric risqua un œil puis deux en direction des nouveaux venus. Là-bas, en haut de la cale, deux hommes sortaient du véhicule blanc, un utilitaire. Ils claquèrent les portes sans ménagement puis approchèrent une annexe du bord de l’eau, parée à naviguer. Ce travail accompli, les deux individus remontèrent au sec, s’assirent sur l’escalier d’accès direct à la route. Là, ils allumèrent des cigarettes en prenant soin d’en masquer l’extrémité incandescente dans leurs paumes. De temps à autre, des lueurs rougeâtres à peine visibles dénonçaient leur présence. Ils palabraient en regardant périodiquement en direction du Canevez.
Par sa portière entrouverte, Angelina perçut un nouveau ronronnement de moteur. Plus rond cette fois, moins discret aussi. A l’évidence celui d’un diesel au ralenti.
Une masse sombre sortit bientôt de l’ombre du rocher et se dirigea vers les deux hommes qui patientaient. A la lueur de la lune, on distingua vite la silhouette trapue d’un chalutier s’approchant du môle.
Les deux hommes embarquèrent dans la plate et firent route à la rencontre du navire. Chacun d’entre eux maniait un aviron, ils propulsaient l’annexe avec vigueur.
Toujours blotti dans son cockpit, Cédric observait la scène à l’aide de jumelles à infrarouge. A bord du bateau de pêche, deux matelots s’affairaient, ils transportaient de gros sacs qu’ils maintenaient chacun par une extrémité. Ils les transbordèrent dans la barque, aidés par les nouveaux venus.
Cédric compta à mi-voix : un, deux, trois, quatre… Quatre sacs dodus avaient rejoint la petite embarcation qui entamait déjà le trajet de retour. Le chargement pesait apparemment son poids et les gaillards souquaient ferme pour avancer.
Ils atteignirent le rivage sans tarder. Là, leur cargaison fut transférée dans la camionnette qui fila sans attendre dans un crissement de pneus. De son côté, le chalutier avait déjà viré de bord pour regagner l’ombre, laissant Cédric et Angelina face à un mur de perplexité.
— Et maintenant, que vais-je faire ? chantonna la jeune femme.
— Maintenant ? Nous voici dans un beau merdier, analysa Cédric. Avec les deux braconniers à bord de leur vaisseau fantôme, plus question de nous mettre à l’eau. Ils contrôlent la sortie du port. Notre plan “top secret” serait vite éventé. Ils ne peuvent pas ne pas nous voir.
— On peut attendre qu’ils débarquent ? suggéra la belle.
— Oui, on peut courir ce risque, mais s’ils dorment à bord, nous sommes feintés, car ils entendront notre moteur. Les bruits portent si loin sur l’eau ! Et puis on ne peut pas attendre indéfiniment, le jour va se lever dans deux à trois heures et il faudrait que nous soyons rentrés à la villa avant l’aube. Plus on reste dehors, plus on risque de se faire repérer.
— Alors ?
— Alors on remballe, conclut Cédric. On rentre à la maison, on remet tout en place et on prévient les gendarmes pendant qu’il est encore temps de le faire.
— C’est stupide ! protesta Angelina. C’est vraiment donner des bâtons pour se faire battre… Et pourquoi ne pas les balancer du haut du chemin de douane ? suggéra-t-elle.
— Trop tard ! Si la disparition en mer pouvait préserver notre anonymat, je ne me vois pas trimballer ces loustics à travers champs pour les balancer de la falaise. Il y aura une enquête immédiate, on laissera fatalement des traces. On nous soupçonnera d’emblée. Non, je préfère revenir à la case-départ.
— Alors larguons-les quelque part avec le 4x4, ce sera plus facile. La mer remonte maintenant, on ne pourrait pas mouiller le bateau ailleurs ?
— Non ! Nous n’avons plus le temps avant le lever du jour. En revanche, si j’ai bonne mémoire, il y a une plage accessible en voiture non loin d’ici, vers la Fresnaye. On y va, on dépose nos invités à la frange de l’eau. Demain des promeneurs ou des pêcheurs découvriront des corps venus d’on ne sait où. La marée montante aura recouvert nos traces et bien malin qui pourra nous identifier.
— Ça me plaît davantage, à condition de ne rencontrer personne. Allons-y et rentrons avant que notre jeune pensionnaire ne se réveille.
— Pierrot ? Avec la dose que tu lui as administrée, il va ronfler jusqu’à midi. De toute façon, dès demain, je vais l’installer chez madame Meuron, je pense qu’il a besoin de compagnie et il est encore trop choqué pour nous suivre ou pour nous aider.
— On remet la bâche sur le Narwhal ?
— Tu as peur que nos chérubins s’enrhument ? questionna Cédric en démarrant.
— Pas vraiment… “Douce nuit, sainte nuit”, chantonna encore Angelina qui aurait volontiers échangé un baril de sommeil contre deux cadavres.
“La Jeannette” laissa la pointe de Saint-Cast sur bâbord et mit cap sur le Fort La Latte encore noyé de brume, de l’autre côté de la baie. Ce matin, le soleil tardait à percer mais la météo annonçait du beau temps. Absence de vent, mer lisse, des conditions idéales pour une série de plongées d’observation.
La veille, Cédric avait demandé à James de les cornaquer pour cette première expédition. Ravi, le capitaine avait immédiatement transformé son Rhéa 7,5 en bateau de plongée : sur le cockpit des racks pour maintenir les blocs, sur le tableau arrière une échelle perroquet et, dans la cabine, une bouteille d’oxygène au cas où. Pour le reste, La Jeannette demeurait le bateau de pêche confortable, connu dans toute la baie de Saint-Malo pour son accueil gastronomique. Capitaine James se targuait d’y entretenir une cave de premier ordre et, entre deux parties de pêche, il n’était pas rare de voir des navires s’amarrer à couple. Des potes venus tester les dernières trouvailles du “sommelier flottant”.
Ainsi baptisait-on James, toujours prêt à refaire les niveaux, mais intransigeant sur le contenu : blanc le matin, rouge l’après-midi et ti-punch à la tombée du soleil. Peu porté sur le rosé et sur l’eau de source, il ne s’hydratait que par nécessité. Ce matin cependant, il avait embarqué des packs de Plancoët destinés à ses passagers qui prévoyaient trois plongées au programme, pas moins. Profilés dans leurs combinaisons de néoprène, Angelina et Cédric mettaient une dernière main à leurs préparatifs. Finies les improvisations, au diable les accidentés et les cadavres qui sortent de la douche ! Une mission scientifique se conduit comme une bataille, avec des objectifs précis, des moyens pour les atteindre et trois qualités : de l’opiniâtreté, de l’opiniâtreté et de l’opiniâtreté.
Car Cédric n’escomptait pas de résultats immédiats ; sa bonne étoile, un zeste de chance et beaucoup de boulot seraient nécessaires avant d’isoler l’algue X. En revanche, s’ils la découvraient, les zicotonides n’avaient qu’à bien se tenir et de fantastiques perspectives thérapeutiques s’ouvraient en algologie. Algues… algologie, un raccourci phonétique dans lequel Cédric voyait un clin d’œil de la providence.