Téviec, le Secret - Simone Ansquer - E-Book

Téviec, le Secret E-Book

Simone Ansquer

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Beschreibung

Quand l'Histoire refait surface...

En 1976, disparaissait mystérieusement un homme du nom de Vanier, mais lorsque trente ans plus tard, on découvre sur la plage son squelette avec une mystérieuse mallette au poignet, la station balnéaire de Quiberon est tétanisée.
Cinq jours lors desquels l'angoisse ira crescendo, vont nous faire voyager de Venise à l'île de Téviec pour percer un bien étrange secret qui remonte aux temps anciens.
Qui est réellement Émi, l'héroïne si attachante de ce roman ? Que doit-il se passer le jour du solstice d'été ?

Un roman policier qui voyage de l'Italie à la Bretagne pour dénouer les mystères du passé !

EXTRAIT

Maurier se tourna vers Émi et lui demanda :
— A votre avis, mademoiselle Chapelain, ce cadavre est là depuis combien de temps ?
Émi sourit, cela faisait belle lurette qu’on ne l’avait pas appelée mademoiselle, cela lui plut. Elle passa sa main dans sa chevelure et se mit à triturer une de ses boucles brunes. Elle prit enfin la parole.
— Je dirais au moins deux ans mais ce pourrait être vingt ou plus, la décomposition d’un corps est très rapide, lui répondit Émi spontanément.
Elle s’y connaissait plus en squelettes datant de quelques milliers d’années mais cette réponse suffisamment vague lui paraissait crédible. La petite rousse reprit la conversation en main et intervint :
—Je pense comme vous, cependant je pencherais plus pour une vingtaine d’années. Nous serons fixés après une datation au carbone 14. De plus, l’homme a de magnifiques plombages aux molaires, ce qui peut nous aider à l’identifier. Nous analyserons non seulement ses empreintes dentaires mais aussi ce bracelet métallique.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née à La Rochelle en 1960 où elle a grandi, Simone Ansquer vit aujourd’hui sur la presqu’île de Quiberon. Passionnée par les sports nautiques, les voyages, l’histoire et la peinture, elle vous invite avec son premier roman Téviec, le Secret à découvrir un monde oublié.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

Dire merci, c’est simple et bon à la fois, pour celui qui le reçoit et celui qui le dit.

Merci à ma mère et à mon père.

Merci à Marie-Noëlle, Hervé, Samuel et Thomas. Merci à tous mes amis qui se reconnaîtront, sans oublier Alain qui a cru en moi.

I

LA DÉCOUVERTE

Plage de Por Rhu - Côte Atlantique en France.

17 juin - 6 heures 30.

— Lézard, au pied !

Un gros homme chauve hurlait sur son chien.

Il avait de la peine à courir, entraîné par l’animal. Essoufflé, il tira sur la laisse d’un coup sec. Lézard s’immobilisa puis se mit à creuser le sable. Plus ses pattes avant s’enfonçaient dans le sol, plus sa queue s’agitait. Soudain, il leva le museau et se mit à aboyer de plaisir. Lézard, croisement malheureux d’un ratier et d’un épagneul, était un chien plein de malice, découvreur d’os en tous genres. Il aboyait à s’en décrocher les babines, dès qu’une trouvaille titillait son museau. Le maître se demanda si la vue d’un petit os n’était pas ce qui rendait son fidèle compagnon si joyeux. Intrigué, il se pencha pour voir ce que “son Lézard” venait de découvrir. Dans le soleil du petit matin, un éclat brillant retint le regard du promeneur. Il se dit que son animal était pire qu’une pie, il aimait tout ce qui brillait. Et que tel maître, tel chien, il voulait bien être la deuxième pie et voir ce qu’il y avait au fond de ce trou. Il s’accroupit à côté de son compagnon à quatre pattes et se mit, lui aussi, à gratter le sable. Le haut d’un crâne apparut, lisse, comme poli. L’homme s’arrêta de creuser, se leva d’un bond et recula de deux pas. Il pensa en un éclair de seconde que c’était bien une boîte crânienne que le “petit Lézard” commençait à lécher. Planté dans ce crâne, il voyait un éclat de métal, c’est cet éclat qui avait attiré son Lézard.

Il massa nerveusement son front dégarni, espérant que cette découverte n’allait pas lui attirer d’ennuis.

Il était 6 heures 35 du matin, la journée s’annonçait belle sur cette plage où, dans quelques heures, les surfeurs allaient venir nombreux. Ce 17 juin, personne n’allait surfer les vagues. Cette idée ridicule traversa l’esprit de l’homme. Il sourit ; de toute façon ces glisseurs fous, il ne les côtoyait pas beaucoup. Il se savait ne pas être de leur planète, même s’il vouait un amour tout aussi fort qu’eux à ce petit coin de paradis. Le chien et son maître remontèrent la dune pour chercher du secours sur la route qui surplombait la plage. En sueur après l’effort, l’homme arrêta une camionnette et eut du mal à dire :

— Il y a un crâne… enfin un squelette dans le sable… Il faut prévenir la police.

II

L’AVENTURE

Il y a des aventuriers qui courent le monde et des aventures du coin de la rue. L’aventure n’est pas toujours là où on l’attend. Il suffit d’être prêt à tenter l’aventure pour devenir l’aventurier du coin de sa rue.

Émi avait eu une soirée difficile et elle était partie pour prolonger son sommeil jusqu’à l’heure du déjeuner. La sonnerie de son portable lui tira un râle de mécontentement. Elle se retourna dans le lit et laissa sonner. Son téléphone posé sur le sol, bipait irrémédiablement sans vouloir s’arrêter. Elle balança l’oreiller sur le parquet et manqua sa cible. Cela sonnait toujours. Elle sortit un bras et le haut de son corps de dessous la couette. A tâtons, elle chercha l’appareil et finit par répondre :

— Allô ?

— Vous êtes bien Émilienne Chapelain, directrice de recherche au CNRS* à Paris ?

— Oui, je suis Émi Chapelain, murmura-t-elle.

— Je suis le commissaire de police Maurier. Je m’excuse de vous déranger à une heure aussi matinale mais j’ai su que vous étiez au moulin et comme nous avons besoin de vous en urgence… Enfin voilà, je suis en bas, je vous attends devant la grille.

La voix se tut, l’homme avait raccroché.

Émi laissa tomber son mobile sur le parquet. Son geste malheureux la fit pester. « Mince et s’il était cassé », se dit-elle. « Un de plus à jeter, portable kleenex de malheur ! »

Le nez collé à l’oreiller, son esprit à demi étouffé sous la couette se mit à fonctionner avec la lenteur des réveils de travers. Pourquoi un commissaire de police avait-il besoin d’elle ? Comment ce Maurier connaissait-il son numéro ? Et puis, il l’avait appelée Émilienne…

Son lever de guingois avait le goût d’un méchant mal de mer. Elle regarda sa montre jetée à même le parquet, elle indiquait à peine huit heures. Ses paupières se refermèrent sur une douce somnolence.

Elle savoura les derniers instants volés au petit matin puis cligna lentement des yeux tout en restant immobile, les bras le long du corps. Le plafond blanc l’aspirait dans un tourbillon amplifié par un fichu mal de tête qui commençait à monter. La veille au soir, elle avait abusé du champagne et tout son corps le lui rappelait. Le souvenir de sa confidente de flûte à champagne lui revint à l’esprit. Elle avait fêté seule son anniversaire de trop.

Ce petit matin s’ouvrait sur le 17 juin. Émi avait trente-trois ans et cela ne lui plaisait pas vraiment de vieillir d’un an en une seule journée. En plus, ce chiffre trente-trois ne lui disait rien qui vaille. Comme elle se disait de confession “catholique non pratiquante superstitieuse”, elle pensait que le chiffre trente-trois portait malheur. Trente-trois ans est l’âge de la mort de Jésus-Christ. Émi sauta hors du lit et se signa à la va-vite d’un signe de croix plus superstitieux que catholique.

Son jean traînait sur les lattes de chêne, elle l’enfila sans conviction et prit le premier tee-shirt qui dépassait de son sac de voyage. Elle tira de sa poche un turban et s’en servit pour retenir ses cheveux. Elle pencha la tête en avant puis la redressa pour faire retomber ses boucles brunes par-dessus le bandeau vert anis. Coiffée avec un clou, voilà le look qu’elle allait avoir si elle ne dénichait pas vite fait sa brosse à cheveux ! Elle ne la trouva pas et cela ne la dérangea pas outre mesure, de toute façon ce Maurier, elle ne le connaissait ni d’Adam ni d’Ève. Dans cinq minutes, elle allait le réexpédier à son commissariat. Elle se tritura une mèche de cheveux, cherchant quelle infraction elle avait pu commettre. Vraiment, elle ne voyait pas. Elle pressa le pas, cela l’intriguait. Puis elle se ravisa, il n’est pas nécessaire de voir quelqu’un en urgence pour un excès de vitesse. Cela devait être grave, elle se dépêcha à nouveau. Elle descendit l’escalier en colimaçon tout en sautillant. Les pierres froides des marches piquaient la plante de ses pieds nus. Le colimaçon lui donnait le tournis. Le soleil du matin inondait le salon, elle fut totalement éblouie et cela l’acheva. Elle se frotta énergiquement les yeux et sa vision devint plus claire. Soleil, alcool et lever de bon matin constituaient un cocktail qu’elle allait éviter dorénavant, surtout l’alcool. Elle devait démarrer ses trente-trois ans d’un bon pied !

Posée au-dessus de la cheminée, Paul ou plutôt sa photo lui souriait. Elle l’embrassa d’un baiser aérien de son index mouillé. Elle adressa une petite pensée d’amour à la photo jaunie. L’adolescent timide, serré dans les bras de sa mère, lui souhaitait son anniversaire, par-delà le temps. Paul lui avait laissé les clés de son moulin pour qu’elle vienne le rejoindre mais il ne serait pas là avant ce soir. Cette pensée la perturba, seul Paul était au courant de son escapade au bord de mer. Alors, comment ce Maurier savait-il qu’elle était là ?

Elle se hâta à nouveau. Le passage dans la cuisine la ralentit. La tête brumeuse, elle se dit qu’un café serré lui serait d’un grand secours. Elle jeta un œil furtif sur le percolateur, ce faiseur de plaisir. Un instant d’hésitation la figea, hésitation entre la petite joie de boire un bon café et la politesse de ne pas faire attendre son visiteur. Comme elle n’aimait pas choisir, elle jugea qu’il fallait s’occuper de la priorité. En “un” expédier vite fait le commissaire et en “deux” boire son petit breuvage à la caféine en égoïste.

Émi sortit dans le jardin et s’avança vers la grille. Se concentrant maladroitement sur le battant à ouvrir, elle regarda du coin de l’œil l’homme qui se tenait à quelques mètres devant elle, il était grand et maigre, le cheveu grisonnant. Il avait un sourire éclatant à la Clint Eastwood. Elle songea qu’elle allait lui offrir un arabica bien corsé, son égoïsme venait de s’évanouir devant ce physique de star…

Maurier s’avança vers elle de quelques pas et lui tendit la main.

— Commissaire Maurier. Vous êtes bien Émilienne Chapelain ?

Émi remarqua que le col de la chemise blanche du commissaire était à demi levé et qu’il lui manquait un bouton. Nous étions dimanche matin, l’homme devait s’être habillé précipitamment.

Émi serra la main tendue. Un courant électrique lui parcourut tout le corps et elle eut un mouvement de recul. Elle ne savait pas si ce premier contact électrisant était ou non de bon présage. Sa superstition reprenait le dessus. Elle lui demanda :

— Oui, en quoi, puis-je vous aider de façon si urgente ?

— Un squelette a été retrouvé sur une plage près d’ici et nous aurions besoin d’avoir votre avis d’expert.

— A moins que votre squelette n’ait au moins 2 000 ans, je ne pourrais vous être que de peu de secours. Je n’ai aucune compétence en ce qui concerne ce type de découverte macabre.

— Je vous demande de me suivre, nous verrons bien sur place.

— Entrez, nous discuterons de tout cela devant un bon café, proposa Émi.

— Nous n’avons pas le temps, la plage où a été découvert le corps ne sera bientôt plus accessible en raison de la marée.

La réponse ne plut pas du tout à Émi, son programme était contrarié. Pas de café, pour cause de marée haute. Elle fit la moue, puis remarqua qu’il regardait ses pieds nus.

— Vous me laissez tout de même le temps de prendre des chaussures et un sac ?

— Bien sûr, je vous attends dans la voiture qui est garée juste devant votre grille.

L’insistance et le mystère que laissait planer cet homme et surtout son sourire Ultra Bright décidèrent Émi à obtempérer. Elle fila dans la chambre chercher une paire de chaussures de sport, son petit sac à main et son portable. Petite vérification en passant, le fil à la patte avait encore des puces bien vivaces, il marchait toujours. Sans son arabica matinal dans l’estomac mais avec un petit goût d’aventure dans la bouche, elle sortit en hâte du moulin. La police la sollicitait pour une enquête policière et cela l’émoustillait. Sa trente-troisième année de vie commençait de façon bien étrange…

*CNRS Centre National de Recherche Scientifique.

III

SHERLOCK HOLMES

Enfant, on adore les romans d’Agatha Christie. Adulte, on se délecte des crimes parfaits toujours élucidés par Colombo. Quel que soit l’âge, on aime se faire peur mais sans se faire mal. Alors quand le mystère d’un meurtre est à portée de son quotidien, on enfile volontiers la redingote de Sherlock Holmes.

La gendarmerie avait établi un périmètre de quelques mètres carrés avec des piquets et une corde. Une zone de protection délimitait l’espace tout autour du crâne. Le sable était littéralement recouvert de traces de pas dans la zone protégée. Une femme faisait tache au milieu de la scène. Agenouillée sur le sable aussi blanc que sa blouse, elle tirait une moue de désapprobation. Ses cris réveillèrent les gendarmes qui l’entouraient.

— On ne voit plus rien, faites-moi de l’air et allez voir ailleurs ! Et puis reculez le cordon et laissez-moi travailler !

Avec une petite pelle et une balayette, elle se remit au travail, repoussant le sable tout en douceur. Après vingt minutes de fouille minutieuse, elle avait réussi à mettre à jour le crâne, tout le haut du squelette et les ossements de ce qui devait être les restes du bras gauche de l’inconnu. Le squelette ou du moins ce qu’il en restait, était enfoui sous trente centimètres de sable.

Ce qui avait attiré le chien, c’était l’éclat luisant planté dans le crâne. On le voyait maintenant très distinctement. Les badauds matinaux grossissaient la troupe des curieux sur la plage. Un homme en short discutait avec un surfeur à quelques dizaines de mètres de là. Il tirait sur la laisse de son chien.

— C’est Lézard, mon épagneul qui a trouvé le crâne.

Le jeune surfeur était vêtu d’une combinaison néoprène de couleur vive. Il tenait fermement son surf sous le bras. Le chien qui n’avait qu’une vague ressemblance avec un épagneul avait une fâcheuse tendance à vouloir le prendre pour un réverbère. Il répondit néanmoins au maître :

— S’il y a un crâne, il y a peut-être aussi le squelette. Vous croyez que c’est un noyé ? Ou un type qui s’est suicidé ?

— Ni noyé, ni suicidé. C’est un meurtre. Un vieux meurtre mais un assassinat tout de même. On ne se suicide pas en s’enfonçant tout seul une lame dans la tête. Lézard, mon chien l’a même léchée. Elle est plantée sur l’avant du crâne au-dessus des orbites.

— La lame est restée plantée dans le crâne ? Bah, c’est dégueulasse !

Tout en s’exclamant, le surfeur fila un coup de pied discret au chien. Lézard commençait à vouloir s’en prendre au liche accroché au surf.

— Ce n’est pas vraiment une lame, c’est plutôt une pointe de flèche en métal. Poursuivit l’homme en short.

— Il a été tiré comme un lapin ?

— Non, plutôt harponné comme un poisson. En tout cas, une chose est sûre, ce n’est pas un suicidé que mon petit Lézard a découvert !

Le surfeur regarda l’animal dénommé Lézard et trouva qu’il portait bien son nom. Le Lézard en question tirait maintenant une langue prête à gober la première mouche qui s’approcherait. Le jeune sourit puis reprit un air grave :

— A votre avis, pourquoi il n’a pas été découvert avant, ce squelette ?

— Moi, j’ai ma petite idée… Cette crique n’est accessible qu’à marée basse et il est impossible de voir ce qui est en bas à moins de descendre. Il y a bien un passage par la falaise mais pas facile d’accès. Soit le type a été tué ici, soit son cadavre a été ramené par la marée. Je viens en vacances ici depuis plus de trente ans et la mer, je ne l’ai jamais vu recouvrir toute la petite plage. Et jamais le haut de la crique où j’ai trouvé le crâne. Le sable, il y en a de plus en plus avec les années sur le haut du rivage, il remonte, poussé par la mer et les tempêtes. Il recouvre même des rochers que l’on voyait autrefois.

— Alors vous en déduisez quoi ?

— Que notre squelette est là depuis plusieurs années. Il n’a pas été ramené par la mer. L’homme a été tué ici. Le sable a recouvert son corps sur une trentaine de centimètres. Si mon hypothèse est juste, il a même été assassiné à l’automne ou au début de l’hiver !

— Et pourquoi en hiver ?

— En été, il aurait été mis à jour. Il a fallu plusieurs mois pour que le cadavre soit complètement recouvert. Il a dû être dépecé par les oiseaux, peut-être qu’il est resté coincé entre les rochers…

Le surfeur fit une grimace. Il imaginait le bec d’un goéland picorant les yeux du mort. Il mit sa main devant sa bouche et murmura :

— Vous m’avez l’air rudement perspicace, vous travaillez dans la police ?

— Je dirais que je suis un peu un Peter Falk, vous savez l’acteur dans Colombo, la série TV américaine, je suis une sorte de Colombo en vacances qui aurait troqué son imperméable pour un short et un “petit Marcel”.

— Mais si ce squelette est là depuis des lustres, votre petite histoire tombe à l’eau !

Lézard tirait sur sa laisse, il avait envie de courir. Son maître fut entraîné par le chien, ce qui coupa court la conversation. Le surfeur se dirigea droit vers l’océan : squelette ou pas, ce matin, il allait surfer.

IV

LA CURIOSITÉ

L’homme est un être curieux, il n’a de cesse de vouloir comprendre. Le mystère attise cette curiosité au plus haut point. Elle peut devenir jouissive et aller jusqu’au voyeurisme.

Émi était assise côté passager, dans une grosse américaine et trouvait cela incongru. Cette voiture était bien étrange et, si elle allait comme un gant à son propriétaire, elle cadrait peu avec la fonction de commissaire.

Maurier avait une conduite sportive, absolument pas adaptée à la sinuosité de la petite route qui longeait la falaise. Dès qu’il ouvrait la bouche pour parler, il regardait Émi et quittait la ligne blanche des yeux, cela la rendait nerveuse. Elle fixait la route pour deux et les crissements de pneus lui résonnaient dans la tête. Elle n’avait qu’une hâte, c’était d’arriver à destination et en un seul morceau. Maurier pointa du doigt un promontoire sur la falaise :

— Nous arrivons au Camp des Vénètes… Nous serons à la plage dans quelques minutes.

Émi avait le mal des transports et n’ouvrit pas la bouche.

Accroché au rétroviseur, tout un petit attirail tintait, brillait et sautait en suivant les virages. Un chapelet de perles dansait devant ses yeux. Sa danse suivait les courbes sinueuses de la route. Le chapelet n’était pas seul mais accompagné d’une chaîne où pendait une grosse bague en argent. La chevalière était sertie d’une sorte de blason et d’une inscription en arabe. Émi détourna les yeux de la quincaillerie, source de ses nausées. Elle décrocha un premier mot :

— Oui, les Vénètes, je savais que ce campement existait, mais je ne l’avais pas précisément localisé.

Elle ne comprenait pas pourquoi il lui parlait de ce camp. Elle n’en avait vraiment rien à faire ! Et puis, pourquoi ne lui donnait-il pas de précisions sur le squelette ? Ouvrir la conversation sur le sujet devenait urgent mais l’urgence était freinée par le personnage. Ce commissaire aux allures de star de western américain la mettait mal à l’aise. Plongée dans un brouillard, elle rêvait de poursuivre sa nuit mais elle ne le pouvait pas. Les yeux grands ouverts, elle faisait mine d’écouter tout en se concentrant sur sa fonction de copilote impuissant.

Maurier poursuivit :

— Cette pointe rocheuse que nous apercevons devant nous s’appelle Beg en Aud, “la pointe en mer” en breton. Les Vénètes y avaient établi leur quartier, c’était juste avant que les Romains ne débarquent sur cette côte.

Émi songea que la conversation prenait une tournure surréaliste, il l’avait sortie du lit pour la traîner en visite guidée ! Ce commissaire avait-il raté sa vocation de pilote de rallye pour car de touristes ? A moins que, sans en avoir l’air, il essayait de lui ouvrir une porte pour qu’elle s’y engouffre… Savait-il qu’elle était une experte de la période gallo-romaine ? Il connaissait son nom, sa profession, son numéro de portable et quoi d’autre encore sur elle ?

Émi ne savait pas vraiment quoi penser de cet homme qui lui parlait de Romains, sans lui dire exactement qui il était et comment il était arrivé jusqu’à elle.

En proie à toutes sortes d’interrogations, elle calma le jeu. Sa tendance à voir le mal partout prenait le dessus et elle se faisait souffrir pour rien. Profiter pleinement de chaque minute de sa journée d’anniversaire serait plus positif.

Pour savoir quelle attitude adopter, la superstition lui était généralement d’un grand secours. Elle regarda le chapelet accroché au rétroviseur. S’il se balançait trois fois de suite sur la droite sans toucher la bague, elle continuerait la conversation sur l’histoire locale. Sinon, elle n’ouvrirait la bouche que pour prononcer le mot “squelette”. Superstition oblige, elle fit ce qu’elle s’était promis.

Son guide poursuivit :

— Vous qui êtes une historienne, vous devez tout savoir ?

Le chapelet avait fait la farandole par trois fois, frôlant la bague sans la toucher. Émi reprit le fil de sa conversation de salon sur l’Histoire.

— Tout, je ne sais pas qui pourrait se targuer de tout savoir… Moi, je m’essaie à lever le voile sur des petits bouts d’histoires. L’histoire avec un grand H est une suite de ces petites histoires. Tenez, ce camp des Vénètes dont vous me parlez est un élément qui participe à retracer une période de l’Histoire. Les Vénètes y ont bataillé ferme face aux assauts des Romains, enfin d’après “La guerre des Gaules” de Jules César. Justement, je mène des recherches au laboratoire de Protohistoire de l’Ouest de la France et je suis spécialiste de cette époque, précisément.

— C’était quand, cette Protohistoire ?

— La période est fluctuante. Pour la Préhistoire, c’est plus clair, c’est l’Histoire des peuples sans écriture. Pour la Protohistoire dont je vous parle, c’est variable selon la région étudiée. On dit que c’est l’Histoire de peuples sans écriture mais qui étaient les contemporains de peuples maîtrisant l’écriture. En Bretagne, quand des hommes dressaient des menhirs et ne connaissaient pas l’écriture, d’autres, au Proche-Orient, la maniaient déjà très bien. Vos Vénètes font partie de mon champ de prédilection, disons, gallo-romain.

Émi était hypnotisée par la bague, elle venait de frapper trois fois de suite le chapelet. Elle était maudite.

Maurier de son côté, tira une moue, preuve de sa perplexité. Il continua son interrogatoire :

— Soyez plus claire, cette Protohistoire, c’était il y a combien de millions d’années, ici en Europe ?

— De 2500 ans avant Jésus-Christ à l’arrivée des Romains en 52 avant Jésus-Christ.

Elle s’arrêta de parler, le commissaire savait maintenant tout sur la Protohistoire.

La causerie prit définitivement fin lorsque la voiture fit quelques embardées sur un chemin de galets. L’arrivée sur un parking caillouteux marqua le gong du début de l’aventure. Maurier freina et fit crisser les pneus en soulevant une tonne de poussière. Il gara la grosse américaine blanche au milieu des camping-cars parqués en face des dunes. Émi sortit avec élégance de la voiture, telle une star de Hollywood prête à se faire acclamer par la foule. Mais l’heure matinale rendait le public bien maigre. Elle fit quand même son petit effet sur le seul public masculin qui traînait sur la dune, un jeune surfeur blond aux allures d’Australien. Se sentant regardé par le blondinet, elle se mit à respirer l’air pur en faisant jouer ses boucles brunes. Maurier la regarda du coin de l’œil, il était le deuxième spectateur, visiblement attiré par les courbes parfaites de la jeune femme.

Émi fit son petit cinéma trente secondes. Elle bulla, tout en songeant qu’elle ne voyait pas encore la mer mais qu’elle l’entendait et pouvait la sentir. Des surfs posés le long du fossé herbeux laissaient présager des vagues, les vacances en somme.

Puis la bulle s’envola et elle redescendit sur le sol poussiéreux du parking. Elle n’avait plus qu’une hâte c’était de se retrouver sur la plage pour qu’on lui explique enfin cette urgence qui l’avait fait sortir du lit si tôt.

Émi emboîta le pas pressé de Maurier. Ils suivirent un chemin serpentant sur la dune qui menait tout droit à nulle part, dominant l’à-pic d’une falaise abrupte.

— Nous descendons par là, proposa Maurier.

— Par où ? Il n’y a pas d’accès ?

— Suivez mes pas et soyez prudente ! La mer a monté et la crique de Por Rhu n’est plus accessible par la grande plage. Nous ne pouvons plus y arriver que par ce passage.

C’était un escalier naturel, formé de marches rocheuses plus ou moins espacées, creusées par le passage répété des hommes. Le chemin était escarpé, les roches étaient glissantes et friables.

Arrivé tout en bas, l’étroitesse de la crique rendait la falaise irréelle et monumentale. Émi leva les yeux, son regard se posa sur un petit homme avec un affreux chien qui les regardait de là-haut. Il avait un comportement à la limite du suicidaire, tant il se penchait pour tenter de voir ce qui se passait en bas.

La petite anse était formée de deux parties. Ils contournèrent un pic de roches pour accéder à l’endroit où ils étaient attendus. Il y avait là cinq gendarmes et une femme en civil qui s’activait sur un petit carré de sable.

Émi remarqua que le plus jeune des gendarmes semblait mal à l’aise. Il sautillait sur place dans son uniforme bleu et ses chaussures vernies étaient pleines de sable. Le lieu était magnifiquement calme et sans aucun recoin. Émi resta fixée sur les sauts de cabri du jeune gendarme. Elle songea, amusée, qu’il était coincé dans un site naturel, pris d’un besoin urgent qui l’était tout autant.

Émi se tenait discrètement derrière Maurier et attendait que le groupe s’intéresse à eux.

La seule femme de la petite troupe s’approcha des deux nouveaux venus et se présenta d’un ton sec et autoritaire :

— Hélène Boutet, du laboratoire médico-légal d’expertise de Nantes, vous êtes certainement de la brigade d’intervention spéciale ?

— Oui, exactement, je suis le commissaire Maurier et je suis venu avec Émilienne Chapelain qui est protohistorienne et peut nous aider.

Émi resta dubitative devant les propos de cette femme ; que pouvait bien être cette brigade d’intervention spéciale à laquelle elle faisait allusion ?

Elle écoutait en silence, tout en dévisageant son interlocutrice.

Hélène Boutet était une petite rousse, toute en rondeurs. Elle parlait avec beaucoup d’assurance, expliquant qu’elle avait été dépêchée par le laboratoire d’expertise pour venir constater la découverte d’un cadavre. Par chance, elle se trouvait en vacances sur la côte et elle avait pu arriver sur les lieux très rapidement.

Elle expliquait à Maurier ce qu’elle avait fait depuis son arrivée, avec quelle minutie elle avait découvert centimètre par centimètre, le crâne, l’éclat planté dans ce crâne, le haut du squelette, les ossements du bras gauche tout d’abord puis le haut du droit et tout le bras.

Elle tournait par moments la tête vers Émi mais s’adressait plus particulièrement à Maurier, cherchant son approbation. Elle avait mené son travail à bien et attendait que, d’un signe, d’un hochement de tête, Maurier acquiesce. Émi, quant à elle, n’écoutait plus, elle n’espérait plus qu’une chose que cette femme déplace son petit corps dodu et lui laisse enfin voir le squelette. Mais la petite rousse continuait à parler. Ces paroles semblaient ne pas devoir s’arrêter, tant elle donnait de détails sur la minutie du travail accompli pour ne pas détériorer les os.

Maurier acquiesçait avec politesse mais il pensait comme Émi : « Comment faire cesser ce flot de paroles ? » Il interrompit la petite rousse :

— La mer monte, ne devrions-nous pas agir vite ?

Émi qui, jusque-là, n’avait pas porté le regard sur Maurier, le fixa et le remercia d’un clignement de paupières. La femme se poussa et dit :

— Vous voulez le voir ?

— Oui, rapprochons-nous, fit Maurier en avançant de deux pas.

L’expression du visage de Maurier trahit son étonnement. Il entrouvrit la bouche et ânonna :

— Vous nous avez parlé de la pointe de métal plantée dans le crâne mais qu’est-ce que ce bracelet à côté du poignet droit ? Et cette chaîne ?

— La chaîne est reliée à une menotte sécurisée. Ce qui est étrange, c’est qu’elle soit restée au même niveau que les ossements du poignet. Il y a quelque chose d’accroché à la chaîne, que je n’ai pas encore mis à jour. Notre squelette n’a pas l’air d’un quidam tombé du haut de la falaise. Et d’une, il a été tué d’une pointe de métal ou plutôt d’une flèche et de deux, il y a cette menotte qu’il a au poignet.

Maurier se tourna vers Émi et lui demanda :

— A votre avis, mademoiselle Chapelain, ce cadavre est là depuis combien de temps ?

Émi sourit, cela faisait belle lurette qu’on ne l’avait pas appelée mademoiselle, cela lui plut. Elle passa sa main dans sa chevelure et se mit à triturer une de ses boucles brunes. Elle prit enfin la parole.

— Je dirais au moins deux ans mais ce pourrait être vingt ou plus, la décomposition d’un corps est très rapide, lui répondit Émi spontanément.

Elle s’y connaissait plus en squelettes datant de quelques milliers d’années mais cette réponse suffisamment vague lui paraissait crédible.

La petite rousse reprit la conversation en main et intervint :

— Je pense comme vous, cependant je pencherais plus pour une vingtaine d’années. Nous serons fixés après une datation au carbone 14. De plus, l’homme a de magnifiques plombages aux molaires, ce qui peut nous aider à l’identifier. Nous analyserons non seulement ses empreintes dentaires mais aussi ce bracelet métallique.

Le gendarme le plus gradé de la troupe se tourna vers Maurier.

— Cet homme a été certainement assassiné ; toutefois, c’est bizarre…

— Comment cela bizarre ? s’exclama Maurier.

— Oui, pourquoi ne l’a-t-on pas retrouvé bien avant ?

Maurier, avec beaucoup d’aplomb, dit fermement :

— Une seule explication, l’accident, enfin le meurtre a eu lieu en hiver. Le sable a pu recouvrir le cadavre de quelques centimètres, puis de plus en plus, au fil des années. D’ailleurs, même l’été, personne ne doit remuer le sable ici. La côte est escarpée, dangereuse et ce n’est pas un terrain de jeu propice aux châteaux de sable !

— A moins que ce ne soit le meurtrier qui ait enfoui le corps ici ?

Émi commençait à trouver la tournure des choses intéressante. Cela valait peut-être la peine de s’être levée à l’aube pour voir ce squelette bien mystérieux… En ce moment, elle avait besoin d’un peu de piquant dans sa vie et cette matinée commençait bien côté piment. Elle détestait l’ennui et, pourtant, depuis quelque temps, c’était devenu un peu trop son lot quotidien. Ce qu’elle n’arrivait toujours pas à saisir c’est ce pourquoi elle était là. En quoi la police avait besoin de son expertise dans cette affaire ? La flèche peut-être, la pointe était étrange… Il aurait fallu la voir de près. Elle lui faisait penser à une flèche ancienne… bien que le métal parût tout à fait contemporain.

Émi s’agenouilla pour regarder de plus près.

Elle réfléchit à haute voix :

— La chaîne sert d’attache à quelque chose, je crois que c’est une poignée de mallette.

La femme du laboratoire se mit à repousser le sable et mit à jour une poignée de cuir usée par le temps.

— On dirait un attaché-case… murmura Maurier pas très sûr de ce qu’il venait d’annoncer.

Émi tira avec force sur la poignée, elle était coincée sous une roche qui affleurait maintenant.

— Il faut m’aider, en soulevant la pierre, proposa Émi.

— Qu’est-ce que vous faites ? Bon sang, mais faites attention au squelette ! lui cria dans les oreilles la petite rousse qui se voulait l’experte de l’équipe.

Aidés des gendarmes, ils soulevèrent la roche et dégagèrent une mallette en acier. On pouvait imaginer qu’elle avait été recouverte d’un cuir noir, à en juger par les traces de grains lisses et sombres de la peausserie que l’on apercevait par endroits.

L’attaché-case était en acier trempé, ce qui lui avait permis de rester intact face aux assauts de la nature et du temps.

Un des gendarmes se hasarda à demander si on pouvait l’ouvrir. Tous pensaient la même chose. Poussé par la curiosité, un homme seul découvrant l’objet l’aurait aussitôt ouvert. Mais là, la curiosité collective menait à l’inaction.

Le plus petit des gendarmes, plus sage ou plus craintif, s’avança et dit à voix basse à son supérieur :

— Et si c’était dangereux, un gaz toxique ou une bombe ?

— De toute façon, cela ne paraît pas si simple. Il semble y avoir une serrure avec un code chiffré. Alors on va devoir l’embarquer au poste de police, lui rétorqua le supérieur.

— Oui, c’est ça au poste et très vite !

Le cri inattendu du plus jeune des gendarmes venait du cœur et aussi d’un peu plus bas. Émi le regarda, compatissante. Le jeune bleu dansait toujours la danse de Saint-Guy. Maurier intervint dans l’urgence et proposa d’un ton assuré :

— Je vais ramener la mallette avec moi, c’est une pièce à conviction. Nous avons des spécialistes à la brigade qui sauront comment agir.

Il y eut un petit brouhaha sur la plage et des hochements de tête dans tous les sens. Cela sembla satisfaire la petite équipe de gendarmerie qui voyait du danger dans le transport de cette valise. En plus, le gendarme en chef songeait que la transporter n’avait pas porté bonheur à son dernier propriétaire. Il tendit un sac plastique à Maurier pour qu’il y place l’attaché-case.

Maurier mit calmement l’objet dans le sac et personne ne l’en empêcha, même pas la petite tigresse rousse. Il tourna les talons, tout en saluant la petite assemblée. Émi le suivit, sans vraiment comprendre ce qu’elle était venue faire là-dedans. Une chose était sûre, l’hypothèse du meurtrier cachant le cadavre sous le sable, ne tenait plus la route. Il lui aurait pris sa mallette. A moins que le seul objectif ait été de le tuer…

Quelques minutes plus tard, le commissaire Maurier s’assit au volant de son américaine, Émi prit place, côté passager.

Le sac plastique contenant la mallette était posé entre eux deux. Sans dire un mot, Maurier posa le sac sur ses genoux et l’ouvrit. Il en tira la valise et fit tourner avec difficulté les trois petites molettes. Le temps n’avait pas détérioré le mécanisme, le code chiffré marchait. Il réussit à l’ouvrir.

Sous les yeux incrédules d’Émi, Maurier se retourna vers elle et lui dit d’une voix ferme :

— Maintenant c’est à vous de jouer. Vous allez devoir m’aider et vite !

V

L’OBÉISSANCE

Quels sont les hommes qui ont le plus marqué l’Humanité ? Ceux qui se sont soumis aux ordres ou ceux qui ont désobéi ?

A moins de six kilomètres de la plage de la découverte macabre, une voiture de sport fonçait à vive allure sur la départementale. Perreire appuyait sur l’accélérateur sans trop réfléchir, ses pensées étaient ailleurs.

La sonnerie de son portable lui fit faire un écart sur la route. Il freina brusquement et arrêta son coupé sur le bas-côté. Il décrocha et reconnut tout de suite la voix grave de Sécardin.

— Perreire ?

— Oui.

— Le corps de Vanier a été retrouvé, tôt ce matin.

— Vanier ! C’est incroyable, vous êtes bien sûr que c’est lui ? s’exclama Perreire.

— Oui, tout indique que c’est bien lui. Le lieu où a été retrouvé son cadavre ou plutôt ce qu’il en reste et certains indices le prouvent.

— Quels indices et puis, on l’a découvert où ?

— Sur une plage à quelques kilomètres de Téviec. Et vous, où êtes-vous ?

— Je rentre sur la presqu’île de Quiberon. Je ne le crois pas, Vanier a été tué ici ? Mais qu’est-ce que je dois faire ? Je fonce là-bas ?

— Non, vous ne faites rien, nous nous en occupons. Vous poursuivez votre mission comme prévu. Vous êtes attendu sur l’île de Téviec, il faut faire vite.

L’homme raccrocha, laissant Perreire sur sa faim.

Il allait faire chaud, Perreire sentait déjà la chaleur lui peser. Il devait quitter sa voiture au plus vite pour prendre l’air. Il avait un besoin urgent de s’éclaircir les idées.

Il ouvrit la portière et sortit avec peine de son coupé. Sa hanche lui faisait toujours aussi mal, depuis si longtemps ! Marcher l’aiderait à réfléchir, il enjamba un parapet et se fraya un chemin dans la lande.

Il n’arrêtait pas de se répéter que ce n’était que le hasard, une coïncidence inimaginable. Pourquoi, justement aujourd’hui, après tant d’années, le passé resurgissait-il ? Vanier, disparu depuis vingt ans, était mort ici, assassiné. Depuis vingt ans, il avait cru que Vanier s’était lâchement envolé. Il avait eu tort et il s’en voulait. Le réseau lui commandait de poursuivre sa mission, comment le pouvait-il après l’annonce d’une telle découverte ?

Il n’arrêtait pas de se dire qu’il n’était qu’un pion, un simple maillon de leur chaîne. La force du réseau ne résidait-elle qu’en une chaîne de maillons comme lui ? Il avait envie de tout foutre en l’air et de se précipiter pour voir de ses yeux le cadavre de Vanier.

Il retourna à sa voiture en boitillant. La sueur perlait sur son front mais ce n’était pas la moiteur de ce début de journée qui en était la cause.

Il s’assit face au volant, les yeux dans le vague. Il ne savait pas que faire : suivre les ordres et se rendre sur l’île ou vérifier par lui-même que c’était bien le cadavre de Vanier que l’on venait de mettre à jour…

Les ordres, il les avait toujours suivis, à la lettre, comme un bon petit soldat. Mais était-il vraiment un bon petit soldat ? Il en faut des soldats, lui avait toujours répété son père. Les héros, ils gagnent les guerres.

Les paroles de son père lui revenaient en mémoire : « Toi, mon fils, tu vas apprendre à obéir. Dans la famille, on sait ce que c’est que la discipline. »

Tant d’années à suivre les ordres ! Il ne s’en était jamais plaint jusqu’à aujourd’hui. Son père avait-il raison ? La discipline est-elle la seule vérité ? Avec le réseau, il avait trouvé cette vérité.

Son père le hantait toujours. Il pensait si souvent à celui qui l’avait si peu aimé. Le visage de son père s’associait toujours à une scène de son enfance. Une fois encore, elle lui revint violemment en pleine face. Il colla son visage sur son volant, les yeux fermés, une larme mouilla le cuir du siège.

Perreire se revoyait enfant dans la maison familiale.

A sept ans, il était frêle et trop chétif. Il ne l’avait pas fait exprès, elle était tombée toute seule la photo de Kipling. Il avait encore les cris de son père trop présents en lui.

— Demande pardon, excuse-toi, à genoux !

Le nez au milieu du verre brisé, l’enfant qu’il était pleurait en demandant pardon.

Il revoyait le ceinturon que son père avait défait des passants de son pantalon. Il avait encore devant les yeux, la terrible boucle, une suite de petites étoiles aux branches tranchantes.

Toute la scène était gravée à jamais dans sa mémoire d’adulte, son père maintenant son pantalon de sa main gauche et faisant balancer la ceinture de la droite. Le cuir qui claque sur ses côtes encore et encore. La chute. « Il faut que je me relève ! » Il avait encore à l’oreille le bruit du coup qui le fit basculer. La violence était dans sa chair. Il ressentait une douleur, là, sur le côté. Il avait trop mal pour hurler. Des larmes coulaient sur ses joues. Il avait sept ans, il savait qu’il devrait obéir toute sa vie pour arrêter la douleur.

Il s’était évanoui et s’était réveillé bien plus tard sur le carrelage glacé de la cuisine. Il était seul, son père avait calmé sa soif d’obéissance. Lui, il était si petit pour tout comprendre…

Aujourd’hui que son père était mort, chaque jour où sa hanche lui faisait mal lui rappelait celui qui lui avait appris l’obéissance. Depuis, il n’avait cessé de penser à Kipling, combien de fois avait-il récité le poème « Tu seras un homme, mon fils »… Il ne savait pas s’il avait réussi à être homme au sens où son père l’entendait, mais il savait que son géniteur avait perdu son fils, le jour de ses sept ans. Le fils était mort sur le carrelage d’une cuisine.

Perreire tourna la page de son passé et regarda au-delà du pare-brise de son coupé sport. Peut-être, un jour, arrêterait-il de suivre la route ?

Le jour n’était pas venu.

Nous étions le 17 juin, il était neuf heures trente du matin, il tourna la clé de contact et redémarra. Il était à six kilomètres du cadavre du professeur Vanier mais ce n’était pas vers lui qu’il devait aller.

Sa mission serait longue et, pourtant, il avait si peu de temps pour agir…

VI

L’ÎLE

Une île a toujours des parfums de mystère que le continent n’aura jamais.

Si c’est aujourd’hui une île, elle ne l’a pas toujours été. Il y a des millénaires, l’île de Téviec était rattachée à la terre. Quand la civilisation avait pris pied sur la presqu’île de Quiberon, Téviec était là, gardant ses secrets que la mer avait su conserver si longtemps.

Un homme aux cheveux courts, coupés en brosse et à l’allure athlétique attendait sur le haut de la dune. Il avait la position naturelle du militaire au repos. Les bras dans le dos, l’homme regardait l’île de Téviec. Perreire sut tout de suite que c’était Mat, le chef du commando dont lui avait parlé Sécardin.

Mat se retourna et accueillit Perreire, sans même se présenter.

— Le zodiac nous attend, il faut vous habiller.

— Vous avez déjà fait les repérages ? hasarda Perreire.

— Nous sommes là depuis vingt-quatre heures, toute l’équipe est en place.

Perreire détestait naviguer. La grande bleue lui faisait peur.

La combinaison en néoprène que lui tendait Mat laissait présager qu’il allait être mouillé sur le bateau ou qu’il allait devoir se mettre à l’eau. Perreire prit la combinaison et l’enfila prestement, il voulait donner l’impression d’être dans son élément.

Il agissait avec assurance. Il avait appris à cacher ses peurs. Ses angoisses, il les gardait en lui. Certains éléments naturels comme la mer l’effrayaient. Mais, s’il n’aimait pas être sur l’eau, il se surprenait à prendre plaisir à plonger. Le monde du silence l’apaisait, alors que la surface de l’océan le tourmentait. Il n’était pas rationnel et avait appris à vivre avec ses contradictions.

Deux jeunes sauveteurs en mer s’approchèrent d’eux.

— Bonjour, vous partez en plongée ? leur demanda l’un des sauveteurs en s’adressant à Mat.

— Oui, nous sommes à deux zodiacs. Le premier est déjà derrière l’île.

— Les fonds sont magiques, surtout au large de la fosse sous-marine, près de l’île.

— Depuis deux jours, on se régale.

Les jeunes s’éloignèrent, ils ne prêtèrent pas plus d’importance aux deux plongeurs, l’océan était calme ce matin-là, sans aucun danger.

L’embarcation passa la barre et prit de la vitesse.

Les deux occupants volaient au-dessus de l’eau, les embruns les trempaient littéralement.

Mat pilotait avec assurance, il paraissait décontracté. Perreire était debout, il tenait fermement une barre d’acier qui protégeait le volant. Il demanda à Mat :

— Vous savez qu’il a été retrouvé ?

— De quoi vous parlez ?

Perreire comprit que Mat n’était pas au courant. Le réseau cloisonnait. Il ne savait sans doute rien. Pourquoi aurait-il su ? Cette mission n’avait pas de lien évident avec l’incroyable réapparition d’un mort que tous croyaient à jamais disparu.

— Vous avez retrouvé quoi ? cria Mat.

Le bruit du moteur et des vagues rendait la discussion difficile. Ce qui arrangeait Perreire. Il se mit à hurler :

— Retrouver le moral pour cette nouvelle journée d’exploration sous-marine !

— Disons plutôt que mes hommes ont du mal à garder le moral, nous nous relayons pour plonger mais rien…

Perreire était surpris qu’ils n’aient encore rien trouvé. Pourtant, dès que le réseau avait eu la dernière localisation du bateau, Sécardin avait tout mis en œuvre.

Avec discrétion, il avait lancé une équipe de plongeurs confirmés. Mat était un ancien commando de marine et les cinq hommes qui l’accompagnaient étaient des professionnels.

Mat vociféra pour se faire entendre, entre le bruit des vagues et celui du moteur :

— Nous avons établi un camp de base sur l’île ! Comme c’est un site naturel protégé, nous avons préféré faire dans l’équipement léger.

Pour Perreire, jouer les touristes, c’était la meilleure façon de passer inaperçu. Un bateau d’assistance technique était basé plus au large. Il valait mieux garder les distances pour ne pas éveiller l’attention.

Le zodiac accosta sur l’unique petite plage de l’île, elle était déserte. Perreire posa le pied sur le sable blanc, fin et chaud. Il suivit Mat qui se dirigeait vers la dune. Des centaines d’oiseaux y avaient élu domicile. L’endroit était empreint de magie. Il y a plus de huit mille ans, Perreire savait que des hommes y avaient enterré leurs morts. On y avait retrouvé une dizaine de sépultures avec vingt-trois squelettes. Ces hommes des premiers âges avaient vu là un lieu sacré. Ils recherchaient peut-être la même chose que lui… Depuis la nuit des temps, les hommes voulaient comprendre. Si le bateau avait coulé ici, ce n’était pas le hasard. Il était encore trop tôt pour expliquer au chef du commando, ce pourquoi ils étaient là.

Mat profita d’être à terre pour commencer à questionner Perreire.

Bien que du genre à exécuter les ordres, les instructions lui avaient paru un peu trop laconiques.

— Il nous a été demandé de localiser une épave de dix mètres de long, à un mille, au sud-ouest de l’île de Téviec. Il commence à être temps de m’expliquer quel type d’épave nous cherchons. C’est un bateau ou, pourquoi pas, un petit avion. Avec mes hommes, je me pose des tas de questions. D’autant plus que nous travaillons à l’aveuglette, nous n’avons absolument rien repéré au sondeur.

— Je suis sûr que vous avez réfléchi à des tas d’hypothèses… Je vous écoute.

— Je ne suis pas là pour jouer aux devinettes, si vous voulez que nous trouvions quelque chose, il faudrait être plus clair.

Perreire ne répondit pas, ce qui agaça Mat qui monta le ton d’un cran.

— A moins que vous ne soyez comme nous. On ne vous a rien dit, n’est ce pas ?

— Ce que je sais, vous le saurez très vite, si vous réussissez à situer l’épave.

Mat tourna les talons. Il se demandait ce que Perreire venait faire ici. Il ne lui serait d’aucun secours. Bien que ce Perreire ait environ la trentaine et un physique athlétique, il boitait et traînait la jambe. Il ne pouvait pas courir et avait certainement peur de naviguer. Mat avait cru discerner de la crainte dans ses yeux lorsqu’ils étaient sur le bateau.

Perreire, silencieux, réfléchissait. Il était lui aussi perplexe. Il se dit que, si au radar, il était impossible de déterminer l’emplacement de l’épave, c’est parce qu’il n’y avait probablement rien ici. Le bateau avait disparu mais peut-être pas coulé, ni ici ni ailleurs.

Les faits n’étaient pas suffisamment clairs pour établir ce qui s’était passé réellement le 15 juin. La dernière position du bateau indiquait cet endroit précis, il y a deux jours. Ce 15 juin, la mer était calme, le professeur Barry et son collaborateur faisaient des recherches océanographiques au large de Téviec. Barry avait contacté par téléphone leurs bureaux à Paris, en indiquant qu’ils avaient fait une découverte archéologique surprenante et qu’il les recontacterait dans quelques heures. Il n’avait jamais repris contact. Le voilier n’était jamais rentré au port et toute tentative pour les joindre avait été vaine. Seule piste, la localisation satellite de la dernière conversation qui était précise : « A un mille au sud-ouest de l’île de Téviec. »

Les opérations de plongée commencèrent. Les heures s’égrenaient sans que rien ne les distingue les unes des autres. Les plongées se succédaient.

En fin d’après-midi, la fatigue commençait à se lire sur les visages des hommes assis dans les deux bateaux mouillés sur zone. Ils avaient tous hâte que cette journée prenne fin. Les cinq hommes attendaient impatiemment que la dernière équipe remonte.

Perreire et Mat formaient cette dernière équipe.

Quand Mat avait proposé à Perreire de descendre avec lui en fin d’après-midi, il l’avait fait comme pour lancer un défi à Perreire. Mais ce qui l’avait surpris, c’est que Perreire acceptât sans dire mot, paraissant même ravi de pouvoir enfin servir à quelque chose.

Tandis que l’ambiance était morose en surface, les deux plongeurs palmaient à douze mètres de profondeur dans un chaos de blocs formant une sorte de