Tout ça pour ça - Jan Pierag - E-Book

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Jan Pierag

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Beschreibung

Au carrefour du fleuve Charente et de l’Océan, Vincent, photographe, rencontre Morgane dans des circonstances dramatiques. Très vite, ils deviennent des cibles, car Morgane détient un disque dur contenant un programme permettant une grande avancée pour la culture des céréales. Commanditées par des Laboratoires, deux bandes rivales essaient de s’emparer de cette preuve en s’affrontant dans des poursuites à travers la France. Qui ressortira gagnant de ce combat ?

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Jan Pierag

Tout ça pour ça

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jan Pierag

ISBN :979-10-377-9469-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À toi, Ode, merci pour

ton soutien et ta présence.

Du même auteur, parus aux éditions Le Lys Bleu

Deux valises et un sac… Tome 1, 2022 ;

Deux valises et un sac… Tome 2, 2023.

Cet ouvrage est une fiction. Tous les personnages et événements dépeints dans ce roman sont fictifs et toute ressemblance avec des personnes ou des situations réelles serait une pure coïncidence.

Prologue

Il était arrivé hier en fin de journée, retrouvant l’estuaire et la mer, après une période loin d’ici, en reportage dans le Mercantour, à propos d’insectes endémiques du lieu. On croirait à un titre de film : l’Apollon et la Rosalie des Alpes ! En fait, il s’agit d’un papillon et d’une sauterelle…

— Ah, quel plaisir de rentrer à la maison !

L’estuaire de la Charente était inondé de soleil, nous sommes début août, et les vacanciers sont présents partout sur la côte entre l’estuaire de la Gironde, plus au sud, et La Rochelle plus au nord. La maison, à l’origine une maison de pêcheur, est séparée de la rive de l’estuaire par la route et un muret servant de digue pour éviter les débordements à marée haute. Port-des-Barques a été construit au ras de l’eau et certaines parties du village se trouvent sous le niveau de la Charente, protégées par des digues parfois submergées. Mais cet endroit qu’il a choisi pour y vivre, il ne le quittera pas, trop heureux de se trouver face à la mer. Son activité de photographe l’oblige à partir souvent. Il est très concerné par tout ce qui touche à la protection de la nature et à la préservation des espèces, de la faune, et de la flore. Les quelques jours à venir vont lui procurer un peu de repos avec quelques balades dans les marais vers Brouage et jusqu’à Marennes, à pied ou à vélo, à la chasse aux insectes, oiseaux, plantes et fleurs, pour son plaisir et ses collections personnelles. Vincent frôlait la quarantaine, ce serait pour l’an prochain, séparé de Julie depuis deux ans et demi, il avait quitté sa ville d’origine, Dieppe, pour descendre plus au sud, restant proche de la mer, à laquelle il vouait une forme de fascination. Tôt le lendemain, sac sur le dos, il partait à vélo…

Camping sauvage

En partant, un peu avant huit heures, le voisin d’en face m’a interpellé. Nous ne nous étions pas vus depuis deux semaines.

— Hé, Vincent, tu es rentré, tout va bien ?

— Oui, Jeannot, tout va bien et j’ai six jours à passer ici, relax !

— Tu pars en balade ?

— Je vais vers Brouage, j’ai aperçu deux bernaches cou-roux en vol hier soir. Je voudrais les trouver…

— Viens ce soir, on prendra l’apéro, Maryse prépare une éclade et il y a aussi les Janicet et les Massilier qui seront là. Moi je vais à Bourcefranc chercher les moules et des huîtres.

— D’accord, si je suis rentré je viendrai. Merci, à plus !

Cette invitation me plaisait, nous vivions tous dans ce quartier du village dans un bon esprit, peu de problèmes de voisinage assez courants ailleurs, une communauté solidaire avec des relations simples entre tous. Lorsque j’étais présent, j’avais plaisir à les côtoyer tous. À maintes reprises, j’ai fait des prises de vues pour eux, de famille ou de couple, ou même de leur maison. J’installai les photos sur une clé USB, ils en faisaient l’usage qu’ils voulaient ensuite, ce petit cadeau m’ouvrait les portes des réunions de voisins sans que j’aie à me préoccuper d’apporter une bouteille ou des fleurs, c’était parfois vraiment à l’improviste et sans date prévue plusieurs semaines avant.

Dans l’immédiat, j’étais sur le chemin côtier qui m’offrait une superbe vue sur Oléron, toute proche, à ma droite, et les marais avec quelques toits rouges, disséminés çà et là, visibles en partie au-dessus des roseaux, sur ma gauche. Tout à coup, dans un renfoncement à gauche du chemin, permettant d’accéder à une petite zone cultivée, je vis une voiture, genre break, stationnée avec le hayon ouvert, sièges et table sortis. Deux femmes étaient assises, visiblement en train de prendre leur petit déjeuner, des vacancières sans aucun doute.

— Bonjour, bon p’tit déj’ !

— Bonjour, voulez-vous prendre un café avec nous ?

— Pourquoi pas… Bien que vous soyez un peu en infraction !

— Nous ne restons pas, dans trente minutes nous serons parties.

— Bien, moi c’est Vincent.

— Moi c’est Delphine, et voici Morgane, ma fille.

— Enchanté. Vous êtes adeptes du camping sauvage ?

— On le pratique souvent lorsqu’on se déplace, pour une nuit, jamais plus. Et là, nous sommes parties de Chartres, où nous habitons, pour descendre à Arcachon. On espère y être ce soir, il y a quelquefois une longue attente pour le bac à Royan. Nous allons retrouver mes parents pour les vacances. Et vous, vous êtes en vacances ?

— Oh, juste six jours, et mes vacances je suis heureux de les passer chez moi ! J’habite ici, à Port-des-Barques, je bouge beaucoup pour mon activité, c’est un plaisir de revenir ici.

— C’est un paradis ici. C’est la première fois que ma mère nous fait passer par la côte pour descendre à Arcachon. Nous suivons la côte depuis la Vendée, et ici, pour l’instant, c’est l’endroit le plus beau et tranquille que nous ayons rencontré. Vous dites que vous vous déplacez beaucoup, mais quel est votre travail qui vous éloigne de cet endroit magnifique ? Ce doit être frustrant d’être loin.

— C’est vrai, les gens du village qui travaillent à proximité rentrent tous les soirs à la maison, et partent en vacances loin d’ici. Mais en fait, dans la plupart des cas, je travaille en extérieur, en pleine nature, pour des reportages photo et vidéo, et je me dépêche de rentrer, dès que c’est terminé !

— Vous me faites rêver en ayant un métier pareil ! Vous partez à l’étranger aussi ?

— De temps à autre, mais rarement, il y a beaucoup à faire ici en France, et je suis vraiment occupé.

— Est-ce qu’il y a par ici des choses vraiment particulières à voir ? Sans que cela nous prenne trop de temps ?

— Très près d’ici oui, à six kilomètres, et c’est sur votre route, arrêtez-vous à Brouage, c’est une ville fortifiée, aujourd’hui au milieu des marais, mais il y a deux siècles elle était entourée par la mer, c’est une ville royale, le roi y a séjourné, et c’était aussi un lieu d’embarquement pour Cayenne. Faites la visite à pied, cela vaut le détour.

— Merci, on va le faire. Et si on repasse par ici, on peut vous joindre ?

— Une minute, je dois avoir une carte dans mon sac… Tenez !

— Merci, je ne sais pas si nous remonterons par ici, c’est ma mère qui décide, nous avons pris sa voiture, donc elle conduit. Lorsque nous prenons la mienne, c’est moi qui décide !

En me disant cela, j’ai eu droit à un regard appuyé et un sourire engageant ! C’est vrai, elle était jolie, mais de passage, donc je ne ferai pas de commentaires.

— Bon, alors bonne route, je vous souhaite de ne pas trop attendre à Royan, en tous cas bon courage. C’est vraiment rare de trouver quelqu’un à qui parler en cet endroit, je m’en souviendrai, c’était un agréable moment. Bonne route !

— Merci, moi aussi j’ai bien aimé ce moment.

— Au revoir, Vincent, bonne journée. Qui sait, à une autre fois ?

J’ai repris mon vélo, je suis parti, à défaut de bernaches, j’ai rencontré deux jolies femmes. Dommage qu’elles ne soient pas en vacances par ici ! Moi aussi je suis dans la direction de Brouage, juste avant la ville, je prendrai le sentier qui longe un petit canal rejoignant l’ancien port de Brouage aujourd’hui réduit à un gros ruisseau. Je me suis fait doubler par un break Citroën, un bras me faisant de grands signes par la vitre ouverte, c’était Morgane. Je lui ai répondu par un signe de la main. Un peu plus loin, en prenant le sentier, j’ai entendu leur cri, perçant, et grave… les oies ! J’ai posé mon vélo, préparé mon appareil, et me suis approché doucement sans faire le moindre bruit, le sens du vent m’était favorable, restant au ras des roseaux. J’ai réussi mes prises de vues, une série d’une dizaine, la lumière était parfaite. Je suis revenu jusqu’à la route et j’ai vu leur voiture dans le parking, toute proche de l’entrée. Je suis donc entré dans la ville, en poussant mon vélo, je les ai aperçues, et me suis dirigé vers elles sans me presser.

— Et alors, vous aussi vous visitez ?

— Non, en fait, j’ai pris et réussi les photos que je voulais faire ce matin et en rejoignant la route, j’ai vu votre voiture qui était encore là. Cela m’a incité à essayer de vous retrouver. Est-ce que vous voulez boire quelque chose ?

— C’est très gentil, merci, mais nous allons continuer vers Royan pour passer de l’autre côté de l’estuaire, c’est le point noir de cet itinéraire !

— Bien, bonne route, et si vous me le permettez, Morgane le jour où vous conduirez, passez par ici un midi, nous pourrions tous déjeuner ensemble !

— Ce genre de proposition ne se refuse pas. Je le ferai. Et alors, peut-être à un autre jour, Vincent !

Un salut de la main, un sourire, Delphine n’était pas en reste, un sourire aussi, plus discret, mais insistant.

Avant midi j’étais chez moi, un repas rapide et je me suis mis dans les retouches des photos du jour. En fin de journée, je me suis changé pour traverser la rue et suis arrivé en même temps que les Massilier, pour la fête chez les voisins.

— Bonsoir, Vincent, je ne savais pas que tu serais là, c’est bien !

— Bonsoir à vous deux, je suis rentré hier soir, et Jeannot m’a vu ce matin, il m’a invité, en me disant que vous seriez là. Tout va bien ?

— Oh oui, nos enfants arrivent demain samedi avec les petits-enfants, c’est notre dernière soirée « tranquille » du mois !

D’autres invités étaient présents, et Laura Janicet est venue me dire bonjour, son mari la suivait.

— Je t’ai aperçu ce matin à vélo, tu partais faire des photos ?

— Oui, j’ai vu deux oies bernaches en vol, hier, je voulais les retrouver ce matin pour les mettre en boîte, et j’ai trouvé les bernaches plus une Delphine et une Morgane !

— Pardon ? Tu plaisantes ?

— Oui, il y avait deux femmes qui campaient en terrain interdit, elles n’ont pas vu les panneaux sûrement. Je me suis arrêté pour leur dire et elles m’ont invité à prendre un café. Cela a permis de discuter un moment, c’était sympa.

— Et tu repars en août ?

— Oui, en début de semaine je pars dans les Pyrénées, vers Luchon, pour une petite semaine.

— Bon, on se verra à notre retour parce que nous partons dans l’Est chez les enfants, demain, jusqu’à fin août.

La soirée était agréable, plus tard je suis rentré chez moi pour trouver un message sur le téléphone fixe.

— Vincent, bonsoir, je suis désolée de vous déranger, c’est Morgane, nous avons eu un accident, c’est sérieux, Maman est à l’hôpital, elle a été transportée à Saintes, je suis près d’elle, et cela ne va pas bien. Je vous laisse mon numéro de portable. Si vous pouvez, rappelez-moi.

J’ai rappelé tout de suite. Elle a décroché dans la seconde.

— Morgane, je suis désolé, je viens de rentrer, tenez bon, j’arrive, c’est l’Hôpital de Saintonge ?

— Oui, Saintonge, je suis au troisième, devant les ascenseurs.

— D’accord, quarante minutes et je suis là.

— Merci. Je suis un peu perdue. Merci.

Vers Saintes

J’ai sorti la voiture, fermé la maison et suis parti en roulant vite, un peu trop vite selon les limitations, un flash m’a surpris à côté de Corme-Royal, pas loin de Saintes.

J’ai trouvé facilement la bonne entrée, et au troisième j’ai retrouvé Morgane. Elle est venue près de moi, je l’ai amenée contre moi, elle était au bord des larmes.

— Dites-moi, que s’est-il passé ?

— Nous étions sur la route, avant Saujon, et d’un coup une voiture venant en face a voulu doubler quand nous arrivions, le choc était inévitable. Maman a braqué à droite, a freiné et la voiture a défoncé tout le côté gauche, j’ai été coincée entre ma portière et maman inconsciente, je ne pouvais plus bouger. Les secours sont vite arrivés et ils m’ont libérée, j’ai pris nos deux sacs avec tous les papiers, rien d’autre, et suis montée dans l’ambulance avec maman. Elle est restée cinq heures au bloc opératoire. On ne m’a rien dit si ce n’est juste un « Nous avons fait tout ce que nous pouvions. Il faut la laisser se reposer maintenant ». En évoquant ce moment, elle a éclaté en sanglots. Je l’ai gardée contre moi, puis l’ai fait s’asseoir dans un fauteuil. Je suis allé vers l’infirmière qui se trouvait dans le local, visible depuis le hall des ascenseurs.

— Excusez-moi, mais pouvez-vous me donner quelques infos sur cette femme accidentée ?

— C’est vous qui étiez avec sa fille à l’instant ?

— Oui, nous étions ensemble ce matin, je ne pensais pas les revoir ce soir. C’est vraiment grave ?

— Très grave. Le pronostic n’est pas bon, rien ne permet de penser que cela va bien se terminer. On ne l’a pas dit à sa fille, heureusement vous êtes là, elle n’est plus seule.

— Bien, merci. Je reste bien sûr. Je ne lui dis rien pour l’instant. Je suis allé retrouver Morgane, elle somnolait, je l’ai laissée tranquille. Je n’imaginais pas de la laisser seule, simplement je ne savais rien d’elle, ni de sa mère, même pas leur nom. On verra plus tard. Je me suis assis à mon tour et j’ai cherché les dernières nouvelles sur mon smartphone, par le biais des infos’ locales j’ai lu tout ce qui concernait cet accident, le « chauffard » qui a provoqué cette catastrophe n’a pas une seule égratignure, il a été emmené par les gendarmes, positif à l’alcool et aux stupéfiants. On annonçait aussi que la conductrice de la voiture détruite était « entre la vie et la mort ».

Morgane s’était un peu réveillée, je lui ai pris la main, elle n’a rien fait pour m’en empêcher, et je lui ai demandé.

— Dites-moi quel est votre nom, je suis allé voir l’infirmière en espérant qu’elle ne me pose pas de questions. Elle m’a dit que personne, pour le moment, ne pouvait se prononcer, et qu’il fallait attendre et être patients. Voulez-vous que je vous trouve une chambre d’hôtel, il y en a deux à côté. Je veux ajouter aussi que je reste près de vous, personne ne m’attend nulle part, donc je ne vous lâche pas.

— Oh merci Vincent. Nous nous appelons Malouterne. Une chambre d’hôtel, non, je ne veux pas rester seule si tu peux rester avec moi.

— Bien, alors on va faire autrement, on se tutoie d’accord, je vais me renseigner pour savoir quand nous pourrons avoir des nouvelles et voir ta maman. Si on a le temps, je t’emmène chez moi, sinon on prend une chambre à deux lits pour que tu puisses dormir. Cela te convient ?

— Oui, merci pour tout.

Je suis retourné voir l’infirmière, elle m’a dit qu’avant le soir il ne se passerait rien. Elle a été mise en coma contrôlé, et il fallait dix-huit à dix-neuf heures au moins avant de pouvoir en dire davantage. J’étais suffisamment renseigné pour savoir quoi faire. Elle m’a donné le numéro direct de leur local.

Port-des-Barques

— Morgane, on va aller chez moi, ne t’inquiète pas et tu pourras dormir jusqu’à la fin d’après-midi, nous reviendrons ici avant sept heures ce soir. Je téléphonerai avant si tu veux.

— D’accord. Je pourrais prendre une douche ?

— Oui bien sûr, j’ai aussi une collection de T-shirts, tu prendras dedans ce que tu veux.

— Quelle chance que tu sois là ! Dans des circonstances comme celle-là, rester seule c’est horrible. Je ne peux pas surmonter un truc pareil toute seule. Je ne sais même plus où on se trouve vraiment. Et je n’ai pas prévenu Papy et Mamie.

— Ils vous attendaient hier soir ?

— Non, plutôt aujourd’hui, dans l’après-midi.

— Tu les appelleras de chez moi.

Nous sommes rentrés chez moi, elle a dormi en voiture, je me suis demandé si d’autres personnes devaient être prévenues. Je l’ai réveillée, en ouvrant les yeux, elle a été très étonnée, la mer, le fleuve et l’estuaire d’un côté et la maison de l’autre.

— Tu habites ici ? C’est extraordinaire ce décor.

— Oui, c’est vrai, et il change tous les jours, la lumière, le vent, tout cela change, mais surtout l’heure des marées décalée d’une heure chaque jour. Pluie ou soleil, c’est l’endroit rêvé !

Il était six heures du matin, la nuit avait été longue.

— Est-ce que tu veux un café ou un thé, avec une petite chose à manger ? Ou bien aller dormir tout de suite ?

— Je ne sais pas quoi dire, j’ai l’impression de te mobiliser pour que tu sois à mon service…

— Je t’arrête. Morgane, personne autour de moi ne m’attend, tu as besoin de soutien par une présence, et d’aide matérielle, ne te formalise pas, il faut que tu tiennes le coup, bois et mange un peu, ensuite la douche si tu le veux, et pour après je vais te montrer la chambre d’amis, où tu pourras dormir. As-tu des personnes à prévenir ?

— Oui, mes grands-parents, j’ai un frère aussi, il est militaire et en ce moment en Afrique, je lui enverrai un texto plus tard. La famille est réduite au minimum. Mon père a quitté maman il y a plus de dix ans, et je ne sais pas où il est, et c’est tout. J’ai trente-trois ans, et je n’ai pas d’attaches en ce moment, j’ai rompu avec mon copain il y a plus de six mois, il en préférait une autre… Pour répondre à ta question, oui je veux bien un café et puis, oui, un petit quelque chose à manger. Merci pour tout. Faire tout cela pour une inconnue…

— Pour deux inconnues, parce qu’au fond de moi c’est surtout pour que tu ne sois pas éloignée de ta maman. Elle aura besoin de toi dès son réveil. Ce ne sera pas facile, mais il faut t’y préparer et, si je peux alléger le poids de la situation que tu supportes actuellement, j’en serai satisfait.

— Vincent tu es une personne comme il y en a très, très, peu.

— Tu sais, je me dis aussi que le destin n’a pas été tendre avec vous, parce qu’une minute de décalage en plus ou en moins aurait évité cette catastrophe. C’est terrible, et tu peux rester autant de temps que nécessaire ici, mardi prochain, il faudra que je parte, jusqu’à vendredi, dans les Pyrénées. Tu peux rester ici si tu veux, j’ai une autre voiture à te prêter, une Mini, elle a douze ans, mais roule parfaitement. On la prendra ce soir et tu conduiras si tu veux, pour voir si cela te convient.

— Tu me laisses les clés de ta maison ? Tu as confiance à ce point ? Et si j’embarque tout et la voiture avec ?

— Je serai ennuyé, fâché aussi, mais je n’y crois pas. Tu n’es pas le genre de personne à faire un truc pareil.

— Pourquoi dis-tu cela, qu’est-ce qui te le fait penser ?

— Que toi aussi tu m’as fait confiance. Je t’ai proposé de t’emmener chez moi, tu as dit oui, sans savoir vraiment où ni dans quelles conditions, tu as dit oui aussi. C’était, à la limite, dangereux, rien ne disait si j’étais honnête et clair.

— D’accord. Du coup, on est pareils tous les deux, mutuellement nous nous sommes fait confiance à deux moments différents.

— Alors, j’ai encore une question, pour la vie pratique de tous les jours, qu’est-ce que tu ne manges pas ?

— Je surveille ma conso’ de matières grasses, je ne mange pas trop de pâtisseries et de choses sucrées. Ceci dit, j’aime bien ton croissant de ce p’tit déj, tout chaud, c’est délicieux, et je n’aime pas le chou-fleur, les pizzas, la soupe et les marrons.

— Bon, tout va bien, tout cela est facile à éviter. Pendant que tu iras prendre ta douche, je vais faire un saut chez le voisin qui est pêcheur, pour trouver un poisson, selon ce qu’il aura pêché cette nuit.

— Génial. C’est dingue d’arriver à vivre cela, tous les jours, et sans stress et sans « patron sur le dos ».

— Tu travailles dans quoi ?

— Je travaille dans une société céréalière, dans le service de la

recherche et du développement. Je suis Ingénieur Agronome.

— Ah bravo, c’est une branche nécessaire pour nourrir le monde à condition de ne pas « inventer » des méthodes plus chimiques que naturelles !

— Je travaille sur et pour le bio !

— Très bien. On va devenir vraiment des amis !

Elle sourit.

— Mais je ne ferai pas toute ma carrière dans cette société. À terme, j’aimerais trouver une branche plus intéressante, plus élargie qui ne m’enferme pas seulement dans les céréales.

— Par exemple ici, les parcs à huîtres, l’élevage fermier des langoustines, ou bien carrément Ifremer, il y a de quoi faire…

— S’ils ont des besoins, oui, je ne connais pas encore bien ici, le modèle que j’ai sous les yeux, la façon dont tu vis, me dit que la liberté de choix d’achats alimentaires locaux, très locaux, ici est immense. Et c’est cela qu’il faudrait pouvoir proposer partout. C’est loin d’être le cas. Bon, allez, je vais prendre ma douche, trouve-nous un beau poisson. Encore merci.

Elle était couchée lorsque je suis revenu. J’avais un peu traîné en route, ne voulant pas la gêner, et donc il m’a fallu un peu de temps pour revenir avec deux carrelets magnifiques et, on ne vient pas dans cette région sans y goûter, deux douzaines d’huîtres. Du pain frais et un melon de Semussac, la « capitale » du Melon Charentais !

Elle s’est réveillée vers quinze heures, et est venue sous la véranda que j’avais ouverte, pour m’installer à l’extérieur et à l’ombre.

— Oh, que j’ai bien dormi ! Ça va ?

— Oui, as-tu faim ? Je n’ai pas déjeuné à midi, je t’ai attendue, et si tu veux je peux préparer le poisson, on déjeune dans une demi-heure, parce que ce soir on ne sait pas trop comment cela se passera, et si on doit revenir tard on grignotera des petites choses que j’ai au frais.

— Je veux bien déjeuner maintenant, je peux préparer avec toi ?

— Ah oui, on y va, viens…

J’ai tendu la main, elle l’a prise, et j’ai eu droit à un joli sourire. Sans que cela ait été prévu ou calculé d’une façon ou d’une autre, je me sentais proche d’elle, mais la priorité absolue était qu’elle ne soit pas en permanence en train de vivre mal, ne pensant qu’à l’hôpital. Tout le temps que l’on avait ensemble, à la maison ou en extérieur, j’allais faire tout mon possible pour qu’elle soit libérée de ce poids écrasant, sa maman en état grave, dans le coma, immobile dans son lit, inaccessible aussi.

Notre repas fut presque joyeux. Elle n’avait jamais préparé un poisson « entier », avant de le cuire, nous les avons « vidés » puis poêlés cinq minutes recto puis verso, un jus de citron en fin de cuisson et servis avec des pommes de terre « grenaille » passées au four, plus une salade verte. Repas pris dehors, à l’ombre d’un poirier, aéré par un petit vent de sud, c’était pour moi la première fois qu’un déjeuner en tête à tête avait lieu dans cette maison. Et malgré les circonstances, ce moment partagé avait le goût d’un petit bout de bonheur simple. Morgane était plus détendue, il me semblait que nos regards s’apprivoisaient, on s’appréciait.

— C’est délicieux, je ne connaissais pas ce poisson, et il est cuit exactement pour être parfait.

— C’est un poisson d’estuaire, à fond sableux de préférence, il fait partie de la famille des soles et limandes qui sont aussi des « poissons-plats », il est un peu plus charnu et plus ferme, il fait partie de mon enfance, c’est le poisson le plus répandu dans la Manche. Je vivais à côté de Dieppe à ce moment-là.

— Vincent, je suis bien ici, je m’y sens en paix.

— C’est bien, c’est la première fois, dans cette maison, que je déjeune avec quelqu’un, je suis ravi que ce soit toi.

— Tu es arrivé ici il y a longtemps ?

— Non pas trop, il y a un peu plus de deux ans que je suis séparé de Julie, après presque dix ans passés ensemble, et je suis arrivé ici six mois plus tard, cela fait une vingtaine de mois.

— Pour que tout se casse au bout de dix ans qu’est ce qui doit se produire ?

— Oh, ce que l’on pourrait appeler « le chant des sirènes », ce sont les marins qui parlent de cela, en mer depuis longtemps ils finissent par entendre les sirènes, des créatures malfaisantes, qui les attirent, jusqu’au moment où ils se jettent à l’eau pour aller les retrouver et se noient, avant d’être dévorés par ces sirènes affamées. Donc elle a trouvé un type, soi-disant homme d’affaires, riche, bien de sa personne, manipulateur bien sûr, elle a succombé et est partie avec. Je n’ai pas pu la raisonner, et aujourd’hui ils sont en prison tous les deux, pour escroqueries, malfaçons, faux et usage de faux, etc. trois ans pour elle et cinq pour lui. Évidemment, il n’y a aucune chance pour elle que j’attende sa sortie, j’ai été « atomisé » par cette rupture et je me suis jeté dans mon travail. Je n’ai eu depuis ce moment que deux week-ends espacés en compagnie féminine, elles étaient mariées, l’une comme l’autre, et il n’était pas prévu que cela dure. Voilà, tu sais tout ! Un détail encore, nous n’avons pas eu d’enfant, elle n’en voulait pas avant trente-cinq ans, afin d’arriver au poste qu’elle visait.

— En fait, pour les ruptures, neuf fois sur dix, c’est une liaison autre qui provoque l’événement. De mon côté, je croyais que j’avais trouvé le bon, les premiers n’ont fait que passer, et lui j’y croyais. Et un jour, je suis allé le retrouver, sans le prévenir, à la sortie de son bureau, il travaillait dans un atelier de carrosserie, responsable des approvisionnements, j’étais en voiture, garée à trente mètres, et je l’ai vu sortir en tenant l’une des secrétaires par la taille, l’embrassant aussitôt dehors. Je n’ai pas bougé, j’étais pétrifiée. Ils sont montés dans sa voiture à lui, que l’on utilisait pour les week-ends ou les vacances, elle prenait ma place. Je les ai suivis, il ne m’a pas vue, et ils sont allés sur un parking derrière le stade, où il n’y a pas grand monde. J’ai attendu cinq bonnes minutes et puis je suis sortie et à pied je suis allée jusqu’à sa voiture, je savais ce que j’allais trouver… Un couple en train de faire l’amour, et cela semblait très bon ! J’ai ouvert sa portière et j’ai juste dit :

« Je ne t’attends pas pour dîner ni pour après non plus… Merci pour la photo ». J’avais mon smartphone à la main, et oui je les ai pris en photo. Tout nus tous les deux, sur le siège arrière, j’ai claqué la portière et suis repartie. J’étais « vide » après cela, je ne pensais pas avoir la force d’aller jusqu’au bout, mais je l’ai fait et j’ai souffert pendant longtemps. Je lui ai envoyé cette photo tous les jours pendant plusieurs semaines en email et en SMS sur les deux smartphones qu’il utilise, le sien et celui de son entreprise. Nous n’étions pas mariés, cela faisait plus de trois ans que nous étions ensemble. Je suis retournée vivre avec maman, c’était en février. Je ne sors pas, ne fréquente personne, un peu dégoûtée par cette histoire, et cette photo est toujours ancrée dans mon esprit. J’avais un projet, faire un enfant, mais je crains que ce soit remis à beaucoup plus tard. Tu vois, mon histoire n’est pas la même, mais au final nous sommes au même résultat. Il y a un ou une autre, il faut parfois du temps pour s’en rendre compte.

— Dis-moi, veux-tu conduire la Mini pour aller vers Saintes ?

— Oui, je veux bien. Parlons un peu d’aujourd’hui !

— Je souhaite que tu ne sois pas en permanence au milieu de tes soucis passés ou actuels. Je voudrais parvenir à te mettre en état de « légèreté », sans que tu sois assaillie par les souvenirs, si je parviens à cela je crois que tu vivras mieux, et que tous les moments où tu seras en dehors des problèmes te rendront beaucoup plus forte quand il n’y aura pas d’autre solution que de les affronter.

— Hé, je vais essayer de te donner raison. C’est vrai que nous parlons beaucoup de plein de choses différentes, en même temps nous faisons connaissance, tu ne me l’as pas dit, mais je pense que tu es à peine plus âgé que moi…

— Un peu plus qu’à peine, j’ai trente-neuf ans, six de plus que toi, et je fêterai mes quarante l’an prochain, fin juillet.

— Bien, je vais te laisser pour appeler les grands-parents.

— D’accord, je débarrasse la table, toi reste dans le jardin. Si tu veux leur donner le téléphone fixe d’ici je te l’écris sur ce papier…

— Merci, je vais leur donner le numéro pour qu’ils laissent un message si mon portable est éteint à l’hôpital.

Elle est restée un moment au téléphone, j’imagine bien que les parents de sa maman se fassent peur en entendant la nouvelle. Ils doivent être entre soixante-dix et quatre-vingts ans, c’est un gros choc, et ils ne sont peut-être pas capables de venir seuls jusqu’à Saintes. J’ai rangé la cuisine, puis suis ressorti pour la trouver assise dans un fauteuil de jardin, tournée vers le soleil, les yeux fermés, détendue. Elle était vraiment très jolie, blonde avec des reflets roux, les yeux gris-vert quand ils sont ouverts ! Peu maquillée, très fine de traits, grande et mince. Je l’ai vue sourire…

— Tu ne dis plus rien ?

— Je suis en train de me parler à moi-même, en me disant que tu es une très belle femme, et que tu trouveras forcément celui que tu cherches le jour où tu décideras de le trouver.

— Je ne sais pas si cela sera aussi simple, je suis touchée par ce que tu me dis, je crois que tu exagères un peu, malgré tout.

Vers dix-sept heures j’ai appelé les infirmières du local, je me suis présenté et leur ai laissé mon numéro de fixe s’il y avait une urgence, en plus du portable de Morgane. Il m’a été dit que rien n’avait évolué, que nous pouvions passer ce soir, mais que rien ne changerait avant demain matin. J’ai remercié en confirmant notre passage plus tard.

— Morgane, à l’hôpital rien n’a changé, ils nous attendent vers sept heures, mais avant demain matin il n’y aura pas d’autres nouvelles. Ils ont ton portable et je leur ai donné le numéro du fixe ici, s’ils n’arrivent pas à te joindre.

— Merci Vincent, j’ai l’impression de me laisser aller et de te refiler tout ce qu’il y a faire. Demain c’est bien dimanche ?

— Oui, c’est important pour toi ?

— J’aimerais bien aller à l’église.

— D’accord, la messe est à dix heures, ça ira ?

— Oui. Merci, tu viendras avec moi ?

— Oui, je suis ici un dimanche, ce n’est pas toutes les semaines, et donc lorsque je suis là j’y vais. Veux-tu maintenant, aller marcher un peu dans le sable ?