Vague Scélérate - Sawyer Bennett - E-Book

Vague Scélérate E-Book

Sawyer Bennett

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Beschreibung

Wyatt Banks est prêt à ouvrir son cœur à l’âme sœur. Malheureusement, son métier de policier a tendance à interférer avec ses objectifs personnels. Lorsque Wyatt est envoyé en mission pour infiltrer un réseau de trafiquants de femmes, il n’a pas le loisir de se consacrer à autre chose qu’à sa survie dans un monde souterrain glauque et dangereux.

Mais Wyatt n’est pas seul dans sa quête pour sauver les femmes enlevées et vendues comme esclaves sexuelles.

Sa partenaire, l’agent du FBI Andrea Somerville, tout aussi impliquée que lui dans l’opération, va servir d’appât pour attirer les trafiquants au grand jour, en se faisant passer pour une danseuse de strip-tease et piéger l’ennemi. Mais le danger est à la mesure de la flamme naissante entre eux, et Wyatt se retrouve pris entre le travail qu’il aime et la femme qu'il désire.

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VAGUE SCÉLÉRATE

(Série Dernier Appel)

Sawyer Bennett

Traduction : Magali Béchade [email protected]

Tous droits réservés.

Copyright © 2014 Sawyer Bennett

Editions Big Dog Books, LLC

Ce livre est un ouvrage de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les incidents sont le fruit de l’imagination de l’auteur, ou sont utilisés à titre fictif. Toute ressemblance avec des personnes existantes, vivantes ou non, ou avec des événements ou des lieux réels est purement fortuite.

Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle de ce livre par quelque procédé que ce soit, électronique ou mécanique, y compris la photocopie, l’enregistrement, le stockage sur un système électronique d’extraction, ou autre, est illicite sans le consentement préalable écrit de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, exception faite des critiques qui pourront en citer de courts extraits dans leur chronique.

Retrouvez Sawyer en ligne !

www.sawyerbennett.com

www.facebook.com/bennettbooks

Prologue

Wyatt

 Je regarde mes amis, tous rassemblés autour de moi, venus me souhaiter bonne chance et me dire au revoir. Bon sang, qu’est-ce qu’ils vont me manquer, cette bande de joyeux lurons ! Je ne sais pas du tout quand nous pourrons nous revoir.

 L’immense terrasse arrière de la maison côtière de Gavin et Savannah à Duck, en Caroline du Nord, arrive aisément à accommoder notre petit groupe qui n’arrête pas de s’agrandir, ainsi que les quelque deux cents invités. Gavin et Savannah ont eux-mêmes proposé d’organiser une fête pour mon départ dans leur superbe propriété en front de mer. Alors forcément, soyons honnêtes, qui n’aurait pas envie de faire la fête dans une demeure aussi grandiose face à l’océan ?

 En ce début d’avril, la journée a été relativement chaude, du moins avant que la brise ne se lève. Par intermittence, un vent d’ouest en provenance de l’Atlantique invite les femmes à se blottir un peu plus près des hommes pour échapper à la fraîcheur printanière.

 Au sein de notre petite bande, presque tous mes amis ont succombé à ce sentiment miraculeux qu’est l’amour. Il y a d’abord eu Hunter, mon meilleur ami depuis toujours. On se connaît depuis le plus jeune âge, et je savais que lorsqu’il tomberait amoureux, ce serait vraiment pour de bon. Il s’est épris de Gabby, la meilleure amie de sa petite sœur, et honnêtement, je ne m’y attendais pas du tout. Gabby a longtemps ressenti une colère mal placée à son égard, mais à force d’insister, il a fini par l’avoir à l’usure. Maintenant elle porte sa bague de fiançailles en médaillon autour du cou pour ne pas l’abîmer, car elle travaille dans le bâtiment.

Je ne sais pas pour quand le mariage est prévu, mais ils n’ont pas l’air pressés. Hunter est propriétaire d’un bar de plage, le Dernier Appel, et Gabby est entrepreneure en bâtiment. Ils sont tous les deux tellement absorbés par leurs carrières respectives que je doute fort que les cloches nuptiales retentissent de sitôt. En fait, je ne serais pas étonné qu’ils aillent simplement faire un tour devant le juge du coin à l’heure du déjeuner pour passer à l’acte.

 Tout comme Brody, le frère jumeau de Hunter, l’a d’ailleurs fait quand il a épousé Alyssa.

 Brody et Hunter se sont fiancés en même temps alors qu’ils étaient en vacances avec leurs copines. Ça doit être un truc de jumeaux. Je croyais que nous aurions droit à une double cérémonie nuptiale, mais Alyssa a bouleversé tous les projets en tombant enceinte. Bien qu’imprévu, ce bébé n’en est pas moins très désiré. Brody a emmené Alyssa au tribunal pour l’épouser, en déclarant qu’ils pourraient organiser une cérémonie après la naissance du bébé si elle le souhaitait.

 En la regardant à présent, un bras passé autour de Brody et l’autre à câliner leur fils Trey, je doute fort qu’il y ait un jour une cérémonie. À mon avis, ils sont déjà tout à fait heureux en l’état.

 Des pleurs de bébé se font entendre, et mes yeux se portent sur Gavin et Savannah. Leur fille Claire est née il y a presque un mois, exactement dix jours avant la naissance de Trey. Apparemment, il est déjà question de les fiancer tous les deux.

 Gavin prend Claire dans les bras de Savannah pour la bercer d’avant en arrière. Elle se calme instantanément et j’espère bien que si je deviens père un jour, je saurai aussi bien m’y prendre avec mon bébé que mes amis avec leur progéniture. Gavin et Savannah ne sont pas mariés, ni même fiancés d’ailleurs, mais on dirait que cela n’a aucune importance à leurs yeux. J’ai demandé à Gavin s’il comptait l’épouser un soir où nous étions sortis entre copains. Il m’a dit que si cela ne tenait qu’à lui, ce serait déjà fait, mais qu’entre une chose et l’autre, sans compter leur bébé nouveau-né, il y avait toujours un contretemps. D’après moi, ça ne saurait tarder, j’en mettrais ma main à couper.

 — Eh ! La marmaille, arrêtez de boire tout ce lait, vous m’empêchez de faire la fête avec vos mamans, se plaint Casey en tendant un doigt pour caresser le petit nez de Claire.

 Mes lèvres forment un sourire en observant Casey Markham. C’est une fille sublime. C’est la sœur cadette de Hunter et de Brody, et quand je dis petite, je ne parle que de son âge : elle a quatre ans de moins que nous, mais du haut de ses vingt-cinq printemps, elle profite pleinement de la vie. Tout comme moi, elle reste résolument célibataire.

 Mais la différence, c’est que dans son cas, c’est un choix personnel : c’est une fervente adepte du célibat. Elle consomme les hommes comme ma grand-mère consommait les pièces dans les machines à sous d’Atlantic City.

 Pour moi, ce n’est pas tout à fait la même chose.

 Je m’installerais volontiers en couple.

 En regardant Hunter et Brody, je vois bien qu’ils n’ont jamais eu l’air aussi sereins et épanouis de toute leur vie. Je ne connais Gavin que depuis un an, mais il a changé du tout au tout. C’était un véritable abruti, mais Savannah l’a transformé en gros nounours.

 Alors moi aussi, je suis tenté par l’expérience.

 Mais a priori, ce n’est pas pour tout de suite. Certainement pas avec mon départ et mon boulot.

 — Ah mon pote, tu vas me manquer soupire Hunter en s’approchant de moi et en s’adossant à la balustrade de la terrasse.  

 Je tends ma bouteille de Sam Adams vers lui, et il trinque avec sa bière.

 — Toi aussi, tu vas me manquer.

 — Tu n’as vraiment aucune idée de combien de temps ton affectation va durer ? reprend-il doucement alors que nous fixons l’océan.

 — Non. Mais a priori, on m’a demandé de prévoir plusieurs mois. Je pars de zéro pour tenter d’infiltrer une opération bien établie et il va me falloir un certain temps pour réussir à gagner leur confiance.

 — Et tu ne peux pas du tout me donner une idée de l’endroit où tu vas, ni de ce que tu vas faire ? insiste-t-il encore en souriant.

 Il me donne même un petit coup d’épaule.

 — Allez quoi ! Je suis ton meilleur ami quand même !

 — Mon vieux... Tu sais très bien que ça ne marche pas comme ça. Ce n’est pas la première fois que j’accepte ce genre de mission et tu sais pertinemment que je n’ai pas le droit de t’en parler.

 — Bon, bon, soupire Hunter, en levant les bras d’un air résigné. Tu as juste intérêt à ne pas te faire tirer dessus, et à nous revenir en un seul morceau.

 Il finit le restant de sa bière à grandes goulées.

 Je lui assène un mini coup de poing au creux de l’estomac, ce qui lui fait lâcher un cri étouffé, et je porte le goulot de ma bouteille de bière à mes lèvres pour la finir moi aussi. Il est temps de prendre congé. Je dois me lever tôt demain, et la dernière des choses dont j’ai besoin, c’est d’avoir la gueule de bois.

 Depuis que je suis policier, c’est la deuxième fois que je suis affecté sous couverture. À mes débuts dans la police de Nags Head, j’ai travaillé pour la brigade des stupéfiants et j’ai fait une première mission d’infiltration pour démanteler un réseau de trafiquants d’héroïne, ici sur l’île. L’opération a été assez courte parce que le réseau était petit. Cela témoigne de la taille modeste de notre communauté.

 Mais cette fois, c’est différent.

 J’ai été affecté dans un groupe de travail conjoint qui réunit la police de Raleigh et le FBI. Mon rôle est nettement plus important. On ne m’a pas donné beaucoup de détails, mais je sais qu’il s’agit d’un réseau présumé de trafiquants de femmes. Elles sont enlevées et vendues comme esclaves sexuelles, et le trafic couvre toute la région Sud-Est des États-Unis et opère depuis Raleigh. Le FBI est impliqué parce que l’affaire a franchi les frontières de la Caroline. L’une des victimes, qui a réussi à s’échapper, a été retrouvée à Denver, alors qu’elle avait été enlevée à Raleigh.

 À partir de demain, ma nouvelle vie commence. On va me briefer pendant quelques jours, puis je vais devoir endosser ma nouvelle identité. Après, tout le travail d’infiltration pour prendre ma place au sein du réseau va commencer.

 Il va me falloir des mois, voire peut-être l’année, qui sait, pour mettre au point ma couverture. Il s’agit de gagner la confiance des trafiquants et de réunir des preuves depuis l’intérieur.

 Je vais mettre ma vie entre parenthèses, et le désir et la chaleur qui m’envahissent quand je regarde mes amis si amoureux va devoir rester au frais pendant un certain temps. Je me suis porté volontaire, conscient qu’une arrestation réussie serait déterminante pour le restant de ma carrière. L’occasion était trop belle pour ne pas la saisir, alors pour l’instant, il faudra bien que l’amour attende.

Chapitre 1

Wyatt

 — Gil... On a un connard bourré dans le salon VIP numéro 2 qui n’a pas l’air de capter le sens du mot « non ». Je ne sais pas pourquoi Misty n’est pas d’accord, mais va t’occuper de lui, m’ordonne Lance Portman en me prenant par l’épaule pour attirer mon attention par-dessus la musique.

 Heureusement, mon nouveau surnom de Gil me vient très naturellement maintenant, et je crois même que si on m’appelait Wyatt, je ne réagirais pas tout de suite.

 C’est simplement le résultat de trois mois d’infiltration sous le nom de Charles « Gillette » Hawkins... ou « Gil » pour mes amis, connaissances criminelles, et collègues de travail. J’assume entièrement ma nouvelle identité et, mis à part mon dégoût profond de travailler au Platinum Club, cette boîte de strip-tease sordide, l’opération se déroule bien.

 Je fais un signe de tête vers Lance, le sous-directeur des lieux, et je me tourne vers l’escalier. Du coin de l’œil, je vois Leisha en train de ramper sur scène en balançant d’avant en arrière ses énormes bonnets D en direction d’un client qui agite un billet de cinquante dollars. Je capte le regard de Leon pour lui demander de garder un œil sur la scène, et je lève la tête en lui indiquant que je vais à l’étage. La bagarre a déjà éclaté plus d’une fois quand Leisha agite ses roberts devant les clients, et Leon est l’un de nos videurs les plus fiables ici. Je n’hésite pas à m’éloigner du niveau principal quand il est là. Ses énormes biceps de la taille de deux jambons suffisent à calmer les clients les plus turbulents en mon absence.

 Mon travail de manager ici comporte de multiples facettes. Officiellement, je supervise toutes les danseuses et le personnel d’appoint (barmans et videurs) ; je gère l’inventaire, j’encaisse la recette tous les soirs, et je la dépose à la banque. J’organise les plannings pour tout le monde et je suis de service tous les soirs pour m’assurer que tout se passe bien. En gros, je fais des tâches quotidiennes de gestion d’entreprise. Plus officieusement, et moins légalement, je supervise aussi pas mal de choses. Après avoir gagné la confiance de la direction, l’un de mes premiers gestes criminels a été d’identifier les clients intéressés par plus qu’une simple danse sur les genoux.

 Oui, dans la pratique, je suis devenu le proxénète de la maison. Je m’assure que les types excités qui ont le budget adéquat peuvent se faire sucer par les danseuses, ou même les baiser s’ils réussissent mon test.

 C’est la raison pour laquelle je suis en ce moment même en route vers le salon VIP numéro deux. Misty a deux gentlemen (et j'utilise ce terme plus que libéralement) en sa compagnie. Ce sont des clients réguliers qui dépensent beaucoup d’argent, et Simon veut qu'ils soient bien traités. Malgré le sentiment de malaise que cela génère en moi, je dois faire en sorte que Misty honore la promesse qu’elle leur a faite, sinon c'est moi qui vais avoir le feu aux fesses si jamais Simon a le moindre soupçon. C’est grâce à cette petite activité de prostitution que j’ai réussi à gagner sa confiance, et à être admis dans son noyau proche.

 Simon Keyes est ma cible principale. C’est lui que j’essaie de faire tomber dans cette opération.

 C’est le propriétaire du Platinum Club et en parallèle, il a aussi d’autres petites affaires qui frôlent plus ou moins les limites de la légalité, notamment : un commerce de prêteur à gages qui masque une activité de recel et de revente de biens volés ; une franchise de la Western Union, qui encaisse des chèques d'aide sociale bidon en échange d'une partie des recettes ; et une boulangerie qui sert de façade à un trafic de méthamphétamine. Aucune de ces activités ne nous intéresse, ni moi, ni la police de Raleigh, ni le FBI.

 Non, l’activité que nous voulons démanteler est très secrète et il m’a fallu pas mal de temps pour m’en rapprocher. Parce que si Simon se fait prendre pour ce qui nous intéresse vraiment, il sera mis hors d’état de nuire une bonne fois pour toutes. Il se montre donc extrêmement pointilleux sur les gens à qui il accepte d’accorder sa confiance.

 Simon Keyes opère dans le trafic humain : il vend des esclaves du sexe. Il est apparu sur le radar du FBI il y a environ deux ans, lors d’une enquête ouverte suite à la plainte de Laney Tellar, une jeune femme de Denver. Elle s'est présentée au poste de police en racontant qu'elle avait été enlevée et vendue comme esclave sexuelle. Elle n'avait aucune idée de l'endroit où elle avait été détenue, mis à part qu’il s’agissait d’une propriété privée dans un quartier inconnu. Elle avait été enchaînée pendant toute la durée de sa captivité, et elle n'avait donc jamais su dans quel État elle se trouvait. Cependant, son propriétaire, « le maître », comme on lui avait dit de l'appeler, ne pouvait apparemment pas se séparer d'elle et avait insisté pour qu'elle l'accompagne en voyage d'affaires à Denver. Là aussi, il l'avait enchaînée dans l’élégante chambre d'hôtel qu'il avait réservée pour trois jours.

 Il avait commis l'erreur de laisser la clé des menottes sur la table de nuit en allant prendre une douche et elle s'était libérée puis avait pris la fuite le plus vite possible. Le temps que la police obtienne sa déposition et envoie des unités à l'hôtel, l'homme avait déjà filé depuis belle lurette. Bien sûr, il avait réservé la chambre sous un pseudonyme et s’était envolé sans laisser aucune trace. Laney avait mentionné dans sa déposition qu'il leur avait fallu environ six heures pour rejoindre Denver en voiture depuis l'endroit où elle était détenue, de sorte qu’on avait pu déterminer le rayon géographique approximatif de sa prison, mais sans plus de détail.

 La seule certitude, c’est que Laney avait été enlevée à Raleigh, en Caroline du Nord, où elle vivait depuis qu'elle avait laissé tomber l'université à l'âge de dix-neuf ans. À vingt ans, elle dansait au Platinum Club et était accro à la cocaïne. Ses derniers souvenirs précis de la Caroline du Nord remontaient au moment où elle s'était couchée dans son petit appartement miteux de Cowell Street en centre-ville.

 Elle s'était réveillée bâillonnée, pieds et mains ligotés, ballotée à l'arrière d'un fourgon.

 Elle avait rencontré son « maître » deux jours plus tard et avait enduré près de deux mois de viols quasi quotidiens avant de pouvoir s'échapper.

 À ce stade, rien ne permet d’établir avec certitude un lien entre le Platinum Club ou Simon Keyes et son enlèvement. Keyes est connu des services de police pour avoir fait plusieurs séjours en prison suite à des crimes mineurs, mais mis à part son passé douteux, il n’existe aucune piste tangible sur laquelle s’appuyer et qui permette de faire le lien entre Simon et l'enlèvement. La seule chose ayant retenu l'attention du FBI, c’est la disparition mystérieuse de plusieurs danseuses de son club sur les deux dernières années. Du jour au lendemain, elles arrêtent de se présenter au travail, et le taux de roulement de ses danseuses est anormalement élevé pour cette industrie. En règle générale, ces femmes se voient offrir bien plus d'argent qu'elles ne peuvent rêver d’en gagner. C’est le genre de somme dont elles pourraient difficilement se passer.

 La police et le FBI savent que le taux de rotation des danseuses est élevé pour le milieu grâce à la taupe qu’ils ont sur les lieux. Ce n'est qu'un videur et il n'a aucune chance de pouvoir gagner la confiance de la direction, d’autant plus que ce n’est pas son travail. Mais on lui a demandé de garder un œil sur ce qui se passait et de signaler toute anomalie, et c'est ce qu'il a fait pendant près de dix-huit mois, en alertant les enquêteurs sur le nombre anormalement élevé de femmes qui arrêtaient de venir au travail comme prévu. La police s’était subrepticement déplacée pour assurer un suivi d’enquête, et pour tenter de retrouver la trace de ces femmes, mais en vain. Toutes étaient restées introuvables. À chaque fois, leur appartement avait l’air normal en apparence, comme si elles étaient juste sorties faire des courses. Leurs vêtements et leurs effets personnels étaient encore sur place, y compris leur portefeuille et leur pièce d'identité. Elles avaient de toute évidence été enlevées. Depuis trois mois que je suis ici, encore deux danseuses ont disparu. Le plus triste, c'est que leur disparition n'est jamais signalée par personne. Elles n’ont aucune famille, pas d'amis. Les victimes sont clairement ciblées et identifiées comme des filles qui ne manqueront jamais à qui que ce soit.

 Entre la moyenne de l'industrie (il faut dire que le FBI a des statistiques sur tout, ou presque), et la disparition pure et simple de ces filles, le FBI a la conviction que le club de strip-tease, et surtout Simon Keyes, sont impliqués jusqu’à la moelle dans une activité extrêmement vile.

 L'hypothèse étant le commerce d'esclaves du sexe. Mais il faut des preuves solides pour établir un lien avec Simon Keyes dans cette affaire et réussir à démanteler le réseau.

 Je n’ai pas eu de mal à obtenir un poste au club, mais il m’a été beaucoup plus difficile de gagner la confiance de Simon. Le FBI m'a fourni un pseudo d'emprunt très solide, Charles « Gillette » Hawkins. J'ai soi-disant fait de la prison pour trafic de drogue, et on m'a surnommé « Gillette ». Comme vous l'aurez compris, ce surnom est un rappel de mes compétences expertes dans le maniement des cutters et des lames de rasoir. Je suis arrivé chez Simon Keyes hautement recommandé par un informateur du FBI encore actif dans le milieu criminel, qui rend service au gouvernement en échange de certaines faveurs. Cet informateur connaît bien Simon Keyes et a même des liens avec la mafia, sa parole a donc énormément joué en ma faveur auprès de Simon.

 Simon m'a embauché sur le champ après un entretien improvisé alors que nous étions assis au bord de la scène principale une après-midi, à regarder des seins et des fesses tournoyer dans tous les sens.

 J'ai commencé comme videur et j'ai rapidement fait mes preuves. J'ai accepté chacune des petites « missions » que Simon me confiait, qui, j'en suis convaincu, étaient illégales. Mais malgré cela, il ne me faisait pas assez confiance pour m’en révéler le détail. Il pouvait s'agir de « récupérer un paquet » chez un associé ou de « livrer une mallette avec du liquide » à un autre associé. Je n'ai jamais posé de question, je me suis concentré sur mon travail, et j'ai prouvé à Simon que j'étais loyal et que je savais tenir ma langue. Au bout de deux mois, il m’a promu au poste de manager.

 J’ai réussi une première grande percée pour gagner sa confianceen lui apportant la preuve de mes compétences criminelles. La prostitution sévit activement au Platinum, et on m’avait expliqué lors de mon briefing de préparation que le club avait déjà été obligé de fermer une ou deux fois par le passé à cause de ça. Ce n'était pas grand-chose, rien de suffisant pour pouvoir coincer Simon Keyes. Néanmoins, cela m’a suffi à m’engouffrer dans la brèche. Il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre que la prostitution était omniprésente au club, et que la plupart des filles étaient dans le coup. Les images des caméras installées dans les salons VIP me l'ont confirmé.

 Je suis donc passé à l’action. Je suis allé frapper à la porte de son bureau une nuit après la fermeture.

 — Simon... tu aurais une minute ?  

 Ce type est une véritable ordure, mais à s’en fier aux apparences, on ne s’en douterait absolument pas. C'est un bel homme de quarante-deux ans avec d’élégants cheveux bruns, qui porte des costards à mille dollars la pièce et qui arbore une civilité bien cultivée.

 — Bien sûr... Entre, Gil.

Il a refermé un registre comptable sur son bureau et s’est levé de sa chaise.

 Je suis entré, j'ai fermé la porte et je l'ai regardé ouvrir le coffre-fort derrière son bureau. Après y avoir rangé l’épais registre et l’avoir refermé, il s'est retourné et s'est rassis, en me faisant signe de prendre place sur une chaise en face de lui, de l’autre côté du bureau.

 — De quoi s’agit-il ? a-t-il demandé en posant ses coudes sur le bureau et en appuyant son menton sur ses mains croisées.

 — Écoute... Je suis de très près tout ce qui se passe au club, et à mon avis, tu as un problème. Je suis presque certain que les filles se tapent des clients dans les salons VIP et qu’elles empochent le fric.

 Je l'ai observé attentivement pour noter sa réaction, mais cela n’a pas été nécessaire pour me confirmer ce que je savais déjà. Simon Keyes est parfaitement au courant de ce qui se passe dans son club. Rien ne lui échappe, et comme il touche une partie des pourboires des filles tous les soirs, il sait exactement par quels moyens elles se font ce genre de blé.

 — Vraiment ? Ce n’est pas bien du tout, a-t-il commenté d’un ton neutre.

 — Ce qui n'est pas bien du tout, c’est la façon dont ça se passe, ai-je rétorqué.

 En le voyant froncer un sourcil curieux vers moi, j’ai continué sur ma lancée.

 — Il n'y a aucune raison pour qu’un pourcentage de ce business ne te revienne pas. C’est toi qui mènes la danse ici, et c’est aux filles de te suivre. Tout cet argent qu'elles gagnent, elles le gagnent uniquement parce qu’elles ont l'opportunité de danser ici. Grâce à toi.

 J'ai marqué une pause dans l’attente de sa réaction, qui ne m’a pas échappé. Un soulèvement à peine perceptible du coin de la bouche et un profond intérêt dans son regard.

 Malgré cela, il est resté sur ses gardes ; je ne faisais pas encore partie des proches dignes de sa confiance.  

 — Sauf que la prostitution est illégale.

 J'ai reniflé un grand coup, pour accentuer l’effet dramatique, en me penchant plus en avant sur ma chaise.

 — Aucune importance, du moment que tu ne te fais pas prendre, ai-je lancé avec suffisance. J'espère juste que j’aurai droit à une part équitable si je règle ça pour toi.

 Simon a froncé les sourcils un instant, et il m’a jugé digne de sa confiance. Et c’est là que j’ai eu un premier aperçu de deux de ses collaborateurs les plus proches : Simon Keyes et son bras droit, Lance Portman.

 — Je le sais, que les filles baisent pour se faire du fric. Je reçois déjà une part du gâteau, s’est-il écrié, en chassant une poussière imaginaire du coin de sa veste.

 D’un regard insistant, il m’a scruté de près, pour me jauger, à l’affût de la moindre faille.

 C’était exactement la réaction que j’attendais, et j’avais déjà ma réponse toute prête, pour lui prouver que j'étais digne de sa confiance. Je l’ai félicité, histoire de flatter son ego déjà démesuré.

 — Ça ne m’étonne pas, évidemment. Après tout, tu es un homme d'affaires avisé. Mais moi, je peux te faire gagner encore plus d'argent.

 Il m'a regardé intensément en se pendant par-dessus son bureau.

 — Qu’est-ce que tu veux dire ?

 — J'ai pas mal d'expérience dans le domaine. Pour l'instant, tu n’as qu’une poignée de clients réguliers. Mais je parie que je pourrais passer en revue tous les clients potentiels, établir un menu avec une grille de prix, et faire payer ceux qui baisent beaucoup plus cher. Et après, tu partages les bénéfices avec les filles : moitié-moitié. Sans compter que je sais renifler un flic en planque à des kilomètres.

 — Et tu veux quoi, en échange de tes services ? a-t-il demandé avec une lueur glaciale dans le regard.

 Je me suis avancé vers lui, le regard confiant, en répliquant :

 — Je veux dix pour cent. Je développe ton business, je m’occupe de protéger les filles, et je te garantis que les flics ne te coinceront jamais.

 Les yeux de Simon ont brillé de cupidité et j'ai compris que c'était un marché conclu.

 Bien sûr, mes dix pour cent iraient directement aller alimenter les preuves, et s’ajouteraient aux charges complémentaires que j'espérais pouvoir faire peser sur lui jusqu'à ce qu'il soit hors d’état de nuire.

 J’étais malade rien qu’à l’idée de devenir proxénète, mais j’ai quand même réussi à m’infiltrer parmi les proches collaborateurs de Simon et à obtenir sa confiance.

 Une fois arrivé en haut des escaliers, je me dirige à droite, en direction du couloir étriqué qui abrite les trois salons VIP. Chacun d’entre eux est meublé d’un canapé, de fauteuils en velours et d'une barre de strip-tease privée. Chaque pièce possède également un large miroir sans tain posé au mur et qui donne sur l'intérieur du club : ainsi, les clients VIP peuvent choisir d’assister à leur propre spectacle particulier, ou alors suivre ce qui se passe sur scène.

J'ouvre la porte du numéro deux et je trouve Misty assise sur le canapé, les jambes croisées, occupée à se limer les ongles avec une expression d’ennui profond sur le visage. Elle porte un corset noir bordé de dentelle rouge, un string, et des talons compensés noirs. Ses cheveux blonds sont relevés en une longue queue de cheval, sa marque de fabrique ; elle m'a confié un jour qu'elle les attachait ainsi pour ne pas être gênée quand elle suçait les clients.

C’est la finesse incarnée, celle-là.

Deux réguliers qui profitent de nos salons VIP plusieurs fois par semaine sont debout dans le coin. Celui qui se fait appeler John s'approche de moi, visiblement en colère.

 — J’ai payé cette salope, mais elle refuse de faire le boulot ! éructe-t-il en crachant partout.

 Tout en essuyant calmement le postillon qui vient d’atterrir sous mon œil, je regarde Misty.

 — C'est vrai ?

 Elle lève ses grands yeux noirs vers moi en prenant un air innocent.

 — Ils veulent une double pénétration ! Je ne vais pas me la faire mettre deux fois dans le cul pour cinq cents dollars de rien du tout. Si c'est tout ce qu'ils peuvent lâcher, il n’y en a qu’un qui aura ma chatte. L'autre n’a qu’à prendre ma bouche.

 Je me fais violence pour éviter de grimacer de dégoût, mais je me retourne vers les types.

 — Le tarif est de mille dollars pour ce que vous demandez les gars. Si vous n'avez que cinq cents dollars, vous aurez droit à un peu d'action bouche et chatte, mais ça s’arrête là.

 Les gars grommellent, mais sortent leur portefeuille pour en extraire cinq cents dollars de plus. John les compte rapidement et les tend à Misty en marmonnant des insultes. Elle prend calmement l'argent et le fourre dans la jarretière autour de sa cuisse, puis entreprend d’ôter son corset.

 Alors que je me détourne pour quitter la pièce, sachant mon travail terminé, la voix de Misty m’interpelle :

 — Tu devrais rester et regarder.

 Ma tête pivote dans sa direction.

 — Le beau gosse ici présent est pas mal bourré, et je ne me sens pas vraiment en sécurité avec ces deux-là. Tu devrais rester... tu sais, histoire de t'assurer que les choses ne partent pas dans tous les sens.

 Je ne peux pas m'en empêcher. Cette fois, mon nez se plisse, c’est trop répugnant. D’un ton assuré, j’insiste :

 — Je te garantis que tu es en sécurité.

 Je fixe les hommes bien en face avant de reprendre :

 — Ces messieurs seront très doux, n'est-ce pas ?

 Tous deux acquiescent rapidement, les yeux directement scotchés sur les énormes seins de Misty qui s’échappent du corset.

 — Parfait. Dans ce cas, amusez-vous bien.

 Je me retourne une fois encore.

 — C'est dommage, retentit encore la voix moqueuse de Misty. Je sais que tu aimerais beaucoup me voir au travail, Gil.

 Je rétorque sans même la regarder.

 — Ça ne me botte pas.

 Je sors en refermant doucement la porte derrière moi.

  Bon sang, qu’est-ce que je hais cette partie de l'opération. Vendre du cul à des gros dégueulasses qui trompent leurs femmes pour se taper le grand frisson. Ça me débecte à un point… c’est carrément abyssal. Je continue à me répéter en boucle que le but ultime de tout ceci est de sauver un maximum de femmes.

 Dès que j’en aurai fini avec cette affaire sordide, je me passerai au désinfectant de la tête aux pieds : aucun doute là-dessus. Juste pour que cette saleté ne me colle pas à la peau. Je sais aussi que quand tout sera terminé, je ne travaillerai plus jamais sous couverture.

Chapitre 2

Andrea

 J'essuie mes mains moites sur mon pantalon. Heureusement, la trace humide qu’elles laissent ne se verra pas sur le tissu noir. Je prends une profonde inspiration avant de frapper à la porte de mon responsable hiérarchique, puis j’expire lentement en attendant d’être invitée à entrer.

 — C'est ouvert, résonne une voix bourrue depuis l'intérieur.

 En redressant les épaules, je tourne la poignée et je pousse la porte.

 Mon chef, l’agent spécial en charge Dale Lambert, est assis derrière son bureau recouvert de piles de dossiers et de gobelets de café vides. Ses cheveux grisonnants sont soigneusement peignés et son costume anthracite parfaitement repassé.

 Il lève les yeux sur moi et me lance un regard vide.

 — Que puis-je faire pour vous, Somerville ?

 Les mains dans le dos, et les pieds légèrement espacés pour me mettre au garde-à-vous, je l’interroge :

 — Vous avez demandé à me voir, monsieur ?

 — Ah oui, en effet, s’écrie-t-il, d’un air soudainement entendu.  Il se met à farfouiller au milieu des piles de dossiers éparpillées sur son bureau.

 — Installez-vous. Il y a un sujet dont j’aimerais discuter avec vous.

 Mon cœur s'emballe et j'essaie de conserver ma posture solennelle tout en contournant l’une des chaises placées en face de son bureau. Je m'asseois, perchée sur le bord, le dos bien droit. Je serre mes mains moites sur mes genoux en priant pour qu'il m’annonce ce que je rêve d’entendre.

 Il y a quatre mois, j'ai postulé à l'Unité de Recherche et d'Analyse Comportementale du FBI1, autrement connue sous le sigle de la BRIU. Le FBI adore les acronymes. J'ai demandé à mon chef, l’agent spécial Dale Lambert, s’il voulait bien m’écrire une lettre de recommandation, ce qu’il a fait de bonne grâce, tout en me confiant qu'il n’avait pas envie de me voir quitter son service du bureau de Pittsburgh où je travaille depuis deux ans. J'ai passé les entretiens pour la BRIU, quatre pour être exacte, et même si je sais que cela fait déjà un petit moment, je ne peux pas m'empêcher de garder espoir. Je n'ai jamais rien laissé se mettre en travers de mes objectifs jusqu’à présent.

 Même s’il m’a fallu faire des sacrifices et que je l’ai payé cher.

 Les chances que je sois acceptée sont maigres, car je ne suis agent spécial du FBI que depuis deux ans. Depuis mon affectation, je travaille pour la division des enquêtes criminelles du bureau de Pittsburgh et, malgré des tâches plutôt ennuyeuses comme la vérification des antécédents des employés fédéraux qui viennent d’être recrutés, j’ai aussi participé à des enquêtes intéressantes dans divers secteurs, qui allaient du crime violent à de la criminalité en col blanc2.

 Lambert sort un dossier, le feuillette brièvement et le tend vers moi.

 — Le bureau de Raleigh mène une enquête conjointe avec la police locale sur un réseau potentiel d’esclavage sexuel. Ils ont besoin d'un agent féminin pour aller s’infiltrer sous couverture.

 Je lui prends le dossier des mains, saisie de découragement. Ce n'est pas du tout ce que je souhaitais entendre. Non pas que cela ne puisse pas représenter une opportunité, mais j'espérais vraiment qu'il allait plutôt me dire que j'étais sur le départ pour Quantico.

 — Je n’ai pas reçu de nouvelles de la BRIU, alors ôtez-moi cet air désespéré de votre visage, gronde-t-il.

 Mes yeux se fixent sur les siens et je m’efforce de détendre mes traits. Tout en ignorant son commentaire, je demande :

 — Il n'y a aucun agent à Raleigh qui pourrait s’en charger ?

 Ma question est raisonnable. Il se trouve juste que je suis un peu curieuse, car nos antennes locales sont généralement bien pourvues en personnel. Il est rare de devoir emprunter un agent à l’extérieur alors que le personnel abonde.

 — Non, personne d'aussi qualifié que vous, avoue-t-il avec un sourire penaud.

 — D'aussi « qualifié » que moi ?

 — Le chef du réseau de trafiquants en question s’appelle Simon Keyes. C'est un criminel de bas étage qui a fait un peu de prison. Mais il est intelligent. C’est un rusé, et nous n’avons aucune preuve tangible qui permette de l’associer à ce trafic. Nous sommes convaincus que son club de strip-tease lui sert de façade et qu'il choisit ses victimes parmi les danseuses.

 Je hoche la tête en signe de compréhension et mon regard se pose sur le dossier.

 Sans la moindre gêne, je déclare doucement :

 — Dans ce cas, évidemment que je suis qualifiée.

— Écoutez, mon petit, reprend Dale d'un ton bourru. Vous n’êtes pas notre seul agent spécial à avoir dansé autour d’une barre dans un bar à strip-tease dans sa vie. Il se trouve simplement que vous êtes le seul agent féminin du FBI à ne pas être plongé dans une autre affaire en ce moment. En plus, vous avez un accent du Sud. Votre couverture sera celle d'une fille du coin en perte de vitesse.

 Je ris cyniquement en me mettant à feuilleter le dossier. C'est assez vrai... Je sais comment danser autour d’une barre, et même très bien. J'ai réussi à financer mes études de droit en dansant à mi-temps pour me payer la fac. Je n’en suis pas particulièrement fière, mais je n'en ai pas honte non plus. Je suis sortie de l'école avec deux diplômes impressionnants et pas un centime de dette à mon nom. Bien sûr, le FBI sait tout de ma « carrière » antérieure, puisque j'ai honnêtement divulgué cette information en faisant ma demande de poste.

 — Que veulent-ils que je fasse ?

 Je pose la question avec intérêt, et je commence à ressentir des papillons dans le ventre : cette affaire a l’air palpitante. Même si j'ai vraiment envie d'entrer à la BRIU pour faire de l'analyse criminelle, je suis surexcitée à l'idée d'aider à démanteler un réseau criminel, quel qu’il soit.

 — Du travail d’infiltration. Ils ont déjà un flic local sous couverture, qui s’est bien implanté. Il s’apprête à coordonner un coup monté et ils ne veulent pas mettre un membre du public en danger. Ils ont besoin d'un agent qui peut se faire passer pour une danseuse. Un appât, pour ainsi dire. 

 Tout en feuilletant le dossier et en observant les photos en couleur des femmes potentiellement enlevées et vendues, j’affirme solennellement :

 — Ça, je peux y arriver.

 Il y en a un nombre hallucinant.

 — J’étais sûr que vous seriez prête à accepter. Écoutez, vous savez que la BRIU est très sélective. Votre manque d'expérience vous dessert, mais si vous réussissez une mission d'infiltration et que vous contribuez à faire tomber un réseau de trafic humain, vos chances d'être prise vont s’en trouver décuplées.

 Mon visage se penche vers lui, et je ne peux retenir un sourire en songeant à cette opportunité.

 — Vous savez que c'est mon rêve, monsieur. Soyez assuré que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider à démanteler ce réseau.

 — Je compte sur vous, Somerville. Faites-nous honneur. Je vous veux dans un avion demain matin à la première heure. Rentrez chez vous et allez faire vos valises.

 Je quitte le bureau de Lambert pour retourner dans le box qui me sert de bureau. Je prends un moment pour répondre à quelques e-mails et laisser un message de réponse automatique indiquant que je serai absente pour une durée indéterminée. Je transfère quelques fichiers à des collègues, tous les autres à Lambert pour réaffectation, puis je me connecte à Delta Airlines pour réserver un vol à destination de Raleigh en Caroline du Nord.

 Après avoir fini tout cela, je me déconnecte, j’éteins mon ordinateur et ma lampe de bureau. Je jette un coup d'œil à mes collègues, et mon visage se fait sérieux. Mon sourire s’efface.

 Il est temps de partir en mission d’infiltration.

 De retour chez moi, je monte immédiatement dans mon petit grenier poussiéreux où sont entreposées quelques boîtes. Même si mon époque de danseuse est révolue depuis belle lurette, j'ai quand même gardé quelques costumes.

 Je les ai conservés par nostalgie, je suppose, et peut-être aussi pour me rappeler qu'il y a toujours un moyen d'atteindre son objectif, même si pour cela, il faut parfois savoir un peu ravaler sa fierté.

 Je n’ai pas à chercher longtemps pour trouver la caisse étiquetée « Faculté de droit », juste à côté de la boîte marquée « Papa ». J'écarte un instant la caisse de la fac de droit, sachant qu'elle contient de vieux manuels, des notes de cours et des soutiens-gorge en satin avec des pompons. Je m'asseois sur le sol poussiéreux et j'ouvre la boîte étiquetée « Papa » pour farfouiller dedans.

 Je feuillette les vieilles photos de maman et lui, qui retracent leur histoire d'amour, leur mariage, puis l'arrivée de mon frère, Kyle. Après quelques années de souvenirs en plus, j’apparais à mon tour, dans les bras de mon père, enveloppée dans une couverture bleu marine avec l'écusson de l'Académie navale américaine en jaune foncé. Je passe mon doigt sur l'image, sur le sceau en particulier, et sur la main qui tient un trident à trois branches pointé vers le haut avec une galère au milieu. En dessous, il y a un livre ouvert avec la devise « Ex scientia tridens » qui signifie « de la connaissance provient la puissance maritime ». Oui... Mon père était dans la Marine, et même si j’ai vraiment envie de lui ressembler, je ne voulais pas suivre ses traces à Annapolis. J’ai préféré faire des études de premier cycle, puis des études de droit à l'université de Virginie, avant de m'inscrire à l'académie de police.

 Je n’ai pas beaucoup de photos avec lui parce qu'il est mort quand j'avais tout juste six mois.

 Je laisse tomber les photos sur le sol, je fouille dans la boîte, et j’en tire un portefeuille relié en cuir, que j’ouvre.

 Agent spécial James Somerville.

 Je passe mon pouce sur sa photo, fière de la forte ressemblance que je partage avec lui.

Les mêmes cheveux blond doré et le même sourire un peu de travers avec une fossette sur la joue droite, mais pas sur la gauche. Kyle a exactement le même.

 Mon père a été tué dans l'exercice de ses fonctions. Avec son unité, ils se sont rapprochés d'un tueur en série présumé qui s’est enfui sous une pluie de balles.

 Il faisait partie de la BRIU, qui à l’époque, s'appelait l'Unité des Sciences du Comportement.

 Je range mes souvenirs dans la boîte en adressant une prière silencieuse à mon père.

 — Veille sur moi, papa. Cette fois, c’est pour de bon.

 En époussetant mon pantalon, je farfouille dans ma boîte de la fac de droit et j’en sors la pile de soutiens-gorge et de strings à paillettes ainsi que ma seule paire de talons de scène, qui sont peut-être un peu démodés, mais qui pourraient bien servir pour ma couverture. Si je suis censée être une pauvre fille qui doit se déshabiller pour gagner sa vie, il faut que j’aie l’air de porter des vêtements d’occasion.

 Alors que je me retourne vers l'échelle pliante, une petite boîte à chaussures solitaire, posée juste à côté de moi, capte mon attention. Elle n'est pas étiquetée, mais je sais ce qu'elle contient. Je me baisse pour la ramasser et je la descends avec moi.

 Dans la cuisine, je pose la boîte et les vêtements sur le comptoir, puis je me prépare un sandwich. Je le mange avec une efficacité redoutable, debout à mon comptoir en formica, en regardant par la fenêtre qui donne sur le devant de ma petite maison de plain-pied. Mon salaire d’agent du FBI ne paie pas très bien, mais je gagne suffisamment pour avoir pu m’offrir cette petite maison. Qui plus est, ce n'est pas comme si j’avais besoin de dépenser beaucoup. Je n'ai pas d'amis proches vu que je travaille tout le temps, donc pas de budget à prévoir pour les soirées arrosées entre filles. Il est hors de question que je sorte avec qui que ce soit, mon cœur est encore bien trop meurtri depuis que David a rompu avec moi il y a maintenant presque trois semaines. De toute façon, même si j'étais prête à repartir en chasse, j'ai découvert que l'ego de beaucoup d’hommes n’arrivait pas à supporter le fait que je sois agente du FBI, donc pas la peine de dépenser mon argent en jolis vêtements et en lingerie fine. Je n'ai même pas de chien pour me tenir compagnie vu que je ne suis jamais chez moi, donc pas de croquettes ni d'os à acheter. Mon budget vestimentaire est modeste, mais me permet d’investir dans des pantalons noirs, des chemisiers bleus et des petites vestes noires bien ajustées. Il n’y a plus qu’à ajouter des chaussures noires à la fois formelles et confortables, et vous avez l'uniforme type du FBI.

 Je rince mon assiette et j’attrape une bouteille d'eau dans le réfrigérateur. Après quoi je prends les affaires de strip-tease et la boîte et je me dirige vers ma chambre. Je sors ma petite valise du placard et je la jette sur le lit. Dave m’a conseillé d’emporter suffisamment de vêtements, car la durée de la mission est incertaine. Malheureusement, ma garde-robe au grand complet ne suffit pas à remplir ma grande valise. Une fois mes bagages bouclés, il ne me reste donc rien de plus à faire que d'attendre le lendemain.

 Je prends une douche rapide dans ma salle de bains microscopique, en remarquant une petite zone de rouille à la base du robinet. Je l’effleure du doigt, en prenant note de m’en occuper à mon retour. J'ai tout un tas de projets de modernisation pour cette maison, mais je les repousse toujours à plus tard. En fait, c'est parce que j’espère encore être transférée à la BRIU, et m’acheter une nouvelle maison à Quantico, en Virginie.

 J’enfile des sous-vêtements propres et un vieux t-shirt de la faculté de droit de l'université du Mississippi, produit d'une romance courte et ratée avec un collègue, agent du FBI, lui aussi diplômé de la faculté de droit. Puis je m’installe dans mon canapé marron défraîchi avec une bière et j’ouvre ma liste de contacts sur mon iPhone. Un coup de pouce sur l'écran et j'appelle le portable de Kyle.

 — Salut, l’enquiquineuse de service ! Alors, quoi de neuf, frangine ? demande la voix de Kyle dans le téléphone après la deuxième sonnerie.

 C’est l’une de ses prérogatives de grand frère de m’appeler ainsi. Tout en posant mes pieds nus sur la table basse, je réponds en souriant.

 — Pas grand-chose, mon casse-pieds préféré.

 Et oui... Moi aussi j’ai un petit surnom affectueux pour lui.

 Bizarrement, je n'ai pas encore dit à Kyle que David et moi n’étions plus ensemble. J'espère peut-être encore que David changera d'avis, ou peut-être ai-je peur de devoir accepter la réalité à la seconde où je le lui dirai. Quoi qu'il en soit, j'ai des choses plus importantes à lui raconter.

 — Alors, tu as attrapé des méchants aujourd'hui ? questionne-t-il.

 J'entends Sports Center sur ESPN en arrière-fond sonore et j'imagine Kyle seul dans sa garçonnière, assis sur son canapé, une bière à la main lui aussi, les pieds posés sur sa table basse sans même avoir pris la peine d’enlever ses chaussures. Il a trente ans, trois ans de plus que moi, et à bien des égards, nous nous ressemblons étrangement.

 Mais sur d’autres points, pas tant que ça.

 Kyle est mécanicien dans un magasin de motos à Cheyenne, dans le Wyoming. Il a quitté notre petite ville de Little River en Alabama quand il a fini le lycée. À la mort de mon père, nous sommes partis de Washington pour nous installer à Little River, afin de nous rapprocher de la famille de ma mère. C’est ce que j’ai toujours connu. Cette vie me plaisait et elle me manque. Mais à Kyle ? Pas vraiment. Il n’a jamais regardé en arrière depuis son départ. Il est motard jusqu'au bout des ongles, il fait partie du Club de moto du Silver Creek MC, et pour lui, c’est sa famille tout autant que moi. Du moins c’est ce qu’il prétend.

 Bon, il y a quand même eu une fois où Kyle a regardé en arrière, pour être honnête. À mes dix-huit ans, quand j'étais sur le point d'obtenir mon bac. À peine trois semaines avant que j’obtienne mon diplôme, ma mère est morte d'un cancer du cerveau.

 J'ai atteint les objectifs que je m’étais fixés, mais au prix de durs efforts.

Ma mère étant morte, elle n’a pas pu m'aider à payer mes frais de scolarité. J’ai commencé à danser en milieu de première année à l’université de Virginie. Il m’a fallu affronter les regards lubriques de types bourrés qui voulaient me glisser des billets de banque dans la culotte, sans compter les sourires complices de certains de mes camarades de classe, qui s'étaient aventurés dans le club de strip-tease où je travaillais, et avaient été stupéfaits de me trouver sur scène. Mais pour moi, cela n'avait pas d'importance. J'ai ignoré ce qu’ils en pensaient, j'ai refusé toutes les demandes de rencards, et j'ai continué à me concentrer sur mes objectifs.

 L'université.

 La fac de droit.

 Le FBI.

 — Eh, petite sœur... Tu es toujours là ? interroge Kyle au téléphone et je cligne des yeux. D’un air penaud, je réponds :

 — Oui... excuse-moi... j’étais perdue dans mes souvenirs pendant un moment. — Tu penses à maman ? demande-t-il avec délicatesse.  

 Je souris. Kyle est un gros balèze. Il a les cheveux longs, des tatouages, et il fait parfois peur aux filles. Mais pour moi, c’est avant tout un gros nounours.

 — Oui. Je pensais à toi, quand tu es revenu à la maison après la mort de maman, pour ne pas me laisser toute seule.

 — Arrête de faire encore ton enquiquineuse, ricane-t-il faussement dans le téléphone. Tu vas me faire pleurer.

 — Banane !

 — Alors, que me vaut ce coup de fil ? s’informe-t-il. On s’est déjà parlé avant-hier.

 En enroulant une mèche de cheveux autour de mon doigt, je lui annonce :

 — Je pars en Caroline du Nord pour une mission d’infiltration. Comme je vais travailler sous couverture, on ne pourra pas se contacter. S’il se passe quoi que ce soit et que tu as besoin de me joindre, il faudra que tu contactes mon supérieur, l’agent en charge Dale Lambert. Je t’enverrai ses coordonnées.

 — En quoi consiste ta mission ? Gentiment, je reprends :

 — Tu sais bien que je ne peux pas en parler.