Clash à Tours - Philippe-Michel Dillies - E-Book

Clash à Tours E-Book

Philippe-Michel Dillies

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Beschreibung

La menace plane sur une tueuse à gages de la région de Tours...

La cité des Turons se fige dans l’hiver. Le vent disperse les gens comme autant de feuilles.
Sasha “Le Fantôme” rentre du Sud. Elle y a clos un contrat qui l’oblige au repos. Elle pense pouvoir le trouver en Touraine, loin d’imaginer qu’un fléau insidieux et mortel gangrène lentement la ville.
Elle y retrouvera d’anciennes connaissances et personne ne sortira indemne du clash qui s’y prépare.

Plongez dans cette enquête passionnante dont vous ne sortirez pas indemnes, avec ce second tome d'Emma Choomak, En quête d’identité !

EXTRAIT

De l’extérieur, un cri d’alerte est lancé. Dans le salon, le survivant tremble un peu, il dégaine son arme, comme pour effrayer le coléoptère qui, après un large détour, revient justement vers lui, de plus en plus près, tout près.
La balle brûlante du Smith & Wesson se perd dans le plafond. Quelque chose est entré dans sa narine gauche et lui perce les sinus. Tout bascule…
Autour du bassin, c’est l’affolement. Le garde a sorti son arme, il la pointe dans le noir, ne sachant pas où est l’ennemi… « C’est quoi ça, un frelon ? » La mort entre en lui par l’œil droit.
Le drone repart vers les buissons bordant la piscine, puis c’est le silence.
Sasha, “Le Fantôme”, ombre parmi les ombres, entre dans la maison.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1952 à Roubaix, Philippe-Michel Dillies, après des études de droit, a suivi une carrière militaire. Lecteur passionné des œuvres d’Agatha Christie, une affectation en Beauce l’a décidé à prendre la plume, pour partir comme son égérie, à la découverte des arcanes de l’écriture policière. Son premier roman est sorti en 2003. Il s’est retiré en Touraine, décor naturel de ses œuvres.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Chaque fois que je termine un polar,je constate que mon stylo s’est faitun sang d’encre… »

L’auteur.

Aux membres de l’APTIL (Association des Policiers Territoriaux d’Indre et Loire) qui m’ont fait l’honneur de me choisir, cette année, comme parrain.

PERSONNAGES PRINCIPAUX

Cher lecteur,

Si vous abordez pour la première fois mes œuvres, il se peut que vous soyez surpris par les noms ou les surnoms des personnages que l’on retrouve tout au long des neuf livres précédents.

Cette histoire n’est pas une suite et peut être lue indépendamment des autres, cependant, vous trouverez ci-dessous un sommaire présentant les personnages principaux, qui pourra, peut-être, vous être utile.

Bon voyage.

L’ÉQUIPE DES POLICIERSDU CENTRAL DE TOURS :

LE DIRECTEUR DU CENTRAL dont on ne connaît ni le nom ni le prénom, est surnommé Dieu par tous ses subordonnés. Imbu de sa personne, il fait preuve d’un mauvais goût vestimentaire inimaginable.

GUILLAUME DU TREMBLAY, comte d’Escartes, Thierry, dit “Le Taciturne”, commandant de police, dirige le tandem Barconi-Pivert. Aristocrate, il habite dans un manoir de la rue Groison à Tours et roule en Jaguar.

RENÉ BARCONI, capitaine de police, dit “Le Castor” à cause de son habitude de ronger des bâtons de réglisse. Il vit plus ou moins chez sa mère possessive, prénommée Rosemonde. Ce n’est jamais simple.

BERNARD PIVERT, dit “Le Piaf”, capitaine de police, un collègue et ami de Barconi.

JULIA MILANO, lieutenant de police. Exauxiliaire chef du Central, elle a repris ses études pour devenir officier de police et intégrer l’équipe de Guillaume. Elle est la petite amie, depuis un an, de René Laroze.

LAROZE, dit “Le Morse”, commandant de police, est le chef d’une autre équipe, spécialisée dans les sectes. Franc-maçon et Vénérable de sa loge, c’est l’ami de Guillaume.

GHYSLAINE EYMARDIN, auxiliaire chef de police. Milano et Eymardin se sont détestées cordialement pendant longtemps. Le Castor n’est pas insensible à ses charmes.

LES PERSONNAGES RÉCURRENTS :

EMMA CHOOMAK, dite “Cho”, SDF, ancien officier de police à l’enfance troublée, épouse de Thierry Guillaume. Depuis un an, ils se sont mariés à Las Vegas, mais elle peut-être sujette à une envie de liberté impromptue qui la pousse irrémédiablement à reprendre la route. Elle fume des Vieil Anvers et les allume en craquant une allumette sur sa fesse droite. Gardienne des traditions de l’Égypte ancienne, elle héberge une entité qu’elle ne maîtrise pas encore très bien : Néférousé.

SVETLANA LEBEDIEVA, grand-mère d’Emma Choomak, archéologue, conservatrice section Moyen Âge et chef de la division Égyptologie au Louvre, s’exprime souvent en mêlant des phrases en russe à son français. Gardienne des traditions de l’Égypte ancienne, elle héberge une entité qu’elle maîtrise parfaitement. C’est l’avant-dernière dans la lignée des gardiennes issues de la XVIIIe dynastie. Elle a révélé à sa petite-fille l’entité qui sommeillait en elle et l’a éveillée dans une sorte d’initiation.

N’DÉRÉBA KILIMA, capitaine de police à l’IGS, amie d’Emma et admiratrice inconditionnelle de son chef : Oscar Kerlok, s’est vue désignée pour la pénible mission d’empêcher Emma de rechercher la vérité sur le passé de ses parents, à n’importe quel prix mais s’en est libérée. C’est, par intermittence, une guerrière massaï ! Elle porte des lentilles de contact neutres de couleur jaune d’or, sa dernière lubie. Elle se métamorphose dès qu’elle perçoit l’odeur du sang ; un vrai fauve.

KERLOK OSCAR, commissaire divisionnaire, directeur de l’IGS, ami de Landowski, un autre divisionnaire de la DCRI, roule en Harley et ne se sépare jamais de son 44 magnum. Il vit avec Rosario, une journaliste d’investigation, grand reporter, ce qui lui laisse beaucoup de liberté.

PAULE HUYGHENS, dite “Noune”, ancienne nourrice et gouvernante de Thierry Guillaume, est la seule à le tutoyer. Elle prend ses quartiers d’hiver dans le Sud.

MAUD CHOUCRY DE ROQUEFEUILLE, veuve de Bertrand Saintonge de la Foye, inspectrice de l’Éducation nationale, forme avec Charles Wenz un couple atypique. Elle est propriétaire de La Blondellerie à Monnaie.

CHARLES WENZ, veuf, retraité des forces armées. Franc-maçon, il est de la même loge que Laroze. Sa fille, Suzanne, vit en Australie. Il habite dans la seconde maison de La Blondellerie. Chasseur à l’arc invétéré, il partage la vie de Maud et ses ennuis avec la police.

LANDOWSKI, commissaire divisionnaire dont on parle beaucoup et que l’on ne rencontre que très épisodiquement dans mes ouvrages. C’est le héros récurrent des œuvres de mon ami Serge Le Gall – à lire dans la même collection. Il est le géniteur d’Emma. On retrouve aussi Emma, de manière épisodique, dans les œuvres de Serge. Détail : personne (pas même son créateur) ne connaît le prénom de celui qu’on surnomme “Lando”.

SASHA “Le Fantôme”, milliardaire, insaisissable et rapide est une tueuse solitaire qui signe ses méfaits d’une carte à jouer : la dame de pique. Sa meilleure amie est Norvège, une chienne beauceronne.

PROLOGUE

L’homme tira une bouffée de sa cigarette électronique avant de décrocher le téléphone posé sur un bureau d’une taille peu commune. Il se laissa lentement tomber dans un immense fauteuil qui sembla absorber instantanément son quintal comme son presque double mètre.

— Je vous écoute, Monsieur.

— …

— Oui, Monsieur, elle a décollé de Saumur, les hommes sont sur place, conformément à vos ordres, ils la suivront discrètement dès sa descente d’avion. Nous avons découvert sa voiture de location.

— …

— Bien entendu, Monsieur, tout est en place ici ; je vous préviendrai dès la fin de l’opération.

La main manucurée portant chevalière reposa le combiné blanc sur sa fourche. L’homme aspira une nouvelle bouffée de vapeur. On frappa à la porte.

— Oui ?

— Que Monsieur me pardonne mais par cette chaleur, j’ai pensé qu’un peu de champagne frappé…

— Plus tard, Rupert ! Nous garderons les alcools pour le succès de l’opération. Pour l’heure, un thé glacé suffira.

— Comme il plaira à Monsieur.

Rupert déboucha lentement le couvercle d’une bouteille isotherme et transféra le liquide doré qui fit tinter les glaçons dans le verre qu’il présenta sur un plateau à son maître.

— Monsieur semble satisfait…

— En effet, tout semble se présenter au mieux, l’opération “Revenge” sera terminée sous peu.

Le majordome disparut. L’homme déboutonna la veste de son costume d’alpaga sombre en se replaçant derrière son bureau et entreprit d’appuyer sur les touches d’un clavier. Il s’agissait de s’assurer que toutes les équipes de surveillance étaient parfaitement prêtes. Rassuré sur ce point, il tira quelques bouffées de sa cigarette électronique et sourit.

Le Cabinet* renaissant de ses cendres allait enfin pouvoir reprendre son activité après avoir lavé l’affront infligé quelque temps auparavant…

* Le Cabinet, ou “Dix de Der” : organisation de tueurs dirigée par Anton Karadine, lire Murmures en Saumur ou Les Plumes Noires de Saint-Cyr-Sur-Loire, dans la même collection.

I

Le Cessna 411 perdait lentement de l’altitude. Le pilote actionna la manette de sortie du train d’atterrissage. L’avion donna immédiatement l’impression de s’immobiliser. Sasha entama sa descente, une longue oblique qui mènerait la machine au sol en douceur.

C’était un nouvel avion, le crash de l’ancien lui avait permis d’échapper aux poursuites en la faisant passer pour morte. Les restes de cadavre éparpillés parmi les débris étaient ceux d’une vieille dame qui avait longtemps habité dans la rue ; elle l’avait récupérée au funérarium de Meaux. Pour le cadavre du chien, cela avait été plus difficile, mais elle y était tout de même arrivée.

Sasha avait acheté ce Cessna, en tous points identique à l’ancien, elle n’aimait pas changer ses habitudes. Le soleil se couchait derrière les collines de Provence dans un éclatement de couleurs. Le pneumatique de la roue gauche tutoya bruyamment l’asphalte, juste avant la roue droite, enfin, le nez s’affaissa sur le train avant. L’avion se tassa sur ses amortisseurs lorsque Sasha enclencha les turbos propulseurs sur “reverse” afin de freiner la course de l’appareil.

« Vol C 864, autorisation de parquer. Bienvenue à l’aéroport d’Hyères », annonça la voix du contrôleur dans le casque du pilote. Elle dirigea le bimoteur vers un homme en gilet fluorescent, qui lui faisait les signes conventionnels à l’aide de deux bâtons lumineux. Les bâtons se croisèrent, Sasha stoppa l’appareil, coupa les moteurs qui se turent en sifflant, pendant que les hélices s’immobilisaient.

Un jappement sourd résonna à l’arrière.

— Oui, Norvège, tu peux venir me rejoindre. Là, ma belle, tu as été bien sage… Gentil, le chien !

La beauceronne posa son museau sur la cuisse de sa maîtresse, en grognant de satisfaction sous les caresses.

— Il est temps de se remettre au travail, Norvège. Allez, laisse-moi !

Elle sortit une tablette électronique et compulsa le dossier de son contrat : Slobodan Sakhx.

Anton Karadine l’avait contactée pour cette mission annoncée « à haut risque » et, bien entendu, payée en conséquence, soit 200 000 euros dont elle venait de percevoir la moitié sur un compte à l’étranger. Le GPS lui indiqua la route à suivre. Elle éteignit sa tablette et, à l’aide d’une paire de jumelles, observa les abords. Un groupe attira son attention. « Les gardiens du temple », se dit-elle en rangeant son matériel de vision nocturne. Elle rassembla son équipement, enfila une combinaison noire. Un blouson cacha bientôt un Beretta 93R niché sous son aisselle gauche. Attrapant une petite mallette au passage, elle entreprit d’abaisser l’escalier et descendit sur le tarmac.

— Norvège ! Au pied !

Elle lui chuchota à l’oreille et la chienne fila comme une ombre pour aller se coucher derrière un bâtiment bas.

Le bureau d’enregistrement était encore éclairé. Elle s’y rendit.

— Bonsoir.

— Madame…

— Je voudrais déposer un plan de vol. La piste est-elle ouverte toute la nuit ?

— Nous fermons d’une heure à six.

— Parfait. Voici l’heure prévue pour mon décollage ; j’aimerais que les pleins soient faits, à facturer à cette adresse…

Tout en remplissant les papiers, elle se dit qu’avec le comité de réception qui la guettait dehors, il n’était pas certain qu’elle ait terminé à temps, sauf à trouver une autre solution que la voiture de location. Elle sortit du bureau. Un peu plus loin, le hangar d’un club d’hélicoptères était encore illuminé. On y rentrait les machines. Elle arbora son plus beau sourire…

*

Un témoin rouge s’alluma dans le bureau silencieux.

— Oui,

— Monsieur, l’avion s’est posé comme prévu. Elle est entrée au bureau des vols.

— Logique. Si elle compte repartir dès son travail accompli, elle sera allée déposer un plan de vol. Dès qu’elle se sera mise en route, vous suivrez sa voiture de loin… Avez-vous été repérés ?

— Je ne crois pas, Monsieur. Nous sommes restés dans l’ombre et rien dans son attitude ne permet de le penser.

— Bien, rappelez-moi lorsque vous serez partis. Il raccrocha le combiné et aspira une bouffée de sa cigarette électronique.

*

L’hélicoptère survolait la Provence, tel un gros frelon. Çà et là, des propriétés perdues dans la végétation montraient leurs piscines, lagons bleus cachés dans une débauche d’éclairages orangés, faisant autant d’oasis dans l’immensité touffue de la nuit. Le pilote maintenait une relative altitude pour éviter les sommets des cyprès élancés foisonnant dans la région. Sasha lui donnait la direction à l’aide de sa tablette électronique.

Convaincre le pilote de l’emmener à destination n’avait guère été facile et il avait fallu toute la force de persuasion de la jeune femme, ajoutée à celle non moins efficace d’une liasse de billets de cent euros.

Sasha avait imaginé piloter elle-même le Robinson R44, mais le pilote avait été inflexible. Pas question de lui louer une telle machine, même si elle possédait tous les brevets nécessaires. L’embarquement de Norvège avait été également épineux, mais Sasha était parvenue à ses fins.

— Donc je vous dépose au plus près de la propriété de votre ami, c’est bien ça ?

— Affirmatif !

— Je vous attends combien de temps ?

— Vous repartez aussitôt ! J’ai l’intention d’y séjourner quelque temps. L’hélicoptère, c’est juste pour lui faire une surprise.

— Il ne vous attend pas ?

— Si. mais mon arrivée par la voie des airs fera un effet bœuf !

Le pilote haussa les épaules. Les excentricités des gens riches l’agaçaient, même si, cette fois-ci, il en tirait profit. Une fois la logistique de l’hélico payée, il lui resterait tout de même une coquette somme. Peut-être changerait-il de voiture plus tôt que prévu…

Un halo de lumière apparut droit devant.

— C’est là-bas !

Sasha indiquait du doigt la propriété éclairée.

— Il ne s’ennuie pas, votre ami ! C’est l’une des plus grosses propriétés de la région. Je l’ai déjà survolée de jour, elle dispose même d’une zone H1, ce sera plus aisé pour vous y déposer.

— Pas question ! Il faut vous poser ailleurs ! Je veux garder l’effet de surprise. Un pré ou un champ près d’une route fera l’affaire. Je ferai le reste à pied.

— Mais je pensais que vous vouliez impérativement arriver par les airs ? Vous renoncez à votre effet bœuf ?

— Oui, j’ai changé d’avis ! Ce sera mieux comme ça. Descendez !

L’hélicoptère perdit de l’altitude, le pilote alluma un projecteur sous la carlingue. Chacun scrutait le sol…

— Là ! Ce champ fera l’affaire. Il est à peine à un kilomètre de chez mon ami… Posez-moi là !

L’hélico toucha délicatement le sol. Sasha en descendit, suivie de Norvège, et fit un signe d’adieu au pilote avant de disparaître dans la nuit.

*

— Elle est toujours au bureau des vols ?

— Oui, elle n’en n’est pas ressortie et l’agence de location de voitures est encore ouverte. Un Range Rover semble l’y attendre. Celui qu’elle aura loué, sans doute…

— Cela fait un bout de temps qu’elle est làdedans, c’est si long, ces formalités ?

— Ça bouge là-bas ! Un camion-citerne ! Il vient faire le plein de l’avion de la donzelle.

— C’est quoi, ce bruit ?

— Un hélico qui s’envole… Passe-moi une cigarette.

— Pas fou ? Tu veux nous faire repérer ? On attend encore un peu, puis j’enverrai quelqu’un voir où elle en est…

— Quelle heure est-il ?

— Passé vingt-deux heures, cela fait trois quarts d’heure qu’elle est là-dedans !

— Eh ! La Range démarre ! Bon sang, elle a rejoint l’agence de location sans qu’on la voie ! Mets en route !

— Doucement, inutile de se faire repérer, on lui laisse un peu de champ ! Voilà, elle a tourné après ces bâtiments là-bas, allons-y ! J’appelle le boss !

*

Sasha stoppa sa progression. Cette fois, elle était bien au bord de la propriété, mais il lui était impossible d’avancer ; une haie de berbéris lui barrait le passage et à moins de scier quelques pieds de cette redoutable plante… Une rapide inspection lui indiqua que plusieurs rangées de fils, peut-être électrifiés couraient dans l’épaisseur de la haie qui était trop haute pour être franchie, trop épaisse pour être traversée. Sasha n’avait aucune idée de la configuration du terrain derrière cet obstacle. Elle ouvrit sa mallette. Elle contenait, outre une seringue et un flacon, un drôle d’insecte, un peu plus gros qu’une cigale et son boîtier de radiocommande. Elle se saisit de l’insecte, brancha les fils dépassant de son abdomen, sous l’aile droite, et actionna un boutonpoussoir affleurant sur le dos. Le drone vrombit doucement.

Après avoir placé une paire de lunettes sur ses yeux, Sasha actionna les commandes de vol. Le petit drone s’éleva rapidement au-dessus de la haie. Bien à l’abri derrière le rideau d’épineux, Sasha pouvait contempler tout l’espace, comme si elle volait. Le système de vol en immersion2 fonctionnait parfaitement.

Une zone herbeuse assez large descendait jusqu’à des buissons faisant écran à une immense piscine.

Les baies vitrées de la villa donnaient sur le plan d’eau dont le fond était éclairé. Le drone sembla soudain hésiter, la distance limite de contrôle était atteinte. Elle le fit revenir. Il regagna sa boîte. « Bon sang, je n’ai jamais vu des épines aussi grandes ! Qu’en penses-tu, le chien ? »

Norvège, assise, contemplait alternativement sa maîtresse et la haie. Soudain, elle se mit à gratter frénétiquement le sol.

« Mais bien sûr ! Par-dessous ! Seulement, je n’ai pas tes griffes, ma belle, et le sol est dur. À moins que d’autres nous aient aménagé de quoi entrer. Allez, viens ! » Elles longèrent la haie sur une bonne distance. « Bingo ! Un passage de gros gibier ; il n’y a plus qu’à s’y faufiler. Passe devant, Norvège, et attends-moi. »

Sasha patienta encore un long moment avant de reprendre sa progression. Norvège avait déjà pénétré le bosquet, dernière barrière avant la piscine, elle suivit ses traces afin d’éviter d’éventuels pièges et s’arrêta en lisière. Il était temps de préparer le drone en y appliquant le dispositif qu’Hector3 avait mis au point, un chargeur contenant cinq mini-fléchettes qu’elle venait de choisir dans le coffret « Pointes rouges : curare… » et réactiva le drone. Dans ses lunettes, apparut en vert clair, un viseur, matérialisé par un cercle gradué barré d’une croix en son centre ; un autre petit cercle naviguait au gré des évolutions du drone, une fois le petit cercle centré sur la croix, il n’y avait plus qu’à lâcher la fléchette…

Attente…

Une des baies vitrées coulisse, libérant un garde. Le gros insecte décolle, elle le dirige vers la piscine. L’homme scrute l’obscurité, il marche sur le carrelage bordant le bassin. Sasha se concentre sur le pilotage de l’insecte et zoome sur le visage du garde. Son œil emplit l’espace visuel. L’anneau vert vient se verrouiller autour du centre de la croix. Un cri perce la nuit, suivi du bruit caractéristique d’un corps tombant dans l’eau. Le drone entre dans la pièce. Un grand salon, peu de bibelots, deux énormes canapés occupés par d’autres gardes. L’un se lève et se dirige vers l’extérieur. Le gros insecte tournoie autour des deux autres…

— Qu’est-ce que c’est ?

— Cela ressemble à un hanneton.

— Chasse-le, je ne supporte pas ces bestioles !

— Aïe ! Il vient de me piquer dans l’oreille !

Ce sont les dernières paroles de l’homme qui s’écroule sur le carrelage. Du sang lui sort du nez.

De l’extérieur, un cri d’alerte est lancé. Dans le salon, le survivant tremble un peu, il dégaine son arme, comme pour effrayer le coléoptère qui, après un large détour, revient justement vers lui, de plus en plus près, tout près.

La balle brûlante du Smith & Wesson se perd dans le plafond. Quelque chose est entré dans sa narine gauche et lui perce les sinus. Tout bascule…

Autour du bassin, c’est l’affolement. Le garde a sorti son arme, il la pointe dans le noir, ne sachant pas où est l’ennemi… « C’est quoi ça, un frelon ? » La mort entre en lui par l’œil droit.

Le drone repart vers les buissons bordant la piscine, puis c’est le silence.

Sasha, “Le Fantôme”, ombre parmi les ombres, entre dans la maison.

*

— Elle vient de se garer près du port et entre dans un bar. C’est le second en quinze minutes ! C’est louche, non ?

— Va voir sur place, qu’on en ait le cœur net !

— On s’est fait avoir ! Il arrache la photo fixée sur la boîte à gants. La petite brunette qui sirote un drink dans ce bar ne ressemble pas du tout à ça !

*

Sasha explore les pièces jouxtant la grande salle. Le Beretta crache une courte rafale mortelle sur le majordome. Il s’effondre dans sa veste blanche teintée de sang, avec un bruit de verre brisé. Le Fantôme soupire : « Pas discret, je risque d’être re… » Une porte s’ouvre brusquement, le canon d’une arme automatique crache dans un bruit infernal. Roulé-boulé du Fantôme qui parvient aux pieds du tireur et lui délivre trois ogives brûlantes qui lui font éclater la tête. « S’ils sortent l’artillerie lourde, c’est que j’approche de ma cible », pense-t-elle en entrant prudemment dans une sorte de vestibule. Deux portes s’ouvrent dans le mur du fond. Trois fauteuils ainsi qu’une table basse recouverte de revues et de boîtes de bière vides meublent l’espace. « Le corps de garde de Slobodan Sakhx ! » La porte de gauche s’ouvre soudain dans un bruit de chasse d’eau.

— Dis donc, il semblerait que le grabuge ait cessé dans… Nom de Dieu !

Ce sont ses dernières paroles. La silhouette noire ne lui laisse pas le temps de prendre son arme.

« À gauche, les toilettes, à droite… » Elle ouvre la porte en s’effaçant au maximum… « Bingo ! Le bureau du roitelet de la pègre locale ! Le nid est vide. » Elle inspecte rapidement les lieux. Au milieu, le bureau impeccablement rangé. Un téléphone posé sur un socle de taille respectable, constellé de touches, occupe le côté droit du plateau. Un voyant clignote, elle enfonce la touche.

— Mes respects, Monsieur, c’est Bernard… Elle nous a lancés sur une fausse piste. Elle ne devrait pas tarder à arriver à la villa, nous rentrons au plus vite, mais peut-être vaudrait-il mieux mettre les hommes en alerte et…

« Trop tard, mon petit Bernard ! »

Elle coupe la communication. Reste à trouver Slobodan, afin de clore le contrat. Le commanditaire paye cher, il mérite un travail soigné. Elle remarque un objet posé sur une coupelle en argent massif : une cigarette électronique. « Encore tiède, il ne doit pas être loin… Deux précautions valent mieux qu’une », pense-t-elle en dégageant la trousse de son sac. Emplir la seringue de poison ne lui prend qu’un instant. Elle dévisse la vaporette et injecte le liquide dans le réservoir. Elle replace l’ustensile remonté dans sa coupelle et range son matériel avant de reprendre sa progression. Une lourde tenture dissimule une porte… fermée ! Les balles du Beretta rebondissent sur le vantail, allant se ficher dans divers tableaux de l’autre côté de la pièce. « Fermée et blindée. »

Elle retourne dans le vestibule. Une caméra pivote vers elle. Une rafale du Beretta l’aveugle définitivement.

Des panneaux d’acier descendent entre les chambranles. Une vapeur verdâtre sort d’un cache-radiateur et envahit doucement les lieux. Elle traîne le cadavre devant l’orifice pour ralentir la dispersion et s’engouffre dans les toilettes. Enfermée dans cette pièce exiguë, elle vérifie rapidement l’état de ses munitions puis cherche le moyen de sortir du piège. De l’autre côté, la pièce doit s’emplir de gaz, qu’il soit mortel ou simplement soporifique n’a aucune importance, tout ce qui compte est de ne pas tomber entre leurs mains. Ceux de l’aéroport ne tarderont pas à arriver. Elle actionne la chasse d’eau pour renouveler l’espace en air frais, de petites ridules vertes s’insinuent à présent sous la porte. Elle monte sur la cuvette et fait sauter les dalles du plafond. Il lui faut ensuite arracher des lambeaux de laine de verre. Ses mains brûlent rapidement. Elle pense que s’il leur prenait l’envie de tirer à travers la porte, c’en serait fait d’elle. Sans doute attendent-ils que le gaz se dissipe avant d’investir le vestibule. Elle se hisse entre les rails maintenant le faux plafond. Elle grimpe dans la charpente et se dirige vers les chevrons du toit, progressant par reptation le long des solives, une lampe-stylo entre les dents.

Quelque chose frôle sa tête, elle lâche un cri…

Noir !

Une forme ailée poursuit son vol silencieux vers le toit où elle disparaît dans un hululement effrayé. Sasha reprend sa reptation, essayant de repérer le point de sortie de l’oiseau. L’espace est étouffant, et elle commence à suer dans sa combinaison. Un filet d’air frais frappe soudain sa joue droite. Elle tente de s’accroupir sur son perchoir et avance la main… Un trou ! Il manque une tuile ! De ces tuiles rondes qui recouvrent traditionnellement les toitures varoises… Faciles à enlever… Elle pousse de toutes ses forces vers l’extérieur, indifférente au bruit que fait la terre cuite se fracassant au dehors. Enfin, elle peut se hisser ! La charpente s’illumine en dessous d’elle.

— Là ! Elle est là !

Une rafale accompagne les cris, libérant autant de frelons mortels qui sifflent autour de ses jambes alors qu’elle les ramène sur le toit. Elle rampe sur la pente douce, vers l’autre versant intact. Du bord, elle jette un regard sur le sol. Une allée sablonneuse longe la bâtisse. Elle saute. Le terrain monte doucement vers un bois, elle doit être derrière la maison, à l’opposé de la piscine. Elle court jusqu’aux arbres. Au premier tiers de la pente, elle a l’impression qu’un géant lui tape dans l’épaule gauche. Sous le choc elle pivote sur elle-même tandis que sa main agrippe le Beretta, libérant une rafale qui fait éclater l’enduit jaune de la maison. La douleur survient alors qu’elle reconnaît le tireur, malgré le rideau de larmes embuant ses yeux… « Anton Karadine… » Elle appuie une nouvelle fois sur la détente avant de disparaître dans les fourrés.

*

Slobodan Sakhx rejoignit son mentor alors que Karadine rengainait son 44 Magnum en maugréant.

— Un problème, Monsieur ?

— Je l’ai manquée, elle n’est que blessée.

— Avec un calibre tel que celui-là, la blessure doit être importante, je lance l’équipe à ses basques, ce serait bien le diable s’ils ne la retrouvent pas.

— Alors qu’ils n’ont même pas été capables de la suivre jusqu’ici ?

— Huit hommes enragés par la honte de leur échec ne laisseront pas passer l’opportunité d’un rachat. Ils la trouveront et vous la ramèneront, morte ou vive.

— Morte ou vive ? Savent-ils que ce n’est pas n’importe quelle femme qu’ils poursuivent depuis le début de la nuit ? C’est Sasha, Le Fantôme. Croyez-vous qu’elle ait usurpé ce surnom ? Vos hommes échoueront, cette fois-ci encore. Bienheureux ceux qui en ressortiront vivants… Je vous laisse ; d’autres affaires m’appellent et je dois organiser moi-même la suite de celle-ci. Ce piège raté me coûte cher et je ne peux me permettre un autre échec. Faites l’inventaire des dégâts et disparaître les corps. La fusillade ne manquera pas d’attirer jusqu’ici tous les policiers de la Côte d’Azur. Sans cadavre, pas d’enquête. Veillez également à ce qu’aucune trace de l’échauffourée de cette nuit ne reste visible, vous éviterez ainsi de longs palabres avec les forces de l’ordre, mon cher.

Karadine rejoignit l’arrière de la maison, une terrasse sur laquelle stationnait un gros hélicoptère.

Il se retourna avant de monter à bord.

— Merci Slobodan pour votre coopération. Je vous dédommagerai, bien entendu.

— Je n’en fais pas une question d’argent. Ce n’est que peu de chose à côté de l’honneur de vous servir, Monsieur. Bon vol !

L’hélicoptère blanc au nom de la société Aérotech disparut bientôt, ne laissant derrière lui que le bruit du battement rageur de ses pales.

Slobodan rappela ses hommes, mieux valait suivre les conseils de Karadine.

— Rassemblement des chefs de groupe ! aboya-t-il dans son interphone.

Quatre hommes firent aussitôt irruption dans son bureau.

— Les chefs de groupe au rapport, Monsieur !

— Où est John ?

— Il est mort, Monsieur, ainsi que toute l’équipe chargée de votre protection rapprochée.

— Cette fille est un fléau !

— Elle s’est jouée de nous comme de bleus, à l’aéroport, Monsieur, sans compter que Jack et Berny ont été abattus alors qu’elle s’enfuyait.

— Rappelez les hommes ! Max vous vous occuperez de faire disparaître les corps, Ronan, je veux que toute trace soit effacée et que la propriété retrouve une allure sereine au plus tôt. Au travail, Messieurs !

Slobodan saisit sa cigarette électronique dont il aspira plusieurs bouffées. « Tout de même, l’opération Revenge d’Anton Karadine lui coûtait cher. » Ce fut sa dernière pensée. Il s’écroula sur son bureau devant ses chefs de groupe médusés.

1 Zone H : zone réservée à l’atterrissage des hélicoptères.

2 Le vol en immersion, c’est-à-dire avec une vision directe, est interdit en France.

3 Hector Beaumanoir, ingénieur, ami de Sasha. Il vit dans sa propriété près de Saumur.

II

Le Cessna perdait peu à peu de l’altitude. Au loin, les projecteurs traçaient deux traînées dorées au sol : le début de la piste. Sasha réduisit les gaz. Son épaule n’en finissait pas de la faire souffrir. Un rapide examen avant le décollage d’Hyères l’avait partiellement rassurée. L’épaule n’était qu’éraflée, mais quelques centimètres plus à droite, et elle serait restée sur le terrain. Karadine avait dû utiliser un 357 ou un 44 ; en tout cas, elle avait eu beaucoup de chance. Le sang commençait à coaguler, formant tampon avec son tee-shirt. Le retirer ne serait pas une sinécure.

Norvège sauta sur le siège du copilote, elle avait la gueule ensanglantée.

— Eh bien, ma belle, que t’arrive-t-il ? Tu as été blessée, toi aussi ?

La chienne jappa joyeusement comme pour montrer que tout allait bien.

— Si ce n’est pas le tien, c’est sûrement le sang de l’ennemi ! Tu as distribué quelques coups de crocs ? C’est bien, ma jolie, mais calme-toi, nous arrivons à Tours, bientôt, tu seras débarrassée de ce sang et je pourrai me faire soigner. Je ne veux pas prendre le risque de rentrer directement à la maison. Karadine ne m’a laissée filer que pour mieux me détruire. Il ne connaît pas la propriété de Saumur, mieux vaut donc éviter qu’il la découvre. Emma nous sera bien plus utile pour nous protéger, le temps que je récupère, et pour peu qu’elle joue de ses talents de sorcière… Enfin, je l’espère.

Les pneumatiques touchèrent la piste dans un bruit de caoutchouc martyrisé. Il n’y avait plus qu’à rouler jusqu’au tarmac de l’aéroport civil. Elle jeta un bref regard aux Alphajet de l’armée de l’air, impeccablement alignés un peu plus loin. Elle dirigea l’appareil vers le parking, devant la tour de contrôle civile. Et coupa le contact dès qu’elle eut stationné le Cessna devant l’entrée d’un hangar.

*

Emma s’éveilla, l’angoisse au ventre. Encore un cauchemar ! Elle repoussa la couette de son corps en sueur. Le réveil affichait six heures au plafond.

Lumière !

Elle but un grand verre d’eau avant de déserter le lit où elle se morfondait. « Quel temps fait-il ? » se demanda-t-elle en guise de viatique. Elle écarta les lourdes tentures. Tout en bas, le jardin des simples montrait, dans un point du jour colorant l’est du ciel en rose, le parfait alignement de ses carrés plantés. Emma sourit, rassurée.

Thierry était parti depuis une semaine, pensionnaire à l’École Nationale Supérieure de la Police, loin, très loin, à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Le commandant Guillaume avait été choisi par la commission spéciale de sélection pour devenir commissaire ! Une promotion qui l’éloignerait de la Touraine pendant deux longues années avec, en cas de réussite, ce dont Emma ne doutait pas, la perspective d’une mutation dans n’importe quel endroit de l’hexagone. Les probabilités de retour au manoir tourangeau étaient, pour ainsi dire, quasi nulles. Le principe ne gênait guère Emma, habituée aux départs précipités et aux incertitudes des routes, mais tout de même. Elle soupira ; ils avaient convolé à Las Vegas, l’été précédent, et elle n’imaginait pas que son flic de mari l’ait faite comtesse pour l’abandonner céans. Elle n’avait pas vocation à jouer les Pénélope à cause d’une carrière policière qu’il n’avait embrassée que par ennui. Le comte du Tremblay Descartes, Marquis d’Azenay et de Castelblajac, Seigneur de Flamarens, disposait d’assez de revenus et de propriétés pour ne pas être tenu de pointer, fût-ce comme commissaire, chaque matin.

Cela tombait mal, lors même qu’elle commençait à accepter l’idée de se sédentariser, d’oublier ses croquenots et ses nippes de voyage, il la plaçait pour ainsi dire, en exil. Vingt-quatre mois loin de lui ! Elle avait ressenti durant cette semaine, et à plusieurs reprises, l’impression fugace mais très nette d’être veuve.

L’obséquiosité du majordome, un nouveau prénommé Bernard mais qu’elle appelait Nestor, contribuait au moral morose de la comtesse. Elle supportait de moins en moins ses airs condescendants et s’attendait à ce qu’il lui présente ses respectueuses condoléances à chaque fois qu’il lui adressait la parole.

Elle avait remarqué qu’il portait un tatouage qu’elle n’avait pu définir, il était toujours caché par la manchette gauche de sa chemise. Elle n’avait rien contre au demeurant, mais qu’il fût placé là l’indisposait. C’était ridicule, elle en convenait. Après tout, cet homme avait sans doute eu une autre vie avant celle de majordome. Elle ne supportait pas non plus son regard. Des yeux vairons ! Là encore, elle se sentait ridicule. Comme si “Nestor” y pouvait quelque chose ! Son instinct, ou était-ce Néférousé1, lui commandait de s’en prémunir, bien qu’il fût toujours irréprochable dans son service.

Plus le temps passait, plus Emma se sentait infiniment seule et délaissée. Même Néférousé ne s’était plus manifestée depuis leur séjour aux Amériques, et voilà que Thierry…

Il y avait comme de la trahison dans l’air et Emma ne le supportait pas ! Pour un peu, elle aurait abandonné les robes Saint Laurent pour sauter dans ses jeans élimés et reprendre l’aventure au gré du premier routier en partance.

Elle ouvrit le placard où étaient rangées ses nippes et demeura un moment à humer leur odeur, celle des voyages, comme une délivrance… « Délivrance ! Voilà la solution ! On étouffe ici ! » Ne pourrait-elle pas rejoindre Lyon par diverses voies navigables ?

Elle prit un de ses Vieil Anvers, craqua une allumette sur un guéridon Louis XVI, y laissant une méchante trace bleue2, et aspira avec délice la fumée odorante… Le téléphone portable interrompit sa réflexion…

*

Le taxi stoppa dans une rue perpendiculaire à la rue Groison.

— Je ne vais pas plus loin, ma p’tite dame.

— Pourquoi, le quartier serait-il maudit ?

— Vous ne croyez pas si bien dire ! Si je m’engageais dans cette rue, je serais pris dans une circulation infernale, et je voudrais terminer ma nuit de travail en douceur. Inutile de s’offrir une crise de nerfs avant d’aller se coucher, n’est-ce pas ? Trente euros, annonça-t-il en arrêtant le compteur. Chien et bagages compris.

— Bagages ? Je n’ai que ce sac de marin, un peu encombrant peut-être, cependant, nous sommes loin d’atteindre le nombre de valises dont ne pourrait se passer toute femme du monde et…

— Et, vous n’êtes peut-être pas une femme du monde, mais je vous prie tout de même de descendre, vous êtes ma dernière cliente et je suis pressé ! Voilà… Et vingt qui font cinquante. Je sors illico votre paquetage…

Sasha descendit du véhicule, Norvège sur ses talons, alors que le chauffeur déposait le sac de marin aux pieds de sa cliente.

— Ben dites donc, il n’est pas léger votre barda ; mais s’il contient la somme de ce que toute femme du monde répartit habituellement dans plusieurs valises, je peux comprendre…

Il remonta en voiture, l’abandonnant, médusée, sur l’asphalte humide et démarra dans un « Bonsoir, ma p’tite dame ! », qui se perdit dans un nuage d’échappement.

Elle grimaça en soulevant son bagage. Sa blessure saignait à nouveau et la douleur gagnait en intensité. « La peste soit de ces jean-foutre ! Ma p’tite dame… Je lui aurais bien logé une balle dans le genou gauche, juste pour lui apprendre la politesse, tiens ! Mais vous avez de la chance, Monsieur le cocher, que Victoria Cork, en femme du monde, reste toujours maîtresse d’elle-même. » La porte du manoir apparut au détour de la rue. Elle sourit en pensant aux retrouvailles.

L’appel téléphonique l’avait rassurée et elle savourait d’avance son plaisir. Elle levait la main pour actionner le bouton de la sonnette lorsqu’une petite porte s’ouvrit avant qu’elle n’ait eu le temps d’achever son geste.

— Entre, vite !

Sasha fut comme aspirée, une poigne vigoureuse l’attirait à l’intérieur par l’épaule. Elle lâcha un cri de douleur.

— Chut ! Surtout ne fais aucun bruit ! Donne-moi ton sac. Par ici…

Elles se dirigèrent vers l’ascenseur. Ce n’est qu’une fois dans la boîte qu’Emma se détendit un peu. Elle serra la nouvelle venue dans ses bras, lui arrachant un autre cri de douleur. Norvège gronda.

— Oh ! Pardon. Mais tu es blessée ? Allons dans mes appartements ; c’est tout droit, la porte de gauche… Ne traîne pas, je prends ton sac. Ce qu’il est lourd ! Tu as déménagé un immeuble ou quoi ? Installe-toi sur le lit, je vais regarder cette blessure.

*

Le soleil se mourait dans un flamboiement de couleurs, loin à l’ouest. Le crépuscule transformait les bâtiments et les aéronefs en autant de silhouettes fantomatiques. Dans le ciel pourpre, le halo vert de la tour de contrôle brillait toujours, comme un fanal. Deux Alphajet venaient de prendre l’air en déchirant la nuit et d’autres s’apprêtaient à entrer, eux aussi, dans la ronde nocturne des entraînements. Un gros hélicoptère blanc s’approcha lentement avant de se poser. Le staccato des pales diminua pendant que le sifflement de ses turbines perdait en intensité.

— Ylliah, avez-vous prévu un accueil ?

— Oui Monsieur, des phares approchent justement.

— Parfait ! Veuillez remercier le contrôleur de la part d’Aérotech. Je descends prendre l’air.

Anton Karadine laissa son pilote converser avec la tour et fit quelques pas sur le béton encore tiède. Il regarda le ciel constellé d’étoiles. Les véhicules s’arrêtèrent non loin de lui, le bruit de leurs moteurs était étouffé par le sifflement des avions de chasse qui se suivaient maintenant à une cadence accrue avant de prendre l’air.

— Nous sommes mardi, Monsieur, il y a entraînement de nuit pour les militaires…

La phrase fut absorbée par le bruit des réacteurs d’un avion au roulage. Il passa devant eux. Le pilote de la place avant leur fit un signe de la main. Le radio de l’hélicoptère le lui rendit avant d’exercer une pression sur le bras d’Anton Karadine, tout en lui montrant le téléphone qu’il tenait en main.

Karadine monta à l’arrière de la première limousine. L’abri de l’habitacle lui permit de prendre la communication.

— Karadine, j’écoute…

— …

— Comment cela, mort ?

— …

— Passez-moi un chef d’équipe ! C’est vous ? Bien, voici ce que vous allez faire…

— …

— Suivez mes instructions et tout se passera bien. Et surtout, recontactez-moi lorsque vous aurez terminé !

Il coupa la communication et cogna de l’index sur la vitre de séparation qui s’abaissa instantanément.

— Au château Belmont ! Faites au plus vite.

La voiture s’ébranla, Karadine ouvrit son attaché-case et en sortit une tablette. Ainsi, elle avait tout de même rempli son contrat ! Décidément, cette fille était très forte. Il regrettait presque d’avoir ordonné son élimination. La capacité d’adaptation du Fantôme était surprenante. Oui, elle méritait bien sa réputation. Dommage… Alliés, qui sait jusqu’où ils auraient pu aller… Mais Le Fantôme était une solitaire, elle restait donc dangereuse pour tous. Elle avait tout de même fait sauter ses bureaux d’une manière magistrale, pas une brosse n’avait bougé dans le salon de coiffure situé en dessous de ses locaux. Cette femme devait avoir un don particulier. Raison supplémentaire pour qu’elle disparaisse. Karadine ne pouvait imaginer sa réaction si jamais elle apprenait la moindre chose sur ses nouveaux projets.

La barrière de la base aérienne se leva et le convoi se glissa dans la circulation. Le Grec se demanda si Sasha avait survécu. Même s’il ne l’avait touchée qu’à l’épaule, celle-ci devait être réduite en bouillie. Si elle avait pu rejoindre Tours, comme le confirmait le plan de vol dont il avait eu connaissance, il espérait qu’elle ne s’y était posée que pour mourir. En homme prudent, Karadine préférait vérifier. Tel était, en partie, le but de son voyage en Pays de Loire. Il en profiterait pour réajuster quelques détails avec l’équipe locale de “Requiem”, la nouvelle organisation qu’il installait et qui reprendrait les anciennes activités du “Cabinet”3 ainsi que l’élaboration de quelques projets pour un commanditaire nébuleux connu sous l’appellation « Le Masque ».

Un autocollant mentionnant l’interdiction de fumer à bord le ramena au décès de Slobodan Sakhx tandis que la voiture descendait en douceur vers le centre-ville…

*

— Salut sorcière, tu n’as pas perdu ta poigne !

— Excuse cet accueil, mais je ne tiens pas à ce que le personnel de maison sache que tu es dans nos murs. Mon majordome ne m’inspire guère confiance… Bon, tu permets que je regarde cette blessure ? Eh bien, tu es salement touchée ! Il faudrait recoudre… Tu t’es fait tirer dessus au bazooka ?

— 44 Magnum ! Celui d’Anton Karadine.

— Et tu es parvenue jusqu’ici ? Ou tu es très forte ou tu as beaucoup de chance…

— J’opte pour la seconde proposition, dit-elle en réprimant une grimace.

— C’est trop important ! Je ne vois qu’une seule solution : Clarté !

— Clarté ? C’est un hôpital ?