Murmures en Saumur - Philippe-Michel Dillies - E-Book

Murmures en Saumur E-Book

Philippe-Michel Dillies

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Beschreibung

La mort frappe à Saumur, privant Emma de révélations sur son passé.

Le capitaine Jef Renan est chargé de l'enquête. Au sein même de la Grande Maison, on murmure que la victime s'apprêtait à éditer des mémoires. De quoi faire trembler plus d'un haut fonctionnaire ! Mais le manuscrit est introuvable. Puis se développe une rumeur selon laquelle cette affaire recèlerait un mystère issu de l'Egypte antique. Et cela intéresse beaucoup de monde...
Emma, elle, a repris la route, se méfiant de tous. Sa seule véritable alliée est, lui semble-t-il, sa grand-mère.
De Saumur à Tours et du Caire à Paris, des cadavres jonchent le chemin d'étranges personnages qui ne laissent, pour toute trace, qu'une carte à jouer : un roi noir ou une dame de pique. Les enquêteurs parviendront-ils à damer le pion à ces individus sans aucun scrupule ?

Découvrez sans attendre le 10e tome captivant d'Emma Choomak, En quête d’identité, où le passé des personnages se mêle à la grande Histoire !

EXTRAIT

La flèche “Fluflu” fendit l’air en vrombissant. Un canard quitta sa formation et, sous le choc, prit de l’altitude, avant de retomber, tel un pantin désarticulé, sur le sol, dans une projection de neige. Wenz quitta lentement la lisière qui l’abritait, s’efforçant de demeurer calme. Sa proie était à une quinzaine de mètres de là, son emplacement marqué par l’empennage de la flèche plantée verticalement dans le tapis blanc, comme une fleur de sang. Après avoir remisé le cadavre dans son carnier, il ramassa sa flèche à l’empennage si particulier. Une seule plume rouge vif collée en spirale sur une longueur de dix centimètres, jusqu’à l’encoche de la même couleur, faisait ressembler l’engin à un gros écouvillon. C’étaient ces larges picots de plume qui freinaient la course de la flèche et créaient le bruit caractéristique qu’elle émettait en vol avant de la faire retomber toujours verticalement vers le sol. Contrairement aux autres flèches de chasse, celles pour le gibier en vol ne comportent pas de pointe ni de lame, mais sont munies d’un embout s’évasant du fût à l’extrémité. Cet assommoir permet de tuer par simple choc.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Murmures en Saumur" met en scène les personnages fétiches de l'auteur dans un scénario haletant, qui happe le lecteur dès les premières lignes. - lanouvellerepublique.fr

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1952 à Roubaix, Philippe-Michel Dillies, après des études de droit, a suivi une carrière militaire. Lecteur passionné des œuvres d’Agatha Christie, une affectation en Beauce l’a décidé à prendre la plume, pour partir comme son égérie, à la découverte des arcanes de l’écriture policière. Son premier roman est sorti en 2003. Il s’est retiré en Touraine, décor naturel de ses œuvres.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« N’attendez pas d’avoir le temps, prenez-le ! »

L’auteur

Pour Alexandre, Pauline et Lucile.

REMERCIEMENTS

- À Serge Le Gall, mon compère et confrère en écriture, pour m’avoir prêté, le temps de quelques pages, son héros : le commissaire divisionnaire Landowski.

PERSONNAGES PRINCIPAUX

Cher lecteur,

Si vous abordez pour la première fois mes œuvres, il se peut que vous soyez surpris par les noms ou les surnoms des personnages que l’on retrouve tout au long des neuf livres précédents.

Cette histoire n’est pas une suite et peut être lue indépendamment des autres, cependant, vous trouverez ci-dessous un petit lexique des personnages principaux qui pourra, peut-être, vous être utile.

Bon voyage.

L’EQUIPE DES POLICIERS DU CENTRAL DE TOURS :

LE DIRECTEUR DU CENTRAL dont on ne connaît ni le nom ni le prénom, est surnommé Dieu par tous ses subordonnés. Imbu de sa personne, il fait preuve d’un mauvais goût vestimentaire inimaginable.

GUILLAUME DU TREMBLAY, comte d’Escartes, Thierry, dit “Le Taciturne”, commandant de police, dirige le tandem Barconi-Pivert. Aristocrate, il habite dans un manoir de la rue Groison à Tours et roule en Jaguar.

RENÉ BARCONI, capitaine de police, dit Le Castor à cause de son habitude de ronger des bâtons de réglisse. Vit plus ou moins chez sa mère possessive, prénommée Rosemonde. Ce n’est jamais simple.

BERNARD PIVERT, dit “Le Piaf”, capitaine de police collègue et ami de Barconi.

JULIA MILANO, lieutenant de police. Ex-auxiliaire chef du Central, elle a repris ses études pour devenir officier de police.

GHYSLAINE EYMARDIN, auxiliaire de police, vient de passer auxiliaire chef. Milano et Eymardin se sont détestées cordialement pendant longtemps.

LAROZE, dit “Le Morse”, commandant de police, est le chef d’une autre équipe, spécialisée dans les sectes.

LES PERSONNAGES RÉCURRENTS :

EMMA CHOOMAK, dite “Cho”, SDF, ancien officier de police à l’enfance troublée, l’amie de Thierry Guillaume. Elle fume des Vieil Anvers et vit actuellement au manoir de son ami, mais peut être sujette à une envie de liberté impromptue qui la pousse irrémédiablement à reprendre la route.

SVETLANA LEBEDIEVA, la grand-mère d’Emma Choomak, archéologue, conservatrice à la section Moyen Âge et directrice de la section Égyptologie du Louvre, s’exprime en mêlant le russe et le français.

N’DÉRÉBA KILIMA, dite “Kill”, capitaine de police à l’IGS, amie d’Emma. Admiratrice inconditionnelle de son chef : Oscar Kerlok. S’est vue désignée pour la pénible mission d’empêcher Emma de rechercher la vérité sur le passé de ses parents, à n’importe quel prix. Accessoirement, guerrière massaï. Elle se métamorphose dès qu’elle perçoit l’odeur du sang ; un vrai fauve.

KERLOK OSCAR, commissaire divisionnaire, directeur de l’IGS, ami de Landowski, un divisionnaire de la DCRI. Roule en Harley et ne se sépare jamais de son 44 Magnum.

PAULE HUYGHENS, dite “Noune”, ancienne nourrice et gouvernante de Thierry Guillaume, est la seule à le tutoyer.

MAUD CHOUCRY DE ROQUEFEUILLE, veuve de Bertrand Saintonge de la Foye, inspectrice de l’Éducation nationale, forme avec Charles Wenz un couple atypique. Elle est propriétaire de La Blondellerie à Monnaie.

CHARLES WENZ, veuf, retraité, une fille vivant en Australie, habite dans la seconde maison de La Blondellerie. Chasseur à l’arc invétéré, il partage la vie de Maud.

PROLOGUE

La flèche “Fluflu” fendit l’air en vrombissant. Un canard quitta sa formation et, sous le choc, prit de l’altitude, avant de retomber, tel un pantin désarticulé, sur le sol, dans une projection de neige. Wenz quitta lentement la lisière qui l’abritait, s’efforçant de demeurer calme. Sa proie était à une quinzaine de mètres de là, son emplacement marqué par l’empennage de la flèche plantée verticalement dans le tapis blanc, comme une fleur de sang. Après avoir remisé le cadavre dans son carnier, il ramassa sa flèche à l’empennage si particulier. Une seule plume rouge vif collée en spirale sur une longueur de dix centimètres, jusqu’à l’encoche de la même couleur, faisait ressembler l’engin à un gros écouvillon. C’étaient ces larges picots de plume qui freinaient la course de la flèche et créaient le bruit caractéristique qu’elle émettait en vol avant de la faire retomber toujours verticalement vers le sol. Contrairement aux autres flèches de chasse, celles pour le gibier en vol ne comportent pas de pointe ni de lame, mais sont munies d’un embout s’évasant du fût à l’extrémité. Cet assommoir permet de tuer par simple choc.

Wenz reprit sa marche après avoir regarni son carquois d’arc. La neige gelée craquait sous ses pieds. Une formation de corneilles zébra le ciel gris en coassant. « Salut ou réprimande ? » se demanda Charles, « Après tout, elles étaient en chasse elles aussi. » Le chasseur rebroussa chemin vers la lisière. Si un chevreuil imprudent croisait sa route, le sous-bois s’avérerait bien plus propice au camouflage.

Le ciel s’était plombé, la neige réapparut, parsemant l’air de minuscules points blancs. Charles ajusta son bonnet, il aimait bien ce temps, peut-être à cause de la sensation que le cours des choses ralentissait. Il croisa la voie d’un chevreuil, mais renonça à la suivre. Avec cette neige qui s’épaississait, la nuit tomberait sans doute encore plus tôt, mieux valait rentrer. Charles emprunta un petit chemin sur sa gauche ; c’était un raccourci vers la route départementale où était stationné son véhicule. C’est alors qu’il la vit. Une grosse berline noire, juste en bordure du bois dans une allée forestière. Le capot était encore chaud. Il remarqua des traces s’enfonçant dans la forêt ; un homme et une femme… Elle marchait en tête.

Wenz suivit les traces malgré la recommandation d’une petite voix lui conseillant de ne pas se mêler des affaires des autres, c’était plus fort que lui ; que pouvaient bien faire deux personnes étrangères à la région, la plaque d’immatriculation était allemande, dans les bois de Monnaie, par un temps pareil ? Il accéléra le pas, la neige commençait à effacer les traces. Le chemin rétrécit peu à peu. Là, l’homme avait pressé le pas, les pointes de ses chaussures s’enfonçaient davantage. Wenz s’arrêta soudain et s’accroupit. « Il s’est arrêté ici, mais elle s’est mise à courir. » Il reprit sa progression, écoutant les bruits alentour… Rien !

« Ici ! Nouvel arrêt de l’homme. La femme court toujours en se retournant fréquemment, la déformation régulière de ses traces en témoigne. L’homme s’arrête encore, l’endroit est piétiné, mais la femme continue… Tiens ? »L’œil du chasseur fut attiré par un éclat brillant dans la neige. « Une douille… Petit calibre… Arme munie d’un silencieux, j’aurais entendu la détonation. » Il la rangea dans sa poche et reprit sa traque. La neige tombait dru maintenant, les traces disparaissaient presque. Plus loin, un monticule s’élevait au milieu du chemin. Wenz s’en approcha. Un homme était recroquevillé sur le sol, son arme encore à la main. Le chasseur, constatant qu’il était mort, le retourna doucement. Une perle de nacre lui faisait comme une protubérance à la place de l’œil gauche. Des glaçons rouges lui sortaient de l’orbite et des narines. Les traces de la femme continuaient, seuls quelques pas apparaissaient encore, la neige terminait de tout recouvrir. La fugitive s’était lancée dans les fourrés, des branches cassées en attestaient. Sa direction devenait de plus en plus imprécise, la peur sans doute, à moins qu’elle ne fût blessée. Il se tordit la cheville sur quelque chose… « Un escarpin ! » Il le ramassa et poursuivit la piste ; ici, un jeune chêne écrasé ; là, les branches cassées d’un noisetier. Il s’arrêta, scrutant l’écho de la forêt… Cette fois-ci, c’était net ! Il se remit en marche vers l’endroit d’où lui semblaient parvenir des gémissements…

I

L’homme reposa son stylo sur la feuille, il venait d’y inscrire le mot « FIN ». Il prit une grande inspiration. Cette fois, il y était ! Son manuscrit était terminé ! « Cela va faire grand bruit », se dit-il en se laissant aller en arrière pour se détendre. « Allez, je m’offre un méga whisky ! Ce n’est pas tous les jours fête ! » Ancien officier de police, à la retraite depuis quelques mois, Philippe Andivo avait acheté cette maison dans un quartier calme de Saumur et, une fois l’aménagement terminé, avait consacré tout son temps à l’écriture de ses mémoires. Il en avait des choses à dire, une carrière de flic n’est jamais monotone et le hasard l’avait particulièrement gâté côté action. Jeune officier de police, il avait assisté à une affaire peu banale qu’il avait attribuée à une sorte de règlement de comptes. La singularité de cette affaire résidait en ce que le règlement s’était fait entre flics et s’était soldée par l’explosion d’une voiture sur les bords de Loire, un soir d’été ; un couple de policiers y avait trouvé la mort. Andivo s’était greffé à un binôme, juste avant l’événement, et, avec ses collègues avait été le témoin direct de la conclusion en feu d’artifice. Dès lors, ils s’étaient retrouvés sous haute surveillance, mais cela n’avait pas empêché les deux autres de gravir les échelons dans la hiérarchie de la Grande Maison, Kerlok était patron de l’IGPN1 et Landowski avait navigué en free lance sur le terrain, pour le compte de différentes directions avant d’atterrir à la DCRI2. Tous deux avaient gardé du passé une solide amitié qu’ils n’extériorisaient pas et tous deux étaient divisionnaires. Lui, le troisième homme, avait été exclu de cette amitié comme de la distribution des prix et Philippe Andivo avait été admis à la retraite avec le grade de commandant. Aigri par ce qui représentait à ses yeux, une injustice, il avait décidé de changer le cours des choses en écrivant cette fois l’histoire qu’il avait toujours tue. Cela ferait bien trois cents pages de polar et cela risquait de provoquer quelques remous au sein de certaines institutions, mais comme il avait pris soin de préciser en avant-propos que ce livre était basé sur des faits authentiques dont il détenait certaines preuves, il ne doutait ni de son succès littéraire ni de sa tranquillité. Philippe passa devant la cheminée où quelques timides flammes rongeaient quelques bûches de chêne, son verre de scotch à la main. Il se réinstalla à son bureau, trempant ses lèvres dans l’alcool, tout en relisant les dernières lignes manuscrites. Oui, il y avait là de quoi faire tomber plus d’un directeur de son piédestal. Son regard se perdit au-delà de la porte-fenêtre, sur la pelouse enneigée… Il était revenu ! Un grand chien noir se tenait droit sur ses pattes au milieu de la surface blanche et l’observait. La bête, d’une taille peu commune, venait de faire son apparition. C’était le troisième soir. Cette fois-ci, il en aurait le cœur net. Il se précipita pour ouvrir la porte-fenêtre alors même que le chien disparaissait dans l’ombre.

La nuit était silencieuse, la lune éclairait d’une lueur blafarde. Les bruits semblaient être gommés par le grand manteau blanc. L’animal avait rapidement disparu au coin de la maison. Le policier avança en suivant les traces qui parcouraient maintenant l’allée menant à la rue. « La grille est fermée, il est fait ! » L’homme s’arrêta derrière la porte fermée, médusé. Le chien était assis à une dizaine de mètres, sur le trottoir. « Ah ça ! Comment a-t-il fait ? Cette grille est lourde, il ne l’a tout de même pas ouverte d’un coup de patte ? » Comme lassé de l’attendre, l’animal repartit au petit trot vers des voitures en stationnement. Le retraité frissonna. « Pas malin d’être sorti en chemise », se dit-il en regagnant l’arrière de la villa. Il poussa la porte-fenêtre, les bûches finissant de se consumer dans l’âtre éclairaient chichement la pièce mangée de ténèbres. Il actionna le commutateur de la petite lampe du bureau qui ne donna qu’un faible halo, à peine suffisant pour éclairer la chemise contenant son manuscrit et son verre de scotch dont il ingurgita une grande gorgée pour se réchauffer. Un détail attira son attention : une carte à jouer s’était glissée entre le sous-main et la chemise à sangle contenant son polar. Il but une seconde gorgée d’alcool tout en se saisissant de la carte. Elle parvenait d’un jeu ordinaire… Pallas, la dame de pique. Il eut son premier vertige et une douleur fulgurante lui troua soudain le cerveau. Il termina son verre de scotch. La dame de pique était affublée d’une larme rouge lui coulant de l’œil, en haut comme en bas… Il lâcha la carte et se prit la tête à deux mains ; la douleur était intense.

— Bonsoir, monsieur Andivo.

Il ne se retourna même pas, la douleur devenait insupportable. Il se tassa sur son fauteuil et, posant ses coudes sur le bureau, réussit à éructer :

— Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entrée et que…

— Qui suis-je ? Je pensais m’être présentée ; je suis la dame de pique ! Plus précisément une messagère. J’ai investi votre salon alors que vous suiviez ma chienne… Elle s’appelle Norvège, ce nom lui sied ne trouvez-vous pas ? Ce que je veux ? Personnellement rien, mais certaines personnes ne souhaitent pas voir publié, le contenu de cette chemise sur votre bureau.

— Co… Comment ont-ils… Oh, c’est horrible ! Ma tête !

— Elles m’ont mandatée pour récupérer le manuscrit et tarir la source ; en clair, vous devez mourir… Oui, je sais, vous n’aviez pas envisagé une fin aussi rapide, j’en suis désolée et je regrette aussi pour la douleur que vous éprouvez, c’est l’un des effets du produit que vous avez absorbé, mélangé à de l’alcool, l’action est décuplée. Bientôt, n’en pouvant plus de sentir votre cerveau se liquéfier, vous allez mettre un terme à vos souffrances d’une manière… définitive.

— C’est ridicule, je vais appeler les secours ! Ah ! C’est atroce ! Je n’ai pas d’arme…

— Maintenant si !

Elle lui glissa la crosse d’un automatique dans la main droite, lui maintenant le canon de l’arme sur la tempe.

— Vous voyez, je ne suis là que pour vous aider à retrouver la paix ! Juste une petite pression et la douleur cesse à tout jamais !

— Personne ne croira à mon suicide… On me connaît à l’Hôtel de…

L’homme s’arrêta de parler, tétanisé par la douleur, il avait l’impression qu’on lui fouillait l’intérieur du crâne. La dame de pique reprit :

— Monsieur Andivo, vous n’êtes pas arrivé à Saumur depuis assez longtemps pour que l’on vous connaisse. La lettre explicative que je vais écrire pour vous à l’aide des modèles de caractères de votre manuscrit en sera la preuve irréfutable : vous êtes déprimé, fatigué, pas d’épouse, sans enfants à qui léguer quelque chose, vous ne laisserez aucun souvenir à la postérité, aucune trace ! Une petite pression de l’index et tout sera fini… le calme absolu ! La détente de cette arme est très sensible…

— Je… Je serai vengé ! Qui… qui êtes-vous vraiment ?

— Ce sera votre dernière question, je vais donc y satisfaire, cela risque fort de vous déplaire… Elle murmura quelques mots à l’oreille de l’homme dont la tête reposait maintenant en arrière sur le rebord du fauteuil. Il écarquilla les yeux de frayeur – Je vois que vous vous souvenez de moi et que vous avez compris que votre mort est inéluctable. Le bonjour en enfer, monsieur Andivo !

Sa main enserra les doigts du moribond, libérant la balle brûlante.

* * *

La Mini Cooper sport grondait en dévorant les derniers kilomètres de route ; bientôt, elles seraient à Saumur.

— Dis-moi, quelque chose m’intrigue…

— Je t’écoute, répondit la conductrice sans relâcher son attention.

— Cela fait un bail que nous nous connaissons et tu as toujours été propriétaire de petits véhicules, tu dois tout de même éprouver quelques difficultés à plier ton mètre quatre-vingts dans des habitacles aussi exigus, non ?

— Je m’attendais à une tout autre question, décidément, tu me surprendras toujours, petite sœur !

— Mais où allons-nous ? Voilà ce que tu voulais entendre ? Question parfaitement inutile à mon sens puisque voilà trois quarts d’heure que nous roulons en direction de Saumur et notre destination vient d’être confirmée par l’apparition du panneau d’entrée d’agglomération. Cependant, je dois avouer que toute ma curiosité n’est pas assouvie, Saumur, c’est tout de même assez vague.

— Eh bien, je pense avoir trouvé la solution à nos problèmes en même temps que la résolution de l’énigme de la disparition de tes parents. Génial, non ? Dans quelques minutes, tu sauras tout sans avoir rien demandé, ma mission deviendra nulle et tu n’auras plus besoin de parcourir les routes de France sauf pour te balader !

— Et cela justifie le fait que tu me demandes de t’accompagner armée ?

— Ce n’est pas sans risque et puis, ici comme dans ma brousse africaine, mieux vaut ne pas sortir sans griffes.

— Proverbe massaï ?

— Non, pensée de Kill3 ! Voilà, nous y sommes. La Mini stoppa le long du trottoir dans un quartier cossu, une succession de gros pavillons individuels noyés, pour la plupart d’entre eux, dans un grand nid de verdure.

— C’est bien calme ici…

Emma repoussa lentement sa portière comme si elle craignait de troubler le silence.

— Tu penses, un samedi et il est six heures trente, personne n’est réveillé !

— Et la résolution de l’énigme si ? Où est-ce là une réminiscence de tes méthodes policières ?

— C’est lui qui m’a fixé l’heure. C’est là, viens !

Kilima appuya sur le bouton de la sonnette. Emma observait l’allée du jardin. Kilima réitéra son geste.

— Il est peut-être sorti promener le chien…

— M’étonnerait ! Il doit nous attendre… Peut-être que la sonnette ne fonctionne pas… Qu’est-ce qui te fait croire qu’il a un chien ?

— Les traces dans la neige là, ce sont bien celles d’un chien, non ?

— Exact !

— Mélangées aux traces de l’animal, il y a celles d’un homme.

— Tu as raison, mais ça ne colle pas ! Regarde, les traces du chien passent par ce trou dans la haie, celles de l’homme s’arrêtent à la grille.

— Et celles du chien continuent jusqu’au trottoir où elles s’arrêtent net. Ton homme est donc toujours chez lui, sans doute encore enfoui sous sa couette puisqu’il ne nous a pas encore invitées à entrer.

Emma poussa la grille qui céda doucement sans un bruit.

— Allons-y !

Elles empruntèrent l’allée enneigée ; la porte décorée d’un heurtoir était également munie d’une sonnette. Cette fois, le son d’un carillon se répercuta à travers la bâtisse… Sans plus de résultat.

Kill informa par gestes qu’elle se proposait de contourner le bâtiment et lui suggéra d’en faire autant par l’autre côté. Emma se glissa silencieusement entre un massif de cyprès et le mur de la maison. Elles arrivèrent presque en même temps, côté jardin. La porte-fenêtre semblait fermée, des tentures empêchaient toute observation de l’intérieur. Kill exerça une pression sur les battants qui s’écartèrent sans résistance, s’enfonçant mollement dans les tentures. Elles se glissèrent à l’intérieur, l’arme à la main. Un lourd silence les accueillit. L’obscurité était totale, la clarté du jour naissant ne pénétrait pas encore l’écartement du tissu. Emma repoussa brutalement l’un des pans de velours de Gênes ; Kill mit la main sur un commutateur…

La pièce, plutôt grande, était meublée avec goût. Des meubles anciens, un âtre où s’entassaient des cendres.

— Presque froides, constata Kilima en y posant la main.

Elle rengaina son arme et, s’approchant du corps écroulé sur le bureau, fit les présentations :

— Petite sœur, voici le commandant Philippe Andivo, du SRPJ de Nantes, en retraite depuis quelques mois. Le commandant a débuté aux côtés de Kerlok4 et Landowski5, c’est dire s’ils ont rempli les mêmes missions à l’époque et assisté aux mêmes choses… Andivo était le troisième témoin de ce nous pourrions appeler l’affaire Choomak. Nous arrivons apparemment trop tard.

Elles examinèrent le cadavre, l’homme s’était brûlé la cervelle, le pistolet automatique qu’il tenait encore en main droite en témoignait, ainsi que la lettre manuscrite, posée en évidence. Il y expliquait son geste.

— Dépression ?

— Il n’avait pas le ton d’un individu déprimé au téléphone, et nous nous sommes parlé à plusieurs reprises, il avait plutôt l’air de quelqu’un qui voulait se venger ou rétablir quelque chose ; le peu qu’il m’en avait dit était que cela risquait de faire du bruit, mais je n’en sais pas plus. Étonnant ! Mais si la lettre est réellement de sa main, il faudra bien que les collègues concluent à un suicide.

Kill se pencha sur le verre posé près de la lettre. Il contenait encore un fond d’alcool. Elle inspira un long moment.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Whisky… mais il faudrait pouvoir…

Elle se dirigea vers la cuisine et ne tarda pas à en revenir, une bouteille d’eau minérale vide à la main. Saisissant le verre à l’aide d’un mouchoir, elle transvasa le reste d’alcool dans le récipient, se promettant de le faire analyser.

— Ne traînons pas ici, il ne faudrait pas que les collègues de Saumur nous tombent dessus.

Emma sortit.

Kill allait la suivre lorsque quelque chose attira son attention. Un morceau de bristol semblait coincé sous la chaussure du mort.

Elle s’en empara.

— Nom de dieu ! Emma rentre ! Vite !

— Qu’y a-t-il ?

— Prends le flacon de whisky et vide-le dans l’évier de la cuisine ! N’oublie pas de rincer l’évier ; le flacon également. Il y a une autre bouteille de scotch dans le bar, transvase-la dans le flacon et mets-en un peu dans le verre d’Andivo ! OK ! On emporte la bouteille vide !

Elle jeta un regard circulaire dans la pièce.

— Voilà, « simba jike, hawezi kuwapata wanawe »6 ! Partons maintenant !

Saumur sortait lentement de sa torpeur hivernale tandis que la Massaï essayait, à coups d’accélérateur, de sortir de là au plus vite.

— On rentre à Tours ?

— Oui, mais il ne faudra pas que tu y restes, le vent tourne, petite sœur, le moment est venu pour toi de reprendre la route. Pourquoi ne reviendrais-tu pas ici par le fleuve ?

— Pourquoi justement ici ?

— Je ne suis pas certaine que le stratagème mis en place pour faire croire au suicide de Philippe Andivo abuse longtemps les locaux, même si nous en avons remis une couche.

— Parce que tu es maintenant persuadée que ce n’en est pas un ?

La conductrice sortit rapidement une carte à jouer de la poche intérieure de sa veste.

— À cause de ça !

— La dame de pique ? Que signifie…

— Elle était coincée sous le pied droit du cadavre, ce n’est pas une simple carte à jouer, mais une carte de visite ; au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, Pallas pleure une larme de sang !

— En effet.

— As-tu entendu parler de “Dix-de-Der” ?

— Non, sauf si tu me parles d’une partie de belote.

— C’est un peu basé là-dessus. “Dix-de-Der”, appelé également “Le Cabinet” est une société discrète regroupant des tueurs. Eh oui, même ces gens-là doivent changer de structure pour exister encore. Les temps changent, les organisations s’adaptent. Je te passe le côté pseudo-humoristique du nom, la particularité des employés du Cabinet étant de signer leur travail par l’abandon d’une carte à jouer représentant toujours un roi noir.

— En l’occurrence, il s’agit ici d’une dame.

— La signature de Sasha, surnommée “Le Fantôme” ! Sasha n’est pas inféodée au Cabinet, mais il arrive qu’elle lui loue ses services.

— Une femme associée à ce cabinet du crime ? C’est fou !

— Oui et non, je connais quelques femmes de la Maison qui ne dépareilleraient pas dans cette organisation ; t’ai-je jamais parlé de “La Vierge d’airain”7 ? Mais passons…

Kilima stoppa la voiture devant une auberge.

— Arrêtons-nous ici ; un petit-déjeuner sera le bienvenu et j’ai un coup de fil à passer. Nous en profiterons pour y abandonner la bouteille de whisky.

Elle sortit après avoir reboutonné sa veste.

* * *

La main sortit de l’ombre du grand fauteuil. L’annulaire portait une lourde chevalière en or présentant des initiales gravées ; un P et un C entrelacés. Elle cueillit un havane dans une boîte en bois précieux. Deux yeux protégés par des lunettes à monture d’écaille apparurent un bref instant dans la lueur de la flamme d’un briquet, puis l’ombre reprit sa place dans la grande pièce où seule la lumière tamisée d’une lampe caressait doucement l’or des boiseries.

— Vous avez souhaité une entrevue ; un problème ?

— Non, Monsieur, seulement des nouvelles de l’affaire “Emma Choomak”, j’ai pensé important que vous fussiez informé…

— Cette entêtée aurait-elle entrepris de nouvelles fouilles d’un passé interdit ?

— Il ne s’agit pas tout à fait…

— Pas tout à fait ? Soyez plus précise ! Auriez-vous perdu un autre agent ?

— Non, Monsieur. Il s’agit en fait d’un officier de police depuis peu à la retraite, un certain Andivo…

— Le troisième témoin ! Je l’avais quelque peu… comment dire… perdu de vue celui-là. Sans doute parce qu’il n’a jamais été réellement une menace. Il n’a pas le caractère des deux autres, il a d’ailleurs accepté l’argent sans barguigner. Ainsi, le voilà à la retraite ?

Un nuage de fumée s’envola du fauteuil, tel un ectoplasme.

— Le commandant Andivo s’est récemment découvert une passion pour l’écriture. Il a rédigé un manuscrit, une sorte de biographie dans laquelle il révélerait beaucoup de détails sur “l’accident”…

— Voilà qui est fâcheux ! Et votre agent sur place ?

— J’ai estimé inutile de la détourner de sa mission, mieux vaut cloisonner les informations.

— Excellente décision ! Que chacun ne connaisse que le nécessaire à l’accomplissement de sa mission, la vision d’ensemble nous appartient !

— J’ai donc fait appel à quelqu’un d’autre pour régler ce problème.

— Cependant, multiplier les agents ne semble-t-il pas, pour le moins, imprudent ?

— Il ne s’agit pas ici d’un nouvel agent, j’ai, en l’occurrence, fait appel à une association : Le Cabinet, nul doute que le problème sera réglé rapidement.

— Ne craignez-vous pas d’avoir installé le loup un peu trop près de la bergerie ? Faire appel à ce… Cabinet alors que notre mission est justement d’en combattre les membres… Mais vos méthodes ne regardent que vous et votre conscience.

— Toutes les précautions ont été prises, ils ne connaissent pas le commanditaire, encore moins son origine professionnelle, ma piste est intraçable.

— Le commandant Andivo n’aura pas eu le temps de profiter de sa retraite et aura, en outre, parachevé son travail de manière honorable ; il mériterait d’être décoré à titre posthume pour avoir sacrifié sa vie à la raison d’État.

Rosalinde esquissa un sourire…

— En douteriez-vous, Madame ?

— Non ! Non… Bien sûr que non ! J’attends le manuscrit d’un instant à l’autre par une voie…

— Peu m’importent vos méthodes, Madame ; l’essentiel étant que l’on récupère ce texte au plus tôt et intact ! Dès qu’il sera en votre possession, vous me l’amènerez sans délai ! Vous pouvez disposer…

* * *

Une douleur lancinante traversa l’épaule de Charles Wenz. Il se retourna dans son fauteuil ; la couverture glissa, laissant le froid s’enrouler autour de son corps. Le feu était presque éteint dans la cheminée ; une poignée de branches sèches et quelques habiles coups de soufflet permirent à de nouvelles flammes de dévorer les bûches savamment installées. Un effluve de pomme envahit la pièce comme pour souligner le changement d’état du morceau d’arbre fruitier qui allait se muer en cendres. Charles se laissa retomber dans son fauteuil, après s’être enroulé dans sa couverture.

— Je partir maintenant ! Remercier beaucoup, mais moi fuir vite !

— Partir ? Où ? Comment ? Si j’ai bien compris vous vous êtes débarrassée de votre chevalier servant d’une manière plutôt expéditive ! Cela dit, à votre décharge, cet homme avait décidé sans doute de ne pas en adopter une plus pacifique envers vous… Je ne vous ai pas livrée aux forces de l’ordre parce que ce n’est pas dans ma philosophie ; me connaissant mieux, vous sauriez que je n’apprécie que très moyennement le voisinage des képis et autres hommes au brassard rouge. De plus, vous étiez transie, épuisée, blessée… Alors, je vais faire un peu de café, ensuite je regarderai votre blessure qui ne m’a pas l’air trop grave et nous aurons une petite conversation, je pense que cela s’impose, non ?

— OK ! Café ! Diè vanna ?8

— Pardon ?

— Washing ?

— Ah oui… Follow me !

Il ouvrit la porte de la salle de bains et sortit quelques serviettes d’un placard.

— Voilà, le savon est ici, le shampooing là…

Elle le gratifia d’un large sourire en refermant la porte. « Joli brin de fille », se dit-il en se dirigeant vers la cuisine. L’odeur du café envahit l’étage, Charles mit quelques tranches de pain à griller… On frappa à la porte.

— Charles ? Vous êtes là ?

Il n’eut pas le temps de répondre, Maud était apparue.

— Eh bien, mon ami, que se passe-t-il ? Plus de nouvelles depuis hier matin ! Je suis partie tôt et rentrée tard, je vous l’accorde ; cependant, je ne vis aucune trace de votre présence ; pas de voiture en bas ni de lumière à l’étage, vous avez l’habitude de veiller tard ; j’étais inquiète…

— J’étais à la chasse, j’en suis rentré à une heure assez avancée, c’est alors que…

— Je vois !

Ce qu’elle venait de remarquer c’étaient les chaussures maculées que son ami avait laissées sur le tapis du salon ainsi que la couverture avachie sur le fauteuil, à côté duquel traînait en boule, le reste de sa tenue de chasse.

— J’allais prendre un café, si le cœur vous en dit…

— Pourquoi pas ? Et des toasts ? C’est gentil !

— U vas ie plasryr ?9

Maud se retourna d’un bloc.

— Apparemment, la chasse fut bonne et les toasts ne m’étaient pas destinés !

La jeune femme était statufiée, enveloppée dans un drap de bain, ses cheveux blonds dégoulinant sur ses épaules.

— Eh bien, Charles ! Vous ne faites pas les présentations ?

— Maud, vous vous méprenez totalement, je ne connais pas cette personne, j’ignore jusqu’à son nom !

— De mieux en mieux ! Vous prétextez une action de chasse pour couvrir vos turpitudes ! Remarquez, vous êtes en droit d’autoriser n’importe qui à tester votre lit, vous êtes ici chez vous, étant toujours mon locataire ! Je vais donc vous laisser à vos fantasmes, Monsieur ! – Elle fit un pas vers la porte et arrêta son geste. Elle se retourna vers le couple, ses yeux lançaient des éclairs. L’Ukrainienne recula, effrayée…– Je dois néanmoins vous prévenir que je repasserai demain, c’est fin de mois, juste pour percevoir le loyer ! Sachez tout de même, mon cher, que je ne prise guère, même de la part d’un chasseur, qu’il me joue avec une autre la scène de Diane au bain ! À vous revoir, monsieur Wenz !

La porte claqua, faisant trembler les cadres des murs. “Diane”, surprise, lâcha sa serviette et se retrouva dans le plus simple appareil. Charles pria pour que sa furie préférée n’ait pas, à cet instant, l’idée de faire demi-tour ; c’eût été l’apocalypse !

1 IGPN : Inspection Générale de la Police nationale.

2 DCRI : Direction Centrale du Renseignement Intérieur.

3 Kill, surnom de Kilima.

4 Oscar Kerlok : lire les autres ouvrages de l’auteur, dans la même collection.

5 Landowski : lire les ouvrages de Serge Le Gall dans la même collection.

6« simba jike hawezi kuwapata wanawe » : « même une lionne, n’y retrouverait pas ses petits » en swahili.

7 Lire L’Écheveau de Blois, du même auteur, dans la même collection.

8Diè vanna ? Où est la salle de bains ? (ukrainien)

9 « U vas ie plasryr ? » Avez-vous du sparadrap ? (ukrainien)

II

Les couloirs de la DCRI étaient silencieux. La longue silhouette élégante avança jusqu’à la porte d’une pièce et l’ouvrit. Le lieu était assez vaste. Un lustre en cristal suspendu au milieu du plafond faisait penser, dans la semi-obscurité, à une grosse araignée dévidant son fil de soie rouge. Rosalinde Mercœur parcourut le parquet à la française. Devant son bureau, l’espace était occupé par deux fauteuils bas à haut dossier. Les ignorant, elle s’empara d’un paquet de cigarettes, tout en observant le tableau accroché au mur du fond.

— Bonsoir…

Rosalinde se retourna lentement face aux fauteuils et alluma sa cigarette dont elle prit le temps de souffler un nuage de fumée bleue, tout en observant son interlocutrice.

— Qui êtes-vous ? Il me semble vous avoir déjà rencontrée quelque part…

L’occupante du fauteuil était tout de noir vêtue ; ensemble de haute couture, bas de soie, escarpins de prix. Une carte à jouer apparut comme par magie dans sa main gauche…

— La dame de pique !

Rosalinde alla s’asseoir derrière son bureau et toisa l’intruse.

— Et alors ? Suis-je censée me pâmer ? Que voulez-vous ? Les accords ne prévoyaient pas une rencontre ! Dix-de-Der ne tient pas ses engagements !

— Le Cabinet n’est pour rien dans cette modification. Je ne suis pas directement affiliée à cette organisation, même s’ils font parfois appel à mes services comme aujourd’hui. Je suis plutôt du genre indépendante, je travaille en free lance, comme l’on dit…

— Free lance ou pas, j’aimerais bien savoir par quelle méthode vous êtes arrivée jusqu’ici. J’avais pris toutes les précautions, effacé toutes les pistes pour qu’on ne puisse pas connaître l’origine du commanditaire de ce contrat ; un vrai fantôme !

— Non, d’ailleurs, le fantôme c’est moi ! Sachez seulement que je n’ai nullement besoin des talents de Dix-de-Der pour obtenir les renseignements que je désire.

Elle jeta une chemise de couleur jaune sur le bureau.

— En plus de votre dossier personnel, vous y trouverez l’objet du contrat qui nous lie. À ce propos, il vous reste à remplir une part non négligeable : vingt mille euros !

— Cinq mille ont été versés au Cabinet à titre d’acompte !

— Ce n’est pas mon problème ! Le prix de ma prestation s’élève à vingt mille ! Les frais généraux du Cabinet m’importent peu !

Rosalinde esquissa un geste, déclenchant l’apparition d’un automatique dans la main droite de la dame de pique.

— Allons, restons calmes, Mademoiselle. Mademoiselle ?

— Je viens de vous le dire, on m’appelle “Le Fantôme”, mais je suis également assez connue sous le pseudonyme de “Sasha”.

— Eh bien, Sasha, vous avez certainement remarqué que mes services sont déserts, ce qui est normal compte tenu de l’heure tardive, je ne peux donc appeler un comptable, encore moins le déranger chez lui pour qu’il vienne établir un chèque…

— Je n’aime guère que l’on se gausse, madame Mercœur ! Un chèque ! Comme si j’ignorais que vous disposiez de fonds secrets dont une partie est détenue dans ce bureau ! Déplacez donc ce tableau derrière vous et ouvrez le coffre qui est dissimulé dessous, je vous prie.

Rosalinde ne bougea pas d’un millimètre, elle concentrait son regard sur Sasha, plongeait ses yeux dans les siens. Le canon de l’arme prit un angle inquiétant…

— Inutile de me regarder de la sorte ! Cela ne prendra pas sur moi Vous arrivez certes à subjuguer vos semblables, mais avec moi, c’est voué à l’échec ! Quoi que vous fassiez, je ne mangerai pas dans la main du diable ou de La Vierge d’airain ! Vous voyez, je sais tout de vous ! L’argent ! Vite !

Rosalinde ouvrit le coffre et disposa les liasses de billets sur le bureau. Sasha les enfouit dans son sac à main, puis elle posa le canon de l’arme sur la tempe de Rosalinde.

— Assise ! les mains bien à plat sur le bureau.

Rosalinde s’exécuta et sentit une pression sur son cou avant de perdre conscience. Le Fantôme enfonça la tête d’une sculpture dorée près d’un coin de la pièce, déclenchant l’ouverture d’une porte. L’air empestait le moisi dans l’escalier dérobé qui la mena directement dans une venelle, loin des regards indiscrets. Elle remonta en voiture. Sur le siège arrière de la Bentley, la chienne beauceronne l’attendait. Elle la gratifia d’une caresse.

— Tu vois, Norvège, les heures de ménage pratiquées à la DCRI n’ont pas été perdues ! On rentre !

Elle jeta la chemise jaune entre les pattes du chien et le cabriolet s’enfonça dans la nuit.

*

— Ça y est ! J’ai prévenu les collègues ! Un coup de feu dans la nuit ! Je me suis présentée comme une voisine d’Andivo ; faux nom, véritable adresse… Et toi ? T’es-tu débarrassée de la bouteille ?

— C’est fait !

— Bien, attaquons ce petit-déjeuner avant de repartir. Je suppose que tu as hâte d’informer Thierry des derniers événements…

— Jusqu’ici, je l’ai mêlé le moins possible à cette histoire, j’ai bien l’intention de continuer ; je tiens à en dénouer les arcanes toute seule.

— Tu as tout de même accepté son aide, non ?

— C’est différent ! C’est uniquement parce que tu es censée ne pas me quitter d’une semelle et, au besoin, me mettre une balle dans la tête…

— Ça, c’est la version officielle, petite sœur, tu sais très bien que jamais je ne me résoudrais à de pareils expédients.

— Moi, je le sais, mais en serait-il de même si Thierry Guillaume devenait l’un de tes autres protégés ? Je te connais, Kill ! Je sais très bien que ton amitié est exclusive, tu n’es pas du genre partageuse ; c’est pourquoi en agissant ainsi envers Thierry, j’espère le protéger de toi et des autres…

— Tu as peut-être raison Il faudra qu’un jour, je t’emmène dans mon village, je te montrerai la brousse et qui est Kilima N’Déréba du peuple massaï ! Tu n’as pas idée de ce dont je suis capable…

Elle déchira un croissant d’un coup de dent rageur.

— L’aperçu “européen” que j’en ai eu jusqu’ici me porte à croire que je suis bien aise d’être ton amie… Une question cependant : qui sont ces autres dont tu me parlais tout à l’heure ?

— Je ne suis pas autorisée à te le dire, petite sœur.

— Serais-tu devenue soumise ?

— Détrompe-toi ! Il vaut mieux cependant que certains détails t’échappent. Ils ne t’apprendraient pas grand-chose de plus ; d’ailleurs, je suis certaine qu’il y a quelqu’un d’autre derrière l’autorité qui m’emploie.

— Et qui n’est plus Oscar Kerlok…

— Officiellement si. De fait, il s’est vu dans l’obligation de me “prêter” à quelqu’un de plus haut placé.

— Décidément, je vais de surprise en surprise ! Kerlok a accepté de jouer à ce petit jeu ? Il mange dans la main de ses maîtres ?

— Le divisionnaire Kerlok s’est aperçu trop tard que la main qui lui était tendue était celle du diable.

Cho éclata de rire.

— Le diable serait donc policier ?

— C’est une diablesse…

— Une femme ? Je comprends mieux…

— Tu ne comprends rien du tout ! On ne résiste pas facilement à cette femme-là ! Je reprendrais bien un peu de confiture, merci.

— Mais si toi tu étais placée dans l’obligation de lui résister, qu’en serait-il ?

— Ce serait une autre chasse ! Je ne serais pas certaine d’y abattre ma proie, elle est bien plus dangereuse qu’une lionne…

Le silence se fit, elles terminèrent leur collation.

Kilima alla régler la dépense avant de reprendre la route. Elle conduisait en silence, Cho semblait perdue dans ses pensées.

— Je ne dis pas non…

— À quel sujet ?

— Ton invitation à m’initier à la brousse ; mais à une condition…

— Laquelle ?

— Que tu me présentes les petites voleuses de chaussures1.

— Je pense que tu les découvriras bien toute seule.

Kill actionna le commutateur de la radio ; c’étaient les informations, elle éteignit rapidement.

— Pas intéressée par les dernières nouvelles ?

— Inutile ! Nous en avons les oreilles rebattues ; les journalistes veulent à tout prix que le président annonce sa candidature aux prochaines élections et lui ne veut rien en dire ; c’est un secret de polichinelle.

— Je me demande qui a tué Philippe Andivo…

— Il s’est peut-être suicidé…

— Arrête ! Tu n’en crois pas un mot ! Ta réaction dans la villa le prouve, tu as effacé les derniers indices permettant de prouver qu’il ne s’agissait pas d’un suicide, pourquoi ?

— Quelque chose est en train de leur échapper.

— Aux flics ?

— Non, aux commanditaires de ce contrat !

— Dix-de-Der ?

— Le Cabinet est l’exécuteur du contrat, par tout moyen à sa convenance, ce n’est pas le commanditaire.

— J’avais compris, mais pourrais-tu me dire ce qui te tracasse ?

— Ça !

Elle sortit la carte de la dame de pique.

— Encore ton Fantôme ? Nous sommes en plein cauchemar ! Une diablesse au petit-déjeuner et maintenant…

— Sasha est pire qu’une diablesse ! Elle est intelligente, insaisissable, rapide et fatale. Cette carte était coincée sous la chaussure d’Andivo, c’est donc que Sasha l’a perdue car elle ne voulait pas signer son forfait, à cause de l’idée du suicide. Le suicide ne correspond pas aux méthodes du Cabinet. Il envoie ses tueurs, ceux-ci laissant toujours visiblement leur carte de visite : un roi noir. De plus, cette ostentation aurait pu conforter les enquêteurs dans le fait qu’Andivo avait été victime d’une vengeance, il n’a pas dû se faire que des amis au cours de sa carrière. Son manuscrit a été emporté par Le Fantôme, mais qui à Saumur était au courant de son existence ? Si Le Fantôme a changé de méthode en imposant la théorie du suicide, c’est que Le Cabinet s’est fait doubler. Sasha a fait en sorte que l’on croie à un suicide ? Je me suis arrangée pour qu’on ne puisse plus en douter ! Cependant, je ne suis pas certaine que cela fasse longtemps illusion, le capitaine Renan, en poste à Saumur, est très perspicace ! Ah ! Nous sommes arrivées !

Les portes de la grille du manoir s’ouvrirent lentement pour laisser entrer la petite voiture.

* * *

Maud termina d’essuyer les dernières flûtes en cristal posées sur la table. Lorsqu’elle était fortement contrariée, elle s’adonnait à de multiples tâches ménagères. Cela, prétendait-elle, l’aidait à dissiper sa colère. Bien entendu, il existait une tache ménagère pour chaque degré de colère.

Charles était entré discrètement tandis que Maud se concentrait sur le Bohême. « Ah ! Tout de même ! Les flûtes, carrément ! Bigre, mon affaire s’annonce plutôt mal ! »

— Maud, je…

— Ahhh ! Seriez-vous devenu fou, mon ami ? M’effrayer ainsi ! Voilà une flûte brisée ! Ma parole, non content de vous lancer dans je ne sais quelle aventure, voilà que vous vous mêlez de venir céans, détruire les reliefs de mon ménage !

— Je vous prie de m’excuser… Ne dit-on pas que le verre blanc porte bonheur ? Je me ferai une joie de vous la remplacer…

— Cristal ! De Bohême, s’il vous plaît ! Ce service me vient de ma grand-mère, Augusta de Choucry, je doute fort que vous puissiez jamais tenir votre promesse, on n’en fait plus de pareils !

— Je suis vraiment désolé…

— Vous pouvez ! Et ne restez pas planté là au milieu des éclats, aussi désemparé qu’un râteau loin de ses feuilles, allez donc quérir le matériel nécessaire au ramassage des tessons pendant que je range les survivantes !

Charles revint, muni d’une pelle et d’un ramasse-poussière.

—“Diane” est partie ?

— Non… Je l’ai priée de n’en rien faire, compte tenu de la situation.

— Persiste et signe !

— Vous n’y êtes pas du tout, cette personne est mêlée à un meurtre ! J’ai trouvé le cadavre d’un homme qu’elle a sans doute éliminé après qu’il lui a tiré dessus, elle est légèrement blessée, une douille traînait près du corps de l’homme armé. C’est une fille qui vient de l’Est, Russie ou quelque chose du genre, je n’entends rien à ce qu’elle me dit et elle a l’air choquée. J’ai cru comprendre avec quelques mots d’anglais qu’elle était victime d’un trafic. Il vaudrait sans doute mieux qu’elle se rende aux autorités et, même si elle a à répondre d’un crime, c’est encore entre leurs mains qu’elle serait, me semble-t-il, le plus en sécurité.

— Mais il n’est pas dans vos principes de dénoncer quelqu’un aux autorités…

— Encore s’agirait-il d’un criminel notoire… mais là… Je l’imagine plus victime que prédatrice.

— Vous parlez comme un juré d’assises ! Victime ou non, il ne vous appartient pas d’en juger. Vous vous trouvez donc devant un choix difficile : sacrifier à l’éthique ou faire fi de vos principes en dénonçant “Diane”, mais vous avez une troisième solution, celle qui consiste à la remettre là où vous l’avez trouvée, nul doute qu’on ne retrouvera pas de trace, d’ici le dégel.

— Je vous en prie, l’heure n’est pas à l’humour ! “Diane” ! Tout de même !

— Et comment doit-on appeler cette charmante personne ? Vous ne nous avez pas présentées ! Connaissez-vous son patronyme au moins ?

— Non.

— Fabuleux ! Mais après tout, pourquoi nous embarrasser de détails ?

— J’eusse mieux fait de ne pas suivre ces traces dans la neige.

— Ce n’est guère certain non plus, vous connaissant. Mais devant vos incertitudes je ne peux que vous proposer la solution du juste milieu ; incitez-la à se livrer aux gendarmes ou à la police.

— Vous savez bien que mes relations avec l’adjudant Froissard ne sont pas au beau fixe. Il pourrait en profiter pour me mettre une complicité sur le dos, dame, je suis tout de même intervenu sur la scène de crime et j’ai ramené la demoiselle chez moi, cela peut être sujet à caution, au mieux… Avec Froissard…

— C’est vrai qu’il est revenu ! Adjudant, peste ! Quand je pense que nous l’avons connu brigadier2 ! Eh bien, qu’à cela ne tienne, confions l’affaire à ce bon commandant Guillaume, je le tiens pour un gentilhomme !

— En tout cas, c’en sera fini de l’idée de dénonciation spontanée. Personne ne pourra admettre que cette femme, une étrangère, aura cherché le numéro du SRPJ de Tours…

— Mais bien sûr, Monsieur l’homme des bois ! Laissez-moi m’occuper de la question et allez donc me chercher votre dernier trophée, j’ai deux ou trois petits détails à régler avant toute chose.

Charles se demanda comment Maud réussirait à convaincre cette fille…

— Eh bien, ne restez pas planté là, le seau à la main, cela manque d’équilibre ! Allez, vous dis-je !

* * *

Les rayons d’un pâle soleil essayaient vainement de se frayer un chemin à travers l’interstice des lourdes tentures de la chambre.

Thierry se retourna en prenant soin de garder les yeux fermés. Il adorait cet instant matinal où tout s’éveillait au dehors alors que la maison semblait encore en léthargie. Il se sentait apaisé après l’intense étreinte de cette nuit. Il allongea le bras, sa main rencontra l’empreinte encore tiède d’un corps sur le drap de soie… En un instant, il fut totalement éveillé. Il sauta dans son pyjama et sortit en terminant d’enfiler une veste d’intérieur.

Il faillit renverser le majordome qui apportait le petit-déjeuner.

— Que Monsieur m’excuse, mais…

— Plus tard ! Avez-vous vu Madame ?

— Non, Monsieur le comte ! Dois-je laisser le plateau dans votre…

— Au diable le plateau, l’heure n’est pas à la confiture ! Mangez-le si vous ne savez qu’en faire ! Emma ! Emma ?

Le majordome hésitait, le plateau entre les mains. C’était bien la première fois que Monsieur apparaissait en tenue de nuit hors de ses appartements ! Il fallait sans doute que la chose fût d’importance pour conduire son maître à de telles extrémités ! « Mangez-le ! » était-ce un ordre ?

Si cela était, tant mieux, il avait faim, ayant pris son service en retard, son petit-déjeuner à lui était tombé dans les oubliettes, alors, il allait ouvrir les tentures de la chambre et ensuite…

— Avez-vous vu Monsieur ?

Le toast cassa net dans la main du majordome qui se leva précipitamment.

— Madame la comtesse m’a fait peur ! J’apportais le plateau du petit-déjeuner et…

— Vous pouvez le ramener en cuisine ! Alors ? L’avez-vous vu ?

— Oui, Madame la comtesse, il dévalait l’escalier en criant votre prénom, Madame la comtesse…

— Cessez de me donner de la comtesse ! Je ne suis pas plus comtesse que vous êtes zouave ! Quoique… de temps à autre… Allez ranger tout cela, mon ami, vous aurez largement le temps de déguster un autre toast en cuisine, je vais retrouver Monsieur.

Elle disparut dans l’escalier, laissant le majordome redescendre prudemment l’escalier en pestant contre ces jours singuliers où la maisonnée entière semblait atteinte d’une sorte de frénésie surréaliste qui lui faisait systématiquement perdre tous ses repères. Surpris à manger le plat du Maître, la honte absolue ! Heureusement que ce n’était pas par la gouvernante, c’eût été la porte, sans délai !

Il y eut une cavalcade dans le hall.

— Vous voilà ! Mais vous avez revêtu vos… ne me dites pas que…

— Si, je pars ! Mais ne vous fâchez pas, j’ai juste besoin d’un peu d’air, vous comprenez, n’est-ce pas ? Mon absence ne sera pas longue, juste le temps nécessaire à Délivrance pour voguer jusqu’à Nantes et en revenir ; j’étouffe un peu ici.

— Hier, à votre retour de Saumur, j’ai bien senti que quelque chose avait changé. Que s’est-il donc passé là-bas ?

— Mais rien, rien du tout ! Un rendez-vous manqué tout simplement, il en reste la joie d’une ballade avec Kilima, c’est déjà ça !

— Ce n’est pas que ça ! Je sens bien que vous ne me dites pas tout ! Quelque chose cloche… Ne m’aimez-vous donc plus ?

Elle se jeta à son cou et l’embrassa fougueusement.

— Nigaud ! Ne vous en ai-je pas donné une preuve cette nuit ?

— Je répugne à vous savoir embarrassée et je sens bien que ce rendez-vous manqué vous gêne, peut-être puis-je vous aider à retrouver cette personne ?

— Non, la piste s’est brutalement interrompue, l’homme s’est suicidé ! Je suis très déçue, car je comptais bien avoir de nouveaux éléments sur la mort de mes parents, voilà tout.

— Suicidé ? Pour quelle raison ? A-t-il laissé un indice quelconque qui permette de le…

— Une lettre expliquant son geste.

— Et c’est cette déception qui vous pousse à voguer au gré des courants ligériens ?

— Pas spécialement, c’est un concours de circonstances. Vous connaissez mes difficultés à entrer dans la peau d’une comtesse, même si j’aime profondément le possesseur du titre… J’ai besoin d’air tout simplement, mais ce n’est pas pour repartir à la recherche de mes chaussures rouges3 ; juste une irrésistible envie d’espace !

— Et Kilima dans cela ?

— Elle part également, on l’a rappelée à Paris.

Le majordome entra, portant un plateau sur lequel gisait un téléphone.

— Que Monsieur le comte m’excuse, un appel pour Monsieur le comte…

— Allô ? Oui… Bonjour, Madame… Demain ? Vingt heures ! Oui, nous sommes libres… Entendu, je vous remercie, Madame, Emma sera enchantée… À demain donc…

— Enchantée ? Mais de quoi, s’il vous plaît ? Mes affaires sont prêtes, je n’ai plus qu’à larguer les amarres !

— Une invitation ! Surprenante, je vous l’accorde, et pour tout dire inattendue…

— De qui cette invite ?

— Maud !

— Pardon ?

— Maud Choucry de Roquefeuille nous invite à une soirée qu’elle donne demain soir à La Blondellerie.