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Le danger menace à Saint-Cyr
Un vol de plumes noires s’abat sur Saint-Cyr-sur-Loire, ville paisible de l’agglomération tourangelle. Maud, qui vient de publier un ouvrage, apprendra vite que le métier d’écrivain est parfois risqué. En effet, tandis que les salons du livre battent leur plein en Touraine, le danger y rôde.
Le commandant Guillaume traque donc des plumes tueuses et broie du noir, cependant qu’à Paris, Emma, son amie, s’est lancée dans une aventure où elle risque de perdre des plumes.
Dans l’ombre, l’assassin s’est laissé envoûter par les longs trilles mélodieux de la Mort Jaune et frappe…
Une enquête dans laquelle le commandant Guillaume risque bien de se faire voler dans les plumes ! Embarquez sans tarder dans le 11e tome d'Emma Choomak, En quête d’identité !
EXTRAIT
Juchée sur l’escabeau dont elle se servait pour ranger ses livres tout en haut de la bibliothèque, Claude contemplait le foisonnement de papiers froissés avec l’impression que chacun d’entre eux lui reprochait sa médiocrité ! Elle demeurerait donc incomprise, dans son écriture comme dans sa vie. Et pourtant, combien avait-elle espéré en noircissant ces pages, y voyant l’opportunité d’un changement de vie, de tout changer ! Le sort en était jeté, elle ne serait pas reconnue comme écrivain, ni en tant que femme, tout simplement ; tout simplement…Comme si les choses étaient
aussi simples. Il n’y avait pas de place pour Claude, ici ou ailleurs. Par ces refus d’édition, on la rejetait ! Être éditée, pas à compte d’auteur, ni même sur Internet, c’est être reconnue, c’est accéder à une place, sans doute modeste au début mais, avec le temps et d’autres ouvrages… Il était bien là son problème, Claude n’avait pas sa place et puisque cela semblait impossible ici, il lui faudrait la chercher ailleurs.
Pourtant, elle le trouvait bon, son polar, objectivement… Claude contempla quelques instants le vernis noir recouvrant les ongles de ses pieds ; noir, comme son roman, une couleur de circonstance.
Un mouvement jeta les pieds nus dans le vide. Il y eut une brutale tension sur sa colonne vertébrale tandis que la corde se refermait autour de son cou et tout devint noir.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Editions Bargain, le succès du polar breton. –
Ouest France
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1952 à Roubaix,
Philippe-Michel Dillies, après des études de droit, a suivi une carrière militaire. Lecteur passionné des œuvres d’Agatha Christie, une affectation en Beauce l’a décidé à prendre la plume, pour partir comme son égérie, à la découverte des arcanes de l’écriture policière. Son premier roman est sorti en 2003. Il s’est retiré en Touraine, décor naturel de ses œuvres.
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." -
Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute res-semblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À Louise, née la même année que ce livreet à Sabrina, sa maman.
Je suis grand amateur de bière.Ce n’est pas à cause de celaque l’on meurt beaucoup dans mes livres.L’auteur.
La lampe éclairait chichement le paquet de feuilles dactylographiées formant une tache incongrue sur le sous-main du bureau en acajou. Le reste de la pièce baignait dans l’ombre où les fauteuils noyaient la masse de leur cuir devant le foyer vide de l’énorme cheminée. Tout n’était que silence. Dehors, mars jetait sa pluie en bourrasques contre les vitres. Tout à côté des feuillets gisait une enveloppe éventrée répandant sa missive jusqu’au pied de la lampe… « Votre ouvrage a retenu toute notre attention, malheureusement, il ne correspond pas… » Claude Gynger connaissait la suite, elle n’avait pas eu besoin d’aller au-delà de ces premières lignes, un constat sans appel. Un de plus qui venait grossir la vague qui débordait de la corbeille, faisant sur le parquet comme une avalanche de boules blanches.
Claude ne suivrait pas les recommandations énoncées pour récupérer son œuvre, à quoi bon ? Ce trentième éditeur repoussait son texte ; autant l’enterrer.
Juchée sur l’escabeau dont elle se servait pour ranger ses livres tout en haut de la bibliothèque, Claude contemplait le foisonnement de papiers froissés avec l’impression que chacun d’entre eux lui reprochait sa médiocrité ! Elle demeurerait donc incomprise, dans son écriture comme dans sa vie. Et pourtant, combien avait-elle espéré en noircissant ces pages, y voyant l’opportunité d’un changement de vie, de tout changer ! Le sort en était jeté, elle ne serait pas reconnue comme écrivain, ni en tant que femme, tout simplement ; tout simplement… Comme si les choses étaient aussi simples. Il n’y avait pas de place pour Claude, ici ou ailleurs. Par ces refus d’édition, on la rejetait ! Être éditée, pas à compte d’auteur, ni même sur Internet, c’est être reconnue, c’est accéder à une place, sans doute modeste au début mais, avec le temps et d’autres ouvrages… Il était bien là son problème, Claude n’avait pas sa place et puisque cela semblait impossible ici, il lui faudrait la chercher ailleurs.
Pourtant, elle le trouvait bon, son polar, objectivement… Claude contempla quelques instants le vernis noir recouvrant les ongles de ses pieds ; noir, comme son roman, une couleur de circonstance.
Un mouvement jeta les pieds nus dans le vide. Il y eut une brutale tension sur sa colonne vertébrale tandis que la corde se refermait autour de son cou et tout devint noir.
Cher lecteur,
Si vous abordez pour la première fois mes œuvres, il se peut que vous soyez surpris par les noms ou les surnoms des personnages que l’on retrouve tout au long des neuf livres précédents.
Cette histoire n’est pas une suite et peut être lue indépendamment des autres, cependant, vous trouverez ci-dessous un petit lexique des personnages principaux qui pourra, peut-être, vous être utile.
Bon voyage.
LE DIRECTEUR DU CENTRAL dont on ne connaît ni le nom ni le prénom, est surnommé Dieu par tous ses subordonnés. Imbu de sa personne, il fait preuve d’un mauvais goût vestimentaire inimaginable.
GUILLAUME DU TREMBLAY, comte d’Escartes, Thierry, dit “Le Taciturne”, commandant de police, dirige le tandem Barconi-Pivert. Aristocrate, il habite dans un manoir de la rue Groison à Tours et roule en Jaguar.
RENÉ BARCONI, capitaine de police, dit Le Castor à cause de son habitude de ronger des bâtons de réglisse. Vit plus ou moins chez sa mère possessive, prénommée Rosemonde. Ce n’est jamais simple.
BERNARD PIVERT, dit “Le Piaf”, capitaine de police collègue et ami de Barconi.
JULIA MILANO, lieutenant de police. Ex-auxiliaire chef du Central, elle a repris ses études pour devenir officier de police.
GHYSLAINE EYMARDIN, auxiliaire de police, vient de passer auxiliaire chef. Milano et Eymardin se sont détestées cordialement pendant longtemps.
LAROZE, dit “Le Morse”, commandant de police, est le chef d’une autre équipe, spécialisée dans les sectes. Franc-maçon et Vénérable de sa loge. C’est l’ami de Guillaume.
EMMA CHOOMAK, dite “Cho”, SDF, ancien officier de police à l’enfance troublée, l’amie de Thierry Guillaume. Elle fume des Vieil Anvers et vit actuellement au manoir de son ami, mais peut être sujette à une envie de liberté impromptue qui la pousse irrémédiablement à reprendre la route.
SVETLANA LEBEDIEVA, la grand-mère d’Emma Choomak, archéologue, conservatrice à la section Moyen Âge et directrice de la section Égyptologie du Louvre, s’exprime en mêlant le russe et le français.
N’DÉRÉBA KILIMA, dite “Kill”, capitaine de police à l’IGS, amie d’Emma. Admiratrice inconditionnelle de son chef : Oscar Kerlok. S’est vue désignée pour la pénible mission d’empêcher Emma de rechercher la vérité sur le passé de ses parents. Accessoirement, guerrière massaï. Elle se métamorphose dès qu’elle perçoit l’odeur du sang ; un vrai fauve.
KERLOK OSCAR, commissaire divisionnaire, directeur de l’IGS, ami de Landowski, un division-naire de la DCRI. Roule en Harley et ne se sépare jamais de son 44 Magnum.
PAULE HUYGHENS, dite “Noune”, ancienne nourrice et gouvernante de Thierry Guillaume, est la seule à le tutoyer.
MAUD CHOUCRY DE ROQUEFEUILLE, veuve de Bertrand Saintonge de la Foye, inspectrice de l’Éducation nationale, forme avec Charles Wenz un couple atypique. Elle est propriétaire de La Blondellerie à Monnaie.
CHARLES WENZ, veuf, retraité, une fille vivant en Australie, habite dans la seconde maison de La Blondellerie. Chasseur à l’arc invétéré, il partage la vie de Maud.
JEAN-FRANCOIS RENAN, dit “Jef”, capitaine de police à Saumur. C’est un vieux routier de la police. Il a pour habitude de se gratter la tête en tenant son chapeau de la même main. Au reste bon vivant, hédoniste et franc buveur.
LANDOWSKI, commissaire divisionnaire dont on parle beaucoup et que l’on ne rencontre que très épisodiquement dans mes ouvrages. C’est le héros récurrent des œuvres de mon ami Serge Le Gall –à lire dans la même collection. Il est lié, comme Kerlok, au passé d’Emma. On retrouve aussi Emma, de manière épisodique, dans les œuvres de Serge. Détail : Personne (pas même son créateur) ne connaît le prénom de celui qu’on surnomme LANDO.
Les nuages avaient battu en retraite devant les assauts du soleil qui maintenant réchauffait le pont de Délivrance. Tout en maintenant la barre, Emma goûtait la caresse d’un petit vent tiède jouant dans ses cheveux. Thierry reposa ses jumelles.
— C’était bien un martin-pêcheur. On n’en voyait plus beaucoup, il semble qu’ils reviennent ; c’est signe que la pollution diminue en Loire.
Emma infléchit légèrement le trajet de la gabare pour rejoindre le milieu du fleuve. Thierry venait de recoller ses jumelles sur son visage tout en reprenant son commentaire ornithologique.
— Il y a toujours autant de cormorans ! Oh ! Un castor ! Si, je t’assure.
Emma ficha un Vieil Anvers entre ses lèvres et craqua une allumette sur sa fesse droite. L’odeur particulière du tabac l’entoura. Elle prit le temps de souffler lentement sa première bouffée, attendant la suite. Elle n’était pas dupe et connaissait son Thierry mieux que quiconque. Cet engouement soudain pour la faune du fleuve cachait un désappointement qui n’allait pas tarder à surgir. Elle décida de laisser venir, se concentrant sur sa navigation et son cigarillo.
Il y eut un long silence, à peine perturbé par les brassements de l’hélice du bateau. Le vent dominant était tombé une heure plus tôt, Emma avait affalé et remontait le courant au moteur. Un tronc dérivant frôla la coque sur bâbord.
— Je suis content de rentrer, dit Thierry en posant ses jumelles.
— L’escapade t’a déplu ?
— Pas du tout, avec toi, j’irais au bout de tous les fleuves et même au-delà. Ce serait merveilleux, mais il a encore fallu que tu m’abandonnes.
« Nous y voilà », pensa Emma en faisant rougeoyer son cigare.
— Quatre jours entiers sans nouvelles !
— Tu sais bien que j’ai toujours besoin d’air, c’est ce qui m’aide à tenir ce rang de comtesse que tu désires tant me faire jouer. C’est ainsi : si tu veux avoir Emma à tes côtés, il te faut laisser Cho partir sur les routes lorsque l’envie lui en prend. L’équilibre de notre couple est à ce prix. Et puis cette fois-ci c’était différent, j’avais deux ou trois petites choses à régler du côté de Quimper.
— Et une visite à Lando ? Je croyais cette affaire terminée et que tu savais tout sur l’attentat contre tes parents…
— Certes, mais depuis Paris1, d’autres portes se sont ouvertes et il y reste encore quelques points à éclaircir, d’où Lando.
— Il me semblait justement que votre entrevue au Louvre avait permis de lever toutes les ambiguïtés sur cette affaire…
— Ce n’est pas aussi simple. D’ailleurs, Lando n’en savait guère plus que moi, même s’il était de l’autre côté à ce moment-là et a assisté à l’explosion avec Kerlok et l’autre type, Andivo, celui qui est mort à Saumur.
— Donc votre entrevue parisienne n’a rien donné ?
— Si, il sait également que mon père ne conduisait pas la voiture ce jour-là, et j’ai l’impression que cela lui a ouvert des portes à lui aussi.
— Qu’est-ce qui te permet d’être aussi affirmative ?
— Néférousé !
Thierry marqua un temps d’arrêt. Il avait presque oublié Néférousé, l’Égyptienne, la gardienne, redoutable entité qui partageait le corps et l’esprit d’Emma et qui se manifestait de temps à autre.
Thierry maudissait le sort qui l’obligeait à partager la femme qu’il aimait avec cet être réveillé par Svetlana ! N’aurait-elle pu s’en abstenir ? Il paraissait que non et que toutes les femmes de cette lignée qui remontait à l’épouse royale d’un pharaon de la dix-huitième dynastie étaient comme possédées. Ce n’était d’ailleurs pas le terme exact, personne au demeurant ne possédant tout à fait l’autre. Indéniablement, il fallait à ces deux esprits apprendre à vivre ensemble dans un même corps, tout simplement. Thierry sourit. Comme si c’était simple ! Parfois, il ne savait plus qui était qui et qu’Emma et Néférousé soient une seule et même personne ou deux entités distinctes le dépassait totalement. Svetlana l’en avait averti et cela se confirmait, l’apprentissage était fastidieux. Le comte du Tremblay Descartes redoutait toujours que surgisse, impromptue, l’Égyptienne. Heureusement qu’un signe avant-coureur permettait au commandant Guillaume de s’y préparer, les yeux d’Emma perdaient toute couleur, ne laissant plus que du noir dans ses orbites. Pour l’heure, les yeux de son marin d’eau douce préféré étaient vert pâle et Thierry n’y voyait que le reflet de l’amour.
Un choc sourd fit trembler les couples, ramenant l’équipage aux réalités du fleuve. On n’avançait plus !
— Un banc de sable ! Thierry, à la proue ! Prends une gaffe !
Emma passa en marche arrière. L’hélice battit rageusement l’eau verdâtre tandis que Thierry pesait de toutes ses forces sur la barre plantée dans le fond pour repousser la masse engluée dans le banc.
Il y eut un temps mort. Soudain, les dix-neuf tonnes de Délivrance s’arrachèrent de la vase avec un bruit de succion. Emma remit le cap sur le milieu du fleuve.
— À quoi pensais-tu, Capt’ain ?
— Je ne sais pas, mais c’est toi aussi, avec ta suspicion…
— Pas le moins du monde ! N’en parlons plus, il n’y a tout de même pas de quoi en faire un plat. L’essentiel étant que Kill soit dégagée de ses “obligations” te concernant ! De ce côté, l’affaire est close.
— Pas certain !
— Que veux-tu dire ?
— Après t’avoir laissé à Nantes, je me suis aperçue que j’étais à nouveau suivie.
— Ne me dis pas que…
— Si, comme à Blois2 !
— Tu vois, j’aurais dû t’accompagner !
— Je suis assez grande pour me défendre seule, dit-elle en tapotant le blouson en jean où, sous son aisselle gauche, dormait le Glock 17. Je n’ai d’ailleurs pas eu à le faire. J’ignore si les consignes ont changé, mais pour l’instant, il ne s’agit que de me surveiller.
— Jusqu’au jour où…
— Néférousé veille…
— Je préférerais Kilima. Je pense qu’il ne serait sans doute pas inutile de la prévenir.
— Je le ferai en arrivant au manoir. Ils accostèrent non loin du pont de pierre.
— Qu’est-ce que tout ce monde sur le pont Wilson ?
— Ils posent les rails du nouveau tramway.
*
L’Ombre rassembla soigneusement les plumes arrachées au corps de la géline, des plumes noires. L’Ombre entreprit de les classer par taille dans des barquettes en aluminium. Le travail le plus délicat allait commencer. Il s’agissait de tailler chacune des plumes afin que l’on puisse s’en servir pour écrire. Une lame neuve fut introduite dans le cutter. L’Ombre consulta l’explicatif imprimé. Tailler une plume d’oie selon l’usage n’est déjà pas facile, celles du gallinacé, surtout les plus petites, n’allait pas être une sinécure, mais l’Ombre avait beaucoup de patience et pour que débute l’histoire qu’elle voulait narrer, l’Ombre n’en avait pas besoin d’une grande quantité… Plus tard, peut-être… Une fois prêtes, les plumes furent testées. Elles grattaient bien un peu le papier mais comme elles ne devaient servir qu’une fois…
Il y eut un bruit sourd et léger. L’Ombre sourit. Une boule de poil venait se frotter à ses jambes en ronronnant. Puis, comme à l’habitude, le chat étendit ses pattes de chaque côté du mollet et y planta ses griffes.
— Aïe ! Berlioz ! Tu es incorrigible !
C’était l’habitude chez ce chat. Une très mauvaise habitude. Le félin en mal de jeu griffait profondément et Berlioz était particulièrement joueur. L’Ombre sourit, le chat venait de lui donner une idée. Oui, en s’y prenant bien, cela pouvait marcher… L’Ombre passa une main caressante dans la fourrure soyeuse, Berlioz s’étira en ronronnant.
* * *
Le lieutenant Lodier remonta prestement en voiture. Enfin, il allait pouvoir effectuer une filature correcte ! Terminée, la balade façon touriste de ces quinze derniers jours. C’est que, malgré tout, une gabare n’avance pas vite ; il lui arrivait donc de prendre une journée d’avance avec, chevillée au corps, l’angoisse que l’équipage ait changé à bord en cours de journée. Un accostage sauvage était toujours possible, pour peu qu’il ait été repéré. Mais quoi, il ne pouvait tout de même pas rouler à la hauteur de l’embarcation toute la journée, autant leur montrer sa carte et leur offrir l’apéro. Il avait donc opté pour cette méthode, certes angoissante mais beaucoup moins risquée. D’ailleurs, il ne les avait pas perdus, même lorsque la fille avait laissé son bateau et son mec pour aller fureter du côté de Quimper. Maintenant que les oiseaux étaient rentrés au nid, on allait pouvoir reprendre les bonnes vieilles méthodes. Max Lodier détestait l’improvisation dans le travail et s’adapter aux circonstances lui était aussi pénible que manquer de cigarettes.
Le manoir de la rue Groison n’était guère facile à surveiller : de récents aménagements avaient transformé la rue déjà peu propice à la circulation en un boyau étroit à sens unique, cauchemar des automobilistes et des flics en filature. Heureusement qu’il avait trouvé une place de parking non loin. De l’endroit où il se trouvait, il avait une vue imprenable sur la bâtisse.
Max Lodier se cala dans le siège de sa Golf, alluma une Marlboro et actionna la radio du bord : «— Seize heures, les informations ! C’est officiel, le Pape Benoît XVI démissionne ! Nous passons l’antenne à notre envoyé spécial à Rome, À vous, Otto Sponza…»
Max coupa la radio, outré. « Le pape démissionne ! On aura tout vu ! » Il jeta son mégot par la fenêtre. Celui-ci atterrit sur les chaussures d’un quidam en uniforme.
— Bonjour, police municipale ! Vous venez de jeter un mégot sur la voie publique. Vous êtes dangereux, vous auriez pu me brûler. Vous polluez, Monsieur. Dans le monde, quatre mille trois cents milliards de mégots de cigarettes sont jetés dans les rues, chaque année, soit cent trente-sept mille mégots par seconde. En moyenne, il faut douze ans pour que ces mégots se dégradent complètement. Une vraie plaie pour l’environnement et les budgets municipaux3. Pourriez-vous me présenter vos papiers ainsi que ceux du véhicule ?
Max sortit sa carte de police en soupirant.
— Nous travaillons pour la même maison, te fatigue pas, l’ami !
— Dans ce cas, je suppose que je laisse tomber la contravention ? Il n’en demeure pas moins vrai que vous avez une attitude dangereuse. C’est à cause d’irresponsables comme vous que des milliers d’hectares de forêt disparaissent chaque été et…
— Écoute, l’ami, j’ai pas envie de discuter. Je suis en service et même si j’ai commis un acte que je veux bien reconnaître comme imprudent, mais dû au simple fait que mon cendrier déborde déjà, je n’ai, semble-t-il, commis aucun crime. Je te prie donc de bien vouloir me laisser faire mon travail tranquillement tout en t’enjoignant à reprendre le cours du tien.
— Mais c’est que…
— Bon, je pensais avoir été assez clair dans mon propos, il apparaît que non ! Je résume donc : casse-toi !
— C’est la demeure d’un officier de police que vous surveillez là, un type du SRPJ, un commandant, je crois, je l’ai même une fois ou deux…
— Si tu n’as pas disparu dans les prochaines secondes, je te jure que tu vas te souvenir de moi !
— Bien, j’obtempère, je ne voudrais pas que l’on me reproche d’avoir perturbé le travail d’un confrère.
— N’en fais pas trop, bonhomme. Confrère ? Et puis quoi encore ? Nous ne jouons pas dans la même cour. OK ? Allez, disparais maintenant !
Le policier municipal remonta à scooter et s’éclipsa par la rue Groison.
Max en ralluma une. Tout de même, cet empêcheur de tourner en rond n’avait pas tout à fait tort, il était grand temps qu’il pense à nettoyer l’intérieur de son carrosse. Il repéra sur son IPhone une station de lavage au nord de Tours. Il en profiterait pour prendre une chambre. Les oiseaux semblaient vouloir demeurer au nid, quoi de plus normal après quelques jours de navigation que de vouloir profiter du confort de son château ? Et puis demeurer ici plus longtemps pouvait devenir risqué.
La clef tourna dans le contact, libérant la mécanique. Un instant plus tard, la Golf se perdait dans la circulation tourangelle.
*
— Mes plus vives félicitations, Maud !
— Merci Charles. Trinquons, voulez-vous ? À votre santé !
— À votre succès littéraire.
— Merci.
— Tout de même, je savais que vous n’étiez pas une femme ordinaire, mais cet essai est un coup de maître ! Une biographie, qui plus est !
— Romancée, Charles, romancée. Oui, il m’est apparu qu’une biographie, fût-elle familiale comme celle-ci, risquait d’être rapidement ennuyeuse au lecteur. Que voulez-vous, tous les membres de mon illustre famille n’ont pas eu, tant s’en faut, la chance de vivre d’exaltants moments. J’ai tout de même trouvé assez de renseignements pour pouvoir ressusciter quelques-uns d’entre eux et, ainsi, raconter l’histoire des Choucry de Roquefeuille comme, je vous le précisais tout à l’heure, d’une manière romancée. Maintenant, il me faut rester modeste, je ne suis encore qu’une illustre inconnue pour le monde littéraire et le resterai sans doute encore longtemps…
— Tout de même, cinq cents pages ! Pour un premier livre…
— Eh quoi, Monsieur l’ébahi, je n’ai guère compté le nombre de feuillets nécessaires à mon expression ! Le bébé pèse quatre cent quatre-vingt-dix-sept pages, il eût pu en faire un bon tiers de moins si j’avais eu moins de choses à dire, voilà tout. Une jeune femme de mes amies, Émilie Sandrin4, a commis un premier roman de neuf cents pages à l’âge de dix-sept ans. Vous voyez bien que le nombre ne fait rien à la chose. Je suis certaine qu’elle non plus n’avait pas compté.
— Vous ne m’aviez jamais parlé de cette amie.
— Nous nous sommes un peu perdues de vue. Émil’ – je l’ai toujours appelée ainsi – m’envoyait un courriel de temps à autre. Nous correspondions régulièrement, puis les messages se sont espacés. Il me semble que la source est tarie. Mon dernier message est resté sans réponse. Je lui garde tout de même une indéfectible amitié… Charles, resservez donc un peu de ce vouvray, voulez-vous ?
De nouvelles bulles éclatèrent dans les flûtes, ils les goûtèrent silencieusement.
— Vous permettez ?
Charles ouvrit le livre et y plongea son visage. Il adorait l’odeur du papier fraîchement imprimé.
— Je vous souhaite un immense succès. Mais dites-moi, l’heure des dédicaces va bientôt sonner, vous n’allez plus avoir une minute à vous, ma chère.
— Certes, l’éditeur compte un peu sur ma présence pour aider à la mise en place au moyen de séances de signature, essentiellement sur Tours et dans les environs, pour l’instant. Je ne doute pas qu’ensuite, je doive quelque peu agrandir mon rayon d’action.
— La gloire, vous dis-je !
— Allons, n’exagérez pas, je vous prie !
— C’est, j’imagine, ce que disait madame Rolling à la sortie du premier tome des aventures d’Harry Potter. Vous voyez où elle en est à présent ? Comme quoi, il ne faut jamais douter de rien.
— Je ne pense pas que la France soit comparable aux pays anglo-saxons pour ce qui est des succès littéraires. De toute façon, je n’ai pas écrit ceci pour l’argent, mais bien pour laisser une trace de mon passage. À défaut d’enfants pour prendre la suite, au moins restera-t-il quelque chose des Choucry de Roquefeuille dont je suis la dernière descendante. Avez-vous des nouvelles de votre fille ?
— Une lettre reçue hier. Tout va bien, elle s’est séparée de son Australien et il se pourrait qu’elle quitte Sydney pour Wollongong en Nouvelle-Galles du Sud. Elle envisage de s’y lancer dans l’élevage du bétail.
— Se lancer dans l’élevage d’Illawarra à “The Gong” ? Suzanne ne manque pas de courage. Nous ne sommes pas près de la revoir, hélas !
— Ce n’est pas certain, peut-être que pour Noël… Nous pourrions organiser un super-réveillon, pour peu qu’il neige, ce serait merveilleux.
— Charles, vous êtes un éternel optimiste.
— C’est ce qui m’aide à vivre, croire en la grande fraternité humaine envers et contre tout. Je veux demeurer persuadé qu’il y a toujours quelque chose de bon dans l’homme.
— Même s’il s’agit d’un gendarme ? Elle vida sa flûte, son regard rivé à celui de son ami.
— Excellent, ce vouvray, il vient de chez Brunet ?
— Comme si vous ne le saviez pas ! J’admire, Monsieur, guère plus, merci, j’admire, disais-je, votre mauvaise foi. Je n’imaginais pas qu’il pût exister de la ségrégation dans votre fraternité maçonne.
— Vous vous méprenez, ma chère, et je vais même vous faire un aveu. Figurez-vous qu’il y a un gendarme parmi les frères qui composent ma loge. Pour le reste, le but est bien de continuer au dehors l’œuvre fraternelle commencée dans le temple, mais encore faut-il, auparavant, construire ce temple.
— Eh bien ?
— Ce temple, qu’est-ce sinon l’homme lui-même ? Or, la construction intérieure est malaisée et peut prendre toute une vie d’homme et ce n’est pas demain que nous sèmerons…
— Je vois, dit-elle avec un sourire qui en disait long.
— Justement non, vous ne voyez rien du tout ! Nous sommes quarante-huit frères dans ma loge et nous avons parfois bien des difficultés à faire régner l’harmonie parce que, justement, nous ne sommes que des hommes, encore soumis à nos passions, à nos idées préconçues et que le respect de l’autre n’implique pas qu’on arrive à le comprendre, même si nous nous y attachons.
— Alors, c’est totalement utopique ?
— Je ne le pense pas, mais voyez-vous, chacun, sur cette terre, joue un rôle de façon permanente. Je ne suis pas certain que même les êtres les plus proches se connaissent réellement. Chacun garde en lui un jardin secret, une part cachée qu’il ne révélera jamais, même à l’être aimé. Il est impossible de sonder les esprits. Partant de là, le jeu est faussé. Cependant, nous continuons à espérer, tout en tenant inconsciemment compte de cette part secrète que chacun recèle.
— Je ne suis pas certaine de vous suivre sur ce point, Charles.
— Alors, comment expliquez-vous le fait que vous ne m’ayez jamais fait visiter vos caves ? N’est-ce pas là une partie de votre jardin secret ?
* * *
— Vous pouvez y compter, Monsieur ; demain, neuf heures trente au Manoir de la Tour. Bien entendu. Oui, j’apporterai mon dernier livre. À demain. Bonsoir.
Elle reposa le combiné sur son socle.
— Alors, chat, avez-vous apprécié mon lait ? L’animal vint se frotter aux jambes de la jeune femme en ronronnant.
— Je vois ! Non content d’entrer impromptu céans et d’y trouver le couvert, il semble qu’il vous faille également de l’attention. Pour un chat perdu, vous ne manquez pas d’air. Eh bien, ne vous gênez pas !
Le chat venait de sauter sur ses genoux.
— Je vous trouve bien entreprenant pour un matou étranger. C’est cela, asseyez-vous sur ma jupe pendant que je fais les présentations. Annabelle Vicks, écrivain ! Essentiellement du policier. Telle que vous me voyez, j’ai pour ambition de dépasser en notoriété Agatha Christie. Oui, je sais, j’ai mis la barre assez haut, mais que voulez-vous, seuls les grands défis m’intéressent. Sur le bureau, derrière vous, se trouve le manuscrit en cours de mon troisième roman. Et vous, comment vous appelle-t-on ? – Elle chercha un indice sur le petit collier caché dans les poils de son cou. Une plaque y était gravée – Berlioz ? Peste, vous n’êtes pas n’importe qui !
Le chat s’allongea nonchalamment sur les cuisses de son hôtesse. Annabelle saisit une feuille de papier reçue le matin même. Elle comportait, fichée dans l’angle supérieur gauche, une plume noire taillée pour l’écriture. C’était une toute petite plume, de poule sans doute. Elle avait manifestement servi à écrire le texte de la lettre qu’elle relut à haute voix : « Une plume noire pour écrire un polar noir. Je vous l’offre ce soir avec le secret espoir que le mien voie le jour, à travers vous… Un admirateur. »
— Du diable si j’y comprends quelque chose ! « Un admirateur », bon, et puis ? Qu’en pensez-vous, chat Berlioz ? À part ronronner, auriez-vous une petite idée de la chose ? Je vois, Monsieur joue les indifférents… Aïe ! Malappris ! Planter vos griffes dans mes cuisses sans avertir !
Elle repoussa le félin qui disparut par la porte-fenêtre en soufflant et souleva sa jupe pour constater les dégâts. Les griffes avaient laissé de profondes entailles d’où coulait un peu de sang.
Annabelle se leva, réprimant un gémissement de douleur, il ne l’avait pas loupée, l’animal ! Désinfecter en premier lieu, Dieu sait ce que ces bestioles trimbalent sous leurs griffes…
Elle ouvrit la porte de la salle de bains, un premier vertige la saisit alors qu’elle actionnait le commutateur électrique. Elle s’écroula avant d’atteindre l’armoire à pharmacie.
*
Le capitaine Pivert regarda le cadavre avant d’interroger le légiste :
— Alors, Doc’, vos conclusions ?
— La mort remonte à la nuit dernière tout au plus. Pas de traces apparentes de lutte ni d’autres violences. La victime n’a pas eu à se défendre, ses vêtements sont intacts, tout est en ordre dans la maison. Je pencherais pour un arrêt cardiaque de cause naturelle.
La villa était emplie de policiers, certains en combinaison blanche. Barconi termina sa série de clichés. Milano interrogeait la femme de ménage. C’était elle qui avait appelé après avoir découvert le corps sans vie.
— Pour moi, elle aura fait un malaise. Je l’ai trouvée en arrivant, toute tassée sur le carrelage de la salle de bains. Pauvre Mademoiselle, fauchée ainsi en pleine gloire, si c’est pas malheureux !
— En pleine gloire… Elle n’avait encore écrit que deux romans, et même si elle commençait à être un peu connue dans la région, ce n’était tout de même pas encore l’apothéose ! Savez-vous si elle avait une vie un tant soit peu dissolue ?
— Que voulez-vous dire ?
— Des fréquentations douteuses, des soirées un peu “limites”… En faisant votre travail, n’avez-vous jamais retrouvé de mégots de joints, par exemple ?
— Mademoiselle ne fumait pas ! Ses amis non plus. Je n’ai jamais eu à ramasser la moindre cendre dans cette maison. D’ailleurs, il n’y a pas l’ombre d’un cendrier ! Elle faisait la fête, de temps à autre, comme tout un chacun et certaines de ses soirées n’étaient pas tristes ! Oh, pas question de prendre de la drogue, ça non, mais question galipettes, là… Que voulez-vous, personne n’est parfait ! Cependant, cela restait discret et se passait toujours chez elle. Mais pourquoi ces questions ?
— La routine, madame Pons, la routine.
Le capitaine Pivert abandonna le légiste à son constat et se dirigea vers le bureau. Le meuble occupait l’angle d’une pièce garni d’étagères en chêne qui supportaient des dizaines de livres. Un fauteuil à haut dossier et accoudoirs séparait la bibliothèque du meuble. Pivert passa la main sur le haut du dossier. « Cuir de buffle, le confort doit être excellent. Normal si elle passait le plus clair de son temps assise dedans pour noircir ses feuilles de papier. À propos de feuille…» La main gantée saisit la lettre contenant la plume noire.
— René ?
Barconi déplaça son quintal avec une souplesse insoupçonnée.
— Oui ?
— Qu’en penses-tu ?
— Une lettre, rédigée à la plume, peut-être avec celle-ci…C’est d’un admirateur ? Pas très clair comme prose. – Le Castor planta un bâton de réglisse entre ses lèvres – J’avoue que je ne suis guère porté sur la littérature et je ne peux pas t’en dire plus. Julia serait sans doute mieux… Tiens, oui, Julia… Je l’appelle.
— Tu m’as demandée ?
— Alors cette déposition ?
— Pas grand-chose, il semble que la demoiselle ne donnait pas dans les stups ni dans l’alcool. Son truc était plutôt sexe en groupe. Autrement, je n’ai relevé aucune trace d’effraction, la porte d’entrée de la villa a été ouverte par la femme de ménage, elle a une clé, mais la porte-fenêtre – elle la désigna – est restée ouverte, elle donne sur le jardin. On aurait pu s’introduire par là, mais comme il n’y a pas une trace de pas ni rien qui puisse laisser croire à une intrusion…
— La thèse du légiste semble donc être la bonne : malaise cardiaque…
— Cela arrive plus fréquemment que l’on croit. Certains y survivent, d’autres…
— Capitaine, je fais enlever le corps pour l’autopsie, mais mes constatations sont presque définitives. Juste un détail, cette personne porte des marques de griffures assez profondes, semblables à celles que laisserait un chat. Y a-t-il trace d’un félin dans la maison ?
Pivert se retourna vers Barconi.
— As-tu vu quelque chose qui pourrait laisser à penser qu’un chat vit ici ?
— Rien du tout ! Pas de panier ni de caisse à litière. Mais il m’a semblé… Sur le plan de travail de la cuisine, je l’ai pris en photo… Oui, c’est ça, une soucoupe portant des traces de lait. S’il y avait un chat, c’était sans doute un visiteur.
— Bien, on remballe et on rentre.
* * *
L’Ombre termina de découper l’article. Il titrait : « Décès de l’écrivain Annabelle Vicks. » Selon le journaliste, elle avait succombé à un arrêt cardiaque. Suivait l’éloge de l’écrivain et un rappel de sa bibliographie.
Ça commençait mal, sa première victime passait pour une accidentée de la vie. Il n’y avait pas de trace de son intervention…L’idée du chat n’était peut-être pas si bonne. « Je demeure inconnue, or, c’est tout le contraire qu’il me faut ! Considérons cet essai à sa juste valeur. Pour une première plume, ce n’est pas si mal, même si personne ne l’a encore remarquée, mais je ne doute pas qu’on en parle bientôt. Le prologue est écrit, j’entame le premier chapitre. » L’Ombre rangea l’article dans une chemise rouge sang après avoir inscrit « Prologue » en travers de la marge, puis elle referma la sangle et prépara une nouvelle feuille blanche. Deux fentes parallèles furent pratiquées avec un cutter dans l’angle supérieur gauche, elle y glisserait la plume après s’en être servie pour rédiger son second texte. Elle commença par « Chapitre I » ; la plume grattait un peu sur le papier, y laissant de toutes petites taches d’encre noire. L’Ombre sourit. « Voilà un roman qui aura du succès ! » Elle jeta un regard froid vers le cadavre de fourrure abandonné sur le sol. « Le chat n’était vraiment pas une très bonne idée… Comme arme, les poils ne sont guère fiables, je ne peux compter que sur les plumes. »
1 Lire Murmures en Saumur, même auteur, même collection.
2 Voir L’écheveau de Blois, même auteur, même collection.
3 Source internet, Conso globe, Planetoscope.
4 Retrouvez ses ouvrages sur internet.
Barconi glissa un euro dans la fente chromée et appuya sur « expresso non sucré ». Il y eut un déclic puis le bruit de la chute du gobelet de plastique avant un mugissement de la machine. Le silence revint. René Barconi plia son mètre quatre-vingts pour s’emparer de sa boisson. Un déchirement sonore arrêta son geste. Ghislaine, alertée, se retourna et ne put retenir un sourire. Le capitaine se releva prudemment et envoya sa main droite constater l’étendue des dégâts. La nouvelle auxiliaire de police fut prise d’un fou rire que Ghislaine Eymardin stoppa net d’un regard noir. Le Castor était rouge brique.
— Allez dans votre bureau et faites-moi passer votre pantalon, peut-être pourrais-je le réparer…
L’instant d’après, le bras puissant du capitaine tendait, par la porte entrebâillée, l’enveloppe de tissu ressemblant à un pantin désarticulé.
— Salut tout le monde ! Eh bien, Ghislaine, vous vous convertissez ? Petite main dans le prêt-à-porter masculin ? Mais, je le connais ce… Ne me dites pas que le Castor a…
— Si ! D’ailleurs, je pensais, puisque vous êtes son ami, vous demander de passer chez lui en récupérer un autre, celui-ci est fichu.
Pivert sourit, un de ces sourires où peuvent se lire toutes les réminiscences des reproches d’une vie de travail en équipe. Intense jubilation à la pensée que l’heure de la vengeance a sonné. Il ouvrit largement la porte du bureau, triomphant.
Assis, cachant maladroitement sa silhouette derrière les piles de dossiers de sa table, Barconi demeurait dans un mutisme obstiné. Il essayait de prendre un air détaché tout en se disant que, dans cette position, il restait protégé des regards, mais l’air brassé par l’ouverture de la porte vint lui rappeler, en caressant ses mollets, les réalités de sa situation.
Pivert éclata d’un rire tonitruant à la vue de son collègue semblant tout droit sorti d’un jeu consistant à désassortir le haut du bas de personnages à l’aide de cartes.
— Franchement, le Piaf, je ne crois pas que ton moment d’hilarité soit bien choisi !
— Mais je ne fais que participer à une situation loufoque dont tu es la cause. Avoue que la vie est pleine de surprises ; pour une fois que la machine à café satisfait ta demande sans barguigner, tu es victime de la pire traîtrise qui soit, l’attaque par derrière ! Imparable ! C’est trop drôle !
N’y tenant plus, Barconi se leva, offrant ainsi une vue imprenable sur ses sous-vêtements. Le Piaf redoubla d’hilarité. Le géant portait un caleçon jaune pâle avec des Winnie l’ourson imprimés partout. De quoi saper même l’autorité d’un divisionnaire !
— Non ! Ce n’est pas toi ? Ça ne peut pas être toi ! Dis-moi que c’est Rosemonde qui choisit tes caleçons…
Le Castor hocha piteusement la tête. Depuis toujours, Rosemonde Barconi exerçait une tyrannie domestique sur son géant de fils. Elle se mêlait de tout ! Nourriture, ménage, entretien… Cela avait même provoqué un clash, il y avait quelques années1. Pivert allait lâcher une tirade venimeuse, une de celles qui allait remettre les comptes, ouverts depuis dix ans, à zéro, mais le regard désespéré de son vieil ami stoppa tout net son désir de vengeance.
— Écoute, vieux, je vais…
— Barconi, dans mon bureau ! Ils restèrent un instant tétanisés par la voix de Dieu qui venait de surgir de l’interphone. Le témoin rouge s’éteignit. Pivert reprit :
— J’y vais ! J’inventerai quelque chose, reste ici, mais donne tes clefs à Ghislaine pour qu’elle aille te chercher un pantalon de rechange.
— Je… Je te revaudrai ça, le Piaf ! T’es un pote, vraiment !
— Laisse tomber, cria Pivert en disparaissant dans l’escalier menant aux étages.
*
Julia Milano entra dans le bureau, le rapport d’autopsie en main. Pivert la regarda par-dessus ses lunettes.
— Alors ? Mort naturelle confirmée ?
— Perdu ! Le doc’ a trouvé du cyanure dans le sang de la victime ; elle portait quelques profondes griffures sur les cuisses, sans aucun doute celles d’un chat, or la présence d’un chat dans la maison est attestée, même si on ne l’y a pas retrouvé. Les plaies contenaient aussi du cyanure, le chat le lui aura inoculé en la griffant.
— Admettons, mais le cyanure ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval…
— Ni sous la patte d’un chat ! S’il y en avait, c’est qu’on lui aura enduit les griffes avec ce produit mortel.
— Tu avoueras tout de même que la méthode est hasardeuse, remettre le soin d’assassiner à un félin, sans parler des risques collatéraux si le chat ne va pas au bon endroit ou se met en tête d’aller divaguer ailleurs, après le meurtre…
— Sans doute que le propriétaire de l’animal aura pris toutes les précautions. En tout cas, cela s’est révélé efficace.
— Et bien entendu, l’animal a disparu…
— Récupéré par l’assassin qui devait se tenir à proximité. En rattrapant la bête, il coupait toute possibilité de remonter jusqu’à lui.
— Et nous nous retrouvons sans aucun indice.
— Il nous reste la lettre à la plume noire, peut-être qu’en relisant le texte avec ce que l’on sait à présent, nous pourrions trouver un autre sens à cette lettre.
Pivert entra dans le bureau du commandant Guillaume.
Même en son absence, on y déposait tous les indices concernant l’affaire en cours.
— Thierry rentre quand ?
— Le commandant rentre demain.
Pivert avait insisté sur le grade de leur chef, il lui déplaisait que le lieutenant Milano appelât le commandant par son prénom.
Il ne comprenait même pas pourquoi elle le faisait. Julia ne releva pas l’attitude de son collègue. Certes, elle appelait le patron d’une manière qui pouvait sembler familière et d’ailleurs l’intéressé le tolérait, à cause d’événements passés, mais Pivert ne pouvait pas le savoir. Cela ne l’empêchait pas de continuer à vouvoyer le patron comme pour bien marquer une certaine distance.
— Tu sais, dans toutes les équipes, tout le monde se tutoie. Il n’y a que dans la nôtre que cela n’a pas cours.
Julia se saisit de la pochette transparente contenant la lettre. Elle la relut. « Une plume noire pour un polar noir, je vous l’offre ce soir avec le secret espoir que le mien voie le jour, à travers vous… Un admirateur. »
— Cet admirateur voulait-il lui soumettre un manuscrit ou s’agissait-il d’un nègre employé par Annabelle Vicks ? « Plume noire » pourrait être une référence allégorique au travail d’un nègre… « Polar noir… » Là rien de spécial… « Secret espoir que le mien voie le jour à travers vous… » Serait-ce une demande pour que son roman à lui voie le jour avec son aide ?
— Ou sans son aide ! D’abord parce qu’elle est morte, ensuite parce que « À travers vous » n’implique pas une demande d’aide. Ne pourrait-on pas modifier la forme de ce texte sans en changer le sens, par exemple en remplaçant « À travers » par malgré ? La victime deviendrait le moyen, le truchement permettant la parution de ce roman noir ?
— Je pense que le plus urgent est de demander une analyse graphologique.
Ils se retournèrent, Pivert sourit.
— Commandant ? Mais nous ne vous attendions que…
— Je sais. Nous sommes rentrés un peu plus tôt ; deux ou trois choses à régler… Je passais simplement, mais comme il semble y avoir du nouveau ici… Bonjour Julia.
— Bonjour Thierry. Avez-vous fait bon voyage ?
— Excellent ! C’est fou ce qu’une croisière en eau douce peut reposer. Alors ? C’est un crime en définitive ? Le message de Barconi parlait d’un arrêt cardiaque naturel…
Julia tendit le rapport du légiste.