Du raisiné à Vouvray - Philippe-Michel Dillies - E-Book

Du raisiné à Vouvray E-Book

Philippe-Michel Dillies

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Beschreibung

Quand le vin a le goût du sang…

Les dernières grappes tombent aux pressoirs et, dans les caves de tuffeau, on prépare les futailles dans l'odeur du salpêtre et les relents de soufre. Un jeune se noie dans une cuve... De vieilles haines renaissent...
C'est pourtant une affaire très "Simples" mais le capitaine Guillaume n'est pas dans son assiette ; il cherche un rebouteux... Un train venu d'Orient amène son lot de surprises au SRPJ. D'aucuns n'en sortiront pas indemnes !
A La Blondellerie, Maud a de gros soucis... Les saisons passent, les hommes aussi... Le vin mûrit... Charles Wenz est à la chasse, n'imaginant pas un seul instant qu'en terre vouvrillonne, l'Apocalypse a commencé !
Aux caves de la Bonne Dame, on fête le patron des vignerons ; c'est la Saint.., vin.,. sang... Y aurait-il du raisiné à Vouvray ?

Découvrez une enquête haletante en plein cœur des vignes d’Indre-et-Loire, dans ce 5e tome d'Emma Choomak, En quête d’identité !

EXTRAIT

Le jeune homme entra dans la salle des cuves. D’anciennes constructions en béton occupaient encore une moitié de l’espace. C’était là qu’on déversait une partie du produit de la vendange que l’on avait décidé de travailler à l’ancienne. La cuvée porterait le nom du grand-père ; quelques dizaines d’hectolitres tout au plus. Plus tard, on tasserait le moût à l’aide d’un plancher tenu en pression par des madriers. Le reste de la récolte était traité avec des méthodes beaucoup plus modernes et le pressoir pneumatique avait déjà écrasé les grains, donnant ainsi les jus séparés en cuves distinctes ; la première donnerait le Vouvray méthode traditionnelle ; la seconde, le demi-sec et, l’année étant bonne, on avait pu presser une troisième fois. Cette dernière presse donnerait le moelleux. Les cuves en inox trônaient dans une pièce adjacente, le père venait d’en acheter une nouvelle pour remplacer la dernière des anciennes en plastique. Cyprien se demandait s’il n’installerait pas, un jour, des chais, comme dans les caves de Thuyr. Il les avait visitées, un été, en vacances. « Faudrait voir ! » Il se pencha au-dessus de la cuve. Le moût travaillait déjà et des bulles de gaz venaient crever à sa surface. La récolte serait vraiment bonne cette année ! Tout y était : qualité et quantité ! Oui ; une belle et grande année, sûr ! Il n’acheva pas sa réflexion et bascula dans la cuve sans même chercher à se rattraper au bord ; sa tête était lourde et il se retrouva à plat ventre à la surface du moût qui commençait à céder doucement sous son poids. Il reçut un énorme coup dans le dos et eut l’impression d’être un papillon épinglé, s’enfonçant peu à peu dans le liquide et les grappes puis ce fut la nuit. Le jeune homme n’entendit pas le grondement sourd de la poutre de chêne qui tombait dans la cuve et ne perçut pas davantage le choc du madrier qui le fit disparaître totalement. Une main ôta le câble relié à l’extrémité de la pièce de bois. Des pas se perdirent au loin, laissant toutes les caves dans la nuit.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1952 à Roubaix, Philippe-Michel Dillies, après des études de droit, a suivi une carrière militaire. Lecteur passionné des œuvres d’Agatha Christie, une affectation en Beauce l’a décidé à prendre la plume, pour partir comme son égérie, à la découverte des arcanes de l’écriture policière. Son premier roman est sorti en 2003. Il s’est retiré en Touraine, décor naturel de ses œuvres.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« La terre, gâtée par le sang d’Abel produisit la sève nouvelle du vin et la sagesse recommença son œuvre… »

Hildegarde de Bingen. (1098-1179)

- A Michel mon père, ce vieux complice…

PROLOGUE

Cyprien rangea les dernières hottes qui traînaient encore. La journée était terminée, le repas aussi et les derniers vendangeurs quittaient peu à peu la grande table installée dans une grange attenante. Les uns rentraient chez eux, les autres rejoignaient leur chambre, sous le toit de la maison. « Heureusement qu’ils ne risquent pas l’alcootest », songea l’adolescent. Il passa devant les fûts alignés comme à la parade, fin prêts à recevoir le précieux liquide. La cave était fraîche et silencieuse. Taillées dans le calcaire, les diverses salles commençaient à former une espèce de labyrinthe et il ne fallait pas avoir abusé du pétillant si l’on voulait y retrouver son chemin. Dame ! Chaque génération d’Hermelin avait “taillé” ses caves ; cela commençait à faire beaucoup, tous ayant stocké les crus de leurs meilleures années pour les suivants et ainsi de suite. Il restait peu de bouteilles de l’année 1863 mais celles de 1923 conservées par l’arrière-grand-père étaient encore nombreuses. Aimé, le grand-père, avait gardé du 1947 et le père, du vin de l’année 1989, celle de la naissance de Cyprien qui, lui-même, avait commencé à creuser le roc pour y aménager sa propre cave.

— Tu rentres ? Il est tard et j’aurais aimé que tu m’aides à débarrasser la grande table !

— Oui, oui… J’arrive !

Isabelle était ce qu’on pouvait appeler une “chieuse” ! Enfin, c’était son avis ! Toujours à le surveiller comme un gamin alors qu’il allait sur ses dix-huit ans ! Cyprien continua son tour des caves. Sa sœur pouvait bien commencer sans lui et finir de même. Débarrasser ! Un boulot de fille ! Vivement la rentrée, qu’il ne l’ait plus sur le dos ! Heureusement, c’était pour bientôt ! Cette année, il entrait en terminale “S”, ensuite le bac avant d’entreprendre des études d’ingénieur biologiste et il pourrait prendre la succession du père, mais à sa façon, et on verrait ce que l’on verrait ! Le jeune homme entra dans la salle des cuves. D’anciennes constructions en béton occupaient encore une moitié de l’espace. C’était là qu’on déversait une partie du produit de la vendange que l’on avait décidé de travailler à l’ancienne. La cuvée porterait le nom du grand-père ; quelques dizaines d’hectolitres tout au plus. Plus tard, on tasserait le moût à l’aide d’un plancher tenu en pression par des madriers. Le reste de la récolte était traité avec des méthodes beaucoup plus modernes et le pressoir pneumatique avait déjà écrasé les grains, donnant ainsi les jus séparés en cuves distinctes ; la première donnerait le Vouvray méthode traditionnelle ; la seconde, le demi-sec et, l’année étant bonne, on avait pu presser une troisième fois. Cette dernière presse donnerait le moelleux. Les cuves en inox trônaient dans une pièce adjacente, le père venait d’en acheter une nouvelle pour remplacer la dernière des anciennes en plastique. Cyprien se demandait s’il n’installerait pas, un jour, des chais, comme dans les caves de Thuyr. Il les avait visitées, un été, en vacances. « Faudrait voir ! » Il se pencha au-dessus de la cuve. Le moût travaillait déjà et des bulles de gaz venaient crever à sa surface. La récolte serait vraiment bonne cette année ! Tout y était : qualité et quantité ! Oui ; une belle et grande année, sûr ! Il n’acheva pas sa réflexion et bascula dans la cuve sans même chercher à se rattraper au bord ; sa tête était lourde et il se retrouva à plat ventre à la surface du moût qui commençait à céder doucement sous son poids. Il reçut un énorme coup dans le dos et eut l’impression d’être un papillon épinglé, s’enfonçant peu à peu dans le liquide et les grappes puis ce fut la nuit. Le jeune homme n’entendit pas le grondement sourd de la poutre de chêne qui tombait dans la cuve et ne perçut pas davantage le choc du madrier qui le fit disparaître totalement. Une main ôta le câble relié à l’extrémité de la pièce de bois. Des pas se perdirent au loin, laissant toutes les caves dans la nuit.

I

Joël Hermelin tenta de stopper le bruit strident du réveil d’une main tâtonnante. « Cinq heures ! Il est grand temps de se mettre à l’ouvrage ! » Assis sur le lit, il secoua Roselyne avec tendresse.

— Allez, debout ma beauté, le travail attend !

Roselyne remua lascivement sous les draps. “Ma beauté” lui allait bien ! C’était une très belle brune aux yeux bleu clair qui avait gardé, après avoir donné deux enfants et travaillé aussi dur que son mari, cette fraîcheur des femmes de trente ans. Elle en avait vingt de plus mais aurait fait pâlir plus d’un esthéticien. Il semblait que le temps ne voulait pas marquer son visage ni flétrir son corps et nombre de Vouvrillons se retournaient encore à son passage lorsqu’elle traversait la ville. Roselyne était toujours amoureuse de Joël et d’une fidélité… inébranlable. Ensemble, ils avaient fait prospérer la propriété que leur avait cédée Aimé, le père de Joël, une figure incontournable dans le canton. Les Hermelin représentaient l’une des plus grandes entreprises viticoles des bords de Cisse : quarante hectares de Chenin blanc, autrement appelé Pineau de Loire, soit près de deux cent soixante-quatre mille pieds taillés court en éventail. La récolte avoisinait maintenant les cinq cents hectolitres de vin tranquille et c’étaient, chaque année, près de deux mille hectolitres de fines bulles qui étaient, pour la majeure partie, exportés aux Amériques.

— Allez, ma beauté, lève-toi, les ouvriers ne vont pas tarder…

Roselyne émergea des draps blancs, ramena ses cheveux noirs en une queue de cheval qui prit rapidement la forme d’un chignon qu’elle maintint à l’aide d’une baguette de bois, souvenir d’une lointaine soirée au restaurant chinois. Joël avait pudiquement détourné les yeux de la superbe poitrine de son épouse, l’heure n’était pas à se laisser aller. Vêtue d’un peignoir de soie bleue, Roselyne frappa aux portes des chambres des enfants afin qu’ils s’éveillassent. En période de vendange, chacun, jeune ou moins jeune, doit mettre la main à la pâte !

La grande cuisine ne tarda pas à retentir des bruits matinaux. Isabelle dressait la table, alignant bols, couteaux et cuillers avec dextérité. Joël entra, fraîchement rasé, sourire aux lèvres.

— Hum ! Ça sent bon le café ! Je vais d’abord faire le plein des tracteurs. Cyprien n’est pas encore levé ? Isa, va me réveiller ce fainéant !

Roselyne regarda son mari.

— Laisse-le dormir encore un peu, qu’il profite de la fin de ses vacances.

— Dix minutes ! Pas plus ! Ce n’est pas le moment de perdre du temps ! C’est le raisin qui commande, tu le sais bien !

Il sortit. Bientôt la cloche de la cour retentit pour le réveil des saisonniers hébergés. Les autres arriveraient dans l’heure.

Le café fumait et embaumait la pièce, mêlant son effluve à l’odeur du pain frais. La plupart des ouvriers cassaient déjà la croûte quand Joël entra, les mains pleines de cambouis.

— Le Deer1 ne voulait pas démarrer, j’ai changé les bougies.

Il se lava les mains au-dessus de l’évier.

— Et Cyprien ? Alors ? Faut-il que j’y aille moi-même ?

Isabelle monta éveiller son frère. Le maître de maison s’installa à table et commença à donner ses directives aux porteurs et aux coupeurs. Aujourd’hui serait une rude journée : l’une des plus grandes parcelles à vendanger ; « il ne faudra pas traîner ; je voudrais que le travail soit terminé avant la nuit ! » Il opta pour un déjeuner sur place, on perdrait moins de temps !

— Papa ! Cyprien n’est pas dans sa chambre !

— Pas dans sa chambre ? Mais… Où est-il allé le bougre ?

— Je ne sais pas, son lit n’est même pas défait ! Peut-être est-il sorti hier soir…

— A son âge, je ne sortais pas sans l’autorisation de mon père !

Roselyne temporisa l’humeur de son mari d’une pression du genou. Les ouvriers extérieurs arrivaient à leur tour et prenaient leur café debout. Le patron se leva.

— Allez, au travail ! Chargez les hottes, montez dans les remorques et n’oubliez pas vos sécateurs.

Une voiture entra dans la cour. Wenz en descendit.

— Bonjour Joël ! Excuse-moi, je suis en retard.

— Bonjour Charles ! Nous allions partir, mais si tu veux prendre un café…

— C’est bien pour ne pas faire preuve d’incivilité en n’allant pas saluer la maîtresse de maison. Pour le reste, le café peut attendre.

Joignant le geste à la parole, il entra dans la cuisine.

*

La journée avait été rude, à peine entrecoupée d’une petite pause-déjeuner sur place, entre les innombrables rangs de vigne dont l’alignement faisait penser aux armées de l’Empire rangées pour la bataille. Les grappes étaient lourdes, la pourriture noble commençait à paraître. La saison était très avancée ; pas comme l’an dernier : il avait fallu commencer beaucoup plus tard et en catastrophe. Petit été, petites vendanges ! Ce n’était pas le cas cette année, le soleil n’avait pas ménagé sa peine et, de l’avis de tous, ce serait une grande année. Peut-être pas comme en 1947, dame, ce n’est pas si souvent que l’on compte 20 degrés au moût, mais une excellente année tout de même. Et chacun mastiquait assis sur le sol rugueux, adossé au pied de vigne le plus proche, se protégeant comme il pouvait des assauts d’un soleil encore chaud. Roselyne avait amené le pain et la charcuterie ainsi que la boisson ; de l’eau uniquement, le vin, ce serait pour ce soir.

— Alors ? Cyprien ?

Sa mère ayant haussé les épaules, il était facile d’en déduire que le fils n’était pas encore rentré. Isabelle servait à boire en silence. Charles s’approcha du patron.

— Ne t’inquiète pas, mon vieux ; il sera sûrement resté accroché aux bras d’une belle…

— A son âge ? Non mais !

— Tu sais bien qu’il va sur ses dix-huit ans. Celui-là aura tout fait plus rapidement que les autres ! Que veux-tu ? C’est la vie !

Joël ferma son Laguiole et se leva. Roselyne et sa fille servaient le café à l’arrière d’une remorque.

— Bon ! Au jus et on redémarre !

Oui, la journée avait été rude ! Tous étaient contents de rentrer à La Grandière où la patronne avait préparé un repas aussi bon que copieux. Cyprien n’avait pas réapparu ; Joël Hermelin emmena Charles voir les cuves.

1 John Deer, marque de tracteur.

II

Le commissariat central était en pleine activité.

— Bertrand ? Le patron veut te voir ! Urgent !

— Où sont les clefs de la 134 ?

— Marcel ! Ouvre la cage ! J’amène trois clients !

— Commissariat central, j’écoute… Oui Madame, ne quittez pas.

Indifférent à ce tapage, Barconi sirotait son café. L’auxiliaire de police Milano l’apostropha :

— Dites, Lieutenant, ça n’a pas l’air d’aller fort ce matin… Mal dormi ?

— Pas dormi de la nuit… Suis crevé !

— Insomnies ?

— Ma mère ! Une crise d’asthme…

— L’équipe de nuit n’a pas chômé non plus…

— Que s’est-il passé ?

— Rien, mais ils n’ont pas encore terminé leur dernière ronde, il y a des nuits comme ça… C’est pourtant pas la pleine lune.

— S’il vous plaît…

L’auxiliaire Milano se retourna vers la nouvelle venue.

— Madame ?

— Je suis attendue par le directeur.

— Un instant, je vous prie…

La préposée à l’accueil enfonça des touches sur le combiné téléphonique.

Barconi observait la visiteuse : une grande femme brune, élégante aux cheveux châtains coupés court. Son ensemble noir soulignait une plastique remarquable et, d’ailleurs, remarquée… Le regard du Castor croisa celui de l’inconnue et son sourire se figea. Les yeux verts de la jeune femme semblaient le décortiquer jusqu’à l’os.

— Le directeur vous attend, Madame. C’est par là.

La visiteuse ondula jusqu’à l’escalier indiqué, laissant le lieutenant Barconi comme pétrifié au milieu des effluves capiteux d’un parfum oriental qui flottaient encore dans l’air alors que la femme avait disparu.

— Hum ! Alors ? Tu rêves ?

Barconi “atterrit” tandis que Pivert sacrifiait au dieu café. Ne relevant pas l’ironie de son acolyte, il marcha vers l’accueil.

— C’est qui ?

— Qui, quoi ?

— La dame qui vient de monter.

— Je ne sais pas, j’ai mal retenu son nom : Michenco ou Oresco… En tout cas, elle était attendue au premier.

— Bon, Castor ! Faudrait peut-être se mettre au boulot, non ?

Ils regagnèrent leur bureau.

— Le Taciturne n’est pas encore là ?

— Non, en retard, comme d’habitude.

Pivert fit la remarque comme pour lui-même tout en mettant de l’ordre sur sa table.

— Plus le temps passe et plus j’ai l’impression qu’il se laisse aller.

— C’est un peu vrai, vieux, depuis l’affaire de Saint-Pierre-des-Corps1, il n’est plus tout à fait le même.

— C’est à cause de cette fille qui l’a plaqué, elle a fait du dégât, sûr !

— Il a quand même gardé cette perspicacité…

— Vrai ! Il n’a pas son pareil pour démêler une embrouille. Quand il est sur une affaire, ce n’est plus le même homme ; ou plutôt si, c’est de nouveau le même homme…

Regard interrogateur de Pivert.

— Bon, c’est comme avant, quoi ! Enfin, je veux dire… Oh et puis zut !

Barconi ficha un bâton de réglisse tout neuf à la commissure de ses lèvres et se plongea dans la relecture d’un rapport qu’il avait rédigé.

— Allez, te fâche pas ! J’ai très bien compris et je suis d’accord avec toi ; en dehors des périodes d’action, le capitaine semble amorphe.

— C’est cette fille, je te dis ; depuis qu’elle l’a laissé tomber.

— Ce n’est pas aussi simple…

— Le comte amoureux d’une SDF ! Franchement !

— Ce n’était pas une SDF ordinaire…

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Elle fut de la maison…

— Non ? Tu veux dire que… Flic ! Elle… Alors là ! Mais comment ?

— Ce serait trop long à t’expliquer, mais crois-moi, c’est on ne peut plus vrai.

— Et bien entendu, je suis le seul à n’avoir pas été mis au courant. Vraiment, il y a un esprit d’équipe impressionnant ici. En attendant, je ne comprends pas mieux pourquoi elle s’est éclipsée.

— Va savoir… Un besoin d’air ? Peut-être a-t-elle simplement eu peur…

— Peur ? Mais… De quoi ?

— De la situation du capitaine, de sa manière de vivre, ou même de perdre sa liberté. Cette fille m’avait tout l’air d’être à la poursuite de quelque chose, mais je n’ai jamais su exactement de quoi. Peut-être que lui le sait, c’est pourquoi il la laisse tranquille.

— Et il déprime ! Bon, il faut à tout prix le sortir de là ; tu m’entends, le Piaf ?

Pivert ne put réprimer un sourire devant la réaction de son collègue qui, il y a quelque temps encore, aurait voulu pulvériser l’homme qu’il voulait maintenant secourir à tout prix.

— Messieurs ! Je vous attends dans mon bureau…

La voix directoriale se tut alors que le bouton rouge de l’interphone perdait sa couleur. Les deux policiers se levèrent sans enthousiasme.

* * *

Wenz était tétanisé devant la cuve. Une main émergeait au milieu des bulles qui venaient crever la surface. La grosse poutre du toit enfonçait tout le reste du corps dans le moût. Joël Hermelin se précipita.

— Non ! Ne le touche pas ! Appelle la police !

— Mais c’est mon fils, merde !

— Fais ce que je te dis !

— Qu’est-ce qui se passe ?

Wenz s’élança vers Isabelle qui venait à leur rencontre.

— Sortez ! Sortez d’ici immédiatement ! Jo ! Va téléphoner aux flics !

Il entraîna tout le monde hors de la cave, ferma la porte et s’installa devant.

* * *

— Vous m’écoutez, Lieutenant ? Je vous demande pourquoi votre capitaine n’est pas avec vous ?

Le Castor eut du mal à sortir de l’espèce de léthargie où il semblait plongé depuis qu’ils étaient entrés dans le bureau directorial. On l’eût dit statufié ! Il attendait, bras ballants, son éternel bâton de réglisse fiché au coin des lèvres. La visiteuse s’était levée et couvait le colosse de son regard vert. Pivert observait la scène. Le directeur avait réussi à se surpasser dans le mauvais goût vestimentaire, pourtant le capitaine avait affirmé récemment que c’était impossible ; comme quoi. Il ressemblait à… un pruneau ou plutôt une datte oui, c’était cela, son costume marron avait tout à fait la couleur d’un de ces fruits d’Afrique du Nord, la chemise pistache assortie aux chaussettes provoquait à elle seule une espèce de boule dans l’estomac du spectateur. Alors, avec une cravate bleue… « Un loukoum fabriqué par un déséquilibré », pensa-t-il ; « ah, si le patron voyait ça ! » Pour l’instant, le loukoum s’impatientait, donnant à son visage une couleur cramoisie qui jurait atrocement avec le reste, comme si c’eût été possible. Il lui fallait intervenir, Barconi étant toujours dans les limbes.

— Hum, Monsieur, le capitaine Guillaume est en retard ce matin ; en effet, hier soir en nous quittant, il n’était pas dans son assiette, sans doute est-il souffrant.

Pivert en profita pour donner un léger coup de coude à Barconi qui finit par revenir à la réalité.

— Il y a pas mal de grippe ces temps-ci, j’espère que le capitaine…

Le policier se tut sous le regard globuleux du directeur qui n’eut pas l’air convaincu, mais n’insista pas.

— Messieurs, Je vous présente mademoiselle Greschenco. Elle nous vient tout droit de Moscou et participe, depuis ce matin à un stage, dans le cadre d’une coopération entre nos deux pays. J’ai décidé de confier Mademoiselle à votre équipe. Vous êtes parmi les plus anciens de notre maison… Je compte sur vous pour épauler mademoiselle Greschenco et l’aider au mieux pendant son séjour parmi nous, naturellement…

Pivert n’écoutait plus, bercé par la voix monotone du maître des lieux qui, tout en s’écoutant parler, jouait maintenant avec le bas de sa cravate qu’il faisait doucement glisser entre ses doigts. « Pas mal la stagiaire… Plutôt canon même ! Et ce grand benêt de Castor qui fond littéralement devant… Quelque chose me dit que les relations franco-russes risquent de se compliquer ; s’il faut traîner le gros à chaque fois qu’il se tétanise sous le regard de la belle, ça promet ! »

Miss Glaçons2 entra dans le bureau et glissa un mot sur le bureau du loukoum.

— Ah, oui… Merci… Vous pouvez disposer. Je vous remercie de votre attention.

Il se leva, les trois policiers en firent autant et se dirigèrent vers la sortie.

— Une dernière précision : Mademoiselle est premier lieutenant dans son pays, cela équivaut à notre grade de lieutenant de police. Bonne journée, Messieurs.

*

La voiture longeait la Loire, le gyrophare clignotait. De temps à autre, le conducteur actionnait l’avertisseur deux-tons, juste avant de doubler malgré une interdiction ou de passer outre l’injonction d’arrêt d’un feu au rouge. Ils longèrent Saint-Pierre-des-Corps.

— Pourquoi es-tu passé par ici ? Ce n’est pas la route la plus directe !

Barconi haussa les épaules et accéléra encore.

— Peut-être, mais c’est certainement la plus rapide ! Par Rochecorbon, nous y serions encore demain. Voilà, maintenant il n’y a plus rien pour nous ralentir.

Le Castor écrasa la pédale d’accélérateur et le moteur de la Safrane rugit immédiatement, entraînant les passagers dans la fureur de ses six cylindres. Assise à l’arrière, à côté du Taciturne, le lieutenant Greschenco gardait le silence, attentive au paysage qui défilait maintenant à grande vitesse. Elle leva la tête : un avion de chasse déchirait le ciel. La Loire étalait ses reflets gris bleu sous un ciel de plomb. Septembre finissait de mourir en douceur, aux rares rayons d’un pâle soleil aujourd’hui souvent absent. De temps à autre, un cormoran plongeait du firmament sur une proie invisible et disparaissait dans l’onde.

— Bienvenue en Touraine, Irina. Vous permettez que l’on vous appelle ainsi ?

— Bien sûr, Capitaine. Je vous remercie d’avoir accepté ma présence dans votre équipe.

— Avez-vous résolu vos problèmes de logistique ?

— Oui, j’ai trouvé à me loger dans un petit appartement charmant, un studio rue de la Tête Noire ; ce n’est pas trop éloigné du commissariat.

Barconi actionna l’avertisseur avant de chevaucher la ligne continue ; les pneumatiques hurlèrent dans le giratoire et le chauffeur relança la machine dès le début de la ligne droite. Imperturbable, Thierry Guillaume reprit :

— Bon, en guise d’apéritif je vous propose de commencer par un cadavre… Suicide ? Accident ? Homicide ? A nous d’élucider le mystère. Dans un premier temps, je vous demanderai de vous contenter d’observer le déroulement des opérations. Avez-vous déjà été confrontée à ce genre d’affaire chez vous ?

— Non, seulement une disparition ; une petite fille. Mais nous l’avons retrouvée rapidement et indemne ; une histoire qui s’est bien terminée, en fait. C’était ma première affaire depuis ma sortie d’école. Ce sera mon premier cadavre…

La voiture arriva en vue du pont enjambant le fleuve. Il reliait Montlouis à Vouvray depuis quelques années. Cela n’avait pas été sans difficulté de part et d’autre, les deux communes craignant pour la sauvegarde de leurs appellations. Le capitaine expliqua à la stagiaire qu’au départ, les deux communes avaient la même appellation, celle de Vouvray, mais qu’après une discorde d’origine politique, Vouvray étant alors à droite et Montlouis, communiste, Montlouis avait décidé et réussi à faire sa propre appellation.

— On arrive à Vouvray ! C’est où, exactement ?

— Tu prends direction Vernou, je t’indiquerai.

La voiture traversa Vouvray et suivit la route qui serpentait entre les vignes.

Irina observait en silence, comme préoccupée de ne rien perdre des sensations offertes par cette première sortie.

D’immenses lignes de vignes montaient à l’assaut des collines, telles de longs serpents jaunes tachetés de vert. A droite, un train à grande vitesse disparut dans le tunnel creusé sous le coteau.

— Tu prends à gauche la vallée de Cousse ; après, tu n’auras qu’à suivre les panneaux : domaine de La Grandière.

La voiture stoppa dans une cour encombrée de tracteurs et de bennes emplies de raisin ; des hommes, sans doute des journaliers, erraient entre les machines, apparemment désœuvrés.

— Tu n’aurais pas fait un très bon guide de montagne ! Officier de police judiciaire, sans doute, mais pour ce qui est du sens de l’orientation, tu repasseras, Capitaine ! As-tu remarqué que tu nous as fait faire un énorme détour pour finir par nous ramener au nord-ouest de Vouvray ?

Le capitaine ne répliqua rien, un grand type costaud s’approchait du véhicule. Thierry Guillaume sortit de l’arrière.

— Hermelin, Joël Hermelin ; je suis le propriétaire. Il s’agit de mon fils ! Il est là-bas.

L’homme désignait de grandes portes fermant l’entrée d’un hangar. Les policiers s’approchèrent.

— Tiens ! Monsieur Wenz !

— Bonjour, Capitaine, je ne pensais pas, moi non plus, que nous fussions jamais appelés à nous revoir3, mais les circonstances…

Hermelin clarifia la situation :

— Charles est le parrain de mon fils.

— Oui, oui… Bon. Où est le corps ?

— Par ici ! Dès que nous l’avons trouvé, Charles a fait évacuer tout le monde, fermé la porte et nous avons attendu votre arrivée…

— Bien, allons-y !

L’odeur particulière du tuffeau et du salpêtre emplit instantanément les narines d’Irina. Elle découvrait une sensation jusqu’ici inconnue, ce parfum douceâtre, légèrement écœurant.

— Pivert, tu délimites le périmètre de sécurité pendant que le Castor s’occupe des photos avant d’interroger Wenz, les TIC et le légiste ne vont pas tarder. On ne touche à rien, en attendant… Monsieur Hermelin ? Par ici, je vous prie…

Le capitaine sortit un carnet de sa poche.

1 Lire Train d’enfer pour Saint-Pierre-des-Corps, du même auteur, même éditeur.

2 Surnom donné à la secrétaire du directeur, lire Train d’enfer pour Saint-Pierre-des-Corps, du même auteur, même éditeur.

3 Lire Chasse à Tours, du même auteur, même éditeur.

III

La Blondellerie baignait dans le calme d’une soirée inhabituelle pour une fin septembre : il faisait doux ! Vingt-deux degrés annonçait le thermomètre extérieur de la voiture de Maud qui entrait au pas dans l’allée ratissée.

Au milieu de la pelouse, Sylvestre, étalé de tout son long, essayait d’attraper une mouche un peu trop rapide pour ses pattes. Maud entra chez elle. L’odeur des coings mûrs avait envahi tout le rez-de-chaussée. « Il est grand temps que j’en fasse de la gelée », pensa-t-elle tout en abandonnant son sac à main au bras du premier fauteuil venu. Elle se dirigea directement vers la cuisine, se délestant au passage de sa paire de chaussures devenue soudain encombrante et bouta le feu sous la bouilloire avant de faire disparaître deux tranches de pain dans le gril électrique.

— Alors, Bertrand ! Bonne journée ? lança-t-elle, à voix forte, de la cuisine. Pour ma part, ce fut éreintant ! Trois réunions de commissions, une entrevue avec le préfet et, pour couronner le tout, une inspection en primaire ! Mon Dieu, il y a des jours où je rêverais d’être simple caissière dans une supérette. Comment ? Mais non, je ne veux pas dire par là que ces dames n’ont rien à faire de leur journée, il paraît que, seuls, les fonctionnaires sont dans ce cas-là ! Entre nous, cela relève de la légende… J’en sais quelque chose… Bon, l’eau est juste à température. La théière… Parfait… Oui, mon cher, il y a des jours où j’aimerais emmener quelques journalistes dans mes bagages, juste pour qu’ils puissent témoigner contre cette idée reçue que nous ne faisons rien ou presque de nos journées. Les toasts… Voilà ; beurre et marmelade… Allons-y…

Maud empoigna le plateau d’argent et se dirigea vers le salon afin de prendre, comme à l’habitude, son thé de cinq heures, face à feu son époux : Bertrand Saintonge de la Foy, cavalier émérite qui n’avait pourtant pas survécu à une malencontreuse chute de cheval et dont le portrait équestre ornait tout un pan de mur dans la bibliothèque. Veuve depuis quelques années déjà, Maud avait pris l’habitude de parler à Bertrand…

— Vous comprenez, il me tient à cœur que l’on cesse d’assimiler notre corporation à d’inutiles et improductifs personnages…

Sylvestre entra, vint se frotter aux jambes de la maîtresse de maison et émit un ronronnement certainement dû à la perspective de laper un peu de lait.

— Faites attention, Chat ! Pour un peu, vous me faisiez choir ainsi que toute notre argenterie. Allons, un félin bien élevé doit savoir faire preuve de patience et attendre gentiment, sans chercher à interrompre le service !

Elle interrompit son trajet pour satisfaire à la gourmandise de son animal favori.

— Où en étais-je ? Ah oui… J’ai rencontré le préfet ; il donne, la semaine prochaine, une soirée au profit d’une association caritative dont le nom ne me revient pas… Les enfants du… Non, ça ne me revient pas. Peu importe ! Figurez-vous qu’il nous a invités ! Oui, vous et moi ! « J’espère avoir l’honneur et l’avantage de faire la connaissance de votre mari, chère Madame ! » Non mais ! Quel manque de tact ! D’accord, il est nouvellement arrivé de je ne sais où, mais ce n’est tout de même pas une raison… Ah, ah, ah ! Il me vient une idée : et si je vous emmenais à cette soirée ? J’imagine la tête qu’il ferait devant votre portrait ! Très drôle, non ? Qu’en pensez-vous ? Bertrand ? Bertrand ! Vous m’entendez ?

Maud venait de pénétrer dans la bibliothèque, son plateau garni dans les mains.

— Dites ! Vous pourriez au moins avoir…

Le regard courroucé de Maud se porta vers le cadre encastré dans la bibliothèque. Elle poussa un hurlement tandis que le plateau et son contenu percutaient le sol…

* * *

La Grandière était silencieuse. Les journaliers avaient déserté les lieux après le départ du légiste et des policiers. Roselyne demeurait prostrée, assise dans la cour sur un fût renversé… Absente… Elle n’avait même pas réagi lorsque cette jeune femme inconnue lui avait murmuré quelques mots dans une langue étrangère. Pourtant, ces mots résonnaient encore dans sa tête « biédnaïa matouchka !1 » Joël Hermelin martyrisait un bouchon de liège ramassé au passage, l’esprit ailleurs, le regard vide… Dans la cuisine, Isabelle pleurait doucement sur l’épaule de son grand-père qui marmonnait pour lui-même d’étranges phrases dans lesquelles le nom des Poncey revenait régulièrement.

Wenz s’était résigné à abandonner momentanément les lieux ; il n’aurait pu être d’aucun réconfort et, son filleul n’étant plus, le raisin pouvait bien attendre ! Récolte ou pas, pour certains, il était évident que c’était déjà une très mauvaise année. Il déposa un furtif baiser sur le front de Roselyne, appuya une main qui se voulait fraternelle sur l’épaule de Joël tout en murmurant un « à demain » aussi timide qu’incertain. Il y eut un mouvement dans la cour. Wenz se retourna.

— Aimé ! Non ! Aimé ! Ne faites pas cela, c’est une bêtise !

— Foutez-moi la paix ! C’est signé ! Les histoires recommencent ! D’ailleurs ont-elles jamais cessé ? Mais cette fois-ci ils sont allés trop loin ! Ça va saigner !

— Père ! Lâchez ce fusil ! On ne peut accuser sans preuves !

— Des preuves ? Allons là-bas, je te promets d’en trouver avant de tirer !

— Votre fils a raison, Aimé. L’heure n’est pas à la vengeance, elle est à la peine ! Pensez à vos enfants… Pour le reste, nous verrons…

Tout en parlant, Charles s’était approché du vieil homme. Il lui arracha le fusil des mains.

— Je vous le rendrai. Plus tard…

Wenz glissa l’arme sur le siège arrière de sa voiture avant de quitter lentement le domaine. La route serpentait entre vignes et prés, changeant de direction au gré des clôtures. Il coupa la radio et se concentra sur la conduite. « Si la guerre reprend entre ces deux familles, ça va faire vilain dans le canton… »

* * *

— Bienvenue au domaine Poncey ! annonça la femme qui, sourire aux lèvres, venait d’ouvrir la porte aux visiteurs.

— Madame Poncey ? Police. Capitaine Guillaume.

Il fit un geste.

— Mes adjoints.

Le sourire s’effaça et le regard se durcit un peu.

— Sa belle-fille. En quoi puis-je vous être utile ? Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner que vous n’êtes pas venus acheter du vin.

— Votre mari est-il présent ?

— Non, il est parti à Tours. Un rendez-vous… Entrez.

La salle était un peu sombre. Une table de taille respectable s’allongeait devant un mur garni de casiers en béton emplis de bouteilles.

— Asseyez-vous…

Marcelle Poncey joignit le geste à la parole et se tut, attendant les questions.

— Madame, pourriez-vous nous détailler votre emploi du temps de ces dernières vingt-quatre heures ?

— Pourrais-je connaître ce qui motive une telle question ?

Le capitaine fit un signe à ses adjoints qui se levèrent ensemble.

— Madame, nous aurions besoin d’interroger toutes les personnes qui travaillent ou vivent ici. Auriez-vous l’obligeance de rassembler tout le personnel ?

— La porte, au fond de cette salle, vous mènera aux ouvriers. Pour le reste, ma belle-mère est dans la cuisine et mon fils est avec son père ! J’insiste cependant pour connaître ce qui motive votre intervention.

— Le décès d’un Hermelin.

Thierry Guillaume observait attentivement les réactions provoquées par cette révélation ; il n’y en eut aucune.

— Ainsi, parce qu’un Hermelin décède, vous éprouvez le besoin de venir fouiner chez nous ? Pourquoi ? Si le vieil Hermelin est mort, je n’irai pas jusqu’à verser une larme. Les autres d’ici non plus, d’ailleurs ! Mais nous ne serions pas les seuls et sur les deux cents viticulteurs du canton, j’en connais au moins une bonne douzaine qui partagent mon opinion. Il ne s’était pas fait que des amis !

— Il ne s’agit pas d’Aimé mais de son petit-fils ; il a été retrouvé noyé dans une cuve.

— Mon Dieu ! Pauvre gosse ! Cyprien ? Mon Dieu !

— Pour le coup, Madame, vous m’étonnez. Vous venez de m’annoncer votre aversion pour cette famille…

— Pour le vieux ! Ça oui ! Mais pas Cyprien ! Il avait à peu près l’âge de mon fils Renaud. Peut-être un peu plus jeune… A peine ! C’est horrible ! Sait-on comment ?

Le policier fit signe à ses adjoints ; ils partirent immédiatement vers la porte indiquée et disparurent entre les rangées de fûts. Thierry Guillaume se leva et regarda par la porte vitrée tandis que de sa voix douce, Irina commençait l’interrogatoire.

* * *

Wenz arrêta sa voiture dans le garage qui lui servait également d’atelier d’archerie. Des flèches de toutes sortes séchaient, éparpillées sur un établi. Ici point d’autre outillage que celui dévolu à la réparation des empennages ou des lames tordues. En dehors de sa passion, Wenz n’était absolument pas bricoleur. La Blondellerie était plongée dans la pénombre ; on eût dit que la maîtresse des lieux était absente, mais la présence de sa voiture indiquait tout le contraire. « Se sera-t-elle couchée ? Quand même, il est encore tôt. Panne de courant ? » Charles voulut en avoir le cœur net et se dirigea vers la maison obscure. Quelque chose de souple et soyeux lui passa vivement entre les jambes. La porte était ouverte. L’homme entra prudemment, actionna le commutateur et une chaude luminosité envahit la pièce. Rien ne bougeait… Wenz eut tôt fait de repérer des éléments vestimentaires éparpillés au sol : ici une chaussure, là un sac à main et, plus loin, vers la cuisine encore sombre, une autre chaussure…

— Maud ?

Wenz crut entendre un bruit ténu, pas vraiment une plainte, plutôt un murmure. Lumière ! Assise dans un fauteuil de la bibliothèque, devant une collation éparpillée sur le sol, Maud sanglotait doucement, sans bruit. Ses larmes laissaient deux traînées luisantes qui ruisselaient le long de ses joues avant de se perdre dans ses vêtements. Autour d’elle, plus rien n’était en place. Les livres jetés hors des étagères montraient des pages froissées, tels de pauvres cadavres éviscérés jonchant le sol parmi des bibelots brisés et des porcelaines mutilées.

— Allons… reprenez-vous, Maud. Ce n’est qu’un cambriolage. Bien sûr, c’est affreux, mais il n’y a pas mort d’homme, c’est l’essentiel.

Wenz avait conscience de sa maladresse ; plus il essayait de rassurer son amie, plus il se sentait ridicule. Il finit par se contenter de l’enlacer doucement, en silence. Maud tressautait au rythme de ses sanglots étouffés, les yeux toujours perdus dans le vide, droit devant elle. Charles observa à son tour. Là, dans la bibliothèque, un énorme vide laissait apparaître la blancheur du mur. Bertrand avait disparu !

* * *

Maud, assise sur son lit à baldaquin, calée sur ses oreillers, les yeux rougis mais secs, lèvres serrées, mâchoires contractées, regardait droit devant elle, indifférente à la nuit qui, maintenant, enveloppait totalement La Blondellerie. La pendule du salon égrena cinq coups. Maud demeurait absente, le regard tourné vers… le vide. Bertrand ! Bertrand avait disparu ! C’était comme si tout s’arrêtait… Charles avait bien essayé de la ramener au présent, en vain. « Charles ! Le pragmatisme personnifié ! Comment pourrait-il ressentir l’absence qui me perturbe ? “Nous le retrouverons !” Heureusement qu’il n’a pas proposé d’en racheter un autre ! Comme si Bertrand pouvait être comparé à un quelconque bibelot ! Oui, il va falloir le retrouver ! Il y va de mon équilibre… De tout l’équilibre ! Que serait La Blondellerie sans Bertrand ? Que serais-je sans lui ? » Elle sentit un poids peser sur ses cuisses et baissa les yeux… Sylvestre cherchait une place confortable en ronronnant. Il poussa le bras de Maud de sa tête soyeuse et darda ses yeux d’or sur la veuve tout en remuant la queue dans un mouvement souple, comme pour balayer les pensées de la dame.

— Oui, monsieur Chat ! Je vais me mettre à sa recherche et, croyez-moi, dussé-je remuer ciel et terre, il ne restera pas longtemps loin de nous…

Elle caressa longuement l’animal, le gratouillant juste entre les oreilles. « Quand même, je m’attendais à un peu plus de compréhension de la part de Charles ! Il a l’air absent… La disparition de son filleul peut-être ? En attendant, j’ai très bien perçu qu’il ne fallait guère compter sur son aide ! Allons, ma fille ! Il est temps de t’essayer aux méthodes de Sherlock Holmes ! »

Abandonnant Sylvestre aux douceurs de la couette, elle descendit, en robe de chambre, dans la bibliothèque.

« Rien n’ayant été bougé depuis mon arrivée, c’est le moment d’essayer d’y voir clair. » Elle jeta un regard vers les fenêtres de Charles, de l’autre côté du parc. Les fenêtres du salon, au premier étage, laissaient filtrer la lueur d’un feu de bois. « Il ne dort sans doute pas, lui non plus… »

* * *

— Bonjour Lieutenant !

— Décidément, vous êtes toujours en forme, vous !

Pivert adressa un sourire à l’auxiliaire Milano, une jolie brunette aux yeux châtaigne, sanglée dans un uniforme impeccable.

— Le Castor n’est pas encore… ?

La jeune femme lui fit un signe du menton.

— Il martyrise déjà le distributeur de café.

Pivert se dirigea vers l’espace-détente.

— ’lut !

— Ben dis donc, t’en tires une tête… Mal dormi ?

— Un peu, oui ; il y a des soirées dont on se passerait bien !

— Ce n’est tout de même pas la première autopsie à laquelle tu assistes et on ne pouvait tout de même pas y envoyer Irivan…

— Irivan ? Irina Ivanovna ! Notre sympathique stagiaire russe ; on n’allait tout de même pas…

— Irina Ivanovna ! (sifflement admiratif) Déjà ? Eh bien, Castor, tu n’as pas perdu de temps !

Barconi se retourna soudain, posa son gobelet sur la table basse et s’avança vers son collègue, l’œil courroucé.

— Dis donc, le Piaf… Que signifient ces insinuations ? Aurais-tu décidé de donner dans le désagréable ?

— Mais… Mais non… Tu as perdu ton humour ou quoi ? Arrête ! Tu m’étouffes ! Tu… vas quand même pas mettre fin à une amitié de quinze ans… Arrrgh !

— Je n’apprécie pas beaucoup tes insinuations matinales et nauséabondes. De plus, j’aimerais qu’à l’avenir tu t’abstiennes de toute tentative humoristique en ce qui concerne mademoiselle Greschenco… Capich ?

— Bonjour Messieurs ! Belle matinée, n’est-ce pas ? Pour le café, ce sont des pièces ou des jetons ?

Le Castor lâcha prise d’un coup, laissant son collègue retrouver l’air en même temps que le dessus de la table où il s’affala brutalement, écrasant le gobelet empli de café chaud…

— Des… pièces ! Mais permettez-moi de vous l’offrir, Irina…

Pivert déglutit péniblement et ne put s’empêcher d’esquisser une mimique expressive tout en suivant la scène. Barconi et la stagiaire ne remarquèrent rien, le capitaine venait d’entrer.

— Eh bien, Pivert ! Déjà fatigué ?

Le lieutenant se releva de la table, découvrant un arrière-train maculé de café et disparut dans les toilettes. Le Castor eut un sourire goguenard et s’adressa à la stagiaire :

— Venez, allons rejoindre le capitaine.

Le bureau du capitaine était éclairé par des lampes dissimulées, créant par cette luminosité indirecte une ambiance des plus feutrées. Dans la vitrine veillait Saint-Sébastien2