Anicroches à Loches - Philippe-Michel Dillies - E-Book

Anicroches à Loches E-Book

Philippe-Michel Dillies

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Beschreibung

Jeanne d’Arc, le retour ?

À Compiègne, en 1430, Jeanne, La Pucelle d'Orléans, perd son épée au combat. Cela aura, sept siècles plus tard, des conséquences insoupçonnées...
De Loches à Tours, baptême du sang pour le nouvel adjoint du commandant Guillaume qui enquête sur les meurtres jonchant l'échiquier où s'opposent ceux qui, jadis, étaient unis sous le sceau du double croissant de lune. Pour quel enjeu ? Quelques partitions millénaires ! Macabre orchestration certes, mais quel rôle y joue l'épée de Jeanne ? Allons, les légendes ne sont que des histoires...

Qu’orchestre l’épée de Jeanne ? Découvrez une enquête au présent liée au passé, dans ce 9e tome d'Emma Choomak, En quête d’identité

EXTRAIT

Il bloqua sa respiration. L’index de sa main droite se positionna doucement sur la détente de l’arme… L’œil rivé à sa cible, José entama le processus de relaxation totale dont a besoin le tireur… Il n’y avait pas le moindre souffle de vent… Il se détendit peu à peu jusqu’à entrer dans un état second, une sorte de transe calme, jusqu’à faire corps avec son arme… L’index continuait lentement sa course, en douceur… Bientôt, il se ferait surprendre par le départ du coup… La cible demeurait immobile derrière le bureau…
Il fut secoué par la déflagration et eut la sensation d’une brûlure intense alors qu’il recevait un énorme choc en plein front et tout devint noir…

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1952 à Roubaix, Philippe-Michel Dillies, après des études de droit, a suivi une carrière militaire. Lecteur passionné des œuvres d’Agatha Christie, une affectation en Beauce l’a décidé à prendre la plume, pour partir comme son égérie, à la découverte des arcanes de l’écriture policière. Son premier roman est sorti en 2003. Il s’est retiré en Touraine, décor naturel de ses œuvres.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

Pour Achille, né en même temps que ce livre.

On associe le noir aux forces maléfiques alors que le blanc est symbole de pureté. Pourquoi ? Peut-on réellement définir la couleur du Mal ?

Aux échecs, l’on dit souvent : « Les blancs jouent et gagnent ! » Rien n’est moins sûr !

L’auteur.

REMERCIEMENTS

- À Didier, amical linguiste émérite, pour les traductions des dialogues de certains personnages dans leur langue natale.

PERSONNAGES PRINCIPAUX

Cher lecteur,

Si vous abordez pour la première fois mes œuvres, il se peut que vous soyez surpris par les noms ou les surnoms des personnages que l’on retrouve tout au long des huit livres précédents.

Cette histoire n’est pas une suite et peut être lue indépendamment des autres, cependant, vous trouverez ci-dessous un petit lexique des personnages principaux qui pourra, peut-être, vous être utile.

Bon voyage.

L’EQUIPE DES POLICIERSDU CENTRAL DE TOURS :

LE DIRECTEUR DU CENTRAL dont on ne connaît ni le nom ni le prénom, est surnommé Dieu par tous ses subordonnés. Imbu de sa personne, il fait preuve d’un mauvais goût vestimentaire inimaginable.

GUILLAUME DU TREMBLAY comte d’Escartes, Thierry dit “Le Taciturne”, commandant de police, dirige le tandem Barconi-Pivert. Aristocrate, il habite dans un manoir de la rue Groison à Tours et roule en Jaguar.

RENÉ BARCONI, capitaine de police. Surnommé Le Castor à cause de son habitude de ronger des bâtons de réglisse. Vit plus ou moins chez sa mère possessive, prénommée Rosemonde. Ce n’est jamais simple.

BERNARD PIVERT, dit “Le Piaf”, capitaine de police collègue et ami de Barconi.

JULIA MILANO, lieutenant de police. Ex-auxiliaire chef du Central, elle a repris ses études pour devenir officier de police.

GHYSLAINE EYMARDIN, auxiliaire de police, vient de passer auxiliaire chef. Milano et Eymardin se sont détestées cordialement pendant longtemps.

LAROZE dit “Le Morse”, capitaine de police, est le chef d’une autre équipe, spécialisée dans les sectes.

LES AUTRES PERSONNAGES :

EMMA CHOOMAK, dite “Cho”, SDF, ancien officier de police à l’enfance troublée, l’amie de Thierry Guillaume. Elle fume des Vieil Anvers et vit actuellement au manoir de son ami, mais peut être sujette à une envie de liberté impromptue qui la pousserait irrémédiablement à reprendre la route.

SVETLANA LEBEDIEVA, la grand-mère d’Emma Choomak, archéologue, conservatrice à la section Moyen Âge du Louvre, s’exprime toujours en mêlant le russe et le français.

PAULE HUYGHENS, dite “Noune”, ancienne nourrice et gouvernante de Thierry Guillaume, est la seule à le tutoyer.

MAUD CHOUCRY DE ROQUEFEUILLE, veuve de Bertrand Saintonge de la Foye, inspectrice de l’Éducation nationale, forme avec Charles Wenz un couple atypique. Elle est propriétaire de La Blondellerie à Monnaie.

CHARLES WENZ, veuf, retraité, une fille vivant en Australie, habite dans la seconde maison de La Blondellerie. Chasseur à l’arc invétéré, il partage la vie de Maud.

PROLOGUE

Il retint sa respiration, juste pour empêcher la lunette de bouger. La cible n’avait pas quitté son fauteuil depuis dix bonnes minutes. L’homme était penché sur des papiers épars sur son bureau. Magnifique, le bureau ! José avait eu le temps d’en apprécier la décoration à travers sa lunette de visée, bien avant que le propriétaire des lieux ne s’y installe. Fabrice Aifos, chirurgien, sommité dans la lutte contre le cancer, ex-doyen de la faculté, ancien chef du service de cancérologie au CHRU de Tours, à la retraite depuis deux ans. L’homme allongé sur le toit surplombant l’appartement n’ignorait rien de ce dernier. Il reprit sa respiration, laissant danser l’image du professeur dans sa lunette ; il avait le temps… La cible restait habituellement plus de deux heures à sa table de travail.

Le tireur repassa mentalement la fiche qu’il avait établie sur le toubib : divorcé, sans enfants, Fabrice Aifos vivait seul dans cet appartement luxueux. Il s’y était installé depuis six mois après avoir vendu sa vaste demeure des Prébendes d’Oé, un quartier chic et calme de Tours. Il venait de changer de voiture, troquant l’ancienne Saab pour un cabriolet Mercedes 500. C’était encore assez grand pour un homme seul et assez rapide pour l’emmener chaque fin de semaine dans sa maison de Dinard…

Connaître un maximum de détails de la vie de ses victimes faisait partie de son travail, non par curiosité malsaine mais pour des raisons de sécurité. Cela lui permettait de prévoir une possibilité de repli et une nouvelle adaptation au cas où… Cela ne lui était jamais arrivé au demeurant, mais superstitieux en diable, il pensait qu’en ne prenant pas certaines précautions, on favorisait l’arrivée des impondérables… Il détestait les impondérables !

La cible était toujours penchée sur ses documents, s’aidant parfois d’une loupe pour les observer. Le docteur Aifos se passionnait pour tout ce qui touchait de près ou de loin à l’ésotérisme. L’homme se demanda s’il n’était pas aussi un peu alchimiste… En l’occurrence, c’étaient des partitions musicales qu’il étudiait avec tant de soin, partitions que José devait aller récupérer après…

Il bloqua sa respiration. L’index de sa main droite se positionna doucement sur la détente de l’arme… L’œil rivé à sa cible, José entama le processus de relaxation totale dont a besoin le tireur… Il n’y avait pas le moindre souffle de vent… Il se détendit peu à peu jusqu’à entrer dans un état second, une sorte de transe calme, jusqu’à faire corps avec son arme… L’index continuait lentement sa course, en douceur… Bientôt, il se ferait surprendre par le départ du coup… La cible demeurait immobile derrière le bureau…

Il fut secoué par la déflagration et eut la sensation d’une brûlure intense alors qu’il recevait un énorme choc en plein front et tout devint noir…

I

Juin 1430, près de Tours.

La pluie redoubla, alourdissant encore un peu plus la cape qui recouvrait son hoqueton1 armoyé. L’homme termina de nettoyer la lame de son épée à l’aide d’un morceau d’étoffe arraché sur l’un des cadavres gisant au sol. La pluie cessa, laissant la lune accrocher sa couleur aux arbres. La grande épée brilla soudain d’un éclat bleuté. C’était une arme étrange que l’on pouvait indifféremment manier à une ou deux mains. La longue poignée gainée de cuir noir offrait une prise parfaite. Elle possédait les larges quillons d’un espadon et une lame au tranchant inégalé. Il frotta encore un instant cette longue lame gravée de signes incompréhensibles avant de la remettre au feurre2 et de la replacer dans son dos…

Profitant du clair de lune, il examina ses agresseurs. Trois inconnus : deux soudoyers3, un chevalier, celui-ci portait des éperons. Il retira sa dague de chasse de la poitrine d’un des hommes de main y laissant une plaie rougeoyante. Les manants n’avaient que quelques pièces dans une mauvaise bourse en cuir usagé. Il s’en empara. Ils n’en auraient plus besoin à présent. Le chevalier portait un bijou suspendu à une chaînette. Il l’arracha de son cou. C’était un médaillon représentant deux astres, deux lunes se faisant face, l’une blanche et l’autre noire, enchâssées dans un cercle. « Encore un… », se dit-il en le rangeant dans son escarcelle.

La pluie reprit force et vigueur alors qu’il récupérait sa monture, un bai à la longue crinière détrempée. Le cheval était nerveux, il le calma en lui caressant les naseaux.

— Doucement ! Là… Nous repartons…

Il se mit en selle et récupéra les autres montures errant non loin de là. La douleur se réveilla… On lui avait parlé d’une grange fortifiée tenue par des moines à quelques lieues de Tours. Peut-être pourrait-il y demander l’hospitalité et même y faire soigner cette blessure… C’était la première. Depuis qu’il avait quitté les murs de Compiègne, il avait dû défendre sa vie à trois reprises. Chaque fois, il avait trouvé cet étrange médaillon sur le cadavre du chevalier…

Sa collection augmentait, cette fois au prix du sang. L’un des hommes lui avait planté son arme dans la cuisse, mais il y avait maintenant neuf morts sur son chemin… La longue épée, objet de toutes les convoitises, battait doucement son dos au rythme du cheval. Il se demanda si la légende était vraie : cette allumelle4 recèlerait la puissance des anciens dieux celtes. Serait-elle magique ? Les histoires allaient bon train, il se serait agi d’Excalibur ! Rien de moins ! Pour Renaud, c’était avant tout l’épée de La Pucelle… Il avait réussi à la soustraire aux hommes du Bourguignon. La Pucelle lui avait dit un soir, peu avant sa capture à Compiègne, qu’elle ne voulait pas que cette arme tombât aux mains impies des ennemis de la France. C’était l’épée qui lui avait été donnée par ses voix, elle l’avait trouvée derrière l’autel d’une chapelle5, sous une dalle. Obéissant à Jeanne, il l’avait délestée de son arme pendant qu’on la capturait. Depuis, il essuyait une succession d’attaques. Il n’avait rien calculé et s’était enfui le plus loin possible, laissant le hasard le mettre sur la route de Tours. Il n’y était pas resté longtemps, ne s’y sentant pas plus en sécurité dans cette ville qu’ailleurs… La forêt avait fait place aux terres cultivées. Il aperçut l’énorme masse de la grange fortifiée… Des loups hurlèrent au moment où il frappait à l’huis…

* * *

Tours, de nos jours.

La pluie tombait drue et froide. Cette année, il n’y avait pas eu d’été indien, à peine un semblant d’automne. L’hiver était arrivé d’un seul coup sans prévenir et s’annonçait comme le plus froid depuis quarante ans… Le commandant Guillaume frissonna dans son loden.

— Qui l’a découvert ?

— Un couvreur monté là pour une réparation ; il nous a appelés de son mobile, il est là-bas, Pivert l’interroge.

Le commandant se pencha sur le cadavre. La pluie en profita pour se glisser sur sa nuque, insidieuse…

— Si l’on considère l’arme qu’il tient encore dans la main, ce type n’était pas là pour admirer la vue imprenable sur l’immeuble d’en face.

— C’est la fameuse histoire de l’arroseur arrosé…

— Que font les TIC ? Avec toute cette pluie, ça va être coton pour les indices…

— Ils sont en bas, le temps de monter…

— Il a pris une balle en plein front ; elle ne peut avoir été tirée que de cet immeuble-là.

Il désignait un immeuble résidentiel de l’autre côté de la rue, légèrement plus haut que celui où ils se trouvaient.

— Allez donc voir sur ce toit si l’on peut encore trouver quelque trace…

Le Castor planta un bâton de réglisse tout neuf à la commissure de ses lèvres, releva le col de son imperméable et disparut sans mot dire…

— Bonjour Commandant !

— Bonjour Doc ! Drôle d’affaire où le chasseur devient gibier et se fait tirer tel un lapin…

Les flashes crépitèrent. Le légiste se pencha sur le cadavre.

— Compte tenu de l’humidité ambiante, inutile d’espérer y trouver quelque trace. Le mieux est de procéder à la fouille, je l’emmènerai ensuite pour l’autopsie ; même si la cause de la mort est évidente, ce monsieur a certainement beaucoup de choses à nous apprendre.

— D’après vous, à quand remonte le décès ?

— Première partie de la nuit dernière, pas plus.

Le commandant se pencha sur le fusil à lunette, il le ramassa et fit reculer le levier d’armement. Une cartouche intacte s’éjecta, il la ramassa. Il regarda à travers la lunette. Barconi s’encadra derrière la croix graduée, tout proche. Le téléphone sonna dans la poche du commandant.

— Oui ?

— Patron ? Je n’ai rien trouvé sur le toit qui puisse indiquer qu’un tir ait eu lieu. Il n’y a rien, pas même une douille ! À mon avis, ce n’est pas d’ici que…

— Impossible ! Fouillez encore ! Que vous n’ayez pas trouvé d’étui ne prouve rien, ce genre de tireur les ramasse systématiquement ; nous en avons terminé ici, je vous rejoins avec Pivert.

Il tendit l’arme à son adjoint qui la rangea dans un grand sac plastique.

— Patron, qu’est-ce que cette histoire d’étui ?

— La plupart des tireurs d’élite ou ceux que l’on appelle des “snipers” récupèrent les étuis des cartouches qu’ils ont tirées et les reconditionnent pour une nouvelle utilisation. Ces gens-là fabriquent eux-mêmes leurs projectiles, chacun ayant son truc pour gagner en puissance ou en précision.

— Tenez, Commandant, il portait ce pin’s sur le revers de son blouson.

Le légiste tendait une représentation d’un croissant de lune noire.

1 Tunique de l’époque.

2 Feurre : fourreau.

3 Homme de main payé.

4 Alumelle : épée au XVe siècle.

5 La chapelle de Sainte-Catherine de Fierbois en Touraine.

II

Maud remonta le chemin en pente douce qui la ramenait à l’air libre. Elle éteignit sa lampe électrique en pénétrant dans son bureau. Une douce lumière baignait l’ancienne boulangerie dont le four fonctionnait encore malgré les siècles mais dont elle ne se servait pas, ayant transformé la pièce en bureau.

Maud avait gardé tout ce qui pouvait rappeler le passé. On y accédait toujours par une porte de placard prise, comme d’autres, dans la bibliothèque de la grande salle de La Blondellerie. Maud adorait le côté mystérieux de sa maison. Elle connaissait depuis toujours le passage menant aux caves, sans doute aussi ancien que la bâtisse qui datait tout de même de l’an 1290. Les caves ! Une succession de grottes plus exactement, peut-être des abris creusés comme protection en cas d’attaque. On y accédait par une petite porte cachée dans la cheminée qui occupait pratiquement tout le fond de cette pièce aveugle. La présence de ce foyer imposant, en plus du four à pain, ne lassait pas de troubler Charles qui ne connaissait pas l’accès au sous-sol. Maud n’aimait pas se dévoiler et gardait un farouche esprit indépendant, c’est pourquoi, malgré leur liaison, elle demeurait en son logis et Charles dans le sien, de l’autre côté de la pelouse. Lui-même continuait à lui verser le loyer de la maison qu’il occupait sur la propriété. Charles avait ses petits secrets, Maud les siens. Charles ne connaissait donc rien des caves, même si sa compagne y avait quelquefois fait une vague allusion, il n’avait jamais mis le pied dans cette succession de pièces et de couloirs voûtés, aux murs creusés de niches. Certaines d’entre elles contenaient une grande quantité de bouteilles noyées sous la poussière et les toiles d’araignées, des générations de Choucry de Roquefeuille les y avaient rangées ainsi que d’autres flacons d’alcool dont Maud eût été bien incapable de déterminer précisément la date. C’était d’ailleurs le moindre de ses soucis.

Ce qui intéressait Maud c’était l’exploration des pièces de son sous-sol, si tant est qu’on puisse les considérer comme telles, certaines d’entre elles n’étant que des réduits alors que d’autres, beaucoup plus grandes, cachaient de nombreux objets hétéroclites.

Elle prenait son temps, ne s’y étant intéressée que depuis la mort de Bertrand, ayant enfin surmonté l’appréhension que ces caves provoquaient en elle depuis l’enfance. La curiosité avait tout de même fini par l’emporter et elle aimait maintenant l’ambiance étrange de ces sous-sols où chaque objet découvert était un peu comme un message muet laissé là, à son intention, par ses ancêtres.

Elle laissa le passage se refermer et s’installa à son bureau. Elle y déposa une espèce de rouleau de cuir dur, fermé d’un capuchon. Il s’ouvrit dans un “flop”, libérant aussitôt des miasmes de vieux papiers. Elle le pencha légèrement, il libéra des feuilles jaunies. Maud reconnut immédiatement une ancienne partition musicale, tracée entièrement à la plume. L’étui ne contenait que trois feuillets. Elle les examina attentivement, ils devaient appartenir à un autre ensemble plus important. Elle se demanda pourquoi l’étui de cuir ne contenait pas la totalité du morceau musical. À moins que le compositeur se soit arrêté là, pensant continuer ultérieurement son œuvre…

— Maud ? Vous êtes là ?

— Oui, Charles, J’arrive !

Elle rangea précipitamment les feuillets dans leur étui qu’elle cacha au fond d’un tiroir.

— Je me demandais si vous souhaitiez m’accompagner, je vais rendre visite à une cousine hospitalisée à Amboise, nous pourrions en profiter pour y déjeuner. “L’Éden Café” offre de succulents plats, mais d’où venez-vous ? Vous avez des toiles d’araignées dans les cheveux et vos vêtements…

— Oh ! Ah oui, ce n’est rien, je faisais la poussière dans mon bureau ! C’est fou ce que ça s’accumule rapidement. Une cousine, disiez-vous ? Il ne me semble pas l’avoir rencontrée ; oui, pourquoi pas l’Éden Café… Vous semblez connaître l’endroit, je vous fais confiance. Le temps de passer une autre tenue et je vous rejoins.

Charles se dirigea vers sa voiture.

* * *

Barconi reprenait pour la troisième fois des entrées sous l’œil ébahi d’un serveur. Ce n’était pas encore l’heure d’affluence chez “Léon de Bruxelles”. Le Castor rejoignit la table occupée par son collègue, le capitaine Pivert, qui ne put réprimer un sourire.

— Qu’est-ce qui te fait marrer ?

— La tête du préposé au remplissage du buffet d’entrées.

— Et alors ? Il est bien indiqué « buffet à volonté », non ?

— Certes, mais je me demande si lorsqu’ils ont écrit cela, ils avaient pensé à l’appétit de certains représentants de la police nationale. Enfin, on ne peut pas penser à tout, même en imaginant le pire…

— Le quoi ?

— Mais rien, c’est juste une façon de parler ! Il faut bien tuer le temps en attendant le patron.

— Chacun sa méthode ! Moi, en attendant le commandant, je cale une dent creuse.

Pivert sourit mentalement en imaginant la profondeur du creux à “caler” chez son acolyte. « Si le patron n’arrive pas vite, je ne donne pas cher des restes du buffet ! »

La masse du commandant s’imposa dans l’encadrement de la porte. Pivert poussa intérieurement un soupir de soulagement tout en se levant pour aller l’accueillir.

— Ah, vous voilà, il était temps !

— Que voulez-vous dire ? Certes je suis légèrement en retard, mais tout de même !

— C’est que Le Castor a les crocs, il a décimé la moitié du buffet d’entrées en vous attendant et le personnel commence à s’agiter, je redoute le pire.

— Aïe ! Effectivement ! Si j’en crois une expérience identique vécue lors d’un petit-déjeuner1, nous allons tout droit à l’émeute ! Alors, à table !

Thierry Guillaume prit place et commanda directement le plat principal sans passer par la case “entrées”, afin de calmer le jeu.

— Moules marinières pour tout le monde ! Et trois distingués !2

Le serveur nota.

— Je me permets d’attirer votre attention sur notre bière en promotion, une bière allemande, légère et…

— Stop ! Mon ami, sachez que la seule bière qui puisse accompagner un plat de moules et de frites, doit être belge ! Une Leffe ferait très bien l’affaire en l’occurrence.

Le serveur battit en retraite, empourpré.

— Alors ? Du nouveau ?

— Je sors de l’autopsie. Notre homme a bien été tué d’une balle, mais il n’y avait pas besoin du légiste pour s’en apercevoir, l’heure de la mort est située vers vingt-trois heures. Et vous ? En savez-vous plus sur l’identité de l’homme ?

Le commandant but une gorgée de son distingué.

— José Rinotti, un Italien. Nous avons retrouvé sa voiture garée un pâté d’immeubles plus loin.

— Une Alpha, la voiture ?

— Non, une Mercedes, immatriculée en France, signalée volée.

— Le propriétaire du véhicule ?

— Une fondation : “Renova”, achat de maisons anciennes ou de propriétés, voire de châteaux, restauration et revente. Grosse puissance financière dans l’Hexagone mais aussi dans toute l’Europe. Le compte bancaire de Rinotti fait apparaître un dépôt de 15 000 euros effectué il y a un mois. Rien depuis.

— Sans doute le montant de son dernier contrat. Malheureusement, nous ne savons pas qui était visé.

— Les marinière !

Elles furent accueillies avec joie par Barconi qui, manifestement, avait encore faim. Le commandant reprit :

— Naturellement, il est inutile d’espérer connaître l’identité du commanditaire de ce contrat, ce genre de transaction ne se fait pas par chèque. Tout de même, en épluchant les comptes de notre tueur assassiné… Pivert, vous suivez la question…

Le Castor dévorait. Il réclama du pain et du beurre.

— Les indices sont minces ! Et ce n’est pas cette médaille représentant un croissant de lune qui nous aidera beaucoup.

— Je ne suis pas de votre avis, Barconi. Je pense qu’il serait utile de creuser aussi de ce côté ; un croissant de lune noire sur un fond de ciel étoilé…

— Un symbole ésotérique peut-être… Je vais aller fouiner du côté des librairies spécialisées, il y en a deux à Tours.

— J’allais vous le demander, Pivert.

— Vous ne terminez pas vos frites ?

Les deux autres poussèrent leur assiette vers Le Castor qui leur fit un sort.

Thierry ne put réprimer un sourire.

— Il semble que vous allez mieux, René, votre appétit est revenu…

— Non, j’ai quelques soucis ces temps-ci.

Pivert le regarda d’un air entendu.

— Rosemonde ?

— Oui, Rosemonde ! Mais je n’en avais pas perdu l’appétit pour autant. Vous la connaissez, même en période de guerre ouverte, elle serait bien incapable de laisser son propre fils mourir de faim. C’en est agaçant ! Elle m’inonde de victuailles et plats divers : blanquettes, bœuf mode, sans oublier ses fameuses carbonades à la flamande. C’est bien simple, j’ai garni ma cave d’un congélateur bahut d’une capacité de trois cents litres, je l’ai rempli en huit jours, uniquement de plats maternels Je pourrais vous nourrir sans problème pendant un mois. Je me suis même demandé si ce n’était pas une de ces nouvelles techniques pour me pousser au suicide, vous savez, comme dans le film La Grande Bouffe… Bon, c’est pas tout, qu’est-ce que vous commandez comme dessert ?

1 Lire L’Écheveau de Blois, du même auteur, dans la même collection.

2 Distingué : verre d’une contenance de 50 centilitres.

III

Edwige Bygur posa le combiné téléphonique sur sa fourche. C’était une bonne journée. Le médecin lui avait proposé une somme plus que confortable pour le morceau de partition. Il avait demandé à vérifier l’authenticité du document, mais Edwige était sereine, elle n’avait aucun doute sur son ancienneté. Elle rangea l’objet dans une chemise qu’elle plaça dans le coffre avant d’aller baisser la grille de protection de la vitrine. Le soir tombait, sept coups cristallins sonnèrent à la pendule, une pendule Empire dite à la Vestale, signée Gaston Joly, une splendeur. Edwige pouvait se vanter de posséder de très belles pièces d’antiquité. Elle retourna la pancarte annonçant que le magasin était fermé et mit les verrous.

Peu à peu, les autres magasins de la rue de la Scellerie baissèrent leur rideau. L’antiquaire s’offrit une cigarette, la seule qu’elle s’autorisait, toujours après la fermeture, généralement accompagnée d’un doigt de vieux porto. Ce soir, elle repoussa l’instant, préférant attendre d’avoir conclu sa vente. L’homme n’allait pas tarder.

La pluie fit rapidement briller les trottoirs, transformant le reste de la rue en un miroir éphémère. Les gens se pressèrent vers un abri invisible. Un coup retentit à la Vestale. Dix-neuf heures quinze ! Elle fouilla fébrilement dans son paquet de cigarettes. « Non ! Pas d’excès ! » La silhouette d’un homme apparut derrière la vitre de la porte. Elle débloqua les verrous et ouvrit. Il s’engouffra dans le magasin et attendit sans bouger, ruisselant sur la moquette. Edwige avait refermé et verrouillé la porte. Une flaque d’eau se formait autour des chaussures de l’inconnu. Elle observa son visiteur. Il portait bien la quarantaine, une cicatrice lui barrait la joue gauche, lui donnant un petit côté baroudeur, sexy en diable. « Plus d’une patiente a dû craquer en secret pour ce médecin. » Elle-même n’aurait pas dit non, sans doute à cause de ses yeux, des yeux incroyables, bleu pâle, comme s’ils avaient été délavés par le soleil.

— Bonsoir, je peux voir les partitions ?

Elle acquiesça d’un signe de tête et dut faire un effort pour détacher son regard et ouvrir le coffre derrière son bureau. L’homme n’avait pas bougé, la flaque s’élargissait à ses pieds. L’antiquaire sortit la chemise du coffre et l’ouvrit sur sa table de travail. Il s’approcha.

— Désolé pour l’humidité.

— Ce n’est rien, je m’en occuperai tout à l’heure… L’homme examina les partitions jaunies par le temps. Il s’empara d’une loupe posée sur le bureau et examina encore.

— C’est un morceau de partition absolument authentique, il a sans doute été écrit vers l’an 1026…

Les yeux bleus transpercèrent Edwige, elle se tut.

— Guydo d’Arezzio…

— C’est possible, bien que personne n’ait jamais su si le célèbre musicien composait. Il est plutôt connu pour avoir jeté les bases de la notation moderne sur portée, de là à prétendre…

— Guydo d’Arezzio…

— Guy d’Arezzo ou pas, ces trois feuillets sont, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, à vendre.

Elle ramassa les feuillets qui disparurent dans la chemise.

Cette fois-ci, elle soutint le regard bleu. L’heure était aux affaires, elle venait de perdre tout état d’âme.

— Cinquante mille !

Les yeux bleus se durcirent.

— Je vous en offre trente mille.

— Ne vous ai-je pas dit au téléphone que je les vendais ? Il n’a jamais été question de don. Vous imaginez, des papiers de près de mille ans ! N’importe quel musée m’en offrirait plus !

— Il faudrait que je sois certain de leur origine. Guydo d’Arezzio…

— Ces partitions ont neuf cent quatre-vingt-quatre ans d’existence ! Voici un certificat d’authentification rédigé par un expert du département.

Elle sourit en refermant la sangle de la chemise.

— Bonsoir Monsieur, je ne vous raccompagne pas !

L’homme arborait un étrange sourire, elle ne s’y attarda guère, beaucoup plus attentive à l’arme qui venait de surgir dans la main droite du type.

— Mais, Docteur, je ne…

— Je ne suis pas médecin.

— Comment ? Mais tout à l’heure au téléphone…

— Il a été, comment dire… retardé.

— Mais alors… Si c’est de l’argent que vous cherchez, vous n’en trouverez pas ici. Je ne comprends pas pourquoi vous m’avez joué la comédie de la vérification et du marchandage.

— Mais rassurez-vous, ce sont bien les partitions qui m’intéressent. Voyez-vous, j’aime me mettre dans l’ambiance des lieux où j’exerce mes talents. S’il me fallait exécuter un boucher, je n’hésiterais pas à discuter de la qualité de sa viande et même à lui demander de me ficeler un rôti avant ! Une marque de respect envers mes “clients” en quelque sorte…

— Vous êtes fou !

Edwige esquissa un geste vers le bouton déclencheur de l’alarme, il y eut un « plop » ! Un projectile brûlant lui explosa le crâne.

* * *

Juin 1430, près de Tours.

L’aube allait se lever. Les moines chantaient matines.

Le tourier qui l’avait éveillé l’amena au réfectoire. On lui donna une soupe et une miche d’un pain noir et épais. Renaud l’enfouit dans sa besace.

— Il faut partir, Messire…

— Moine, j’espérais une réponse du père abbé, je me suis entretenu avec lui hier soir au sujet de…

Le tourier fit un signe de croix.

— Plus un mot !

Une douzaine de religieux venaient d’envahir le réfectoire.

— Venez !

Renaud fut entraîné aux écuries, il y retrouva ses chevaux.

— Nous les avons nourris.

— Je vous laisse ces deux-là.

— Grand merci Messire, Dieu vous le rendra.

— Mais le père abbé ?

Le moine lui mit les rênes en main et le poussa vers l’extérieur. Le jour estompait peu à peu les lambeaux d’une nuit froide. Renaud monta en selle, le moine lui tenait l’étrier.

— Prenez la route de Paris, l’air est malsain céans pour vous. Je ne sais si c’est à cause de votre fardeau, mais vous avez affaire au malin et à ses suppôts.

— Mais c’est uniquement pour La Pucelle que…

L’abbé apparut et, d’un geste, chassa le tourier avant de répondre :

— La Pucelle Jeanne n’est plus sous la protection de notre sire. Il n’a point voulu payer sa rançon aux Bourguignons qui vont certainement la vendre à l’Anglois.

— Mais alors, ma mission…

— Je ne sais de quelle mission vous étiez en charge, Messire, mais je pense que vous devriez vous rendre auprès de notre roi pour lui en parler. Ici s’arrête mon conseil, tout ceci est affaire de politique et ne regarde point les humbles serviteurs de Dieu.

— Pourtant, cette médaille qui me poursuit…

— C’est le signe du malin, mon fils. Croyez-m’en, disparaissez avec cette relique dont vous me parliez hier à complies. J’ai dans l’idée que vous ne savez qu’en faire. Allez la remettre là où elle reposait avant, à Sainte-Catherine, ou bien donnez-la au roi, mais méfiez-vous des chevaliers de l’astre !

Une claque sur la croupe fit bondir le cheval de bât et Renaud n’eut d’autre choix que de talonner sa monture pour rattraper le sommier qui, maintenant, s’enfonçait dans la forêt.

L’ancienne voie romaine serpentait entre les hautes futaies, le jour éclairait l’est, mais le bois était encore la proie de la nuit. L’écuyer laissa sa monture avancer au gré de son humeur, tout en surveillant les alentours. Les bêtes étaient calmes, c’était bon signe. Il porta la main à sa besace et en sortit une des médailles. « Les chevaliers de l’astre ! » Au moins avait-il pu récupérer un indice. Maintenant, il connaissait son ennemi. Tout de même, il n’avait jamais rien ouï dire sur ces gens-là. En attendant, il se demandait quelle résolution prendre. Devait-il chercher l’église où, disait-on, La Pucelle avait trouvé son épée ou bien s’en aller la remettre au roi ? Il arracha un morceau de pain à la miche et le dévora à belles dents. Lorsqu’il fut rassasié, il prit sa décision. Il irait voir le roi. Cela faisait une longue distance d’ici à Bourges. Il n’avait plus qu’à prendre cette direction. Pourvu qu’il trouve un établissement de l’ordre de l’Hospital d’ici la nuit, il ne manquerait pas de s’y informer sur le roi et les chevaliers de l’astre, les moines guerriers étaient aussi savants, nul doute qu’ils auraient des réponses à ses questions. Cependant, il décida de rester prudent et de taire toute allusion à l’épée de Jeanne. Il poussa les chevaux, mieux valait ne pas traîner dans les parages.

IV

Maud avala une gorgée de thé brûlant et déplia le journal. « Assassinat rue de la Scellerie » titrait le quotidien en première page. Elle beurra un toast. Une antiquaire avait perdu la vie la veille au soir, dans son magasin de Tours, rue de la Scellerie, LE point de concentration des antiquaires.

Apparemment, rien n’avait disparu du magasin qui contenait pourtant quelques belles pièces. « Le coffre était fermé, mais une horloge Louis XIV d’une valeur de quinze mille euros était toujours à sa place. La police se perd en conjectures. Dans les milieux autorisés, une rumeur prétend que madame Edwige Bygur, la victime, aurait acquis des partitions datant de plus de 900 ans. Celles-ci auraient été expertisées par maître Albin Vernitez, une autorité en la matière, monsieur Vernitez est également président d’honneur du comité des antiquaires d’Indre et Loire. Ces partitions qui n’ont pas été retrouvées, auraient été écrites par un moine, Guy d’Arezzo, le premier qui a codifié par écrit la musique sur une portée de quatre lignes. Le vol de ces manuscrits serait-il le seul mobile de ce crime odieux ? »

Maud termina son petit-déjeuner.

— Eh bien, mon ami, que pensez-vous des dernières nouvelles ? Vous ne soufflez mot…

Elle s’adressait au portrait de feu Bertrand Saintonge de la Foye, son mari, colonel au Cadre Noir de Saumur, représenté en grande tenue d’apparat et à cheval depuis son accidentel décès.

— L’art musical du Moyen Âge vous laisserait-il indifférent ? Allons, faites un effort que diable, il n’y a tout de même pas que les chevaux qui vous importent, même dans l’au-delà ! Je vais de ce pas éclairer votre lanterne en vous annonçant, tout de go, que j’ai retrouvé quelques feuillets de partition musicale dans l’une de nos caves. À mon humble avis et bien que n’étant pas grand clerc en la matière, il doit s’agir d’un original. Peut-être est-il lui aussi de la main de ce moine bénédictin cité dans le journal… Là, j’ai fait mouche, non ? Si, votre mutisme en est la preuve, vous êtes jaloux ! Oh, et puis cessez de jouer les indifférents, Monsieur !

Elle apporta les reliefs du petit-déjeuner à la cuisine, tout en se demandant à haute voix comment un défunt pouvait être parfois d’aussi mauvaise foi. Sylvestre vint se frotter à ses jambes.

— Alors, chat, quelles nouvelles du jardin ? Sommes-nous à l’abri d’une invasion de mulots ?

Elle posa une soucoupe sur la table et l’emplit de lait. Sylvestre bondit et lapa goulûment.

— Je vous laisse la garde de la maison, tâchez de ne pas faire vos griffes sur les fauteuils ! Ah oui, au cas où vous croiseriez les mânes de notre cher Bertrand, dites-lui que je suis retournée à “Blondellerie-sous-terre”, peut-être vous entendra-t-il, moi, il me bat froid. C’est un jaloux !

Elle enfila une veste en polaire par-dessus son pull irlandais et, munie d’une forte lampe, se dirigea vers la porte de placard dissimulant l’entrée de son bureau. Un instant plus tard, elle actionnait le mécanisme du passage et disparaissait dans les entrailles de la terre. Le passage se referma dans un bruit sourd.

* * *

Le commandant Guillaume referma le dossier contenant le rapport du légiste, se leva et observa longuement la statue de saint Sébastien, toujours souriant derrière la vitrine de sa bibliothèque. Cette histoire de tueur assassiné ne lui disait rien qui vaille. D’après le directeur, il était logique de conclure à un règlement de comptes. Il sortait de son bureau et n’était pas convaincu par les arguments que lui avait assénés Dieu. Il lui avait parlé de tension dans le milieu, de rumeurs, de reprise d’une guerre mafieuse… Dieu n’était pas homme de terrain. Thierry imaginait même qu’il faisait acheter ses vêtements par une tierce personne, sans pouvoir définir exactement de qui il s’agissait. Une recherche d’identité aurait mérité d’être lancée pour faute de goût ! D’ailleurs, à ce niveau-là c’était tout bonnement d’un crime de goût qu’il convenait de parler. Oui, s’il avait eu le temps, il serait remonté à l’origine des goûts immondes de son directeur en matière d’habillement. Las, il avait bien d’autres chats à fouetter, la version du règlement de comptes entre bandes rivales donnée par Dieu ne tenant pas debout. À moins de trouver un lien entre José Rinotti, l’Italien, et une quelconque bande de malfrats de la place de Tours, ce qui était loin d’être fait. Non, il importait de connaître l’identité de la victime potentielle du tueur italien. Le commandant en était persuadé, cette piste permettrait sinon de faire la lumière sur toute cette affaire, au moins d’en éclairer une partie. Les TIC avaient déterminé plus ou moins exactement la trajectoire supposée du tir avorté. Deux étages de l’immeuble face à la position du tueur, soit quatre appartements. Mais pour l’heure, il lui importait d’aller rue de la Scellerie, la police municipale y ayant découvert le cadavre d’une antiquaire.

— Patron, le légiste est prévenu, c’est quand vous voulez, Barconi est déjà sur place.

L’interphone cracha et la voix du directeur envahit le bureau. Le commandant haussa les épaules et ferma la porte.

— Mais, Patron, c’était Dieu !

— Ah ! Et vous avez compris quelque chose à ce qu’il disait ?

Ils se dirigèrent vers le parking. La Jaguar clignota de tous ses feux à l’approche de son propriétaire.

— Il m’a semblé qu’il vous ordonnait de vous rendre immédiatement dans son bureau. Vous n’avez pas compris ?

Thierry accéléra en sortant du parking, ils entrèrent dans la circulation.

— J’ai certes bien entendu, mais je ne suis pas certain d’avoir compris.

— Pourtant cela m’a semblé très clair.

— Pour vous peut-être, mais en ce qui me concerne, il m’arrive parfois de croire réellement que la voix du seigneur de ces lieux est impénétrable. Et puis n’étions-nous pas déjà partis ? Une enquête urgente… Mettez donc ce satané gyrophare sur le toit que nous puissions avancer un peu !

*

La Jaguar stoppa rue de la Scellerie. Seule la grille de la porte du magasin était levée. Le policier municipal de faction sur le trottoir s’effaça, leur laissant le passage. Deux autres policiers les attendaient dans le magasin. Thierry reconnut la silhouette d’armoire normande en grande discussion avec l’un des hommes en gris. Barconi était déjà à l’œuvre.

— Ce sont eux qui l’ont trouvée ?

— Non, Commandant, c’est la femme de ménage, la patrouille passait justement à hauteur du magasin lorsqu’elle s’est mise à hurler sur le trottoir.

— Bon, sécurisez l’endroit afin que les TIC puissent trouver un maximum d’indices ! Pour une fois que nous sommes les premiers…

— C’est que justement, non !

— Comment ça, non ?

— Il y avait un journaliste avec eux, ils l’ont laissé entrer. Il se peut que des indices soient perdus, sans compter la publicité qu’il ne va pas manquer de faire dans son canard !

— Bon sang ! Mais qu’est-ce qui m’a fichu de pareils guignols ? Ils n’ont tout de même pas touché au corps, au moins ?

— Non, je m’en suis assuré !

— Qu’ils sortent ! Et restent dehors pour sécuriser les abords. Où est le corps ?

— Au fond du magasin. Par ici, Patron…

La propriétaire des lieux gisait dans une mare de sang qu’un tapis persan terminait d’absorber.

Le commandant pianota sur son portable.

— Bonjour Doc, je ne peux plus me passer de vous, si vous pouviez me rejoindre rue de la Scellerie au plus vite ; avec toute l’équipe, oui, la routine habituelle…

Un flash crépita éblouissant toute la pièce.

Pivert prit le temps d’un second cliché avant de parler.

— Les affaires reprennent !

Barconi intervint :

— Voilà, Patron : Bernadette Lascodt, cinquante-deux ans, femme de ménage, elle a découvert la victime en arrivant prendre son service. Elle nettoie chaque matin depuis sept ans. Elle a tout d’abord été surprise de constater que la grille de la porte était ouverte et partiellement relevée, pour le reste, son récit recoupe les constatations du policier municipal. On la laisse partir ?

— Qu’ils la raccompagnent chez elle, au moins, ils feront quelque chose. Ah, demandez au chef de patrouille de venir me voir d’ici quelques minutes, j’aimerais bien qu’il m’explique pourquoi il a trouvé judicieux d’emmener un journaliste avec lui, et surtout avec quelle autorisation… Identité de la victime ?

— Edwige Bygur, antiquaire à Tours depuis dix ans, connue dans la profession pour son sérieux, un certain flair et pour ne vendre que des pièces de qualité. Il n’y a pas de toc dans cette officine.

— Vous avez absolument raison, capitaine Barconi. Je me targue de m’y connaître un peu en antiquités ; Edwige ne m’a jamais vendu que des pièces de qualité, parfois d’exception.

— Bonjour Doc. Ainsi vous connaissez la victime ?

— Hélas oui ! « Hélas » s’adressant surtout à elle étant donné les circonstances. Oui, je ne pourrais que regretter la perte d’une femme de goût, généreuse, aimant son métier jusqu’à la passion. Dure en affaires mais intègre. Je n’ai jamais éprouvé le sentiment de m’être fait berner dans aucune des transactions auxquelles j’ai participé. Il faut dire qu’elle s’entourait de toutes les précautions nécessaires, allant même jusqu’à faire expertiser ses pièces par les plus grands spécialistes parisiens, et plus près d’ici, elle n’hésitait pas à faire appel à maître Vernitez, professeur d’histoire de l’art à l’université mais aussi expert auprès des tribunaux en matière d’antiquités et président honoraire des antiquaires tourangeaux. Bon, si vous le permettez, maintenant, je vais m’occuper de cette pauvre Edwige…

Le commandant fit signe à Pivert de s’approcher.

— Trouvez-moi les coordonnées d’un certain Vernitez, le président honoraire des antiquaires de Tours.

Les policiers scientifiques avaient envahi l’endroit. Ils n’étaient pas nombreux, mais on avait l’impression qu’ils étaient partout. On aspergeait, jouait du pinceau, relevait des empreintes ici, tout le magasin était passé au crible.

— Ne marchez pas là, Capitaine, vous risquez d’effacer cette trace !

Barconi trouva refuge sur le trottoir. C’était toujours la même chose : quand ces types débarquaient, il se sentait immédiatement à l’étroit. Il ficha un bâton de réglisse à la commissure de ses lèvres tout en se demandant si cela faisait le même effet aux autres. Le brancard transportant la victime fut chargé dans l’ambulance. À l’intérieur, semblant ne pas être affecté par les maniaques du pinceau, le commandant écoutait le légiste.

— La victime est décédée hier soir entre vingt et vingt-deux heures. Deux coups de feu ont été tirés, dont un mortel.

— Donc l’assassin repart tranquillement après avoir simplement baissé la grille devant la porte, de manière à ce que l’on ne se doute de rien avant ce matin, ce qui lui laissait toute latitude pour disparaître tranquillement.

— Barconi ?

Le Castor s’encadra dans le chambranle de la porte.

— L’enquête de proximité ?

— Pas grand-chose, Patron. Les locataires de l’étage n’ont rien entendu, les autres étaient absents pour la soirée, ils sont rentrés vers trois heures ce matin et n’ont rien remarqué d’anormal dans le magasin.

— L’arme était donc munie d’un silencieux.

— Comment cela, Doc ?