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Et si nos animaux domestiques, en particulier les chats, nous apprenaient les leçons d’humanité que nous avons perdues ?
Ce roman met en scène des animaux familiers dans leurs relations avec les hommes. Les privilèges accordés aux amis de la maison et du jardin mettent en relief ceux qui nous manquent.
Si seulement nous avions autant de tendresse entre nous, qu’envers Fiston, Fifille et le hérisson… comme le monde serait paisible !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Abdelkarim Belkassem est un Franco-marocain, né à Safi au Maroc en 1963. Écrivain et professeur de littérature arabe et musicien classique, oudiste dans un orchestre arabo-andalou, également ténor en chant arabo-andalou et oriental.
Il se consacre à l'écriture de romans et d'essais, pont entre ses deux cultures.
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Seitenzahl: 240
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Abdelkarim Belkassem
Deux Chats et des Hommes
Roman
© Lys Bleu Éditions – Abdelkarim Belkassem
ISBN : 979-10-377-0736-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Deux Chats et des Hommes » a déjà fait l’objet d’une édition aux Éditions Bellier -2015.
« La Bête et le Boss », Editions Thot
« La Marche des harraga », Editions Thot
« Amina Zouri, une histoire du Maroc », Editions Thot
« La mémoire de Saghir », Editions Thot
« Un chirurgien à New York », Editions Le Lys Bleu
« Thomas Sif Espace », Editions le Lys Bleu
« Mythomanies », Editions Le Lys Bleu
« Les énigmes du Hameau », Editions le Lys Bleu
« Dictons de Jadatti et expressions populaires du Maroc », Editions le Lys Bleu
« Un lycée sans foi ni loi », Editions Thot
Aujourd’hui, le ciel est maussade. Aucun oiseau et pas de chant. Le jardin semble très calme mais froid comme la morgue d’un hôpital. Pourtant j’ai bien rêvé cette nuit, j’étais vraiment comme au paradis, j’y voyais des anges !
Oui, des anges ! Un en particulier, celui de ma grand-mère qui vivait chez nous. Apaisée, dans sa forme habituelle, elle nous regardait, sa fille (ma mère), mes frères et moi.
Je l’ai observée… Tiens, elle est en bonne santé ! Meilleure que lorsque je l’ai vue pour la dernière fois. J’avais raison d’utiliser cette formule « pour la dernière fois ».
Je me suis levé et je suis sorti. Un matin tranquille comme moi. Je me retrouve dehors, à marcher vers je ne sais où, par habitude. Quelque chose me dirige et me demande d’agir. Étrange. Je ne suis pas ainsi, normalement je réfléchis à toutes les conséquences. Pas du tout comme à cet instant. Quelle différence ! Oui, d’accord, ce n’est pas grave, rien de bien dangereux.
Je me poste devant la porte ou à la fenêtre de l’étage et un long chemin m’apparaît. Je vois une femme maigre, vêtue d’un haïk, ce tissu dans lequel les femmes traditionnelles marocaines s’enveloppent pour sortir. Elles l’utilisent aussi comme couverture de lit. Il est blanc, tissé de fils de laine très fins, le sda. On en trouve dans des villes comme Essaouira et plus au sud.
Elle marche et elle part sans se retourner. Moi, à la porte, je la regarde. Encore et encore. Je demande à mon frère ce qui se passe, je ne comprends pas !
— Pourquoi part-elle ?
— Elle veut voir sa maison, répond-il, tête baissée.
Occupé le gars !
Ma grand-mère avance. Je la vois transformée en chat, accompagnée d’un chat noir.
Étrange. Quand j’y réfléchis, ma grand-mère est déjà morte depuis plus de trente ans…
C’est un chat, un ange ou un diable ! Quand on imagine les gens, morts, calmes et sans souffrances, c’est qu’ils vivent bien au paradis. C’est ce que dit notre croyance !
Le ciel est noir comme en hiver. C’est la Normandie, on ne s’en étonne plus. Pourtant ce qui est agréable, c’est la fraîcheur de l’herbe mouillée par les gouttes de pluie de la nuit.
Tout au long de celle-ci, l’orage a résonné ainsi que les coups de tonnerre. Notre sommeil était perturbé. On savait bien que ça arriverait et que les jours d’été ne sont pas éternels ! Rouen est dans une cuvette qui réunit toutes les dépressions de passage. Un ciel en colère contre les hommes, comme au temps des mythes grecs.
Ah, ça arrive ! Un corbeau dans le ciel tangue à droite et à gauche, comme alcoolisé ! On le croit blessé et qu’il tombera sur nous.
Les volets sont déjà ouverts et les vitres invisibles. On a déjà eu des surprises, de grands chocs qui nous font trembler. Comme une secousse sismique. Ce sont des oiseaux qui se cognent aux vitres. Nous avons collé des morceaux de papier ou des moustiquaires sur le verre pour éviter que les animaux se blessent. Parfois, ils terminent leur course par terre, blessés ou morts. Il suffit d’un rien pour les anéantir, les pauvres ! Quelle souffrance de vivre dans ce monde moderne. Partout où ils voyagent, ils sont en danger !
Le corbeau croasse dans le ciel. Ce n’est pas bon signe, comme disait ma mère au bled. Quand le corbeau crie, la pluie arrivera dans les minutes qui suivent. Est-ce certain ? Je ne sais pas, juste l’expression des gens. Leur expérience.
Dans un ancien poème arabe, on dit qu’un vieil aveugle gardait son troupeau de moutons toute la journée dans des forêts très dangereuses, sur des montagnes hautes comme des vagues de tsunami géant. Mais le soir, il rentrait sain et sauf avec son troupeau.
Les gens s’étonnaient. Comment faisait-il ? Un jour, un curieux a promis aux habitants de sa tribu de découvrir son secret. Il a rencontré le berger chez lui et lui a proposé de l’accompagner dans les prairies pour apprendre le métier. Le vieil homme a pensé que c’était bien la première fois qu’un berger voulait apprendre ce métier qui se pratique naturellement et instinctivement. On n’a pas besoin de l’apprendre. Cependant, il a compris que quelque chose tournait dans la petite tête de l’apprenti. Il a tout de même accepté.
— Peut-être que ce sera une expérience pour nourrir son esprit et son cœur ? pense le vieux berger.
Cet apprenti est connu pour sa méchanceté et sa cruauté envers son prochain.
Le vieux lui a donné rendez-vous tôt le matin sur le chemin de la forêt. L’homme a accepté pour ne pas contrarier le vieux.
Les deux hommes arrivent au milieu de la forêt où les moutons broutent l’herbe. À un certain moment, le vieux berger a demandé à l’homme de lui décrire le ciel. Celui-ci l’a fait. Les nuages, le vent… Quand il a terminé sa description, le vieil aveugle lui a demandé d’emmener le troupeau au village car il allait pleuvoir.
L’homme, étonné, veut savoir comment un aveugle peut le deviner sans la vue pour observer le ciel. Alors le vieux berger lui a récité des fragments d’un poème des anciens. Cette poésie racontait quels sont les signes qui indiquent le temps et le climat qu’il va faire.
Le corbeau s’est posé sous mon regard sur un toit de la maison voisine. C’est son poste d’observation. Son nid est bâti près de l’antenne de télévision devenue inutile depuis l’apparition d’un boîtier numérique. C’est un perchoir pour les oiseaux et le corbeau en est un des habitués.
Chaque matin, dès le lever du soleil, il sort de son nid et vole vers l’antenne, près de la cheminée d’une maison de deux étages. Il niche dans un immense châtaignier de vingt mètres. Une chance pour lui et les autres volatiles de la ville. Dans les quartiers, les gens ont la fâcheuse manie de couper tous les grands troncs. Dès le changement de propriétaire d’une maison, les nouveaux arrivants coupent la verdure et laissent le jardin comme la tête d’un chauve !
— Des idiots qui ne voient pas la verdure et son intérêt pour leur environnement. Ils n’ont pas de neurones, ces nouveaux ! Il ne faut pas compter sur eux ! Dès leur arrivée, le quartier se désertifie. Les oiseaux, les hérissons et même les hommes. Ils agressent le monde avec leurs tondeuses qui n’arrêtent pas de raser l’herbe toute la journée, même les jours fériés. Sans oublier les souffleurs de feuilles à l’automne…
Le corbeau est toujours perché. Il regarde à droite et à gauche et même se retourne pour mieux voir. Il surveille et attend sa progéniture mais personne.
— Où sont-ils ? dit le corbeau. Peut-être qu’ils se sont envolés très tôt. Des traîtres ! Mais moi, où étais-je pour ne pas entendre leurs appels ?
Pas de croassement de stress, il est calme et tranquille.
— Où êtes-vous les habitants de la région ?
Il appelle ses congénères et les habitants profitent aussi de ces cris. Il y en a qui supporteront mal qu’un corbeau les réveille surtout si cela leur fait faire un bond matinal !
J’aperçois le fils du voisin s’entraîner avec un fusil à plombs. Il se prépare à tirer sur un corbeau ou une pie qui jacasse toute la journée et parfois la nuit. Si les habitants étaient éduqués, ils respecteraient les animaux et vivraient en paix avec eux. Le partage de l’espace comme disent les adeptes de l’environnement ! Mais l’homme en a assez d’entendre des cris, jour et nuit. Que ceux qui défendent les idées écologistes habitent une semaine sous les croassements de centaines de corbeaux et les chants d’oiseaux et on verra leur respect après des nuits blanches...
Comme l’histoire d’un homme ivre qui est réveillé en plein sommeil et tape l’horloge avec sa chaussure puis écrase le chien en se levant dans la pièce sombre. Il n’a pas eu le temps de réaliser ce qu’il faisait, le pauvre !
— Un seul corbeau, dis-je ! Signe d’une mauvaise journée, je pense.
C’est la traduction de l’image du corbeau dans la mémoire populaire orientale. La voix du corbeau symbolise un mauvais présage pour la journée. Et s’il est seul, c’est pire. Voir deux corbeaux, c’est déjà mieux. Et si on le chasse de son antenne et qu’il se dirige à gauche au lieu de la droite !
— Quelle malchance, j’ai, aujourd’hui ! pensais-je à ma fenêtre.
Le corbeau s’envole et le silence recouvre le jardin et le ciel.
Quand il n’y a pas le bruit des oiseaux ou des personnes, c’est le ciel qui est déchiré par celui des avions. On n’est pas loin de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle. À un vol d’oiseau, comme dit Violette ! Au-dessus de nous, c’est un couloir principal vers l’Angleterre. On a toujours peur de voir un avion dans le jardin. Comme un tremblement de terre sur les vitres, alors si l’avion s’approche encore plus, c’est la fin du monde !
On manque de chance avec le bruit. On est toujours accompagné. C’est mieux pour ceux qui ressentent la solitude et c’est le cas dans le quartier. De vieux oiseaux habitant seuls dans leurs maisons.
— On fait des petits et quand ils grandissent, ils quittent le nid et le vieux reste solitaire face à son destin !
Le mouvement et le bruit sont des signes vitaux. Quand on entend des bruits, on est assuré d’être entouré de vie. Quand on n’entend rien, on croit que l’on rêve ou qu’on est déjà dans le lit de la mort. Les vieux du quartier attendent ces sons. Ils les cherchent, même ! Ils leur font entrer des sourires au plus profond d’eux-mêmes.
Un petit vent fait doucement bouger les branches des arbres. De légers mouvements, c’est tout, puis le calme revient. Comme une scène de magie !
J’ai pris peur, je regarde et je veux voir les frémissements encore et encore. Rien qu’une petite musique de la nature et la vie sera belle ! Un peu de soleil mais on n’en a plus… En Normandie, c’est pire.
Je me souviens du Maroc quand on recevait un appel de France.
— Vous avez du soleil ?
— Il n’y a pas de nuages au bled ?
— Il fait chaud, alors ?
On s’étonne, on ne comprend pas. On ne peut pas imaginer ça quand on n’a jamais quitté le pays. Dans notre ville de Safi, la température varie entre huit et trente-cinq degrés toute l’année. Comment pourrait-on comprendre ?
Quand on part en vacances, pour deux ou trois jours parfois plus, on voyage l’été. Il fait très chaud. L’hiver, la neige tombe à Marrakech et sur l’atlas mais on ne l’a jamais vue. Nous ne sommes pas des montagnards. Nous ne la connaissons qu’au cinéma ou à la télévision.
Le vent est passé et tout à coup, un mouvement. Pas dans les branches cette fois, mais au pied de l’arbre, dans l’herbe.
Je me retourne sans bruit puis je m’immobilise. Pas un geste, juste ma respiration et je guette un nouveau mouvement.
Les feuilles bougent et des yeux apparaissent. Ils observent. Une patte sort, puis une deuxième. Enfin, la tête et le corps, la queue bat les tiges des plantes. Tiens donc ! C’est Aînesse la chatte de notre voisin. C’est une femelle très âgée, la doyenne du quartier. Elle est peu épaisse, très poilue, de couleur grise. C’est une chatte gentille qui ne griffe jamais. Aucune peur, chez elle, confiante. Quand elle reconnaît les gens à leur odeur, elle avance vers eux, s’y frotte la tête puis le corps et l’arrière-train.
— Elle marque son territoire ! dit Violette l’experte.
— Ah oui, dis-je. Elle a besoin de me salir et de me mettre de la mauvaise odeur pour me connaître. Elle n’en a pas besoin, je la connais, moi, sans la renifler !
Ce qui est vrai ! Dès que j’ai vu sa tête entre les arbustes du jardin, je l’ai reconnue. C’est la minouch Aînesse ! Elle regarde encore avant de s’avancer. Elle connaît bien le jardin et il est à elle. Je n’ai pas de chat et je n’en veux pas. Je suis occupé et je ne veux pas être responsable d’un être vivant. Ni chat ni chien et je le dis à Violette !
— Je n’ai pas joué toutes mes cartes ! dit-elle d’un ton menaçant.
La chatte avance encore et encore. Elle regarde et renifle. Ici, un chat est passé, il a laissé sa trace et son odeur. Elle hume et cherche s’il est encore là !
— Ah, l’idiot, dit-elle. Il a pissé ici. Il croit qu’il va me faire peur ! Si je le trouve, ce sera la guerre de cent ans entre les Français et les Anglais ! dit Aînesse.
Elle s’en fiche de la statue derrière la fenêtre. Tant que celle-ci ne bouge pas, elle n’a rien à craindre. Elle se tient à distance, ça ne la dérange pas qu’elle soit là.
— C’est vrai qu’elle est différente ! Mais peu importe, je suis là pour surmonter les difficultés et lui, c’est un des obstacles à franchir, pense Aînesse, la chatte du voisin.
L’homme est toujours immobile pour ne pas la déranger. Il veut que la chatte s’approche pour observer ses réactions et sa façon de marcher. Ça l’occupe, il n’a rien d’autre à faire en ce moment précis.
C’est son passe-temps ou alors c’est le seul visiteur qu’il voit dans la journée. Il s’occupe. Il a pensé faire comme les naturalistes qui étudient les animaux en pleine forêt. Ils observent pendant des dizaines d’heures, à plat ventre dans l’herbe, dans le froid ou sous le soleil. Ce qu’ils veulent c’est avoir des informations ou prendre des clichés.
Notre homme, derrière les carreaux, est un amateur ou quelqu’un de curieux qui aime bien apprendre et découvrir.
L’observation des animaux donne de bonnes idées même sur le monde humain. Des choses qu’on ne peut pas réaliser, nous, les hommes. Les animaux ont un instinct plus fort que le nôtre. Avec notre vie quotidienne et sa routine, on a oublié la bonne façon de vivre avec notre environnement et les animaux nous en apprennent les mystères !
L’homme s’amuse bien, lui aussi et Aînesse ne le sait pas. Il sourit discrètement. Il a aussi soupiré légèrement alors la chatte a fait un bond en arrière !
— Dis donc ! La mémère sent même ma respiration. Le mouvement de mes poumons à cette distance, elle l’entend. Je vais profiter de cet instant pour bouger un peu ! Je suis resté longtemps statique $, mes os me font mal. Il faut que je change de position.
— Ce n’est pas un meuble, dit la chatte. Ni un mur. C’est un prédateur qui bouge. Que pense-t-il ? Il veut m’attaquer ou quoi ? Il faut que je fasse attention, ne pas m’approcher…
C’est comme ça que j’ai fait sa connaissance.
— Bonjour la belle Aînesse ! — Ne t’inquiète pas, Aînesse, dit l’homme. Je connais même ton nom. J’entends ton maître, mon voisin, quand il t’appelle. Je suis aussi un ami, je ne te ferai pas de mal.
— Non, non, non ! Mon maître me dit de ne pas faire confiance ! Surtout à l’homme qui est méchant sans raison. Il m’arrive de recevoir un coup, gratuitement, pour rien. Les hommes ne veulent pas que les animaux traversent leur jardin ni qu’ils entrent dans leur maison. Ils sont hargneux, ils ne connaissent pas la bonne méthode pour vivre avec les autres en harmonie !
La chatte change de trajectoire et essaie de passer très loin. Elle a quand même décidé de se faufiler par ce chemin. Elle peut retourner par-dessus le mur mais elle ne veut pas montrer qu’elle a peur. Quand même, c’est son territoire, non ?
Aînesse recule en faisant mine de chercher quelque chose par terre. Il n’y a rien. Il fait froid et les animaux hibernent. Ce tour de jardin, c’est un peu de sport pour elle. Rentrer à la maison mais par l’autre côté. C’est pour ça qu’elle fait le tour vers le jardin de derrière.
Moi, l’homme à la fenêtre, je suis une personne ou un animal nouveau sur son territoire. Elle, c’est la première chatte que je vais connaître dans ce quartier. Elle est l’unique et la seule visible. Peut-être qu’il y en avait d’autres qui se promenaient sans que je m’en rende compte ou la nuit quand je comptais les étoiles dans mes rêves.
— Aînesse, dit Violette ! La chatte du voisin.
C’est comme ça que j’ai fait sa connaissance.
— Bonjour la belle Aînesse !
Mon premier chat de France ou d’Europe. C’est tout à fait différent pour moi car auparavant, je ne les voyais qu’à la télévision ou au cinéma comme héros de films.
Je dis bien comme héros, ce sont des chats-rois, pas comme ceux de la société orientale. On ne trouve pas de quoi nourrir un humain, alors un chat… Il faut être un ange pour se comporter ainsi avec eux.
La chatte ne s’approche pas de moi, pas plus que les voisins qui ne fréquentent pas quelqu’un de nouveau dans le quartier ! Même ceux qui sont là depuis des dizaines d’années ne se connaissent pas les uns les autres. Alors quelqu’un comme moi, de si loin, ne plaît pas.
Je suis venu ici sur invitation, sinon je ne l’aurais jamais fait. Et ça me plaît même si j’ai quitté un pays très cher à mon cœur. On peut vivre au Maroc avec tout et rien quand on est démuni. Mais en Europe et surtout en France, on rencontre des difficultés à vivre, même avec cinq fois le salaire d’un fonctionnaire marocain.
Quand on le révèle à un Marocain, il ne croit pas ! Il nous
traite de menteurs ou de racistes arabes, car il pense qu’on ne veut pas de bien pour les Maghrébins ou les gens de son pays. Ils croient qu’en venant en France, on devient milliardaire !
C’est ce qu’il voit dans les films d’Occident qui arrivent comme un orage pluvieux dans les pays du Maghreb. Comme les pays d’Amérique considérés comme des îles de fortune.
Mon frère, dès son enfance, donnait un exemple à la famille.
— En Italie, on guide les vaches avec des Jeeps 4X4 dans d’immenses près !
Il ne voulait pas s’occuper des vaches au Maroc, mais en Italie. Il se moque de garder les vaches tant qu’il y a les 4X4 qu’il aime. Même s’il voit les westerns et la souffrance des Mexicains et des Américains derrière leurs troupeaux et les balles qui leur sifflent aux oreilles…
C’est la voiture qu’aiment les voyageurs fortunés et c’est ce qui plaît en France. Mais en réalité, même les Français de souche ne peuvent plus avoir facilement de voitures. Tout est cher comme au Maroc.
On revient aux bêtes ! Je pense à tout ça et je suis toujours debout devant la fenêtre à regarder la chatte qui fouine encore. Elle y passe du temps, Ainesse.
— Peut-être a-t-elle trouvé un rat à manger ? dis-je.
Quand un chat trouve un rat ou une autre bête à grignoter, il peut y passer la journée. Il n’a rien d’autre à faire. Son repas frais du jour est là, devant ses yeux, pourquoi chercher ailleurs ? Comme le fait l’homme cet animal si bête ? Devant lui, des plats mais il regarde ailleurs, il ne veut pas que les autres mangent. Bizarre cette façon de se comporter. Même les animaux qui vivent instinctivement ne le font pas. L’homme, la plus intelligente des espèces, ne veut pas, non plus, que d’autres mangent… Il veut tout garder pour lui. Comme s’il avait peur d’une guerre. Et quand la nourriture ramassée et entassée pourrit, il la jette dans la poubelle. Content de lui ! L’humain qui n’en porte que le nom.
Les animaux se respectent l’un l’autre, quand ils mangent. Chacun son tour. Même sexuellement. Le plus fort d’abord puis le faible pour la préservation de l’espèce. Chacun son tour et personne ne reste sur la touche. La république, la république ! Le partage !
L’homme est jaloux de voir les autres posséder autant que lui. Il veut saisir ce qui est dans la main des autres qu’ils ne soient pas aussi heureux que lui.
— Hé ! Voilà la chatte qui fouille dans la terre. Elle creuse. Je ne l’ai pas vue faire ses besoins ! Une scène m’a échappé ou quoi ?
Du tout. Elle a senti quelque chose d’odorant et elle veut s’assurer que c’est quelque chose d’appétissant à manger. C’est ce qu’elle cherche toute la journée. Elle n’a qu’un tout petit estomac et elle avale de fines bouchées.
Un grand bruit. La chatte s’assied et attend un ennemi. Elle se croit attaquée par quelque chose qu’elle n’a pas vu venir alors elle se met rapidement en position d’attaque.
— Ne t’inquiète pas, mémère ! C’est le voisin Bouboud qui fait du bruit en passant, comme d’habitude. Quand il circule dans son jardin, c’est comme une brouette rouillée. Tout le monde en profite et l’entend. L’homme marque son territoire bruyamment. Surtout Bouboud !
Elle est restée aux aguets le temps de s’assurer qu’il n’y a pas de risques.
— Pas de danger ! dit-elle. Ce n’est rien, alors je continue ma balade.
Les animaux ont peur des coups qui peuvent arriver plus que de ceux déjà reçus. Ils ne savent pas calculer le niveau du danger ! C’est comme ça que se cumulent les expériences qui leur évitent de tomber dans le même piège.
Comme elle a entendu quelque chose de menaçant, elle décide d’arrêter de fouiller et de filer plus loin. Il ne faut pas perdre son énergie. S’attacher à ce qui est facile sans y mettre toutes ses forces.
L’homme fait l’inverse. Il cherche la difficulté, il se mesure toujours à la nature, sans prendre de précaution. Comme si son rôle sur terre c’était de réaliser des exploits, les dix commandements d’Hercule.
Cette chatte était ou apparaissait seule dans le quartier, elle, la maîtresse des lieux. Elle passe d’une maison à l’autre, d’un jardin à l’autre. Elle saute les murs et entre par les portes. Je ne l’ai jamais vue grimper aux arbres, comme le chat Fiston qui possède les gènes de sa mère, la Fille et de son père, le gros chat tigré.
— Mes maîtres se lèvent tôt ! dit Aînesse. Ils partent à leur travail tous les jours. Je me lève en même temps qu’eux et je prends mon petit repas du matin. Quand ils sortent de la maison, ils me câlinent puis au revoir et ils prennent leurs voitures. Avant j’utilisais une chatière quand je voulais retourner chez moi manger une petite collation. Maintenant, ils déposent mon casse-croûte dans mon plat, devant la porte et quand j’ai faim, je n’ai qu’un pas à faire pour avoir le ventre plein puis je fais le tour du jardin et des maisons aux alentours. Il y a dans la maison voisine, Violette, une gentille femme. Elle m’appelle toujours par mon prénom et me fait un câlin, quand mes maîtres sont absents. Si je me sens en danger et que j’ai besoin de me rassurer ou d’être protégée en confiance, je vais chez elle.
La chatte marche avec précaution, un pas après l’autre et regarde qui l’observe derrière la fenêtre. Lui ne bouge pas, comme une statue. Il regarde, il ne salue même pas, pour ne pas effrayer le chat, un être vivant qui a le droit d’avoir son espace et de vivre en paix, c’est la loi. On est en France !
Le tour est terminé et la chatte se retrouve devant sa maison. Elle est passée sous le portail. Un trou aménagé pour le passage des petits habitants du jardin.
Dès que la chatte sort, elle se glisse sous la voiture en stationnement. Ce n’est pas la voiture de son maître, mais elle la connaît, c’est celle des voisins. Elle n’a pas à avoir peur, elle si attentive aux passants et aux gens qui sortent de chez eux et qui démarrent leurs moteurs. Quand elle sent le danger, vite, elle se met à l’abri. Elle file dans son jardin à la vitesse de la lumière. Les voitures ne plaisantent pas et le bruit du moteur est si puissant. Il fait vibrer ses tympans si sensibles.
Heureusement, ses maîtres viennent pour déjeuner. Elle ne reste pas seule, tristounette, à avaler ses croquettes. En compagnie, elle a un appétit d’ogre, elle mange sans compter.
La chatte Aînesse occupe sa journée à faire le tour du domaine. Ce n’est pas une aventurière. La plupart du temps, elle se pose sur le mur de ses maîtres ou dans le jardin. Quand elle veut changer, elle s’aventure chez nous.
— Les gentils voisins ! dit-elle.
Elle connaît bien le moment où ses maîtres reviennent et elle est contente de les retrouver sur un appel.
— Miaou ! dit-elle avec douceur.
C’est comme ça qu’une petite boule de poils attache le cœur de l’homme. On s’habitue à sa présence et elle devient de plus en plus nécessaire à l’existence et indispensable au confort personnel.
Elle reste à distance et attend l’arrêt du moteur. Elle n’est pas folle, elle est habituée à la vie citadine. Après l’ouverture de la portière, elle se présente à son maître en lui faisant une caresse aux genoux.
— Mon maître, je suis très contente de te voir.
Elle sait surtout que sa gamelle sera pleine et qu’elle va goûter des choses meilleures que des rats.
Dans mes souvenirs, le quartier était vide de vie animale sauf cette chatte et deux chiens. À droite, il y a le chien de Bernard. Un épagneul breton fauve orangé et blanc, dressé pour la chasse. Il aime accompagner son maître pour des balades en forêt.
Bernard était un ancien militaire qui avait changé de métier après la Deuxième Guerre mondiale.
Il avait un permis de chasse et le matériel nécessaire à cette activité. Deux fusils accrochés sur un râtelier, en décor dans le salon, pendant la fermeture de la chasse. Le chien est souvent enfermé, par choix, quand son maître est à la maison. Il sort de temps en temps au jardin et là il court autour de la maison et joue avec ses petits jouets, des balles et des os en caoutchouc.
Quand il est essoufflé, il cherche s’il y a un chat autour de lui ou un passant. Celui-ci, dans ses pensées, fait un bond quand il entend le chien aboyer et sauter à la barrière. Le grillage mesure à peine un mètre, l’homme croit que le chien va lui arriver à la gorge !
Quand Bernard et sa femme sortent et que le chien ne peut pas les accompagner, il commence à faire le cirque pour les voisins, même ceux qui sont éloignés.
Le chien pleure. Il hurle à la mort comme un loup. Il réveille ceux qui dorment et casse la tête aux autres. Les malades ou les travailleurs de nuit, qu’ils se débrouillent pour trouver une maison à la campagne ou en pleine forêt car c’est impossible de supporter un chien comme ça.
Les amis acceptent des dizaines de fois. Les maîtres ne se rendent même pas compte de la gêne ou alors ils font semblant de ne pas l’entendre ou ils l’ignorent.
Il faut faire avec et on est envahi chez soi par un animal si énervé.
La pauvre voisine Violette est parfois obligée de sortir consoler le chien ! Elle commence à l’appeler par son nom et le caresse pour qu’il se calme. La dame n’aime pas entendre les animaux pleurer et elle a pitié de sa souffrance, légitime ! Mais en même temps, elle ne supporte pas le bruit et les cris tout le temps, chaque jour et parfois la nuit.
Même quand les maîtres pensent à laisser le chien enfermé dans la maison, au lieu d’être libre dans le jardin, le chien ne cesse d’aboyer. Toujours plus fort et les voisins entendent toujours le même cinéma.
Violette explique gentiment aux voisins qu’il leur faut consoler le chien.
Elle informe au début puis les choses deviennent difficiles pour elle et les maîtres. Ils ne peuvent pas faire grand-chose. On ne se débarrasse pas facilement d’un chien… Quant à le faire taire, s’il n’y est pas éduqué…