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"Disparition inquiétante à Rio de Janeiro" est un roman policier qui transporte le lecteur de la France au Maroc, en passant par le Mexique et le Brésil. Entre suspense haletant, jungle exotique, présence inquiétante d’un cobra, personnages attachants et individus sans scrupules, l’histoire promet une immersion palpitante dans un monde où rien n’est ce qu’il semble être.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Professeur de littérature arabe,
Abdelkarim Belkassem excelle dans deux domaines artistiques : l’écriture romanesque et la musique classique. En tant qu’oudiste au sein d’un orchestre arabo-andalou et ténor en chant arabo-andalou et oriental, il incarne la fusion harmonieuse de ses deux cultures. Sa vie est tout entière consacrée à la rédaction de romans et d’essais.
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Abdelkarim Belkassem
Disparition inquiétante
à Rio de Janeiro
Roman
© Lys Bleu Éditions – Abdelkarim Belkassem
ISBN : 979-10-422-4028-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
– La Marche des Harraga – Éditions ThoT, 2016 ;
– Amina Zouri, une histoire du Maroc – Éditions ThoT, 2018 ;
– La Mémoire de Saghir – Éditions ThoT, 2019 ;
– Un Chirurgien à New York, thriller – Le Lys Bleu Éditions, 2019 ;
– Thomas Sif Espace, science-fiction – Le Lys Bleu Éditions, 2019 ;
– Mythomanies, roman jeunesse – Le Lys Bleu Éditions, 2019 ;
– L’énigme du Hameau – polar – Le Lys Bleu Éditions, 2019 ;
– Dictons de Jaddati et expressions populaires du Maroc – Le Lys Bleu Éditions, 2019 ;
– Deux Chats et les Hommes – Le Lys Bleu Éditions, 2020 ;
– Le Lycée sans foi ni loi– Éditions Thot, 2020 ;
– Maroc, les oubliés de la guerre 39/45 – Le Lys Bleu Éditions, 2020 ;
– La Sagesse des chats – jeunesse – Le Lys Bleu Éditions, 2020 ;
– La Bête et le Boss – Éditions ThoT – Polar/Prix du polar ABCD, 2021 ;
– Arthur, la Seine, Violette et moi – récit – Le Lys Bleu Éditions, 2021 ;
– La Seine des crimes – polar – Le Lys Bleu Éditions, 2021 ;
– Le portier des chats – Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;
– Le joueur d’oud – Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;
– Atlas, le cinéma d’Hamid – Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;
– Léo, mon petit chat doré – Le Lys Bleu Éditions, 2023 ;
– L’inspectrice et le tueur au bois dormant – polar – Le Lys Bleu Éditions, 2023 ;
– Zahra, fleur des montagnes de l’Atlas – Le Lys Bleu Éditions, 2024 ;
– La vie du douaz, faire passer – Le Lys Bleu Éditions, 2024.
Un jour paisible de Saint-Valentin, James se repose avec sa femme dans leur maison. Ils ont tout organisé pour vivre cette fête avec bonheur. Le temps du souvenir et de la nostalgie.
Il a la soixantaine ainsi que sa femme, mais elle paraît moins âgée que lui. Ce qui lui plaît bien, car, c’est bien connu, les femmes aiment rester éternellement jeunes !
James et Samantha viennent de France, mais lui est d’origine marocaine et elle, du Royaume-Uni. Ils se sont connus sur les réseaux sociaux, que les personnes sérieuses ne fréquentent pas, habituellement. Il est prudent de se méfier de ceux qui communiquent derrière un écran. On peut y côtoyer n’importe qui !
Une laide qui tente de draguer de jeunes gars « beaux gosses », parce qu’elle n’y arrive pas autrement. Elle s’imagine que si un homme devient amoureux, il ne la quittera jamais, même s’il n’apprécie pas ses traits, sur lesquels il s’est trompé.
— L’amour n’est qu’un mirage. Les hommes cherchent de l’eau dans le désert. Ce qui est réel est en toi, ma fille ! C’est vrai que nos fantasmes ne se réalisent pas par amour, mais il faut au moins un minimum social, répète la fille pour contrarier sa mère.
Elles sont toujours en conflit depuis que l’adolescente a commencé à devenir féminine après l’enfance.
— Serait-elle devenue jalouse de moi ? s’interroge Samantha.
La mère n’a jamais été en rivalité avec sa fille dont le physique est loin d’être parfait avec ses dents proéminentes non redressées en temps utile et son fessier trop rebondi. N’est pas Sophia Loren et sa beauté cinématographique qui veut !
La mère a toujours cru que sa fille ne serait pas attirante. Elle essaie de lui donner confiance pour trouver un homme qui l’épousera, même quelques mois…
James ne s’intéresse pas au physique. Il veut une femme fidèle, admirable et qui l’admire lui aussi et l’accompagne dans les difficultés de la vie, comme celles qu’il a vécues depuis son plus jeune âge.
Il est issu d’une famille très pauvre qui vivait dans une demeure troglodytique dans les montagnes du Rif marocain. Berbère du nord du pays, comme l’appellent ceux qui le connaissent intimement.
L’idée de quitter la France pour s’installer au Brésil leur est venue comme un rêve. Les époux ne pensaient pas initialement s’éloigner de leur belle villa construite à la naissance de leurs enfants. Trente ans après, à l’âge de la retraite et du repos, l’envie de renaître, dans une deuxième vie les a poussés. Avant que la mort mette un point final à cette expérience qui laissera, peut-être, ses empreintes sur les pierres.
James est un homme d’une grande simplicité. Sans exigence dans la vie. Tout ce qu’il trouve à manger est bon pour le remplir et cesser de souffrir de la faim.
Samantha, par contre, aime la gastronomie et les nouveautés culinaires pour varier de la routine du quotidien.
Parfois, James se sent gêné par ce qui brusque sa nature et l’oblige à réfléchir, parce qu’il apprécie le calme et tout changement l’angoisse. C’est venu de son enfance durant laquelle, avec ses frères et sœurs, ils se trouvaient toujours confrontés à l’inconnu. Au jour le jour, ils attendaient ce qu’il adviendrait. Ils craignaient l’avenir sans pouvoir solliciter d’aide ni s’assurer une vie paisible.
James vivait avec sa famille l’angoisse de ne pas pouvoir déjeuner ou dîner, certains jours. Dès le quinzième jour du mois, ils se contentaient d’une soupe quotidienne.
Il se souvient encore de l’acidité de cette soupe due à la quantité de tomates que sa mère y écrasait pour que ses enfants croient manger quelque chose.
Elle remplaçait la viande et autres ingrédients nourrissants que la famille ne pouvait pas s’acheter.
Au régime, alors que la nourriture était bénéfique et nécessaire aux adolescents en plein développement physique et psychique.
Quand James a su que la tomate est insuffisante pour la croissance, il est tombé de sa chaise !
Il a compris qu’il se sustentait essentiellement avec de l’eau et du piment doux.
Parfois la mère, pour changer un peu, ajoutait des mzaouad, des piments forts.
Le lendemain, James ressentait des difficultés, car le piment ralentissait durablement son transit… Une souffrance que James reconnaissait dans les films chinois où les personnages aimaient le piquant de ce légume infernal.
James ne voulait rien de tout ça !
Des souvenirs insupportables l’ont poussé à agir pour oublier son passé. Dès son installation en France, il a changé de prénom et de nom. James lui évoquait son héros d’enfance hollywoodien, James Stewart, avant même de demander la modification de sa nationalité et son état civil au tribunal.
On ouvre grand les yeux quand on l’entend :
— Je me prénomme James ! affirme-t-il avec une grande fierté.
On croit qu’il joue une pièce théâtrale apprise pas cœur. C’est exactement ce qu’il fait. À chaque scène de l’acteur, son héros, à la télévision ou au cinéma, il répète les paroles du scénario ! Notre Marocain n’est pas anglophone malgré son amour pour les acteurs américains. Son anglais est déformé et sa femme le critique à chaque fois.
— Tais-toi ! Je ne comprends rien de ce que tu dis. Tu prononces mal ! Moi-même, je lis c’est tout. Les différents accents sont difficiles, surtout quand la population parle comme une machine plus rapide que l’avion-Rafale français.
James fait du mieux qu’il peut ! On ne peut pas parler de milliers de langues du monde avec une prononciation impeccable.
Communiquer avec des personnes de cultures variées est une grande qualité qui n’est pas donnée à tout le monde.
Quand James est arrivé en France, il a cherché du travail. Il n’a pas attendu les aides sociales, comme le font parfois des immigrés de toutes les régions du globe. Si on goûte au repos et à l’argent facile, on ne peut plus faire l’effort de gagner sa croûte laborieusement en se levant très tôt le matin.
Des milliers d’étrangers sont sans abri et sans ressources parce qu’ils ont cru qu’avec des aides, ils pourraient vivre – enfin – paisiblement, en France.
James n’a rien à perdre. Sans référence d’employeur, tout ce qu’il pourra trouver comme travail, lui conviendra. Il a rejoint ses compatriotes marocains travaillant dans le bâtiment. Des maçons, carreleurs, électriciens, plombiers et autres sont embauchés sur des chantiers de construction. S’ils ont un autre métier, ils créent une affaire et utilisent eux-mêmes de la main-d’œuvre.
Dans un quartier populaire de banlieue, un restaurant turc sert de lieu de rendez-vous. James décide de s’y rendre, car beaucoup d’étrangers le fréquentent et alors il peut côtoyer des personnes avec qui parler librement, même dans en dialecte du bled.
Des Marocains, des Algériens, des Égyptiens, des Tunisiens… même de l’Asie, des Afghans, des Pakistanais, des Indiens et des Chinois, entre autres.
Paris est la lumière qui attire les papillons !
Parfois en s’approchant trop près de l’incandescence de la lampe, ils se brûlent les ailes, reçoivent des décharges électriques qui les jettent à terre ou qui les collent au verre invisible, mais dangereux.
Quand on vient à Paris, sans expérience et sans protecteur, on se cogne à la vie méconnue. C’est la mort, assurément. Mais pour un étranger comme James, le faux français, comme il le fait croire, personne pour vous montrer le chemin, ni vous abriter du froid !
On ne réalise pas, comme James, que l’hiver est vraiment un assassin, comme le venin d’un cobra royal du désert marocain ou pire, d’Inde.
On ne résiste pas des heures dans le gel, à -15 °C.
Au Maroc, James a connu la neige, à la télévision ! En la voyant, dans un film pourtant enflammé, James avait déjà froid et se mettait à trembler.
Alors il s’est retrouvé sous la neige tombant du ciel, comme la laine d’un mouton sous les cisailles du tondeur. La première fois, il se croyait dans un rêve ou un cauchemar, au Pôle Nord ou en Sibérie.
James se souvient d’un jeune de son village qui lisait « Blanche-Neige ». Ce qui lui est resté en mémoire c’est que cette Blanche était un ange qui l’a accompagné toute sa vie ! C’est la troisième femme de sa vie, après sa mère et sa femme. Collée à lui, pas une épouse secrète, elle vit dans son paradis imaginaire et personne ne la voit ni ne l’entend. Une vision personnelle et unique toute à lui.
Adolescent, James parlait avec sa Blanche-Neige en tête à tête. Sa mère croyait qu’il avait perdu la tête !
Elle l’écoutait, cachée derrière la porte, pour comprendre ce qu’il disait et qui était son interlocuteur. Elle croyait qu’il avait des rendez-vous avec une fille du voisin sur la terrasse de toit.
Elle l’avait mis sous surveillance et voulait recevoir les parents, affirmant que leur fille serait enceinte et que James est le coupable.
Au bled, on n’arrive pas les mains vides pour ces faits-là. Avec des bâtons ou des feuilles de boucher brandis avec colère. On communique ensemble si le sang coule et l’honneur de la famille est sauf !
Bien sûr, les choses ont changé dans son Maroc, mais James reste toujours en alerte ! La société devient de plus en plus violente où personne n’a rien à perdre. Sans crainte des policiers ou des gendarmes qui eux aussi reçoivent des coups de voyous.
C’est une des causes qui a favorisé sa décision de quitter son beau pays. Pour lui, le paradis c’est le Maroc et, depuis sa naissance, il n’a rien vu d’autre !
Un jour, à un touriste américain en visite, James fut fier de dire :
— La nature est très belle au Maroc !
Le touriste lui a répondu :
— La nature, aussi, aux États-Unis !
James fut surpris par la réponse de l’Américain. Il ne connaît ses états que dans les films sur les gardiens de vaches, les cowboys !
Il regardait aussi des films policiers qui se passaient à New York, son amour ! James aimait beaucoup cette ville et ses hauts buildings ainsi que les routes sans fin, longues et larges à travers le continent sur des milliers de kilomètres du nord au sud et de l’est à l’ouest.
À ses débuts à Paris, il a passé des jours et des nuits de misère comme tout étranger africain. James avait entendu parler de la capitale, mais la réalité l’a choqué. De jeunes clandestins demandent la charité ou un croûton de pain. Pire qu’au Maroc !
Quelle honte pour la France, ce pays riche !
James avait cru fuir la misère, il a découvert la vérité.
Toutes les règles ont changé, les codes ne sont pas les mêmes. Tout se vend, même la chair humaine. Rien n’est gratuit.
Bien sûr, au Maroc, il y a la pauvreté, mais on rencontre toujours quelqu’un qui donne sans attendre de retour. Il cherche son paradis, uniquement, et rien de matériel.
En France, on croit que l’éden c’est ici et maintenant, dans cette vie sur terre. On pense qu’après la mort, c’est le néant. Il faut vite prendre ce que l’on peut avant de quitter définitivement ce monde.
James a vécu caché durant un moment, comme un chien sans maître. Les animaux domestiques sont entourés à Paris et les hommes n’ont pas la même chance.
Lui est venue l’idée de changer de nom.
— Je m’appelle James !
Il vit dans l’imaginaire, celui de James Bond, le héros de son enfance dans les années 1980.
Cela fait une éternité et d’autres héros ont remplacé James l’Anglais ! Malgré tout, il reste un exemple surtout quand on est étranger. James Bond l’espion, sans revolver ni autorisation de tirer.
James ne cherche jamais de bagarres ni de larcins. Il veut vivre honnêtement et en paix.
Si les choses ne lui conviennent pas, il cherchera ailleurs ou il attendra que le destin lui offre une chance de se sentir vivant dans ce monde mortifère. Chacun pour soi et Dieu pour tous ! Mais où se trouve Dieu ?
— Il n’est nulle part… Les cœurs sont vides ! Tous finissent par tomber malades de plaisir. Trop, c’est trop ! dit James à voix basse.
Il n’a pas le droit de parler, lui, l’étranger, comme on l’appelle ! Même avec sa nouvelle identité, James !
Il a fini par oublier son prénom de naissance.
— Peu importe ! James, c’est James et c’est moi.
Une petite colline près du périphérique est encerclée par trois ou quatre voies routières, comme emprisonnée par un filet de pêche, au fond de la mer. Des clandestins sont installés sur un îlot de misère, étranglé et hors du temps.
James est obligé d’y séjourner quelques semaines parce que manque d’hébergement. Avec le bouche à oreilles, les sans-papiers se posent dans cette prison à ciel ouvert.
— Un bout de terre de France ! dit James, se moquant de la vie paradisiaque à laquelle il pensait.
La France, le pays des richesses, des droits de l’homme et de la liberté est très éloignée de cet enfer qui « accueille » ces pauvres hommes !
La saleté et les vieilles hardes qu’ils portent les montrent comme des animaux maltraités.
Ces derniers, en France, ont plus de droits qu’un clandestin d’un autre continent.
Pourtant, au temps de la colonisation, James le Marocain était un citoyen français. L’état a même voulu faire de l’Algérie, pays arabo-musulman, une France en Afrique et comme au Maroc, les Français n’ont pas choisi de repartir volontairement !
Ils ont été chassés par le baroud, la poudre et le fusil, comme disait le grand-père de James.
Dès sa première journée, il est cornaqué par un des habitants de l’île urbaine. Les travailleurs qui se rendent à l’usine ou sur les chantiers passent tout près d’eux sans les voir. Ils sont devenus invisibles de pauvreté et de rejet.
Certains les enjambent et les insultent. Ils pensent qu’ils sont la cause de la saleté qui sévit à Paris et en région parisienne.
Ils ont choisi la capitale parce qu’ils ont cru y trouver une ville multiculturelle. Qui n’admire pas Paris et son histoire ? La destination de rêve des amoureux de voyages de découvertes. Le paradis sur terre ! Un chef-d’œuvre artistique et un art de vivre.
Il l’est toujours, mais le racisme a aveuglé les hommes et les a poussés à nier leur appartenance au monde.
Les cœurs sont asséchés et la conscience s’est évanouie. Partout la haine.
En vérité, Paris, aujourd’hui, est une victime.
James ne ressemble pas aux autres clochards, ceux qui ont tout laissé tomber et qui n’attendent plus rien de la vie.
C’est un jeune sage et raisonnable !
Il n’est pas venu s’amuser et se détruire avec les drogues, lui, il veut travailler et faire quelque chose de sa vie.
On l’attend chez lui, au loin. Un jour, il fera le chemin du retour, comme il a parcouru celui de son exil ! Surtout ne pas montrer qu’il a perdu son temps, sans rien en faire.
Si, en France on ne voit que la trace de ses pas, au bled, on observe ce qu’il porte sur lui et apporte avec lui sans rien laisser passer ! Tout est sujet à moquerie et on attend que le cheval trébuche pour se gausser de lui et le maltraiter.
C’est une mauvaise habitude héritée de l’histoire sociale.
À son arrivée à l’île des clandestins, James n’a pas d’abri. Il passe des nuits sous la couverture du ciel avec la terre comme matelas.
De temps en temps, il se dégourdit les jambes pour ne pas trop ressentir le froid et la fatigue qui l’anesthésie.
Un des jeunes « sans papier » a senti que James est différent alors, il lui a proposé de dormir quelques heures dans sa tente. Certains ont des abris de deux personnes utilisés au moins par une dizaine d’hommes.
Sur l’île, les jeunes sont solidaires, y compris pour fumer le shit et renifler les drogues.
Quand il s’agit de poisons destructeurs, tous sont généreux, ils ne refusent jamais ou ils invitent eux-mêmes pour tenter de faire oublier les problèmes.
Ils sont ailleurs, mais leurs pieds sont dans la gadoue comme un coq qui chante les pieds dans la bouse !
Les jeunes gens, les vieux sans-abri et les femmes errantes sont toujours méfiants. De temps en temps, ils reçoivent la visite des policiers à la suite de plaintes contre ces groupes d’animaux, comme ils les appellent.
Les habitants du quartier disent qu’ils ne peuvent plus se promener paisiblement ni aller travailler sans être agressés par les occupants de la zone. Ils demanderaient la charité ou des pièces pour manger, alors que, réellement, ils monnaient avec des joints et des drogues !
— On ne reconnaît plus nos rues ! La ville a changé, râle un des locataires des bâtiments d’en face. Avant c’était une vraie ville et aujourd’hui, un marché aux bestiaux ! Ces gens ne savent pas ce que signifie le mot dormir ! Jour et nuit, ils circulent sous le rond-point ! On ne sait rien de ce qu’ils font ni ce qu’ils s’échangent… On dirait la place de la Bourse à New York. Ce qui les anime, c’est la drogue, comme de l’eau pour eux, même comme du sang ! Ils ne peuvent plus vivre sans ces toxiques. Ils nous provoquent quand nous les regardons à nos fenêtres et nous menacent de viol ! Ce sont des zombis, absents à eux – mêmes sauf quand ils cherchent du shit. J’ai contacté la police pour nous débarrasser de ces hommes des cavernes. Il faut qu’ils partent ! Nous ne sommes pas un pays occupé. Ces étrangers n’ont même pas de papiers. On ne sait même pas qui on côtoie et ils veulent faire leur loi. Ils croient que les droits de l’homme rempliront leur estomac. C’est la France qui les nourrit avec l’argent des citoyens honnêtes comme moi, travailleur toute ma vie ! Lève-tôt résistant. On n’est pas là, pour supporter ceux qui arrivent dans nos pays pour faire le bordel !
Celui qui l’interroge est un journaliste spécialisé dans l’immigration. James l’avait souvent vu interviewer des clandestins de la place ou des passants.
La plupart des quotidiens nationaux de droite luttent ensemble contre la clandestinité et ses étrangers.
Le témoin est un bourgeois d’extrême droite. Même en changeant de nom, pour se refaire une beauté et cacher ses défauts, le parti est identique. Les immigrés, dont les clandestins, sont leur pain, leur os à ronger.
Ils ont même camouflé cela en engageant des familles, de nationalité française, issues de l’immigration, pour laisser croire qu’ils ne sont pas racistes.
— Mais celle qui danse est reconnue, même si elle cache son visage avec le nikab, le voile ! dit James.
Nous sommes tôt le matin. Il fait très froid en ce jour d’hiver. Les policiers pourtant préparés et bien équipés ont eu du mal à émerger. Ils descendent de leurs véhicules blindés en grelottant.
Leur chef hurle pour donner l’ordre du rassemblement, avant de marcher rapidement vers les clandestins.
Dès qu’ils ont vu les voitures blindées de la police, celle des luttes contre les désordres et les violences, ils ont pris la fuite. Des fourmis humaines se séparent comme après une averse qui tombe dru.
Ils ne savent plus où donner de la tête ! C’est la panique.
Certains marchent sur les autres. Des malades sont bousculés par les fuyards puis par des policiers en ligne comme des chasseurs pour les empêcher de s’enfuir.
Les habitués ont réussi à s’échapper et les autres sont tombés dans la nasse. Arrêtés, ils sont chargés dans les véhicules, comme du bétail emporté vers l’abattoir.
Les uns contre les autres comme des sardines en boîte.
James est très calme, il n’a pas ni crié ni bougé. C’est sa première arrestation et il pense que, peut-être, la prison sera meilleure que la clandestinité sous le rond-point. Il y fera chaud, il mangera, au lieu de ressentir en permanence une faim de loup. Et sublime moment, il pourra prendre une douche.
Pour James, ce sera l’hôtel cinq étoiles, plutôt que la misère au Maroc !
Les policiers et les surveillants de prison sont très gentils et doux avec celui qui ne cherche pas de problème. Au moins, ils respectent les droits humains, pense-t-il.
Ce qui le surprend c’est que dehors, parmi les personnes civilisées, on se manque de respect, mais dans les commissariats et les prisons, c’est l’inverse. Cela donne envie d’y rester incarcéré.
Autant il a connu de dureté et de souffrances, autant son amour pour Paris ne l’a jamais quitté.
James s’est laissé emporter par les policiers. Il n’a pas résisté et s’est tu ! Ce n’est pas la première fois. Il ne participe à rien de mal, sauf de vivre dans un lieu habité par des personnes suspectes. La pauvreté est un crime, sauf que ledit coupable n’est pas à l’origine de la situation. La société porte la responsabilité de laisser vive hors de la dignité, des hommes comme des chevaux dans une écurie. Et encore…
Se rendre au centre de la police a pris des heures. Cette fois, c’est fini avec la police municipale et cette police nationale fera tout pour que les clandestins soient expulsés vers leur pays d’origine. Encore faut-il savoir lequel.
Des Afghans, des Indiens, des Égyptiens, des Syriens, des Irakiens, des Iraniens, des Marocains, des Algériens… ?
Le problème le plus extrême, c’est qu’ils n’ont pas d’identité.
Ils refusent leur pays natal. Ils veulent avant tout obtenir la nationalité française et vivre comme tout un chacun. En citoyens, comme ils le prétendent.
— Bof, la vie en France est réservée aux Français, dit James.
Il se souvient de ce que lui a dit un ancien camarade de rue.
— On dirait qu’on vit au début de la Grande Guerre sous le commandement du Führer. J’ai cru que tes ancêtres, les combattants marocains, les tirailleurs nous avaient débarrassés du fascisme au prix de leur sang. Mais là, en France, on voit déjà les œuvres des extrémistes.
Que le pur sang français ! Mais ce sang et la culture française ont toujours été le fruit du brassage de multiples civilisations. Ce Paris, sous nos pieds, était le lieu préféré du monde libre. Pourquoi l’enfermer aujourd’hui ? Chacun a le droit de se poser sur le sol parisien. C’est le patrimoine de l’Humanité tout entière et pas seulement celui des Français !
À chaque rencontre, James voit son copain de rue énervé et la tête chauffée par des comportements racistes. Il lui demande de baisser le ton et, mieux, de se taire.
— Tu vas nous conduire en enfer, mon frère ! Ferme ta gueule ! Cela ne sert à rien de les critiquer ni de dialoguer avec eux. Personne ne t’entendra. Ils sont sourds et mal voyants. Ils ne voient que le bout de leurs orteils !
Ils étaient, James et son ami, assis sur un banc au commissariat de police à attendre leur tour. Dans le bureau, l’inspecteur les interrogera et leur ouvrira un dossier, avant de les présenter au juge, très rapidement. Puis ils seront installés dans un avion et s’envoleront vers leur pays d’origine.
Un des policiers ne cesse de regarder les deux hommes chuchotant ensemble.
— Taisez-vous, sales cons !
Le camarade s’est levé avec une vitesse montrant la force de sa colère.
— Répète ce que tu as dit ! d’une voix amère.
Il sait qu’il prendra cher en résistant ainsi, mais il n’accepte plus les insultes et les humiliations sans réagir. Il aimerait mieux se suicider et créer une catastrophe au commissariat.
— Assieds-toi natine, odoreux !
— Qui est natine ? Approche, fils de pute ! Je vais niquer ta mère !
En réalité, il n’est pas Arabe, mais Roumain ! Il se trouvait sur l’îlot des clandestins pour fumer des joints et passer la journée avec les invisibles, comme il les appelle.
Le policier sort un pistolet à impulsions électriques et se dirige vers eux. Il les menace sans s’approcher, par peur d’être agressé.
— Asseyez-vous, sinon, je tire !
— Non, je ne n’assois pas ! Je n’ai pas d’ordre à recevoir d’une sale merde de flic ! dit le copain.
Il avance vers le policier tandis que James le retient de toutes ses forces.
— Non, non ! Arrête, laisse-le ! dit James.
Le camarade est parti dans son délire. Il refuse de reculer. Ses pieds jouent les pas d’un boxeur. Il avance le droit, puis le gauche, dans un deuxième temps. Le policier aussi a pris le rythme.
Les deux hommes montrent une colère folle. L’un fixe l’autre et ils se surveillent attentivement. Dès que l’un avance, l’autre recule. Le policier est entré dans le jeu sans le prévoir.
Leur esprit n’est plus là, leurs yeux sont rouges de colère et les fronts mouillés de sueur. Ils sont furieux !
De temps en temps, James crie sur son copain pour qu’il se calme, mais le policier est si décidé qu’il ne veut pas et laisser l’agent gagner la bataille.
Le policier avance et lui aussi ! Ils étaient à un mètre et demi de distance quand le policier décide de tirer.
Un cri remplit la salle du commissariat durant une seconde puis après, silence de mort !
Le jeune Roumain est tombé sur le visage. Il a fait quelques secousses de transes et arrête de battre des bras et des jambes.
Pas un bruit, personne ne bouge ni ne parle.
Les visiteurs regardent, les policiers aussi, mains sur leurs armes, dans l’attente des ordres du chef.
L’agent qui a tiré reste, lui aussi, immobile. Il sent qu’il a commis une bêtise alors qu’il ne réalise pas encore que le clandestin roumain est mort…
Le chef arrive rapidement appelé par un collègue. Il ne sait rien.
— Que se passe-t-il ?
— Rien, tout est sous contrôle, chef ! dit le policier.
Le commandant voit bien que le jeune homme ne bouge plus. Il s’approche de lui. L’homme, étendu au sol, est inerte et son corps commence déjà à se refroidir. Son cœur ne bat plus !
Le chef le retourne rapidement et commence les premiers gestes de secours.
— On va le perdre !
Il pratique un massage cardiaque et fait appeler le SAMU. Il faut vite agir, tout de suite.
Le policier se sent perdu et ne sait plus quoi faire. Il n’a jamais tué et il ne croit pas qu’un coup de pistolet électrique puisse donner la mort.
Quand il avait testé et donc reçu quelques décharges, il n’avait eu qu’une sensation de piqûre intense qui déséquilibre et immobilisée durant un instant.
James regarde son copain et regrette de n’avoir pu rien faire pour le sauver. Il est terrorisé et craint d’être victime d’un malentendu comme son camarade.
C’est une récente connaissance de quelqu’un de gentil, serviable et présent quand l’un des membres du groupe était victime de la vie.
Les pompiers arrivés rapidement posent un appareil sur le thorax du jeune. Les pulsations sont automatiques, une technique nouvelle qui donne plus de chances aux victimes. Les pompiers ne peuvent pas tenir la cadence manuelle plus de 30 minutes.
Le médecin de SAMU à la suite laisse entendre qu’il fera tout son possible ! Mais le diagnostic vital est dépassé. Il faudrait un miracle pour faire battre le cœur de la victime à nouveau !
Les sauveteurs ont continué leurs soins, refusant de baisser les bras. Le pauvre jeune homme ne doit pas à mourir à cet âge-là !
Il a encore des années devant lui au lieu de périr comme un chien.
De temps en temps, le médecin, à sa tête, demande à l’ambulancier d’arrêter pour qu’ils puissent vérifier les constantes vitales du patient et le maintenir au calme avant de l’emmener à l’hôpital.
L’urgentiste se demande s’il ne s’est pas trompé. Appeler un hélicoptère pour transporter le blessé plutôt que de le transférer en ambulance ?
Le temps est très précieux et plus vite le patient sera pris en charge par du matériel, plus vite cela lui permettra de vivre jusqu’à son réveil. S’il a la chance de dépasser le choc si violent !
Le médecin fait l’hypothèse que la victime souffre une pathologie ayant provoqué l’arrêt cardiaque. Être exposé à la décharge électrique n’est sans doute pas la cause de son état, car l’impulsion est très faible et n’est pas létale.
Les experts ont vérifié sur eux-mêmes, comme les policiers, la force du choc. Ce n’est pas mortel pour un humain sauf si le cœur est trop faible pour le supporter.
— Peut-être a-t-il fait un accident vasculaire cérébral ou une fracture, pense le médecin.
C’est un scientifique, mais il croit au destin. Certains peuvent être comme en état de mort avant de l’être réellement.
— Dans mon expérience, j’ai vu des blessures graves laisser penser que c’était fini, mais non, dit le médecin à son infirmier.
Par empathie pour leurs patients, des médecins pourtant non croyants prient pour que leurs malades soient sauvés.
— Je demande que ce pauvre homme se lève et marche, même si je dois croire à la survenue d’un miracle ! dit le jeune médecin.
Il doit avoir le même âge que ce clandestin roumain, mais il a eu la chance d’être encadré et mis sur le droit chemin, pour devenir ce qu’il est. Le jeune Roumain n’a pas eu ces opportunités. Il s’est retrouvé dans la rue, à subir des atrocités…
— Pas toujours, remarque l’infirmier, plus âgé et proche de la retraite. Parfois, des jeunes de bonne famille trouvent de l’or sous leurs pieds et utilisent la richesse pour détruire leur vie. Par leurs bêtises, ils s’engagent dans les mêmes galères que ce jeune malchanceux. Moi-même je suis orphelin et j’ai changé de nombreuses familles d’accueil. À 18 ans, j’avais un diplôme et un emploi. De quoi vivre dignement jusqu’à la fin de mes jours, sans problème. Le destin a mis la richesse entre nos mains et c’est l’homme qui la gaspille. Et ça, ce sont les paroles sages d’un expert de la vie !
Il termine avec un sourire moqueur. Il n’est pas un vrai expert, mais un simple individu qui a vécu tranquillement.
La vie est souvent plus compliquée même si on est compétent.
— C’est vrai, quelque chose nous dirige. La nature fait bien son travail et nous dépose des pierres précieuses dans les mains. Il faut s’en rendre compte et apprécier.
Quand le cœur s’arrête, on donnerait des milliards pour le faire battre ! Même moi, médecin, je ne fais que l’aider sans succès !
Cette discussion aide l’urgentiste à lutter en même temps qu’il fait tout pour redonner vie au patient. Ce médecin est très sensible et il ne réussit pas à mettre de la distance entre les victimes et sa vie privée. Il se voit toujours à leur place et ça, ce n’est pas opportun.
Il voit qu’on s’approche de l’hôpital et veut arrêter de parler avec son collègue.
— Dès que le blessé sera entre les mains des spécialistes, on fera une pause-café et on continuera à discuter. Je veux mieux connaître ton expérience maintenant que tu m’as ouvert ton cœur.
L’infirmier le regarde avec fierté. Qu’un médecin s’intéresse à lui le valorise dans la longue vie qu’il a passé à soigner les autres.
Avant même que l’ambulance ne s’arrête, le médecin ouvre la porte arrière et pousse le brancard. Des soignants attendent le patient dont ils ont bien reçu le dossier. Ils savent déjà quel protocole mettre en place.
Dans la salle de soins et après des examens cliniques, le cardiologue est pessimiste.
— Je vois que ce jeune homme ne s’en sortira pas, dit-il à l’urgentiste.
Celui-ci ne veut pas lâcher son patient et s’assurer qu’il ira mieux. Il commence même à prier.
— Sauve-le, tout puissant de l’Univers !
Les yeux du cardiologue brillent de larmes et montrent de l’inquiétude. Ce n’est pas bon signe, pense le jeune médecin.
Le cardiologue veut connaître la durée depuis le choc.
— Une trentaine de minutes !
— On continue un quart d’heure puis on arrête le massage.
— Combien d’injections d’adrénaline ?
— Trois et la quatrième, celle de son arrivée ici.
— C’est beaucoup ! Je ne crois pas que ce jeune homme récupérera. Son cœur s’est arrêté. Dans notre domaine, le miracle n’existe pas. Je suis désolé pour toi.
Des larmes, de grosses larmes coulent chez le jeune praticien. On dirait que le patient est de sa famille.
Le cardiologue commence à se sentir coupable de ne pas sauver la victime. Il ne veut pas faire souffrir son collègue, mais quand la mort arrive, nul remède…
— Pour en savoir plus, il faut faire une autopsie ! Allez, embarquez-le chez le médecin légiste.
Habituellement quand on est jeune et une bonne santé, nos corps et âme supportent mieux que lorsqu’on est âgé. Rien ne devrait casser un jeune homme, même les graves accidents de la vie.
Parfois, on ne peut rien faire si les évènements sont déjà écrits. On résiste, comme la chèvre de Monsieur Seguin contre le loup ! Mais la mort est plus forte que la force humaine et depuis les temps anciens, l’homme cherche un remède pour l’éternité, mais en vain.
Pour cela, il faut être un dieu, comme dans les mythes grecs ! La mort est le chemin vers l’éternité. On est Dieu que quand on est mort. C’est le paradis, quand l’homme ne souffre plus. Il est libre éternellement.
Le soir même, le médecin a des nouvelles du légiste :
— Ce jeune homme était en bonne santé, fort comme un ours ! C’est le policier qui a trop appuyé sur le taser. Le cœur, même en bon état, peut lâcher selon les chocs subis. Entre la vie et la mort, un mystère inconnu. Parfois, on en revient et parfois, non.
— Peut-être que ce jeune homme a trouvé la paix, celle qu’il n’avait pas à Paris, la ville des lumières !
Dès que le jeune Roumain a été arrêté par le policier et jeté à terre, par une impulsion de taser pour empêcher sa révolte, son camarade, James, lui, est maîtrisé et emmené en cellule. Ainsi, pas de témoin ! Mais la vérité ne se cache pas et tôt ou tard elle réapparaît comme le soleil au firmament.
Le commissaire est reparti dans son bureau, après avoir donné l’ordre au tireur de rester à proximité pour les besoins de l’enquête. Il aimerait s’assurer que la victime sorte de sa crise. Il ne sait pas encore qu’elle est terrassée et qu’il a rejoint le monde de la paix éternelle.
D’autres policiers ont l’ordre d’enquêter et de s’occuper de James.
Ils l’observent comme un singe dans sa cage et rient de sa position.
Au fond, dans un angle, il est assis comme un chien apeuré par les punitions de son maître et même affamé. Sa tête, de temps en temps, est cognée au mur par des coups insidieux et discrets. Les policiers feront croire que James est dans un état de stress suicidaire…
C’est un homme fort ! Sa vie au Maroc parmi les pauvres l’a rendu insensible à la maltraitance. Malgré tout, il reste un humain avec des limites et des faiblesses.
Ce qu’il voit depuis qu’il a posé les pieds en France le choque. Il commence à perdre espoir. Rien ne sera plus jamais comme avant ni comme il l’avait imaginé, au pays de la Liberté, Fraternité et Égalité ! Ce n’était qu’un rêve accroché à son imaginaire !
Il ne peut plus faire marche arrière et c’est la honte. Son seul moyen, c’est de continuer son chemin. Il ne voit pas, au bout de son tunnel, de point de lumière, mais il garde espoir.
De temps en temps, quand James relève la tête tout doucement pour voir de côté, un policier le guette. Celui-ci, parfois, l’interpelle.
— Hé, regarde-moi !
James répond à la demande pour ne pas risquer de violence. Il tourne son visage, yeux fermés pour éviter la forte lumière de la lampe dirigée vers lui.
— Ouvre les yeux, sale con !
James essaie, mais n’y arrive pas avec l’intensité lumineuse. Peut-être que le policier le fait exprès par sadisme ! Il pouvait allumer le plafonnier de la cellule pour voir clairement James. En fait, il lui met la pression.
— Je fais ce que je peux, Monsieur l’agent.
— Tu n’as pas à faire ce que tu peux, mais ce que je veux ! C’est moi qui commande ici et tu dois obéir à mes ordres !
— OK, Monsieur !
— J’ai entendu, mais je veux des actes. Ouvre les yeux ! Pourquoi les gardes-tu fermés ?
— Parce que je suis ébloui par la lumière.
— Je ne te crois pas ! Peut-être es-tu un criminel recherché ? Es-tu déjà venu chez nous ou dans d’autres commissariats ?
— Oui, Monsieur, mais pas comme criminel !
— C’est à moi de te juger et non à toi. Tu dois me dire qui tu es. Je constate que tu n’as pas été arrêté par hasard.
— Je n’ai pas de lieu où habiter et les policiers ont arrêté les clandestins !
— Les pires des criminels sont les clandestins qui peuvent être des espions, engagés par les ennemis de la nation.
— NON, s’il vous plaît, arrêtez tout ça. Je suis un pauvre, un misérable que la vie a obligé à quitter les miens. Je suis entre les griffes de la vie ou de la mort !
— On verra si tu racontes la vérité ! Vous êtes des experts du mensonge, on ne vous croit plus. On en a assez des problèmes avec vous ! Dis-moi de quelle couleur sont tes yeux ?
— Verts, Monsieur !
— Tu n’es pas du Maroc comme c’est inscrit dans ton fichier ?
— Si, je suis un vrai Marocain qui aime son pays !
— Je ne te crois pas. Les yeux verts ne sont pas caractéristiques des Marocains. Ceux que je connais ont les yeux marrons. J’espère que tu ne portes pas de lentilles qui modifient la couleur des yeux. Es-tu recherché pour un crime ou quoi ?
— Ne dites pas ces gros mots, Monsieur l’agent ! S’il vous plaît, je n’ai pas besoin qu’on me complique encore plus la vie.
— C’est toi qui me la compliques ! Je suis occupé avec tes bêtises au lieu d’attendre mes enfants à la sortie de l’école. Je passe mes journées et mes nuits ici à régler les problèmes, alors j’en oublie les miens.
— Je comprends votre frustration, Monsieur. J’espère que vous rattraperez le temps perdu au moment des vacances !
— Le nombre de clandestins qui arrivent chaque jour au commissariat ne nous laisse pas de temps libre. Sais-tu que je ne suis pas payé pour les heures sup' que je passe avec toi ? Je perds mon temps, ma vie et le bonheur de ma famille.
— Je suis désolé, Monsieur. Si c’est pour moi, vous pouvez prendre votre temps. Allez voir votre famille, j’attendrai ici !
— Tu me donnes des ordres maintenant ! C’est toi le chef du commissariat ? dit le policier, souriant jaune.
Il se détourne et part en courant. Il veut faire parler James tout en l’humiliant, mais quelqu’un l’appelle d’un des bureaux. C’est sûrement son camarade.
— Que fais-tu dans les cellules ? On a besoin de toi ici !
— Oui, je sais, mais j’étais occupé avec l’Arabe, le clandestin.
— Que veux-tu de lui ? Laisse ce pauvre tranquille.
— Ce sont les clandestins, dont des Arabes qui ne nous laissent pas tranquilles ! remarque l’agent raciste.
— Qu’est-ce que tu racontes ? On travaille avec des Arabes et des non-Arabes, on n’a que ça à faire. Ce n’est pas une perte de temps, c’est notre devoir. Mais dis-moi, qu’as-tu avec les Arabes clandestins ou non ?
— Notre président en Israël disait « Un Arabe bien est un Arabe qui est mort ! »
Le policier regarde son collègue choqué par ses paroles.
— Que dis-tu ? On est en France et non en Israël. Et ce n’est pas parce que le Premier ministre ou quelques sionistes disent « Mort aux Arabes », qu’on va le dire, nous aussi. Tu es en France, tu es un juif français et non d’Israël. On ne va pas s’approprier la guerre d’Israël et du Hamas sur la terre de France !
— Oui, mais le conflit entre Arabes et Israéliens dépasse les frontières, le temps et l’Histoire. Il est ancré dans la mémoire depuis le début de l’Humanité.
— C’est pour ça qu’il faut tourner le dos à cette inimitié gratuite et faire la paix. La vie est assez courte, alors passons-la heureuse. La guerre n’apporte que des malheurs et l’homme n’en a pas besoin. Il a assez de souffrances et de tracas.
— C’est un faux Arabe, il a les yeux verts !
— Et alors, il y a des milliers de Marocains qui ont même les yeux bleus.
— Mais pas lui. La couleur de ses yeux n’est pas en harmonie avec la couleur de sa peau.
— Tais-toi donc, la couleur peut changer en une seule journée ! Il suffit de séjourner au Maroc et après deux jours au soleil, tu deviendras Antara l’Arabe…
— Qui est Antara ?
— C’est un de leurs héros. Un poète classique à la peau noire ! Voilà, ce qui ne te plaît pas, la couleur de la peau.
— En plus, ils prennent les couleurs de nos yeux. D’où aura-t-il la couleur verte alors qu’il est descendant d’Antara comme tu le prétends .
— Et d’où a-t-on ces différentes couleurs, alors qu’on descend d’un seul père et d’une seule mère, Adam et Eve ? questionne le policier en se moquant du raciste.
— Ne me dis pas comme le Pape François que l’histoire d’Adam et Eve est un mythe qui n’a rien à voir avec la vérité. Voilà, comment on crée la polémique religieuse et qu’on imite Darwin. Il n’y a pas de Dieu, il n’y a que la nature !
— Je ne vais pas jusqu’à ce point-là…
— Tu es libre, tu vis en France, le pays de la laïcité. On entend chaque jour et c’est choquant, prétendre qu’une histoire est mythique et non une vérité. Je te préviens, il faut faire attention, car le Saint Coran, le livre sacré des musulmans dit, depuis 1400 ans que l’histoire d’Adam et Ève est vérité et que Dieu sait que c’est vrai. La mémoire est courte.
— Je ne crois pas au Saint Coran ni à l’Islam !
— Ce n’est pas grave Dieu a dit : « À chacun sa religion et il a demandé au Prophète d’être quelqu’un bien et de laisser les autres libres, et faire ce qu’ils veulent. Le jour de la Résurrection, Dieu jugera qui a raison ! C’est ça la vraie religion de l’Islam…
— C’est bizarre, on dirait que je suis devant un imam, alors que tu es chrétien.