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La vie de Zahra se déroule dans les majestueuses montagnes arides de l’Atlas au Maroc, un cadre où se mêlent bonheurs et malheurs surtout après un séisme dévastateur. Malgré les défis, Zahra incarne la résilience et la force de ces terres. Son récit captivant nous plonge dans une histoire poignante, ponctuée de succès et d’épreuves, mettant en lumière une héroïne extraordinaire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Abdelkarim Belkassem est écrivain et enseignant de littérature arabe. Il cultive également un profond amour pour la musique classique, étant un joueur d’oud au sein d’un orchestre arabo-andalou. Il participe en tant que ténor dans le chant arabo-andalou et oriental. Auteur d’essais, il s’adonne aussi à l’écriture de romans, créant ainsi un lien entre ses racines culturelles arabes et francophones.
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Abdelkarim Belkassem
Zahra,
fleur des montagnes de l’Atlas
Roman
© Lys Bleu Éditions – Abdelkarim Belkassem
ISBN : 979-10-422-2748-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur
– Deux Chats et les Hommes – Éditions Le Lys Bleu ;
– La Bête et le Boss – Éditions ThoT – Polar/Prix du polar ABCD 2021 ;
– La Marche des Harraga – Éditions ThoT ;
– Amina Zouri, une histoire du Maroc – Éditions ThoT ;
– La Mémoire de Saghir – Éditions ThoT ;
– Un Chirurgien à New York, thriller – Éditions Le Lys Bleu ;
– Thomas Sif Espace, science-fiction – Éditions Le Lys Bleu ;
– Mythomanies, roman jeunesse – Éditions Le Lys Bleu ;
– L’énigme du Hameau – polar – Éditions le Lys Bleu ;
– Le Lycée sans foi ni loi– Éditions Thot ;
– Dictons de Jaddati et expressions populaires du Maroc – Éditions Le Lys Bleu ;
– Maroc, les oubliés de la guerre 39/45 – Éditions Le Lys Bleu ;
– La Sagesse des chats – jeunesse – Éditions Le Lys Bleu ;
– Arthur, la Seine, Violette et moi – récit – Éditions Le Lys Bleu ;
– La Seine des crimes – polar – Éditions Le Lys Bleu ;
– Le portier des chats – Éditions Le Lys Bleu ;
– Le joueur d’oud – Éditions Le Lys Bleu ;
– Atlas, le cinéma d’Hamid – Éditions Le Lys bleu ;
– Léo, mon petit chat doré – Éditions Le Lys Bleu ;
– L’inspectrice et le tueur au bois normand – polar – Éditions Le Lys Bleu ;
À ma mère et à la famille de mon grand-père
originaires de la région d’Al-Haouz de Marrakech.
Zahra est le surnom de ma mère,
qui refusait son prénom, Amina, après la mort de mon père.
Elle ne voulait pas que quelqu’un d’autre la nomme ainsi,
ni Mina, diminutif donné par son époux Berbère
du Sud marocain.
Après le séisme qui a frappé la région d’Al-Haouz de Marrakech, dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023, je regardais les informations en boucle à la télévision quand le grand écrivain marocain en France, Tahar Ben Jelloun, invité de la chaîne, a répondu à cette question du journaliste :
— Allez-vous écrire au sujet du séisme au Maroc et sur la situation des Berbères des montagnes de l’Atlas ?
— Oui !
Cette idée, moi aussi, je l’avais déjà en tête pour honorer cette région, chère à mon cœur.
Bonne lecture
AB
Elle ne le sait pas et elle ne peut même pas le penser, Zahra, qu’elle naît dans un monde cruel où la nature est impitoyable pour les faibles. Pour survivre, il lui faudra faire de grands efforts et beaucoup de sacrifices, plus qu’ailleurs alors qu’elle a à peine quelques heures.
La mère a crié de peur et d’inquiétude avant d’entendre son enfant ! C’est la première chose que les parents attendent de leurs nouveau-nés ! Le cri, signe de vie.
À quoi sert-il quand on naît dans une obscurité totale, alors même que les petites lumières des étoiles sont affaiblies par les nuages qui couvrent les jours et les nuits ? Surtout en plein hiver, dans le froid glacial des montagnes de l’Atlas qui font frissonner de la tête aux pieds et où passer une nuit loin des siens met en danger.
Elle, elle n’a rien à craindre, puisque ses parents sont à ses côtés ainsi que les personnes qui les aident. Très généreuses, sculptées par la dure vie qui les a conduits à donner puis à s’en aller pour que d’autres continuent à exister.
Comme si le jeu de la mort est, chez eux, une roulette russe où chacun attend son tour.
Ils vénèrent la mort, puisqu’ils ne peuvent rien faire pour l’éviter. Pourquoi rester en vie et encore souffrir ? Vite, être en paix dans le repos éternel !
La difficulté pour ces hauts montagnards, c’est de quitter leurs bien aimés.
La mort n’est rien pour eux, ils la côtoient tous les jours et entendent parler d’elle par ceux qui parcourent les sommets. Ceux qui la fuient d’un côté mais la retrouvent plus loin, proches de la nature qui les émerveille depuis le berceau.
La mère a crié avant le petit. Elle ne sait toujours pas qui elle a mis au monde, fille ou garçon, peu importe.
La vie est très dure dans le petit village et tous sont solidaires. Ils vivent pour et par les autres et chacun se sent responsable du groupe.
On parle de maisons, comme des métaphores, car leur forme est semblable aux trous dans les montagnes, différente de celles conçues par un architecte. Une vie des temps anciens, loin des horloges de l’histoire. On dirait des habitants des cavernes des temps primitifs, à l’âge de pierre.
Le froid est un tueur silencieux quand la neige ensevelit les maisons et ses habitants, de son drap blanc. On dirait un linceul recouvrant l’Univers où on ne voit plus personne sous le froid immaculé et glacial.
La mère attend le cri qui n’arrive pas et s’inquiète pour le nourrisson plus que pour elle-même car dans son monde, on meurt en donnant naissance.
Les pistes reliant les villages de haute montagne sont très étroites. À peine assez large pour la moitié du sabot d’un mulet. Le pied d’un homme est plus large que le passage et il passe en s’accrochant à la paroi. Parfois, il se fourvoie en faisant confiance à une petite pierre ou à un bout de terre. Il croit qu’ils pourraient supporter son corps lourd des problèmes de la vie. Même léger, la montagne n’acceptera pas de le porter ni son porteur à quatre pattes.
On la dirait diabolique au point de refuser les hommes et même les mulets refusent la monte en courant de tous côtés pour rejeter la charge.
On s’attache à la vie pour que les autres ne meurent pas ! Rien ne retient, sauf les siens à qui on se doit de rester indemne.
On pense au héros des Grecs, Hercule, qui transporte la Terre sur son dos ou celui qui grimpe sur la montagne chargé d’une lourde pierre, qu’il finit par lâcher et tombe avec, puis recommence et s’écrase sous le rocher, pour l’éternité.
Une demi-heure est passée, sans qu’Hana ne compte le temps de sa souffrance.La naissance est accrochée en elle, sachant que dehors n’est qu’obscurité… Il est préférable de rester dans le ventre de sa mère, ce paradis où on ne supporte pas de poids.
Les femmes s’impatientent et parlent à la mère.
— Ne t’inquiète pas, il arrive. Un peu de patience, tout va bien.
La mère connaît ces paroles. Ce sont des mots vides de sens, qu’on dit à toute femme. De l’espoir, des rêves, comme on en vit dans la montagne de l’Atlas, si bien nommée.
Hana ressent sa mort qui arrive cette fois et elle craint pour son enfant.
Les femmes ont eu raison de lui conseiller la patience. Enfin, la petite est née !
Pour la mère, ce n’est pas un problème, les filles sont solidaires.
Le père, lui, aura un pincement au cœur. Il voulait un fils et ne sait pas quoi faire pour l’avoir.
Il n’est pas encore venu le temps de choisir un spermatozoïde qui engendrera un garçon plutôt qu’une fille.
Mehdi a besoin de bras pour le seconder car dans les montagnes, on vieillit très vite et il faut de l’aide. Quelqu’un qui veille sur le groupe des femmes, la mère, les filles mais aussi sur les hommes devenus incapables, les malades et les vieux.
La mère choisit rapidement un prénom, avant l’arrivée du père.
— C’est Zahra, Fleur.
Elle aime le prénom de la fille du prophète Mohamed, qui allie l’arabe et le berbère.
Pour faire plaisir à son mari, elle appelle aussi leur fille comme la grand-mère, Zahra et la petite aura plusieurs surnoms comme le veut la tradition.
Des femmes, à l’extérieur, vocalisent des youyous ! Les hommes s’embrassent et félicitent le père !
C’est le seul moment de joie dans le village berbère d’Al-Haouz. Les danses et les chants sont connus de tous et leurs rythmes célèbrent la vie !
On rit, c’est leur vrai caractère. Il sera toujours temps de pleurer.
— Zahra, Ya Zahra ! La fleur des sommets de l’Atlas, dit la chanson.
Ce sont des poètes, naturellement, instinctivement. Rien n’est interdit ici et quand la chaleur humaine monte, on oublie ce froid qui glace les os.
L’aube se pointe, le soleil se lève au bout de quelques minutes. Malgré tout, même avec la lumière, l’air pique. En hiver, impossible de bien réchauffer les maisons avec le bois ramassé pour une flambée en ces jours hivernaux.
Le chef de tribu se tient là, à la porte, avec le père enfin arrivé et quelques hommes du village. La naissance d’un enfant est une fête pour le douar.
La vie individuelle, isolée, éloignée des autres, comme celle de la famille de Zahra, est, en réalité, une vie de groupe.
Dans ces montagnes à distance des hommes de l’autre bout du Maroc, l’existence est solidaire et sociable. Plus que dans n’importe quelle autre région du monde. Très soudés comme d’habitude chez les Berbères qui sont tous cousins par des liens de sang ou par alliance. Et même si des descendants ne sont pas locaux ou si d’autres viennent s’installer loin de la vie urbaine, la religion joue un grand rôle et relie la chair et l’esprit des villageois.
Les étrangers qui s’intègrent au village sont rares. Ils apprennent rapidement la langue et adoptent les habitudes locales. Le dialecte est facile surtout quand on vit près de maîtres qui transmettent leur savoir oralement. Nul besoin d’avoir d’école, même si l’amazigh mérite d’être appris et transmis par des enseignants, comme toute langue vivante ou morte.
La vie des Berbères d’Al-Haouz est modelée par la parole et la communication. On se raconte les histoires des anciens et des contemporains. Des poèmes sont chantés et on danse ahwach, la fête, tous les jours.
Par le passé, ils possédaient leurs croyances et leurs dieux, comme tous les peuples primitifs qui ont colonisé les montagnes de l’Atlas et gouverné Marrakech. Cependant, dès l’arrivée des concurrents musulmans, les Berbères ont rapidement et facilement adopté la religion islamique et se sont attachés à Dieu, plus que les Arabes eux-mêmes.
L’histoire nous raconte les guerres entre les tribus berbères du Maghreb et les arrivants arabes de la péninsule d’Arabie saoudite. Durant plus d’un demi-siècle en conflit, avec Dihya, la reine des Berbères ou Al Kahina, la prêtresse de la région algérienne des Aurès et son chef militaire Koceïla. Dès que ces deux héros sont entrés en Islam, toutes les tribus berbères ont déposé les armes et ont suivi les consignes de cette nouvelle religion.
Depuis ce temps-là, les Berbères des montagnes sont devenus la base et la source des connaissances et la garde rapprochée de la religion islamique, soit par l’apprentissage du Saint Coran et de ses sciences soit par des maîtres et savants.
Des écoles traditionnelles existaient dans ces lieux et autour de la ville de Marrakech, y compris après la modernisation du Maroc et l’apparition d’autres sciences.
Les femmes se sont arrêtées devant la maisonnette. Des youyous joyeux retentissent. Sans rien voir, les hommes apprennent que l’enfant est né ! Une fille et que cette petite fleur rendra verdoyante cette montagne aride. Un jardin d’éden.
Le père ne dit rien ! Il sourit avant de laisser éclater sa joie, stimulée devant le chef de tribu et les autres hommes.
— Dieu vous a donné le meilleur, mon cher ! dit le chef à Mehdi, le père.
— Gloire à Dieu, on ne peut rien lui refuser. C’est lui qui donne et c’est lui qui prend tout ce qui nous entoure et nous sommes à lui.
— Que Dieu te préserve. Tu es un homme qui cède à son Créateur et qui le sert de toutes ses forces. En faisant des enfants, tu es au service de Dieu. Le Prophète a dit que celui qui fait naître et éduque trois filles entrera au paradis !
— Gloire à Dieu.
Le chef déclare que dès ce soir et pour sept jours, la fête se fera chez lui. Il veut être le parrain de cette enfant. Il la considérera comme la sienne et s’occupera d’elle en l’absence de ses parents et, pourquoi pas, même en leur présence.
Mehdi avait une grotte au sommet de la montagne. Un trou creusé par l’érosion et les tremblements de la terre qui surviennent dans la région, périodiquement.
Nulle autre où faire vivre sa femme et ses enfants.
Avant leur union, son épouse vivait dans une tribu de Bédouins nomades voyageant dans les régions.
À la mort du père de Mehdi et de ses oncles, lors d’une pandémie, il ne lui resta plus de famille. En arrivant dans le village, il a fait la rencontre d’une bergère gardant les moutons du chef. Elle aussi, orpheline, avait perdu ses parents et toute sa famille. Le chef de tribu l’avait gardée chez lui et donné du travail.
Dès la première rencontre, Mehdi voulut que cette jeune femme soit la mère de ses enfants.
Ils ont eu deux fils et, en ce jour, la jeune Zahra, la fleur de montagne.
Mehdi est pauvre, il ne mange qu’un repas par jour et il se lève chaque matin à l’aube pour chercher de quoi vivre.
Nomade, nul besoin de confort, juste un morceau de pain et de l’eau, qui, sur cette montagne aride, vaut de l’or pour ceux du haut de l’Atlas. Elle se déverse et se tarit à son gré.
Le nouveau villageois a su convaincre le chef d’accepter qu’il se marie avec la jeune Hana. Ensuite, il s’est éloigné pour s’installer plus près du sommet de la haute montagne avec sa famille.
Le chef de tribu, très généreux, lui a donné quelques chèvres et brebis et un mouton de grande qualité, qu’il adorait. Il considérait que sa fille adoptive le méritait car elle avait gardé le troupeau pendant plusieurs années, avec conscience et fidélité.
Malheureusement, une année très froide, terriblement inhabituelle pour les habitants de la région, a fait trépasser tout le cheptel mais sa femme, leurs deux enfants et lui sont saufs.
Ils ont décidé, après cet accident climatique, d’opérer un demi-tour et d’habiter une maisonnette, offerte par le chef. Puis, pour la deuxième fois, ils ont rassemblé leurs affaires et sont retournés là-haut habiter la même grotte.
Pour ne pas contrarier leur père, le fils aîné et son cadet sont restés au village auprès de leur grand-père adoptif, gardant le contact avec leurs parents, même quand ils ont décidé de s’éloigner, pour être plus indépendants.
Mehdi, le père de Zahra, est un homme libre comme le vent. Un voyageur, qui traverse les pistes d’un col à un autre, parcourt de très nombreux kilomètres là-haut sans descendre au pied des montagnes. D’une chaîne à l’autre jusqu’au désert marocain, de village en village sans passer par Marrakech ou autres grandes villes.
Ces lieux isolés, difficiles à parcourir en voiture ou en camion, nécessitent des moyens de transport avec des chameaux, qui supportent de lourdes charges dont des hommes malades ou trop vieux pour voyager à pied sur de longues distances, durant des jours.
Comme les bêtes, ils n’arrivent pas à passer les sentiers très étroits ou dans les passages ne supportant pas de poids.
Le couple vit entre la haute montagne et le village, chez le chef de tribu, sans les deux fils qui ont décidé d’aller travailler à la ville.
Le grand a choisi Fès où il apprend à travailler le cuir avant un retour à Marrakech et d’ouvrir une boutique de chaussures. Le plus jeune a choisi le domaine de l’épicerie, la préparation de yaourts et du petit lait et la vente des casse-croûtes.
Son rêve c’est d’ouvrir la première épicerie dans son village ou un café pour apporter de la modernité aux éloignés de la civilisation. Également pour inciter les voyageurs Maroc, à les visiter et faire de son village un lieu vivant.
L’arrivée de Zahra dérange le père. Il demande à la mère de descendre au village pour être entourée jusqu’à son retour.
Le chef de tribu n’a pas fait dans la demi-mesure ! Tout est grandiose et sans demander de compte à personne.
L’occasion est bonne. Damsi, un ami d’enfance du chef et grand raïs de chants berbères du Souss se trouve chez lui, en visite. Il a terminé ses spectacles à Marrakech et autres, à l’occasion du passage de prince à celui de roi d’Hassan II, après la mort de son père, le libérateur du Maroc, le roi Mohamed V.
Le raïs Damsi a l’habitude de séjourner dans la région de l’Atlas et d’Al-Haouz. Il y anime des spectacles pour un seigneur de la région, El Glaoui, d’une grande famille d’un pacha de Marrakech.
Il avait une très belle maison, pour ne pas dire un palais royal en haut de la montagne dans le village de Glaoia, parée de décors traditionnels, de faïences et de zélij.
Ce lieu est devenu un centre culturel et un musée visités par des étrangers, pour comprendre la vie et l’histoire du Maroc rural et de ses habitants éloignés des villes et de la capitale touristique.
Le raïs n’a pas attendu la demande de son ami, en lien familial éloigné. Il a proposé à ses artistes, ses chanteurs et ses poètes d’animer, jour et nuit, la fête de la naissance de Zahra, d’Hana et de Mehdi.
Les voix et le son des rabâb s’entendent depuis le sommet de la montagne et tous les douar alentour en ont profité.
Pour arriver au village, il faut traverser des kilomètres de pistes et passer dans les lits des rivières asséchées.
Il faut au moins huit heures pour faire le trajet. Avec les mulets et les ânes, la route est plus longue, car il ne faut pas énerver les animaux pour éviter les accidents. Avancer doucement et laisser le temps aux bêtes de s’habituer au passage afin de ne pas les perdre avec leur marchandise sur le dos. Il faut aussi être attentif aux hommes, les guides qui, pour ne pas prendre le risque de perdre les animaux, tomberont à plus de trois ou quatre cents mètres, sans rien à quoi s’accrocher.
Ces montagnes sont à plus de trois mille mètres au-dessus du niveau de la mer. Le manque d’oxygène perturbe ceux qui ne sont pas de la région. Quand il fait une chaleur de plomb, cela mérite encore plus d’attention.
Les Berbères connaissent ces hautes montagnes au climat aride et sec comme le désert. L’eau y est pourtant abondante dans certaines zones escarpées.
Ils aiment cependant leur région et leurs villages malgré la vie très difficile et les dangers qui les entourent.
Damsi est un grand artiste doué naturellement comme tous les artistes berbères. Sans professeur ni conservatoire, ils arrivent à extraire des sons harmonieux, tant de leurs voix que de leurs instruments. Ils utilisent des gammes différentes de celles des écoles de musique et des rythmes si uniques qu’aucun pays dans le monde ne possède. Ce sont des musiciens dotés d’un sens extraordinaire qui arrivent à trouver le son et à connaître les tonalités.
Leur instrument est le rabâb, l’ancêtre du violon des musiques modernes, le loutar, un instrument à cordes comme la guitare, le nay, la flûte en bois ou en métal et des instruments de rythmes utilisés aussi dans la musique occidentale.
Les Berbères sont des artistes complets !
Ils composent les paroles, les chantent en accompagnant les rythmes et en respectant les danses des hommes ou des femmes ou des deux groupes ensemble.
Tout le village danse et chacun chante, poète du quotidien.
Le raïs Damsi entend un air qui lui est inconnu après cinquante ans de pratique et de voyages. C’est un temps suffisamment long dans son domaine pour connaître tout ce qui existe, y compris le chant et la danse.
Ce village-là est l’exception dans les montagnes de l’Atlas et, sans doute, dans toutes les régions berbères du Maroc et peut-être d’ailleurs.
On dirait le chant de sirènes des mythes des anciens. Ce qui n’était qu’un fantasme, du domaine de l’imaginaire se réalise et devient une réalité vivante.
Qu’apporte cette petite Zahra arrivée en plein désert rocailleux, à ce village ?
— On dirait que c’est une prophétesse, s’il y avait des femmes ! pense le raïs Damsi.
Cela lui donne une grande appétence pour chanter et jouer. Une nouvelle musique inédite, qu’il n’a jamais entendue de ses maîtres ni d’autres dans le monde.
Damsi est un voyageur insatiable. Son art exceptionnel lui a valu d’être apprécié du makhzan et des hauts responsables du royaume. Il a ainsi obtenu carte blanche pour sa présence dans les grandes fêtes au Maroc et ailleurs.
Il a voyagé et ce n’est rien de le dire, dans le pays et à l’extérieur où il a rencontré des personnes originales et de langues différentes.
Par instinct, il parle plusieurs langues plus les berbères des trois régions. Celle de son Souss massa, Tamazight, l’autre de Zayan, la région de Casablanca-Stat et l’autre du Haut Maroc, le Rif.
C’est unique pour un Berbère viscéralement attaché à sa langue régionale et à ses traditions et qui rejette habituellement tout ce qui est étranger pour garder son authenticité !
Damsi est un être du monde, différent des autres. Le voyage, obligation des débuts, l’a sculpté et formé. Son état d’esprit d’homme ouvert à tout l’a favorisé dans les connaissances.
Il est même doué en arabe, comme s’il était originaire de l’Arabie ou du Yémen.
On dit que c’est du Yémen que le chant berbère est arrivé au Maghreb dont les gammes de musique témoignent de l’Histoire.
« Les habitants du nord de l’Afrique, les pays du Maghreb, les premiers habitants de ces terres, sont venus du Yémen et d’Al-Hijaz, le sud et le nord de l’Arabie saoudite. »
On ne veut pas le croire et certains essaient de réécrire l’Histoire selon leur envie ! Si on commence à penser selon ce qui lui convient, on en changera le cours toutes les minutes. L’homme va généralement de l’avant et ne reste pas figé sur une idée !
Mais on ne peut pas faire mentir l’Histoire, surtout quand ceux qui ont vécu avant nous et nous ont tout transmis, étaient des gens sérieux en qui on pouvait faire confiance.
La musique berbère possède des gammes formées de trois notes, comme celle du Yémen. Les rythmes sont les mêmes, certes avec quelques nuances. La langue, bien sûr, est l’arabe au Yémen et le berbère au Maroc.
Le raïs Damsi croit que sur terre, un seul peuple forme l’humanité. Les sentiments sont les mêmes et leurs ennemis à vaincre, la pauvreté et la souffrance due à des maladies qui les emportent.
Ce n’est pas le temps de la tristesse ni du malheur ! Place à la joie et la musique est le moyen d’exprimer ce sentiment. Mieux que les herbes qui détruisent le cerveau et le corps.
Ainsi on ne trouve jamais Damsi en colère ou triste mais toujours heureux et joyeux !
Même dans les moments difficiles, il chante et danse avec un sourire éclairant son visage. On dirait le soleil !
Il se sent bien là où il est et il transporte les autres avec lui. Le voir ouvre notre cœur et les traits de notre visage se détendent. La joie nous submerge comme les grandes vagues de la mer.
— La musique c’est le bonheur ! dit Damsi.
La musique et la poésie ont débuté avant la présence du père de Zahra.
C’est sa journée et sa famille est à l’honneur.
Les Berbères sont simples et même les riches n’étalent pas leur richesse. Pas plus qu’on utilise sa fortune pour diminuer et affaiblir les autres, qu’ils soient de la famille ou non.
Ils se sentent comme une seule famille de cousins.
— Ah Ouald aami, oh mon cousin !
D’autant plus quand ils vivent loin de leurs villages. Un Berbère a le visage illuminé quand il en rencontre un autre. Où qu’il soit, du sud, de Tamazight, de Zayan, Casablanca, Stat au centre du pays ou des montagnes du Rif.
Même avec leurs dialectes différents, leurs habitudes et traditions uniques de chaque région, ils restent solidaires entre eux. Comme les ancêtres.
Dans les cours d’histoire du Maroc, on lit que les Berbères, les premiers habitants du pays sont venus du Yémen, terre de la main droite et du Bilad al-Shâm, terre de la main gauche, Syrie, Liban, Jordanie et Palestine, plus une partie du sud-est de l’actuelle Turquie.
Damsitrône au milieu, comme un roi ! Ses musiciens l’entourent.
En face, le chef de tribu, assis sur un grand matelas artisanal et, près de lui, les proches et ceux qui l’aident au quotidien et, plus loin, les villageois.
Les Berbères sont musulmans comme les Arabes marocains. Auparavant, ils avaient d’autres religions.
Les hommes dans un cercle et les femmes dans un autre, séparés par respect. La vie entre les hommes et les femmes est facile et sans problème. Cela fait partie de l’éducation. Chacun connaît les limites.
On apprend, dès le jeune âge, à honorer les vieux et les femmes. À ne pas prendre les affaires des autres et à demander pour s’en servir. À ne pas pénétrer dans les maisons sans autorisation ou invitation. Des conduites que les Berbères avaient même avant l’arrivée de la religion islamique.
Simple, elle convient à ceux qui vivent en haute montagne de l’Atlas et dont les vies, la plupart du temps, sont banales. Les riches, comme les pauvres, utilisent seulement ce qui est nécessaire, sans excès.
Chacun se raconte et les anecdotes fusent avec des éclats de rire. Tous conversent et ils sont heureux d’une simple phrase.
Dès que le rabâb du raïs Damsi crie, tous se taisent. Comme si un sorcier les enivrait, les têtes se tournent vers le son, le regard fasciné par le mouvement de l’archet qui frotte les cordes du violon.
On dirait que le rabâb pleure, il donne la chair de poule et émeut. On serait tenté de fuir sa musique, alors qu’elle attire, comme si le spectateur était relié à l’instrument par une corde !
Le plaisir et la joie alors que la musique pourrait engendrer de la mélancolie.
Les musiciens laissent la place à Damsi. Soliste, il pose la couleur de la gamme et la ritournelle instrumentale. Il est écouté avec attention et ils apprennent en même temps !
Quand on entend un géant du chant tamazight, on engrange des connaissances. Chaque mouvement de l’archet est une leçon. Les auditeurs se sentent chanceux d’être si près de ce dieu du son et des rythmes, d’une valeur inestimable.
Ils le croient envoyé de Dieu, comme les prophètes. Il est vrai que les savants sont des héritiers de ceux-ci, comme l’indiquent les livres sacrés.
Quand le maître hoche la tête, les musiciens se mettent à jouer. On dirait qu’ils caressent une femme !
Doucement, pour ne pas casser les cordes faites de boyaux, qui ont longuement séché au soleil. Durcies pour supporter cent kilos !
La musique est douceur. L’homme se sent en paix quand il l’entend, cela le change des durs moments dans une nature féroce et sans pitié.
Les loutar à cordes accompagnent en répondant au rabâb et à ses rythmes. Les musiciens prennent leur temps avant de démarrer alors que le corps des spectateurs commence à vibrer.
Ils impulsent le mouvement tandis que les esprits grimpent au nirvana. Les hommes et les femmes dansent au milieu de la cour et alentour. Tous chantent ! Les connaisseurs impulsent leur savoir à ceux qui l’ignorent.
Le chant et la musique sont une tradition orale chez les Berbères et ils veulent la transmettre aux générations du futur. Tous apprennent par cœur les chants et battent les rythmes.
On peut reconnaître une musique berbère… Rien ne lui ressemble dans les musiques régionales et mondiales ! On dirait qu’elle est attachée à l’Atlas. Une seule musique pour une seule chaîne de montagnes.
Le raïs Damsi chante.
« Notre bonheur est grand,
Nos voix s’émeuvent,
Nos cœurs battent très fort !
Le bel ange est né,
Notre Zahra,
Le soleil a éclairé la nuit,
Et a fait jaillir des montagnes,
Les sources d’eau.
Les arbres ont donné leurs fruits
Avant le printemps ! »
Les Berbères sont poètes par nature. Leurs chants si simples sont très proches de leur vie quotidienne, extraits de la nature et de leur destinée.
Leurs chants sont très modernes. Des phrases chantées en solo et d’autres en chœur. Les paroles sont bien construites ainsi que les rythmes.
Du temps est donné à la musique et aux voix. Un spectacle peut durer des heures et des heures, sans lassitude. On n’entend plus que la musique, les chants ont disparu.
Les montagnes répètent en écho avec le rabâb et le loutar des dizaines de mélodies dont les rythmes sont très sonores. On les entend même à dix kilomètres.
Les montagnes reçoivent et renvoient les musiques. Toutes les montagnes de l’Atlas en profitent.
Comme il est beau l’écho qui fait de l’homme un géant comme les montagnes.
La musique berbère est répétitive. On entend une phrase musicale des dizaines de fois avant de changer de registre. Un non-Berbère peut se lasser de ces répétitions et chercher à passer à autre chose. Mais pour les locaux, durer autant que l’on veut ne gênera pas l’oreille !
Il n’y a pas mieux pour eux ou plus beau dans la vie que de jouer et d’écouter sa musique et la danser. C’est une religion. Une évasion dans le ciel près des étoiles.
Le Berbère chante et danse en souriant. Jamais triste ou inquiet de ce qui l’attend. Il prend la vie avec humour et simplicité, sans souci !
Pas de plaintes sur ce qui arrive et toujours optimiste pour l’avenir. Voilà la vraie réussite des Berbères marocains. La longévité mérite des sacrifices et l’homme doit travailler avec rudesse pour prendre le peu qui se présente.
Il ne se gave pas de nourriture, même si elle est à volonté. Il a l’habitude de manger peu. De jeûner au moment de la richesse et des bonnes récoltes, comme lors des sécheresses.
Méfiant car demain peut être en sa défaveur. On croit que la vie des soufis ressemble à celle des Berbères attentifs à ne pas manger plus qu’il en faut. Juste de quoi rester en vie et en bonne santé.
Le corps et l’âme des Berbères sont sains et les Arabes tentent de les imiter.
Parfois même, on se moque des Berbères commerçants, on dit qu’ils sont avares !
Une histoire amusante est parfois utilisée pour se moquer et insulter.
« On dit qu’un habitant d’une ville arabe marocaine est allé chez un commerçant berbère acheter un pain. Ensuite, il lui a demandé d’ouvrir une boîte de sardines à l’huile. Le Berbère s’est exécuté. Puis il a levé la tête vers lui, en lui demandant, ce qu’il veut d’autre. L’Arabe a répondu :
— Mange, sinon tu mourras de faim devant tes conserves !
Et il a poursuivi sa route… »
Utilisée de temps à autre comme provocation contre les Berbères. Même au Maroc, le racisme…
Bien sûr, ce sont des cas particuliers et heureusement sinon, on aurait des guerres civiles entre les Arabes et les Berbères au Maroc, comme en Algérie.
La musique s’arrête et Damsi prend le temps de s’essuyer le front. L’homme transpire même s’il fait très froid. C’est comme une maladie.
De temps en temps, le raïs Damsi demande conseil pour éradiquer ces vagues de sueur qui le gênent.
Enfant, il n’était pas comme ça ! La vieillesse modifie le corps et l’âme. Ils sont de plus en plus dérangés par ces maux. La science et les médecins que Damsi consulte, au Maroc ou ailleurs dans le monde, n’ont pas réussi à l’aider.
Il doit changer ses vêtements quatre fois par jour et ça l’ennuie tout comme ça lui coûte de plus en plus, en temps perdu et en force, qu’il n’a plus avec les années. Il commence à ne plus supporter cette situation. On ne peut pas tout avoir dans la vie !
« La lune est là !
Devant nos yeux.
Elle est levée et nous éclaire
Avec son visage illuminé,
On se croirait devant un ange !
Une femme sacrée
Par la force divine.
On dirait Marie ou une autre sainte.
Arrivée pour fleurir
La montagne de l’Atlas. »
chante le raïs Damsi. La chorale répète après lui. À chaque arrêt, les femmes élèvent la voix sur un youyou et saluent Mohamed, le prophète de l’Islam.
Les hommes, main dans la main, et les femmes dansent avec leurs habits traditionnels. Ils font des allées et venues et les babouches décorées de grelots métalliques qui brillent de lumières colorées, carillonnent ! On dirait des instruments de musique résonnant en harmonie avec les musiciens et les chanteurs.
Le son des pieds est aussi beau que les cordes des rabâbs.
On dirait que les mains des dieux de la musique tissent des tapis de différents sons angéliques sur les sommets.
Une fête des dieux et des rois et non un petit spectacle pour une fille pauvre, qui a ouvert les yeux dans une grotte, loin du monde, dans une solitude extrême.
Le père et le groupe arrivent à la maison du chef de tribu. Celui-ci les accueille en leur souhaitant la bienvenue.
Le raïs cesse de chanter et porte tous ses efforts sur l’instrument. La musique a augmenté sur des signes donnés aux musiciens de rythmes et réchauffe le ciel. La musique est de plus en plus forte.
Le père applaudit et montre sa joie. Entre Berbères, sa famille !
Un évènement chez un habitant du village est considéré comme celui de sa famille. L’un s’occupe de l’autre. Cette manifestation habituelle commence à disparaître. On dirait que l’individualisme gagne le combat contre l’humanité. Chacun pour soi.
Certains cumulent des fortunes qui ne servent à rien. La vie n’a pas besoin de tonnes d’or ou de matières précieuses mais d’amour et d’un peu de pain, avec de l’eau fraîche et pure ! Comme celle qui jaillit des sources montagnardes et désaltère les cœurs des habitants des hauts de l’Atlas.