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La folle randonnée d’Hercule Perruchon - Tome 1 vous entraîne au cœur de l’aventure folle d’Hercule. Ce dernier, malgré un environnement peu favorable à son épanouissement, une mère mante religieuse trop présente, un frère cadet dépressif, poursuit sa marche solitaire, faite de rencontres exceptionnelles, vers Edouard son père gravement malade. Dans une intrigue saisissante, vous êtes invités à le suivre tout au long de son périple fait de situations plutôt surprenantes.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Pierre Yvorra consacre l’essentiel de son activité à l’écriture, particulièrement à celle de la fiction policière. Par ailleurs, il est auteur de plusieurs livres dont La Maltaise, Sable rouge et La traque finale.
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Jean-Pierre Yvorra
La folle randonnée d’Hercule Perruchon
Tome I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Pierre Yvorra
ISBN : 979-10-377-7138-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur
Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus.
Georges Bernanos
L’Allemagne nazie impose au gouvernement de Vichy la mise en place du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) pour compenser le manque de main-d’œuvre dû à l’envoi de soldats allemands sur le front de l’est. C’est ainsi qu’un nombre important de travailleurs français furent acheminés vers l’Allemagne entre juin 1942 et juillet 1944.
C’est dans un contexte de durcissement, en mai 1943, que LAVAL contraint une classe d’âge à rejoindre les usines allemandes. Certains travailleurs sont obligés de faire fonctionner les exploitations agricoles de l’autre côté du Rhin.
C’est à partir de ces situations que j’ai imaginé le départ d’un ouvrier agricole d’une grande ferme du nord-est de Berlin en 1950, vers sa région natale du sud-est de la France.
Une folle randonnée qui le mènera à pied sur les chemins, les sentiers, d’une Allemagne en reconstruction. Les lignes suivantes sont une œuvre de fiction, les noms, les personnages et certains événements sont le fruit de mon imagination et utilisés fictivement. Certains lieux ont été modifiés volontairement. Toute ressemblance avec des personnages réels, vivants ou morts, serait pure coïncidence.
En 1943, Hercule Perruchon, avec plusieurs de ses camarades, est contraint de partir pour l’Allemagne dans le cadre du S.T.O.
C’est dans une grande ferme au nord-est de Berlin qu’il accomplit pendant sept années un travail routinier. Après avoir reçu par courrier une triste nouvelle, avec quelques marks en poche et un équipement inadapté, il décide de partir à pied sur les routes et les sentiers vers le sud-est de la France. Hameau après hameau, village après village, faubourgs des villes, il marche et repense à son passé lié à une enfance difficile, à une mère indifférente et fantasque, à un frère cadet rebelle.
En dépit de sa petite taille avec un physique ingrat, d’un comportement maladroit et embarrassé, il entreprend ce voyage initiatique. De multiples rencontres lui permettront de côtoyer de drôles de personnages, de découvrir des pratiques inattendues, un monde nouveau pour lui….
Malgré la chaleur, la pluie et la fatigue, il marche, il marche, toujours poussé par une force mentale insoupçonnée, convaincu de revoir son père une dernière fois…
Edouard Perruchon : le père
Marinette Perruchon : la mère
Hercule : le fils aîné
Maurice : le fils cadet
Magda Uhring : la fermière Allemande
Emma Tournebride : la comptable du garage
Dario Deldon : le patron du garage
Roger Lagrelle : le voisin de Coursegoules
À Catherine et Eva avec toute mon affection
C’était un matin comme tant d’autres. Le colis et la lettre qui l’accompagnait arrivèrent un jeudi. Barbe naissante, chemise maculée auréolée de sueur, Hercule Perruchon était assis devant une table en bois vermoulu. Dans la cour de la ferme flottait dans l’air un mélange de foin coupé et d’odeurs tenaces arrivant de l’étable toute proche. Plus simplement, cela sentait la vache et surtout ce qui pouvait sortir des ruminants au terme d’une longue digestion.
Près du hangar, Elmut, le mécano, finissait de graisser la bruyante moissonneuse-batteuse. Dans un corps de bâtiment annexe, trois ouvriers empilaient les paniers de pommes de terre. Hercule apercevait la longue plaine qui s’étalait à perte de vue, entre les sous-vêtements suspendus sur un fil flottant au vent, comme de larges cerfs-volants gonflés par la brise. Il était loin de ses moutons, de ses chèvres, il était loin des terrains rocailleux et pentus de l’arrière-pays Niçois.
— Hercule ! lança Magda la fermière teutonne, un colis pour toi !
Il pensait que demain il devait traire les vaches et nettoyer l’auge des cochons. Le cliquetis de la baratte cessa. Magda apparut dans l’encadrement de la porte et lui tendit le colis. Le courrier postal fonctionnait assez bien maintenant, lettres et paquets parvenaient régulièrement à la ferme, rythmant les nouvelles parvenant de son village natal de Coursegoules.
Magda était une femme plutôt corpulente, joliment charpentée. De son éternelle blouse fleurie, émergeaient deux bras potelés et bronzés, peau rugueuse tannée par le soleil, rien de comparable avec le bronzage doux et velouté des belles étrangères de la Promenade des Anglais et de la Croisette de Cannes. Sous sa chevelure blonde brillaient des yeux généreux, bienveillants, pour les travailleurs que nous étions. Elle s’exprimait en allemand et en français, dans un langage approximatif, mais suffisamment compréhensible pour Hercule, qui avait appris les fondamentaux d’une langue dont il ignorait tout il y a sept ans.
Magda était assistée par Weikhert, un inspecteur au service des propriétaires, ils répartissaient les tâches des équipes au rythme des saisons.
— C’est pour toi ! annonça-t-elle avec un fort accent en déposant le colis sur la table tout en l’avançant vers lui. Quand le paquet toucha presque sa main, il le contempla comme si c’était le premier, comme si auparavant il n’avait jamais rien reçu. Il était parfaitement ficelé et sur le papier marron une étiquette collée faisait mention du destinataire.
« Monsieur Hercule Perruchon chez Madame Magda Uhring. Hameau de St Jürgen Allemagne. »
Sur le cachet de la poste, Hercule venait de lire : Coursegoules A.M. France. le 02/07/1950…
Le colis avait mis une quinzaine de jours avant d’arriver à destination. Rapidement, il détacha le lien, déchirant avec empressement l’emballage, étalant sur la table, figues séchées, bocal d’olives, tranches de lard fumé, pots de confiture, sous les yeux de Magda qui scrutait avec curiosité le contenu du paquet et détaillait avec intérêt les curieux bocaux de fruits séchés, si rares et inconnus dans la région.
C’est alors qu’Hercule découvrit une enveloppe jaune. Il ne reconnut pas l’écriture.
Qui avait écrit son nom ? C’est peut-être une erreur, pensa-t-il ! La raison et la curiosité le poussèrent à décacheter sans délicatesse l’enveloppe. Hercule examina le mystérieux courrier jaune, des taches de lard avaient formé comme des nuages sur le papier. La couleur lui fit penser à l’urine des chèvres quand elles vidaient sans pudeur leur vessie, situation qui, quand il était gosse, le mettait mal à l’aise et faisait rire sa mère. Il commençait à lire, sentant le regard de la fermière posé sur lui. Il remarqua à l’angle de la feuille un signe paroissial d’un lieu qu’il connaissait, le nom et l’adresse étaient adroitement inscrits par une personne qui avait l’habitude d’écrire à la plume.
« Cher Hercule, vous serez certainement étonné de recevoir ce courrier ». Il posa directement son regard sur le bas de la lettre et la signature.
— Qui t’a écrit, lança la fermière ?
— C’est le curé de la paroisse Saint Ranvé, près de mon village, en France.
Magda saisit une figue sèche et d’un coup de dents détacha un fragment du fruit sucré.
— Quel curé ?
— C’est un prêtre qui célèbre la messe dans plusieurs villages du haut pays vençois.
Elle se léchait le bout des doigts recouverts de sucre avec une mimique langoureuse et évocatrice.
Il se remémora cette fin de journée de juin. Alors que la chaleur s’apaisait, la veuve lui avait fait comprendre son désir de trouver un compagnon, ce n’était pas le mot juste, il avait traduit, elle recherchait plutôt un amant. Il s’était donc installé dans le lit de la « brave fermière » aux mains rugueuses et aux larges culottes de coton. Bref, ce n’était pas franchement érotique, mais bon… Il avait trente et un ans, elle la cinquantaine.
« Les Requis », ses camarades Français du Service du Travail Obligatoire, avaient regagné depuis longtemps leur pays natal, dès l’armistice. Hercule, lui, restait dans les plaines de la Basse Saxe, dans un confort relatif, loin de sa famille. Oh ! Il y avait bien eu quelques égarements sexuels dans la grange, malheureusement Hercule était allergique au foin, les éternuements intempestifs qui suivirent avaient mis fin aux ébats.
Hercule, ignorant les simagrées de la femme, se replongea dans la lecture de la lettre. La présentation était parfaite, rien à voir avec les griffonnages de l’adresse sur le colis. C’était toujours ainsi avec le curé, il faisait tout de manière exemplaire.
— Le prêtre me demande, si je suis bien traité, si je mange suffisamment.
Magda eut un rictus désapprobateur, reprit sa respiration quelques secondes.
— Qu’est-ce qui ne va pas Hercule ?
Il se tut, se leva, le visage blême, et réussit à murmurer :
— C’est la tuberculose… Monsieur le curé m’informe que mon père est mourant et qu’il n’a que quelques mois à vivre.
Il essaya de poursuivre, mais les mots lui échappaient. D’un revers de main, il essuya les larmes qui coulaient sur ses joues.
— C’est pas juste ! dit-il les yeux embués.
Le temps parut suspendu, il lui sembla que même la nature interrompait son concert. Magda avait compris, son visage se ternit.
— Je suis désolée.
Il baissa la tête, il aurait dû lever les yeux, mais c’était impossible pour lui.
— Demain, il fera beau, reprit-elle, nous finirons le ramassage des pommes de terre.
Il resta muet, incapable de réagir. En quelques secondes, le ciel lui était tombé sur la tête… Il aimait tellement son père ! Elle ferma le pot de figues, souleva le colis et disparut à l’intérieur de la pièce commune. Quelques instants plus tard, le bruit singulier de la baratte reprit.
Hercule avait des difficultés à respirer, il n’avait plus la force de se lever, il sentait une vague d’émotions l’envahir. Pourquoi avait-il passé autant d’années sans parler vraiment à son père, pourquoi ne s’était-il pas confié à lui, pourquoi ne lui avait-il pas dit qu’il l’aimait. Il était peut-être trop tard maintenant. L’image de son vieux père avec lequel il parcourait les sentes des collines, ce petit bonhomme aux cheveux argentés, était gravée à jamais dans sa mémoire.
Il n’avait jamais pu l’appeler papa, alors, comme les voisins, il le nommait Edouard, Edouard le chevrier. Quel âge avait-il ? Soixante, soixante-dix ans ? Et il était en train de mourir sur le haut des collines de Vallauris, dans ce sanatorium, dans une de ces salles communes où l’on côtoie la maladie et le désespoir. Et lui était à des centaines de kilomètres de son père.
Il jeta un coup d’œil sur les champs, la brise avait cessé, le balancement des vêtements sur le fil aussi… Hercule glissa la lettre dans la poche de son pantalon, palpa trois fois le côté de sa cuisse pour s’assurer que l’enveloppe ne tomberait pas, se redressa, puis se dirigea vers le hangar.
Magda déposa le pot de beurre sur une étagère de l’arrière-cuisine, là où les murs de pierre étaient les plus épais, là où il faisait le plus frais.
À l’étage, elle poussa doucement la porte de sa chambre et resta silencieuse un court instant… Elle était seule. Étrangement, elle semblait par son comportement ne vouloir déranger personne, pourtant… Elle était seule. Ensuite, comme chaque soir, elle poussa le rideau de dentelle de la fenêtre, biffa du doigt la fine couche de poussière qui s’était déposée sur la boiserie. Elle posa son regard sur la photo de son mari cernée d’un ruban noir, puis sur la photo de son fils posée à côté. Elle veillait à tenir la pièce propre, espérant toujours le retour improbable d’Heinz, son fils unique… Elle fit un signe de croix, puis referma délicatement la porte. Elle songea à Hercule, en bas, avec sa lettre et alla préparer le repas du soir.
Hercule détacha plusieurs feuilles de son bloc de papier à lettres et saisit un stylo à encre soigneusement placé dans sa valise. Que pouvait-il écrire à son père atteint par la tuberculose ? Il voulait lui dire à quel point il l’aimait, mais il ne pouvait paraître affligé, ou témoigner des regrets. Une formule trop précise aurait pu évoquer un dernier adieu, saluer un père que l’on ne reverrait plus. De toute façon avec son simple certificat d’études primaires, il ne trouvait pas les mots. Il écrivit :
« Cher papa, j’espère que ta santé va en s’améliorant et que tu retrouveras rapidement ton village… »
Mais quand il relut le courrier, il lui sembla confus et peu adapté, il froissa la feuille, en fit une boule et détacha une autre feuille. Il n’avait jamais eu aucun talent pour l’écriture, il n’avait jamais osé exprimer ses sentiments, de toute façon, il ne trouverait jamais les mots appropriés. Comment manifester sa compassion à un mourant ? Si les circonstances étaient inversées, comment réagirait son père ? Lui aurait trouvé les mots.
— Hercule !
La voix de Magda le fit tressaillir, il la croyait dans la cuisine occupée à préparer la soupe du soir, ou bien discutant avec les camarades des tâches du lendemain. Elle essuya ses mains sur son tablier.
— J’écris une lettre à Edouard mon père !
— Une lettre ?
— Oui, tu veux signer ?
— Je ne pense pas, on ne signe pas un courrier si la personne vous est inconnue…
Il voulait en terminer rapidement, trouver une formule plus simple, il n’avait qu’à écrire ce qui lui passait par la tête.
« Cher papa, monsieur le curé m’a informé de ta maladie, je suis vraiment peiné, bien affectueusement, ton fils Hercule ».
C’était banal et sans relief, mais cela avait l’avantage d’exister. Il glissa la feuille dans l’enveloppe, écrivit l’adresse du sanatorium de Vallauris.
Le lendemain, tôt le matin, il ouvrit la petite armoire individuelle près de son lit, décrocha sa veste de cuir, vida le contenu de la boîte métallique des quelques marks et francs qu’elle contenait. À la porte du logement annexe de la ferme, il ressentit l’air tiède chargé d’effluves provenant de l’épandage du fumier. Magda le suivait du regard.
— Tu en as pour longtemps ?
— Non, je vais juste dans la rue principale.
Elle le regardait s’éloigner. Un drôle de sentiment l’envahit… Lui avait envie de pleurer mais il n’y arrivait pas, il aurait aimé prendre la main de son père, le réconforter, mais il ne pouvait pas…
— Au revoir, Magda…
Sa silhouette disparut derrière la palissade qui fermait l’un des côtés de la cour, il ne s’était pas retourné.
La ferme de Magda se situait à la sortie du hameau de Saint-Jürgen et bénéficiait d’une situation légèrement dominante, avec un panorama sur des champs qui s’étalaient à perte de vue. Une seule rue traversait le village, la partie centrale de la chaussée, mi-terre, mi-cailloux, était ravinée par les forts orages d’été qui arrosaient copieusement la région. Chiendent et chicorée sauvage garnissaient les bas-côtés de la route.
En voyant Hercule arriver, le fermier voisin lui fit un signe de la main et se dirigea vers le portail qui fermait l’enclos. Günther était un bonhomme maigrichon, avec un éternel mégot planté à la commissure des lèvres, cigarette jaunie aux grains de tabac dérangeants qu’il crachait régulièrement. Le fermier était tellement léger, qu’il faisait craindre à Hercule qu’il ne s’envolât par jour de grand vent dans les champs de luzerne. Günther avait perdu sa femme dans les semaines qui avaient suivi l’arrivée d’Hercule à Saint-Jürgen et depuis son veuvage il évoquait sa solitude, les malheurs de la guerre, les restrictions alimentaires pour ceux des villes. Hercule ne comprenait pas tout, car le paysan parlait très vite et très longtemps, alors il l’écoutait, il l’écoutait encore…
— Vous faites une promenade ? demanda Günther.
Hercule prit un air détaché, car il espérait poursuivre son objectif au plus vite.
— Vous avez une lettre à poster ?
— Oh ! Depuis la mort de ma femme, je ne reçois que des lettres de l’administration, ça vient de Berlin.
Les yeux du fermier s’embuèrent, Hercule comprit tout de suite quelle direction allait prendre leur conversation. Il jeta un œil vers le ciel qui se couvrait de nuages floconneux, comme la barbe à papa, celle de son enfance à la fête foraine de Vence.
L’homme rompit par un long soupir le silence qui s’était installé.
— Il va peut-être pleuvoir demain…
— C’est possible !
Günther aimait la pluie, il disait toujours : « ça nous évite d’arroser ! »
— C’est bien pour vous, s’il pleut vous gagnez une journée de repos !
— Pas de repos… Magda n’aime pas que l’on traînaille.
Hercule regarda ses chaussures montantes de type brodequin et se posa la question : « Pourquoi avait-il des chaussures aussi rigides, aussi lourdes ? » Il n’avait aucun projet d’escalade d’une paroi rocheuse.
— Bien, je vais y aller, je ne veux pas louper la levée du courrier de demain matin.
En secouant l’enveloppe, il poursuivit maladroitement sa marche sur la chaussée déformée. Il fut désagréablement surpris de voir se détacher le profil de la boîte aux lettres sur le mur de la grange. Il tenta de s’éloigner pour l’éviter, mais elle était là, à patienter à la sortie du hameau. Il s’arrêta, souleva le bras à la hauteur de l’ouverture, pivota légèrement pour mesurer la faible distance que ses brodequins venaient de parcourir.
La rue était cernée de part et d’autre par une série de maisons disparates, éventail architectural constitué de hangars, de granges et de modestes maisons, exception faite de l’église au clocher massif couvert d’une toiture conique.
En juin1943, Hercule avait reçu un courrier du commissariat général du S.T.O.de Nice :
« Monsieur Hercule Perruchon, vous êtes prié de vous présenter le lundi 15 juin 1943 avant 12 heures à l’école communale de Cannes. Vous êtes averti qu’en cas de défaillance insuffisamment motivée, de graves sanctions seront prises à votre égard, ainsi qu’à votre famille et les tiers complices. Le Commissaire Général. »
Après un court séjour dans un camp du S.T.O. à Falling Bostel en basse Saxe, il fut transféré au hameau de Saint-Jürgen en juillet 1943.
Il était né en février 1921 au Hameau de La Braille, commune de Coursegoules, dans les Alpes-Maritimes. Hercule avait grandi avec ses parents, Edouard et Marie, que tout le monde appelait Marinette. Plus tard, il comprit que ce diminutif était lié à sa petite taille. Une fois l’an, il allait à la foire de Vence, friandises et tours de manège vidaient ses poches des quelques francs chichement économisés. Ainsi, en août 1931, il avait dû rentrer chez lui les poches vides.
Il fréquentait peu ses voisins, préférant courir seul dans la garrigue pour chasser merles et alouettes. À cette époque, il s’était passionné pour les courses d’escargots. À l’arrière de la ferme, il y avait un tas de fumier. Du bout des doigts, il y ramassait des vers pour nourrir son élevage de têtards. Mais maintenant, tout cela n’existait plus. Même son école, faute d’élèves, avait été transférée dans un village voisin.
Hercule, avec remords, pensait qu’il n’avait jamais trouvé les bonnes phrases pour parler à son père.
Il s’imagina retourner à la ferme auprès de Magda et ses camarades, reprenant comme avant le sarclage des pommes de terre et la monotonie des tâches quotidiennes.
Dimanche, il irait à la messe. Une bouffée émotionnelle le submergea, Edouard était à l’entrée d’un tunnel noir, celui d’où l’on ne revient jamais. L’enveloppe timbrée était à demi introduite dans la fente de la boîte aux lettres, il n’arriva pas à la faire basculer.
— Et puis… C’est une belle journée ! dit-il tout haut.
Il était seul, la rue était déserte, il n’avait rien de précis à faire… La brise s’était levée à nouveau, charriant les fines odeurs d’herbe coupée. Il pouvait donc marcher encore un peu plus, tant pis pour la soupe de Magda, il la mangerait plus tard. Il tourna à l’angle de la dernière maison vers Brême, le prochain hameau.
Les décisions spontanées, sans réflexion préalable, n’étaient pas dans la nature d’Hercule. Depuis qu’il était en Allemagne, les journées lui paraissaient sans attrait et ses nuits étaient hantées de cauchemars.
En arrivant à la boîte aux lettres suivante, il fit une halte. Il avait entrepris une action sans juger s’il était capable d’aller jusqu’au bout. Il sentit son cœur s’emballer, des gouttes de sueur lui brûlaient les yeux. Il prit la décision de marcher jusqu’au bureau de poste du village voisin. Il aurait ainsi la certitude que son courrier partirait pour la France le lendemain. La chaleur commençait à s’apaiser, mais la transpiration avait formé de larges auréoles sur sa chemise. Aux premières maisons de Brême, il aperçut derrière une fenêtre un regard qui l’observait et se sentit contraint de forcer le pas. Çà et là, des poubelles jalonnaient la rue, objets hétéroclites privés et intimes que les habitants déposaient sur les trottoirs : vieux pots de chambre fêlés, vélo d’enfant rouillé, pantoufles éculées. Il accéléra son allure vers la gare, il ressentait une légère contracture à l’un de ses mollets. La façade de la station, noircie par les fumées de la locomotive, donnait un aspect lugubre et peu engageant. Hercule claudiqua légèrement jusqu’à un banc, déplia la lettre de monsieur le curé. Edouard avait envie de parler à son fils, maintenant que la grande faucheuse se manifestait. Lui ne s’était pas préoccupé de la vilaine toux qui fatiguait son père depuis des mois, il avait poursuivi sa vie sans se soucier de la maladie de son père. Il avait tout juste dit un « au revoir » quand il était parti avec ses camarades cultivateurs et éleveurs, jeunes du canton et d’ailleurs. Aujourd’hui, de lourdes larmes coulaient sur ses joues.
Le profil massif d’un vieux monsieur lui parut déformé par les pleurs qui troublaient sa vue. Le patriarche s’assit à l’autre bout du banc.
— Il semble que le ciel se couvre, dit Hercule en tentant de s’éclaircir la voix sans tourner la tête. L’homme appuya son menton sur le pommeau de sa canne.
— Vous êtes Français ?
— Oui, mais à quoi l’avez-vous reconnu ?
— À votre accent, mais surtout à vos chaussures, il n’y a que les Français pour porter des godasses pareilles !
Hercule s’interrogea à propos d’une telle situation : lui était-il arrivé de s’asseoir sur un banc avec son père, de partager des souvenirs, de parler de la naissance du dernier chevreau, ou simplement de ne rien dire, en regardant dans la même direction vers le sud, vers la mer ? C’était sûr, il n’avait aucun souvenir d’instants pareils. Il eut l’impérieux désir de poursuivre sa route, de poster sa lettre.
Un groupe d’ouvriers s’interpellait, riant grassement en regardant passer une jeune fille. Hercule ignora cette troupe d’agités.
En attaquant le raidillon direction Bassum, il songea à Marinette, sa maman, si présente, si envahissante, si élogieuse à son égard, trop à son goût et qui ne jurait que par lui. Il prenait conscience que c’était toujours elle qui signait de ses deux initiales M.P. son carnet de notes, c’était toujours elle qui prenait les décisions. Ce qui l’amena à se questionner : « Qu’aurait-elle fait à ma place ? » Si dans ce choix elle était Hercule, qui suis-je ?
Il dépassa le bureau de poste sans un regard pour la maisonnette.
Hercule arriva sur le haut de la colline, le marché aux bestiaux venait de se terminer, deux employés municipaux balayaient les déchets corporels des animaux. L’horloge sur le fronton de l’église affichait dix-sept heures. Il s’arrêta devant le dernier commerce du village.
De petites aiguilles piquaient ses mollets à chaque enjambée. Dans son dos, l’eau de la rivière ralentie par une boucle, d’un vert profond, semblait endormie sous l’arche d’un pont.
Il fit une halte à l’épicerie, boutique proposant aussi des journaux, des cartes postales, de la petite bimbeloterie. Il voulait récupérer de sa fatigue sans attirer l’attention. Astucieusement, il parut s’attacher au titre d’un journal qui étalait à la une « La reconstruction de bâtiments publics ». Puis il jeta un œil sur les cartes postales glissées sur un présentoir : la Suisse, les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark. Quand il était jeune, sa mère lui montrait avec passion des paysages enneigés, des séquoias géants, des chalets colorés au bord d’un lac immense. Mais lui, inconsciemment, craignait ces terres lointaines dont il ignorait l’existence.
Rien n’avait changé. Chaque année en août, malgré le jeune âge de mon petit frère Maurice, nous allions passer, avec ma mère, une quinzaine de jours dans le même camp de vacances sur l’île Sainte-Marguerite, une des îles de Lérins au large de Cannes. Hercule souffla profondément pour apaiser sa respiration, puis reprit sa marche.
Les maisons, de chaque côté de la rue, étaient pour la plupart prolongées par des jardinets fleuris, marguerites et tulipes ornaient les pelouses de plaques colorées. Il était déjà dix-sept heures trente et il avait manqué la dernière levée. Il devait manger une bricole, ensuite il irait jusqu’à la prochaine boîte aux lettres.
En traversant la rue, il évita de justesse un tracteur tirant une remorque chargée de foin. Il se dirigea ensuite vers une bâtisse mi-auberge, mi-station délivrant du carburant, à la sortie du village, là où commencent les champs.
Derrière le comptoir, une jeune blonde, les mains en reposoir sous le menton, paraissait s’ennuyer. Son chemisier, d’une couleur indéfinissable, laissait apparaître deux bras d’un blanc laiteux, comme si elle était là depuis des années, sans jamais voir le soleil. Hercule lui demanda si elle avait quelque chose à grignoter. Elle ne comprit pas, demeurant bouche bée, mandibules tellement ouvertes qu’Hercule craignît qu’une mouche ne vienne s’y égarer.
— Oui, une tranche de pain et une saucisse, précisa-t-il.
Elle ferma la bouche tout en fermant imperceptiblement les paupières.
— Vous voulez dire de quoi manger ?
Elle se dirigea lentement vers un meuble-glacière, lui présenta une saucisse et deux pommes de terre, réchauffa l’ensemble dans un petit four à l’arrière du bar et lui tendit le plat, en lui proposant une chope de bière.
— Vous avez aussi de l’essence à payer ? lui demanda-t-elle en se frottant les mains sur son tablier maculé…
— Non, je suis à pied, je ne fais que passer.
— Ah !
— Je dois poster une lettre à mon père qui a la tuberculose.